(Bonnes résolutions?)
Certaines personnes ne s'intĂ©resseront jamais Ă Bitcoin. D'autres ne s'y intĂ©resseront jamais que pour en dĂ©noncer ce qu'il n'est pas ou ce qu'il ne devrait pas ĂȘtre, voire pour en rĂ©clamer l'interdiction. Il y a des cas dĂ©sespĂ©rĂ©s.
Seulement il faut bien avouer que ceux qui s'intĂ©ressent aujourd'hui Ă Bitcoin ne l'ont fait ni depuis leur propre naissance, ni depuis la sienne, ni mĂȘme en gĂ©nĂ©ral depuis leur premiĂšre rencontre.
Il y a, Ă un moment donnĂ©, une rencontre dĂ©cisive, parfois gĂȘnante, toujours enthousiasmante. Un moment oĂč l'on choit du haut de ses certitudes et oĂč l'on doit reconstruire sa vision, revenir d'une forme d'aveuglement, comme Paul sur le chemin de Damas, oĂč il se rendait pour combattre ceux qu'ils considĂ©raient comme des hĂ©rĂ©tiques, des dissidents et des dangereux sectaires.
(merci au pape Paul VI pour cette piĂšce originale)
Comment devons-nous, de notre cÎté, comprendre et traiter toutes les déclarations des no-coiners exhibant sans fard leur faible connaissance d'une chose qu'ils prétendent condamner ?
Ce billet incite Ă prendre quelques bonnes rĂ©solutionsÂ
: s'indigner, aboyer et troller ne suffit pas Ă provoquer la chute du paĂŻen, et moins encore Ă lui ouvrir les yeux.
OK Boomer
Clamée comme une sorte de Montjoie, cette interjection témoignait à l'origine (il y a plus de trois ans maintenant) d'une compréhensible fatigue des plus jeunes devant les admonestations grand-paternelles. Elle a fini par devenir un argument en soi, qui ne me semble guÚre ni honorable (notamment au regard d'une morale commune qui ne cesse de dénoncer les stéréotypes) ni pertinent si l'idée n'est pas de dénoncer mais d'expliquer. Pourtant, à chaque fois que j'ai tenté d'en suggérer la portée limitée, je me suis fait renvoyer dans les cordes avec une forme de méchanceté.
Or s'il est incontestable que l'apprĂ©hension de la nouveautĂ© technologique (mais aussi artistique, musicale, etc.) rĂ©vĂšle un biais d'identitĂ© et qu'ĂȘtre sexagĂ©naire, porter une cravate ou avoir fait carriĂšre dans la haute administration ne sont pas des critĂšres qui prĂ©disposent Ă frĂ©quenter des jeunes geeks, il est non moins Ă©vident qu'il y a des boomers crypto - dont Satoshi lui-mĂȘme selon toute vraisemblance chronologique - des hauts fonctionnaires crypto-adeptes (ou apologistes) et comme toujours des contre-exemples dans tous les sens.
Laisser entendre qu'on peut ou qu'on ne peut pas  comprendre générationnellement
Bitcoin, comme on me l'a Ă©crit rĂ©cemment dans un français douteux, reste une fainĂ©antise intellectuelle. Que le facteur d'Ăąge soit plus clivant que le type d'Ă©tudes, le positionnement social, la place dans le cocotier ou Dieu sait quoi, c'est ce qui m'apparait incertain. L'argument, quand il n'est pas sĂ©rieusement Ă©tayĂ©, me semble relever d'une sorte de maoĂŻsme, comme lorsque (dans ma jeunesse !) les  origines petit-bourgeoisesÂ
de l'adversaire expliquaient tout et n'importe quoi.
Surtout, cet argument instaure une  ligne de partage des eauxÂ
qui, selon la seule date de naissance, condamnerait l'un Ă l'ignorance arrogante des boomers et l'autre Ă la vertueuse hardiesse intellectuelle des millennials. C'est beau comme JĂ©sus au milieu des docteurs.
Non seulement cela blesse et bute le boomer mais cela n'incite guĂšre le jeune qu'Ă la raillerie, voire Ă l'amertume, sans autre espoir que dans le temps qui passe. Or jouer le cadavre est un jeu usant. La gĂ©nĂ©ration aux commandes peut se maintenir longtemps. Elle a le droit, les institutions, la force et pas mal d'autres choses pour elle. Le jeune sera vieux avant que le vieux ne soit mort. D'autant que le dernier jeune qui m'a titillĂ© avait, Ă l'examen, des enfants dĂ©jĂ ĂągĂ©s eux-mĂȘmes de 20 ans, ce qui m'a fait sourire mais que j'ai Ă©lĂ©gamment gardĂ© pour moi.
La vraie ligne de partage
Si elle ne correspond pas Ă celle que tracerait la seule naissance, voire l'inscription dans les forteresses et les rĂ©seaux de la domination sociale, par oĂč passe donc la ligne sĂ©parant ceux qui vont en rester lĂ et ceux qui vont faire le pas vers la crypto ?
Selon moi, elle court entre deux qualités essentielles de l'esprit : la liberté et la curiosité.
La libertĂ© n'est pas forcĂ©ment Ă la portĂ©e de tous. Celui dont la position (professionnelle et donc matĂ©rielle) passe par l'allĂ©geance au systĂšme financier construit depuis le dĂ©basement des monnaies et la libĂ©ralisation des marchĂ©s financiers ne peut pas (sauf paradoxalement Ă l'Ăąge de la retraite, peut-ĂȘtre !) faire le moindre pas. Mais ne nous y trompons pas : il y a des gens fainĂ©ants (jeunes ou vieux, d'ailleurs) qui rĂ©pĂšteront toute leur vie ce qu'ils ont appris en premiĂšre annĂ©e de facultĂ©, sans mĂȘme que le systĂšme n'ait Ă exercer de grande contrainte sur eux.
La curiositĂ© est ce qui me semble commun Ă toutes les personnes, de tous Ăąges, origines et conditions que j'ai rencontrĂ©es dans la crypto. Quelqu'un de curieux (et de cultivĂ©, ce qui va toujours de pair, mĂȘme si des jeunes gens incultes vont certainement me soutenir le contraire) finit toujours par comprendre Bitcoin.
à cet égard on peut donner l'exemple de ce magnifique boomer qu'est Raphaël Rossello, Managing Partner d'Invest Securities (et lauréat du Prix Tulipe...). En mars 2021, il avait déclaré chez Thinkerview que le jeton de Bitcoin ne serait jamais autre chose qu'un billet de monopoly aux usages douteux.
Il faut réécouter attentivement cette premiÚre séquence : on y voit bien que cet homme intelligent traite de l'inconnu non pas de façon sotte, mais au travers de son expérience qui est vaste et de la sagesse qu'il en a retirée. Mais en mars 2021 il n'avait aucune connaissance de Bitcoin et celle (au demeurant approximative) qu'il avait de l'épisode des tulipes ne lui permettait pas alors d'expliquer Bitcoin, mais seulement de suppléer à son ignorance par un mixte de comparaison et d'extrapolation.
En novembre, huit mois plus tard seulement, il a eu le mĂ©rite, le courage et l'honnĂȘtetĂ© d'analyser publiquement son  chemin de DamasÂ
.
Phénoménologie de l'expérience Bitcoin ?
RaphaĂ«l Rossello venait, nous dit-il, d'un monde oĂč l'univers crypto n'existe pas. J'ai dĂ©jĂ dit moi-mĂȘme que c'Ă©tait exactement ce que rĂ©vĂšle l'argument cĂ©lĂšbre  ça ne marche pas dans la vraie vieÂ
. Il ne sert donc à rien, fût-on maximaliste, de montrer Bitcoin seul, au risque de l'exhiber comme la solution à un problÚme qui n'existe pas dans l'esprit d'autrui.
à le voir sur ces deux séquences différentes, il est évident que Raphaël Rossello n'a pas été vaincu par les cris ou les trolls suscités par sa premiÚre intervention. Il a été convaincu par des arguments, mais surtout par l'expérience de cas d'usage.
Or n'importe qui de sérieux ( fût-il un boomer) voit en quelques semaines d'étude que les laborieuses expériences menées par les banques centrales sur leurs blockchains privées sont mille fois moins excitantes que ce qui se passe dans la Defi.
Laissons donc faire.
La violence est contre-productive
N'entretenons pas la violence inutile qui se dĂ©chaĂźne mĂȘme sur des rĂ©seaux professionnels de type LinkedIn, pour ne rien dire de Twiter. Celle des adversaires de Bitcoin est souvent inconsciente, car faite de pas mal de pharisaĂŻsme : ne sont-ils pas les honnĂȘtes gens justement chargĂ©s du bien commun ? Elle est aussi, parfois, pĂ©trie d'arrogance, de mĂ©pris, de mensonges impunĂ©ment rĂ©pĂ©tĂ©s.
Ainsi un  haut fonctionnaire et Ă©conomisteÂ
que chacun reconnaitra aisĂ©ment multiplie les  Mon bon monsieurÂ
et les  Mon pauvre amiÂ
, parle des braves gensÂ
et n'hĂ©site pas devant des arguments comme vous ĂȘtes gentil mais vous ne connaissez strictement rien Ă la rĂ©gulation des marchĂ©s financiersÂ
, cette derniĂšre pique apparemment adressĂ©e Ă quelquâun possĂ©dant, justement, la certification AMF ⊠AprĂšs quoi le mĂȘme bloque ceux qui osent lui rĂ©pondre. Donc, en fait, lui rĂ©pondre, poliment ou non, me paraĂźt relever du jeton mis dans une machine dont le bruit qui nous casse dĂ©jĂ les oreilles. Voyez son prĂ©dĂ©cesseur  ancien prĂ©sident de banqueÂ
qui au bout de quelques mois semble avoir renoncé à ses polémiques insensées.
Mais la violence des bitcoineurs ne doit pas ĂȘtre sous-estimĂ©e ou absoute : elle peut ĂȘtre mĂ©chante, assaisonnant en outre ses attaques ad hominem de fautes d'orthographe qui discrĂ©ditent encore davantage le propos aux yeux de ceux qui sont visĂ©s. Au-delĂ de ces vices de forme, on y passe trop vite du refus de l'archĂš Ă©tatique Ă celui de l'auctoritas acadĂ©mique et de l'anarchie Ă la vulgaritĂ©. Dire d'un professeur d'universitĂ© qu'il est  payĂ© par nos impĂŽtsÂ
devrait ĂȘtre proscrit : or c'est commun et pour certains c'est mĂȘme l'ultima ratio.
Bref chaque camp s'installe sottement dans la caricature que l'autre en trace.
Une part de dĂ©nonciation m'apparait lĂ©gitime : on peut et on doit souligner les intĂ©rĂȘts objectivement servis, rappeler que tel qui se prĂ©sente comme  professeurÂ
fait l'essentiel de sa carriÚre dans telle ou telle banque, mettre le projecteur sur les extrapolations imprudentes, les suppositions toujours hasardeuses selon lesquelles le contexte, le marché, la technique ou les besoins des hommes ne changeront jamais.
La dénonciation des biais identitaires doit en revanche se faire avec tact. Tel qui est responsable de ses jugements erronés ne l'est pas de son ùge et celui auquel on pourra légitimement reprocher une carence de culture technologique ne sera pas exécuté simplement pour avoir fait l'ENA trente ou quarante ans plus tÎt.
La part d'énergie consacrée à l'invective serait dans tous les cas mieux employée à susciter la curiosité.
 N'y touchez pasÂ
dit la Banque ? PlutÎt que de vous époumoner contre la Banque, rendez donc le fruit Bitcoin appétissant.
(Merci au pape Jean-Paul II. Heureusement que les papes battent monnaie, sinon je serais Ă court d'illustrations numismatiques)
Je vais maintenant entrer dans une zone Ă risque.
Au-delĂ des violences verbales qui brouillent le message et des lĂ©gitimes requĂȘtes pour bĂ©nĂ©ficier d'une fiscalitĂ© honnĂȘte et loyale, quel sens doit-on donner Ă Bitcoin lorsque nous en parlons ?
R. Rossello nous rappelle au dĂ©tour d'une phrase qu'on peut venir Ă Bitcoin sans aimer le nĂ©o-libĂ©ralisme. Tout bitcoineur a le droit d'ĂȘtre (ou de ne pas ĂȘtre) nĂ©o-libĂ©ral, ou autrichien. Le problĂšme, selon moi, vient d'une forme de hold-up que certains font sur Bitcoin. Que Hayek ait en 1976 appelĂ© Ă une mise en concurrence des monnaies en dehors du contrĂŽle de l'Etat n'en fait pas l'inventeur de Bitcoin. Qu'en 1999 Friedman, parlant de la façon dont Internet serait une force importante pour rĂ©duire le rĂŽle du gouvernement ait ajoutĂ© dans un apartĂ© de moins de 60 secondes que  la seule chose qui manque, mais qui sera bientĂŽt dĂ©veloppĂ©e, c'est une monnaie Ă©lectronique fiable, une mĂ©thode par laquelle, sur Internet, on peut transfĂ©rer des fonds de A Ă B sans qu'ils se connaissentÂ
n'en fait pas l'inventeur de Bitcoin.
Entendons-nous bien : leurs diagnostics prouvent effectivement que Bitcoin n'est pas nĂ© par hasard. Mais il n'est pas nĂ© dans une fac d'Ă©co, ni Ă Chicago. D'autres qu'eux, dans d'autres courants de pensĂ©e, ont aussi posĂ© des diagnostics prophĂ©tiques. A tout prendre, l'idĂ©e formulĂ©e par Henry Ford en 1921 d'une monnaie Ă©nergĂ©tique (la seule dont j'avais entendu parler avant ma rencontre avec Bitcoin, entre nous soit dit) me paraĂźt susciter un rapprochement tout aussi convainquant. Et comme nous l'avons Ă©crit Philippe Ratte et moi dans un ouvrage qui, poussant avec malice le mĂȘme bouchon encore plus loin, suggĂ©rait que Tintin avait dĂ©couvert Bitcoin avant Satoshi :  tous les angles d'attaque sont bons, et en Ă©clairant un mĂȘme objet obscur, c'est leur rapprochement qui le met en Ă©vidence. Ainsi lâinterfĂ©rence entre des ondes lĂ©gĂšrement dĂ©calĂ©es dâun laser frappant un mĂȘme objet permet-elle dâen tirer lâhologrammeÂ
.
La mass adoption ne viendra pas de la lecture de resucĂ©es d'Ă©conomistes morts par leurs adeptes pour qui Bitcoin a Ă©tĂ©, parfois, une divine mais tardive surprise. L'envol de son cours est, disons-le platement, bien plus convainquant. Les signes d'une Ă©trange normalisation ne manquent pas, que ce soit les anciens Ă©tudiants de Blockchain Partners qui redeviennent bitcoineurs mais sous pavillon KPMG ou bien la sociĂ©tĂ© Coinhouse, spin-off de la dĂ©funte Maison du Bitcoin, qui sâinstalle dans lâancien CrĂ©dit Lyonnais. La multiplication du nombre de mĂ©dias, podcasts et chaĂźnes Youtube, l'arrivĂ©e de Satoshi sur Arte avec le documentaire de RĂ©mi Forte Ćuvre de grande qualitĂ© non exempte d'ailleurs d'une certaine dose d'inquiĂ©tude... tout cela annonce la sortie du ghetto. Raison de plus de ne pas en inventer de nouveaux ni idĂ©ologiques, ni moraux.
Car il n'est pas interdit de craindre que le changement ne s'accompagne aussi, maintenant du cĂŽtĂ© des bitcoineurs, d'une forme de condescendance ou d'arrogance peut-ĂȘtre prĂ©maturĂ©e, surement dĂ©placĂ©e. Certains pronostics d'hyperbitcoinisation ne sont pas utiles. Certaines photographies (de vacances, de fĂȘtes, de festins) sont peu de nature Ă conforter l'idĂ©e que  Bitcoin n'a pas Ă©tĂ© inventĂ© pour vous rendre riches mais pour vous rendre libresÂ
.
On peut rire entre nous de tous les banquiers et économistes old-timers qui viennent avec une sincérité de crocodile nous dire que Bitcoin a trahi les promesses de sa jeunesse. Il n'est pas interdit de nous poser, entre nous, des questions morales.
Il y a en effet une attitude possible (short the world, en gros...) et une autre, souhaitable. Améliorer un peu le monde.