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Before yesterdayLa voie du ฿ITCOIN

125 - Psychopathes

April 19th 2022 at 12:47

Pour la première fois, nous dit-on un peu partout, une étude scientifique s’est penchée sur les comportements qui motivent les acheteurs de cryptomonnaies. Parmi les bitcoineurs, c'est surtout l'emploi du mot  psychopathe  qui a frappé. Bien des profils déjà ornés de laser eyes sur les réseaux sociaux se sont enrichis d'allusions psychotiques.

 Actuellement, les raisons pour lesquelles les gens achètent des crypto-monnaies ne sont pas bien connues . On pensait pourtant avoir tout lu : pour acheter de la drogue ? Pour financer le terrorisme ? Pour spéculer honteusement et avoir  un compte en Suisse dans la poche  comme l'avait dit M. Obama ? Le temps passant, et surtout l'intérêt pour Bitcoin et la cyber-économie croissant, il était grand besoin de trouver autre chose que ces préoccupations socialement marginales.

Il suffisait de prendre le problème par l'autre bout. De quoi ont peur aujourd'hui les élites gouvernementales, médiatiques et parfois universitaires ? Des complotistes et de leurs fakes, avec en arrière-plan le Mal, ou Poutine son serviteur. Inutile de s'attarder à repérer l'archaïsme d'un schéma explicatif reproduisant quelque peu le pécheur, son péché et Satan  père du mensonge . Mettons juste cela au goût du jour et à défaut d'un exorciste confirmé, envoyons à l'assaut quelques missionnaires frottés de psychologie et armés d'un bon crible pour trouver la pathologie des bitcoineurs. Après tout, on est toujours le fou de quelqu'un...

Donc ceux qui ont un attrait pour les cryptomonnaies ou un penchant pour Bitcoin, comme ceux qui succombent à cette tentation, qu'est ce qui ne marche pas bien dans leur vilaine tête ?

M'étant procuré le texte en anglais, évidemment sans le payer et par un procédé de psychopathe machiavélique, j'en ai produit une traduction que j'offre gratuitement à mes lecteurs affectés du syndrome FoMO.

Qu'en dire à première vue ?

Je reproche suffisamment aux économistes leurs incursions en gros sabots dans le champ de la science historique (mon livre à ce sujet sort dans quelques jours, patience !) pour ne pas aller m'essayer à la psychanalyse selon la formule consacrée.

Une critique sur la forme reste cependant autorisée par ma déontologie.

46 références savantes pour un article de 4 pages, cela me semble faire trop savant pour être honnête surtout quand tous les liens en bleu sur le pdf original n'ont qu'une seule et même fonction hypertexte qui est de renvoyer à la liste de ces références et non aux articles cités et que les compléments promis ne sont finalement pas mis en ligne. De même toute la partie 2 Méthode peut facilement être sautée par le lecteur : il ne s'agit que de ré-assurance. On ne vous ment pas, voyez un peu..

Sans me livrer sadiquement aux horreurs de l'attaque ad homines, un coup d'œil sur les positions universitaires et les publications des 5 auteurs achève le tableau : tous les 5 sont professeurs dans des écoles de commerce, de management, de publicité ou de marketing, sans référence particulière donnant à suspecter la moindre compétence quant aux ressorts de l'âme humaine, au-delà d'une bonne psychologie de supermarché. Le mot consommateur apparaît d'ailleurs clairement dans les premières lignes de la partie 4 intitulée Discussion.

À noter cependant qu'ils y prennent goût : trois d'entre eux annoncent, pour le mois d'août, un nouvel article sur les effets de la régulation. Maintenant qu'ils ont réuni un panel, ils ne vont plus lâcher l'affaire !

Sur le fond, qu'est-ce que j'ai, personnellement, trouvé dans cette étude ?

Des définitions superficielles

  • On est immédiatement frappé par un apparat volontairement impressionnant de références assénées de façon aussi autoritaire et de définitions schématiques.
  • Mais inversement le corpus delicti est présenté de manière extrêmement pauvre. La cryptomonnaie se voit distinguée (de tout autre investissement) par 2 spécificités seulement : sa volatilité qui l'assimilerait à un gambling et sa décentralisation, essentiellement perçue comme un écart à la norme d'une surveillance (oversight) gouvernementale. C'est quand même très court...

Des assertions non critiquées

  •  Les cryptomonnaies sont des investissements risqués  Sans doute. Mais pourquoi ? À quel point ? Sur quelle échelle de temps ? Pour quel type d'acheteur ?
  • Les  croyances conspirationnistes  se voient caractérisées de façon fort désinvoltes :  par exemple, la méfiance à l'égard du gouvernement. Autrefois, quelqu'un qui n'aimait pas, se méfiait voire combattait son gouvernement, cela s'appelait tout bonnement un opposant. Il y avait certes des pays où on les soignait en psychiatrie, mais ces pays ne jouissaient pas d'une grande considération auprès des démocrates, fussent-ils universitaires.

Un choix d'outils non critiqué

  •  Nous examinons l'effet des traits de la tétrade noire sur l'attitude et l'intention d'achat de cryptomonnaies d'une personne. Pourquoi ne pas étudier aussi voire à la place l'effet de la bienveillance (naturelle dans tout marché de pair à pair) ou de l'envie de voyager, ou encore de la passion de la technologie ?
  • La référence au Covid, cité pour le machiavélisme comme pour la psychopathie, tient de la facilité. Il me semble que les réticences diverses d'une partie de l'opinion sur une partie des discours produits par les divers gouvernements durant la crise épidémique récente forment un matériau un peu fragile pour construire des outils d'analyse recyclables sur Bitcoin.

Un choix délibéré et forcé de mots polémiques

  • Si le bitcoineur se voit épargné en apparence l'incrimination d'être  socialement nuisible tous ceux qui connaissent la littérature sur la  tétrade noire  auront compris.
  • La définition donnée du machiavélisme (outre qu'elle n'a évidemment qu'un peu d'eau de cuisson en commun avec la pensée du Florentin) colle si mal à l'investissement en crypto que le début du point 1.1 de l'article en devient risible.
  • Le sadisme, invoqué quant au troll (qui ne distingue guère le bitcoineur moyen du twitto moyen) n'est pas retenu à charge contre le simple crypto-investisseur. Il aura pu faire ses pâques la conscience en paix.
  • Le narcissisme invoqué (pour tout investissement risqué, d'ailleurs) est tellement la marque d'une époque - le livre tragique de Christopher Lash ne date pas d'hier - qu'il pourrait aujourd'hui être réquisitionné dans l'analyse d'à peu près n'importe quel passant dans la rue. On ne contestera donc, en ce qui concerne l'intérêt pour les cryptos, ni le FoMO ni une belle couche de narcissisme. Mais so what?

So What ?

La lecture de la fort courte partie 5 Limites et recherche future et de la brève conclusion suggère que les auteurs ne se sont même pas convaincus eux-mêmes autant qu'ils ont voulu le laisser croire dans les articles ultérieurement destinés au grand public (comme celui paru dans The Conversation).

Ainsi, avouent-ils en conclusion ce par quoi ils auraient dû commencer :  les chercheurs devraient réaliser comment la méfiance envers les politiciens peut activement conduire l'intention d'achat pour les investissements non soutenus par le gouvernement pour les investisseurs machiavéliques . Quelques bonnes conversations au café du coin auraient sans doute déniaisé les esprits.

 Nous ne suggérons pas que tous les acheteurs de cryptomonnaies présentent les caractéristiques de la tétrade noire. Nous étudions plutôt un sous-ensemble de personnes intéressées par les cryptomonnaies qui présentent ces caractéristiques. Nos résultats montrent que les narcissiques aiment les cryptomonnaies qui sont fondées sur la positivité.

Au total, malgré l'apparat de notes, les détails de la méthode employée et tout le verbiage savant, cet article n'apprend rien ni sur les pervers ni sur les cryptomonnaies ; bien moins en tout cas que sur les auteurs.

Ceux-ci auraient pu, unissant leurs diverses expériences nationales, se demander si ce n'est pas le narcissisme qui conduit un Australien à vouloir la république, le machiavelisme qui conduit un Britannique au Brexit ou encore la psychopathie qui conduit un Danois à rester dans l'Union Européenne après avoir voté  non  jadis.

En France comme ailleurs, narcissiques, sadiques et pervers de tout poil votent aussi ! J'aurais bien envie d'emmerder affectueusement les chercheurs en leur demandant ce qu'ils en pensent.

124 - Le lardon des offenses

March 19th 2022 at 16:07

(Pour Thaïs)

Les campagnes d'affichage publicitaire successives de Coinhouse et de Paymium auront sans doute moins suscité de commentaires parmi les fans de Bitcoin et autres actifs cryptographiques  comme disent pompeusement les législateurs et régulateurs, que celle, totalement imprévue, des lardons végétaux.

Parmi les commentaires les plus fins que j'ai glanés de-ci de-là, il y a le rieur :  l'agence de pub a sûrement eu cette idée en sortant de boîte à 4h du mat'  ou le critique  leur produit est vraiment naze ; des végétariens qui veulent des lardons, c'est quoi ce délire ? Mais bon comme on dit, tant que y'a des cons pour acheter  mais aussi le fataliste  la FNSEA est déjà en train de cuisiner le projet de loi sur le mot lardon  ou le politique  trop bizarre la nouvelle campagne de Fabien Roussel .

Pour être franc, je ne me suis mis à y réfléchir moi-même sérieusement qu'en découvrant, cabas en main, une autre affiche, devant mon marché.

Et là, εὕρηκα... j'ai tout compris.

Ce sont moins Archimède et son levier, en réalité, que Copernic et son renversement de perspective qui sont venus à mon secours. Il ne s'agit pas du lardon, dont le budget pub nous aura seulement offert une redoutable campagne subliminale. Il s'agit bien de Bitcoin. Souvent viandards (même si j'ai toujours un ou deux vegans aux Repas du Coin) mes amis bitcoineurs n'ont pas bien perçu la chose. Ils ont été victimes du lardon, dans le 3ème sens (raillerie, sarcasme) que le dictionnaire attribue au mot et dont Sainte-Beuve ou Mérimée usaient encore il y a 150 ans.

Le sarcasme cible ici très clairement, et pas seulement sur l'uniqueaffiche qui en cite le nom, la situation de Bitcoin en France, ce pays qui passe à côté de son futur.

Renseignons-nous d'abord sur le client.

 Avec son univers décalé, La Vie™ souhaite accompagner en douceur les consommateurs vers les substituts végétaux, plus respectueux de l’environnement et plus sains . Pas de quoi les accuser de vouloir faire interdire la PoW au nom de l'environnement, comme certains écolos mal informés. Le plus probable est qu'ils s'en tamponnent paisiblement. Je n'ai que 13 relations en commun sur LinkedIn avec l'un des deux créateurs de la boite et une seule avec le second. Notons quand même qu'ils sont décalés et que l'inclinaison des lardons sur les affiches est sensiblement comparable celle du logo de Bitcoin.

Quid de l'agence maintenant ?

L'Agence Buzzman, déjà Best International Small Agency of The Year 2011 puis Agence de l’année au Cristal Festival en 2013 et 2016 et pareillement aux Effie France de 2016 et 2021, régulièrement distinguée jusqu'à être reconnue Agence Française la plus Créative en 2019 et Agence de Publicité de la Décennie en 2020 n'est pas un repère de dingues fonctionnant au gag vaseux ou éculé. Surprise ? J'ai 31 relations en commun avec son président...

Que nous dit, en réalité, leur campagne ?

Ce lardon végétal ambitionne littéralement de changer le monde et de réajuster les relations sociales. Il est donc juste et bon de le comparer à Bitcoin.

Les critiques des viandards sont d'ailleurs (même si je ne crois pas qu'ils s'en soient rendu compte) exactement parallèles à celles des financiers enragés parce qu'il manquerait quelque chose à Bitcoin pour en faire une vraie monnaie.

Le lardon végétal introduit une critique radicale du lardon, non en en promouvant un qui serait  sans nitrite  ou orné de ces labels complaisants que l'on retrouve dans la finance comme dans l'alimentation (responsable, solidaire, circuit court et vous m'en direz tant) mais en faisant un lardon sans porc, comme Bitcoin est une monnaie sans la garantie de État, ou une eau sans électrolytes.

À l'unique différence, qu'il ne faut pas perdre de vue en temps de guerre, que l'on tue le cochon mais que ce sont les États qui tuent.

Et si ce lardon peut être vendu en France avec ce type d'affiche, c'est parce le pays de Pasteur a, seul parmi les membres permanents du Conseil de Sécurité, échoué à développer un vaccin contre le Covid. La critique, peut-être née à l'extrême-droite, n'en est pas moins pertinente et a suscité un débat mal étouffé). C'est parce que le pays de Louis Renault et des Peugeot a perdu bien du terrain dans l'automobile, ce qu'illustre le destin de l'île Seguin passée comme le dit sans fard ni honte son promoteur de l'île industrielle à l'île créative, numérique et durable. Et c'est parce que notre seul futur possible consiste aujourd'hui à tenter de conserver notre faible avantage dans l'art de bien vivre et de bien manger, devenu de façon pathétique un argument pour politiciens à court d'idées.

L'apostrophe  vous êtes déjà passé à côté du Bitcoin semble ne s'adresser, grammaticalement, qu'au seul passant, c'est à dire à un individu lambda, salarié exténué, épargnant floué. C'est la vielle antienne journalistique :  celui qui a mis ses économies en Bitcoin en 2009 est aujourd'hui multimilliardaire  transformée en argument de vente.

Mais selon moi elle s'adresse réellement, et je ne sais pas si ça les fait sourire, au fonctionnaire borné, au régulateur maniaque, à l'économiste verbeux, au banquier rentier. Peut-être, quand même, à se moquer ainsi publiquement d'eux, leur fait-elle un peu honte et doit-elle faire honte au pays qu'ils dirigent.

Derrière le lard sans cochon que cette affiche vend, il faut voir le cochon sans lard, sans liard et sans armes que notre pays est devenu.

123 - Ponzi et Pince-moi sont sur un yacht...

February 13th 2022 at 19:27

Comme bien des gens, j'ai découvert récemment l'histoire de l'Arnaqueur de Tinder (Tinder Swindler) que l'on pourrait malicieusement résumer en disant qu'il s'agit d'une affaires  d'échanges sur Internet .

Je ne vais analyser ici, de cette affaire qui à de très nombreux égards est emblématique de notre époque, que ce qui me parait intéresser directement ceux qui veulent réfléchir autour de Bitcoin.

Parce qu'au cœur d'une arnaque, au-delà de l'indélicatesse sentimentale, du mépris de l'être humain, de l'appât d'un gain indû et de la soif de jouissances tape-à-l'oeil, il y a essentiellement l'identité (le renard sous la peau de l'agneau) et... les gros sous. Deux sujets adressés par  la technologie blockchain  comme on dit.

D'abord il y a la double (au moins) identité du héros.

On ne peut qu'être frappé par l'aisance avec laquelle cet homme, né Shimon Yehuda Hayut, documente une identité qui n'est pas seulement fausse mais usurpée, celle du fils supposé du couple Lev and Olga Leviev, dont aucun des neuf enfants ne portent le prénom de Simon. Exactement comme sur sa photo de famille, il s'incruste par copier-coller sur la réalité.

Le coût de cette opération est, comme celui de pratiquement toutes les fraudes numériques, infime ou nul. Mon lecteur et moi pouvons, en quelques minutes et sans quitter notre clavier, poster une photo de nous incrustés comme le personnage du Zelig de Woody Allen au milieu de la famille X ou Y, siégeant au Conseil de la Banque Truc ou de l'Autorité de Régulation Machin. En faire usage ensuite sur les réseaux sociaux ne doit guère être puni bien sévèrement.

Plus l'identification d'un être humain repose sur des réalités numériques (ou numérisées) plus grandit l'espace par où s'infiltrer. Ainsi il n'est pas non plus bien difficile de se procurer une facture EDF, cette dérisoire clé de voûte du KYC bancaire : on trouve tout ce qui est nécessaire en ligne pour cela (exemple ancien, par prudence) et le fait que le technicien ne se dérange plus (merci Linky) doit arranger encore la tâche.

Or dans l'affaire de l'Arnaqueur de Tinder, mis à part l'acte sexuel, toutes les interactions des malheureuses se sont déroulées avec un avatar.

Dans un bal masqué cela ne manquerait pas de pimenter la chose, à la manière d'un gracieux marivaudage. Il faut juste laisser sa carte de paiement bien loin des pattes de son cavalier.

J'en reste là, incitant mes lecteurs à faire l'acquisition du pertinent ouvrage de mon ami Alexis Roussel et de Grégoire Barbey, Notre si précieuse intégrité numérique, préface de Jacques Favier, sans pseudonyme.

L'arnaque mérite-t-elle d'être décrite comme un Ponzi ?

C'est ce que fait la presse grand public (ici Marie-Claire) :  l'enquête du journal VG - ainsi que le documentaire - révèlent une arnaque basée sur un modèle de pyramide de Ponzi : Cecilie payait pour Pernilla, Pernilla payait pour la suivante, ect…  .

Or il saute aux yeux qu'il n'en est rien : Cecilie a, si l'on veut, payé le repas de Pernilla, mais elle ne l'a pas remboursée. On pourrait dire qu'elle a payé le Dom Perignon d'un soir, Pernilla la suite royale d'une nuit et Ayleen la Lambo. Aucune d'entre elle n'a jamais été remboursée avec de gros intérêts comme les clients chanceux d'un Ponzi qui se sauvent avant l'effondrement de la pyramide.

Dans un monde d'inculture financière, cet emploi inexact du nom de Charles Ponzi a cependant de quoi consoler celui qui lit du soir au matin des boutades de banquiers ou des approximations de journalistes faisant de Bitcoin un Ponzi.

Le Cercle du Coin avait organisé une rencontre avec Marc Artzrouni, mathématicien spécialiste reconnu du Ponzi (et à titre personnel peu favorable à Bitcoin) : il avait fait justice de cette assimilation inculte. Ceux qui ont un peu de temps et de curiosité peuvent revoir sa conférence ici.

Oublions Ponzi, non sans rappeler (par méchanceté) que la plupart des banquiers qui nous en parlent ont vendu du fonds Madoff, authentique pyramide, pour le coup.

Parlons donc de l'essentiel : des banques.

Les trois malheureuses héroïnes seraient toujours en train de rembourser, chaque mois, et certainement au taux d'usure, une somme totale de 600.000 dollars en principal.

Comme on le voit dans le documentaire, chacune a pu, en quelques heures et sur la base de bulletins de salaires contrefaits obtenir des prêts à 5 chiffres. Non pas une fois, mais trois, quatre voire cinq fois.

Aucune enquête ? Aucune centralisation par la Banque centrale, ou aucune consultation du fichier des emprunteurs s'il existe ? Aucune inquiétude d'Amex et autres quand l'encours de la carte de paiement est rechargé 3 fois en 3 semaines par 3 crédits personnels ?

Curieusement les documents que l'on aperçoit à la dérobée dans le documentaire semblent presque absents d'Internet où ne demeurent que les photos du BG à tête de pervers et de ses noubas de petit mec sorti des bas-fonds.

Ah la belle chose que l'audace des banques, si promptes soudain, alors qu'on les connaît si prudentes en général !

Je ne sais si l'on finira par incriminer le je-m'en-foutisme des banques, si soupçonneuses quand un client dépose 500 euros en cash ou 5.000 en liquide, mais si peu responsables en réalité dès qu'elles sont protégées par la violence des contrats et des lois.

Il y aurait encore une chose à leur reprocher : l'arnaqueur, parmi les mensonges qui ont pu le rendre crédible même aux moments de crise, invoquait systématiquement la lenteur des transferts bancaires. Car la terre entière sait que l'argent promis arrive toujours le lendemain (au mieux) du jour prévu, que le SEPA n'est ni gratuit ni instantané, pour dix mille raisons et notamment  pour votre sécurité. Un paiement en Bitcoin ne se fait pas attendre, et cette différence est considérable.

Pourtant, si l'une des banques de Cecilie aurait passé l'éponge, apparemment aux frais de son assureur, toutes les autres institutions bancaires impliquées semblent poursuivre en justice et par tous les moyens le recouvrement de leurs créances, avec une ardeur qui serait sans objet si elles avaient prêté cela après de longues analyses de risque à des sociétés capables de se placer sous la protection des lois sur les faillites.

Que conclure de tout cela ?

Mais... ce qu'il vous plaira.

122 - Sur la séparation de la monnaie et de l'État

January 23rd 2022 at 17:40

 Je ne crois pas que nous n'aurons jamais plus une bonne monnaie avant que nous ne soyons en mesure de retirer la chose des mains du gouvernement ; cependant comme nous ne pouvons pas retirer violemment la chose des mains du gouvernement, tout ce que nous pouvons faire, c'est d'introduire par un moyen détourné, sournois, quelque chose qu'ils ne pourront pas arrêter .

C'est cette citation de Friedrich Hayek qu'Allen Farrington a mis en exergue de son article publié en novembre dernier dans la quatrième livraison du Bitcoin Times et intitulé  The Separation of Money and State, Changing the course of history .

Alain Farrington, dont je ne partage pas forcément toutes les idées, est un penseur intéressant et qui (comme j'essaye de le faire moi-même) fait son miel de toutes fleurs. Il s'était déjà fait remarquer par un article Bitcoin is Venice en février 2021.

Il m'a semblé utile de donner ici une traduction qui atténuera peut-être, pour le public francophone, l'effet pudiquement évoqué comme TLTR !

Voici donc la traduction de cet article assez abstrait et conceptuel, pour laquelle j'espère une bienveillance spéciale de mes lecteurs :

L'économie politique de la monnaie fiduciaire est une économie toxique.

Étant donné que la monnaie fiduciaire n'existe qu'en tant que passif des banques agréées par l'État et bénéficiant d'un accès politiquement préférentiel au crédit artificiel, la taille est, dans le secteur bancaire, récompensée par défaut tandis que la taille dans le business commercial est récompensée par la proximité avec les plus grosses institutions du secteur bancaire. Les pertes de l'un comme de l'autre secteur sont socialisées sous prétexte d'éviter une catastrophe financière ; mais en réalité la véritable catastrophe provient de ce qu'il y a toujours un gros pouce qui appuie sur la balance en défaveur des petits et des personnes politiquement mal connectées. Les marchés de capitaux ont échoué lamentablement dans leur objectif initial de créer un marché pour le capital. Ils sont devenus, au contraire, des outils politiques dont la politique est tout sauf locale.

Les retombées de l'opération Choke Point (bien nommée étant donné le principe de base de la  capture de l'action publique ) le montrent clairement, mais le raisonnement s'applique également à l'analyse de l'architecture de l'internet. Compte tenu de l'absence de monnaie numérique native avant l'avènement de Bitcoin, la monétisation en ligne s'est principalement articulée autour de la publicité, ce qui implique évidemment la surveillance. Chaque action que l'on fait en consommant du contenu en ligne est sans cesse espionnée parce qu'elle est précieuse pour certains, parce que sa capture et son traitement à grande échelle font apparaître d'énormes rendements : alors que de telles données ponctuelles ne vous diraient rien, des trillions d'entre elles peuvent être exploitées pour trouver des modèles qu'aucun humain ne pourrait identifier. Vous ne pouvez pas gérer une entreprise en ligne sans payer le tribut à ceux qui ont maîtrisé ce jeu et qui, surprise, surprise, ont également été capturés politiquement. Leur taille fait d'eux des cibles pour ce jeu de capture politique, et c'est la capture politique qui les maintient en grande forme et les rend plus grands.

On comprend de mieux en mieux comment Bitcoin corrige cette situation et, de manière générale, encourage la réflexion économique sur des bases plus locales tout en mettant en garde de manière heuristique contre ce qui se révèle trop interdépendant et trop fragile. Les marchés de l'énergie en sont peut-être l'exemple le plus évident : 'Toxiquement gros est peut-être une critique étrange du réseau, étant donné qu'il s'agit plutôt d'un miracle économique créant un prix de compensation pour l'électricité - qui, contrairement à l'inflation, est un phénomène économique nécessairement transitoire. Pourtant, Bitcoin permet de se détacher de cette infrastructure vaste, coûteuse et fragile sur le plan systémique, en permettant la création d'un prix de compensation acheté et vendu uniquement sur Internet.

Sur un horizon temporel suffisamment long, on peut raisonnablement espérer que Bitcoin fera disparaître le pouce qui pèse sur la balance économique. Les petits et les locaux ne seront plus politiquement désavantagés en termes économiques, et les grands devront se battre à armes égales.

Mais qu'en est-il de la politique elle-même ? Pouvons-nous craindre qu'un retour au localisme dans la formation du capital et le comportement des consommateurs ne soit pas d'une grande utilité face à un État autoritaire, à une classe d'institutions non économiques et à leurs composants parasites qui ont un goût persistant pour le supranational ?

Je ne le pense pas. C'est très bien de défendre le localisme comme étant manifestement bon, le supranationalisme comme étant manifestement mauvais, Bitcoin comme étant manifestement bon et contraire au supranationalisme, et donc Bitcoin comme étant un complément naturel au localisme. Mais corrélation n'est pas causalité. Mon argument est plus fort que cela : Bitcoin provoquera le localisme, tant politiquement qu'économiquement. Il n'y aura pas d'autre choix. L'hypertrophie toxique des gouvernements deviendra tout aussi insoutenable que celle des entreprises.

Cela ne veut pas dire que Bitcoin nous mènera à une utopie pacifiste dans laquelle toute tentative de violence subira une intervention métaphysique de l'esprit de Satoshi. Le fait que l'argent puisse conférer du pouvoir est assez clair puisqu'il y aura toujours un prix de compensation pour les actes de violence. Mais ce qui distinguera l'étalon Bitcoin, c'est que le pouvoir n'y donnera pas l'argent.

Il y a deux raisons de le croire.

La première est que le bitcoin ne peut tout simplement pas être saisi par sans faire usage d'une force au moins aussi sévère que la torture, et même dans ce cas, il est possible - et cela se généralisera sûrement pour toute valeur digne d'être protégée - de rendre la torture obsolète. Si vous voulez le bitcoin, vous devrez fournir quelque chose de plus précieux à son détenteur.

La seconde est plus subtile, et je crois qu'elle n'est pas largement comprise, sauf peut-être par le sous-ensemble des bitcoiners qui s'intéressent de près à l'histoire politique. L'une des caractéristiques de Bitcoin est qu'il s'agit de la première monnaie véritablement apatride. Contrairement à certains points de vue naïfs de bitcoiners et même de gold-bugs, l'or a constitué la base de la monnaie au cours de l'histoire, mais n'a jamais agi pleinement et entièrement en tant que monnaie. Cette observation historique fournit une réflexion amusante sur ce que j'ai précédemment décrit comme la théorie sémantique de l'argent selon laquelle l'argent peut être défini, et se trouve entièrement défini par une liste de critères académiques et pas du tout par référence à la réalité. Quelque chose est de la monnaie si et seulement si elle remplit les trois fonctions de la monnaie ; c'est-à-dire, réserve de valeur, moyen d'échange et unité de compte. Pour les économistes épris de cette vacuité taxonomique, la façon dont une chose est utilisée dans le monde réel n'a pas la moindre importance. La monnaie est une catégorie sémantique, pas une catégorie explicative.

Il est donc curieux que, dans la Venise ou la Florence médiévales et renaissantes, ces prétendus "trois rôles de l'argent" aient été remplis par des objets ou des concepts différents : l'or physique était la réserve de valeur (parfois l'argent ou le billon), le transfert bancaire par le biais d'une altération attestée du registre (appelé de manière révélatrice "argent fantôme" à Florence) était de loin le moyen d'échange le plus courant, et les dénominations de la monnaie prescrites par la polarité (c'est-à-dire le gouvernement) par le biais de l'hôtel des monnaies étaient les unités de compte.

Le lecteur pourrait objecter qu'il s'agit ici d'une sémantique hors de propos qui nous permet d'échapper à la primauté et à l'importance de l'or et de l'étalon-or. C'est tout le contraire. L'or physique a un coût - et en fait, un coût très élevé. Presque toute la civilisation humaine à travers le monde et l'histoire est arrivée indépendamment à l'utilité de l'or physique comme réserve de valeur parce que, parmi les options, c'est celle qui a le coût le plus élevé et la plus grande rareté, d'où la plus faible réponse du marché de l'augmentation de l'offre à sa prime comme réserve de valeur, d'où l'inflation la plus faible et, enfin, la plus grande utilité monétaire.

L'or physique se rapproche de ce que Nick Szabo appelait unforgeable costliness la dépense infalsifiable. Anticipant brillamment les réactions actuelles contre le "gaspillage" de l'exploitation minière du bitcoin, Szabo cela explique dans Shelling Out :  au premier abord, la production d'une marchandise simplement parce qu'elle est coûteuse semble tout à fait un gaspillage. Cependant, la marchandise dont le coût d'acquisition ne peut être falsifier ajoute constamment de la valeur en permettant des transferts de richesse bénéfiques. Une plus grande partie du coût est récupérée chaque fois qu'une transaction est rendue possible ou moins coûteuse. Le coût, initialement un gaspillage total, est amorti sur de nombreuses transactions. La valeur monétaire des métaux précieux est basée sur ce principe .

Même si le monopole gouvernemental typique sur la violence a, au fil des ans, inclus un monopole sur le droit de frapper des pièces (ou, tout au plus, un droit privé accordé par le gouvernement, susceptible d'être révoqué à tout moment), il ne s'est jamais étendu à un droit d'échapper à la réalité économique. Les pièces dépréciées seraient évaluées à l'étranger en fonction de leur dépréciation, c'est-à-dire non pas en fonction de la fausse unité de compte imposée par le gouvernement, mais en fonction de la véritable réserve de valeur que constituent les métaux précieux coûteux qu'elles contiennent. Les marchés des changes ont permis aux monnaies d'État d'être (relativement) honnêtes, étant donné que la rétroaction économique du seigneuriage ne permettait que les plus petites fenêtres d'avantages temporaires avant des dommages à plus long terme et plus extrêmes3.

Même lorsqu'ils étaient soutenus par une puissance militaire telle que celle des empires romain, espagnol ou britannique, par exemple, que l'on pourrait penser capable de neutraliser les réactions économiques émanant essentiellement de réseaux commerciaux décentralisés qui pouvaient simplement être cooptés, le coût essentiel de l'or élémentaire se faisait toujours sentir. La violence organisée à une telle échelle a un coût. Plus l'échelle est grande, plus le coût est élevé, et en fait, plus l'incitation à maintenir efficacement un étalon-or est grande, plutôt que de tenter de le subvertir. Bien qu'il ne s'agisse pas d'un facteur de causalité unique, ce n'est certainement pas une coïncidence si les trois grands empires que nous venons de citer se sont tous effondrés plus ou moins en fonction du taux de dépréciation de leurs monnaies dans la poursuite de fins militaristes économiquement destructives.

Mais l'ère de la monnaie fiduciaire a créé une anomalie historique spectaculaire. Pour la première fois dans l'histoire, le coût de création d'une nouvelle monnaie était littéralement nul. Cela a eu des effets profonds sur l'économie politique. Alors que l'argent peut toujours acheter le pouvoir, le pouvoir pouvait désormais acheter de l'argent, et ce sans calcul économique. Il n'y a pas de coût trop élevé pour s'emparer du pouvoir, et il n'y a pratiquement aucune raison de ne pas tenter sa chance, car tous les coûts peuvent être remboursés plus tard, et même plus. Nous pensons qu'il s'agit là de la cause fondamentale du culte de la grandeur toxique, désormais endémique dans le monde développé,

Plutôt qu'un processus naturellement homéostatique d'augmentation de la taille tendant à conduire à l'inefficacité, à l'ère de la monnaie fiduciaire, plus vous êtes grand - que ce soit en tant qu'entreprise ou en tant que gouvernement - plus vous devenez puissant, et donc, de manière totalement perverse, plus vous devenez efficace. Bien sûr, moins les autres deviennent efficaces, car ils sont volés de manière transparente. Plus le capital communautaire est consommé, plus le consommateur de capital peut diriger son énergie vers la prise de pouvoir et se rembourser lui-même, mais probablement personne d'autre.

Bitcoin résout ce problème. Et d'une manière remarquablement simple, il défait tout ce qui vient d'être décrit. Il redonne un coût à l'argent - plus élevé même que celui de l'or - et rend l'abondance toxique insoutenable. Par conséquent, le bitcoin n'est pas tant explicitement un outil pro-localiste. En fait, la réalité est encore plus profonde : le localisme lui-même est naturel, sain, durable et juste. Le bitcoin détruit la force compensatrice historiquement anormale et, ce faisant, permet au localisme de se développer sans avoir de parti pris particulier au-delà des préoccupations beaucoup plus abstraites de durabilité, d'efficacité, de responsabilité, d'humilité et de vérité, qui sont toutes des compagnons naturels du localisme.

Et si le localisme découle de l'humilité, alors le supranationalisme est sûrement lié au narcissisme. Une façon de concevoir la tragédie de la modernité et son impact sur l'exploitation minière du capital économique, social et culturel est peut-être de se rendre compte que le narcissisme est artificiellement subventionné. Par le biais de subventions, il est normalisé, et par normalité, il devient une partie de la culture elle-même, encourage sa propre défense et sa reproduction. À partir d'un début artificiel, il prend racine et se maintient tout en entraînant la culture dans sa chute. Dans La culture du narcissisme, Christorpher Lasch indiquait une voie pour sortir de ce labyrinthe cauchemardesque :

Dans une culture moribonde, le narcissisme semble incarner - sous l'apparence de la "croissance" et de la "conscience" personnelles - la plus haute réalisation de l'illumination spirituelle. Les gardiens de la culture espèrent, au fond, simplement survivre à son effondrement. La volonté de construire une société meilleure, cependant, survit, ainsi que les traditions de localisme, d'auto-assistance et d'action communautaire lesquelles n'ont besoin que de la vision d'une nouvelle société, d'une société décente, pour leur redonner de la vigueur. La discipline morale autrefois associée à l'éthique du travail conserve une valeur indépendante du rôle qu'elle a joué dans la défense des droits de propriété. Cette discipline - indispensable à la tâche de construire un nouvel ordre - perdure surtout chez ceux qui n'ont connu l'ancien ordre que comme une promesse non tenue, mais qui ont pris cette promesse plus au sérieux que ceux qui l'ont simplement considérée comme acquise .

Insuffisant mais nécessaire, Bitcoin fournit une telle vision. Construisons-la.

121 - « La fantaisie obstinée de trois ou quatre faquins »

January 22nd 2022 at 12:51

J'ai évoqué dans mon billet précédent consacré à l'exode des trésors et des compétences cryptos le rapport Théry de 1994. C'est une croix que porte, au-delà du décès en juillet 2021 de son brillant auteur, tout haut-fonctionnaire qui prophétise le futur en ne comprenant déjà plus le présent. Classiquement, les mêmes erreurs sont renouvelées depuis des années maintenant au sujet de Bitcoin.

Mais c'est avec une certaine joie que, m'intéressant (dans mon autre vie) à la constitution des collections égyptiennes des musées européens, j'ai retrouvé une  perle  ancienne et... qui est soudain entré en résonance. Ce qui suit n'est donc pas un  ancêtre du rapport Théry  mais une preuve que la légèreté et l'arrogance dans le jugement sont un risque inhérent au gouvernement des  experts .

Une erreur de jugement, non moins péremptoire que celles de Gérard Théry, et qui explique comment l'une des plus belles collections égyptiennes constituée au 19ème siècle a échappé au pays de Champollion.

Bernardino Drovetti (1776-1852) était un piémontais étonnant, soldat de la République française, nommé consul de France à Alexandrie par Bonaparte, mis sur la touche quand le régime tomba et demeuré sur place comme marchand de tout, aventurier, découvreur d'antiquités et trafiquant de celles-ci, en un temps où elles étaient à celui qui se baissait pour les ramasser.

En 1818, Drovetti rencontre à Alexandrie le comte de Forbin, directeur général des Musées royaux. Celui-ci est émerveillé par la collection du consul. Dans son Voyage dans le Levant publié l'année suivante il écrit que, dès cette époque, le voeu de Drovetti (qui pour cela refusait des offres importantes) était bien que sa collection aille embellir le Musée du Louvre.

Le comte de Jomart, ancien de l'expédition de Bonaparte et secrétaire de la commission chargée de la publication de la monumentale Description de l'Égypte est lui aussi tout à fait conscient de l'intérêt de la collection accumulée par Drovetti et l'écrit au Ministre de l'Intérieur en août 1818.

Au fond, toutes les personnes instruites de la chose en comprennent l'intérêt.

Le Louvre, ancien « Musée Napoléon », vient seulement en 1818 d’ouvrir sa première salle égyptienne, intitulée « Salle de l’Isis ou des Monuments égyptiens ».

Vingt-trois objets s’y déploient en tout et pour tout, autour d’une statue romaine d’époque impériale donnant son nom à la salle, et cette « Isis » est en réalité une statue de divinité anthropomorphe à tête de lionne, représentant la déesse Sekhmet. Les objets qui l’environnent sont principalement des objets égyptianisants de l’Antiquité romaine, mêlés de quelques originaux égyptiens, collectés à Rome.

Le musée français apparait donc alors très en retrait sur le plan de la présentation de productions issues de l’Égypte ancienne, en comparaison des salles égyptiennes mises en place outre-Manche. L'acquisition de la collection proposée par Drovetti devrait être une priorité !

Quand entrent en scène les incompétents

Le roi Louis XVIII n’aime pas l’art de l’ancienne Égypte, et une partie de son entourage réactionnaire et bigot fulmine en songeant que ces orientalistes, avec leurs recherches inutiles, veulent mettre en doute la chronologie biblique. Un peu d’Isis romaine, passe encore, mais fouiller pour retrouver des objets prétendument vieux de cinq millénaires, quand des calculs précis aboutissent à assigner au premier jour de la Création la date du 23 octobre 4004 av. J.-C. (à midi) et au 5 mai 1491 av. J.-C l'échouage de l'arche sur le mont Ararat ... il n’en saurait être question : c'est trop contraire à  nos valeurs  comme on ne dit pas encore ! L'affaire traine donc.

En 1822 le roi estime qu'il s'est fait dépouiller pour acquérir le zodiaque de Denderah, et qu'il en fait bien assez. Let's be serious comme on ne disait pas encore non plus.

L'affaire va donc être enterrée illico et avec une superbe tout à fait étonnante par un ministre qui n’est autre que le général de Lauriston. Ce grand et courageux soldat de Napoléon, outre sa carrière militaire, a une réelle expérience diplomatique. Mais ni comme soldat ni comme diplomate, il n'a jamais mis les pieds en Égypte. Et évidemment il n'est point historien de l'art, ni collectionneur. Rallié comme presque tous les autres au nouveau pouvoir, il est devenu  Ministre de la Maison du Roi . On se demande un peu ce qu'il vient faire là. Disons que comme tout bon membre d'un cabinet ou d'une cour, il parle au nom de son patron. Notons quand même qu'il n'a pas lâché un demi million à McKinsey pour se faire une opinion, ce qui lui aurait évité de porter le bicorne. Ce militaire (qui a tout du boomer diraient mes jeunes amis) va donc laisser à la postérité ses propres idées courtes sur l'art antique. Fâcheux, mais savoureux :

L’art chez les Égyptiens n’a jamais approché le degré de perfection où il s’est élevé chez les Grecs et dans nos temps modernes ; les statues égyptiennes, dénuées de toute expression, avec leurs formes sèches, étroites et ramassées, leurs poses immobiles et uniformes, ne sont point propres à fournir à nos artistes des modèles d’études et des sujets d’inspiration .

lauriston et son roi.jpg, janv. 2022

Bref, ni le ministre ni le roi n'y connaissent grand chose, mais à eux-deux ils ont décidé que Drovetti n'a qu'à aller vendre sa collection ailleurs. Ce qu'il fait en 1824 et pour une bouchée de pain, auprès du roi de Piémont-Sardaigne.

Le commentaire de Champollion (qui se rend à Turin et tombe en pâmoison) mérite aussi d'être cité et pourrait parfois nous servir aujourd'hui :

Les monuments égyptiens abonderont partout, excepté en France, et ceci par la fantaisie obstinée de trois ou quatre faquins dont la nouvelle étude dérange les idées et les intérêts, ce qui est tout un pour eux… Vous verrez qu’il y aura bientôt un musée égyptien dans la capitale de la république de St-Marin tandis que nous n’aurons à Paris que des morceaux isolés et dispersés .

La chose comique, si l'on y songe, c'est que le grand soldat qui joua ici le rôle du faquin s'appelait Law de Lauriston et qu'il était... le neveu du célèbre financier. Comme quoi, savoir reconnaître la vraie valeur des choses n'était point le fort de cette famille...

Au moins peut-on se consoler en songeant qu'en 1827, sous l'influence de Champollion désormais protégé par le roi Charles X, le Louvre acquérait la seconde collection proposée par Drovetti.

Comme quoi, parfois, l'État parvient à apprendre de ses erreurs...

120 - Pourquoi ils s'en vont

January 20th 2022 at 14:08

(Cette tribune d'abord publiée dans la Lettre 21millions du mercredi 19 janvier 2022 est présentée ici avec une illustration digne de la revue Banque et quelques ajouts en notes)

Quatre ans après les consultations parlementaires qui devaient ouvrir la voie à un état de droit des cryptomonnaies en France, l’état de fait est navrant : exode continu des détenteurs et des entrepreneurs, fermeture de projets, agitation médiatique d’un haut-fonctionnaire qui s’est créé un fonds de commerce en dénonçant les crimes de Bitcoin, ce qui semble plus aisé que de vendre ses idées sur la transformation de l’euro en monnaie écologique.

(L’autorité de l’État et la morale bourgeoise poursuivant Bitcoin)

Tout cela n’empêche pas, classiquement et toute honte bue, l’accueil sur tapis rouge d’acteurs étrangers pas même en règle avec nos sacrosaintes règles.

Je suis loin d’avoir été le seul à annoncer ce désastre. Il y a un an, le mathématicien Cyril Grunspan annonçait un désastre français. Dès juin 2018, le Cercle du Coin publiait une tribune de ses deux administrateurs belge et suisse, annonçant à regret l’inéluctable fiasco fiscal français.

Dans un texte fondamental Philippe Silberzahn avait distingué les trois erreurs fondamentales du fatal rapport Théry : l’extrapolation, l’analyse toutes choses égales par ailleurs et le biais identitaire. Quoique ne citant aucunement Bitcoin, son texte de 2013 offre le trousseau de clés le plus pertinent sur le sujet. En mars 2018, analysant la tribune anti-bitcoin d’un brillant haut-fonctionnaire X-ENA, je retrouvais tout cela à l’état pur et me voyais conduit à intituler mon texte Comment n’avoir aucune stratégie.

Nul n’osera dire qu’il n’y a aucun esprit éclairé dans l’appareil de l’État, ni aucune bonne volonté. On y rencontre des gens charmants. Mais ils sont hélas plutôt dans ce Parlement dont la faiblesse fait partie des spécificités françaises et ce n’est pas anecdotique. À plusieurs reprises on a vu Pierre Person et quelques autres sortir de la tranchée pour n’obtenir finalement que fort peu de choses, celles que Bercy et l’oligarchie financière acceptaient de lâcher. Il est revenu dans une interview récente sur cette frustration. Il se montre très pertinent sur les limites de la légistique par rapport à la colonté politique de l'administration et des banques.

Mais la palinodie qui a vu en octobre 2018 la Caisse des Dépôts refuser (par la voix d’une députée de la majorité) la légère charge de gérer quelques comptes d’entreprises bénéficiaires du visa AMF a montré crument la vérité.

On peut vouloir l’oublier, en allant aux spectacles proprement incroyables de la « France digitale » : des événements dont le clou est toujours la parole d’un ministre, une rhétorique tapageuse sur la disruption, une apologie de la Startup-Nation par des orateurs issus des grands corps devant des entrepreneurs bien sous tous rapports, un défilé de « licornes » dont plusieurs se sont construites sur l’inefficience des services publics ou bancaires, des applaudissements plus ou moins sincères pour des blockchains privées qui renouvellent l’exploit des intranets de jadis et bien sûr une attention révérencieuse pour les sages expérimentations des banques centrales.

Il s’agit hélas d’un village Potemkine. Derrière les façades, restent une faiblesse persistante de la culture et surtout de la pratique du numérique, une croyance inébranlable dans le primat de la régulation sur l’expérience, une impasse totale sur le moindre réalisme dans les deux domaines clés de la fiscalité et de la bancarisation, comme si ces deux aspects concrets n’étaient pas en amont de tout le reste, et comme si une régulation dont on s’exagère largement les attraits pouvaient justifier la lourdeur fiscale et compenser la guerre froide bancaire.

L’écosystème crypto a prétendu se structurer, comme on le lui demandait à Bercy. Mais il l’a fait dans le même bain, en adoptant toutes les prudences et surtout en ne parlant jamais de Bitcoin. Comme le notait il y a trois ans Gérard Dréan les débats byzantins pour savoir si les tokens sont des monnaies ou des actifs n’ont jamais eu « d’autre utilité que de choisir parmi les appareils réglementaires existants lequel leur appliquer ». Mais cela a nourri les juristes qui « représentent l’écosystème » et permis aux brillants régulateurs de préparer leur pantouflage dans telle ou telle entreprise qui a, directement ou non, participé à la « réflexion sur les normes ». On se comprend, on était à la fac ensemble.

Puisqu’on a produit de la norme on répute qu’on a produit de l’attractivité, comme ces maires ruraux qui construisent d’illusoires zones d’activité que l’inactivité transforme vite en friches.

J’avais en 2018 proposé d’aligner la fiscalité du Bitcoin sur celle de l’or. Les représentants de l’écosystème ont refusé d’en discuter, car ce n’était pas « sérieux »(1). Changer trois mots dans un code, ce n’était pas à la mesure de leurs ambitions. Ils ont obtenu un taux à 30% mais avec un régime différent du PFU, où les moins-values ne s’appliquent que dans l’année et sur la même classe d’actif, et où les obligations de déclarations sont kafkaïennes, intrusives et répétitives. Une colonne de calcul acrobatique sur la Cerfa 2086 par transaction ? Qu’importe, ils vendent justement leurs services pour cela.

Je n’ai pas grand-chose à changer à mes propositions de 2018 : je maintiens qu’un alignement sur l’or, la mise en place d’un système de dégrisement puis l’alignement du Bitcoin sur le statut de devise (il est bien, déjà, celle du Salvador) auraient eu un impact bien plus grand que l’adoption de la loi PACTE, de normes nouvelles, de visas spécifiques délivrés par l’AMF pour des ICO qui n’existent plus (3 opérations recensées en octobre 2020 sur une page du site de l’AMF non mise à jour depuis lors) ou d’un statut de PSAN dont l’ACPR ne fait qu’un pur système de traçage et qui n’assure même pas à son bénéficiaire la simple existence d’un compte en banque. De toute façon la FBF saborde le dispositif et de ce fait la messe est dite.

Je serais bien curieux de savoir ce que cette usine à gaz juridique a rapporté au fisc. Le résultat concret est du même ordre que celui de la Révocation de l’Édit de Nantes : chasser de France avec la même arrogance irresponsable les mal-pensants, leur argent et leur esprit d’entreprise. La bruyante croisade de Monsieur Dufrêne et sa pétition où il ne craint même pas d’invoquer l’exemple chinois n’auront pratiquement plus d’effets en France.

(La prérogative régalienne restaurant l'indépendance de la Banque centrale, la confiance dans la monnaie et la transparence financière)

On nous répond hautainement que ce n’est pas mieux ailleurs. Mais il faut croire qu’entrepreneurs, traders ou simples hodleurs français ont trouvé des ailleurs où les réflexes liberticides des hauts-fonctionnaires français n’ont pas cours. J’admets qu’il existe des politiciens bornés même en Suisse, où l’on a vu des propositions invraisemblables du député Normann, mais les entreprises cryptos suisses ne mettent pas la clé sous le paillasson et obtiennent des comptes en banque. Et ce n’est pas un hasard.

Il y a bien une surcouche française de résistance. Et mieux qu’en 2018, la période actuelle permet de cerner ce qui ne va pas, car la crise du Covid a mis en relief bien des choses.

StopCovid, gadget décrit comme une technologie pleine de « panache » ne fut « pas un échec mais ça n’a pas marché » et la seule raison en fut attribué à la mauvaise volonté des gaulois réfractaires. Rappelons que personne en 2020 (même à l’Inria !) n’a semblé vouloir imaginer une blockchain fût-elle gouvernementale, alors même que depuis des années tout le monde expliquait que « la blockchain » allait changer le monde (2). Et constatons qu’aujourd’hui les faux QR code semblent aussi faciles à imiter ou à produire que jadis les tickets de pain.

L’État a trainé une constante insuffisance logistique et l’a emballée sous des mensonges, des changements de stratégie ou de normes, dans une totale déconnexion entre les protocoles imaginés et la vie « hors bureau du ministre ». Des attestations de deux pages retirées le lendemain, des contrats d’achats de vaccins fixant le prix en « dose » et non en flacon, sans même préciser les délais… On ne peut s’empêcher de penser qu’un certain nombre de brillants jeunes fonctionnaires qui prétendent organiser la vie des gens sortent trop tard du ministère pour faire les courses et rentrent ensuite dîner chez Maman. Ce sont eux qui trouvent la centralisation rassurante et Bitcoin trop compliqué.

La période électorale qui s’ouvre maintenant va permettre (derrière le brouillard des débats et des promesses) de vérifier encore à quel point la France reste éloignée de toute culture moderne en termes de consensus et de gouvernance. La place solaire du chef n’a d’équivalent dans aucun pays européen mais reste un article de dogme qui structure l’imaginaire de tous les politiques, des fonctionnaires et hélas de presque tous les journalistes. Il n’est pas besoin d’insister sur l’altérité radicale entre ce modèle archaïque (fut-il incarné par un homme jeune) et la proposition de Bitcoin.

Mais le plus étonnant reste que la désignation de ce chef se fait par un processus lui aussi unique au monde et qui n’est plus qu’une machine à fabriquer du clivage et du dissensus, ce dont on s’aperçoit presque immédiatement. Le score du « vainqueur » pourrait justifier le fait de jouer un rôle de pivot dans la formation d’une majorité, pas davantage. Dans un système où l’État est le garant ultime de la « foi publique », la conséquence visible de ce vice de fabrication est une défiance croissante envers « nos institutions » et un maintien de l’ordre brutal assuré avec des armes interdites chez nos voisins. Les idées de décentralisation (3), d’horizontalité ou de réticularité sont aussi étrangères dans ce monde que la foi, l’espérance et la charité à la cour des julio-claudiens.

La culture politique française est incompatible avec la liberté qu’offre Bitcoin, l’inceste permanent entre les grands corps et les grandes entreprises nourrit une aristocratie d’État incompatible avec les espoirs que suscite Bitcoin, la collusion entre la haute-fonction publique et l’oligarchie bancaire est incompatible avec l’indépendance que permet Bitcoin, la morale de la bourgeoisie d’État est incompatible avec la capacité que Bitcoin a offerte aux plus audacieux de s’enrichir en une seule génération sans prêter allégeance, l’infantilisation systématique des citoyens est incompatible avec l’esprit de responsabilité qu’impose Bitcoin.

C’est pour cela que mes amis « cryptos » s’en vont.

(Le départ vers AILLEURS)

NOTES

(1) L'épisode de novembre 2018 a suscité incompréhensions et rancœurs au sein même de notre communauté.

En réalité, dès le début du mois, les jeux étaient faits, comme le rapportait le journal Capital le 6 novembre. Ma proposition d'alignement sur l'or était déjà mise à la corbeille.

On retrouvera ici le célèbre thread d'Alexandre Stachtchenko en date du 6 novembre . L'Union sacrée des Associations n'a pas été empêchée par des guerres d'égo (explication toujours commode) mais d'abord par de vraies différences de mode de fonctionnement car le Cercle du Coin comptait plus de 100 membres, ni tous d'accord entre eux ni tous français, tandis que d'autres associations, représentant deux ou trois entreprises et confiées directement à des avocats, avaient évidemment un fonctionnement plus réactif. Ensuite il existait de profondes divergences de vues.

On relira ici une interview du 20 novembre où en tant que président de la Chaintech (association disparue depuis lors) Alexandre Stachtchenko théorisait d'ailleurs ces différences :  Certains pensent qu’en criant très fort des positions radicales, ils permettront à l’écosystème d’obtenir ce qu’il souhaite. Je n’y crois pas. Cette méthode a été maintes fois utilisées et elle n’a pas fait évoluer la situation, malgré les opportunités médiatiques lors des précédentes bulles par exemple. Je crois dans une démarche plus consensuelle, moins radicale. Une démarche de petits pas .

Quant à ma position radicale, on pourra en retrouver la trace dans un article publié dès le 3 novembre Much Ado about No Coin.

On retrouvera pour conclure l'historique des échanges sur ledit projet de texte conjoint. C'est à lire, classiquement, en partant de la fin. Le Cercle n'a pas refusé de signer le texte mentionné, il a proposé de le faire le 13 novembre (page 2) avec une mention du genre « ce texte a été communiqué au Cercle du Coin, première association francophone sur Bitcoin et les cryptomonnaies, et a recueilli l’assentiment des membres de son bureau ». Mais le texte n'a finalement jamais été produit, ce qui m'a été confirmé par écrit par Maître Benoit Couty le 23 novembre. Tout s'est donc passé en  cabinet  et à  petits pas  avec le résultat que l'on a vu.

(2) Lire mes remarques du 25 mai 2020 StopCovid, l'infrastructure manquante.

(3) La décentralisation à la française est une farce. Des régions dessinées (bâclées) à l'Élysée et deux  patrons de région  qui, en 2021, n'avaient pas d'autre idée en tête que l'Élysée. Pour l'horizontalité on n'en parle un peu durant les campagnes électorales (parce que c'est notre projet) mais on théorise la verticalité dès le lendemain de l'élection. Quant à la réticularité, on l'a en horreur, et rien n'égale la méfiance qu'ont les politiques des réseaux sociaux si ce n'est la haine jalouse que leur portent la plupart des journalistes. Quant aux réseaux d'influence, occultes, c'est une autre afffaire, et les mentionner vous conduit au bûcher pour complotisme.

vignette de l'article dans bitcoinfr.jpeg, janv. 2022

119 - Enfumage

January 13th 2022 at 20:09

Sur un plateau de télévision, pour tout bitcoineur qui pourrait expliquer, il y a face à lui quelqu'un qui est là pour critiquer. Il y a des champions de l'exercice. L'un des plus actifs ces temps-ci se présente comme économiste et comme tout économiste, quand il est à court d'argument, il raconte des histoires, partant comme tous les siens de l'idée que les expériences historiques peuvent servir à tout et hors de tout contexte.

Pour démontrer que Bitcoin n'est pas une monnaie, ce qui comme on le lui a répondu est largement une conversation de salon, il a des flèches de toutes sortes dans son carquois. Une monnaie, nous a-t-il expliqué chez François Taddeï,  ça met généralement très peu de temps à s'installer . Généralisation dont je vois bien mal le fondement et sur laquelle il embraye  par exemple si vous prenez la situation de Berlin après guerre, dans une ville ruinée, bon il fallait un moyen d'échange ...c'est la cigarette qui avait été élue par la population comme moyen d'échange, élue pas au sens strict, au sens de l'utilisation, et ça avait mis deux semaines à s'installer. .

Cet argument fumeux n'a pas été improvisé en panique sur le plateau, il a déjà été présenté dans une tribune du Monde :  En 1945, dans le Berlin ruiné d'après guerre, la cigarette n'avait pas mis deux semaines à s'étendre à quasiment toutes les transactions possibles .

L'exemple cité est tellement farfelu (la courbe d'adoption de Bitcoin suit assez fidèlement celle d'Internet, lointain descendant d'Arpanet) qu'il peut sembler oiseux de le regarder de près, mais l'exercice s'avère instructif.

Loin de nous infliger, comme on le fait pour tuer Bitcoin, l'argument des trois fonctions d'Aristote, il n'est plus question ici que d'instrument de transaction. On veut bien croire que ce soit cette fonction qui soit la plus urgente à satisfaire et que l'adoption de la cigarette dans ces conditions ait pu être plus rapide que celle de Bitcoin. Nous voilà plus érudits et doté d'un utile savoir. Sauf sur un point : les Allemands ne fabricant plus rien et surtout pas des cigarettes, cette étrange monnaie n'a pas été élue par la population (genre monnaie locale) mais importée par l'occupant.

Faisons un peu d'histoire, et demandons-nous d'abord, où notre économiste a pu aller dénicher ça ? Faisons comme tout le monde : l'appel à un ami savant (à Mountain View, CA).

On lit cela en effet :  A la sortie de la Seconde Guerre mondiale, la monnaie allemande, le Reichsmark, fut déconsidérée et ne fut plus utilisée. C'est une économie à base de troc qui vit le jour, et la monnaie d'échange la plus utilisée fut alors la cigarette américaine. Elle permit une certaine stabilité des prix avant d'être remplacée en 1948 par le Deutschmark . Diable, c'est une monnaie qui accompagne du troc? durant trois ans ? Cependant on lit cette fine analyse sur le site secouchermoinsbete.fr qu'on ne réputera pas forcément être de qualité universitaire. Notons quand même que ledit site donne trois références, ce qui n'est pas rien. Poursuivons.

  • La première référence est à un site spécialisé sur l'or qui fait un bref historique sans références particulières. Notons qu'il dit surtout que  peu avant la chute du troisième Reich, les échanges dans les camps de concentration nazis se basaient sur la cigarette comme valeur de référence. Le fait que le tabac n'était pas rationné et qu'il pouvait être facilement dissimulé était la principale motivation de ce choix . Donc on n'est plus après la défaite mais avant... et on comprend mal pourquoi dans les camps des nazis les cigarettes n'auraient pas été rationnées. On y reviendra.
  • La seconde référence est à l'article Wikipedia sur l'Allemagne depuis 1945 qui contient cette assertion :  L'Allemagne de l'après-guerre connaît une importante inflation, si bien que la cigarette blonde américaine fait figure d'étalon monétaire  avec un renvoi à un livre peu spécialisé dans les monnaies parallèles, à savoir celui de Marc Nouschi, La démocratie aux États-Unis et en Europe (1918-1989). Il semble y avoir (en page 244 dudit livre que je n'ai pas) une remarque sur l'apport massif d'américaines par les GIs. Mai alors s'agit-il bien d'un étalon ?
  • La troisième référence est au site archive.tabacco.org qui ne semble plus en ligne.

Si l'on regarde maintenant dans la vraie littérature historique, c'est à dire dans des livres écrits par des historiens, on trouve cela principalement chez Anthony Beevor et Frederick Taylor. Le reste de ce que l'on trouve en ligne est littérature d'économistes.

Le premier écrit que  à Berlin, tout se comptait en Zigarettenwährung, c'est-à-dire en monnaie-cigarettes ce qui fait plutôt référence à l'étalon qu'à l'instrument, mais il ajoute à la phrase suivante  de sorte que quand les soldats américains arrivèrent avec des réserves inépuisables de cartons ils n'eurent pas besoin de recourir au viol . Tiens donc...

Le second parle des soldats et fonctionnaires alliés qui, riches de cigarettes, pouvaient s'offrir des femmes allemandes, au tarif en usage de cinq cigarettes qu'il décrit comme une  monnaie d'échanges officieuse . Mais ensuite, il attribue plutôt à la cigarette une fonction d'étalon en 1948 dans un contexte où les Russes, qui occupent la moitié de la ville, font tourner la planche à billets de vieux Reichmark qui reste (incroyablement) la monnaie officielle de toute l'Allemagne occupée.

Bref ce à quoi l'économiste renvoie comme exemple presque standard d'élection d'une monnaie par la population n'est qu'un enchevêtrement de faits divers douloureux : occupation de l'Allemagne, situation obsidionale à Berlin, destruction de l'État, des usines, des immeubles et des familles, famine, trocs, marchés noirs, viols massifs des femmes par les soviétiques (deux millions de femmes ?) et même par  nos amis américains .

Alors certes, il semble bien que la cigarette, instrument de débrouille plus que monnaie, ait servi lors de l'effondrement de mai 45, comme lors de la crise qui va mener au début du blocus en juin 48. Mais les Russes, même en quadrillant le terrain, auraient-ils fait tourner durant trois ans une planche imprimant des billets totalement dénués de cours ?

Revenons à la monnaie

Même pour en rester à des expériences douloureuses et évidemment non extrapolables, les cigarettes peuvent effectivement avoir servi de monnaie presque unique, non pas à Berlin après guerre mais dans les camps nazis avant. Et là il existe une intéressante documentation avec l'article The Economic Organization of a P.O.W. Camp publié en novembre 1945 par R.A. Radford, jeune anglais né en 1919 à Nottingham, et capturé en Lybie par les forces de l'Axe. On le lira en anglais ici et les moins courageux en résumé français .

Bien sûr l'article de Radford n'apprendra rien sur le Bitcoin, monnaie intangible, non alimentaire, non fumable et évoluant non e état de siège mais dans un monde numérique très ouvert. Mais il y a quand même des éléments de réflexion sur le stock to flow et même sur la  malédiction de l'étalon .

Clope au bec.jpg, janv. 2022J'en profite pour un petit aparté numismatique : à ma connaissance la seule effigie de monarque clopant est celle de Napoléon III accusé après 1870 d'avoir provoqué le désastre de Sedan, et l'emprisonnement de 80.000 prisonniers.

La cigarette est-elle sur cette monnaie satirique une allusion personnelle (oui, il fumait, mais plutôt le cigare) ou une allusion au seul passe-temps du prisonnier ? Je l'ignore.

Notons pour conclure que si les cigarettes n'étaient pas fabriquées par les Allemands occupés en 45 mais bien apportées par les soldats vainqueurs, elles n'étaient pas davantage élaborées par les prisonniers eux-mêmes dans les camps nazis mais y étaient envoyées par les familles dans les paquets et par les États (vaincus) au titre de leur grotesque propagande. État vaincu ou État vainqueur la cigarette finalement est une monnaie régalienne !

118 - Bitcoin mis en bière

January 4th 2022 at 19:53

(pour Sofiane)

Commençons par un aveu de faiblesse : cet article serait difficile à traduire.

Il y avait jadis, m'a-t-on dit, dans mon village de Picardie un menuisier qui faisait aussi  café  et ne se refusait pas le plaisir d'accueillir à l'occasion le client par une plaisanterie très fine :  vous venez pour une bière ? .

Bref, je ne vais pas parler de Bitcoin mis pour une 440ème fois (à ce jour)  en bière  (du vieux bas-francique bëra pour civière) mais d'une certaine chope de bière (du moyen-néerlandais bier) qui me semble avoir largement échappé à la fureur du mème qui règne dans notre sonnante et trinquante communauté.

Ce 3 janvier, donc, un banquier d'affaires crypto de longue date (il se reconnaitra) poste, comme quelques centaines d'autres j'imagine, l'iconique page du Times de Londres. Quelle élégance, ce Satoshi, on dirait un personnage de Jules Verne. On sent le boomer et ça me ravit à chaque fois.

Comme chacun sait, Satoshi, dans son premier bloc de validation, le 3 janvier 2009, a en effet rajouté ces quelques mots :  Chancellor on brink of second bailout for banks . Et là, le fin banquier d'ajouter :  Certains diront que c'est un message subliminal pour réfléchir sur notre économie monétaire, d'autres qu'il s'agissait simplement d'une preuve de date... le mystère subsiste .

Au moment précis où j'ai lu le mot subliminal mes yeux se sont ouverts et, pour la première fois je le confesse (mais j'ai eu beau interroger autour de moi, je ne semble pas plus borgne qu'un autre) j'ai VU :

pinte.jpg, janv. 2022

Bon dieu... mais c'est bien sûr !  me dis-je comme le célèbre commissaire : le vrai message subliminal, c'est la pinte. Ce message s'adressait clairement à plusieurs personnes qui ne le savaient pas ce jour-là, il y a 13 ans, mais qui allaient devenir, d'un bout du monde à l'autre, les piliers d'innombrables social-meetups.

Mais ce qui est vraiment magnifique c'est ce que dit le minuscule chapeau : que le prix de l'indispensable pinte allait baisser !!!

Or au cours de ces réunions savantes et conviviales, de pinte en pinte, on allait assister à une baisse vertigineuse du prix de la bière... exprimé dans la monnaie de Satoshi.

Mes amitiés aux buveurs de bière francophones qui se reconnaîtront eux-aussi aisément et aux bars qui ont eu l'intelligence de vendre la bière en bitcoin !

117 - Ligne de partage ou ligne front ?

January 1st 2022 at 10:57

(Bonnes résolutions?)

Certaines personnes ne s'intéresseront jamais à Bitcoin. D'autres ne s'y intéresseront jamais que pour en dénoncer ce qu'il n'est pas ou ce qu'il ne devrait pas être, voire pour en réclamer l'interdiction. Il y a des cas désespérés.

Seulement il faut bien avouer que ceux qui s'intéressent aujourd'hui à Bitcoin ne l'ont fait ni depuis leur propre naissance, ni depuis la sienne, ni même en général depuis leur première rencontre.

Il y a, à un moment donné, une rencontre décisive, parfois gênante, toujours enthousiasmante. Un moment où l'on choit du haut de ses certitudes et où l'on doit reconstruire sa vision, revenir d'une forme d'aveuglement, comme Paul sur le chemin de Damas, où il se rendait pour combattre ceux qu'ils considéraient comme des hérétiques, des dissidents et des dangereux sectaires.

(merci au pape Paul VI pour cette pièce originale)

Comment devons-nous, de notre côté, comprendre et traiter toutes les déclarations des no-coiners exhibant sans fard leur faible connaissance d'une chose qu'ils prétendent condamner ?

Ce billet incite à prendre quelques bonnes résolutions  : s'indigner, aboyer et troller ne suffit pas à provoquer la chute du païen, et moins encore à lui ouvrir les yeux.

OK Boomer

Clamée comme une sorte de Montjoie, cette interjection témoignait à l'origine (il y a plus de trois ans maintenant) d'une compréhensible fatigue des plus jeunes devant les admonestations grand-paternelles. Elle a fini par devenir un argument en soi, qui ne me semble guère ni honorable (notamment au regard d'une morale commune qui ne cesse de dénoncer les stéréotypes) ni pertinent si l'idée n'est pas de dénoncer mais d'expliquer. Pourtant, à chaque fois que j'ai tenté d'en suggérer la portée limitée, je me suis fait renvoyer dans les cordes avec une forme de méchanceté.

Or s'il est incontestable que l'appréhension de la nouveauté technologique (mais aussi artistique, musicale, etc.) révèle un biais d'identité et qu'être sexagénaire, porter une cravate ou avoir fait carrière dans la haute administration ne sont pas des critères qui prédisposent à fréquenter des jeunes geeks, il est non moins évident qu'il y a des boomers crypto - dont Satoshi lui-même selon toute vraisemblance chronologique - des hauts fonctionnaires crypto-adeptes (ou apologistes) et comme toujours des contre-exemples dans tous les sens.

Laisser entendre qu'on peut ou qu'on ne peut pas  comprendre générationnellement Bitcoin, comme on me l'a écrit récemment dans un français douteux, reste une fainéantise intellectuelle. Que le facteur d'âge soit plus clivant que le type d'études, le positionnement social, la place dans le cocotier ou Dieu sait quoi, c'est ce qui m'apparait incertain. L'argument, quand il n'est pas sérieusement étayé, me semble relever d'une sorte de maoïsme, comme lorsque (dans ma jeunesse !) les  origines petit-bourgeoises  de l'adversaire expliquaient tout et n'importe quoi.

Surtout, cet argument instaure une  ligne de partage des eaux  qui, selon la seule date de naissance, condamnerait l'un à l'ignorance arrogante des boomers et l'autre à la vertueuse hardiesse intellectuelle des millennials. C'est beau comme Jésus au milieu des docteurs.

Albrecht-Durer-.jpeg, déc. 2021

Non seulement cela blesse et bute le boomer mais cela n'incite guère le jeune qu'à la raillerie, voire à l'amertume, sans autre espoir que dans le temps qui passe. Or jouer le cadavre est un jeu usant. La génération aux commandes peut se maintenir longtemps. Elle a le droit, les institutions, la force et pas mal d'autres choses pour elle. Le jeune sera vieux avant que le vieux ne soit mort. D'autant que le dernier jeune qui m'a titillé avait, à l'examen, des enfants déjà âgés eux-mêmes de 20 ans, ce qui m'a fait sourire mais que j'ai élégamment gardé pour moi.

La vraie ligne de partage

Si elle ne correspond pas à celle que tracerait la seule naissance, voire l'inscription dans les forteresses et les réseaux de la domination sociale, par où passe donc la ligne séparant ceux qui vont en rester là et ceux qui vont faire le pas vers la crypto ?

Selon moi, elle court entre deux qualités essentielles de l'esprit : la liberté et la curiosité.

La liberté n'est pas forcément à la portée de tous. Celui dont la position (professionnelle et donc matérielle) passe par l'allégeance au système financier construit depuis le débasement des monnaies et la libéralisation des marchés financiers ne peut pas (sauf paradoxalement à l'âge de la retraite, peut-être !) faire le moindre pas. Mais ne nous y trompons pas : il y a des gens fainéants (jeunes ou vieux, d'ailleurs) qui répèteront toute leur vie ce qu'ils ont appris en première année de faculté, sans même que le système n'ait à exercer de grande contrainte sur eux.

La curiosité est ce qui me semble commun à toutes les personnes, de tous âges, origines et conditions que j'ai rencontrées dans la crypto. Quelqu'un de curieux (et de cultivé, ce qui va toujours de pair, même si des jeunes gens incultes vont certainement me soutenir le contraire) finit toujours par comprendre Bitcoin.

À cet égard on peut donner l'exemple de ce magnifique boomer qu'est Raphaël Rossello, Managing Partner d'Invest Securities (et lauréat du Prix Tulipe...). En mars 2021, il avait déclaré chez Thinkerview que le jeton de Bitcoin ne serait jamais autre chose qu'un billet de monopoly aux usages douteux.

Il faut réécouter attentivement cette première séquence : on y voit bien que cet homme intelligent traite de l'inconnu non pas de façon sotte, mais au travers de son expérience qui est vaste et de la sagesse qu'il en a retirée. Mais en mars 2021 il n'avait aucune connaissance de Bitcoin et celle (au demeurant approximative) qu'il avait de l'épisode des tulipes ne lui permettait pas alors d'expliquer Bitcoin, mais seulement de suppléer à son ignorance par un mixte de comparaison et d'extrapolation.

En novembre, huit mois plus tard seulement, il a eu le mérite, le courage et l'honnêteté d'analyser publiquement son  chemin de Damas .

Phénoménologie de l'expérience Bitcoin ?

Raphaël Rossello venait, nous dit-il, d'un monde où l'univers crypto n'existe pas. J'ai déjà dit moi-même que c'était exactement ce que révèle l'argument célèbre  ça ne marche pas dans la vraie vie . Il ne sert donc à rien, fût-on maximaliste, de montrer Bitcoin seul, au risque de l'exhiber comme la solution à un problème qui n'existe pas dans l'esprit d'autrui.

À le voir sur ces deux séquences différentes, il est évident que Raphaël Rossello n'a pas été vaincu par les cris ou les trolls suscités par sa première intervention. Il a été convaincu par des arguments, mais surtout par l'expérience de cas d'usage.

Or n'importe qui de sérieux ( fût-il un boomer) voit en quelques semaines d'étude que les laborieuses expériences menées par les banques centrales sur leurs blockchains privées sont mille fois moins excitantes que ce qui se passe dans la Defi.

Laissons donc faire.

La violence est contre-productive

N'entretenons pas la violence inutile qui se déchaîne même sur des réseaux professionnels de type LinkedIn, pour ne rien dire de Twiter. Celle des adversaires de Bitcoin est souvent inconsciente, car faite de pas mal de pharisaïsme : ne sont-ils pas les honnêtes gens justement chargés du bien commun ? Elle est aussi, parfois, pétrie d'arrogance, de mépris, de mensonges impunément répétés.

chroniqueurs.jpg, déc. 2021Ainsi un  haut fonctionnaire et économiste  que chacun reconnaitra aisément multiplie les  Mon bon monsieur  et les  Mon pauvre ami , parle des braves gens  et n'hésite pas devant des arguments comme vous êtes gentil mais vous ne connaissez strictement rien à la régulation des marchés financiers , cette dernière pique apparemment adressée à quelqu’un possédant, justement, la certification AMF … Après quoi le même bloque ceux qui osent lui répondre. Donc, en fait, lui répondre, poliment ou non, me paraît relever du jeton mis dans une machine dont le bruit qui nous casse déjà les oreilles. Voyez son prédécesseur  ancien président de banque  qui au bout de quelques mois semble avoir renoncé à ses polémiques insensées.

Mais la violence des bitcoineurs ne doit pas être sous-estimée ou absoute : elle peut être méchante, assaisonnant en outre ses attaques ad hominem de fautes d'orthographe qui discréditent encore davantage le propos aux yeux de ceux qui sont visés. Au-delà de ces vices de forme, on y passe trop vite du refus de l'archè étatique à celui de l'auctoritas académique et de l'anarchie à la vulgarité. Dire d'un professeur d'université qu'il est  payé par nos impôts  devrait être proscrit : or c'est commun et pour certains c'est même l'ultima ratio.

Bref chaque camp s'installe sottement dans la caricature que l'autre en trace.

Une part de dénonciation m'apparait légitime : on peut et on doit souligner les intérêts objectivement servis, rappeler que tel qui se présente comme  professeur  fait l'essentiel de sa carrière dans telle ou telle banque, mettre le projecteur sur les extrapolations imprudentes, les suppositions toujours hasardeuses selon lesquelles le contexte, le marché, la technique ou les besoins des hommes ne changeront jamais.

La dénonciation des biais identitaires doit en revanche se faire avec tact. Tel qui est responsable de ses jugements erronés ne l'est pas de son âge et celui auquel on pourra légitimement reprocher une carence de culture technologique ne sera pas exécuté simplement pour avoir fait l'ENA trente ou quarante ans plus tôt.

vatican-20-lires-1988.jpg, déc. 2021La part d'énergie consacrée à l'invective serait dans tous les cas mieux employée à susciter la curiosité.

 N'y touchez pas  dit la Banque ? Plutôt que de vous époumoner contre la Banque, rendez donc le fruit Bitcoin appétissant.

(Merci au pape Jean-Paul II. Heureusement que les papes battent monnaie, sinon je serais à court d'illustrations numismatiques)

Je vais maintenant entrer dans une zone à risque.

Au-delà des violences verbales qui brouillent le message et des légitimes requêtes pour bénéficier d'une fiscalité honnête et loyale, quel sens doit-on donner à Bitcoin lorsque nous en parlons ?

R. Rossello nous rappelle au détour d'une phrase qu'on peut venir à Bitcoin sans aimer le néo-libéralisme. Tout bitcoineur a le droit d'être (ou de ne pas être) néo-libéral, ou autrichien. Le problème, selon moi, vient d'une forme de hold-up que certains font sur Bitcoin. Que Hayek ait en 1976 appelé à une mise en concurrence des monnaies en dehors du contrôle de l'Etat n'en fait pas l'inventeur de Bitcoin. Qu'en 1999 Friedman, parlant de la façon dont Internet serait une force importante pour réduire le rôle du gouvernement ait ajouté dans un aparté de moins de 60 secondes que  la seule chose qui manque, mais qui sera bientôt développée, c'est une monnaie électronique fiable, une méthode par laquelle, sur Internet, on peut transférer des fonds de A à B sans qu'ils se connaissent  n'en fait pas l'inventeur de Bitcoin.

Entendons-nous bien : leurs diagnostics prouvent effectivement que Bitcoin n'est pas né par hasard. Mais il n'est pas né dans une fac d'éco, ni à Chicago. D'autres qu'eux, dans d'autres courants de pensée, ont aussi posé des diagnostics prophétiques. A tout prendre, l'idée formulée par Henry Ford en 1921 d'une monnaie énergétique (la seule dont j'avais entendu parler avant ma rencontre avec Bitcoin, entre nous soit dit) me paraît susciter un rapprochement tout aussi convainquant. Et comme nous l'avons écrit Philippe Ratte et moi dans un ouvrage qui, poussant avec malice le même bouchon encore plus loin, suggérait que Tintin avait découvert Bitcoin avant Satoshi :  tous les angles d'attaque sont bons, et en éclairant un même objet obscur, c'est leur rapprochement qui le met en évidence. Ainsi l’interférence entre des ondes légèrement décalées d’un laser frappant un même objet permet-elle d’en tirer l’hologramme .

La mass adoption ne viendra pas de la lecture de resucées d'économistes morts par leurs adeptes pour qui Bitcoin a été, parfois, une divine mais tardive surprise. L'envol de son cours est, disons-le platement, bien plus convainquant. Les signes d'une étrange normalisation ne manquent pas, que ce soit les anciens étudiants de Blockchain Partners qui redeviennent bitcoineurs mais sous pavillon KPMG ou bien la société Coinhouse, spin-off de la défunte Maison du Bitcoin, qui s’installe dans l’ancien Crédit Lyonnais. La multiplication du nombre de médias, podcasts et chaînes Youtube, l'arrivée de Satoshi sur Arte avec le documentaire de Rémi Forte œuvre de grande qualité non exempte d'ailleurs d'une certaine dose d'inquiétude... tout cela annonce la sortie du ghetto. Raison de plus de ne pas en inventer de nouveaux ni idéologiques, ni moraux.

Car il n'est pas interdit de craindre que le changement ne s'accompagne aussi, maintenant du côté des bitcoineurs, d'une forme de condescendance ou d'arrogance peut-être prématurée, surement déplacée. Certains pronostics d'hyperbitcoinisation ne sont pas utiles. Certaines photographies (de vacances, de fêtes, de festins) sont peu de nature à conforter l'idée que  Bitcoin n'a pas été inventé pour vous rendre riches mais pour vous rendre libres .

On peut rire entre nous de tous les banquiers et économistes old-timers qui viennent avec une sincérité de crocodile nous dire que Bitcoin a trahi les promesses de sa jeunesse. Il n'est pas interdit de nous poser, entre nous, des questions morales.

Il y a en effet une attitude possible (short the world, en gros...) et une autre, souhaitable. Améliorer un peu le monde.

116 - Une pièce de 21

December 5th 2021 at 09:59

Le nombre 21 (généralement suivi de millions) joue un rôle essentiel, tant concrètement que symboliquement, pour la  meute sectaire et insultante  qui agace les gentils universitaires et les utiles haut-fonctionnaires avec lesquels certains d'entre nous s'aventurent à polémiquer en pure perte de temps.

Pourquoi 21 ? Vieille question qui marque au fer rouge le prétendu expert débarquant sur un plateau télévisé avec sa supposée candeur. Passons.

Est-ce qu'il a existé une pièce de 21 quoi que ce soit ? Voilà en revanche une question vraiment utile à débattre durant un week-end pluvieux  à l'heure du thé fumant et des livres fermés .

Parce qu'en apparence, depuis la restauration d'un semblant de finance par Bonaparte et jusqu'à l'effondrement des monnaies au 20ème siècle, la plupart des pays civilisés c'est à dire, let's be serious, francophones ont battu en or des pièces de 20 francs, pas de 21.

Le chiffre 20 a d'ailleurs une antiquité respectable en matière monétaire. Il y avait 20 sous dans un franc, comme il y avait 20 solidus dans une livre depuis Charlemagne et comme il y eut 20 shillings dans une livre sterling.

Après leur courte expérience républicaine, les Anglais battirent entre 1663 et 1814 une pièce d'or qui contenait environ un quart d'once d'or, et à laquelle on donna de Guinée, terme qui désignait toute la côte méridionale de l'Afrique occidentale d'où provenait une grande partie de l'or utilisé pour fabriquer ces pièces. À l'origine la guinée valait une livre sterling (soit 20 shillings d'argent) mais la hausse du prix de l'or par rapport à celui de l'argent finit par entraîner une augmentation de la guinée, qui a parfois atteint 30 shillings.

Alors, de 1717 à 1816, la valeur de la guinée fut officiellement fixée chez nos amis anglais, qui peuvent parfois se singulariser comme par plaisir, à 21 shillings. On trouve des poids monétaires en laiton qui pouvaient servir à réglementer la parité entre banquiers, changeurs et commerçants, ainsi qu'à valider aisément sur une balance, que l'argent sur le plateau valait bien une de ces fameuses guinées !

Mais fixer la parité entre deux métaux est une folie de régulateur, un fantasme régalien. La guinée était cependant devenue un terme familier ou spécialisé, et l'est restée longtemps même sans pièce tangible. Bien que la pièce de ce nom ne circule plus depuis le 19ème siècle, le terme  guinée  a survécu jusqu'au 20ème siècle comme unité de compte dans certains domaines, au cours de 21 shillings. Parmi les usages notables, les honoraires professionnels (médicaux, juridiques, etc.) étaient souvent facturés en guinées, ainsi que les paris aux courses de chevaux et de lévriers, ou la vente de béliers.

Tant et si bien que la livre égyptienne s'appelle toujours officiellement pound en anglais et guineh en arabe, établissant si l'on peut dire l'équivalence 20=21, digne des mystères dont l'histoire de ce pays était déjà si riche.

Il y a tout de même eu un exemple de pièce avec une valeur faciale de 21 unités monétaires

Elle fut émise par des autorités légales, légitimes, régaliennes et tout ce qu'on voudra. Et bien sûr ça s'est passé chez mes amis neuchâtelois, où fut bel et bien frappée une pièce de 21... batzen.

Le batz était à l'origine, au 15ème siècle, la monnaie de Berne. La pièce montrait alors sur son avers un ours qui est l'emblème de la ville et tirait même son nom, comme la ville qui l'avait créée, de l'ancien haut-allemand Bätz qui signifiait Ours. Le Batz se divisait en 4 Kreutzer, chose commune à toutes les villes où l'on battit ensuite des batzen. Mais hélas, d'une ville à l'autre, la valeur du batzen local variait sensiblement de Berne à Fribourg, Lausanne et autres villes à atelier monétaire.

Arrivent les Français (en 1798, donc avant Bonaparte, soit dit en passant : il n'a pas tous les torts et toute cette affaire est bien complexe) : le batz devient la valeur d'un dixième de la  livre suisse , nouvelle monnaie officielle que l'on va bientôt appeler  franc  même si en attendant Germinal, il n'a pas exactement la même valeur que de l'autre côté de la montagne. Il faut harmoniser : 21 batzen de Fribourg sont comptés pour 20 batzen suisses.

Et Neuchâtel dans tout cela ? Depuis 1709, la principauté qui était jadis à la famille de Fribourg, puis aux Orléans-Longueville, s'est choisie comme souverain le roi de Prusse, parce qu'il est loin, qu'il est protestant et qu'il semble pouvoir la protéger des appétits français. La principauté use à l'occasion de son indépendance pour fabriquer un peu de fausse monnaie (française) mais elle a sa propre monnaie, à l'effigie du roi de Prusse. Son batz, comme celui de Fribourg, est un peu plus faible que celui dit suisse. Un bon moyen de rester fidèle à sa vieille unité de compte tout en commerçant avec les Suisses est donc... d'émettre des pièces de 21 batzen, qui seront comptées pour 20 ailleurs.

Comme l'indique la légende : Suum cuique, à chacun le sien !

La légende en latin abrégé se lit Frédéric-Guillaume III roi de Prusse Prince Souverain de Neuchâtel et Valangin

La ville de Genève avait procédé de même, avec sa pièce de 21 sous, valeur d'usage depuis 1710 (quoique non inscrite comme valeur faciale) émise de la même façon pour faciliter les échanges avec la Savoie ou la Suisse.

À son retrait lors de la loi monétaire de 1850 la pièce de 21 batzen qui avait circulé depuis Frédéric III, puis Alexandre Berthier, puis sous régime prussien et cantonal après 1814, valait 2fr75, et non 2fr10, ce qui laisse penser qu'elle s'était appréciée le temps passant.

Notons le pragmatisme de la démarche : les politiciens français qui voudraient  revenir au franc  n'ont à ma connaissance jamais songé à battre des pièces de 6, 55957 francs français, alors même que la Monnaie de Paris l'avait fait, non seulement pour des médailles (au dessus), mais pour diverses émissions en argent, numismatiques, donc parfaitement légales, légitimes, régaliennes etc !

Donc, pour finir sur une note crypto (que l'on n'aille pas me reprocher de perdre la foi et de faire perdre leur temps à mes rares lecteurs) : pourquoi ne pas émettre un stablecoin en franc ? Il me semble qu'il faudrait réunir un groupe de travail, mener des expérimentations, écrire des rapports et naturellement trouver un algorithme de consensus fondé sur l'utilité sociale et le respect de tout ce qui peut venir à l'esprit. Mais la Banque de France a déjà une vieille expérience du minage !

115 - Le vide

November 15th 2021 at 09:29

Mes lecteurs ne regardent pas trop la télévision, et sans doute moins encore sa publicité commerciale que sa réclame politique. Malgré cela je veux parler ici d'un spot qui m'avait amusé jadis et qu'une récente expérience m'a remis en mémoire.

Les publicités des banques est un genre à part, avec ses mots pompeux, sa  digitalisation  en toc et ses clients santons, tantôt roublards tantôt ébahis. Pouvoir de dire oui, monde qui change, truc qui bouge. On tourne en rond et même en traversant la rue pour gagner la banque d'en face cela reste Kik-kif et Cie. Les pubs du Crédit Mutuel tablent sur l'originalité supposée de leur structure capitalistique même s'il est probable que l'usager s'en soucie peu et ne la soupçonne généralement même pas. Dans cet établissement, pour 24 euros par an, le client n'a ni chéquier ni carte de paiement. On fait mieux, en gros, et mieux vaut donc parler d'autre chose. Voici le clip en question, datant d'une dizaine d'années.

On se fiche tellement de leur structure coopérative (qui n'est pas unique dans le paysage bancaire, loin s'en faut) que clip avait plutôt été remarqué pour son racisme inconscient ou supposé. Mais moi il m'avait frappé parce que l'agence filmée n'est guère éloignée de chez moi. Et que s'il y a souvent foule devant le bistrot (devenu depuis lors un commerce de hamburger) on ne voit guère devant la banque que des gens retirant leur argent de l'automate ou laissant leur chien pisser sur la devanture.

Or l'autre jour, pour rendre service à l'un de mes proches, j'ai dû pousser la porte de cette agence...

Un grand vide.

Cela doit bien faire près de 200 mètres carrés, avec 20 mètres de façade sur rue, autant que le Carrefour voisin, qui presque jour et nuit rend service à une foule nombreuse. Bien davantage que le fruitier berbère en face, le petit restaurant chinois japonais, le boucher casher, le couscous halal, le charcutier italien, le serrurier portugais, le réparateur de mac, le pressing et tous ceux qui rendent des services vraiment utiles et autrement que 35:00 heures par semaine sur 4 jours et demi (source Google).

Dans cet espace immense et aseptisé, je ne vois qu'un homme seul, à la borne d'accueil. Extrêmement courtois je m'empresse de le dire, des fois que son supervisor ou son N+1 comme on dit maintenant ne me lise ici.

Je lui pose ma question, qui concerne donc un particulier. Mais ce monsieur est  responsable entreprises . Il a dû percevoir un peu d'étonnement dans mes yeux. Il me précise donc que tous les  responsables  doivent faire  au moins une journée et demi de guichet . C'est beau la flexibilité. Du coup, toujours obligeant, il se saisit de son téléphone, et appelle la responsable particuliers  qui à cette heure a le droit de travailler dans un (son?) bureau. Voix lointaine, dans le fond du décor vide.

Mais ma question concerne un métier spécifique - celui d'enseignant - pour lequel le Crédit Mutuel a créé des Agences dédiées. Sont-elles, celles-là, pleines de clients-actionnaires-administrateurs bourdonnant et industrieux ? Je l'ignore. L'agence de quartier dans laquelle je me trouve ne dispose même pas du flyer ad hoc.

Il faudrait voir sur Internet . Je n'y aurais pas pensé. Mais sur Internet on vous demande juste votre téléphone, pour qu'un responsable spécialisé vous rappelle, au moment qui l'arrangera lui, ou pas.


Bref l'Agence vide occupée par deux responsables ivres de solitude et d'ennui ne sert à rien. Comment et pourquoi la Banque paye-t-elle son injustifiable loyer ? Mais le site Internet non plus ne sert à rien. A quoi sert la Banque, finalement ?


Du côté de Bitcoin, on dénonce souvent les Banques pour leur monopole, leur puissance, leur effrayante collusion avec les pouvoirs, leur rôle dans le traçage et le contrôle de nos vies. Et tout cela est vrai. Mais je ne crois pas moins vrai de souligner ce vide, ce creux, ce toc.

D'ailleurs, lorsque l'on fréquente amicalement les seigneurs de la Banque, ceux qui sont dispensés de guichet, ce creux finit toujours par ressortir. Heures perdues en parlotte, en formations sur la compliance, en séances de sensibilisation sur le droit de telle ou telle minorité durant lesquelles chacun roupille. Mais aussi réorganisations absurdes (tantôt par métiers, tantôt par secteurs, vieux débat stérile et jamais tranché) objectifs absurdes, slogans absurdes.

Les banquiers sentent cela comme vous.

Leur publicité le trahit, avec sa fausse auto-dérision, ou la vilénie de se moquer d'un concurrent, ce qu'un industriel honnête ne fait pas.

Leur marketing le trahit avec des filiales supposées hipe que les lois si sourcilleuses quant à la transparence de toutes choses dispensent curieusement de la mention groupe banque ceci ou cela mais qui toutes mettent en abyme le creux et le vieux de leur propre monde.

Et comme chacun sait, leur argumentation le trahit, avec son mixte inimitable de bon sens prudhomesque et d'arguments d'autorité.

Et Bitcoin ? Eh bien le Crédit Mutuel se classe pratiquement en tête des banques les plus obtuses, dans tous les classements établis, que ce soit par Capital ou par les lecteurs de bitcoin.fr. Et son président, Nicolas Théry, par ailleurs président de la FFB (et ça, ça change tout a-t-on envie d'ajouter en parodiant la publicité) ne s'illustre pas par une bienveillance technologique particulière mais plutôt par sa défense du pré-carré des banques, mutualistes ou pas.

J'ai eu une idée : La Nature a horreur du vide. Avec mes amis du Cercle du Coin, on va tous s'acheter deux ou trois de leurs parts sociales et venir  voter  en faveur de Bitcoin à leur prochaine assemblée croupion de sociétaires potiches.

114 - Avec Snowden

October 10th 2021 at 12:24

Je ne publie ici qu'une traduction, celle d'un article publié le 9 octobre sur son blog par Edward Snowden sous le titre Votre argent ET votre vie, Les monnaies numériques de banques centrales vont rançonner notre avenir.

Nul besoin de souligner qu'il est un homme dont la parole compte.

Compte tenu de la longueur de son texte, bien peu de gens feront réellement l'effort de le lire en anglais même si chacun jurera le contraire, comme on jure n'avoir aucun problème à tenir une réunion de travail en anglais, en plein Paris, dès qu'on a cru devoir inviter un néo-irlandais, et avant que chacun ne bredouille lamentablement.

D'autre part comme la Banque de France ne communique pratiquement plus qu'en anglais, autant en prendre là-aussi le contrepied !

C'est tout ce que j'ai à dire ; la suite (que l'on peut aussi entendre en lecture sur Grand Angle Crypto) est la traduction de son article, avec ses illustrations, sans commentaires de ma part. J'en aurais bien faits quelques-uns, mais marginaux, notamment sur des points de chronologie. D'autre part certains liens sont restés pointés vers des sources en langue anglaise. Tout cela parce que mes journées n'ont que 24 heures.

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Les nouvelles, ou nouvelles, de cette semaine concernant la capacité du Trésor américain, ou sa volonté, ou simplement sa tentation d'essayer un troll : frapper une pièce de monnaie en platine d'un trillion de dollars (1 000 000 000 000 $) afin de repousser la limite de la dette du pays m'ont rappelé d'autres lectures monétaires que j'ai faites cet été sous le dôme de chaleur, lorsqu'il est devenu évident pour beaucoup que le plus grand obstacle à tout nouveau projet de loi sur les infrastructures américaines ne serait pas le plafond de la dette, mais le plancher du Congrès.

Cette lecture, que j'ai effectuée tout en préparant le déjeuner à l'aide de mon infrastructure préférée, savoir l'électricité, était la transcription d'un discours prononcé par un certain Christopher J. Waller, gouverneur fraîchement nommé du 51ème et plus puissant État des États-Unis, la Réserve fédérale.

Le sujet de ce discours ? Les CBDC - qui ne sont malheureusement pas une nouvelle forme de cannabinoïde qui vous aurait échappé, mais plutôt l'acronyme de Central Bank Digital Currencies - le tout dernier danger qui se profile à l'horizon public.

Avant d'aller plus loin, permettez-moi de dire qu'il m'a été difficile de déterminer ce qu'est exactement ce discours - s'il s'agit d'un  minority report  ou simplement d'une tentative de plaire à ses hôtes, l'American Enterprise Institute.

Mais étant donné que Waller, un économiste nommé à la dernière minute par Trump à la Fed, exercera son mandat jusqu'en janvier 2030, nous, lecteurs de midi, pourrions y voir une tentative d'influencer la politique future, et plus précisément d'influencer le  document de discussion de la Fed , tant attendu et toujours à venir - un texte rédigé par un groupe - sur le thème des coûts et des avantages de la création d'une CBDC.

Précisons : sur les coûts et les avantages de la création d'une CBDC américaine, car la Chine en a déjà annoncée une, tout comme une douzaine d'autres pays, dont récemment le Nigeria, qui lancera début octobre l'eNaira.

À ce stade, le lecteur qui n'est pas encore abonné à ce Substack peut se demander ce qu'est une monnaie numérique de banque centrale.

Lecteur, je vais vous le dire ou plutôt je vais vous dire ce qu'une CBDC n'est PAS. Ce n'est PAS, comme Wikipedia pourrait vous le dire, un dollar numérique. Après tout, la plupart des dollars sont déjà numériques, n'existant pas sous la forme d'un objet plié dans votre portefeuille, mais sous la forme d'une entrée dans la base de données d'une banque, interrogée puis restituée fidèlement sur l'écran de votre smartphone.

(notez que dans tous ces exemples, l'argent ne peut vivre autrement que sous la surveillance de la Banque centrale.)

Une monnaie numérique de banque centrale n'est pas davantage une adoption de la cryptomonnaie au niveau de l'État - du moins pas de la cryptomonnaie telle que la comprennent actuellement la plupart des personnes qui l'utilisent dans le monde.

Au lieu de cela, une CBDC est plus proche d'une perversion de la cryptomonnaie, ou du moins des principes et des protocoles fondateurs de la cryptomonnaie : une monnaie cryptofasciste, un jumeau maléfique entré dans les registres le jour opposé, expressément conçu pour refuser à ses utilisateurs la propriété fondamentale de leur argent et pour installer l'État au centre d'intermédiation de chaque transaction.

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Pendant les milliers d'années qui ont précédé l'avènement des CBDC, l'argent - l'unité de compte conceptuelle que nous représentons par des objets généralement physiques et tangibles que nous appelons monnaie - a été principalement incarné sous la forme de pièces frappées dans des métaux précieux. L'adjectif  précieux  - qui fait référence à la limite fondamentale de la disponibilité établie par la difficulté de trouver et d'extraire du sol la marchandise intrinsèquement rare - était important, car tout le monde peut triche : l'acheteur sur le marché peut rogner sa pièce de métal et en remiser les restes, le vendeur sur un marché peut peser la pièce de métal sur des balances déloyales, et le monnayeur de la pièce, qui est généralement le roi, ou l'État, peut abaisser l'aloi du métal de la pièce en y mêlant des matériaux de moindre qualité, sans parler d'autres méthodes comme le seigneuriage.

(Contemplez la loi dans toute sa gloire !)

L'histoire de la banque est, à bien des égards, l'histoire de cette dilution. En effet, les gouvernements ont rapidement découvert que, par le biais d'une simple législation, ils pouvaient déclarer que tout le monde sur leur territoire devait accepter que les pièces de cette année soient égales à celles de l'année précédente, même si les nouvelles pièces contenaient moins d'argent et plus de plomb. Dans de nombreux pays, les peines encourues pour avoir mis en doute ce système, voire pour avoir signalé la falsification, étaient au mieux la saisie des biens, au pire la pendaison, la décapitation ou la mort par le feu.

Dans la Rome impériale, cette dégradation de la monnaie, que l'on pourrait décrire aujourd'hui comme une  innovation financière , allait servir à financer des politiques auparavant inabordables et des guerres éternelles, pour aboutir finalement à la crise du IIIème siècle et à l'Édit de Dioclétien sur le maximum, qui a survécu à l'effondrement de l'économie romaine et de l'empire lui-même d'une manière tout à fait mémorable :

Fatigués de transporter de lourds sacs de dinars et de deniers, les marchands après la crise du troisième siècle, et en particulier les marchands voyageurs, ont imaginé des formes plus symboliques de monnaie, et ont ainsi créé la banque commerciale - la version plébéienne des trésors royaux - dont les premiers instruments et les plus importants furent les billets à ordre institutionnels, qui n'avaient pas de valeur intrinsèque propre mais étaient garantis par une marchandise : il s'agissait de morceaux de parchemin ou de papier qui représentaient le droit d'être échangé contre une certaine quantité d'une monnaie ayant plus ou moins de valeur intrinsèque.

Les régimes qui ont émergé des incendies de Rome ont étendu ce concept pour établir leurs propres monnaies convertibles, et de petits bouts de chiffon ont circulé dans l'économie aux côtés de leurs équivalents en pièces de monnaie de valeur symbolique identique, mais de valeur intrinsèque distincte. En commençant par l'augmentation de l'impression de billets de banque, en continuant par l'annulation du droit de les échanger contre de la monnaie, et en culminant avec la dépréciation de la monnaie elle-même par le zinc et le cuivre, les villes-États et plus tard les États-nations entreprenants ont finalement obtenu ce que notre vieil ami Waller et ses copains de la Fed décriraient généreusement comme une monnaie souveraine  : une belle serviette de table.

(La monnaie souveraine, telle qu'on peut la rencontrer dans l'histoire)

Une fois que la monnaie est comprise de cette manière, il n'y a qu'un pas à franchir entre la serviette de table et le réseau internet. Le principe est le même : le nouveau jeton numérique circule aux côtés de l'ancien jeton physique de plus en plus absent. Au début.

Tout comme le vieux certificat d'argent américain en papier pouvait être échangé contre un dollar d'argent brillant d'une once, le solde de dollars numériques affiché sur l'application bancaire de votre téléphone peut encore être échangé dans une banque commerciale contre une serviette verte imprimée, tant que cette banque reste solvable ou conserve son assurance-dépôt.

Si cette promesse de rachat vous semble un maigre réconfort, vous feriez bien de vous rappeler que la serviette en papier dans votre portefeuille vaut toujours mieux que ce contre quoi vous l'avez échangée : une simple créance sur une serviette en papier pour votre portefeuille. De plus, une fois que cette serviette en papier est bien rangée dans votre sac à main ou votre porte-monnaie, la banque n'a plus le droit de décider, ni même de savoir, comment et où vous l'utilisez. Enfin, la serviette en papier fonctionnera toujours en cas de panne du réseau électrique.

C'est finalement l'accessoire idéal pour le déjeuner de tout lecteur.

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Les partisans des CBDC affirment que ces monnaies strictement centralisées représentent la réalisation d'un étalon nouveau et audacieux - pas un étalon d'or, ni un étalon d'argent, ni même un étalon fondé sur une blockchain, mais quelque chose comme un étalon de feuille de calcul, où chaque dollar émis par une banque centrale est détenu par un compte géré par une banque centrale, enregistré dans un vaste registre d'État qui peut être continuellement examiné et éternellement révisé.

Les partisans de la CBDC affirment que cela rendra les transactions quotidiennes à la fois plus sûres (en éliminant le risque de contrepartie) et plus faciles à taxer (en rendant presque impossible de cacher de l'argent au gouvernement).

Les opposants à la CBDC, cependant, citent ces mêmes prétendues  sécurité  et  facilité  pour affirmer qu'un e-dollar, par exemple, n'est qu'une extension ou une manifestation financière de l'État de surveillance qui ne cesse de s'étendre. Pour ces critiques, la méthode par laquelle cette proposition éradique tant les risques de la faillite que les fraudeurs fiscaux dessine une ligne rouge vif autour son défaut mortel : cela ne se fait qu'au prix de l'installation de l'État, désormais au courant de l'utilisation et de la détention de chaque dollar, au centre de toute interaction monétaire. C'est le modèle chinois, s'écrient les chantres de la serviette en papier. Or en Chine, la nouvelle interdiction du bitcoin ainsi que la mise en circulation du yuan numérique, ont clairement pour but d'accroître la capacité de l'État à servir d'intermédiaire - à s'imposer au milieu de la moindre transaction.

L'intermédiation et son contraire, la désintermédiation, constituent le cœur du sujet, et il est remarquable de constater à quel point le discours de Waller s'appuie sur ces termes, dont les origines ne se trouvent pas dans la politique capitaliste mais, ironiquement, dans la critique marxiste. Ce qu'ils signifient, c'est le point de savoir qui ou quoi se tient entre votre argent et vos intentions à son égard.

Ce que certains économistes ont récemment pris l'habitude d'appeler, avec une emphase péjorative suspecte, les  cryptomonnaies décentralisées  - c'est-à-dire Bitcoin, Ethereum et autres - sont considérées par les banques centrales et commerciales comme de dangereux désintermédiateurs, précisément parce qu'elles ont été conçues pour assurer une protection égale à tous les utilisateurs, sans privilèges spéciaux accordés à l'État.

Cette crypto - dont la technologie même a été créée principalement pour corriger la centralisation qui la menace aujourd'hui - était, est généralement, et devrait être constitutionnellement indifférente à qui la possède et pour quoi faire on l'utilise. Pour les banques traditionnelles, cependant, sans parler des États dotés de monnaies souveraines, c'est inacceptable : ces concurrents cryptographiques représentent une perturbation historique, promettant la possibilité de stocker et de déplacer une valeur vérifiable indépendamment de l'approbation de l'État, et plaçant ainsi leurs utilisateurs hors de portée de Rome. L'opposition à un tel libre-échange est trop souvent dissimulée sous un vernis de préoccupation paternaliste, l'État affirmant qu'en l'absence de sa propre intermédiation affectueuse, le marché se transformera inévitablement en tripots illégaux et en repaires de chair où règnent la fraude fiscale, le trafic de drogue et le trafic d'armes.

Il est toutefois difficile de soutenir cette affirmation lorsque, selon nul autre que le Bureau du financement du terrorisme et des crimes financiers du Département du Trésor américain,  bien que les monnaies virtuelles soient utilisées pour des transactions illicites, le volume est faible par rapport au volume d'activités illicites réalisées par le biais des services financiers traditionnels .

Les services financiers traditionnels, bien sûr, étant le visage et la définition même de l'intermédiation - des services qui cherchent à extraire pour eux-mêmes une partie de chacun de nos échanges.

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Ce qui nous ramène à Waller, que l'on pourrait qualifier d'anti-désintermédiateur, de défenseur du système bancaire commercial et de ses services qui stockent et investissent (et souvent perdent) l'argent que le système bancaire central américain, la Fed, décide d'imprimer (souvent au milieu de la nuit).

(Vous seriez surpris de savoir combien de faiseurs d'opinion sont prêts à admettre publiquement qu'ils ne peuvent pas faire la différence entre un tour de passe-passe comptable et l'impression de monnaie.)

Et pourtant, j'admets que je trouve toujours ses remarques fascinantes, principalement parce que je rejette son raisonnement mais que je suis d'accord avec ses conclusions.

L'opinion de Waller, ainsi que la mienne, est que les États-Unis n'ont pas besoin de développer leur propre CBDC. Pourtant, si Waller pense que les États-Unis n'ont pas besoin d'une CBDC parce que leur secteur bancaire commercial est déjà robuste, je pense que les États-Unis n'ont pas besoin d'une CBDC malgré les banques, dont les activités sont, à mon avis, presque toutes mieux et plus équitablement accomplies de nos jours par l'écosystème robuste, diversifié et durable des crypto-monnaies non étatiques (traduction : crypto ordinaire).

Je risque de perdre fort peu de lecteurs en affirmant que le secteur bancaire commercial n'est pas, comme l'affirme Waller, la solution, mais en fait le problème - une industrie parasite et totalement inefficace qui s'est attaquée à ses clients en toute impunité, soutenue par des renflouements réguliers de la Fed, grâce à la fiction douteuse qu'elle est  trop grosse pour faire faillite .

Mais même si le complexe industriel bancaire s'est agrandi, son utilité a diminué, surtout par rapport à la cryptomonnaie. Autrefois, les banques commerciales étaient les seules à sécuriser les transactions risquées, en assurant le dépôt fiduciaire et la réversibilité. De même, le crédit et l'investissement n'étaient pas disponibles, et peut-être même inimaginables, sans elle. Aujourd'hui, vous pouvez profiter de tout cela en trois clics.

Pourtant, les banques ont un rôle plus ancien. Depuis la création de la banque commerciale, ou du moins depuis sa capitalisation par la banque centrale, la fonction la plus importante du secteur a été le mouvement de l'argent, remplissant la promesse de ces anciens billets à ordre en permettant leur remboursement dans différentes villes ou dans différents pays, et en permettant tant aux détenteurs qu'aux payeurs de ces billets d'effectuer des transactions en leur nom et au nom d'autres personnes sur des distances similaires.

Pendant la majeure partie de l'histoire, le déplacement de l'argent de cette manière nécessitait son stockage en grande quantité - ce qui nécessitait la sécurité concrète des coffres et des gardes. Mais à mesure que l'argent intrinsèquement précieux a cédé la place à nos petites serviettes de table, et que les serviettes de table cèdent la place à leurs équivalents numériques intangibles, cela a changé.

Aujourd'hui, cependant, il n'y a pas grand-chose dans les coffres. Si vous entrez dans une banque, même sans masque sur le visage, et que vous tentez un retrait important, on vous dira presque toujours de revenir mercredi prochain, car la monnaie physique que vous demandez doit être commandée auprès de la rare succursale ou réserve qui en dispose. Quant au gardien, malgré la place mythologique qu'il occupe dans vos représentations avec le granit et le marbre qu'il arpente, ce n'est plus qu'un vieil homme aux pieds fatigués, trop peu payé pour utiliser l'arme qu'il porte.

Voilà à quoi les banques commerciales ont été réduites : des services intermédiaires de commande d'argent qui profitent des pénalités et des frais, sous la protection de votre grand-père.

En somme, dans une société de plus en plus numérique, il n'y a pratiquement rien qu'une banque puisse faire pour donner accès à vos actifs et les protéger qu'un algorithme ne puisse reproduire et améliorer, si ce n'est qu'à l'approche de Noël, les cryptomonnaies ne distribuent pas des petits calendriers de bureau.

Mais revenons à l'agent de sécurité de la banque, qui, après avoir aidé à fermer la banque pour la journée, va probablement exercer un deuxième emploi, pour joindre les deux bouts - dans une station-service, par exemple.

Une CBDC lui sera-t-elle utile ? Un e-dollar améliorera-t-il sa vie, plus qu'un dollar en espèces, ou qu'un équivalent en bitcoin, ou en un stablecoin, ou même en un stablecoin assuré par la Federal Deposit Insurance Corp ?

Disons que son médecin lui a dit que la nature sédentaire de son travail à la banque a eu un impact sur sa santé et a contribué à une dangereuse prise de poids. Notre gardien doit réduire sa consommation de sucre, et sa compagnie d'assurance privée - avec laquelle il a été publiquement mandaté pour traiter - commence maintenant à suivre son état prédiabétique et transmet des données sur cet état aux systèmes qui contrôlent son portefeuille CBDC, de sorte que la prochaine fois qu'il va à l'épicerie et essaie d'acheter des bonbons, il est rejeté - il ne peut pas - son portefeuille refuse tout simplement de payer, même si son intention était d'acheter ces bonbons pour sa petite-fille.

Ou bien, disons que l'un de ses e-dollars, qu'il a reçu en guise de pourboire à son travail dans une station-service, est ensuite enregistré par une autorité centrale comme ayant été utilisé, par son précédent détenteur, pour effectuer une transaction suspecte, qu'il s'agisse d'un trafic de drogue ou d'un don à une organisation caritative totalement innocente et, en fait, totalement favorable à la vie, opérant dans un pays étranger jugé hostile à la politique étrangère des États-Unis, et qu'il est donc gelé et doit même être confisqué à titre de  geste citoyen . Comment notre gardien assiégé pourra-t-il le récupérer ? Sera-t-il un jour en mesure de prouver que cet e-dollar lui appartient légitimement et d'en reprendre possession, et combien cette preuve lui coûtera-t-elle en fin de compte ?

Notre gardien gagne sa vie avec son travail, il la gagne avec son corps, et pourtant, lorsque ce corps tombera inévitablement en panne, aura-t-il amassé suffisamment d'argent pour prendre une retraite confortable ? Et si ce n'est pas le cas, pourra-t-il jamais espérer compter sur la bienveillance de l'État, ou même sur des dispositions adéquates, pour son bien-être, ses soins, sa guérison ?

C'est la question à laquelle j'aimerais que Waller, que la Fed, le Trésor et le reste du gouvernement américain répondent :

De toutes les choses qui pourraient être centralisées et nationalisées dans la vie de ce pauvre homme, est-ce que ce devrait être son argent ?

113 - La rengaine

August 27th 2021 at 09:45

Article de ALL.jpg, août 2021La tribune publiée par Monsieur André Lévy-Lang dans les Échos le 26 août ne se distingue, hélas, que par l'éminente qualité de son rédacteur. Pour le reste, du poncif de Ponzi à la responsabilité environnementale de Bitcoin, c'est un navrant pot-pourri de ce que n'importe qui de mal informé pourrait écrire.

C'est je crois ce décalage, plus que la réfutation des  arguments  qui devrait nous occuper, après lecture de ladite tribune.

Commençons par dire que Monsieur Levy-Lang, qui a présidé à partir de 1990 la Banque Paribas dans laquelle j'étais un modeste cadre jusqu'en 1989, est un homme très respecté et généralement apprécié de ses collaborateurs pour les confidences que j'en ai recueillies. J'ai eu l'honneur d'être assis à sa droite, un jour qu'il dirigeait, comme président du Conseil du Directoire, l'Assemblée Générale de la Compagnie Bancaire, et où je détenais le bulletin de vote de Paribas (48%) parce qu'aucun de nos grands patrons ne désirait ce jour-là participer à une cérémonie où figurerait notre ancien président, logé alors dans le placard doré d'une présidence de Conseil de Surveillance de ladite Compagnie bancaire avant d'aller exercer ses talents l'année suivante au Crédit Lyonnais avec le succès que l'on sait.

A la différence de ce qui se fait sur les réseaux sociaux, je ne me livrerai donc ici à aucune attaque ad hominem et en resterai au sujet : la publication d'informations creuses par un grand patron.

La pyramide de Ponzi est un schéma qu'il est toujours assez facile d'invoquer. Dans l'affaire Madoff, qui reste l'exemple récent le plus stupéfiant d'une authentique mise œuvre de ce schéma, des petits comiques n'ont pas manqué de suggérer que le brillant financier avait dû s'inspirer de la Sécurité Sociale. Ce qui n'est pas entièrement faux.

On peut aussi pousser la clameur de Ponzi dès qu'un actif n'est liquide qu'à la condition de trouver un acheteur pour en décoller le détenteur précédent. Bref conforme à une célèbre définition donnée par Coluche dans son sketch L'Autostoppeur. A ce niveau, sauf la détention de monnaie liquide, tout devient suspect. Tout marché secondaire peut plus moins être caractérisé comme un Ponzi, et le progrès intellectuel réalisé est bien mince !

Entre deux tulipes (que Monsieur Lévy-Lang a eu le mérite d'éviter jusque-là) la clameur de Ponzi a donc retenti tellement souvent pour Bitcoin que l'on doit aborder les choses frontalement : Bitcoin est-il, ou non, un schéma de Ponzi ?

En 2018, à l'occasion d'un meet-up du Cercle du Coin, nous avions entrepris de poser la question, non à un imprécateur ou à un polémiste, mais à un mathématicien qui avait justement travaillé sur la question : Monsieur Marc Artzrouni, de l'Université de Pau, référencé sur l'article Ponzi de Wikipediaet auteur d'une étude universitaire publiée en 2009, The mathematics of Ponzi schemes.

Il se trouve que le professeur Artzrouni n'était guère un fanatique de Bitcoin. Mais au Cercle du Coin ce genre de détail n'a jamais empêché ni l'échange, ni le moment convivial qui s'ensuit. Sa conférence n'en fut donc que plus stimulante et instructive Mais sa conclusion était nette : Bitcoin a peut-être tous les torts du monde, dont selon lui de permettre la mise en oeuvre de certains schémas de Ponzi, mais ce n'est pas lui-même intrinsèquement un schéma de Ponzi.


Au fait, M. Lévy-Lang le sait fort bien. Il restreint donc la ponzitude de Bitcoin à son absence supposée de toute réalité économique ce qui entre nous soit dit s'appliquerait assez bien au marché de l'art, puis il se lance dans des explications tellement grossièrement erronées sur l'explication de la hausse du cours que, chez un homme aussi sérieux, il faut bien admettre qu'il se moque parfaitement d'avoir raison ou non, d'autant que sa position sociale le dispense d'avoir à se justifier.

Ce n'est pas son niveau de compréhension qui est en cause, mais seulement son niveau d'information.

Mais comme son explication semble conduire à l'idée que la chose pourrait perdurer, il lui faut bien trouver un horizon catastrophique. C'est là que le bât blesse. Les Ponzi ne meurent qu'une fois; Bitcoin meurt tout le temps mais ses plus bas s'établissent, d'année en année, toujours plus haut.

On pourrait dire, après un apéritif entre adeptes de la cryptomonnaie, que Bitcoin montera jusqu'à la fin du minage, graphique stf à l'appui. Ou jusqu'à son adoption universelle, dans une perspective millénariste. Ou bien encore jusqu'à la colonisation de la Lune. Le choix est vaste. Mais l'auteur a décidé de frapper fort : l'Apocalypse et ses cavaliers...

Ce qui est amusant, ici, c'est le retournement dialectique. Jusqu'à présent on nous a dit que Bitcoin, qui fait bouillir un lac américain et va consommer toute l'électricité produite (en 2020, du moins Newsweek l'avait-il annoncé en 2017), sera responsable de la fin du monde. M. Lévy-Lang retourne le schéma pour trouver sa chute : la fin du monde provoquera la baisse du cours de Bitcoin. Non point parce qu'on aura d'autres soucis (croûter, se planquer etc) mais parce que le temps de validation augmentera ! Derechef, le médiocre niveau d'information de l'auteur est emblématique ; il est en soi l'information contenue dans sa tribune.

Notez que l'ordinateur quantique est lui-aussi régulièrement annoncé comme devant être fatal à Bitcoin, comme si son avènement ne devait pas mettre bien d'autres choses à genoux. Bref Bitcoin ne résistant ni au Covid ni à l'hiver nucléaire, mieux vaut placer son argent sur un livret bancaire, qui lui, résiste à tout sauf au ridicule.

merci Alexis !

Alors que le cours du jeton de Bitcoin dépasse celui du lingot d'or, il demeure socialement permis (M. Lévy-Lang étant par ailleurs président du Conseil de Surveillance du journal dans lequel il s'exprime, la chose doit même lui être particulièrement aisée) de proférer au sujet de Bitcoin des approximations désinvoltes et de livrer au public ce qui ne devrait être que des propos de bistrot.

Quousque tandem ? Je crains qu'il ne soit plus aisé de prévoir l'évolution du cours que celle de l'opinion de nos élites. Sauf à remarquer que le swing a probablement commencé outre Atlantique, et que nous sommes en France, une fois encore, derrière une ligne Maginot de petits papiers et de bons mots.

112 - Salvador, « to the moon »?

July 25th 2021 at 10:00

(pour Emmanuel)

Bitcoin est-il un objet religieux ?

Telle était la question qui m'était posée dans le récent podcast que j'ai enregistré avec mon ami Emmanuel dans Parlons Bitcoin. On le trouvera en ligne en deux épisodes (* liens en bas de billet) et je ne vais pas le reprendre intégralement ici, mais seulement citer une ou deux idées, après avoir révélé ce qui m'est venu à l'esprit depuis. Car oui  l'esprit souffle où il veut (Jean 8, 8) mais chez moi surtout quand il veut c'est à dire souvent... après-coup.

Or donc, voici ce que j'ai trouvé en ligne : une image qui m'a paru véritablement prodigieuse.

Pourquoi cette image si simple m'a-t-elle interpelé ?

Parce que le minuscule point orange, dont on ne distingue pas même la couleur, mais seulement l'éclat dans la nuit, m'a fait instantanément songer à la prophétie poétique du 9ème chapitre du livre d'Isaïe :

Le peuple qui marchait dans les ténèbres a vu se lever une grande lumière ; et sur les habitants du pays de l’ombre, une lumière a resplendi.

L'ensemble de ce poème biblique célèbre la fin de Babylone, figure de l'oppression, et la naissance d'un prince libérateur. Il ressemble à un chant de couronnement royal, dans la ligne du Psaume 2, mais aussi d'une importante littérature pharaonique, ce qui ne saurait me laisser indifférent. Pour les chrétiens, dont l'iconographie préfère d'ailleurs une petite lumière, comme celle de la crèche, il a clairement été interprété comme l'annonce du Sauveur.

Et c'est à ce point précis que l'arc s'est formé dans mon esprit : le Sauveur, Salvador : il est prophétique que ce petit pays, généralement peu exposé à l'attention de la foule, soit le premier à tenter (non sans mal) d'adopter Bitcoin. Décidément, oui, on a affaire à quelque chose de religieux, peut-être de mystique.

J'ai repensé alors à certaines choses que j'avais dites lors de cette conversation enregistrée avec cet ami qui, signe du Ciel ou non, s'appelle... Emmanuel !

Nous avions parlé d'abord de ce qui donne à la révélation de Bitcoin un aspect religieux (rites, vocabulaire, mantras, traditions) voire sectaire. Mon ami Yorick de Mombynes s'était déjà exprimé sur cet aspect (**).

Mais il y a au-delà, lui disais-je, des choses plus profondes qui font qu'il est effectivement de nature religieuse. Et je distinguais ce qui fait que Bitcoin intègre une dimension affective forte, et ce qui fait de lui un ferment de renaissance, l'annonce d'un monde nouveau.

Bitcoin emmène to the moon, il rend heureux.

Quand bien même ce serait une monnaie inutile dans le temps présent, comme les officiels tentent péniblement de nous en convaincre, elle est peut-être utile après les royaumes de ce monde, ou sur Mars ?

Or l'expression latine Salvator Mundi désigne une représentation iconographique précise du Christ, celle où il tient dans sa main l'orbe, ce globe surmonté d'une croix qui figure non pas la terre mais la voûte céleste. La fameuse expression urbi et orbi que l'on traduit par  à la Ville et au Monde  devrait plutôt me semble-t-il être traduite par  à la Cité terrestre et à l'Univers .

L'un des monuments emblématiques de la capitale du Salvador est la statue du Divino Salvador del Mundo dont la photographie les nuits de pleine lune révèle le sens cosmique. Le Sauveur, pieds en terre pointe alors to the moon, faisant ainsi le lien avec la sphère céleste et l'au-delà.

To the moon semble de prime abord un slogan technologique, le cri que l'on peut prêter au professeur Tournesol comme aux Richard Branson, Jeff Bezos et Elon Musk du jour. Mais comme je l'ai déjà noté dans un billet consacré à l'Immortel, l'irruption de la cryptographie, de ses monnaies et de ses échanges décentralisés s'inscrit autant dans cet impetus technologique un peu prométhéen que dans un bouillonnement moral, politique et parfois religieux qu'il est plus difficile de cerner.

Il y a aussi une dimension de Renaissance dans Bitcoin.

Cette dimension pourrait conduire à l'inscrire entièrement dans le courant qui va depuis l'Humanisme renaissant jusqu'aux Lumières, puis à la Révolution et à une modernité fondamentalement a-religieuse. C'est évident et je ne nie pas que de nombreux bitcoineurs soient comme le célèbre Laplace qui, interrogé sur la place de Dieu dans son système, assurait ne pas avoir besoin de cette hypothèse . Mais ceci ne contredit pas l'existence d'une autre sensibilité et surtout d'une autre grille de lecture.

To the moon évoque pour moi la phrase de Michel-Ange, prévenant que Il più grande pericolo per noi non è che miriamo troppo in alto e non riusciamo a raggiungere il nostro obiettivo ma che miriamo troppo in basso e lo raggiungiamo . Le plus grand danger pour nous n’est pas que notre but soit trop élevé et que nous le manquions, mais qu’il soit trop bas et que nous l’atteignons. Je ne cite évidemment pas Michel-Ange (si cette phrase est bien de lui !) par hasard, et je ne pense pas non plus que ce soit par le seul hasard de la découverte d'un livre dans les débarras d'une ancienne fonderie d'or que l'artiste Pascal Boyart ait eu la révélation de ce qu'il devait y peindre.

Que dit sa Sixtine, joliment baptisée « des bas-fonds » ? Qu'il y a un Jugement au moment de la fin d'un monde. Il suffit d'admirer les détails par lesquels - toujours avec tact et respect - il renouvèle, subvertit et actualise l'oeuvre originale pour voir ce qui est jugé et condamné.

Le Jugement n'est pas l'expression d'une opinion (la fameuse intime conviction des Assises) c'est le tri de ce que l'on peut nommer le bien et le mal, le tri de ce qui est vrai et de ce qui est faux. L'artiste a donné au  charlatan  un visage qui évoque furieusement un chef d'État considéré comme le plus menteur de son temps, inventeur d'une forme de monnaie dont le rapport à la vérité reste toujours problématique. Monnaie que sa précédente fresque, consacrée au désastre de la Méduse, évoquait déjà crument.


Il y a un monde nouveau.

Le Christ dévoilé le 1er novembre 1541 était beau comme un dieu mais fort comme un lutteur. L'ensemble de l'œuvre scandalisa les uns (n'aurait-elle pas sa place dans un bordel mieux que dans une église ?) et apparut à d'autres comme ce que l'historien contemporain Paul Ardenne appelle  une machine de guerre contre la tiédeur de la foi .

Avec ses corps majoritairement masculins et intégralement dénudés, auxquels Pascal Boyart a d'ailleurs restitué leurs attributs virils d'origine, la fresque de Michel-Ange marquait un retour platonicien : beauté, force et bonté comme reflets du vrai. Or qu'il le sache ou non, le bitcoineur est platonicien, et en tout cas il est fatigué de la pénible scolastique  aristotélicienne sur la monnaie et ses fonctions que lui infligent les banquiers et leurs économistes.

La prophétie d'Isaïe, que l'image du Salvador brillant dans la nuit m'a remise à l'esprit, décrit par ailleurs ce qu'est une force de libération. C'est ce qu'énonce son verset 4 : le joug qui pesait sur lui, le bâton qui frappait son dos, la verge de celui qui l'opprimait, Tu les brises . Bitcoin est lui-aussi annoncé comme un facteur de libération et même de salut par ses adeptes.

C'est pour moi - et je crois que c'est un point essentiel - cette dimension dite sotériologique et non pas sa prétendue complexité qui rend Bitcoin incompréhensible à ceux qui pensent que  c'est une folie complète, ce truc .

Car Bitcoin est comme un scandale pour les grands-prêtres bancaires et une folie pour les philosophes de la monnaie légale (voyez 1 Corinthiens 1:23). Et la bronca contre le petit Salvador de tous les patrons de la Banque Mondiale ou du FMI qui tonnent, menacent ou insinuent, n'est-ce pas ce qu'on trouve dans le Psaume 2 : Pourquoi les rois de la terre se soulèvent-ils ?

Je songeais à tout cela quand j'ai vu le président Bukele expliquer sa loi lors d'une longue présentation à la télévision nationale (***). Séquence plutôt impressionnante. Et devant qui s'exprime-t-il ? Devant le portrait de Monseigneur Romero, récemment canonisé. Pourquoi ? je vous le demande ...

Il faut toutefois se montrer très prudent. Comme je le disais vers la fin du podcast, quand on a dit que Bitcoin intégrait une dimension religieuse, on n'a pas encore dit quel pouvait bien être son dieu. Démiurgique et prométhéen dans son ambition initiale, Bitcoin est guetté par des dangers eux-aussi religieux : l'adoration du Veau d'or, bien sûr, mais aussi le pacte constantinien. Comme au début du quatrième siècle, quand le christianisme, longtemps combattu par l'empire, en devient la religion officielle.

L'aventure au Salvador n'est pas sans péril, pour tout le monde. Autant prévenir, urbi et orbi.

Podcasts et vidéos

(*) Mon podcast avec Emmanuel a été diffusé en deux épisodes, le premier pour passer en revue ce qui donne à Bitcoin une allure religieuse, le second pour chercher ce qui dans Bitcoin a une réelle dimension religieuse.
(**) L'interview de Yorick sur la dimension religieuse de Bitcoin.
(***) Le discours du président du Salvador.
(****) Je cite in fine pour ne pas interrompre la lecture, mais ce film mérite vraiment l'attention :

111 - Napoléon et « nous »

May 9th 2021 at 10:41

Je ne vais pas aborder ici le napoléon (petit n) qui reste encore aujourd'hui un honnête refuge contre l'inflation pour bourgeois boomers, mais un peu l'autre legs financier de Napoléon Bonaparte, la Banque de France, et un peu aussi l'incapacité de penser par manque de toute « culture » historique qui caractérise tragiquement tout ce qui aujourd'hui « fait l'opinion ».

Pour qui a bénéficié d'une formation historique un tant soit peu sérieuse, l'épisode napoléonien que nous venons de traverser a été éprouvant mais instructif. J'ai déjà dénoncé dans un billet consacré aux histoires des économistes les impostures d'une profession qui se croit habilitée à nous raconter, à travers l'histoire, ce que nous sommes, ce que nous devons être, ce qui a toujours été et doit continuer d'être.

Que dire quand s'y mettent aussi des politiciens formés aux fiches de culture générale de leur prépa à l'ENA, des éditorialistes ivres de parlote, des blogueurs recopiant de fausses citations trouvées en ligne et des copains informés par les controverses elles-mêmes plus que par des lectures universitaires ?

Au-delà de toute opinion (ou information) personnelle sur un homme qui, parce qu'il était un être d'exception placé dans des conditions exceptionnelles il y a 200 ans, ne peut par définition pas nous enseigner quoi faire ou quoi penser au jour le jour, j'avoue m'être souvent amusé de voir combien ce qui se disait de lui parlait en réalité de nous : de notre république qui serait miraculeusement étrangère à toutes les vilenies de jadis, de notre pays où des gouvernants bien moins exceptionnels qu'ils ne le croient continuent de justifier par notre histoire le plaisir qu'ils prennent à coucher dans son lit.

Révélateurs du faible niveau d'information historique autant que de cette confusion des plans, deux procédés rhétoriques doivent être médités, voire appliqués entre nous à l'histoire de la monnaie :

  1. « et ça a duré jusqu’en… ».
  2. « on ne nous l’a jamais dit, mais ».

Le scandale de la durée

Bonaparte a rétabli l'esclavage et je ne dirai rien de ce scandale qui a quand même « duré jusqu’en 1848 ». D'autres choix, moins révoltants, ont pesé plus longtemps encore. Ainsi le même homme a dans la pratique supprimé la liberté de divorce par consentement instauré par la République. On peut pinailler à la marge, mais quand on dit que ce scandale « a duré jusqu’en 1975 » ne voit-on pas ce que cela signifie : que huit régimes successifs (dont trois républiques) ont vécu avec, alors que ni le despotisme napoléonien, ni son machisme méditerranéen, ni le prestige de ses victoires ne pesaient plus sur les décisions des petits hommes qui lui avaient succédé. De même si les dames ne votaient point à la Belle Époque, ce n'est pas la faute à Napoléon.

Est-ce qu'incriminer Napoléon du malheur des femmes (et des couples) durant 175 ans n'est pas une façon paresseuse et complaisante de ne rien dire de notre façon de nous (laisser) gouverner ?

Que Napoléon ait exercé en son temps une forme de dictature ne nous exonère pas, pour le dire plus crument, de nos dégoutantes et persistantes servitudes volontaires.

Le scandale du secret

Certes l'histoire progresse comme savoir accumulé et elle épouse pour cela le cours sinueux des problématiques propres à chaque époque. La polémique aussi, qui prétend juger l'histoire depuis une sorte d'Olympe morale, évolue et mute avec le temps :  bien peu de gens reprochaient à Napoléon le rétablissement de l'esclavage il y a 200 ans, et c'est un progrès de le faire, mais nul ne semble plus lui reprocher en 2021 l'enlèvement et l'exécution du duc d'Enghien alors que cela a traumatisé une partie de l'opinion et rempli des pages et des pages de critique dans toute l'Europe jadis.

Mais qu'un fait soit mis en exergue ou au contraire placé sous le boisseau, il reste quand même assez peu de secrets sur cet homme-là, sauf ceux que l'on invente pour faire vendre ou pour faire frémir. On s'étonnera donc de voir un homme que par ailleurs j'estime plutôt, comme Daniel Schneidermann, écrire sur son blog de pareilles bêtises :

Des pans entiers de l'histoire napoléonienne sont encore en quasi-friche. Ainsi de cet autre "grand monument" des années du Consulat : la Banque de France. En voilà, une création magnifique, indispensable instrument de la souveraineté monétaire, qui a survécu aux siècles ! Mais qui sait que l'institution, créée en 1800, est à l'origine une banque privée, dont Bonaparte et sa famille (sa mère Letizia, sa femme Joséphine, son frère Jérôme, etc) étaient les principaux actionnaires, et qui semble avoir été un investissement très fructueux ?

Franchement, s'il l'ignorait, j'ai un peu de peine pour lui. Il aurait pu lire un des nombreux ouvrages consacrés à Napoléon et à l'argent (l'édition du Napoléon de Jean Tulard donne de nombreuses références utiles).

Lui-même cite un résumé de la question, publié il y a... 6 ans sur le fort libéral site Contrepoints et qui mentionne la chose.

Si jamais la chose fut secrète, elle ne l'est plus depuis les sorties fracassantes de Daladier en 1934 sur les 200 familles. Il est vrai que parler des « 200 familles » vous ferait tout de suite ranger dans la rubrique populisme voire complotisme. La presse, comme on sait, est en France aussi indépendante des intérêts économiques que tout le reste : il y a donc les controverses qui lui vont et celles qu'elle contourne.

Oui, la Banque de France est née comme une banque privée, mais que peut-on en dire aujourd'hui ?

Les autres banques centrales qui pouvaient servir de modèle, celle de Suède ou celle d'Angleterre, étaient nées privées elles-aussi ! Et « ça a duré jusqu’en » 1936 en France, à une époque où l'autoritarisme napoléonien avait quelque peu faibli.

Abeilles sur le manteau ou pas, aigles sur les drapeaux ou pas, les Banquiers Centraux ont-ils jamais été autre chose que les régulateurs, et parfois les parrains, d'intérêts privés ? C'est donc toujours avec un petit hoquet que j'entends dénoncer Bitcoin comme « monnaie privée ».

La BCE d'aujourd'hui est bien plus indépendante des pouvoirs politiques que ne l'étaient les régents de la Banque de France, l'empereur lui-même et sa famille n'en ayant jamais étés actionnaires majoritaires, mais, actionnariat privé ou pas, est-elle plus indépendante des intérêts privés ? L'indépendance des banques centrales, qui est un pur dogme religieux, ne s'entend pas forcément de tous les pouvoirs et n'assure en rien leur dévouement au bien commun.

Et que dire de la FED, quand la plus puissante des 12 banques centrales régionales, celle de New York, est détenue en majorité par Citigroup (42,8 %) et JP Morgan (29,5 %) ?

Pas une parlote sur la monnaie qui ne rappelle sa dimension presque mystique, souveraine, régalienne... un peu de in God we trust par-ci, un peu de pacte républicain par-là. On rappelle bien moins souvent qu'il ne s'agit parfois que d'un vernis, même si Morgan elle-même a jadis battu monnaie. Si la BoE est entièrement détenue par le Trésor, le capital de la BNS est largement privé.

Quand Barak Obama écrit « inutile de se dissimuler l'évidence : les premiers responsables des malheurs économiques du pays sont restés fabuleusement riches » et ajoute qu'il ne pouvait rien faire parce que les banquiers tenaient l'économie en otage et s'étaient munis de ceinture d'explosifs ; quand on voit qui, chez nous, rédige les rapports sur la réforme des banques, et comment se fait la circulation des dirigeants entre banques privées, banques centrales et organes gouvernementaux... est-il bien raisonnable de chercher des poux dans les lauriers de Napoléon ?

Et donc...

Un jour ou l'autre je parlerai de la façon dont le créateur de la Banque de France fabriquait (aussi) de la vraie fausse monnaie, par millions. Mais pour le moment, l'enseignement le plus réjouissant de tout cela, c'est que la perméabilité des banques centrales (en commençant la FED) aux desiderata des banques commerciales ne joue pas forcément... contre Bitcoin.

Normalement un article sur l'empereur commence par une fausse citation, venant au mieux de Balzac, au pire de libelles royalistes, et parfois de romans américains. Je vais inverser le procédé et finir par une citation connue (mais fausse, bien sûr) sourcée en page 48 du célèbre Manuscrit venu de Sainte-Hélène.

Satoshi demandant à Napoléon ce qu'il pensait de la preuve de travail, celui-ci la déclara bien plus crédible que toutes les alternatives, car il n'y a dans la force ni erreur , ni illusion ; c'est le vrai mis à nu.

110 - Manger la grenouille ?

April 24th 2021 at 11:10

Pour Anthony

Un ami qui, sans être une « baleine » crypto ni un « pigeon » ébloui par les nouvelles technologies, me lit tout de même à l'occasion, a réagi à l'image du passe-boule turc qui ornait mon précédent article en me demandant comment on pourrait bien jouer avec un bitcoin au jeu très populaire dans sa Picardie et que l'on nomme « le jeu de la grenouille ».

Voyant dans cette question pratique un signe tangible de basculement de l'opinion (enfin des questions concrètes, appelant des réponses ELI5 comme dirait un autre ami, militaire celui-là) je me suis mis immédiatement à penser à la grenouille.

Il semble que le jeu de la grenouille soit né dans les guinguettes parisiennes avant la révolution. Il se serait ensuite répandu notamment dans le Nord (mon ami est chti donc il dit que c'est un jeu picard) et un peu partout dans le monde, dans sa forme originale, ou sous la forme de « jeu du tonneau » qui est un bricolage pour ceux qui ne disposent pas du matériel canonique.

Au fond c'est une variante sophistiquée du jeu de « passe boule » (dont le nom doit dater d'une période où le mot boule n'avait point dévié vers d'autres jeux) car l'idée de base reste de viser avec adresse pour faire passer la chose, boule, palet ou parfois pièce de monnaie. Une tête de turc ou de clown fait l'affaire, mais n'importe quelle gueule ouverte aussi.

La question importante c'est « pourquoi une grenouille ? »

La réponse est évidemment à chercher du côté de l'expression « manger la grenouille » dont ma grand mère usait encore pour dire que quelqu'un mangeait ses économies ou qu'un commerçant travaillait à perte. Le lecteur note que j'oblique lentement mais surement vers les questions d'argent : c'est ma vraie nature ...

Il faut donc là aussi revenir un peu avant la Révolution. Avant d'opter pour la forme cochon (cf. mon sous-entendu graveleux précédent) les tire-lires avaient la forme de ces petits batraciens, qui, telles vos économies, préfèrent se cacher, mais auxquels vous ne pouvez vous empêchez de songer la nuit en les entendant coasser dans vos rêves...

On introduisait la pièce destinée à la thésaurisation par la bouche, ici à peine entrouverte, car l'épargne n'est pas un jeu d'adresse. On trouve des modèles en fonte, en barbotine ou en porcelaine. La pièce se glisse parfois dans le dos de l'animal, qui n'apparait à l'occasion qu'à titre de décor sur des tire-lires aux formes les plus diverses.

Que peut bien évoquer la grenouille de ces tire-lires ?

La grenouille est présente dans de nombreuses traditions, généralement associée à l’élément liquide. Son cycle naturel offre aussi une dimension symbolique liée aux changements d'états, aux transformations, mais aussi au caractère transitoire des choses et de la vie. Toutes choses que (nos ancêtres y pensaient-ils ?) l'on retrouve autour de la notion d'équivalent général du cash.

Mais la capacité du petit amphibien à passer de l'élément terrestre à l'élément liquide me parait également riche d'enseignements et je laisse chacun y songer en pensant à son petit pécule.

Si le mot tire-lire semble attesté dès le moyen-âge, la chose, sous une forme ou sous une autre, existait du temps des romains mais aussi en Chine, où du temps des Song on l'appelait « pūmǎn », mot chinois s'écrivant 扑满 et signifiant littéralement « frapper-plein » ce qui suggère un fonctionnement universel : on remplit la chose progressivement, et quand elle est pleine, on la casse. Ce qui permet de comprendre l'arrivée du cochon, qui bouffe un peu de tout (l'argent n'ayant point d'odeur) et que l'on engraisse ainsi jusqu'au moment où on le bouffe lui-même.

Et Bitcoin : to the moon ou to the pond ?

La logique rituellement invoquée dans la communauté à l'aide du hashtag #StackSats (voir ici un intéressant fil de discussion sur sa difficile traduction en langue française) est un peu différente de la tire-lire à bouche de grenouille dans sa version ancestrale. Jadis, quand on incitait les petits enfants à épargner, la valeur de la pièce de monnaie n'était pas censée fondre. Les enfants nés à partir de la grande guerre ont trouvé leurs grenouilles décevantes ! En revanche ceux qui auraient reçu leur argent de poche en bitcoin au commencement de la première décennie de notre siècle pourraient trouver la grenouille devenue enfin aussi grosse que le bœuf.

La vraie question reste donc, encore plus que du temps jadis, de savoir quand il convient de manger la grenouille ou de casser la tire-lire.

Bien sûr le solutionniste qui sommeille en chaque geek bondit ici en assurant que Bitcoin offre le moyen miraculeux de s'offrir les fameuses « jouissances de Sardanapale » dont parle le Philosophe, sans pour autant avoir à passer le batracien à la poêle avec la dose d'ail prévue. La « collatéralisation » apparait dans bien des conversations comme la recette miracle : je mets en dépôt ma grenouille pleine de bitcoins, on me prête 80% de sa valeur en euros, et quand je rembourse, on me rend intacte ma grenouille qui, suivant gentiment la courbe de régression logarithmique vaut bien plus qu'au début de l'opération. J'ai joui, je n'ai rien perdu, miracle.

Sauf bien évidemment que si Bitcoin a baissé, fût-ce quelques heures, le prêteur (qu'il s'agisse d'un prêt sur gage ou d'un crédit lombard...) aura fait un appel de marge, ou liquidé une part de votre cagnotte : la grenouille pourrait donc être rendue sans cuisses, voire en bouillie. Parce que l'équilibre final de l'opération magique tient sur la hausse du collatéral, bref de Bitcoin. Et c'est quand même un peu ce qui s'est passé jadis avec les petites maisons dans la prairies américaines, dont la valeur devait monter, monter, monter...

On voit bien que les Pythies bancaires n'osent plus trop entonner l'air des N'y touchez pas. Ceux qui auraient « un peu de lettres et d'esprit » devraient-ils ici citer le roi des rabats-joie ? Bitcoin est-il la « chétive pécore » et ses adeptes de sales petits batraciens coassants ? Je ne le crois pas et à tout prendre c'est plutôt le système légal qui ressemble au bœuf anabolisé. Mais il y a les risques à prendre et ceux à éviter. Transformer ses économies quand elles sont situées dans une autre dimension de l'espace impose sans doute un sacrifice. Manger la grenouille reste effectivement la grande question.

J'arrête ici avec ma morale d'épargnant old school, parce que je sens bien que je vais me faire traiter de vieux crapaud, voire pire. Il n'est pas facile à tenir, le rôle de Tonton Crypto !

D'ailleurs un de mes amis a dit un jour plaisamment que je savais « tout ; sauf les sciences naturelles ».

Je n'ai donc pas les moyens d'apporter ici des réponses, mais seulement de suggérer quelques questions. Celles que soulève ma fable animalière rejoignent d'ailleurs celles qui avaient été tracées dans un billet platonisant, intitulé « céleste monnaie? » et inspiré par la lecture d'un livre de Mark Alizart, philosophe bitcoin-hétérodoxe.

Si l'on poursuit l'hypothèse que, vivant à la charnière de deux milieux, Bitcoin serait une sorte d'amphibien, née sous forme de larve informatique, et progressivement mais partiellement seulement acclimatée dans le monde organique, alors :

  • serait-il un animal à sang froid ? de ceux qui doivent passer la saison d'hiver (et les périodes trop chaudes !) en vie ralentie, dans un terrier, dans la boue ou sous un caillou ? ou dans une caverne ?
  • aurait-il non pas deux mais trois respirations ?
  • connaitrait-il des périodes de mue? La cryptomonnaie serait alors moins une sorte de grenouille qu'une sorte de salamandre. Flippening or not flippening that is the creepy question...
  • possèderait-t-il des glandes à venin ?

Cette dernière question m'amuse beaucoup.

109 - Têtes de turcs

April 17th 2021 at 19:36

Ce billet « sang neuf » pourrait bien ne me faire que peu d'amis. Mais j'y songeais depuis trop longtemps. Et autant prévenir, les têtes de turcs les plus remarquables ne sont pas sur le Bosphore, même si les autorités de ce pays viennent d'interdire Bitcoin pour les paiements, ce qui leur permettra ensuite de dire que Bitcoin ne sert que pour des transactions illicites...

On commencera par un peu d'histoire, pour amuser la galerie, et on finira par un bain de sang quand je daignerai en venir au sujet, dont le sort des crypto-entreprises qui ont eu le tort de penser un temps que l'on pouvait faire quelque chose dans un pays où la fiscalité restait élevée mais justifiée par l'excellence de la « régulation » offerte par un État puissant et éclairé.

Une histoire triste, en fait.

On lit un peu tout sur l'origine de l'expression « tête de turc ».

TetesDeTurc.jpg, avr. 2021Ceux dont la mémoire ne remonte pas trop loin (déjà le 20ème siècle parait si vieux !) la font naître au 19ème, avec les dynamomètres de foire sur lesquels il fallait frapper le plus fort possible et qui représentaient un visage surmonté d'un turban ou d'un tarbouche.

J'y crois moyennement, parce qu'à vrai dire on retrouve beaucoup moins de turcs sur des dynamomètres que sur d'innombrables jeux dits de « passe-boule » comme celui qui orne ce billet, sans compter les décors de manèges et d'attractions les plus diverses.

Mais même en restant au dynamomètre, cela ne résout pas l'énigme, car pourquoi un turc ? Parce qu'il fallait montrer qu'on était « fort comme un turc » selon une expression attestée au 17ème siècle et qui serait peut-être née d'une observation empirique des performances des diverses ethnies enchainées aux bancs des galères. À moins qu'il ne s'agisse d'une appréciation laudative de la « claque ottomane », coup mortel dont les janissaires savaient faire bon usage en utilisant la paume de leur main avec un élan d’épaule pour accentuer la vitesse et la force de la claque, coup toujours désigné comme osmanli tokadi dans les bons manuels.

En remontant d'un siècle, c'est en septembre 1565 que lors du fameux Siège de Malte (île jadis considérée comme place forte inexpugnable et aujourd'hui appréciée de plusieurs amis pour son caractère crypto-friendly) les assaillants Turcs s'étant laissés aller (dit-on, car malgré mon grand âge je n'y étais pas !) à clouer les cadavres des défenseurs d'un fort avancé sur des croix et à les envoyer dans la passe de Malte pour saper le moral des autres défenseurs, le grand maître La Valette répliqua en faisant bombarder les turcs avec des têtes de leurs compatriotes.

Encore un effort et l'on arrive enfin dans les dernières années du 11ème siècle. Je m'arrêterai là, c'est promis, au siège que les Croisés emmenés par Godefroy de Bouillon mirent le 14 mai 1097 devant Nicée.

La ville était majoritairement chrétienne mais occupée pour le compte du Sultan Kilidj Arslan, par une garnison turque qu'il finit par abandonner à son triste sort.

Alors, pour casser le moral de celle-ci, les Croisés envoyèrent à l’aide de catapultes les têtes des soldats turcs morts au combat à l’intérieur de la ville fortifiée. On voit que le procédé s'adapte en fonction de la technologie.

La ville fut prise.

Il existe d'autres têtes de Turcs dans notre histoire : elles vont doucement me ramener à la fâcheuse actualité de la « Crypto Nation » française.

C'était du temps que le mot « turc » désignait, en Europe, à peu près tous les musulmans du bassin méditerranéen et du Proche-Orient.

Il fallait bien traiter, échanger, commercer avec ces Infidèles. La France depuis François Ier était même l'alliée des Ottomans. Mais sans école des « Langues'O » - elle ne sera créée que sous Louis XIV - et sans Google Trad, échanger avec le turcs n'était point donné à tout le monde. Les échanges se faisaient dans la réalité entre des « Turcs de profession » et des « Turcs d'Ambassade ».

Un « Turc de profession » c'est un diplomate adroit et parlant la langue turque, mais c'est le plus souvent un homme plus ou moins français, plus ou moins marchand, plus ou moins fils de son prédécesseur et qui, pour vivre en paix et prospérer chez les Infidèles, s'est converti ou a fait semblant. En face de lui, un « Turc d'Ambassade » c'est un homme plus ou moins turc, arabe, arménien, juif ou grec, plus ou moins marchand et plus ou moins cousin des autres « Turcs » qui fréquentent nos ambassades, imitent les mœurs des roumis et parlent assez le français pour rappeler sans subtilité qu'ils ne sont pas mahométans et qu'on peut donc leur faire confiance. Champagne et petits fours, à défaut des Ferrero Roche d'Or...

Il en était toujours ainsi du temps de Napoléon et... jeune coopérant au Caire, au début des années 1980, je me souviens d'une réunion où sur une dizaine de participants, deux diplomates français, l'un des diplomates égyptiens et le représentant du journal Le Monde étaient tous quatre d'origine maltaise.

Ce qui est essentiel ici c'est que tous ces gens vivent dans le même monde, et qu'aujourd'hui les relations entre la Bitcoinie et la République sont ainsi faites. Juristes d'un côté, régulateurs de l'autre ; régulateurs qui s'en vont dans le privé la semaine suivante, juristes et fiscalistes que la suppression de la régulation ou un taux d'imposition plus modéré mettraient dans la gêne sinon au chômage. De prime abord, cela semble pouvoir faciliter les choses. Mais on juge un arbre à ses fruits...

Les relations entre les bitcoineurs et les autorités ne sont pas systématiquement empreintes de l'hostilité qu'un lecteur de gazettes pourrait imaginer.

Il faut pourtant avouer que ce n'est pas chose facile. Ça tape dur et quand le bitcoineur n'est pas traité de « geek illuminé », de pauvre fou, de crétin inculte (si tant est que l'économie soit une culture), d'escroc ou de financier du crime, il a de la chance. Mais reconnaissons-le, les trolls internets qui remplacent l'argumentation par l'invective sont aussi nombreux de notre côté. Prenez, par exemple, le débat sur l'empreinte écologique du bitcoin : on peut penser que tel ou tel auteur se trompe, on n'est pas obligé de traiter un professeur d'université de « prétendu savant payé par nos impôts », ni un haut fonctionnaire d'énarque sexagénaire. Il vient un moment où les attaques ad hominem s'apparentent au pire au jeu de la « tête de turc », au mieux à celui du « massacre ».

J'ai toujours été attentif, par exemple lors des Repas du Coin qui (jadis!) réunissaient experts, curieux, sceptiques et personnalités venues du monde officiel à ce que règne la courtoisie.

Hélas, même courtoises, les relations ont été largement le fait de Bitcoineurs de profession et de Bitcoineurs d'ambassade ou disons d'une part de juristes, fiscalistes, lobbyistes et affairistes suffisamment frottés de la chose pour pouvoir en parler, souvent fort bien, sinon au milieu des vrais experts, du moins dans la bonne société des rencontres, groupes de travail, colloques et auditions...et d'autre part de jeunes haut-fonctionnaires ou de parlementaires suffisamment instruits pour ne pas confondre crypto et clepto, assez subtils pour se démarquer des usages officiels les plus repoussants pour leurs interlocuteurs, assez hardis pour se rendre à la station F sans gousse d'ail. Le caractère « déconstruit » de ce lieu emblématique cache mal, d'ailleurs, sa nature de joujou de milliardaire. Un lieu de prestige moins guindé que le château Yquem mais où l'on peut aussi accueillir stars et ministres. Une simple mue du capitalisme de connivence...

Entre tout ce beau monde, d'audition en rencontre, on a construit un cadre réglementaire qui devait assurer à la France une position non pas convenable, mais de premier plan, exceptionnelle, dans l'économie qui émergeait à partir de 2014. La France, comme on sait, n'est vraiment elle-même que dans la grandeur...

J'ai commencé à avoir des doutes fin 2018. Toute l'agitation de la loi PACTE n'accouchait que d'un cadre réglementaire pour les ICO, après la vague et avec un label AMF qui ne permettait même pas aux heureux bénéficiaires d'obtenir, comme quelques députés de la majorité l'avaient proposé, un compte en banque à la Caisse des Dépôts. La reculade d'octobre 2018, le porte-parole de la Caisse assurant que ses 6000 employés n'étaient « pas équipés pour gérer ce type de compte » tandis qu'une autre députée, issue du même groupe que les auteurs de l’amendement n°2728, se chargeait de débiter les sottises d'usage est un cas d'école. C'est ici.

Ce début d'année 2021 voit sans doute la coque de la « Blockchain Nation » définitivement atteinte si l'on en juge par le nombre de craquements :

Côté institutions et pouvoirs publics

  1. L'entrée en vigueur de l'obligation pour les prestataires fournissant un service de conservation d'actifs numériques d'obtenir un statut officiel de « PSAN » qui répond largement à la question posée par Charlie Perreau dans le Journal du Net : comment la France a mis à l'arrêt ses start-up cryptos. L'article souligne l'une de nos failles fatales : l'incroyable arrogance des autorités, que n'oseront pas incriminer publiquement les demandeurs du statut ni leurs intermédiaires. Quand l'AMF répond : « la plupart des dossiers présentés aux autorités sont incomplets, tant sur la forme que sur le fond. Sur la forme, la plupart des dossiers remis aux autorités ne comportent pas toutes les pièces requises par la réglementation. Sur le fond, les éléments communiqués ou dispositifs du PSAN présentent régulièrement des lacunes » il ne vient à l'idée de personne dans ce kakfaland que les torts sont au minimum partagés ?
  2. L'attitude de la FBF qui, après avoir participé à un groupe de travail réuni par l'ACPR (avec du bitcoineur de profession) trouve le moyen de se dégager de l'accord final. C'est ici avec en page 25 la liste des participants et en page 26 les protestations de ladite fédération.
  3. L'attitude de la Banque Postale, seule banque publique du classement publié par Bitcoin.fr quant à l'attitude des banques vis à vis des cryptos, qui en occupe désormais l’avant-dernière place. L'attitude grotesque de la CDC en octobre 2018 n'était donc en rien liée aux pitoyables excuses mises alors en avant.
  4. Le décret n° 2021-387 du 2 avril 2021 relatif à la lutte contre l'anonymat des actifs virtuels et renforçant le dispositif national de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme (comme c'est engageant ! pourquoi ne l'ont-ils pas daté de la veille ? ) qui vient rajouter un supplément de sable dans des rouages déjà sérieusement bloqués.

Côté business (si l'on peut dire)

  1. Fleuron de la modernité bancaire, la fameuse « Banque d'en face » dont les petites saynètes publicitaires moquent la navrante stupidité et l’absence de compétences crasses des conseillers de la banque à la papa, trouve le moyen de clôturer le compte d'une des dernières entreprises françaises de vente de cryptoactifs alors même qu'elle vient de réussir à obtenir le statut de PSAN. C'est ici avec un PS pour laisser entendre que grâce à un peu de barouf et à l'intervention du député Pierre Person, la Société Générale étudierait le dossier...
  2. La triste fin de Bitit, après six ans d'activité. Depuis décembre elle attendait son statut PSAN, et n'avait donc pas le droit d'accueillir de nouveaux clients. Fin de partie, après avoir en 6 ans et avec 5 000 € de capital initial et moins de 215 000 € levés servi environ 500 000 clients de plus de 50 pays et traité plus de 230 millions de dollars de transactions... au moment même où l'introduction en bourse de Coinbase montre à quel point la France a raté le coche et signé pour une nouvelle forme de vassalité C'est ici.

Je crois que moi-même, comme plusieurs amis, membres de notre association Le Cercle du Coin, entrepreneurs, blogueurs, auteurs, lobbyistes, juristes, nous aurons fait (le plus souvent bénévolement, face à des mamamouchis bien payés) tout ce qui était possible. Les rencontres, les missions, les rapports n'ont pas servi à grand chose. Les agréments, les statuts, la régulation ont nourri bien des gens mais pas les entreprises, et n'ont servi l'intérêt de la France que dans l'idée que s'en font des fonctionnaires-rentiers-de-la-paperasse à qui leur presse favorite fournit régulièrement de bons arguments pour douter de l'innovation et du rabâchage des théories d'Aglietta et Orléan sur la monnaie comme « fait social total » au pays merveilleux des principes républicains. Je ne veux pas en faire des têtes de turcs, ni me répéter : j'ai déjà dit ce que j'en pensais dans mon billet précédent.

J'ai tôt manifesté un rien de pessimisme (celui qui n'empêche pas de continuer à se battre). Mais je crois maintenant que c'est cause perdue. Comme d'autres (voir ici ce qu'en dit Philippe Honigman, avec le Radeau de la Méduse original en illustration...) je crois que cela renvoie aux précédents échecs français, profondément, sous l'épiderme (dont l'ENA ou ce qui en tiendra lieu demain pourrait être le symbole), sous le derme, dans la viande et dans la moelle.

Il est clair enfin que les pouvoirs publics ont aujourd'hui d'autres priorités, sur lesquelles ils s'estiment prodigieusement efficaces même contre certaines évidences, mais c'est presque tant mieux pour nous.

108 - La monnaie qui n'existait pas mais faisait très peur

April 1st 2021 at 07:00

La lecture du millième papier d'universitaire opportuniste, non-spécialiste venu déposer sa gerbe de tulipes au pied du monument funéraire de Bitcoin (techniquement un « cénotaphe » ) m'a fait souvenir d'une étrange monnaie, qui n'exista jamais mais qui fichait quand même une satanée trouille au « gouvernement légitime ».

On est en 1814. Napoléon est à l'île d'Elbe. Non pas comme prisonnier, mais comme souverain, au termes du Traité dit de Fontainebleau, signé le 11 avril avec les puissances coalisées contre la France.

Or un souverain, normalement, ça a bien le droit de battre monnaie, non ? « C'est même à cela qu'on les reconnait » a-t-on envie d'ajouter en ce jour où les plaisanteries sont (encore) autorisées.

Revenons à l'article, en l'occurrence celui d'un « enseignant chercheur » à l'Université de Pau, publié récemment sous le titre Le Bitcoin ou le vide symbolique.

Pour emballer un bric-à-brac de lieux communs auquel ne manque finalement que la tulipe, son auteur a pensé trouver un angle d'attaque pertinent avec la dimension symbolique et régalienne.

Mais tout le monde n'a pas le talent de Michel Aglietta et André Orleans, dont les thèses visant à établir la monnaie en général (et il faut bien le dire l'euro en particulier, même si c'est le pire exemple possible) comme « fait social total » ont quand même une bonne vingtaine d'années au compteur.

Où sont donc « les mythes, les légendes, les effigies et les images partagées » qui assureraient à l'euro, selon l'oracle de Pau, sa fonction de symbole de « l'inconscient d'une nation » ? Des fenêtres borgnes et des ponts sans rives, voici le rêve des fonctionnaires hors-sol qui nous ont dessiné ce projet totalement et volontairement apolitique. De quelle Nation peut-on ici se prévaloir sans rire ? L'invocation, aussi absurde, n'a ici d'autre but que de critiquer la dimension politique d'un Bitcoin, qui n'aurait pour lui qu'une « communauté sans symbole » !

Vires in nomine ?

En 1814, Napoléon en très mauvaise posture militaire se voit trahi par ses maréchaux, et destitué par le Sénat (des gens qu'il avait nommés...) avant qu'un « gouvernement provisoire » sorti d'une révolution de coulisses ne s'abouche avec les ennemis de la France et que tout ce joli monde ne « restaure » un roi de la famille de Bourbon, auquel manque singulièrement la légitimité si l'on compte pour peu celle que lui donnerait sa seule naissance. Le nouveau roi bat monnaie, à la forme, à la taille et à l'aloi de celle de celui que l'on ne désigne plus que comme « le précédent gouvernement » pour retenir les termes les moins violents.

Seulement le peuple, cet éternel gêneur, ne reconnait point ces symboles « nouveaux » c'est à dire vieillots, désuets, vidés de toute force.

Quant à l'effigie, ce gros homme est vite appelé « le roi cochon » renouant là-aussi avec l'Ancien Régime, puisque ce titre peu flatteur avait servi à son malheureux frère aîné.

Sur son île, Napoléon joue au jardinier, sans doute moins comme un jardinier que comme un acteur. Il rumine. Parmi ses soucis, l'argent est bien présent, mais surtout l'argent qu'il n'a pas. Le seul métal dont il dispose, à Portoferraio, comme le nom l'indique, c'est du fer. Même pas de quoi faire de la fausse monnaie !

Pourtant un bruit se répand : le « souverain de l'île d'Elbe » comme disent alors les diplomates aurait battu monnaie. Cette seule rumeur soulève l'enthousiasme des uns et répand la fureur chez les autres.

Peut-être ne s'agissait-il à l'origine que d'une réaction aux médailles satiriques de Thomas Kettle qui circulèrent dans les fourgons de l'ennemi ramenant le roi qui plaisait aux élites. Il fallait montrer Buonaparte comme l'ami du diable (sulfureux) et bien dire que « ce n'est pas un vrai souverain ».

Bref « n'y touchez pas »...

Seulement on peut inventer tout ce qu'on voudra pour le tourner en ridicule, son seul nom ou sa seule effigie ont plus de poids que tout le reste.

Voici donc ce que redoute tant la police : il circulerait dans le bon pays de France, redevenu un sage royaume, une pièce à l'insolente légende Napoleo imperator et rex, dominus Elbae, ubicumque felix.

« Heureux où qu'il se trouve » est bien la devise adoptée par le souverain de l'île d'Elbe : est-ce une fanfaronnade, ou bien a-t-il caressé quelques semaines, après l'amertume et le break down de Fontainebleau, l'idée raisonnable de souffler un peu et de s'établir noblement mais simplement, comme Cincinnatus jadis et Washington naguère ?

Un rapport en date du 29 juillet 1814 adressé au Roi par le comte Beugnot, directeur général de la police explique la chose : « on prétend qu'il circule dans Paris des pièces de cinq francs frappés à l'île d'Elbe, à l'effigie de Bonaparte. C'est peut-être un faux bruit (...) je fais cependant rechercher ces pièces, pour tâcher de savoir, en cas qu'il en existe, de quelle source elles proviennent ».

Sans plus de fondement, son bulletin du 5 août rapporte que selon la police de Nancy : « il circule dans diverses parties du département de la Meurthe de la monnaie de l'ile d'Elbe que l'on recherche et que l'on s'arrache : ce sont des pièces de 5 francs » ; le 9 août il ajoute les rumeurs qui circulent à Bordeaux sur « sa nouvelle monnaie ». Notez bien que l'on s'arrache !

Le 24 août, on aurait vu la pièce à Saumur. En tout cas on aurait ouï la rumeur et le comte Beugnot court toujours derrière elle : « J'ai cherché, mais sans succès à m'en procurer (...) Voici les faits que j'ai recueillis et qui me paraissent certains. Un chasseur qui avait suivi Napoléon a obtenu congé. En se rendant dans sa famille, il s'est détourné pour voir quelques amis de son corps, et lui a (dit-on) laissé plusieurs de ces pièces. Un particulier de cette ville, parti de Toulon le 18 juillet, assure aussi avoir vu de ces pièces en circulation dans cette ville et à Beaucaire ».

On n'arrive même pas à savoir si ce policier improvisé (dont les compétences étaient d'ailleurs plutôt financières!) croit ou non à ladite rumeur. Le 26 août il semble y accorder foi : « il parait certain que, sur la route de Paris à Bordeaux, des militaires ont fait voir une pièce de quarante francs, présentant d'un côté l'effigie de Bonaparte; de l'autre , un aigle, et pour légende Guerre (sic) à mon réveil. A Strasbourg, à Belfort, des pièces d'or ou d'argent ont aussi été vues. Sur les unes on lit : Son réveil sera terrible ! Sur les autres : Elle se réveillera ! On pourrait en conclure qu'il y a quelques ateliers et quelques fabrications de cette monnaie séditieuse : j'ordonne les plus exactes perquisitions pour s'en assurer ».

Plus il surveille la chose, plus on sent que c'est lui, son roi et son régime sans légitimité qui sont surveillés !

Napoléon te voit.jpeg, avr. 2021

Dans son bulletin du 4 septembre, Beugnot recopie l'alerte reçue du préfet du Gers : « On parle, dans ce département, de nouvelles pièces de monnaie à l'effigie de Bonaparte; mais personne ne déclare en avoir vu. On ajoute qu'il en a été distribué aux militaires. Le préfet s'est aussitôt concerté avec les chefs de corps, et des recherches ont été faites avec soin et n'ont jusqu'ici produit aucune découverte semblable. On serait tenté d'en conclure que c'est un faux bruit ».

Le 13 septembre, Beugnot qui vient d'expliquer au roi que ces monnaies n'existaient pas, se croit néanmoins obligé de citer le préfet de la Gironde : « On a parlé à Bordeaux comme ailleurs de la circulation d'une monnaie venant de l'île d'Elbe et qui ne serait rien moins qu'une sorte de menace et de provocation à l'Europe. Mais personne n'a encore vu ces monnaies. Ainsi il serait bien possible qu'il n'en existât pas ». Mais le lendemain, c'est le préfet du Bas-Rhin qui est cité : « Le préfet annonce que, malgré les espérances qu'on lui avait données, il n'a pu parvenir à se procurer aucune des médailles qu'on disait fabriquées à l'île d'Elbe ; aussi doute-t-il aujourd'hui qu'il en existe. personne ne déclare en avoir vu».

Et c'est là enfin que ce fripon (encore prosterné devant Napoléon quelques semaines plus tôt) en vient à risquer après 6 semaines de délire paranoïaque un début de conclusion raisonnable : « Il semble en effet trop absurde de supposer que dans l'état d'inquiétude où ne peut manquer d'être Bonaparte, il ait la folie de provoquer l'Europe par une sorte d'affiche des projets qu'il nourrit peut-être mais qu'il n'oserait proclamer ».

Ben voilà. Le 1er mars 1815 Napoléon débarque, remonte à Paris sans tirer un coup de feu tandis que le « gouvernement légitime » se réfugie à Bruxelles (euh, non, pardon, c'était tentant: à Gand, donc). En Cent Jours, Napoléon qui n'a bien sûr jamais battu monnaie sur son rocher méditerranéen, eut le temps de reprendre la frappe d'un 5 francs identiques aux précédents.

Ce modèle inchangé depuis des années semblait dire qu'il ne s'était rien passé. Quelques rares exemplaires d'une pièce de 2 F, dues au ciseau du même graveur en fonction depuis 1807, le sieur Pierre-Joseph Tiolier, furent émises, prenant en compte ce qui allait d'ailleurs quelque peu décevoir les parisiens : le grand homme avait grossi et vieilli.

Après Waterloo, pourtant, il continuera d'effrayer, même absent pour toujours. On continuera d'effacer rageusement les aigles, les abeilles, les lettres N.

Naturellement le roi revenu une seconde fois avec les Anglais (qui lui avaient fabriqué quelques pièces à Londres) remis son effigie sur de nouvelles pièces datées de 1815. Que l'on devait d'ailleurs au ciseau de Tiolier. A partir de 1816, on changea cette effigie pour une nouvelle, due à Auguste-François Michaut. Avec un « buste nu » dont je ne sais s'il était subliminal ou pathétique. Quant au monnaie battue à Londres, plusieurs députés et même la Banque de France eurent les yeux qui leur piquaient. On lira leur histoire peu honorable pour « le gouvernement légitime » dans une intéressante étude de la Revue Numismatique : il semble qu'on finit par s'en servir pour payer l'indemnité d'occupation à ceux que le petit peuple appelait narquoisement « nos bons amis les ennemis ».

Bref il est toujours un peu dangereux, pour un gouvernement et ses thuriféraires, d'invoquer des principes creux, ou que les circonstances rendent difficiles à mettre en oeuvre.

Quant à la monnaie séditieuse qui n'a jamais existé que dans les espoirs des uns et les terreurs des autres, des ateliers commerciaux se sont ensuite empressés d'en produire quelques séries, plus ou moins réussies et moins prisées des numismates que des touristes qui visitent la jolie petite île toscane.

Sans doute Napoléon eût-il mieux fait d'y demeurer tranquille ; mais comme disait Kipling « ceci est une autre histoire ».

(merci Pamina pour le dessin et à Jo pour les précisions numismatiques ! )

107 - Ne plus descendre dans l'Arène ?

March 2nd 2021 at 19:00


On a beau faire, on a beau dire, on est toujours surpris par la fabrique de l'opinion.

Dans un pays où la culture mathématique est tellement faible que la seule chose que l'on remarque quand le chef du gouvernement se trompe (ou nous trompe) avec un graphique dont l'axe des abscisses est décalé de 6 jours et celui des ordonnées (*) de 30%, c'est l'inversion du drapeau français sur une slide de son pénible show... il y a peu à espérer des « débats » sur un sujet techniquement complexe, philosophiquement innovant et politiquement radical comme Bitcoin.

La hausse du bitcoin, la bulle du bitcoin, la folie du bitcoin ont ressurgi ces dernières semaines, avec peu de « variants » par rapport à la précédente édition en fin 2017.

En gros, ça donne quelque chose comme ça :


Parce que fondamentalement un « débat » n'est qu'un spectacle qui, ne coûtant rien à produire, occupe l'écran entre deux publicités. Ce n'est pas un exposé, ni une conférence, ni un MOOC. Un universitaire sérieux ne devrait point s'y produire ni un esprit distingué s'y exhiber.

D'autre part la place des monnaies numériques dans le paysage médiatique n'étant pas encore celle du menu sans porc, qui transforme n'importe quelle assemblée de lymphatiques en horde de furieux, ni celle des mérites comparés de l'hydroxychloroquine, de l'ivermectine ou des anticorps monoclonaux pour lesquels il existe déjà des milliers d'experts ennuyeux (à mourir) le spectacle est un peu court.

La « production » charge deux ou trois jeunes filles de trouver des intervenants : elles en trouvent quelques-uns, grâce à Google, auxquels elles signifient qu'ils ont à passer le soir même au studio, et à Paris naturellement. Cela restreint fatalement l'échantillon, mais qu'importe.

La jeune personne m'appelle, m'avoue avec un gloussement irrésistible qu'elle n'y connait rien, me demande le nom d'autres experts qui justement seraient taillables et corvéables à l'instant puisque moi j'entends rester tranquille au vert. Le temps que je les lui fournisse (pas mauvais bougre, dans le fond) une de ses collègues en a trouvé deux ou trois autres, dont un qui a déjà fait le tour de dix autres plateaux pour expliquer que ce n'est pas une monnaie, ce n'est pas une monnaie, ce n'est pas une monnaie.

Arrive le soir ou le lendemain, j'ai le résultat à l'écran. Jamais de quoi regretter d'être dans les gradins plutôt que sur le sable. En 2017, j'avais écrit sur LinkedIn un article que j'avais intitulé La «folie» Bitcoin dans les médias français. Je l'ai re-publié récemment, sans changer trois mots. Je continue de penser qu'il n'est pas très nécessaire de se justifier.

Depuis 2017, certes, les questions se sont faites un peu moins brutales, et on nous épargne le topo sur « la blockchain ». Des gens comme Yves Calvi ou Philippe Soumier proposent même (enfin...) un format convenable.

Il y a eu évidemment un « basculement psychologique » (le terme est d'Olivier Babeau) chez les interviewers comme chez certains interviewés.

Chez les premiers, on sent la fatigue (même M. Lenglet met de l'eau dans son vin) voire parfois, quand même, comme un zest de rancune : pourquoi diable ces bitcoineurs ont-ils cru utile de multiplier les précautions en 2017, au lieu de nous dire franchement que ça vaudrait le prix d'une voiture trois ans plus tard ?

Chez certains des héros de la cryptomonnaie, et c'est le plus rigolo pour les initiés, il y a eu aussi depuis 2014 ou 2017 un effet « chemin de Damas ». Plus personne n'ose dire que la monnaie n'est qu'un cas d'usage sans grand intérêt de la technologie blockchain.

Mais entre le temps perdu à expliquer ce que signifie la décentralisation, éluder les questions sur le cours, réfuter l'ineptie sur l'impossibilité d'acheter ses croissants à Paris en bitcoin, recadrer les chiffres sur les usages criminels et renvoyer les balles sur la consommation énergétique, que peut bien dire d'utile, d'instructif, d'éclairant ou de motivant l'expert venu pour expliquer et qui sert de Rétiaire dans cette petite arène ?

Parce que, de son côté, le Mirmillon de l'establishment connaît son métier.

Que ce soit un ponte comme Minc, pratiquement à côté de ses mocassins, ou des économistes déjà vus plus de mille fois comme Jean-Marc Daniel, Philippe Bechade, Philippe Murer, on n'a jamais rien de nouveau.

Ils sont là pour taper, ils tapent. Ils n'ont pas bougé d'un pouce, pas modifié leurs incantations d'un iota.

Ces joutes risibles m'ont donné quelques occasions d'allonger encore un peu la liste des lauréats du Prix Tulipe. Mince bénéfice !


La conclusion : moins il y a de gens importants sur le plateau, mieux c'est. Cela diminue l'exposition des no-coiners et de leurs naïvetés de béotiens. Autant conseiller à Papi et Mamie, dans leur cuisine, de regarder Bapt&Gael, ils perdront moins leur temps !

Et, dût l'orgueil hexagonal en souffrir, des émissions suisses comme le Forum de la RTS peuvent aussi s'avérer plus utiles, un peu comme la presse belge pour rectifier les erreurs de M. Castex, sans vouloir en faire une affaire personnelle....

Pour le grand public, enfin, et pour en rester aux rigolos, j'ai trouvé que le petit sketch d'Alexis Le Rossignol valait bien des explications fumeuses d'émissions qui prétendaient nous informer. A ma connaissance, il n'a pourtant même pas eu droit, comme Nabilla en janvier 2018, à un petit gazouillis de l'AMF (**). A croire qu'en distanciel les gardiens du Temple ne surveillent même plus ce qui se trame dans le vaste monde !



NOTES
(*) Ils sont tellement linéaires (pour ne pas dire plats) qu'ils n'ont pas même songé à inscrire les contaminations sur une échelle logarithmique : ce ne serait pas faux, ce serait même assez justifiable, et le gogo en retirerait une rassurante impression de promenade de santé, pardon pour le jeu de maux.
(**) Parmi les nombreuses choses que je ne regrette pas d'avoir écrites, mon billet Genre Vénus, sur l'affaire Nabilla. Le site Bitcoin.fr a marqué le troisième anniversaire de ce petit événement en posant la question : et si Nabilla avait raison ?

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