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Before yesterdayLa voie du ฿ITCOIN

140 - Sur le Software de David Golumbia

May 28th 2023 at 16:40

La sortie du livre No Crypto de Nastasia Hadjadji (dont j'ai rendu compte ici) a remis en selle, dans les controverses entre bitcoineurs, le livre de David Golumbia The Politics of Bitcoin : Software As Right-Wing Extremism.

M'étant d'abord contenté de rapporter les comptes-rendus expéditifs qui m'en avaient été présentés, j'ai pensé qu'à défaut de m'infliger la lecture et le compte-rendu d'un nouvel ouvrage assimilant la crypto à l'extrême-droite, je pourrais présenter ici un compte-rendu rédigé à l'époque de sa publication, soit en 2017, par un économiste qui a produit de nombreux articles sur Bitcoin.

L'analyse qu'en avait fait William Luther, Associate Professor of Economics à la Florida Atlantic University et Director, Sound Money Project à l’American Institute for Economic Research m'a paru intéressante à plus d'un titre, et devrait être méditée tant sur l'aile gauche de la bataille – où l'on pousse des cris d'orfraie bien mal inspirés – que sur l'aille droite où l'on en voit qui semblent vouloir tout faire pour donner raison à leurs détracteurs.

L'original est en ligne, on trouvera ci-dessous sa traduction.

. . . . . . . . . .

Beaucoup de gens considèrent le bitcoin comme un bout de code intelligent, un mécanisme de paiement alternatif ou une preuve de concept pour la technologie blockchain sous-jacente.

David Golumbia, lui, y voit de l'extrémisme d'extrême-droite. Dans son nouveau livre, The Politics of Bitcoin, Golumbia affirme que Bitcoin a été conçu pour « satisfaire des besoins qui n'ont de sens que dans le contexte de la politique de droite » (p. 12) ; que « les enthousiastes de Bitcoin reprennent presque mot pour mot des textes d'écrivains (d'extrême droite) » (p. 21) ; et qu'en tant que tel, « Bitcoin sert (...) à répandre et à enraciner solidement » l'idéologie d'extrême droite (p. 25).

En tant qu'économiste monétaire, je suis d'accord avec une grande partie de ce qu'écrit Golumbia. Il dénonce à juste titre « le populisme raciste et l'opposition conspiratrice envers la Réserve fédérale » (p.19). Malgré les origines sur l'île au nom inquiétant de Jekyll de la Fed, il ne s'agit pas d'un groupe occulte qui profiterait aux juifs et aux familles de banquiers anglais au détriment de tous les autres. Golumbia a raison de décrire la fréquente évocation de la perte de pouvoir d'achat du dollar depuis l'origine de la Fed comme un récit « extrêmement trompeur, car ne tenant pas compte de facteurs essentiels tels que les taux de salaire, le taux d'intérêt sur l'épargne et le taux de change, ainsi que de la possibilité d'investir ce dollar sur les marchés financiers ou dans l'industrie » (p. 16). Dans la mesure où les enthousiastes de Bitcoin perpétuent ces points de vue, ce sont des imbéciles. Mais l'idée générale avancée par Golumbia, à savoir que Bitcoin est un produit d'extrême-droite, s'effondre dès que l'on en gratte un peu la surface.

Tout d'abord, l'idée qu'il existe une idéologie de droite uniforme est presque certainement erronée. La gauche et la droite américaines modernes sont des coalitions. Toutes deux se composent de nombreuses écoles de pensée politique distinctes, même si elles chevauchent. Et, bien que les membres d'une même coalition partagent des penseurs historiques communs, il n'est pas rare que certains membres de la gauche partagent également des penseurs historiques avec certains membres de la droite. En d'autres termes, il n'existe pas d'idéologie uniforme de droite ou de gauche et les ensembles d'idéologies de droite et de gauche se chevauchent.

L'une des principales factions de la gauche américaine moderne, par exemple, peut avoir des racines qui vont jusqu’aux progressistes de la fin du 19ème et du début du 20ème siècle et jusqu’à des penseurs libéraux tels que John Stuart Mill. Mais Mill n'en a pas moins exercé une influence intellectuelle sur les libéraux classiques du début au milieu du 20ème siècle et sur les libertariens du milieu du 20ème siècle et du début du 21ème siècle. Il est donc étrange de se référer aux « principaux penseurs de droite tels que Friedrich August von Hayek », comme le fait Golumbia (p. 7). En effet, s'il est vrai que de nombreux membres de la droite américaine moderne citent Hayek en termes favorables, la philosophie politique de Hayek est fondamentalement en désaccord avec plusieurs idées de la droite.

En effet, Hayek se considérait comme un libéral, travaillant dans la tradition de Mill et d'autres. Il s'est prononcé contre les lois criminalisant l'homosexualité, en faveur d'un revenu de base universel et, au cas où il y aurait des doutes sur ses appréhensions à l'égard de la droite, en faveur de l'égalité des chances. Il a écrit un essai intitulé « Pourquoi je ne suis pas un conservateur ».

La simplification à outrance construisant une idéologie unique de la droite conduit à d'autres confusions, tant en ce qui concerne l'idéologie qu’en ce qui touche à la qualité des arguments proposés par les différents penseurs. Voyez comment l’analyse de Golumbia sur Milton Friedman (pp. 17-19), un économiste libéral classique très respecté, lauréat du prix Nobel de l'économie, se trouve immédiatement suivie d'une analyse d’Eustace Mullins (pp. 19-21), un négationniste antisémite qui a popularisé des théories complotistes sur la Réserve fédérale. Cette juxtaposition suggère que les deux points de vue seraient intimement liés. En réalité, Friedman a largement soutenu la banque centrale. Il comptait parmi les critiques les plus virulents de l'étalon-or, citant son coût élevé en ressources naturelles et ses longues périodes d'ajustement, et pensait qu'une banque centrale pourrait mieux atténuer les fluctuations macro-économiques indésirables. Quoi que l'on pense des positions de Friedman, c'est faire preuve d'une grande ignorance ou être intentionnellement injuste que de suggérer qu'il était un complice de Mullins. Friedman était un économiste sophistiqué. Mullins était un charlatan.

Ironiquement, c'est Golumbia - et non Friedman - dont la position se rapproche le plus de celle de Mullins. Il perpétue le mythe de la Fed en tant qu'institution privée et semble totalement ignorer son rôle de régulateur :

 Après tout, la Réserve fédérale, comme les extrémistes de droite ne se lassent pas de le rappeler, ne fait pas partie du gouvernement ; l'OSHA, l'EPA, la SEC et d'autres agences en font partie. La Fed n'a pas de pouvoir d'exécution direct, alors que les agences de régulation en ont généralement  (p. 37).

Or en vérité, la Fed est une institution publique. Les sept membres de son Conseil des Gouverneurs - dont le président et le vice-président - sont nommés par le Président des États-Unis et confirmés par le Sénat. Le président est tenu, par la loi, de faire rapport au Congrès deux fois par an sur les objectifs de la politique monétaire de la Fed. La Fed remet la quasi-totalité de ses bénéfices, ou seigneuriage, au Trésor. Et sa division de la supervision et de la réglementation bancaires supervise les holdings bancaires américaines, les organisations bancaires étrangères opérant aux Etats-Unis et les banques membres du Système de Réserve Fédérale. En effet, son rôle de régulateur s'est considérablement élargi ces dernières années avec l'adoption de la loi Dodd-Frank qui l'a désignée comme l'autorité de régulation responsable de la mise en œuvre et de l'exécution des tests de résistance prudentielle pour les banques. La Fed est peut-être une institution souhaitable. C’est peut-être une institution indésirable. Mais la Fed est, sans aucun doute, une institution publique.

La classification faite par Golumbia du monétarisme de Friedman comme étant d'extrême-droite est également mal inspirée (p. 18). Le monétarisme n'est pas - et n'était pas - une position d'extrême-droite. Il s'agissait, à l'origine, des idées d'un économiste progressiste de gauche nommé Irving Fisher. À la suite de Fisher, Friedman a soutenu que (1) le taux d'intérêt nominal était la somme du taux d'intérêt réel, tel qu'il est observé sur le marché des fonds prétables, et du taux d'inflation attendu - une idée que Golumbia cite favorablement ailleurs dans le livre (p. 16) - et que (2) un taux de croissance de la monnaie plus élevé, ceteris paribus, entraîne un taux d'inflation plus élevé. Les (anciens) opposants keynésiens à Friedman soutenaient, à l'époque, que les taux d'intérêt nominaux étaient déterminés par la préférence pour la liquidité et que la banque centrale pouvait choisir n'importe quel taux d'inflation à partir d'un choix de politiques pour atteindre le taux de chômage souhaité, tel que décrit par une courbe de Phillips à long terme. Aujourd'hui, le point de vue standard des néo-keynésiens - un point de vue partagé par la plupart des économistes de gauche et de droite - commence par reconnaître la validité approximative de la position de Fisher-Friedman à long terme.

Plutôt que de reconnaître le consensus qui s’est établi autour de cette position de Fisher-Friedman, Golumbia attribue « aux prix à la consommation, aux prix des matières premières et des actifs, à la productivité et à d'autres aspects du travail » le mérite d'être des causes plus « conventionnelles » de l'inflation (p. 22). Il est absurde de suggérer que les prix à la consommation, ceux des marchandises et des actifs soient à l'origine de l'inflation. L'inflation est définie comme une augmentation de l'indice des prix. Elle ne peut donc pas être causée par une augmentation des prix. Une autre cause doit être à l'origine de la hausse des prix observée (c'est-à-dire de l'inflation).

La confusion qui entoure l'explication de Golumbia sur le lien entre la croissance de la monnaie et l'inflation provient de la non-reconnaissance de la clause ceteris paribus mentionnée plus haut. Friedman comprenait certainement que les changements dans le taux de productivité et, par conséquent, dans la croissance de la production, se traduiraient par une trajectoire plus ou moins élevée des prix. Mais de tels changements, selon Friedman, auraient tendance à être temporaires, c'est-à-dire qu'ils modifieraient le niveau des prix mais pas leur taux de croissance à long terme (c'est-à-dire l'inflation). De la même manière, Friedman savait que les changements dans la demande de détention de monnaie auraient pour effet d'augmenter le taux d'inflation. Mais, comme il prenait en considération des monnaies nationales bien établies, avec de larges bases d'utilisateurs, il pensait que les changements dans la demande de monnaie seraient relativement faibles, en particulier si les autorités monétaires géraient l'offre de la manière la plus responsable possible.

Les erreurs précédemment mentionnées sont aggravées lorsque Golumbia se tourne vers Bitcoin. En décrivant le mécanisme d'offre au cœur de Bitcoin, il déclare que « les développeurs pensent que le nombre total de pièces en circulation a un impact sur la valeur de la monnaie » (p. 29). Il a certainement raison de dire que ce point de vue « est un argument économique plutôt qu'informatique ». Mais il ne pourrait pas se tromper davantage qu’en la décrivant comme une position « avec laquelle peu d'économistes sont d'accord ». Au contraire, c'est une position avec laquelle peu d'économistes seraient en désaccord ! Certes, les économistes reconnaissent aujourd'hui que des facteurs autres que l'offre affectent le pouvoir d'achat d'un bien. Et pour les crypto-monnaies naissantes comme le bitcoin, qui – contrairement aux monnaies nationales établies considérées par Friedman – disposent d'un nombre d'utilisateurs relativement faible, les changements dans la demande de détention et les changements correspondants dans le pouvoir d'achat peuvent être très importants. Mais reconnaître d'autres facteurs n'implique pas que l'offre de monnaie n'a pas d'importance. Elle l'est très certainement.

Golumbia décrit à juste titre la volatilité de la valeur d'échange du bitcoin comme son « obstacle fondamental et le plus intéressant » à une large acceptation (p. 52). Et il a raison de rejeter les affirmations des défenseurs de Bitcoin selon lesquelles la crypto-monnaie est « à l'abri de l'inflation » (p. 30). Mais il va trop loin en affirmant que cette volatilité empêche le bitcoin d'être considéré comme une monnaie. Sa conclusion ne tient que si l'on confond la définition de la monnaie (c'est-à-dire un moyen d'échange communément accepté) avec les fonctions courantes d'une monnaie (c'est-à-dire le moyen d'échange, la réserve de valeur et l'unité de compte). De plus, cette définition n'est pas le résultat d'une redéfinition du terme monnaie par les défenseurs du bitcoin qui feraient en sorte que seul le rôle de moyen d'échange compte, comme l'affirme Golumbia (p. 51). Il s'agit de la définition standard proposée par les économistes. Considérons, par exemple, la revue Money de la Federal Reserve Bank of Dallas (Everyday Economics, septembre 2013, p. 1), qui est utilisée pour enseigner aux élèves du secondaire, et qui est aussi un outil de travail pour les économistes et qui commence par définir l'argent comme « tout ce qui est largement accepté comme forme de paiement pour l’achat des biens et des services ou pour le remboursement des dettes », c'est-à-dire un moyen d'échange communément accepté. Ou encore, la Banque fédérale de réserve de Philadelphie, qui a publié un document intitulé Functions and Characteristics of Money : A Lesson to Accompany The Federal Reserve and You (2013, p. 1), laquelle demande aux enseignants de collège et de lycée de « 1) définir l'argent comme tout ce qui est largement accepté comme paiement final pour les biens et les services. 2) expliquer comment la monnaie agit en tant que moyen d'échange, unité de compte et réserve de valeur ». Distinguer la définition de la monnaie de ses fonctions courantes n'est pas un complot infâme des crypto-anarchistes. C'est le point de vue conventionnel des économistes monétaires, repris par les institutions monétaires nationales.

Dans la mesure où il existe un complot infâme visant à redéfinir la monnaie, il s'agit d'un complot fomenté par Golumbia. Il affirme que « la majorité des experts en théorie économique définissent simplement l'argent comme une monnaie émise par un gouvernement souverain » (p. 54).

Ce point de vue, connu sous le nom de Théorie Monétaire Moderne, n'est moderne ni dans le sens où elle serait nouvelle, ni dans le sens où elle serait largement partagée par les économistes monétaires aujourd'hui. La doctrine du chartalisme remonte à Georg Friedrich Knapp, dont la Théorie de l'État de la monnaie a été publiée en allemand en 1905 et traduite en anglais en 1924.

Les partisans contemporains de la Théorie Monétaire dite moderne sont principalement regroupés dans quelques départements d'économie hétérodoxe (par exemple, l'Université du Missouri-Kansas City, dans le Bard College). On peut bien affirmer que la Théorie Monétaire Moderne est supérieure à l'approche standard, comme le font certains économistes hétérodoxes, mais ce n'est certainement pas l'approche standard, comme le suggère Golumbia.

Bitcoin est une technologie innovante qui permet aux utilisateurs de transférer des créances de valeur rapidement et en toute sécurité sur internet, sans dépendre d'un tiers de confiance. Dans la mesure où les gens de droite trouvent cette technologie souhaitable, elle peut bien être soutenue par une rhétorique de droite ou utilisée pour promouvoir des objectifs de droite.

Mais pas exclusivement. Les gens de gauche peuvent soutenir Bitcoin avec leur propre rhétorique et peuvent utiliser le bitcoin pour promouvoir leurs propres objectifs. L'affirmation de Golumbia, selon laquelle bitcoin est un logiciel d'extrême droite, ne tient pas la route. Elle découle d'une compréhension superficielle de l'histoire des idées et de l'économie moderne. Il reste à voir si le bitcoin sera largement accepté. Il est presque certain que le point de vue de Golumbia ne le sera pas.

William Luther
Collège Kenyon

139 - No crypto, dit-elle.

May 25th 2023 at 10:00

Le livre de Nastasia Hadjadji, annoncé sur les réseaux sociaux plusieurs jours avant sa sortie, y a immédiatement suscité des réactions pas toutes courtoises de la part des crypto bros. Il est vrai que l'autrice avait commis selon moi une maladresse : diffuser un mois à l'avance, pour teaser, des assertions sommaires de type top 5 des arguments . Ceci mène presque infailliblement à ouvrir les inutiles altercations avant l'utile lecture.

Inversement les premières réactions positives, comme celle de Pablo Rauzy, qui m'a élégamment bloqué sur Twitter depuis, m'ont semblé n'avoir goûté de cet ouvrage que ses exagérations dangereusement simplificatrices. On trouvera en fin d'articles des liens vers quelques comptes-rendus du même livre.

Je remercie Nastasia Hadjadji de m'avoir, sur ma demande, communiqué son texte pour me permettre de rédiger un compte-rendu critique que je voudrais raisonnable de son livre, dont j'ai repris tels quels les titres des chapitres. Les illustrations sont de mon fait et n'engagent évidemment que moi.

Il était clair pour elle que je ne pourrais qu'avoir un oeil critique sur la plupart de ses thèses. Pour l'inciter à parcourir mon précédent billet, où je disais refuser la transformation des évangiles autrichiens en  petit livre orange  de la Bitcoinie, je lui ai rappelé ce que je reprochais à ceux-ci :  Toute réserve voire toute critique n'est pas une erreur ou une ignorance, cela peut être un choix politique ou sociétal . Elle a noté qu'il était utile de le rappeler, cela vaut donc pour tout le monde et dans les deux sens.

L'introduction présente le pitch de Bitcoin sans rien cacher d'un contexte qui en 2008 lui donnait bien des attraits, mais réduit vite l'innovation technique à la  technologie baptisée blockchain .

On ne saurait reprocher ce raccourci à une no-coiner quand tant de consultants prétendument spécialisés l'ont emprunté... Comme tant d'autres, l'autrice voit bien la décentralisation des données, mais elle élude celle du consensus. On verra même plus loin l'étrange assertion selon laquelle le principe de confiance est  dilué  entre les acteurs du réseau. La technique n'occupe qu'une part modeste dans son livre : après tout un objecteur de conscience n'a pas besoin de savoir démonter une mitraillette... Ceci posé, l'ironie de l'autrice sur le fait que  n'importe quelle idée ou projet farfelu peut être financiarisé sous forme de token  n'est pas faite pour me déplaire et la description du FOMO n'est que trop vraie.

Très rapidement le vocabulaire et les références montrent cependant que l'information a été pour une part notable puisée chez les banquiers centraux. La suite de la lecture le confirmera.

Je ne compte pas me livrer au petit jeu consistant à relever des imprécisions ( l’accumulation des nœuds sur la blockchain ) ou des erreurs factuelles. Il y en a dans tous les livres (les miens compris). Je note simplement que beaucoup de choses sont écrites ex-post :

  • En janvier 2009, le genesis block n'a pas porté l'excitation des cypherpunks (ni de quiconque)  à son comble  ;
  • En décembre 2010, quand Satoshi tire sa révérence, son million de bitcoin ne vaut certainement pas 50 milliards d'euros ;
  • Les frères Winklevoss n'ont pas investi très tôt  mais en 2013 : après certains membres du Cercle du Coin !
  • Les capital-risqueurs n'ont certes pas été parmi les premiers croyants. Une lecture rapide de l'Acéphale aurait donné à l'autrice une connaissance plus fine du mécanisme d'adhésion des uns et des autres ;
  • Quant aux maximalistes, la mode des laser-eyes ne date pas non plus des origines.

Ces petites erreurs de datation n'ont guère d'importance et pourraient être oubliées si elles n'instillaient l'idée d'un complot de early adopters pour s'en mettre plein les poches. Mais comme ce n'est pas le cœur du propos de l'autrice, on peut passer outre.

On ne va pas contredire Nastasia Hadjadji quand elle soutient que les cryptomonnaies sont des objets politiques. Mais je ne dirais pas comme elle  avant d'être des objets techniques  : elles le sont en même temps . Elle prévient que son analyse politique va être conduite en s'appuyant sur la Critical Internet Theory, une discipline des sciences sociales qui met en lumière les structures de pouvoir. Est-ce cela qui lui permet de décrire le secteur de la crypto comme s'abritant derrière  un épais rideau de fumée  ? La fumée me semble moins dense ici que du côté des banques centrales, qui sont bien placées dans les structures de pouvoir... Quant à affirmer que ce qui est obscurci c'est un  héritage idéologique rétrograde  cela consiste à glisser la conclusion dès l'introduction, ce qui n'est pas de la meilleure méthode. Disons que cela sent le pamphlet plus que l'enquête, et prête le flanc à l'accusation de militantisme qui agace (inutilement d'ailleurs) l'autrice.

LE CULTE DE BITCOIN

Le premier chapitre se focalise sur la secte Bitcoin : des envoûtés ridicules au début, dangereux à la fin. Sur le réseau Twitter, Nastasia Hadjadji exploite assez lourdement ce filon religieux qui à mon sens mériterait mieux.

Que certains bitcoineurs américains usent d'un style ridiculement évangélique me semble surtout traduire le fait qu'ils sont... américains. Faire énoncer les travers des banques centrales ou de la monnaie fiat en reprenant leurs formulations les plus exaltées est un moyen biaisé de décrédibiliser la critique.

Une remise en cause des thèses écologiques qui se limiterait à ridiculiser le culte de Gaïa et à incriminer certains douteux traitements du cancer à base d'herbes ne manquerait pas d'agacer l'autrice et ses amis.

Une critique des thèses communistes qui ressasserait des références au Petit Père des Peuples et à l'avenir paradisiaque qui attendait l'humanité sous la dictature du prolétariat aurait la même pertinence !

Quelque soit l'outrance religieuse (qui je le répète est typiquement américaine et ne me parait pas affecter particulièrement les communautés francophones) il est absolument faux d'écrire que  dans le culte de la crypto, l’accumulation de la richesse n’est pas le fruit du travail individuel ou collectif, mais bien le produit de l’adhésion à un système de croyance censé rétribuer les plus méritants en leur offrant une rédemption future dans un monde purgé de ses vices . C'est faire peu de cas du travail des codeurs, pour ne citer qu'eux, et du développement organique de l'écosystème.

DYOR, dont l'autrice semble se moquer, s'inscrit bien dans une école dont le vrai mantra, au-delà des to the moon (souvent employés au second degré) reste dont trust, verify. Hodl n'est pas plus ridicule dans sa forme que la lutte finale et exprime sur le fonds une stratégie financière bien plus raisonnable que mystique. Enfin il ne m'a jamais semblé que mes amis cryptos étaient plus isolés de  leurs systèmes de solidarité primaires  que mes amis militants politiques.

La vérité est que, pour l'autrice, le fait religieux est sans doute perçu aussi négativement que superficiellement. Car fondamentalement le Bitcoin peut bien être perçu et/ou défini comme une religion. De nombreux bitcoineurs connaissent et admettent cette comparaison, sans se livrer pour autant à des folklores sectaires. Moi-même je considère qu'il entre des facteurs religieux dans Bitcoin. Je considère aussi, à certains égards, le socialisme comme un avatar du messianisme judéo-chrétien.

Et alors ? Ce sont (comme en ce qui concerne l'IA, par exemple) des grilles d'analyse, des spéculations intellectuelles, nullement des arguments invalidant l'intérêt de la chose étudiée. Pour ceux que cela intéresse, je les renvoie à ce que j'ai dit en 2021 dans le podcast Parlons Bitcoin, tant sur les apparences religieuses que sur la nature religieuse de Bitcoin.

Avec un ton parfois inutilement déplaisant, l'autrice avoue cependant que la crypto-sphère n'est pas toute-une, que l'on y rencontre aussi  des traders en costume trois-pièces, des renégats de la finance traditionnelle mais aussi des hauts fonctionnaires qui se présentent comme les descendants des économistes autrichiens  mais aussi  des militants radicaux de la gauche alternative  et enfin des LGBTQI+ ou ... des pères et mères de famille, tous unis par l'idée de changer le monde et remettant en question un système jugé à bout de souffle. On a envie de dire qu'une religion qui réunirait tant de gens différents aurait déjà gagné la partie !

La mise en cause de Pierre Person, dont le rapport (à mon humble avis) était loin d'être un chèque en blanc à la crypto mais dont la mission d'information a permis d'initier des échanges dans les deux sens, me parait bien déplacée. Qu'un membre du Parlement possède des cryptos, s'y intéresse et le fasse savoir ne pèse pas lourd face aux dizaines de députés anciens et futurs banquiers, au poids écrasant de l'élite financière dans toute la technostructure de l'État (organismes régulateurs compris) et au rôle jugé  naturel  des banquiers comme auteurs des divers rapports censés réformer leur industrie opaque, prédatrice et dangereuse.

La mise en cause de  crypto-enthousiastes évoluant parfois au sein même des administrations publiques  pour n'être pas nominative mérite donc la même réserve : lesdites administrations sont d'une telle porosité à la banque que la présence de deux ou trois bitcoineurs ne me paraît pas déséquilibrer dangereusement le système.

À la fin du premier chapitre, on a toujours du mal à comprendre comment tant de gens différents, que l'autrice baptise opportunistes, défricheurs, idéologues férus d'Ayn Rand, idéalistes rêvant de justice sociale, révoltés, mystiques peuvent se retrouver dans le même panier, accusés du même  culte des cryptos .

LES RACINES D'UNE E-DÉOLOGIE

Après avoir laissé penser que les critiques contre le système bancaire, quoique partiellement justifiées, relèveraient d'un conspirationnisme animé par une haine sectaire du bien commun, l'autrice donne dans ce second chapitre l'impression que les soucis de privacy et la défense des libertés individuelles ne sont en regard que des caprices de geeks enclins à cacher leurs saletés. Ainsi le Patriot Act n'aurait inquiété qu'eux et le mot liberticide n'a pas été jugé nécessaire pour le présenter.

De la même façon, on peut juger que les 22 lignes présentant la crise de 2008 relèvent d'une forme d'euphémisation voire de complaisance. On s'étonne même de voir Occupy Wall Street et le mouvement des 99% expédiés en 10 courtes lignes.

Ceci dit, la présentation de l'émergence de Bitcoin à partir des idées des cypherpunks est correcte et écrite de façon plutôt alerte. Et même si le tableau du mariage entre la Big Finance et le Big Crypto n'est pas trop bien intentionné, j'aurais tendance à y souscrire si les torts n'étaient pas entièrement attribués aux magnats de la crypto. Il faut aussi rappeler qu'une corruption (FTX par exemple) est un délit à deux : une chose qu'il vaut mieux oublier quand on entend se faire le chantre de l'État comme garant du bien commun.

L'AGE D'OR DE L'ARNAQUE

L'autrice tire profit autant qu'elle le peut des arnaques montées avec des cryptos (arnaques qui sont parfois bien peu tech!) mais pour ce qui est vraiment  crypto  — comme Terra/LUNA et ce qui en découle par effet domino – la réflexion qui attribue la faille à un  choc de confiance dans un marché baissier  me parait un peu courte de son propre point de vue car cela ne différerait alors en rien de toutes les autres catastrophes financières

Il pourrait, selon moi, être noté qu'une partie de la dangerosité de l'écosystème vient de sa porosité à la Big Finance (la dette, le levier, la recherche de rendements fous et un comportement de mouton de Panurge auquel les cryptos naïfs tant raillés n'ont rien à envier) et qu'une autre vient de l'agitation maladroite de régulateurs qui ont le chic pour envoyer les investisseurs les moins formés vers les plateformes les moins régulés (donc les plus cool à l'entrée). Cette seconde critique est effleurée lorsqu'est évoquée la complaisance des autorités françaises pour Binance, mais, là encore, l'autrice ne peut enfoncer le clou car mettre en cause les régulateurs nuirait à son projet. On ne lui en voudra pas d'ignorer le psychodrame Recover chez Ledger, car il est survenu postérieurement : ça n'en est pas moins instructif : écoutez Alexis Roussel sur le Live n°12 de Faune Radio !

Et c'est là, après moult récits consacrés aux arnaques, que surgit la question de la valeur même de Bitcoin : Ponzi, Greater Fool Theory et  Finance Casino , ce dernier poncif n'étant cependant pas mis à profit pour aller voir ce qu'il en est des dépenses de jeu des Français et de la tonte légale opérée par ce vertueux système qui tire clairement sa rentabilité des joueurs compulsifs.

Poser la grande question de la valeur de Bitcoin ici, à ce moment forcément sordide du livre, c'est déjà y répondre de façon peu honnête. Toute la critique, cependant, est loin d'être vaine, mais elle me parait toucher plus durement les promesses du venture-capital que celles des cypherpunks. Et l'encadrement des influenceurs est loin de ne cibler que les crimes de la crypto...

A la longue, toutes les diatribes s'emmêlent et ressemblent un peu à ces sermons contre le péché qui finissent par questionner aussi sur le curé et donner de mauvaises idées aux plus naïfs.


LE DÉSASTRE ÉCOLOGIQUE

On ne s'attend pas vraiment ici à une surprise dans la dénonciation du Proof of Waste qui commence par six pages de narration sur la petite ville de Navarro au Texas, où s'organise une résistance au minage. L'autrice cite ensuite, plus rapidement, les termes bien connus de la controverse, les arguments et contre-arguments et même les imprécisions et les limites de la possibilité de chiffrer certaines choses comme le mix énergétique. Le lecteur crypto n'aura guère de commotion à trouver ici le  chercheur  de Digiconomist ou les comparaisons exprimées en transactions, mais il constatera une certaine modération de l'autrice.

Il regrettera qu'elle n'ait pas trop songé à regarder ce qu'il en est de la consommation du système bancaire mondial, récemment investiguée par Valuechain avec ses tonnes de paperasses, de béton, ses millions de bureaux, son trading et ses inefficiences diverses.

Sa description d'une industrie de type  parasitique  ne l'empêche pas de confesser que l'aventure de Sébastien Gouspillou au Congo est  séduisante , tout en accompagnant cette concession de réserves plus ou moins circonspectes.

CRYPTO-COLONIALISME ET INCLUSION PRÉDATRICE

C'est évidemment ici du Salvador qu'il s'agit. Si quelques mots malveillants émaillent le récit, le caractère autoritaire de la décision (dont il faut bien avouer que nombre de bitcoineurs se sont trop aisément accommodés) est assorti d'une accusation de colonialisme. Il entre ici (pardon pour la parabole religieuse) un petit côté paille-et-poutre : la gestion démocratique de notre propre système et sa vassalité aux maîtres américains devraient inciter à plus de circonspection, surtout s'il faut concéder in fine que le président Bukele est toujours populaire.

On sait que le bilan de l'expérience, si tant est qu'il soit déjà temps de l'établir, est mitigé. Chacun peut en conclure ce qui lui plait. Il est probable que l'autrice n'a fait que recopier des articles hostiles, qu'elle n'a pas mis les pieds dans ce pays lointain où nombre de bitcoineurs français ont au contraire été prendre le pouls de l'opinion, des commerçants et des clients. Leurs propos (je pense à ceux de Yorick de Mombynes ou à ceux plus récents de Rogzy et de Lionel Jeannerat) sont nuancés, critiques parfois, mais pas défaitistes ; ils auraient gagné à être repris honnêtement. Un  sondage  réalisé par Bitcoin.fr sur Twitter en novembre 2021 au sujet du projet de  Bitcoin City  révélait, sur un peu plus de 500 votants, de l'enthousiasme (48%) mais aussi un taux de scepticisme (30%) qui n'est pas le propre d'une secte de fanatiques. Un autre, plus récent, montre aussi une dispersion plus grande que ce que l'autrice suppose

L'autrice se lance ensuite dans une description, inspirée des travaux du chercheur néo-zélandais Olivier Jutel, des méfaits de l'impérialisme des investisseurs cryptos (loups déguisés en agneaux prônant l'inclusion financière) dans divers pays perdus ou îlots inconnus mais aussi auprès de communautés historiquement subordonnées : femmes, minorités de genre, populations racisées et travailleurs pauvres. À l'inclusion financière espérée, elle oppose la réalité d'une « inclusion prédatrice » décrite par des chercheurs comme Tonantzin Carmona. Elle se garde au passage de trop situer celle-ci, qui œuvre au sein du think tank Brookings, l'un des plus prestigieux de Washington : il compte d'ailleurs Ben Bernanke et Janet Yellen parmi ses membres... Deux pages plus loin, les arguments pour expliquer les raisons de la faible adoption de la crypto-monnaie sont puisés ... à la BRI.

Nastasia Hadjadji reprend aussi les arguments de Molly White contre la prédation affinitaire qu'exercerait l'écosystème Bitcoin pour nourrir son système pyramidal, parlant d'une fraude affinitaire , ce qui fait un peu sourire (quand on pense au pathos sur l'euro dont l'usage est censé manifester notre adhésion aux valeurs de l'Union ) mais ce qui est finalement un sophisme : les systèmes pyramidaux qu'elle débusque sont certes affinitaires (tous les Ponzi et d'une certaine façon toutes les arnaques le sont plus ou moins) mais ils visent à l'enrichissement d'escrocs, pas à la prospérité de Bitcoin. Et nul bitcoineur sérieux ne soutiendrait que les escrocs ne doivent pas être poursuivis.

POLITIQUE DU BITCOIN

J'ai regretté à titre personnel l'association en 2022 de M. Zemmour à l'image de la licorne Ledger. Mais se servir de cela alors que l'entreprise avait invité tous les candidats (et que le candidat vainqueur de l'élection précédente avait été photographié en 2017 avec un prototype de cette entreprise entre les mains) est un procédé de scénarisation journalistique.

Que les autres candidats (et notamment le technophile M. Melenchon) n'aient pas profité de cette occasion est tout aussi significatif que l'aubaine saisie par un candidat d'extrême-droite en quête de différentiation.

Bitcoin serait donc un  cheval de Troie introduisant chez des utilisateurs insuffisamment conscientisés  des idées aux relents antidémocratiques forgées dans le terreau de la pensée cyberlibertarienne . L'autrice s'inspire ici du livre The Politics of Bitcoin de David Golumbia, qui lui parait être une démonstration méthodique, quand une lectrice française (pourtant personne fort sage) m'a confié au contraire être  assez choquée du niveau de bêtises qu’on peut y lire . Avec des mots moins élégants, plusieurs anonymes sur Twitter ont écrit la même chose, récusant les thèses brandies par M. Golumbia et les à-peu-près de Stéphane Foucart. Soit ils ont viré à l'alt-right sans s'en rendre compte, soit la thèse ne s'applique pas à eux.

Bitcoin donc instillerait l'idée d'une société fondée sur la défiance généralisée . La thèse prête à rire quand on vient de lire que Bitcoin était affinitaire, mais elle révèle surtout une coupable confusion. D'abord les geeks qui soldent leurs échanges en bitcoin se méfient bien moins les uns des autres (et c'est vrai que souvent ils se connaissent) que des banques et de l'État. Ensuite se méfier de l'État n'est pas faire montre d'une défiance généralisée. Enfin la défiance est une confiance négative. Je fais confiance à X pour se comporter honnêtement et à Y pour se comporter en crapule : dans les deux cas (surtout dans le premier, hélas) je peux me tromper. Bitcoin contourne défiance et confiance et établit une certitude non humaine et surtout non centralisée, donc sans voyeur clandestin, parasite ou officiel, sans tout ce que Nastasia Hadjadji présente comme  toute forme de contrôle ou de supervision , des notions dont je ne sache pas qu'elles seraient d'essence démocratique. À ce sujet, puisqu'elle affectionne l'image du cheval de Troie, l'autrice aurait pu glisser un mot des MNBC ailleurs que dans une unique note en fin de livre.

Est-ce être  de la droite radicale conservatrice  que de payer comme le faisait mon paisible bisaïeul et de chercher à recréer une marge de manœuvre face aux dérives autoritaires des États ? N'est-ce pas l'autrice, ici, qui cède à une idéologie invasive ? Car que propose-t-elle pour que la colère liée à l'effondrement du système classique (où elle va chercher ses arguments...) se transforme  en un agir politique «de gauche», tourné vers la remise en question des hiérarchies sociales et politiques  ? A part toujours plus d'impôt, de régulation et par tant de surveillance, nourrissant encore et encore la technostructure actuelle ?

Reprenant mot pour mot le récit d'une filiation strictement autrichienne de Bitcoin (récit souvent intempestif et contre lequel je me suis exprimé récemment) elle le retourne et fait de l'idéologie crypto une forme de conspirationnisme contre des banques centrales qu'elle se garde bien par ailleurs de défendre positivement. Quitte à s'emmêler un peu, parlant de  réhabilitation de l'étalon or  dès le XIXème siècle et omettant de citer le Général De Gaulle (peu suspect d'anarchisme) parmi ses thuriféraires.

 L’exigence de transparence et d’autonomie d’une partie de la population qui affirme son manque de confiance envers les institutions bancaires traditionnelles est aujourd’hui instrumentalisée à des fins politiques . Et donc ? On devrait transformer cette exigence en quoi ? On attend le prochain rapport (commandé par Bercy à un copain banquier) pour voir si la transparence est suffisante, comme on attend le prochain grand débat pour voir si le réenchantement opère sur ceux  pour qui les gouvernements sont totalitaires et tyranniques par essence  ?

Quand bien même la vision technophile des bitcoineurs serait  une vision du monde très éloignée des principes de délibération et d’intérêt général associés aux démocraties représentatives  ; quand bien même ces principes seraient sérieusement mis en œuvre, autrement que par l'autoritarisme croissant des pouvoirs prétendument libéraux, les directives européennes et l'arrogante parlotte des apparatchiks ; quand bien même tout anarchisme serait forcément de droite... en quoi serait-il interdit d'adhérer à cette vision technophile ? En quoi serait-il légitime de focaliser à ce point sur le politique en survolant les enjeux techniques ? Les pouvoirs actuels, ivres de video-surveillance, de drones et de gadgets ne sont pas moins technophiles que les bitcoineurs : à chacun de choisir sa tech, je reste libre de préférer la sousveillance et le pseudonymat à la surveillance et au fichage.

D'autre part, qu'elle n'adhère pas elle-même au monétarisme de Friedman est bien son droit ; que de nombreux bitcoineurs n'adhèrent pas au keynésianisme est le leur. Les condamnations et les arguments d'autorité n'y changeront rien. L'assertion selon laquelle  le plus souvent, la nature profondément idéologique de ces positions est passée sous silence vaut à mes yeux pour tout le monde.

La fin du livre revient à son point de départ. Les petits investisseurs qui ont cédé au promesses du Père Noël (et sur ce point, sans citer Plan B et les modèles S2F, l'autrice vise assez juste) et au FOMO du miracle technologique finiront, prophétise-t-elle, ruinés par leur  fausse monnaie, vraie fétiche , amers et mûrs pour le fascisme. On peut craindre qu'il n'y ait une poignée de facteurs autrement plus graves à l'œuvre dans la dérive de nos sociétés.

CONCLUSION

L'autrice a écrit huit fois en moins de 180 pages que la colère était légitime, sans aller bien loin au-delà de sa conviction (respectable et cohérente avec les références à la Crtical Theory, à Ellul, à Fred Turner, à Dominique Cardon etc.) que les cryptos n'y changeront rien. Son texte semble n'être qu'un effort pour stigmatiser Bitcoin,  en questionner les racines, les imaginaires et leurs implications dans le réel  sans forcément questionner sa propre position, sa posture, ses convictions.

Elle assure que  critiquer les cryptos ne revient pourtant pas à faire allégeance à la FED, à la BCE ou à BlackRock, SoftBank et McKinsey et on lui fait naturellement crédit que telle n'est pas, en effet, son intention.

Mais on peut penser que ses critiques du système légal restent superficielles et que son apologie de la délibération démocratique se heurte tellement à la réalité objective de la politique contemporaine (dans presque toutes les démocraties et particulièrement en France) qu'on en a presque mal pour elle.

Et c'est à ce point que soudain, comme une résolution dialectique de ce conflit longtemps muet, éclot tel un lotus sorti de l'eau boueuse l'idée de faire advenir un monde de cryptos de gauche.

Puisqu'une partie de la conclusion était affichée en introduction, que n'y a-t-elle aussi placé de quoi donner espoir à ceux qui n'étaient pas d'avance acquis à sa critique, pour qu'ils acceptent de lire les 164 pages précédentes ! Il aurait fallu, je crois, annoncer bien plus tôt l'idée que  la généalogie cyberlibertarienne de Bitcoin a le mérite de poser au centre de la table un répertoire de réflexions sur les notions de résistance à la censure et aux dispositifs de surveillance, comme composantes d’une société libre et émancipée des formes de coercitions propres aux marchés mais aussi aux États  puisque  ces pistes de réflexion rejoignent, en certains points, celles d’une partie de la gauche radicale .

J'avais, en avril 2018, accepté de participer à un échange avec la section du 5ème arrondissement de La France insoumise. La vidéo de cette rencontre, qui est d'ailleurs la plus visionnée de toutes celles que l'on trouve de moi, rend mal compte de la qualité des échanges (les assentiments font moins de bruit que les critiques, et la prise de son avait été un peu artisanale). Mais je me souviens d'un net clivage, entre des questions techno plutôt bienveillantes et curieuses et des critiques politiques assez tranchées.

Je n'en parlerais pas ici si (vers la 59ème minute) n'avait eu lieu un échange fort curieux avec un assistant un peu cassant et qui m'avait frappé par le fait qu'il se disait en même temps représentant en ce lieu de LFI et de... l'ACPR. Il ne présentait pas la chose comme contingente (dans le genre faut bien vivre) : il parlait expressément à ces deux titres. Je m'étais dit que c'était là une forme d'insoumission à laquelle je ne m'attendais pas. C'est un sentiment qui j'ai retrouvé parfois à la lecture du livre de Nastasia Hadjadji.

Ce que je regrette, pour finir, c'est que l'autrice, ayant pris le temps de rencontrer mais surtout de lire de très nombreux crypto-sceptiques (et cette recension est intéressante), se soit contenté d'un survol de la  littérature crypto la plus grossière (notamment sur Twitter) et n'ait pas pris la peine de rencontrer aussi des cryptos qui, pour une part, partagent certaines de ses idées.

Elle aurait ainsi pu échanger sans déplaisir avec le philosophe Mark Alizart, auteur de Cryptocommunisme, aller voir les doctorants de l'EHESS et parler avec le chercheur Maël Rolland.

Elle aurait pu aller jusqu'à Neuchâtel voir Julien Guitton (lien vers sa critique dans les commentaires ci-dessous) ou Alexis Roussel, bitcoineur fondateur de la plateforme Bity, mais aussi COO de l'entreprise Nym Tech qui développe une infrastructure réseau décentralisée et centrée sur la protection des données privées des utilisateurs. Longtemps président du Parti Pirate suisse, il est l'auteur d'un petit livre sur l'intégrité numérique.

Une telle rencontre, comme celle des communautés crypto suisses (dans un pays où l'on délibère beaucoup et où l'on s'inquiète un peu de notre santé) l'aurait sans doute inspirée. Du moins si elle acceptait enfin d'entendre tous ceux qui lui disent leur intérêt pour un instrument inclusif et une culture technique libre, comme lors de cette émission dont elle ne semble pas avoir retenu les réactions et questions reçues.

Enfin, sans fausse modestie, elle aurait pu intégrer les apports d'auteurs pour le moins non marqués alt-right comme Adli Takkal Bataille et moi-même, mais aussi Claire Balva ou Alexandre Stachtchenko ou parmi les américains, Andreas Antonopoulos, traduit en français et curieusement absent de son ouvrage.

Ses propos auraient été plus nuancés, mieux balancés entre technique et politique, moins imprégnés de certaines réalités d'un pays où nul sans doute ne la lira, et auraient permis à son livre non de cliver (au risque de renforcer les influences qu'elle entend dénoncer) mais de bâtir un espace de rencontre autour de l'idée de  résistance à la censure et aux dispositifs de surveillance, comme composantes d’une société libre et émancipée des formes de coercitions . Ce qui n'est pas une mince affaire et ne devrait être considéré comme sectaire par aucune personne sensée.


Quelques autres comptes-rendus :

  • Celui de Pablo Rauzy, déjà mentionné et qui estime que sa lecture vaut  largement la peine tant les thèses présentées et les raisonnements développés le sont avec rigueur ce qui est exactement ce qu'ont nié les lecteurs cryptos. In fine il confesse tout de même un léger malaise :  si je devais avoir un reproche à faire à l'ouvrage ce serait de bien trop laisser les mots « anarchie », « anarchisme », « anarchiste », et même « libertaire » au camp de ceux qui n'y voient que l'anti-étatisme et la liberté individuelle absolue, sans aucune des notions de socialisation, de libertés collectives, et d'autogestion que ces termes devraient pourtant porter avec force . Pour lui les choses sont simples. Le bon anarchiste est de gauche, le mauvais est libertarien et de droite. Il aurait  aimé par exemple que lorsque l'autrice cite Tim May, a minima une note de bas de page remette en question cette appropriation malpropre de l'anarchisme par un libertarien, pour ne parler que d'une des premières fois où ce souci apparaît dans l'ouvrage. J'avoue avoir ri en lisant qu'il aurait  apprécié que la logique du raisonnement soit poussée plus loin, jusqu'à affirmer qu'une émancipation réelle ne sera pas permise sans se défaire pour de bon de toutes formes d'autorités imposés, que ce soit donc par un état ou par une puissance privée à travers un marché.  : j'ai moi-même fini par penser que Nastasia Hadjadji recopiait parfois des sources bancaires et butait ainsi sur la contradiction fatale de tout adepte de la régulation : ne pas imaginer d'autre régulateur que l'État même que par ailleurs on prétend combattre aussi.
  • Celui de Ludovic Lars qui commence par s'interroger (un peu longuement) sur ce que sont aujourd'hui et pour les geeks la droite, la gauche et leurs extrêmes respectifs, essentiellement en suivant le modèle de Fabry puis en situant dans ce paysage marqué par ce qui est aujourd'hui un extrême-centre' (Macron , Lagarde...) une innovation comme Bitcoin, défini comme « un nouveau territoire de liberté » ou comme un « commun numérique sans frontière ».
  • Celui de Julien Guitton qui rappelle que  le manifeste crypto-anarchiste commence par : “Un spectre hante le monde moderne, le spectre du crypto-anarchisme.”  et constate que  a gauche est devenue autoritaire, elle pratique la censure, et là, la mise à l’index. Et pourtant, la gauche anarchiste libertaire des squats de survivants est toujours là .
  •  Pourquoi il faut dépolitiser Bitcoin  un compte-rendu critique et fort intéressant de Ines Assaini dansZone Bitcoin.

138 - Le « Petit Livre orange » ?

May 10th 2023 at 10:30

Une initiative récente et bien intentionnée, visant à donner la célèbre pilule orange aux parlementaires européens que l'on suppose (non sans quelques indices) plus prompts à réglementer ou à condamner Bitcoin qu'à le comprendre, a mis en ligne une levée de fonds de 40 millions de satoshis pour offrir à chacun un exemplaire d'un livre réputé capable de les déniaiser, les éclairer et les séduire.

En l'occurence le choix des promoteurs de cette initiative s'est porté sur L'étalon Bitcoin, ouvrage de M. Saifedean Ammous dont j'ai déjà rendu compte ici et qui offre, à leurs yeux, le double avantage d'avoir été traduit dans 18 des 24 langues de l'UE et d'être  considéré comme la référence .

L'argumentation m'a provoqué et je me suis risqué à avouer mes réserves par un message sur Twitter :  Je vais être honnête. Si je n'avais pas évolué moi-même antérieurement (lectures, rencontres, expériences diverses et réflexion personnelle) et que j'avais découvert Bitcoin par le livre de S. Ammous, il m'en aurait éloigné. Vraiment .

Comme cela arrive fatalement sur les réseaux sociaux, le débat a rapidement tourné au vinaigre.

Un ami, Sébastien Gouspillou, patron du groupe de mining BBGS, tout en comprenant le choix du livre de S. Ammous, a eu la gentillesse de suggérer que celui qu'Adli Takkal Bataille et moi avions commis (La monnaie acéphale) aurait été un choix plus approprié.

Ceci m'oblige à répondre : je pense qu'offrir l'Acéphale (mais aussi le livre de Claire Balva et Alexandre Stachtchenko, par exemple) aurait peut-être été moins mauvais mais qu'il conviendra de s'interroger sur la démarche, indépendamment du choix du livre offert. L'ouvrage L'étalon Bitcoin tend à acquérir un statut spécifique, celui d'un livre canonique sinon saint aux yeux de beaucoup. Je pressentais qu'il devenait difficile de le critiquer et, tout en découvrant que j'étais loin d'être le seul sur la réserve, je n'ai pas été détrompé.

Pourtant, sans dire (comme cela a été écrit sur Twitter) que ce livre est chiant je pense qu'il critique bien davantage le système de la monnaie fiat qu'il ne présente Bitcoin, qu'il flatte ceux des bitcoineurs qui ont besoin de réassurance et hérisse les autres au lieu de susciter réellement la curiosité.

J'ai écrit que ce livre (qui a ses ardents défenseurs!) a évidemment de réelles qualités, que je suis assez séduit par son modèle  stock sur flux  (en lui reprochant principalement de ne pas l'appliquer avec rigueur et notamment de ne souffler un seul mot de l'arrivée d'or et d'argent des Amériques) et que je suis d'accord avec plusieurs de ses thèses.

Mais j'ai critiqué aussi, dans mon CR comme dans La Monnaie à Pétales (ch 7, que les moins courageux peuvent écouter ici) :

  • l'usage désinvolte que cet économiste (tout comme ceux du camp d'en face, d'ailleurs !) fait de l'histoire,
  • bien des traits forcés et un esprit de système poussé jusqu'au ridicule,
  • une psychologie sous-jacente décrite comme pratiquement universelle alors que je ne m'y reconnais point et ne dois pas être le seul,
  • un ton (et parfois un argumentaire) complotistes,
  • et enfin, malheureusement, des procédés d'attaque ad hominem indignes.

Les réactions que j'ai suscitées sur Twitter laisseraient croire que ceux qui n’aiment pas ce livre prouvent seulement qu'ils ne savent pas lire ou, pire encore, qu'ils ne sont pas assez autrichiens.

Comme le notait S. Gouspillou  on dirait des proustiens face à un non fan de La Recherche .

Quelqu'un qui refusait de comprendre  comment on peut trouver ça chiant  , ce qui je le répète n'était pas mon mot, soulignait que cette appréciation négative  semble surtout être le grief de gauchos romantiques aimant Bitcoin mais ne supportant pas la perspective autrichienne . Et un autre s'interrogeait sur la position de Sébastien ou de moi-même vis-à-vis de ladite école :  j’imagine bien les deux bien à gauche étant jeunes et se rendant compte sur le tard via Bitcoin et les autrichiens qu’il ont eu tort toute leur vie et mal le vivre un peu, et le discours ultra direct voire cru d’Ammous peut déranger les âmes sensibles .

Tout cela m'a valu ainsi quelques critiques (certaines pertinentes, évidemment) et un sentiment de grande lassitude. En gros, donc, si je ne suis pas autrichien, c'est soit parce que je suis de mauvaise foi, soit parce que je ne comprends pas cette école (dont la première chose à dire c'est qu'elle n'est guère unie, d'ailleurs) et si je ne comprends pas c'est que je n'ai pas lu ce livre, et puis celui-ci, et puis encore...

Donc quand mon ami Yorick de Mombynes ou d'autres me demandent publiquement ce que j'ai lu (en travers ? sur Wikipedia ? en v.o. ? avec les notes de bas de pages dans les Œuvres complètes ?) de leurs évangiles, je ne m'estime pas tenu de répondre parce que :

  • reprochant aux économistes de jouer aux historiens, mon intention n'est évidemment pas de jouer à l'économiste (d'autant plus que lire des livres ne remplace pas à mes yeux un cursus cohérent) ;
  • je reconnais un faible niveau de considération (toutes écoles confondues) pour l'économie, qui me paraît souvent une sorte de demi-science molle toujours proche de glisser vers la religion ;
  • je serais deux fois plus intéressé par les autrichiens s'ils étaient deux fois moins convaincus : je peux me tromper... mais eux aussi. Toute réserve voire toute critique n'est pas une erreur ou une ignorance, cela peut être un choix politique ou sociétal qui (faut-il le rappeler à des libéraux ?) relève de ma liberté de penser ;
  • ainsi donc, si je confesse mon accord avec les autrichiens sur certains points (comme  le temps est rare ce qui d'ailleurs peut expliquer certains trous dans ma culture) je revendique aussi de mettre certaines préoccupations (notamment environnementales) au-dessus ou hors des lois du marché ;
  • j'assume mon allergie aux ronchonneries réactionnaires contre la musique des jeunes (même si moi-aussi je préfère Bach, mais cela n'a rien à voir) ou l'insignifiance de l'art abstrait et je dis mon effroi à voir que tout ceci est censé faire partie de la démonstration de M. Ammous en faveur de Bitcoin,
  • enfin je ne peux admettre à titre d'arguments des calomnies recuites (qui ont déjà conduit l'historien Niall Ferguson a publier des excuses).

Mais surtout et plus que tout : je ne suis pas venu là pour étudier l'école autrichienne ; je suis venu là parce que Bitcoin m'a paru intéressant par lui-même.

S'il faut (comme certains le font) scruter les efforts intellectuels consentis par les uns ou par les autres, je crois que la première voie aurait été moins dure. Mais disons-le tout net : ce que j'ai lu chez les évangélistes autrichiens n'a pas suscité en moi la même émotion ou la même excitation que le white paper de Satoshi (ou que certaines pages de la litterature cypherpunk, ou que le « Cyberpunk Manifesto » si vous voulez tout savoir...)

Ceci mis de côté, ce que je reproche en l'occurrence à ces auteurs et plus encore à leurs thuriféraires, ce n'est certainement pas leurs convictions, même celles que je ne partage pas, c'est l'envahissement parfois parasitaire de l'espace d'études et d'informations dévolu à Bitcoin par leurs idées, leurs questionnements, leurs grilles d'analyses. Cela me paraît inefficace (parce que cela aplatit Bitcoin sur une seule dimension qui est politiquement et donc inutilement clivante) et indu.

Aucun économiste, autrichien ou non d'ailleurs et même en remontant à Oresme, n'a pour moi inventé Bitcoin. Au mieux ils ont décrit des problèmes que Bitcoin peut (plus ou moins) résoudre et ils ont espéré que surgirait quelque chose comme ça. Que les cypherpunks se soient à certains égards inscrits dans la perspective hayekienne d'ordre spontané ne fait pas d'eux (tous) des disciples du maître de Chicago. Quant à la célèbre prophétie du monétariste Friedman, elle annonçait quelque chose de beaucoup plus anonyme que ne l'est réellement Bitcoin. C'est peut-être un détail pour vous, mais...

Et donc il serait à mes yeux plus fructueux de voir ce que Bitcoin apporte à leurs théories (pour les conforter, les modifier ou en invalider certains points) que de s'étendre interminablement sur que ce que ces théories religieusement brandies permettraient de comprendre à Bitcoin, ce qui est la voie de Saifedean Ammous. Je crois que s'il est très difficile de le contester, tant il est devenu une idole pour tant de bitcoineurs, c'est parce qu'il leur a dit exactement ce qu'ils voulaient entendre et leur a donné des certitudes à opposer à l'arrogant discours du système officiel.

Après tout, pourquoi pas ? Chacun peut bien lire ce qu'il veut : il en reste toujours un bénéfice. Mais chacun doit-il pour autant considérer que son livre de chevet est le livre de référence, qui par une sorte de vertu intrinsèque ferait le même effet à tout lecteur ?

On a ici le type même de l'illusion des religieux fanatiques :

Elle consiste à penser qu'il y a, dans le livre sacré (Petit Livre rouge compris) une efficience surnaturelle (sur-rationnelle ?) qui va provoquer la foi par la seule lecture. Comme de ceux qui viennent inlassablement proposer leur littérature, sur un coin du marché ou par du porte-à-porte, un sourire désarmant aux lèvres et la certitude chevillée au corps, il est parfois bien difficile de s'en débarrasser en demeurant courtois.

Je conclus quant au livre de S. Ammous

Que ce soit pour des raisons de forme ou de fonds, son livre n'emporte pas d'adhésion universelle même au sein des bitcoineurs et le choix de ce livre comme instrument de propagande n'emporte pas non plus l'adhésion universelle, même parmi ceux qui le considèrent comme le meilleur livre !

Il est peu probable que ces réserves ne se manifestent pas parmi ceux que nous entendons convertir. Comme l'a confié David St-Onge :  mon père, ouvert sur le sujet avec un diplôme universitaire en administration, en a abandonné la lecture. Jamais ma mère, pourtant avide lectrice, n'en fera la lecture. C'est d'ailleurs pour cette raison que j'ai écrit mon livre .

En revanche il est presque certain que le propos  ultra direct voire cru  de S. Ammous permettra à nos adversaires de faire des gorges chaudes en citant (j'imagine bien quelques vedettes parlementaires européennes dans le rôle) les pires pages de la  Bible de la secte  que lui aura envoyée  le lobby . Que le livre ait été traduit dans 36 langues peut s'interpréter de bien des façons ; la visite du site saifedean.com ne dissipe pas forcément le malaise.

Venons-en alors à l'idée même d'offrir un livre

Nous devrions regarder les choses de façon pragmatique : nous n'aurons jamais d'autre Petit Livre orange que le Livre blanc de Satoshi Nakamoto. Il faut partir de Satoshi, pas d'Aristote ou des économistes, pour en arriver à l'idée que Satoshi a bien compris ceci ou cela. Mais - tout le monde en conviendra - c'est un écrit ésotérique, derrière son apparente simplicité. Comme nous l'écrivions dans l'Acéphale (p.18) Bitcoin exige un effort conceptuel, une capacité réelle d’abstraction mais aussi et surtout de remise en cause.

Pourquoi, ayant moi-même commis seul ou à plusieurs quelques petits pavés qui n'ont pas reçu de trop mauvais accueil, mais qui ont également pu susciter des critiques (voir ici pour la plus récente) puis-je dire qu'envoyer un livre par la poste n'est pas forcément la bonne idée ?

Parce que, indépendamment du choix critiquable d'un ouvrage (choix discutable comme tout autre choix et comme le serait le choix de l'un de mes propres ouvrages) on ne peut tout au plus espérer que l'opération projetée soit efficace en termes de com’, avec peut-être un minibuzz.

La fameuse pilule orange, dit Sébastien Gouspillou,  doit se prendre sans douleur, par inadvertance presque, et celle-ci est beaucoup trop grosse et indigeste .

Or Sébastien a une expérience non négligeable du travail de persuasion, qui n'est pas seulement pédagogique (si tant est que fourguer un livre par la poste soit pédagogique) mais aussi psychologique.

Quand il écrit que  les députés ne liront pas ce pavé  chaque mot compte. Les députés ne liraient sans doute rien qui dépasse le résumé des études produites par leurs propres commissions. Donc la cible est peut-être aussi mal choisie que le vecteur !

Il me semble aussi que, à placer autoritairement (et il entre toujours un peu d'autoritarisme dans la démarche) un livre entre les mains de quelqu'un qu'on ne connait pas et qui ne s'est pas expressément enquis de nos conseils, on oublie l'une des dimensions essentielles de Bitcoin.

Si j'ai écrit sur Tintin, si je me sers encore de lui ici, ce n'est pas par manie (encore que...) ou par coquetterie. Le petit reporter lit peu de gros ouvrages et sa bibliothèque semble un peu décorative. Lui et son chien prennent plutôt les livres sur la tête !

Mais cet infatigable enquêteur m'offre une belle figure de l'historien dont j'ai écrit, citant Carlo Ginzburg, que sa connaissance est indirecte, indiciaire et conjecturale.

Une remarque que j'ai maintes fois entendues chez des bitcoineurs pratiques, c'est que lorsqu'on croit avoir compris quelque chose, on découvre un détail qui montre que c'est plus complexe, plus profond, plus rusé. Et c'est à partir de là (dans ce que mon ami Adli assimile au  creux de l'humilité  décrit par Dunning et Kruger) que la lecture peut devenir excitante, indépendamment du fait de savoir si ce que vous lisez conforte ou non votre attachement à la propriété privée ou votre allergie à l'impôt.

Je crois que la Voie du Bitcoin est une voie de rencontres plus que d'exclusives, d'échanges plus que d'invectives, d'expérimentations plus que de théorisations, d'inquiétudes plus que de certitudes. Avec des surprises pour... tout le monde !

Nous avons bien raison de nous moquer des régulateurs qui veulent astreindre l'automobile aux règles du temps des diligences ; mais les premiers constructeurs d'automobile ont-ils jadis perdu autant de temps que nous à refaire l'histoire, à critiquer le système antérieur, voire à disserter sur les mœurs et la sexualité des maîtres de poste ? N'ont-ils pas surtout amélioré moteurs, freins, directions, pneus et carrosseries jusqu'à ce que l'expérience de l'utilisateur cesse d'être un exploit sportif dangereux pour devenir un moment de plaisir et de distinction ?

Aucun livre ne fera jamais autant de bien qu'une amélioration même infime de l'expérience des utilisateurs (clients mais aussi commerçants!) et de la scalabilité on-chain ou par des solutions de layer2, que l'utilisation des centres de minage au bénéfice tangible d'implantations d'alternatives énergétiques, que la mise en place d'enseignements dédiés, et à mon humble avis que la mise en place d'actions concrètes de solidarité.

137 - Monnaie, effigie et « légitimité »

March 27th 2023 at 10:00

Parmi les arguments pré-cuits contre Bitcoin, la critique institutionnelle fournit une large gamme autour d'une idée simple : la monnaie étant une institution (sociale ou politique, tous les glissements sont permis) sa gestion revient naturellement, et finalement exclusivement, aux institutions.

Et ceci est supposé d'autant plus convaincant que ces institutions sont dites  légitimes  c'est à dire bénies jadis par Dieu et aujourd'hui par un scrutin, ce qui fait qu'on les présente comme naturellement à même de transférer à la monnaie ce caractère de légitimité réelle ou supposée.

Or nous vivons actuellement une crise qui questionne assez frontalement ladite  légitimité . Les sophismes émis presqu'au rythme de la planche à billets ne témoignent plus guère que de l'inconfort des dirigeants. Quelle conséquence cela peut-il avoir pour la monnaie ?

De Youl à Pascal Boyart, les artistes proches de la communauté Bitcoin ont, comme beaucoup d'autres, déjà réinterprété le drapeau brandi deux siècles plus tôt par la Liberté de Delacroix, lors d'un épisode insurrectionnel ayant opéré un déplacement (minime d'ailleurs) de légitimité et un changement d'effigie sur les pièces de monnaie.

La fresque de Boyart (rapidement effacée) frappait par son horizontalité. En y ajoutant des feux d'émeutes, il assumait ce que les gouvernants dénoncent toujours avec la même indignation feinte et les mêmes mots usés : l'inévitable violence des spasmes révolutionnaires.

Parlons-en, avant de revenir à Bitcoin, révolution pacifique.

Qu'en fut-il lors de l'épisode historique qu'illustra Delacroix ?

La soulèvement de 1830 me semble, dans le riche vivier de références que fournit l'Histoire de France, le plus comparable à celui du  passage en force  auquel le gouvernement s'est livré en mars 2023 : il fut dû aux  Ordonnances  prises le 25 juillet 1830 par le roi Charles X sur la base de l'article 14 de la Charte de 1814 et qui provoquèrent les  Trois glorieuses  journées des 27, 28 et 29 juillet, la fuite du roi et son remplacement par son cousin Louis-Philippe au terme d'une révolution quelque peu confisquée par la bourgeoisie.

Petit rappel pour ceux de mes amis qui ont fait plus de math ou de code que d'histoire :

  • à la chute de Napoléon, le 6 avril 1814, le Sénat  appelle librement au trône de France Louis-Stanislas-Xavier de France, frère du dernier Roi : en toute logique il devrait donc être Louis XVII  roi des Français selon la constitution de 1790 ;
  • mais l'heureux élu brandit une autre légitimité et s'installe (avec l'aide des envahisseurs) dans le fauteuil et le lit de l'empereur tout en s'intitulant  Louis XVIII par la grâce de Dieu roi de France  et en octroyant une Charte de son cru ;
  • cette entorse mise à part, le roi s'avère, durant les 10 ans que la Providence et sa santé lui accordent, plutôt prudent ; les historiens sont bien obligés de lui reconnaître le mérite d'une première vraie expérience parlementaire en France.

Bref : comme notre propre Constitution dont les origines furent douteuses (menace de putsch ou coup d'État du 13 mai 58 ; loi constitutionnelle dérogatoire du 3 juin ; rédaction par des instances informelles plutôt occultes) et dont l'esprit est franchement autoritaire, la mise en oeuvre et la pratique de la Charte octroyée de 1814 finirent par établir une forme de consensus. Ce qui après tout est l'essentiel pour pouvoir dire qu'un texte qui est toujours, fatalement, un texte de circonstances représente  nos institutions  et ceci malgré le passage du temps.

  • 1824. Arrive le nouveau règne. Charles X frère du précédent est un réactionnaire borné qui fait montre d'un catholicisme outrancier, encourage une loi contre les sacrilèges, fait des processions etc.

Dans un pays et dans une époque où la contestation populaire cherche ses voies via les chansonniers ou les graffitis sur les murs, l'effigie du roi, qui est dans toutes les bourses, offre une cible facile et presque inévitable : ce  portrait officiel  est souvent le seul dont on dispose. En 1791, ce serait - selon ce qui a toute chance d'être une légende forgée peu de jours après - grâce à son effigie que le frère aîné, Louis XVI, aurait été reconnu et arrêté lors de sa fuite.

Dès le commencement de son règne, la figure de Charles X va être sapée par un raccourci : il est le  roi-jésuite , comme deux siècles plus tard M. Macron sera le  président des riches . Cela s'exprime sur de très nombreuses pièces de monnaie. Notez que si certaines sont des vraies (en argent, donc avec une valeur intrinsèque et quelques petits coups de stylet pour graver la calotte) d'autres sont d'authentiques faux, si l'on peut dire, réalisés en métal vil mais avec un véritable travail d'artiste.

Ce roi qui a tôt perdu la bataille de l'opinion ne résiste cependant pas à la tentation d'un passage en force en s'appuyant sur une interprétation très hasardeuse de la Charte. Charles X estime qu'il applique le principe de « sûreté de l'État » (article 14) pour diminuer la liberté de la presse. Les opposants brandissent l'article 8 qui énonce clairement que : « les Français ont le droit de publier et de faire imprimer leurs opinions, en se conformant aux lois qui doivent réprimer les abus de cette liberté ». Trois jours d'émeute tranchent le différend.

Le nouveau roi, cousin du précédent, est présenté comme un  roi citoyen . En réalité c'est une combine à lui tout seul. Il n'est pas légitime pour les royalistes, il n'est pas légitime pour les démocrates : il est seulement commode pour les bourgeois comme Thiers (qui sera président 40 ans plus tard, un malin reste un malin). La forme de son visage, sans grande noblesse (ce que d'aucuns suggèrent aussi de son tempérament) lui vaut le sobriquet de poire, et les monnaies du temps en portent aussi les stigmates.

Ainsi, drapeau blanc ou tricolore (après 1830), roi de France ou des Français, toutes ces subtilités juridiques, toutes ces  valeurs  comme diraient nos dirigeants actuels, ne modifient guère le scepticisme goguenard ou la rage frondeuse qui, selon les circonstances, forment le fond de l'humeur populaire en France et notamment à Paris.

Qu'en dire aujourd'hui ?

La République est une chose ambigüe car celle qu'invoque le gouvernement n'est généralement pas celle à laquelle pense l'homme de la rue.

Les premiers ne se gênent d'ailleurs pas pour parler, dans un décor largement inchangé depuis l'Ancien Régime, de choses  régaliennes  — comme la monnaie par exemple — sans bien comprendre que, dans les yeux de beaucoup, ils sont simplement les occupants du jour, posés sur un fauteuil qui reste un trône.

En quatre décennies, les progrès du traitement de l'image n'ont pas apporté grand chose au thème du président-roi.

Il est clair cependant que l'invocation de la révolution a dépassé la mise en cause du faste (dit républicain par ses bénéficiaires) et de la morgue présidentielle pour en revenir à ce qui, dans l'esprit des gens, reste le coeur du déchirement républicain : l'insurrection et, au bout du chemin, la guillotine pour les tyrans.

Bien loin d'avoir la  nostalgie du roi  ils auraient plutôt contre cette figure couronnée une rancune jadis incomplètement satisfaite. D'où le slogan  on peut recommencer  qui soulève le haut-le coeur de ceux qui estiment que, depuis qu'ils sont en place, tout est à sa place.

La toile de Delacroix, résumant à elle seule cette équivoque sur ce que République veut dire, peut se retrouver sur un billet de banque (le célèbre 100 francs de 1979) et derechef sur une pièce de 100 F en argent (en 1993, pour le bicentenaire de l'artiste, non pour commémorer l'événement...) tandis que la même gueuse à sein nu, quoiqu'ayant fait le tour de la presse internationale, se verra prestement effacée dès qu'elle sort de son rôle d'évocation aseptisée d'une histoire sagement figée au bénéfice de l'ordre établi.

Revenons à nos gros sous

Comme la Liberté de Delacroix, la figure rhétorique de la République n'a simplement pas le même sens pour les uns et pour les autres et la fragile légitimité qu'elle prétend transférer aux institutions qui gèrent la monnaie (Banques Centrales, instances de régulation, bureaux les plus divers) avec leurs rhétoriques grandioses ( notre état de droit ) et leurs prétentions d'œuvrer au bien commun repose sur une base aussi fragile et aussi équivoque. Qui pense vraiment que les Banques Centrales sont indépendantes de tout le monde ? Des  200 familles  qui régentaient la Banque de France à la grossière ploutocratie bancaire qui instrumentalise tout aujourd'hui, le spectacle n'a guère besoin d'être décrypté comme diraient les journalistes.

 Contre nous de la tyrannie  ?

Il est certain que (pas davantage qu'aucun de ses prédécesseurs) M. Macron n'accepterait que l'on évoque son image en chantant ces mots. Il n'est pourtant écrit nulle part que les tyrans soient forcément et exclusivement des rois, ni qu'un processus plus ou moins encadré d'élection permette d'éviter la tyrannie, ni que l'existence d'un texte constitutionnel n'en prémunisse.

En tout cas ce n'est certainement pas ce que pensent le commun des mortels quand les événements attirent son attention sur ces graves problèmes. Pour moi, j'incite ceux qui ont le temps à écouter ce qu'en dit Clément Viktorovitch, je ne saurais mieux dire.

Revenons en 1848, autre année de révolution confisquée et autre source de désillusion. La médaille satirique ci-dessous montre une amusante série de coups de pieds dans le cul. D'abord l'ex-roi Louis-Philippe avec un chapeau abîmé, magot à la main. Vient ensuite l'homme de février 48, le poète Lamartine reconnaissable à sa lyre puis le général Cavaignac qui a commandé la répression dès juin. La marche est close par Louis-Napoléon Bonaparte, qui bat le précédent à la présidentielle de décembre : il est représenté avec les attributs de son oncle. Le tout est hélas souligné d'une malheureuse prophétie : celui que l'on avait pris pour  un crétin  allait rester là 22 ans avec son effigie sur d'innombrables pièces d'or, d'argent et de billon...

Le revers de la médaille est tout cru et peut, en revanche, toujours servir d'avertissement.

La forme républicaine du régime actuel n'a jamais empêché, en effet, les opérations  ôte-toi de là  orchestrées par des officines et des coteries (comme le remplacement du roi de 1830 par son cousin) : trois présidents auront sans trop de mal imposé leur image de réformateur, et le récit épique de leur arrivée aux affaires comme un changement voire une rupture avec les précédents qui n'avaient rien fait : or qu'il s'agisse de Valéry Giscard d'Estaing en 1974, de Nicolas Sarkozy en 2007 ou de Emmanuel Macron en 2017, l'intéressé était ministre la veille ou l'avant-veille et avait exercé une influence sensible et durable sur les affaires.

Bref, comme le disait déjà un observateur en 1849, « plus ça change, plus c’est la même chose ».

Et la violence ?

Avec la dramaturgie de la violence au 19ème siècle, comme avec celle du scrutin de nos jours, le changement n'est jamais que, latéral, marginal, et le plus souvent dans le sens qui conforte la classe dominante. Mais, même avec violence, le changement semble indifférent à la monnaie, à sa nature, aux conditions de son émission, de sa conservation. Karl Marx ironisait ainsi sur les communards allant poliment demander une avance à la Banque de France au lieu de la réquisitionner. Sur cet épisode de 1871 il y a beaucoup à dire.

On peut penser que la majorité des membres de la Commune avaient la même perception et la même approche du problème de la Banque de France, et qu'ils étaient victimes de deux mythes toujours fort communs :

  1. Premier mythe : que la banque – et plus généralement la finance – appartient au domaine du sacré.
  2. Second mythe, qui en découle : que les mécanismes financiers sont trop compliqués pour être compris par les simples citoyens, voire par les responsables politiques, et qu’ils doivent de ce fait être réservés à des spécialistes ou même à des experts.

En écrivant Bitcoin, la monnaie acéphale Adli Takkal Bataille et moi écrivions d'abord que  l’irruption d’une nouveauté radicale permet un examen critique non moins radical de ce qui, sans solution alternative adéquate, passait aisément pour naturel . Nous ne dissimulions pas non plus que c'était bien  du début à la fin du livre, d’enlever l’effigie des puissances tutélaires et les majestueux profils des autorités sur toutes sortes de médailles qu’il a été question, en commençant par la monnaie acéphale ! 

(La Liberté de Youl) relire mon billet à son sujet

Certes Bitcoin est une révolution non violente. Mais la hargne constante que lui témoignent les dirigeants, les politiques et leurs thuriféraires comme leur volonté peu dissimulée de l'interdire, tranchent avec le constat désabusé que portait il y a plusieurs décennies maintenant l'humoriste préféré des Français et dont les événements actuels permettent de mesurer la pertinence.

136 - Les trois générations

March 8th 2023 at 10:00

Au moment où des hauts-fonctionnaires enfants et petits enfants spirituels de Gérard Théry (1933- 2021) veulent enterrer Bitcoin (au besoin après l'avoir étouffé eux-mêmes) pour se donner la satisfaction de conforter leur conception obsolète du monde mais aussi pour le profit des banquiers et la vanité de politiciens sans vision, il m'a paru important de donner sur mon blog la traduction d' un article qui permet de replacer les bourrasques dans la perspective d'un voyage au long cours.

Cet article a été publié par Aleksandar Svetski, fondateur du Bitcoin Times, auteur de The UnCommunist Manifesto et de la série virale (et controversée) Remnant, par ailleurs responsable de la croissance et de la stratégie chez Lucent Labs.

Sa  théorie des trois générations  ne pouvait que tirer l'oeil d'un historien... et je remercie mon ami et co-auteur Adli Takkal Bataille, président de notre  Cercle du Coin  de m'en avoir signalé l'importance.

L'illustration est issue de la publication originale que l'on trouve sur le site de Bitcoin Magazine et sur celui de Zerohedge

Voici la traduction de l'article. Mes commentaires sont placés en dessous, comme il sied à des commentaires.

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Les bitcoiners sont connus pour leur capacité à surestimer la vitesse avec laquelle Bitcoin va  envahir le monde  et devenir  une monnaie largement acceptée .

J'ai longtemps appartenu à ce camp, mais j'en suis venu à penser différemment ces derniers temps. Avant de m'accuser d'avoir déserté ou de me traiter de fainéant, je vous demande de lire la suite et de réserver votre opinion jusqu'à la fin. J'aime à penser que je mûris dans ma façon de considérer Bitcoin. Voyez-y de la tempérance, de la patience ou une dose d'humilité, mais j'essaie d'ajouter un peu de réalisme, ou une  préférence pour le temps long  à la perception souvent surexcitée de Bitcoin parmi certains d'entre nous.

Mais, comme vous le remarquerez, je pense qu'à long terme, aucun d'entre nous n'est  assez haussier  (chapeau bas devant CK).

Allons-y...

BITCOIN EST UNE TRANSFORMATION TECHNIQUE, SOCIALE ET ÉCONOMIQUE

Bien des gens sont très prompts à projeter les courbes d'adoption de technologies antérieures sur les perspectives de Bitcoin. Mais le problème est que Bitcoin n'est pas une simple technologie.

Il ne s'agit pas seulement d'un smartphone, d'un ordinateur, d'un réseau social, d'une nouvelle action ou d'un nouveau titre, d'une nouvelle méthode de paiement, d'un moteur de recherche, d'une plateforme de messagerie ou de tout autre nouveau produit, application ou service.

Bitcoin est une transformation complète, technique, sociale et économique. Il s'agit d'une réinvention de l'argent depuis ses fondements mêmes, incompatible avec toute primitive antérieure.

Il s'agit donc non seulement d'un changement d'une ampleur considérable, mais aussi d'un changement complètement différent sur le plan paradigmatique. Il y a à cela des avantages comme des obstacles, tous considérables.

Des avantages parce que :

  1. Bitcoin a le plus grand potentiel de croissance que l'on puisse imaginer. Si son offre est fixe et que le marché auquel il s'adresse est celui d'une monnaie mondiale - ce qui implique qu'il sera la mesure par rapport à laquelle chaque action, propriété, entreprise, véhicule, sac à main ou quoi que ce soit existant sur terre sera évalué - il s'ensuit que le bitcoin sera, à terme,  l'unité de valeur  la plus liquide et la plus précieuse de la planète.
  2. S'il est incompatible avec l'ordre ancien, il offre véritablement un changement de paradigme. Et s'il est supérieur (ce qui a été prouvé dans toutes les dimensions importantes en ce qui concerne sa fonction de monnaie), alors il ne se contentera pas de  concurrencer  l'ancienne garde, mais il la remplacera complètement. Il ne s'agit pas du  découpage d'un nouveau marché , mais d'une transformation de type  gagnant-gagnant  et, fondamentalement, d'une transformation de type  changement de la nature du jeu . C'est beaucoup plus important.

Des obstacles parce que :

  1. Une telle transformation n'est pas une mince affaire. Devenir une monnaie mondiale ne sera pas une promenade de santé ; ce ne sera pas facile, il y aura beaucoup, beaucoup de vents contraires et des cadavres jalonneront le parcours. Le changement est difficile, même dans les meilleurs moments et avec les contreparties les plus volontaires. Nous n'avons ni les uns ni les autres de notre côté.
  2. La nature des changements de paradigme est telle que la plupart des gens ne les voient pas et même lorsqu'ils les voient ils les comprennent rarement. Il faut donc un certain temps pour atteindre une masse critique (quelle que soit la signification de cette mesure) et beaucoup plus de temps pour parvenir à ce que l'on appelle  l'adoption de masse . De plus, les gens n'aiment pas avoir tort, en particulier les gens qui sont en place, de sorte qu'outre le facteur temps, il faut compter avec les réactions négatives et les moqueries de tout le monde.

Il s'agit là d'obstacles réels qu'il est nécessaire de reconnaître. Vous ne pouvez pas simplement fermer les yeux et les oreilles, tweeter que  Bitcoin règle le problème  et prétendre que tout va bien se passer parce que  Number go Up . Non.

Nous devons comprendre que nous jouons  le plus grand jeu , comme dirait Jeff Booth, c'est à dire que nous jouons avec les plus grands enjeux, pour les plus grands gains, contre les plus grands ennemis - à la fois externes et internes. Nous nous battons à la fois contre l'establishment et contre les cultures dans lesquelles nous avons été élevés.

Il y a plus de changements à opérer qu'aucun d'entre nous ne peut l'imaginer.

Je ne dis pas cela pour vous décourager de Bitcoin ou pour vous donner l'impression que  bon sang - je vais mourir avant de voir le bon côté des choses , mais pour : a) vous suggérer que c'est probablement plus important que vous ne le pensiez, et b) pour vous inciter à un peu de réalisme afin que vous puissiez vous préparer mentalement et cesser de jouer à des jeux à court terme. Vous devez vous préparer.

Le bitcoin est un marathon, pas un sprint.

LA THÉORIE DES TROIS GÉNÉRATIONS

Les changements socio-économiques à grande échelle prennent des générations pour s'installer et se normaliser. La vieille garde doit mourir, pour ainsi dire, afin que ceux qui sont nés dans le nouveau paradigme puissent prendre les commandes.

Or chaque génération représente un changement de paradigme en soi, et chaque changement successif apportera avec lui une compréhension et une relation totalement nouvelles avec Bitcoin.

Explorons tout cela...

PREMIÈRE GÉNÉRATION : LA PHASE D'INFECTION

Nous sommes dans la première génération de Bitcoin. Appelons cela le premier chapitre, ou la première  ère . Cette ère ou cette génération s'étendra sur 20 ans et constituera la  phase d'infection  de Bitcoin.

Je l'appelle ainsi parce qu'à ce stade, Bitcoin infecte le système. Il s'agit d'une sorte de virus qui s'accroche à des hôtes qui agissent alors de manière à ce qu'il se propage davantage. Son but est d'infecter les infrastructures clés, les esprits clés, les leviers clés et les systèmes clés du paradigme actuel. Il doit d'abord s'infiltrer le plus discrètement possible, puis former une sorte de symbiose avec l'hôte au fur et à mesure qu'il se développe, de sorte qu'il en résulte des avantages mutuels pour l'ensemble toujours plus grand d'hôtes et aussi pour le virus Bitcoin.

Nous avons vu cela se produire.

À ce stade, Bitcoin devait prouver que quelqu'un l'échangerait contre de l'argent (ou contre une pizza). Il devait présenter une  preuve de concept  commerciale significative, ce qu'il a fait avec la Silk Road. Il a dû franchir une première étape de monétisation (Mt. Gox) et inspirer toute une industrie d'imitateurs parce que ce qu'il faisait était tellement transformateur - ce que nous avons vu avec les shitcoins.

Cette évolution s'accompagne d'un grand nombre de spéculations, jusqu'à ce que nous atteignions finalement une part suffisamment importante de la capitalisation totale du marché ou de la liquidité pour que puisse s'effectuer une transition vers le nouveau paradigme.

Nous sommes en plein milieu de la mini-ère de spéculation de cette première génération, ou de la phase d'infection des débuts de Bitcoin.

Alors que certains d'entre nous, les radicaux, considèrent et utilisent le bitcoin comme de l'argent et comme notre unité de compte, le reste du monde le considère généralement comme un actif spéculatif, ou quelque chose avec laquelle on  trade  pour obtenir encore davantage de dollars. Ce n'est pas pour rien que Bitcoin est corrélé aux marchés, et même s'il y a des signes de découplage, il est encore tôt et les gens continueront à court terme à le considérer comme un actif  à risque .

Certains qualifient cette situation de  mauvaise  et affirment qu'elle trahit la promesse initiale de Bitcoin, mais je pense qu'ils passent à côté de l'essentiel. L'argent fait tourner le monde, et jamais plus que dans le monde moderne et matériel dans lequel nous vivons.

Par conséquent, pour avoir le plus grand impact et assurer la symbiose la plus efficace, Bitcoin doit être un animal économique et financier. Pour réparer la débauche financière, Bitcoin doit englober la débauche et ensuite, lentement, comme un virus (même si dans le cas de Bitcoin, il s'agit plutôt d'un anti-virus), infecter les hôtes et commencer à les changer.

L'allongement de la préférence temporelle et derrière, l'adaptation et la maturation du comportement des gens sont un exemple fréquent de cet effet. Pour en savoir plus, consultez l'article de Saifedean Ammous dans l'édition autrichienne du Bitcoin Times :  Making Time Preference Low Again .

Voilà, c'est ça : nous sommes dans la première génération, sur une période de 20 ans. Nous en sommes à 15 ans et nous sommes sur la bonne voie. Il nous reste encore cinq ans avant d'entrer dans la prochaine génération, et au cours de ces cinq années, nous assisterons à deux nouveaux halvings, à une énorme activité de spéculation et à une véritable accélération vers l'état de liquidité ou de saturation de la capitalisation du marché que j'ai mentionné plus tôt.

Dans le même temps, en coulisses, des choses se seront construites pour préparer le terrain à la prochaine génération. Ce qui nous amène bien sûr à cette...

DEUXIÈME GÉNÉRATION : L'ÉTAPE DE L'INFRASTRUCTURE

Imaginez que vous êtes né en 2009, la même année que Bitcoin.

Vous grandissez et devenez adulte dans un monde où Bitcoin a toujours existé. Pour vous, en tant qu'enfant, il va de soi que l'argent est une chose numérique, et l'idée compliquée d'ouvrir un compte en banque ou de se promener avec des billets imprimés et des cartes en plastique vous est étrangère ou vous semble étrange.

En 2029, vous allez avoir 20 ans et peut-être que la spéculation ne vous a pas encore vraiment effleuré l'esprit. Peut-être voyez-vous plutôt un problème à résoudre et considérez-vous simplement Bitcoin comme un outil pour vous aider à le résoudre.

Gardez à l'esprit qu'à ce stade, le prix du bitcoin serait nettement plus élevé et sa volatilité plus faible. Des éléments comme le Lightning Network seront plus avancés, ainsi que d'autres protocoles en surcouche ancrés sur Bitcoin. En tant que tel, vous considérez toute cette infrastructure émergente comme une boîte à outils et non comme un actif spéculatif. En fait, vous pouvez considérer d'autres choses de la même manière et choisir de jouer avec elles, mais parce que a) le bitcoin a mûri et que la volatilité s'est un peu atténuée, et b) de nombreux services proposent désormais le bitcoin comme option de financement, vous décidez que c'est la norme par rapport à laquelle vous mesurerez vos gains. Ce n'est plus l'actif spéculatif qui prime.

Il est même possible que vos parents aient été des bitcoiners de la première génération et qu'ils vous aient enseigné les principes ou transmis Bitcoin et que vous ayez grandi immergé dedans. Ainsi, non seulement Bitcoin est quelque chose qui a toujours existé  pour vous mais c'est aussi quelque chose que vous comprenez profondément.

Il ne s'agit pas non plus d'idées farfelues, compte tenu de l'époque dans laquelle vous avez grandi. Imaginez comment vous et ceux de votre génération verront Bitcoin et comment vous l'utiliserez. Complètement différemment, oui.

C'est pourquoi je considère la prochaine étape comme celle de l'outillage ou de l'infrastructure. À cette époque, le bitcoin quittera enfin les spéculateurs pour entrer dans le cœur, l'esprit et les mains des bâtisseurs.

Les jeunes de 20 ans qui lèveront des capitaux et créeront des entreprises à cette époque utiliseront Bitcoin, Lightning et d'autres couches comme des outils qui leur donneront un tel avantage dans le monde que nous verrons toute une gamme de produits et de services qui intègreront l'argent dans leurs opérations, de la même manière que la communication a été intégrée dans tout ce que nous utilisons aujourd'hui.

Les incitations évolueront de telle sorte que le fait d'avoir Bitcoin et ses surcouches dans votre boîte à outils vous donnera des super-pouvoirs.

Mais... gardez à l'esprit que pendant une grande partie de cette ère, la génération précédente tiendra encore les cordons de la bourse. Il y aura toujours un élément culturel et normatif qui considérera Bitcoin comme étranger ou spéculatif et qui, malgré  tout ce qui se passe , se battra encore pour s'accrocher au passé.

Cette époque sera celle du choc entre les nouveaux bâtisseurs et les bitcoiners de la première génération, d'un côté, et l'élite résiduelle de l'ancien monde qui possède encore une grande partie de la richesse fiduciaire (actions, obligations, propriétés, entreprises, shitcoins, etc.) Les bitcoiners de la première et de la deuxième génération, en particulier au début de cette ère, seront encore en infériorité numérique. Mais bien sûr, aucun grand homme n'a jamais renoncé à se battre, quelles que soient les circonstances.

Si l'on prolonge cette période de 20 ans, jusqu'en 2049, je ne pense pas qu'aucun d'entre nous puisse imaginer le type d'infrastructure, de produits et de services qui en résulteront, ni l'ampleur du changement qui s'ensuivra. Ce qui m'amène bien sûr à la...

TROISIÈME GÉNÉRATION : LE STADE DE L'ADOPTION MASSIVE

C'est la génération de l'adoption massive. C'est là que les enfants de nos enfants atteindront l'âge adulte. Ils n'auront vraiment pas connu un monde dans lequel Bitcoin n'existait pas et pourraient même entrer dans l'âge adulte sans savoir ce qu'était la monnaie fiduciaire.

À la fin de cette ère, les derniers vestiges de notre génération commenceront à s'éteindre et le ruban adhésif qui maintenait l'ancienne infrastructure en place cédera. La cité de la monnaie fiduciaire sera abandonnée. Nous entrerons dans la phase d'adoption par le grand public.

Vous vous dites peut-être :  Mais non ! Ça se passera bien plus vite parce que... regardez toutes les technologies qui seront construites d'ici là .

À quoi je vous répondrais :  Bien sûr, beaucoup de technologies seront construites à ce moment-là, mais je suis presque certain qu'un nombre important de personnes hésiteront encore à vendre leur maison, leur voiture, leurs produits ou leurs services pour de l'argent magique sur Internet .

Ce nombre aura considérablement diminué, mais si vous pensez que les gouvernements, les grandes entreprises et les personnes qui ont réussi dans la vie grâce à un seul mode de fonctionnement vont tout miser et faire confiance à une monnaie vieille de 40 ans plutôt qu'à des choses comme la forme de propriété qui existe depuis des milliers d'années, alors vous vous faites des illusions.

Bitcoin est la voie à suivre, mais la richesse doit d'abord changer de mains et cela prendra du temps. C'est pourquoi je pense que c'est à la troisième génération qu'adviendra la phase d'adoption massive. Elle arrivera à l'âge adulte dans un monde où nous disposerons d'une technologie financière supérieure et d'une infrastructure économique qui permettra aux gens d'utiliser Bitcoin comme capital. Il s'agit de la forme de capital la plus liquide, la plus largement accessible, la plus significative et la plus fiable qui soit.

Si l'on se place en 2069, le monde sera complètement différent. C'est à ce moment-là que Bitcoin arrivera vraiment à maturité. C'est le moment où la monnaie fiat sera supprimée, mourra ou deviendra une relique du passé, tandis que Bitcoin deviendra à la fois une infrastructure de règlement mondiale et la monnaie mondiale.

C'est le moment où Bitcoin ou un protocole en surcouche ancré dans Bitcoin fera partie intégrante de presque toutes les applications technologiques utilisées par des personnes du monde entier.

À ce stade, Bitcoin ne sera plus le virus ; il se sera uni à un nouvel hôte et même l'aura créé.

Je ne sais pas ce qui se passera ensuite. Mais il est passionnant d'y penser. Nous serons alors dans un tout nouveau paradigme.

POUR LES ENFANTS DE NOS ENFANTS

Vous remarquerez que mes certitudes sur ce qui se passera à chaque étape diminuent au fur et à mesure que l'on s'éloigne dans le temps. Je suis assez sûr de ce que nous réservent les cinq prochaines années, et j'ai un certain niveau de confiance pour au moins la première moitié de la deuxième ère, mais au-delà, je ne peux que supposer et donner les grandes lignes de ce qui est probable.

C'est parce que je suis un humain et que les humains sous-estiment toujours les effets composés, alors que Bitcoin est sujet à plus d'effets composés que pratiquement tout ce que nous connaissons (au moins en tant qu'actif, si ce n'est même pour d'autres choses). À chaque jour qui passe, à chaque nouveau satoshi détenu par chaque nouvel utilisateur, à chaque nouveau mineur qui se branche, à chaque nouveau commerçant qui accepte Bitcoin, à chaque nouveau nœud qui fonctionne et à chaque nouveau canal Lightning qui s'ouvre, Bitcoin se compose et se développe.

Aucun d'entre nous n'est prêt à affronter ce que cela signifie pour trois générations entières et, malheureusement, beaucoup d'entre nous ne vivront pas assez longtemps pour le voir. Mais c'est le sort qui nous est échu !

Notre génération a reçu le cadeau de pouvoir compter parmi les pères fondateurs d'un monde nouveau, mais aussi la malédiction d'endurer un monde de clowns pour prix de ce privilège. Bien que nous ne puissions pas vraiment profiter des fruits de ce travail, nous aurons été la génération qui restera dans les livres d'histoire comme celle qui a tout changé.

Je ne sais pas ce qu'il en est pour vous, mais c'est un marché qui vaut la peine d'être conclu.

Les bitcoiners de la première génération sont comme ceux qui ont posé les fondations et les premières pierres des cathédrales de l'Antiquité et de l'époque féodale. Ils ne vivront jamais assez longtemps pour voir ces structures achevées, mais ils resteront à jamais dans les mémoires en tant que fondateurs.

Et qui sait ? Peut-être regarderons-nous depuis l'autre monde et admirerons-nous ce que nous avons fait, comme ces grands qui nous ont précédés l'ont fait pour leurs créations.

Je n'en sais rien.

Ce qui compte, et je vous laisse sur ce point, c'est de reconnaître que Bitcoin est un phénomène pluri-générationnel. Ce n'est pas Google, Apple, Facebook, Twitter, un smartphone, PayPal, Visa, une action ou une simple marchandise. Il est bien plus important que tous ces éléments réunis et, en raison de son importance fondamentale, il faudra du temps pour que les gens l'adoptent.

Il faudra quelques générations pour que cela se normalise. Il faudra que nous mourions pour qu'il atteigne son potentiel - non pas que nous devions être fusillés, mais notre génération doit céder la place à la suivante et à la suivante pour que le nouveau paradigme s'installe vraiment. Une fois que nous aurons disparu, Bitcoin s'épanouira vraiment.

J'espère que vous garderez cela à l'esprit lorsque vous penserez à Bitcoin.

Nous devons faire attention à ne pas projeter sur lui des courbes d'adoption de la technologie et, en cas de déception, tenter de le bricoler. Ce qui n'est pas cassé n'a pas toujours besoin d'être réparé ou mis à jour et, en fait, la principale caractéristique de Bitcoin est peut-être le fait qu'il ne changera pas, ou très peu, sur les échelles de temps que j'ai évoquées dans cet essai.

Si les règles de consensus de Bitcoin sont restées inchangées et qu'il reste tick-tock, next block'd pendant trois, quatre, cinq décennies, alors les gens auront naturellement développé ce qui compte le plus pour une nouvelle norme et un nouveau paradigme socio-économiques : la confiance.

Et même si les bitcoiners détestent ce mot, la confiance est importante - la vérité est que l'on fait le plus confiance à ce que l'on peut vérifier. C'est pourquoi Bitcoin sera en fin de compte la couche monétaire, économique et de communication la plus fiable de la planète, après quelques générations.

135 - Reliques

February 7th 2023 at 22:00

(Pour Gilles et quelques autres...)

Le mot  relique  traverse le ciel de l'économie tel une météore, sous la plume souvent très littéraire de JM Keynes. Sa première mention est je crois dans le Tract on Monetary Reform publié en 1923. La formule (lui) plut et 21 ans plus tard, Lord Keynes la citait avec une fausse modestie remarquable devant la Chambre des Lords. L'expression barbarous relic avait d'abord visé l'étalon-or ; en 1944 il semble que c'était l'or lui-même qui était renvoyé vers un passé volontairement imprécis.

Quelque complexes qu'aient été les rapports de Keynes avec la religion (et sans s'appesantir non plus sur la morgue du britannique évoquant les barbares) il sourd dans cet usage péjoratif de la relique comme un mépris dont on ne sait s'il faut l'attribuer au protestant ou à l'intellectuel.

Dans le monde du Bitcoin, on rabâche un peu la vieille histoire de Luther qui a libéré les consciences de l'emprise de Rome, moderne Babylone où le pape vendait des remises de peines dans l'autre monde. En dénonçant ce trafic centralisé (à Rome) il aurait mis en place un schéma que l'on compare ensuite à celui de Satoshi.

Mais si les  Indulgences  firent scandales, c'est largement parce qu'elles étaient mal enracinées. La vraie religion populaire, durant des siècles, ce fut bien plutôt celle des reliques. Et cette histoire là n'est pas moins intéressante que l'autre.

Sur les indulgences, je crois que tout a été dit.

Je ne vais pas traiter ici le sujet déjà très fouillé de l'analogie entre la proposition de Satoshi le 31 octobre 2008 et celles qui s'inaugurèrent sur la porte de l'église de la Toussaint de Wittemberg, le même jour de l'année, 491 ans plus tôt. On relira à ce sujet la traduction française du rapport d’Adamant Research, de Tuur Demeester, accessible ici dans sa version originale. Je ne souscris pas à toutes ses assertions !

On lira aussi les deux études publiées fin 2022 par Thomas Mang sur le site bitcoin.fr et là non plus je ne souscris pas forcément à tout :


Mon sentiment est que les reliques ont peut-être plus à nous apprendre que les célèbres Indulgences.

Il convient de commencer par rappeler que le protecteur de Luther (sans lequel cet impertinent petit moine augustin aurait vu sa carrière raccourcie) Frédéric III de Saxe dit le Sage était, lui, grand collectionneur de reliques des saints les plus divers. Et que s'il avait quelque chose à reprocher au pape, c'était moins de trafiquer avec l'autre monde que de détourner vers Rome des sommes que les pèlerins en quête de salut auraient plus utilement (à ses yeux) dépensés en Saxe en venant y demander des faveurs au Ciel devant ses plus de 19.000 reliques à lui, dont il monnayait évidemment l'accès...

Ce qui m'intéresse dans les reliques, c'est ce qu'elles nous apprennent de la valeur.

Je m'inspire de plusieurs recherches sur ce sujet, dont celles du philosophe Thierry Lenain et celles de la sociologue Nathalie Heinich. Je ne fais guère ici que les mentionner, et y renvoyer mon lecteur courageux, qui en tirera le plus grand profit !

En 2004, à l'occasion d'un colloque organisé au Louvre et dont les Actes ont été publiés sous le titre De main de maître ; l'artiste et le faux Thierry Lenain plaçait la genèse de la critique d'authenticité en art, non dans l'art antique (aussi indifférent à cet enjeu que l'art contemporain y est hyper-sensible) mais dans le culte médiéval des reliques. Après avoir rappelé les lourds enjeux économiques et financiers de ce  culte  et la proximité entre le monde qui créait des pièces d'orfèvrerie et celui qui fabriquait les précieux reliquaires, il notait que  c'est peut-être en tant que choses falsifiables que les reliques chrétiennes s'apparentent de la façon la pus troublante à l'œuvre d'art telle que nous la connaissons depuis la Renaissance italienne, et surtout, depuis le développement de la critique d'attribution au XIX° siècle .

Les reliques sont  les tout premiers objets précieux dont la valeur intrinsèque ait dépendu de leur authenticité . Certes ladite authenticité provient-elle souvent d'un document officiel d'une autorité (pape, évêque) mais elle peut aussi provenir d'une tradition entretenue localement. Ce n'est pas l'essentiel en ce qui nous concerne. Plus important est que  cette valeur d'authenticité ne s'attache plus à la seule substance de l'objet mais bien à son statut de chose individuelle relatif à son origine . Tout le monde me voit venir, j'espère !

Avec humour, on notera que l'expertise nécessaire à l'authentification et à l'attribution correcte des reliques se voyait constamment confrontée aux ruses de falsificateurs très au fait des méthodes et critères en usage parmi les experts : de fausses reliques ont été fabriquées à base d'amiante ... pour résister à l'ordalie par le feu ! Si nombre de faussaires étaient simplement mus par l'appât du gain, on trouvait aussi des exemples de faux réalisés par ou pour les légitimes détenteurs de l'original (pour le prêter, ou pour tromper les voleurs, etc). Avec un humour plus grinçant encore on évoquera les cas nombreux où deux sanctuaires se disputaient le privilège de détenir l'original d'une relique unique.

Trésor ou emblème ? Durant trois siècles la monnaie de Besançon fut ornée de la main bénissante de saint Étienne

Après Erasme dans son Pèlerinage (dialogue datant de 1500) Calvin s'illustra en 1543 ici dans la satire d'un système qui ne pouvait évidemment que faillir, sinon par  double dépense  du moins par une sorte de double écriture de la légende, ou si l'on veut de fork de certaines reliques et par une effrayante production de reliques improbables ou absurdes, véritables shitcoins sacrés. Railleries fort convenues, au demeurant. Là aussi, on rappelle moins souvent que des prédicateurs catholiques célèbres, comme Bernardin de Sienne au 15ème siècle ou même Guilbert de Nogent dès le 12ème avaient aussi copieusement ironisé tant sur la croyance populaire que sur les sacrés scams qui l'entretenaient et l'exploitaient.

Pour un esprit cultivé du Moyen-Âge, la fausseté d'une relique ne pouvait avoir aucune conséquence théologique et la seule authenticité qui comptait était bien sûr celle de la prière.

Quant aux juges, ils refusaient de connaître les litiges entre les détenteurs de deux crânes d'un même saint, pour éviter le scandale officiellement, et sans doute en l'absence de toute véritable preuve. Au fond, ce qui comptait c'était la confiance que l'on mettait dans un objet sacré, indépendamment de sa valeur intrinsèque. Un schéma fragile...

La relique, le fétiche et l'œuvre d'art.

Nathalie Heinich en 1993 distinguait certains objets de la masse des choses fongibles, utilitaires et périssables par leurs régimes particuliers : précisément les reliques, les fétiches et les œuvres d’art. Elle en déduisait ceci : « il existe des gradations sur l’échelle des états, de sorte que les êtres peuvent être “plus ou moins” des personnes, selon leur nature et selon les circonstances. C’est ainsi que les humains sont plutôt plus des personnes que des choses et, parmi celles-ci, les tableaux de maîtres le sont plutôt plus que les chaises, sauf basculements toujours possibles ».

Je laisse mon lecteur extrapoler et réfléchir au débat sur la  valeur intrinsèque  d'un bout de Bitcoin (ou d'un shitcoin).

Si la  valeur  des reliques pouvait difficilement résister au progrès des lumières et traverser les siècles (sauf en ce qui concerne les précieux reliquaires eux-mêmes) celle des chefs d'œuvre de l'art y réussit. La valeur d'un chef d'œuvre (indépendamment de critères strictement esthétiques) intègre toujours une part tenant à son authenticité, c'est à dire à l'exactitude de son attribution, laquelle s'appuie sur ce que j'ai décrit autrefois comme l'un des ancêtres de la blockchain, à savoir la chaîne ininterrompue d'actes de ventes, de catalogues de ventes et d'inventaire de musées qui permettent de tracer une œuvre parfois sur des siècles. J'incite mon lecteur à relire tout ce que j'ai écrit pour répondre à cette question que je crois fondamentale :  l'Art est-il dans la nature de Bitcoin ? 

Dans la perspective tracée ici, Bitcoin serait donc une sorte de fétiche, comme nous l'avons écrit avec Philippe Ratte dans Objective Thune. Mais il est surtout une relique. Et pas n'importe laquelle.

Loin d'être une  relique barbare , Bitcoin serait la perfection de la relique : un morceau de la vraie blockchain enchâssé dans le précieux (car coûteux) travail d'orfèvrerie des mineurs et ainsi conservé dans le temps.

(Un fragment du Vrai Bitcoin serait conservé par des moines maximalistes bretons qui vendent même des preuves de pèlerinage inscrites par eux dans la blockchain ; cette pratique, quoique canoniquement valide, est considérée comme archaïque par d'autres monastères cryptos)

Pour aller plus loin :

134 - Un imbécile heureux (bien sûr) quoique méfiant

January 7th 2023 at 09:02


Nassim Nicholas Taleb vient de délivrer dans l’Express une interview à Laetitia Strauch-Bonart, par ailleurs autrice d'un De la France remarqué et dont on aurait aimé lire les commentaires.

Ce texte est publié sous un titre tout en finesse et qui malheureusement le résume bien : « Le bitcoin est un détecteur d’imbéciles ».

Comme il me paraît délicat de réserver de telles insultes à un cercle restreint d’abonnés, je mets cela à la disposition de tous.

J’enchaîne en disant que j’ai lu jadis avec beaucoup d’intérêt Le hasard sauvage. C’était en 2001 et à l’époque je n’étais pas encore imbécile mais directeur financier d’un groupe coté en Bourse qui possédait des intérêts majoritaires dans un groupe de casinos. J’étais administrateur de quatre établissements de jeux en France et cette activité, qui me déplaisait moralement, me passionnait d’un point de vue humain (« Le hasard est le plus grand romancier du monde » disait Balzac) mais aussi mathématique.

A la même époque de ma vie, j’ai donc lu les ouvrages de Louis Bachelier (Le Jeu, la Chance et le Hasard, 1914) d’Émile Borel et Jean Ville (Application de la théorie des probabilités aux jeux de hasard, 1938 ; Valeur Pratique et Philosophie des Probabilités, 1939) de Marcel Boll (La Chance et les Jeux de Hasard, 1948) de Nicolas Mandelbrot (Fractales, hasard et finance, 1997) et de Nicolas Bouleau (Martingales et Marchés Financiers, 1998). Je m’en souviens. Je suis peut-être un imbécile mais je m’applique. Je lis en prenant des notes. J'en ai conclu que pour dénoncer la  finance casino  il fallait être inculte – et ignorer l'histoire des probabilités et l'histoire des mathématiques financières – ou bien politicien et incapable d'évoquer une réalité qui vous dépasse autrement que par des formules toutes faites.

J’ai donc bien aimé, revenons-y, Le hasard sauvage. J’ai moins goûté le suivant (Le Cygne noir, 2007) tant parce que M. Taleb se répétait que parce qu’il cédait un peu à la fanfaronnade. D’anciens collègues qui le connaissent (nous sommes de la même classe d’âge) m’ont semblé trouver eux-aussi que la circonférence de sa boîte crânienne avait subi l’inévitable dilatation que provoque toujours la célébrité.

Pour ce qu'il en est de Bitcoin, M. Taleb (qui préfaçait encore le livre de Saifedean Ammous en 2018) a changé d’avis à son sujet. C’est son droit. Mais l'imbécile que je suis se souviens qu'il avait salué dans le CR dudit livre cette préface remplacée dans le seconde édition par un mot de M. Saylor. Mais comme je possède l'édition collector, et à titre de cadeau à mes lecteurs imbéciles, je l'accroche ici et en commentaires aussi.

Comme on a pu le voir avec Jean-Paul Delahaye, qui lui aussi a renié son enthousiasme adolescent pour Bitcoin quoique pour d'autres raisons me semble-t-il, on voit dans la prose des born-again à la monnaie fiat un peu du célèbre « courbe toi fier Sicambre, brûle ce que tu as adoré » et naturellement – comme dans la formule du baptême de Clovis – « adore ce que tu as brûlé ».

Bref convertis ou renégats, ils en font trop, c’est bien connu ! L'amusant est qu'une bonne explication en fut donnée d'avance par M. Taleb quand il jouait au sage antique dans son Lit de Procuste :  La personne que l’on a le plus peur de contredire, c’est soi-même .

Quoiqu’ayant également changé d’avis sur le sujet – mais en 2014, après avoir « expédié » Bitcoin d’un haussement d’épaules à deux reprises en 2013 – je ne vais pas tomber dans le ridicule inverse. Ma formation d’historien me conduit à penser qu’il y a du vrai dans ce que dit M. Taleb quand il raisonne sur le temps long (« nous ne sommes pas sûrs des intérêts, des mentalités et des préférences des générations futures ») ; mais il y a aussi du faux quand il écrit que « l’échec total du bitcoin à devenir une monnaie a été masqué par l’inflation de sa valeur » car celle-ci est loin d’avoir été constante. Bitcoin, on le sait, a été enterré plus de 450 fois. Et il a déjà survécu à de singulières chutes de sa valeur ! Il est donc bien hasardeux de l’enterrer encore une fois.

L’argument de l’inflation n’est évidemment pas dénué de pertinence. Comme dans l’expérience classique du ballon qui gonfle quand on fait le vide dans la cloche où on l’a installé, la petite vessie de Bitcoin s'est dilatée dans un bocal qui était en apparence rempli à l’extrême de monnaie fiat, mais cette abondance créée ex nihilo était une sorte de vide. Bitcoin dégonfle maintenant. Mais on ne va décerner à personne un « Nobel » pour une si mince découverte. En fait de surprise, la mienne n’est pas de voir que Bitcoin ne « couvre » pas un portefeuille du risque de l’inflation mais que M. Taleb a pu croire fût-ce un instant, comme il l'avoue, à une promesse non formulée. Bitcoin n’a jamais été une put-option.

Puis, ayant piétiné toutes les banalités, il entre résolument en territoire de sottise. Passons sur le sens civique des banques centrales (« adore ce que tu as brûlé ») et arrêtons-nous sur le « vice générationnel ». De nouveau, M. Taleb et moi ne sommes plus des lapereaux de l’année (à dire vrai je pourrais même être son aîné). Mais là, non. Non licet. Qu’il y ait des jeunes idiots on le sait. Là non-plus, la découverte ne lui vaudra pas le Nobel (de médecine). Que les jeunes n'aient pas tous pris le temps de lire de bons livres d'histoire et de mathématique c'est évident. Mais en matière de savoir historique, il y a aussi de vieux incultes et pas mal de vieux manipulateurs. Ils ont même des chaînes de télévision en continu pour tenir leur échoppe. La moitié de la narration historique qui enveloppe l'état honteux de l'ordre financier international est fausse, l'autre moitié est biaisée.

Et puis moquer les jeunes twittos pour avouer dans la même phrase qu’on se chamaille comme un gosse avec eux et qu’on dresse des bots à les bloquer (avant de pleurer parce qu’Elon Musk vous vire) est risible. C’est proprement retomber en enfance.

La suite est moins amusante. Je me reconnais mal, je ne reconnais pas mes amis du Cercle du Coin et je ne crois pas que les convives des Repas du Coin se reconnaîtraient dans sa description de sceptiques du Covid (j’ai mes 4 doses, docteur) de climato-sceptiques (il y en a en revanche et en haut lieu dans l’appareil d’un État condamné pour inaction en la matière) de soutiens de Poutine ou de quelques autres despotes (je n’en dirais pas autant de tous les politiciens) ou de carnivores radicaux.

Mes amis bitcoineurs sont, pour une large majorité d’entre eux, vaccinés. Une bonne part des non vaccinés de ma connaissance n’ont en revanche aucune idée de Bitcoin : ce qui les singularise plutôt à mes yeux est leur inscription sociale, plus enviable qu’on ne pourrait le penser. Je suis certain que M. Taleb a des amis non vaccinés et non bitcoineurs. Bref on peut être riche, diplômé et un peu parano sur ces questions-là, dont la gestion n'a pas non plus été un chef d'œuvre de clarté et d'efficacité.

M. Taleb me laisse penser que j'ai un bagage scientifique insuffisant. Je l'admets bien volontiers et je le regrette. Je me soigne, sur cela aussi. Mais qui peut s'estimer satisfait en la matière ? Monsieur Taleb ?

M. Taleb (qui pour cela est resté très seventies) me laisse penser que je suis au moins à moitié facho. Pour le dire tout crûment : oui j’ai – en bitcoinie et dans le reste de ma vie – des amis de droite et pour certains sans doute « de la droite de la droite » comme on dit maintenant ; mais aussi de gauche, et pour certains de la vraie gauche, pas la molle qui sert de pathétique supplétive aux forces de l'ordre.

M. Taleb, au fond, malgré ses airs de dandy humaniste, reste un trader et un matheux : il est sans doute plus à son aise devant son écran qu’avec les gens, qu'il ne peut traiter avec simplicité. Il décrit la communauté comme un cluster : il ne l’a jamais fréquentée autrement qu'in silico. Relisez-le donc : « être sur Twitter, c’est comme aller dans un café qui réunit toute la population et que vous ne savez pas lequel est un imbécile et lequel est professeur de médecine. En général, quand on va dans un vrai café, on sait si on est au PMU ou aux Deux Magots. Twitter c’est la pagaille, le mélange. Vous vous retrouvez avec Einstein à votre gauche et un routier à votre droite qui commentent la politique du FMI ou discutent de savoir si les gens de Davos essaient de mettre des puces dans nos cerveaux... ».

Je suis bien désolé mais si l’on n’est pas volontairement idiot, on fait aisément le tri même en ligne. L’orthographe et le style (ne s'exerce-t-il que sur 140 signes) donnent des premières indications. L’affichage des autres messages permet de trancher si tel ou tel interlocuteur a été maladroit dans la forme ou s’il est constamment dément dans le fond. Le bon sens aide à faire le ménage, sauf à manquer d’instruction soi-même. Enfin, savoir ce que pensent les gens moins formés que soi n’est pas forcément sans intérêt quand on prétend à une parole publique. Si l'on veut échanger courtoisement il y a des lieux pour cela et pour ceux qui ne craignent pas le choc avec des cerveaux qui auraient la puissance de feu de celui d'Einstein, il est un peu simplet d'aller les chercher en cliquant.

Pour le reste, sa théorie des trois groupes de gens, dont seuls ceux « qui ont un cerveau et se placent vaguement au centre » seraient sensés est une platitude prudhommesque dans sa forme et dangereuse dans le fond.

M.Taleb met dans le même sac l’outrance verbale de l’extrême droite à la Zemmour (il ne semble pourtant pas étranger lui-même à une forme très clivante de rhétorique) et les arnaques dites nigérianes avec l’argumentaire de Bitcoin. Comme si la confusion de tout et de n'importe quoi n’était pas justement à la base de la rhétorique de ce  Café du Commerce  dont il se croit autorisé à se gausser.

Bitcoin fonctionne-t-il vraiment comme la bague de Râ ou le bracelet magnétique en cuivre : un aimant pour les idiots ?

Cela peut être le cas. Ça s'est déjà vu dans l'Histoire et les gens intelligents ne sont pas forcément immunisés. Les promesses d’enrichissement rapides, via la crypto ou par le loto, se valent toutes, même si curieusement nul tribun ne dénonce les secondes alors que les loteries dépassent désormais allègrement les 200 millions. Les espérances millénaristes des bigots, des fachos, des gauchos ou des cryptos se ressemblent fatalement quelque peu. Les idiots aiment les promesses comme les enfants aiment le sucre. So what?

Il y a curieusement une promesse (sans sucre) que M. Taleb ne relève pas et donc un angle d’attaque qui reste mort dans sa diatribe.

Cet homme satisfait d’être « vaguement au centre » n’évoque pas Bitcoin comme une protection possible contre un futur dystopique. Dans celui imaginé par Margareth Atwood on voyait bien que le contrôle de l'État sur la monnaie est une faille dans nos libertés. Or la formule « police d’assurance contre un futur orwellien » est ... de M. Taleb lui-même dans sa préface à Ammous !

Simplement... ce n'est plus son problème. C'est déjà exactement ce que j'avais noté dans le cas de Jean-Paul Delahaye. C'est une caractéristique de ce qui se passe en face. Pour eux, tout va bien.

Regardons donc en face.

  • Une inflation que ne pouvait pas prédire un président de la République pourtant inspecteur des Finances et dont un patronne de Banque Centrale ose dire qu'elle est « pretty much come about from nowhere », des banques centrales balbutiant durant des années de pitoyables et effrayantes copies de cryptomonnaies pétries de mauvaises intentions (lire Snowden).
  • Mais aussi des banques commerciales rongées par l’inefficience, une lutte anti-blanchiment « au premier euro » devenue sa propre finalité (parce que la came, elle, circule de mieux en mieux), des transactions de plus en plus surveillées, contrôlées ou restreintes, une régulation partout exercée par d’anciens ou de futurs acteurs et pas forcément les moins douteux, le mélange des intérêts privés aux affaires publiques jusqu'au sommet de l'État.
  • Mais encore des économistes qui se présentent comme de sages universitaires mais qui sont tous stipendiés…

Tout cela, qu’il faut bien désigner comme un système (au risque d’être moqué comme complotiste) et que notre télévision désignerait comme un régime s’il n’était pas au cœur de notre propre État... tout cela a-t-il encore des leçons de quoi que ce soit à donner ?

J’ai travaillé dans une banque, quelques années, il y a quelques décennies. J’y ai conservé des amis. D’autres amis rencontrés ailleurs sont également banquiers, à des niveaux divers. Franchement parlant, je ne leur trouve pas un moral de fer et j’y songe à chaque fois qu’il est question dans la presse de bitcoineurs brisés ou suicidaires. Le moral de la communauté, sa résilience, son humour aussi, ne sont pas ceux d’une secte.

Mon sentiment est le suivant : bien sûr, j’ai croisé depuis 2014 quelques solides idiots. Ici, comme ailleurs. Malicieusement j’ajouterais volontiers (à usage interne) qu’ils sont sans doute plus nombreux chez les shitcoineurs que chez les OG du canal historique. J’ai aussi eu la joie de fréquenter des gens originaux, profonds et intéressants.

Et au total, si je ne conservais qu’une seule raison de trouver que Bitcoin n’est pas une connerie (pour parler français) c’est que la littérature des bitcoineurs (même avec ses outrances et ses naïvetés) est infiniment plus intelligente et stimulante que les rengaines rances qu’on leur oppose, les intimidations paternalistes (« n’y touchez pas » comme disait une dame de la Banque de France qui fait encore rire), les fresques historiques foireuses dont j’ai parlé dans mon petit livre La monnaie à pétales, les cours de philosophie aristotélicienne réduite à trois bullet points, le tout ponctué de menaces à peine voilées, de citations méprisantes de Rockefeller contre son chauffeur et assaisonné de rires idiots (« c’est une folie complète ce truc »).

Eppur si muove.

133 - L'or des rois

December 25th 2022 at 17:18

Avant Noël, au lieu de délirer sur le fameux repas de famille qui semble inspirer à certains une terreur franchement suspecte, j'ai parcouru avec beaucoup d'intérêt Ces Rois Mages venus d'Occident, ouvrage très érudit publié tout récemment par Mathieu Beaud et tiré de sa thèse de doctorat datant de 2012.

Son livre au titre paradoxal suit ces Mages au long d'une tradition plus que millénaire et montre comment c'est lors d'une étape de leur périple dans l'Occident chrétien que ces magiciens païens et orientaux ont reçu la couronne royale qu'ils ne portaient nullement ni dans leur pays ni dans les premiers textes.

Cet historien de l'art cherche à comprendre comment, où et pourquoi cette métamorphose s'est opérée et ce qu'elle signifie.

Il répond ainsi à l'ironique remarque de Voltaire :  On dit que c'étaient trois mages ; mais le peuple a toujours préféré trois rois. On célèbre partout la fête des rois, et nulle part celle des mages. On mange la gâteau des rois, et non pas le gâteau des mages. On crie le roi boit et non pas le mage boit..

Les bitcoineurs qui me lisent, et qu'agacent comme moi le fait de se voir en permanence renvoyés dans leurs buts à grand renforts d'arguments d'autorité aristotéliciens, devraient trouver à l'occasion d'une plongée dans les textes de la tradition biblique de rafraichissantes perspectives.

Ce qui m'a le plus intéressé, dans cet ouvrage foisonnant, c'est un point peut-être secondaire (même s'il intervient en premier dans l'ordre chronologique) : le lien de l'or au personnage du  roi .

Car de ces trois mystérieux personnages, et pour s'en tenir au seul texte canonique (Évangile de Mathieu, chapitre 2) on ne sait pas grand chose, sinon qu'ils sont des mages venus d'Orient, sans plus de précision géographique malgré ce que leur titre (magu, du persan مگو) pourrait suggérer. Ils n'auront de nombre et de noms propres (pas toujours les mêmes d'ailleurs...) que dans d'autres textes que l'on désigne comme apocryphes(*) et dans la tradition ultérieure, qui doit presque tout à ces textes bien plus détaillés et pittoresques que ceux de la Bible.

Le seul élément différentiant que donne vraiment le texte évangélique, c'est la nature de leurs présents : l'or, la myrrhe et l'encens, que l'on a supposés offerts chacun par un mage différent et sur la nature et la signification desquels les hommes d'Église ont beaucoup travaillé, mené force exégèses et considérablement glosé.

Les premiers chrétiens se sont demandés de quel  Orient  on parlait : au-delà de l'Euphrate, la Chaldée, la Babylonie, la Perse ?

Mais à partir du IIème siècle, les recherches se sont faites  intertextuelles . En effet, que les magis soient prêtres zoroastriens ou astrologues chaldéens (suivant leur étoile) ou pire... magiciens, pratique explicitement interdite par la Bible, ne faisait dans tous les cas qu'avouer une révélation de Dieu aux païens. Les Pères de l'Église ont donc œuvré à les insérer dans le récit messianique, ce qui était autrement plus fécond à leurs yeux.

Il semble que ce soit Justin qui le premier se serait appuyé sur le Psaume 71 (que les catholiques numérotent 72 mais ceci est une autre histoire et dont le thème est l'espor de voir un jour un roi de justice, universel, proche des pauvres et des opprimés) pour tourner les regards des croyants non vers l'est mais vers le sud. Et ainsi vers... l'or !

01 Dieu, donne au roi tes pouvoirs, à ce fils de roi ta justice.(…)
09 Des peuplades s'inclineront devant lui, ses ennemis lècheront la poussière.
10 Les rois de Tarsis et des Iles apporteront des présents. Les rois de Saba et de Seba feront leur offrande.
11 Tous les rois se prosterneront devant lui, tous les pays le serviront.(…)
15 Qu'il vive ! On lui donnera l'or de Saba. On priera sans relâche pour lui ; tous les jours, on le bénira.

Si l'on peut voir des bédouins dans les  peuplades , si Tarsis ou les Iles sont mal localisés géographiquement, en revanche la tradition identifie Saba (Cheba) et Seba au Yemen et à l'Éthiopie, de part et d'autre de la Mer Rouge : deux contrées riches alors en or.

Après Justin, Origène (au IIIème siècle) puis Épiphane (au IVème) se sont de même appuyés sur le 6ème verset d'Isaie 60,

En grand nombre, des chameaux t’envahiront, de jeunes chameaux de Madiane et d’Épha. Tous les gens de Saba viendront, apportant l’or et l’encens ; ils annonceront les exploits du Seigneur.

Les exégètes ultérieurs ont également suivi les Pères anciens comme Justin, Tertullien ou Chromace pour étayer l'intuition très tôt énoncée par Irénée de Lyon : les Mages, par leurs offrandes, ont voulu montrer les trois statuts de Jésus-Christ : un roi auquel on offre l'or, un dieu auquel revient l'encens et un homme rédempteur sacrifié auquel la myrrhe de l'embaumement est destinée. Tant et si bien que lorsque ont surgi les controverses du IV° siècle sur la nature du Christ, unique (humaine ou divine) ou double (humaine et divine), ces présents des Mages ont servi d'arguments.

Attardons-nous sur l'or : qu'il soit par destination royal, les livres bibliques en fournissent une ample moisson de preuves. Le luxe de détails concernant les lingots apportés à Salomon (1Rois, 9,28 et 10,14-22 ou 2Chr.9,13-21) fondent finalement toute cette exégèse et peut-être même la tradition qui, fort longtemps, réserva symboliquement à l'empereur ou au souverain seul la seule frappe de l'or (celle de l'argent et du billon étant l'affaire des autorités vassales ou locales).

Qu'on ait jadis offert de l'or à l'enfant de Bethléem est donc, pour une tradition bien établie (Hilaire de Poitiers, Fulgence de Ruspe et le pape Léon le Grand) et commune à toutes les églises antiques une preuve éclatante de sa  puissance royale .

C'est tellement clair que, lorsque l'iconographie rend identifiable les présents, comme sur le célèbre sarcophage découvert à Arles en 1974 et datant des années 300/350, l'or est souvent représenté sous la forme d'une couronne (la myrrhe étant représentée avec de petites fioles et l'encens comme une boulette posée sur une assiette).


Notons donc que ce lien entre l'or et le caractère régalien de celui à qui il est convenable de le remettre doit bien davantage aux sources bibliques qu'à Aristote, le trop-et-mal-cité.

Celui-ci, si je puis glisser ici une petite pique, ne crée aucun lien entre le métal précieux et le souverain ; il dit dans sa Politique que la monnaie ne provient pas d’une décision régalienne interne à la cité, pour réguler par exemple le développement des échanges internes, mais plutôt d'une sorte de convention internationale privée, extérieure à l’institution politique et indépendante des lois de la cité. Fin de la parenthèse...

Ce serait au Haut Moyen-Âge seulement, dans les îles anglo-celtes, que ces mages se virent donner des noms et des âges. Melchior qui offre l'or est le plus âgé, vieux et chenu, à la barbe et à la chevelure fournie ; il portait une tunique violette pour certains commentateur et un manteau orange pour d'autres. Je fais grâce au lecteur de toute allusion à la couleur or-ange pour ne pas passer pour un maniaque...

Encore quelques détails cependant, sans rapport avec l'or, mais qui ne sont pas sans intérêt quant à la construction mythologique de l'État :

Les couronnes apparurent encore plus tard, sur le continent et dans le contexte impérial ottonien, c'est à dire sous la dynastie qui, de 919 à 1024, a régné sur la Germanie, la partie orientale de l'empire de Charlemagne divisé à la suite du traité de Verdun en 843 .

Un article célèbre (**) publié en 1976 a proposé de dater du début du Xème siècle, avec l'emphase mise sur le Christ-Roi par cette dynastie ottonienne, l'attribution aux mages de la dignité royale. Cette  laïcisation  de mages qui étaient jusque-là présentés comme représentant des castes sacerdotales étrangères est peut-être dû à un souci d'équilibre. Car sans cela, le seul roi présent dans l'anecdote des rois, ce serait Hérode, que l'évangile présente comme l'assassin des Innocents... Mais leur transformation en rois est aussi un tour (de magie pourrait-on dire) menant à la fusion des adorateurs et de l'objet adoré : le roi divin.

Là où la séparation des pouvoirs spirituels (le pape) et temporels (l'empereur) était assez nette à l'époque carolingienne, on voit le pouvoir impérial (ottonien en Germanie, les Capétiens lui emboitant le pas chez nous) se déployer sous la forme d'un appareil d'État désormais réputé sacré lui-même.

Il est frappant de voir sur l'évangéliaire d'Othon III (empereur de l'an mil) une représentation de la Slavonie, de la Germanie, des Gaules et de Rome rendant hommage à un empereur placé au-dessus des rois. Notez que ces entités géographiques sont représentées couronnées ce qui en fait des entités politiques tandis que l'orbe céleste placée dans la main de l'empereur en fait un personnage sacré.

Il est non moins frappant de constater le parallélisme entre la procession de ces royaumes devant l'empereur et les prototypes ultérieurs de l'adoration des rois-mages devant le Christ, comme ici sur un manuscrit du règne suivant (v.1010).

Voici pour les  rois , même si la métamorphose  régalienne  des mages de l'Orient n'est pas achevée.

Au XIII ème siècle encore, le théologien Albert le Grand (qui donne son nom à la place Maubert à Paris où cet Allemand enseigna) ne se dit pas en mesure de prouver que les mages étaient bien rois, ni même qu'ils étaient bien au nombre de trois. Mais la signification de l'or de Melchior ne changera plus guère !





NOTES

(*) Les apocryphes les plus importants dont les détails ont permis l'enrichissement du récit concernant les Mages sont le Protévangile de Jacques , le Pseudo-Matthieu (qui fut très populaire en Occident et sans lequel on comprend mal de nombreuses scènes présentes sur vitraux et chapiteaux) et enfin l'Évangile de l'enfance dans ses traductions arabe et arménienne.
(**) R. Deshman, Christus Rex et magi reges , 1976

132 - La soupe (bis repetita)

October 31st 2022 at 10:01

Immense émotion au MOMA de New York où des activistes crypto ont aspergé la célèbre toile d'Andy Campbell's Soup Cans (1962) avec une importante quantité de soupe à la citrouille. Les éditorialistes de BFMCrypto semblent les premiers à avoir tenté une réponse à la question qui a immédiatement agité les autres plateaux télé : le choix de cette cucurbitacée doit-il, en ce jour de fête d'Halloween, être considéré comme intentionnel ou accidentel ?

La dimension identitaire de cette soupe orange une fois éclaircie et la date du 31 octobre savamment replacée dans l'histoire du mouvement crypto, sans doute convient-il d'écouter les activistes eux-mêmes ?

Nous respectons la mémoire d'Andy Wahrol  ont d'abord tenu à déclarer les deux forcenés :  il a en effet inventé le caractère essentiel de notre époque, avec son quart d'heure de célébrité pour tous les couillons .

Alors ? Pourquoi tant de soupe ?

Il est clair que c'est la multiplication sans limite des boites de soupe à la tomate qui était dans le viseur de ces intégristes de la monnaie rare.  Rien n'interdit au système, aujourd'hui, d'émettre de nouveaux tableaux, de faire tourner la planche à posters ou à cartes postales de façon inflationniste, et ceci sans le moindre rapport avec la production réelle de tomates  ont-ils protesté.

Certes la technologie des NFT permettrait en théorie de mieux suivre cette dangereuse inflation de tomates. C'est d'ailleurs ce qu'a proposé Bruno Le Maire, nouvel apologète de ces tokens qui lui rappellent les cadeaux Bonux de son enfance.

Alors ? Les deux activistes ont semblé soudain beaucoup moins déterminés, car le choix de la blockchain sous-jacente divise manifestement cette communauté.

Christine Lagarde quant à elle a résumé la sidération de l'élite mondiale devant cet attentat :  The tomato soup has (euh euh) just pretty much come about from nowhere  a-t-elle expliqué avec sa concision coutumière.

Les bitcoineurs, faut-il le rappeler, entretiennent une relation ancienne avec le potage. Ils avaient d'ailleurs embrigadé l'iconique soupe à la tomate jadis.

Le mot de soupe avait d'ailleurs servi à décrire Bitcoin lui-même ! C'était il y a déjà cinq ans, du temps que l'éminent Pascal Ordonneau poursuivait une vaillante croisade contre une monnaie qui pour lui  ne doit son existence qu'à une soupe informatique de 0 et de 1 . Depuis lors, cet esprit distingué semble avoir arrêté d'écrire sur ce qu'il ne comprend pas pour en revenir à sa vraie passion : l'art. Il est à craindre cependant que le jet de soupe orange du MOMA ne réveille son obsession...

En attendant les prochaines polémiques, on célèbrera le 31 octobre en relisant mon billet sur la soupe et celui que j'avais intitulé Trick or Treat, deux textes tout en finesse et d'une infinie richesse culturelle.

131 - Un surprenant Maximaliste

October 20th 2022 at 17:00

Le 1er avril dernier (l'avait-il fait exprès ? c'est un point discuté en commentaires) Vitalik Buterin, qui est comme chacun sait le concepteur d'Ethereum, avait publié sur son blog un texte étonnant, En défense du Bitcoin Maximalisme que je n'avais pas vu passer avant qu'un ami ne me le signale, un peu trop tard pour pouvoir le commenter à chaud. Après le printemps, l'été s'est passé dans l'espoir, la crainte ou la curiosité du Merge. On s'est enivré des antiques prophéties de flippening, remises au goût du jour et désormais dotées d'un instrument de mesure en temps réel.

Mais au cours du dernier Repas du Coin plusieurs échanges (cordiaux) ont eu pour thème le  maximalisme  bien que ce soit évidemment un sujet qui risque à tout moment de conduire à violer la troisième règle de ces repas ( on ne s'engueule pas ) parce que si certains supporteurs d'altcoins sont au mieux des fantaisistes et au pire des escrocs, certains défenseurs de Bitcoin only sont au mieux bornés et au pire toxiques. Verre en main, nous en étions donc arrivés à nous dire que le maximalisme était fait d'un mix d'ignorance et de méchanceté. Dans le second degré qu'autorise l'amitié, et pour analyser le soupçon de maximalisme qu'on m'impute parfois, je notai que je choisissais en ce qui me concernait l'hypothèse de la méchanceté.

C'est alors que j'ai repensé à Vitalik et me suis dit qu'il fallait publier sur mon blog ce texte magnifique dont la VO se trouve ici et que je n'ai fait que traduire ci-dessous, renvoyant mes propres ajouts en commentaires.

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En défense du Bitcoin Maximalisme
(Vitalik Buterin, 1er avril 2022)

Cela fait des années que nous entendons dire que l'avenir est à la blockchain, et non au bitcoin.

L'avenir du monde ne sera pas constitué d'une seule grande cryptomonnaie, ni même de quelques-unes, mais de nombreuses cryptomonnaies - et les gagnantes auront un leadership fort sous un toit central pour s'adapter rapidement aux besoins d'échelle des utilisateurs. Le bitcoin est truc de boomer et l'Ethereum lui succèdera bientôt ; ce seront des actifs plus récents et plus énergiques qui attireront les nouvelles vagues d'utilisateurs de masse. Ceux-ci ne se soucient pas de l'idéologie libertaire bizarre ou de la  vérification auto-souveraine , sont rebutés par la toxicité et la mentalité anti-gouvernementale des bitcoineurs et veulent simplement des défis et des jeux de blockchain qui soient rapides et qui fonctionnent.

Mais que dire si ce récit est faux et que les idées, les habitudes et les pratiques du maximalisme Bitcoin sont en fait assez proches de la réalité ?

Que dire si Bitcoin était bien plus qu'une Pet Rock dépassée et seulement liée à un effet de réseau ? Que dire si les maximalistes de Bitcoin comprenaient en fait profondément qu'ils opèrent dans un monde très hostile et incertain, où il faut se battre pour certaines choses et que leurs actions, leurs personnalités et leurs opinions sur la conception des protocoles reflétaient profondément ce fait ? Que dire si nous vivions dans un monde de cryptomonnaies honnêtes (il y en a très peu) et de cryptomonnaies malhonnêtes (il y en a beaucoup) et qu'une bonne dose d'intolérance était en fait nécessaire pour empêcher les premières de glisser vers les secondes ? C'est l'argument qui sera développé dans ce billet.

Nous vivons dans un monde dangereux et la protection de la liberté est une affaire sérieuse.

J'espère que cela est beaucoup plus évident aujourd'hui qu'en février 2022, lorsque beaucoup de gens pensaient encore sérieusement que Vladimir Poutine était un gentil incompris qui essayait simplement de protéger la Russie et de sauver la civilisation occidentale de la gaypocalypse. Mais cela vaut la peine de le répéter :

Nous vivons dans un monde dangereux, où il y a beaucoup d'acteurs de mauvaise foi qui n'écoutent pas la compassion et la raison.

Une blockchain est au fond une technologie de sécurité - une technologie qui vise fondamentalement à protéger les gens et à les aider à survivre dans un monde aussi hostile. Elle est, comme la Fiole de Galadriel, une lumière pour vous dans les endroits sombres, quand toutes les autres lumières s'éteignent . Il ne s'agit pas d'une lumière à bas prix, ni d'une lumière fluorescente hippie économe en énergie, ni d'une lumière à haute performance. Il s'agit d'une lampe dont la conception a fait des sacrifices sur tous ces plans afin d'être optimisée pour une seule et unique chose : être une lampe qui fait ce qu'elle doit faire lorsque vous êtes confronté au défi le plus difficile de votre vie et qu'une araignée de vingt pieds vous regarde en face.

Source: Black Gate

Les blockchains sont utilisées chaque jour par des personnes non bancarisées ou sous-bancarisées, par des activistes, par des travailleurs du sexe, par des réfugiés et par de nombreux autres groupes qui ne sont pas intéressants pour les institutions financières centralisées à la recherche de profits, ou qui ont des ennemis qui ne veulent pas qu'ils aient accès au service bancaire. Elles sont utilisées comme une ligne de survie essentielle par de nombreuses personnes pour effectuer leurs paiements et stocker leurs économies.

À cette fin, les blockchains publiques sacrifient beaucoup à la sécurité :

  • Les blockchains exigent que chaque transaction soit vérifiée indépendamment des milliers de fois pour être acceptée.
  • Contrairement aux systèmes centralisés qui confirment les transactions en quelques centaines de millisecondes, les blockchains exigent que les utilisateurs attendent entre 10 secondes et 10 minutes pour obtenir une confirmation.
  • Les chaînes de blocs exigent que les utilisateurs soient entièrement responsables de leur authentification : si vous perdez votre clé, vous perdez vos pièces.
  • Les blockchains sacrifient la privacy et nécessitent des technologies encore plus folles et plus coûteuses pour récupérer cette privacy.

À quoi servent tous ces sacrifices ? À créer un système capable de survivre dans un monde hostile et d'être une lumière dans les ténèbres, quand toutes les autres lumières s'éteignent.

Pour exceller dans cette tâche, il faut deux ingrédients clés : (i) un empilement technologique robuste et susceptible d'être défendu et (ii) une culture robuste et également susceptible d'être défendue. La propriété qui est la clé d'un empilement technologique robuste et défendable est l'accent mis sur la simplicité et sur la profonde pureté mathématique : une taille de bloc de 1 Mo, une limite de 21 millions de pièces et un mécanisme simple de preuve de travail, celui du consensus de Nakamoto que même un élève du secondaire peut comprendre. La conception du protocole doit être facile à justifier dans les décennies et les siècles à venir ; la technologie et les choix de paramètres doivent être une œuvre d'art.

Le deuxième ingrédient est la culture d'un minimalisme intransigeant et inébranlable. Il doit s'agir d'une culture capable de se défendre fermement contre les entreprises et les gouvernements qui tentent de coopter l'écosystème de l'extérieur, ainsi que contre les mauvais acteurs de l'espace cryptographique qui tentent de l'exploiter à des fins personnelles, et ils sont nombreux.

Maintenant, à quoi ressemble la culture de Bitcoin et Ethereum ? Eh bien, demandons à Kevin Pham :

Vous ne croyez pas que c'est représentatif ? Eh bien, demandons encore à Kevin Pham :

Vous pourriez dire qu'il s'agit simplement de gens d'Ethereum qui s'amusent, et qu'en fin de compte ils comprennent ce qu'ils doivent faire et ce à quoi ils ont affaire. Mais le comprennent-ils ? Regardons le genre de personnes que Vitalik Buterin, le fondateur d'Ethereum, fréquente :

Et ce n'est qu'une petite sélection. La question immédiate que toute personne regardant cela devrait se poser est : bon Dieu, quel est l'intérêt de rencontrer publiquement toutes ces personnes ? Certaines de ces personnes sont des entrepreneurs et des politiciens très décents, mais d'autres sont activement impliquées dans de graves violations des droits humains, violations que Vitalik ne soutient certainement pas. Vitalik ne réalise-t-il pas à quel point certaines de ces personnes sont géopolitiquement engagées dans des combats mortels ?

Maintenant, peut-être qu'il est juste un idéaliste qui croit qu'il faut parler aux gens pour aider à apporter la paix dans le monde, et un adepte du dicton de Frederick Douglass enjoignant de  s'unir avec quiconque pour faire le bien et avec personne pour faire le mal . Mais il y a aussi une hypothèse plus simple : Vitalik est un globe-trotter hippie en quête de plaisir et de statut, et il aime profondément rencontrer les gens qui sont importants et se sentir respecté par eux. Et il n'y a pas que Vitalik ; des entreprises comme Consensys sont tout à fait heureuses de s'associer à l'Arabie saoudite. L'écosystème dans son ensemble essaie toujours de se tourner vers des figures dominantes pour obtenir une forme de validation.

Maintenant, posez-vous la question suivante : quand, le moment venu, des choses réellement importantes se produiront sur la blockchain – des choses réellement importantes qui offenseraient les gens puissants – quel écosystème sera le plus disposé à se tenir fermement debout et à refuser de les censurer, quelle que soit la pression exercée sur lui pour le faire ? L'écosystème des nomades globe-trotters qui veulent vraiment être les amis de tout le monde, ou l'écosystème des gens qui se prennent en photo avec un AR15 et une hache comme violon d'Ingres ?

La monnaie n'est pas  juste la première application . C'est de loin la plus réussie.

De nombreuses personnes qui brandissent l'argument  La Blockchain oui, Bitcoin non  soutiennent que la cryptomonnaie est la première application des blockchains, mais que c'est une application très ennuyeuse et que le véritable potentiel des blockchains réside dans des choses plus grandes et plus excitantes. Passons en revue la liste des applications figurant dans le livre blanc d'Ethereum :

  • Émission de jetons
  • Dérivés financiers
  • Stablecoins
  • Systèmes d'identité et de réputation
  • Stockage décentralisé de fichiers
  • Organisations autonomes décentralisées (DAO)
  • Jeux d'argent de pair à pair
  • Marchés prédictifs

Beaucoup des catégories de cette liste ont des applications qui ont été lancées et qui ont au moins quelques utilisateurs. En regard, les adeptes des cryptomonnaies accordent une importance particulière à l'autonomisation des personnes sous-bancarisées dans le  Sud . Lesquelles des applications précédentes ont réellement beaucoup d'utilisateurs dans le Sud ?

Il s'avère que le stockage de richesses et les paiements sont de loin les applications les plus populaires. 3 % des Argentins possèdent des cryptomonnaies, tout comme 6 % des Nigérians et 12 % des Ukrainiens. Les dons en cryptomonnaies au gouvernement ukrainien qui ont récolté plus de 100 millions de dollars ( en six semaines) si l'on inclut les dons à des initiatives non gouvernementales liées à l'Ukraine, constituent de loin l'exemple le plus important d'utilisation des blockchains par un gouvernement pour accomplir quelque chose d'utile aujourd'hui.

Quelle autre application est proche de ce niveau d'adoption réelle et concrète aujourd'hui ? La plus proche est peut-être ENS. Les DAO existent et se développent, mais aujourd'hui, un nombre beaucoup trop grand d'entre elles attirent les gens des pays riches dont l'intérêt principal est de s'amuser et d'utiliser des profils de personnages de dessins animés pour satisfaire leur besoin d'expression personnelle du premier monde, et non de construire des écoles et des hôpitaux ou encore de résoudre d'autres problèmes du monde réel.

Ainsi, nous pouvons voir les deux camps assez clairement : d'un côté l'équipe  Blockchain , avec des personnes privilégiées des pays riches qui aiment exhiber des preuves de vertu comme le fait de  dépasser l'argent et le capitalisme  et qui ne peuvent s'empêcher d'être excités par  l'expérimentation de la gouvernance décentralisée  comme un passe-temps ; de l'autre côté l'équipe  Bitcoin , c'est à dire un groupe très diversifié de personnes riches ou pauvres, dans de nombreux pays du monde y compris du Sud, qui utilisent réellement l'outil capitaliste de l'argent libre et auto-souverain pour fournir une réelle valeur aux êtres humains aujourd'hui.

Se concentrer exclusivement sur le fait d'être de l'argent permet d'obtenir de l'argent de meilleure qualité.

Une idée reçue très répandue sur la raison pour laquelle Bitcoin ne permet pas d’avoir des contrats autonomes  avec des ensembles d’états complexes  est la suivante : Bitcoin accorderait une grande importance à la simplicité et en particulier à une faible complexité technique, afin de réduire les risques de dysfonctionnement. Par conséquent, le protocole ne peut pas ajouter les fonctions et opcodes plus compliqués qui sont nécessaires pour pouvoir prendre en charge les contrats autonomes plus compliqués d'Ethereum.

Cette idée reçue est bien sûr erronée. En fait il existe de nombreuses façons d'ajouter des ensembles d'états complexes à Bitcoin ; recherchez le mot  covenants  dans les archives du chat Bitcoin et vous verrez de nombreuses propositions discutées. Et nombre de ces propositions sont étonnamment simples. La raison pour laquelle les clauses restrictives n'ont pas été ajoutées n'est pas que les développeurs de Bitcoin ont vu la valeur des ensembles d'états complexes mais ont trouvé intolérable un protocole un peu plus complexe. C'est plutôt parce que les développeurs de Bitcoin s'inquiètent des risques de complexité systémique que la possibilité d'ensembles d'états complexes introduirait dans l'écosystème  !

Un article récent des chercheurs de Bitcoin décrit certaines façons d'introduire des clauses restrictives pour ajouter un certain degré de richesse d'état à Bitcoin.

La bataille d'Ethereum contre la valeur extractible par les mineurs (MEV) est un excellent exemple de ce problème dans la pratique. Il est très facile dans Ethereum de construire des applications où la prochaine personne à interagir avec un certain contrat obtient une récompense substantielle, ce qui amène les parties prenantes et les mineurs à se battre pour l'obtenir et contribue grandement au risque de centralisation du réseau et nécessite à la fin des solutions de contournement compliquées. Dans Bitcoin, il est difficile de créer de telles applications à risque systémique, en grande partie parce que Bitcoin n'a pas d'état riche et se concentre sur le cas d'utilisation simple (et sans MEV) consistant à être simplement de l'argent.

La contagion systémique peut également se produire de manière non technique. Le fait que le bitcoin soit simplement de l'argent signifie que Bitcoin nécessite relativement peu de développeurs, ce qui contribue à réduire le risque que les développeurs commencent à demander à s'imprimer de l'argent gratuit pour construire de nouvelles fonctionnalités du protocole. Le fait que le bitcoin soit simplement de l'argent réduit la pression exercée sur les développeurs de base pour qu'ils ajoutent sans cesse des fonctionnalités afin de  rester dans la course  et de  répondre aux besoins des développeurs .

À bien des égards, les effets systémiques sont réels et il n'est tout simplement pas possible pour une monnaie de  permettre  un écosystème d'applications décentralisées hautement complexes et risquées sans que cette complexité ne se retourne contre elle d'une manière ou d'une autre. Bitcoin est un choix sûr. Si Ethereum poursuit son approche centrée sur la couche 2, ETH-la-monnaie peut prendre une certaine distance par rapport à l'écosystème d'applications qu'elle permet et ainsi obtenir une certaine protection. En revanche, les plateformes dites de couche 1 à haute performance n'ont aucune chance.

En général, les projets les plus anciens dans une industrie sont les plus  authentiques .

Nombre d'industries et de domaines suivent un schéma similaire. Tout d'abord, une nouvelle technologie passionnante est inventée, ou bien elle est améliorée au point d'être réellement utilisable pour quelque chose. Au début, la technologie est encore maladroite, elle est trop risquée pour que presque tout le monde s'y intéresse en tant qu'investissement et il n'y a pas de  preuve sociale  que les gens peuvent l'utiliser pour réussir. Par conséquent, les premières personnes impliquées sont les idéalistes, les geeks et les personnes qui sont véritablement enthousiasmées par la technologie et par son potentiel d'amélioration de la société.

Cependant, une fois que la technologie a fait ses preuves, les gens qui suivent la norme entrent en scène - un événement qui, dans la culture Internet, est souvent appelé le  le septembre sans fin . Et il ne s'agit pas simplement de gentils normaux qui veulent faire partie de quelque chose d'excitant, mais de businessman normaux portant des costumes et qui commencent à scruter l'écosystème avec des yeux de loup pour trouver des moyens de gagner de l'argent - avec des armées de capital-risqueurs tout aussi désireux de se tailler leur part du gâteau et qui les encouragent depuis le banc de touche. Dans les cas extrêmes des bonimenteurs hors-la-loi entrent en scène, créant des blockchains sans valeur sociale ou technique monayable et qui constituent pratiquement des escroqueries. Mais la réalité est que l'espace entre  idéaliste altruiste  et  escroc  est vraiment large comme spectre. Et plus un écosystème se maintient, plus il est difficile pour tout nouveau projet situé du côté altruiste du spectre de se lancer.

Un indice significatif du lent remplacement, dans l'industrie de la blockchain, des valeurs philosophiques et idéalistes par celles de la recherche de profit à court terme est la taille de plus en plus grande des préminages : les allocations que les développeurs d'une cryptomonnaie se donnent à eux-mêmes.

Source for insider allocations: Messari.

Quelles communautés blockchain valorisent-elles profondément l'auto-souveraineté, la vie privée et la décentralisation, et font de gros sacrifices pour l'obtenir ? Et quelles autres communautés essaient simplement de gonfler leur capitalisation boursière et de faire de l'argent pour les fondateurs et les investisseurs ? Le graphique ci-dessus devrait rendre la chose assez claire.

L'intolérance a du bon

Ce qui précède montre clairement pourquoi le statut de Bitcoin en tant que première cryptomonnaie lui confère des avantages uniques qui sont extrêmement difficiles à reproduire pour toute cryptomonnaie créée au cours des cinq dernières années. Mais nous en arrivons maintenant à la plus grande objection contre la culture maximaliste du bitcoin : pourquoi est-elle si toxique ?

L'argument de la toxicité du bitcoin découle de la deuxième loi de Conquest. Dans la formulation originale de Robert Conquest, la loi dit que  toute organisation qui n'est pas explicitement et constitutionnellement de droite deviendra tôt ou tard de gauche . Mais en réalité, il ne s'agit que d'un cas particulier d'un modèle beaucoup plus général, qui, à l'ère moderne des médias sociaux implacablement homogénéisants et conformistes, est plus pertinent que jamais :

Si vous voulez conserver une identité différente du courant dominant (mainstream), alors vous avez besoin d'une culture vraiment forte qui résiste activement et combat l'assimilation au courant dominant chaque fois qu'il tente d'affirmer son hégémonie.

Les blockchains sont, comme je l'ai mentionné plus haut, très fondamentalement et explicitement un mouvement de contre-culture qui tente de créer et de préserver quelque chose de différent du courant dominant. À une époque où le monde se divise en blocs de grandes puissances qui suppriment activement les interactions sociales et économiques entre elles, les blockchains sont l'une des rares choses qui peuvent rester mondiales. À une époque où de plus en plus de personnes recourent à la censure pour vaincre leurs ennemis à court terme, les blockchains continuent résolument à ne rien censurer.

La seule façon correcte de répondre aux  adultes raisonnables  qui essaient de vous dire que pour  devenir mainstream , vous devez faire des compromis sur vos valeurs  extrêmes . Parce qu'une fois que vous avez fait un compromis, vous ne pouvez plus vous arrêter.

Les communautés blockchain doivent également lutter contre les mauvais acteurs de l'intérieur. Les mauvais acteurs comprennent :

  • Les arnaqueurs, qui créent et vendent des projets qui sont finalement sans valeur (ou pire, positivement nuisibles) mais qui s'accrochent aux marques  crypto  et  décentralisation  (ainsi qu'à des idées très abstraites sur l'humanisme et l'amitié) pour se légitimer.
  • Les collaborationnistes, qui brandissent publiquement et bruyamment comme preuve de leur vertu le fait de travailler avec les gouvernements puis tentent activement de convaincre les gouvernements d'utiliser la force coercitive contre leurs concurrents.
  • Les corporatistes, qui essaient d'utiliser leurs ressources pour s'emparer du développement des blockchains et poussent souvent à des changements de protocole qui permettent la centralisation.

On pourrait s'opposer à tous ces acteurs avec un visage souriant, en disant poliment au monde pourquoi on est  en désaccord avec leurs priorités . Mais c'est irréaliste : les mauvais acteurs s'efforceront de s'intégrer dans votre communauté et à ce stade il deviendra psychologiquement difficile de les critiquer avec le niveau de mépris suffisant qu'ils méritent en vérité : les personnes que vous critiquerez seront les amis de vos amis. Ainsi, toute culture qui valorise l'amabilité pliera simplement devant ce défi et laissera les escrocs se promener librement au milieu des portefeuilles des innocents newbies.

Quel type de culture ne pliera pas ? Une culture qui est disposée et désireuse de dire aux escrocs à l'intérieur et aux adversaires puissants à l'extérieur d'aller se faire voir à la manière d'un bateau de guerre russe.

Les croisades bizarres contre les huiles de graines sont bonnes

Un puissant outil pour aider une communauté à maintenir sa cohésion interne autour de ses valeurs distinctives et éviter de tomber dans le marais du courant dominant, est offert par les croyances et les croisades étranges qui sont dans un esprit similaire, même si elles ne sont pas directement reliées à la mission de base. Idéalement, ces croisades devraient être au moins partiellement correctes, en s'attaquant à un vrai angle mort ou à une véritable incohérence des valeurs dominantes.

La communauté Bitcoin est douée pour cela. Leur croisade la plus récente est une guerre contre les huiles de graines, des huiles dérivées de graines végétales riches en acides gras oméga-6 qui sont nocifs pour la santé humaine.

Source : POS Pilot Plant Corporation

Cette croisade des bitcoiners est traitée avec scepticisme lorsqu'elle est examinée par les médias, mais ces derniers traitent le sujet beaucoup plus favorablement lorsque des entreprises technologiques  respectables  s'y attaquent. La croisade permet de rappeler aux bitcoiners que les médias grand public sont fondamentalement tribaux et hypocrites, et que les tentatives les plus criantes des médias pour calomnier les cryptomonnaies en les présentant comme principalement destinées au blanchiment d'argent et au terrorisme devraient être traitées avec le même niveau de mépris.

Sois maximaliste !

Le maximalisme est souvent tourné en dérision dans les médias comme étant à la fois une dangereusement toxique secte de droite et un tigre de papier qui disparaîtra dès qu'une autre cryptomonnaie arrivera et prendra le relais de l'effet de réseau suprême de Bitcoin. Mais la réalité est qu'aucun des arguments en faveur du maximalisme que je décris ci-dessus ne dépend en rien des effets de réseau. Les effets de réseau sont réellement logarithmiques et non pas quadratiques : une fois qu'une cryptomonnaie est  assez grosse , elle a suffisamment de liquidités pour fonctionner et les processeurs de paiement multi-cryptomonnaies l'ajouteront facilement à leur collection. Mais l'affirmation selon laquelle Bitcoin est une Pet Rock dépassée et que sa valeur provient entièrement d'un effet de réseau de zombies ambulants et que tout ceci n'a besoin que d'un petit coup de pouce pour s'effondrer est de même complètement fausse.

Les crypto-actifs comme le bitcoin présentent de réels avantages culturels et structurels qui en font des actifs puissants et qui méritent d'être détenus et utilisés. Le bitcoin est un excellent exemple de cette catégorie, bien qu'il ne soit certainement pas le seul ; d'autres cryptomonnaies honorables existent et les maximalistes sont prêts à les soutenir et à les utiliser. Le maximalisme ce n'est pas seulement Bitcoin pour le plaisir de Bitcoin ; il s'agit plutôt d'une prise de conscience très sincère que la plupart des autres cryptomonnaies sont des escroqueries et qu'une culture d'intolérance est inévitable et nécessaire pour protéger les nouveaux venus et s'assurer qu'au moins un petit coin de cet espace continue d'être un coin où il fait bon vivre.

Il vaut mieux égarer dix débutants de telle manière qu'ils évitent un investissement qui s'avèrerait être bon que de permettre à un seul débutant d'être ruiné par un escroc.

Il est préférable de rendre ton protocole trop simple quitte à échouer à servir dix applications de jeu de faible valeur qui n'attireront l'attention que peu de temps plutôt que de le rendre trop complexe et d'échouer à servir le cas d'usage central de l'argent sain qui sous-tend tout le reste.

Et il vaut mieux offenser des millions de personnes en défendant agressivement ce en quoi tu crois que d'essayer de satisfaire tout le monde et de ne rien défendre du tout.

Sois courageux. Bats-toi pour tes valeurs. Sois un Maximaliste.

130 - Au-delà de Jean-Paul Delahaye

September 29th 2022 at 19:25

C'est une redoutable épreuve pour moi de rendre compte de ce volume, aimablement adressé par la maison Dunod qui a été mon propre éditeur, préfacé par Jean-Jacques Quisquater dont l'amitié m'honore et qui a également préfacé un ouvrage dont j'étais co-auteur et enfin écrit par un universitaire français qui cite deux de mes ouvrages parmi ses 26 références pour aller plus loin .

En regard, Jean-Paul Delahaye représente pour une partie des bitcoineurs (et en tout cas pour ceux que l'on décrit comme maximalistes) un effroyable prototype de Judas, ce qui lui a valu, à partir de 2018, d'être accablé d'injures par les éléments les plus toxiques de notre communauté. Je l'avais déploré et avais approuvé l'Appel pour un débat serein et constructif autour du Bitcoin lancé par deux mathématiciens de mes amis.

Jean-Paul Delahaye est venu à trois Repas du Coin (en 2015 et 2017), il a participé en mai 2017 à Bitcoin Pluribus Impar rue d'Ulm et à un meeet-up du Cercle du Coin quelques mois plus tard. Nous lui avons toujours tendu la main, et encore durant le confinement en avril 2020, l'avons invité à participer à une visioconférence avec nous (voir en bas de page).

J'ai donc lu son ouvrage avec un niveau raisonnable de bienveillance. Il m'a semblé nécessaire de le lire intégralement, sans céder à la joie mauvaise consistant à bondir sur les chapitres nourrissant la polémique  énergétique , pour comprendre autant que possible le chemin suivi et le paysage mental de l'auteur.

Jean-Paul Delahaye commence fort honnêtement par le confesser : Dans un premier temps, séduit et fasciné, j'ai défendu le Bitcoin .

Il rappelle ses publications dont les bitcoineurs se souviennent aussi. Le site de référence Bitcoin.fr recense toutes les publications de Jean-Paul Delahaye sur Bitcoin permettant a chacun de constater l'évolution de sa réflexion.

Il estime que sa principale contribution a été le lien décrit entre la robustesse du protocole et le contenu en calcul de son jeton. Cette notion, qui était au centre de ses travaux théoriques, était d'ailleurs présentée dans notre propre livre, Bitcoin la monnaie acéphale avec un lien QR Code renvoyant à ces travaux.

Dans son dernier ouvrage en date, il semble vouloir faire part de doutes qu'il éprouve depuis 2014 au moins et de son étonnement de voir un Bitcoin qu'il considère maintenant comme  le Minitel des Cryptomonnaies  continuer de résister au lieu de rejoindre le Musée de l'Informatique. Nul ne lui contesterait le droit de sincèrement douter et de s'étonner... s'il ne s'agissait bien que de cela.

le lobby.jpg, sept. 2022Ce qui peut paraître moins acceptable, c'est d'abord que selon lui le paradoxe de la survie de Bitcoin ne peut se résoudre que par deux facteurs, savoir :

  • l'influence de la spéculation qui serait un  frein au progrès des technologies  thèse dont on peut historiquement douter ;
  • et le poids d'un  lobby de gens intéressés (qui) monopolise la parole sur le sujet et en présente une vue biaisée .

Il me semble qu'il a suffisamment et assez longtemps fréquenté le  lobby  français pour se rendre compte du ridicule de ce propos. Mais chacun est assez bon juge pour voir que la parole publique et médiatique sur Bitcoin, loin d'être abandonnée à un  lobby  ou plus simplement à des spécialistes capables d'expliquer la chose, est systématiquement organisée sous forme de débats et donc toujours envahie d'adversaires venus de tous bords, à commencer par des banquiers centraux ou non (pas moins intéressés au débat qu'un honnête hodler) pour finir par des politiques en mal de causes faciles (car taper sur le banquier assis à côté d'eux serait socialement plus risqué).

Toujours en matière de lobby, Jean-Paul Delahaye devrait plutôt se demander ce qui a expliqué durant tant d'années l'improbable survie du Minitel tricolore... Enfin, une petite introspection lui serait utile pour savoir si c'est Bitcoin qui s'est figé ou, depuis quelques temps, l'état de son information. Ceux qui étaient en ce mois de septembre à la Conférence qui s'est tenue aux Açores en sont revenus avec le sentiment d'un monde qui bouge, entreprend et se développe, notamment et contrairement à ce qui se répète ad nauseam, en direction des usages de paiement.

Jean-Paul Delahaye brûle aujourd'hui ce qu'il a adoré il y a peu. Et comme c'est toujours un moment délicat dans la vie d'un homme, il le fait aussi brutalement que possible. Dès son introduction il attribue ce qui à ses yeux est le vice fondamental de Bitcoin à une... erreur.

Aucune dépense d'électricité importante n'est nécessaire pour assurer le bon fonctionnement d'une blockchain ; c'est par erreur qu'un élément du protocole Bitcoin, appelé  Preuve de travail a conduit le réseau Bitcoin a être follement et inutilement énergivore.

De nombreuses pages sont ensuite essentiellement destinées à présenter au public le moins informé la technologie blockchain et ses mirifiques applications, depuis la logistique jusqu'à la monnaie de gros des banques. C'est présenté sans critique, sans distance, sans soupçon, sans réserve et donc sans humour (on pourrait... sur la blockchain Madre dont plus personne ne parle ou la blockchain traquer les œufs frais !).

Rien à dire : depuis 2015 on connait par cœur ce keynote.

Il entre de-ci de-là une petite dose de mauvaise foi (ou de  deux poids deux mesures ) par exemple quand l'auteur écrit que la décentralisation du consensus peut être inégalitaire et illusoire en PoW, sans regarder ce qu'il en est dans les alternatives.

Sans surprise, je n'ai pas repéré d'erreurs techniques dans les exposés que l'auteur fait des divers éléments de ces assemblages technologiques que sont Bitcoin et les autres protocoles décentralisés, mais peut-être n'en aurais-je pas la capacité. J'ai eu un ou deux doutes, notamment quant à ce qu'il dit sur la dissociation de facto des tâches de minage et de validation, mais cela ne mérite pas d'alourdir ce compte-rendu.

L'essentiel est que j'ai eu l'impression à le lire (et toujours en lui faisant crédit de sa bonne foi) qu'il jette sur cela un regard qui se veut purement technique : se servir comme exemple de la blockchain interbancaire pour montrer que l'on peut se passer de jeton précieux est sidérant : ce n'est simplement pas une blockchain, mais une base de données avec des hash et des timestamp. Que ses utilisateurs le prétendent ou que les développeurs qui la leur ont vendue leur aient fait croire est une chose ; toute personne désintéressée voit trop bien que la chose (innovation méliorative mais non révolutionnaire) est pourtant à une blockchain (dotée d'un processus de consensus décentralisé) ce qu'un talkie-walkie est à la radio, ce qu'un club de gentleman est à un parti politique, ce qu'un cartel est à un marché.

L'auteur, de son côté, voit bien que l'appréciation du jeton a permis de rémunérer ce qu'il appelle les  acteurs généraux  dont les développeurs ; mais il ne semble pas voir que cela a aussi financé tout l'écosystème, y compris certaines des blockchains qui sont venues concurrencer, challenger ou compléter Bitcoin. Le simple fait que l'attribution initiale de jetons lui paraisse élégante quand il n'y a pas d'abus montre bien que le fossé entre l'auteur et les valeurs de la communauté est très profond et qu'il n'est pas seulement technique. Quant aux abus le MIT lui-même estimait les simples escroqueries à un cas sur 4...

Mais derrière la posture purement technique, il n'est pas difficile de déceler des postulats politiques.

Je ne crois pas être suspect d'allégeance à l'école autrichienne et je ne suis même pas insensible à certains arguments de l'auteur, par exemple quand il dit que même si l'inflation disparaissait par l'adoption massive de cryptomonnaies déflationnaires,  l'État irait chercher ailleurs sous une autre forme d'impôt les ressources qui lui auront été retirées  et je suis d'accord avec lui pour dire que les États ont  la force de la loi de leur côté, la police et l'armée . Pour autant je trouve stupéfiante (et significative) une certaine désinvolture utilisée pour refuser le débat :

Finalement, le rêve libertarien d'un Bitcoin remplaçant le dollar et l'euro a tout d'une niaiserie d'adolescent mal informé des réalités du monde.

Comme avec l'erreur de Satoshi (il semble penser que le halving constitue une seconde erreur, d'ailleurs) ce mot d'adolescent signe ce qu'il faut bien décrire comme une morgue professorale (symétriquement, j'avais souligné dans un compte-rendu le caractère déplacé de certaines attaques du Pr. Ammous) qui n'est pas plus acceptable dans un camp que dans l'autre.

Attaquer Bitcoin, comme le fait l'auteur, en ne citant et en ne ciblant que les positions les plus outrancières des ultra-maximalistes, est-ce effectuer une critique raisonnable ? Bitcoin, monnaie sui generis et Internet-native, peut trouver dans les décennies à venir une place plus complexe à imaginer que toutes celles qu'on lui trace dans ces polémiques, depuis la peu probable monnaie universelle jusqu'à la peu crédible monnaie du crime, en passant par ce que Jean-Paul Delahaye décrit avec une posture de cathare comme  un simple jeu entre les mains d'un petit nombre de spéculateurs irresponsables .

Ce qui donne de la valeur à Bitcoin n'est uniquement, pour l'auteur, qu'une  confiance technique et communautaire . Ceci nous semble devoir être complété (pour parfaire la comparaison/opposition à l'euro) tant par sa rareté (sur laquelle il ne revient pas, l'ayant balayée comme une naïveté) que par le fait que son coût de production est non nul, fait contre lequel il concentre ses attaques.

Car pour lui, tout au contraire, la production du jeton est  inutilement coûteuse  ce qui introduit une démonstration en trois points visant à nier le lien entre coût de production et valeur. Sur ce point, d'ailleurs, il peut sembler rejoindre ce que disent certains mineurs eux-mêmes (comme Sébastien Gouspillou avec lequel il a longuement polémiqué et qui s'en explique en commentaire ci-dessous). Au total, fonder la solidité de Bitcoin d'abord sur l'adhésion d'une communauté ne me parait pas faux. Bitcoin est bien la monnaie librement choisie d'une communauté, et cette confiance n'est pas établie sur une population par la force de la loi et la farce de la foi. Mais cette confiance n'est pas non plus gratuite ou spontanée : elle se fonde justement sur ce que Jean-Paul Delahaye évacue : la rareté et la caractère onéreux du jeton !

Toutes les pièces du puzzle sont finalement sur la table, et au vu de tous. Les erreurs ou les absurdités dénoncées par tel ou tel peuvent souvent provenir d'une incapacité du dénonciateur lui-même à les mettre les unes avec les autres dans le bon sens.

Et puis on arrive au chapitre 6 intitulé  Empreinte, hachage et concours de calcul . L'envie vous prend de le sauter (je ne l'ai pas fait) quand on se sent inclus dans ces  maximalistes qui semblent prêts à soutenir d'invraissemblables arguments pour soutenir le gâchis monstre qu'il engendre . Fermez le ban ? La sentence sert d'introduction au chapitre, ce qui n'est pas bien sérieux :

L'analyse commande implacablement le rejet de la Preuve de travail — et donc du Bitcoin.

Il ne m'appartient pas dans un compte-rendu de réfuter, mais de présenter : disons que, là encore, il y a une belle efflorescence de connaissances informatiques, un grand luxe de détails pour tout ce qui est technique, et une assez flagrante absence de prise en compte de (certains) enjeux politiques. Je me suis de mon côté assez souvent exprimé là-dessus : ma pensée se résume assez bien à l'ultima ratio regum. Ça vous fâche ? Tant mieux... Avec PoW, Bitcoin est probablement imprenable de force par les États, avec PoS il le serait plus probablement. Sans le PoW et le pseudonymat (tant décriés l'un et l'autre) ce que ministres et banquiers considèrent comme une mauvaise plaisanterie n'aurait pas duré au-delà de 2012.

On a une courte envie de glousser quand on voit l'écologiste Delahaye reprocher à la prédation que constitue la fabrication d'ASIC sur l'industrie électronique de ralentir... la production de voitures.

On sourit aussi en voyant que l'auteur calcule désormais la consommation du minage en partant du hash et non comme il le faisait jadis en partant du cours. Il valide son chiffre (44 TWh/an) en les comparant (nul n'en sera surpris) à ceux de Digiconomist (52 à 204) ou de l'étude de Cambridge (44 à 117). S'ensuivent naturellement différentes projections (x5 en 2 ans) de la même eau que celles faites dans le passé (en 2017 quand Digiconomist et Newsweek annonçaient une consommation de 100% de l'énergie produite dans le monde à l'échéance 2020).

Quant aux arguments des  défenseurs acharnés du Bitcoin  l'auteur se charge de les présenter lui-même et donc de les réfuter ensuite sans trop de mal. Pour autant il ne propose pas de renvois vers les études de Michel Khazzaka ou de Arcane research. Même l'administration américaine paraît pourtant plus ouverte que lui sur la prise en considération de ce que Bitcoin apporte à la transition énergétique, il serait honnête de le mentionner.

Autre occasion de sourire : quand, pour démolir la comparaison avec l'or (j'y suis cité en note!) l'auteur explique que la quantité limitée de Bitcoin est conventionnelle et le prouve par le fait qu'on pourrait modifier le protocole de Bitcoin (comme on a pu le faire chez Ethereum) et – encore plus osé – qu'on pourrait faire un Bitcoin-2 qui serait  un jumeau parfait . Ici comme partout, l'auteur joue d'autant plus facilement avec la réalité qu'il la définit à sa guise et selon ce qu'il entend prouver. Pourtant, citant mon 3ème ouvrage en note, il admet qu'il y a beaucoup de juste dans ce que j'y écris, à savoir que  l'énergie considérable déployée en permanence pourrait être vue comme une sorte de bétonnage du contenu passé par le contenu le plus récent  .

C'est aussi que j'avais emprunté cette idée aux travaux de mon ami Laurent Salat mais aussi... aux siens – et il ne peut le cacher. Enfin il est bien obligé d'admettre que la PoS nécessite également un continuum de la communauté et en conclut que l'avantage revient finalement à l'or (ce qu'en temps qu'historien je peux parfaitement recevoir).

En regard, si l'auteur minimise par tous les moyens la sécurité que PoW apporte à Bitcoin, s'il cite Angela Scott-Bridges sur de possibles faiblesses du LN, il ne nous dit pas grand chose de la sécurité qu'apporte PoS, plus ou moins traitée so far so good. Il est aussi à noter qu'il ne cite aucun des mathématiciens (par exemple Ricardo Perez-Marco en France) qui s'inscrivent en faux contre ses jugements.

Arrivé à la moitié du livre, on peut faire un premier point :

  • On a dit que Bitcoin était une monnaie de boomer ce qui est excessif mais se comprend, mutatis mutandis. Disons que c'est devenu la monnaie du grand frère plein aux as. Les petits frères, arrivés dans le game après 2014 ou 2017, voire plus récemment encore (les nouveaux convertis sont partout les plus bruyants) sont condamnés à trouver autre chose, à se faire une place,
  • En ce sens, M. Delahaye semble bien être le paradoxal boomer des altcoins !
  • Mais en réalité, s'il fait mine techniquement de s'enthousiasmer sur n'importe quel chaton capable de challenger le tigre, il reste politiquement du côté des moutons qui ne s'inquiètent ni du loup ni du berger. Cela transparait au détour d'une critique contre LN :

autant directement utiliser des systèmes centralisés. Il y en a de très robustes : vous ne rencontrez aucun problème avec les transactions demandées à votre banque, par exemple avec des virements SEPA !

Si l'on ajoute le fait que son souci de préserver la vie privée se satisfait d'un vague pseudonymat jusqu'à la contrevaleur de 1000 euros, bref son acceptation tranquille de la société de surveillance, on voit l'étendue de l'indifférence politique de Jean-Paul Delahaye.

On aborde ensuite une description de  l'univers des cryptomonnaies  qui est en réalité une série de notes attribuées par le Professeur sur la base d'un jugement personnel  formulé le plus honnêtement possible . Sans surprise, Bitcoin n'atteint pas la moyenne (37/80) et à ce moment là on se surprend à aller directement voir la moyenne obtenue par Ethereum  modèle révolutionnaire de cryptomonnaie  : 47/80 en PoW, 55/80 en PoS ! Une prosternation devant Vitalik  le plus jeune milliardaire du monde des cryptomonnaies  dont le réseau est un  véritable tour de force  et un hymne aux smart contracts semblent suffire à fonder les dix points d'écart avant the Merge.

La solidité de la PoS (l'ouvrage est antérieur au changement d'Ethereum) n'est examinée que pour Cardano (noté 58/80) et cela par un argument assez peu scientifique : l'absence d'attaque (à ce jour) sur les 70 milliards de capitalisation de cette blockchain. Nulle mention, inversement, de la grande complaisance de Cardano aux exigences réglementaires, qui en ont fait pour certains une blockchain « plus proche de devenir un réseau sujet à la censure, politisé et manipulé ».

Tezos, la pépite française louée par Bruno Le Maire, seul protocole dont les promoteurs sont invités quand les banquiers centraux se sont réunis cette semaine au Louvre, ne semble nulle part mentionnée par ce mathématicien français : désintérêt ou querelle d'école, on n'en saura rien.

Les stablecoins n'obtiennent que des notes fort médiocres (parfois inférieures à celle chichement pesée à Bitcoin) ce qui permet d'enchainer :  il semblerait logique et sain que ce soient les banques centrales elles-mêmes qui les émettent  même si - et sur ce point on ne peut qu'approuver l'auteur -  la volonté d'avancer est assez incertaine . Bref on n'y est pas !

J'avoue avoir lu en diagonale les pages sur les NFT, souri à la comparaison avec les cartes Pokemon (l'auteur a-t-il lu mon billet sur le joujou?) et baillé aux topos sur le prétendu échec de Bitcoin comme valeur refuge. Ça devient un serpent de mer, il faudra que j'y revienne moi aussi, mais disons d'ores-et-déjà que fonder l'examen de cette grande question sur l'analyse des cours comparés de l'or et du bitcoin sur l'unique journée du 24 février 2022 est une démarche de taupin myope. Le récit critique de l'utilisation de Bitcoin par les Ukrainiens (qui n'auraient guère pu s'en servir) et les oligarques russes (qui s'en seraient bien servi) fait montre de l'asymétrie systématique de l'ouvrage.

Le chapitre intitulé Rester lucide  qui passe en revue toutes les faiblesses, failles, accidents possibles ou déjà survenus dans les blockchains les plus diverses peut être une salutaire lecture, même si certains risques semblent de l'ordre de l'épouvantail.et qu'à d'authentiques problèmes techniques l'auteur mêle des caractéristiques bien connues, intentionnelles,  by design et des jugements émis par des personnes diverses (et généralement intéressées au système officiel) qui ne sont pas de nature à ébranler grand monde.

Mais in cauda venenum le dernier et 10ème chapitre  Un choix catastrophique  en ciblant la PoW ne vise qu'à demander  d'interdire Bitcoin, tout de suite, avant qu'il ne brûle le monde  selon les mots d'un journaliste anglais à qui son sens de la mesure a mérité l'honneur d'être mis ici en exergue.

Énumérons donc les arguments :

  1. son coût élevé n'est qu'un argument psychologique ( ce point est étayé de comparaisons amusantes) et crée un fausse sécurité (puisqu'il faut une surveillance par la communauté).
  2. son coût élevé handicape les protocoles qui y recourent : mais l'auteur livre involontairement un contre-argument car cela ne handicape selon lui réellement que les protocoles à smart contracts. Quoiqu'il en soit, Bitcoin n'a pas l'air d'en souffrir particulièrement (c'est d'ailleurs cela qui animé les rageux, non?).
  3. son immoralité écologique prive les protocoles PoW de la clientèle des belles âmes et Bitcoin pourrait un jour être interdit comme les sacs plastiques dans les épiceries.
  4. il encourage le vol d'électricité, et quand il la paye, il exerce néanmoins une ponction illégitime (autant voler, non?)
  5. il provoque une pénurie de composants électroniques (déjà vu plus haut)
  6. il limite le cours : j'ai lu deux fois, je n'ai pas vraiment saisi le raisonnement (voyez vous même, page 223-224 : les Chinois coupent l'électricité, donc la capi n'atteindra pas M1$ etc) qui vise à expliquer qu'avec tout ça Bitcoin ne sera jamais la monnaie unique mondiale.
  7. il est une sorte de prison
  8. il crée des barrières technologiques (donc il crée des prisons dorées, non?)
  9. il rend possible le cryptojacking (c'est ma foi vrai)
  10. il est bruyant et réchauffe l'environnement
  11. il est moins sécurisant que la PoS (déjà dit) avec un argument d'autorité, en l'occurence celle du créateur du ZCash, qui n'ébranle pas, d'autant que sa monnaie fonctionne toujours à ce jour en PoW, ou disons pas autant que le ferait quelques publications académiques. Il est amusant de voir l'auteur écarter tous les propos intéressés des bitcoineurs et leur opposer systématiquement les slogans et la réclame des entrepreneurs.

C'est tout ? Nenni, il y a les torts spécifiques à Bitcoin :

  1. son faible nombre de transactions, qu'on ne peut dépasser qu'avec LN et donc (tenez vous bien) en renonçant  à tous les avantages que procure la technologie des blockchains 
  2. le côté variable de ses commissions (pas comme celles des banques, que l'on découvre toujours après coup en page 27 de la documentation?)
  3. l'avantage donné aux riches du fait des faibles commissions lors des moments de tension (ça me parait à démontrer, ce que ne fait pas l'auteur)
  4. une gouvernance improvisée, liée pour partie à l'anonymat des validateurs (bref ça ne marche pas comme une bonne fondation suisse ou une vertueuse banque) ce qui est illustré ici par un épisode de Bitcoin Cash...

Épilogue : les quatre scénarios de l'Apocalypse?

On a eu un résumé dans l'article du Monde du 24 septembre (tiens le voilà!) et ce sont :

  • A - l'autodestruction (du moins si l'on en croit un n°2 de la BoE, certainement très compétent) pour plusieurs raisons possibles allant de la catastrophe cryptographique à l'effondrement des cours provoquant une brutale prise de conscience.
  • B - l'interdiction comme en Chine ; situation certainement très désirable (comme d'une manière générale l'adoption croissante de tout un tas de chinoiseries, et à laquelle ce livre propose d'ores et déjà une vaste gamme de justification)
  • C - la cohabitation des cryptomonnaies et des monnaies de banques centrales, bref le statu quo, avec deux variantes incorporant (C1) ou non (C2) le maintien de la dominance de Bitcoin.
  • D - l'abandon des monnaies de banques centrales dans une adoption de la concurrence hayekienne, avec (D1) ou sans (D2) dominance du Bitcoin.

On découvre in extremis que l'issue C2 lui parait la plus probable, sans éliminer A et B , les issues C1, D1 et D2 correspondants aux rêves des adolescents sus-mentionnés.

À présent, à vous de faire votre propre jugement . Comme l'auteur y invite, et après avoir dit que s'il fallait parier je parierai pour une situation de cohabitation, je dois ici juger non sans sévérité ce livre qui, certes, se veut destiné au grand public mais au terme duquel on reste sur sa faim compte tenu des promesses que le nom de l'auteur pouvait faire naître.

  • Évidemment on trouvera normal que je juge plus pertinents les écrits passés du mathématicien Jean-Paul Delahaye (cité et remercié dans mes ouvrages) que les arguments polémiques du militant expiant ses péchés de jeunesse en collaborant au sein de l'Institut Rousseau avec des auteurs comme Nicolas Dufrêne ou Jean-Michel Servet qui ont fait eux-aussi de la mise hors-jeu de Bitcoin une cause personnelle. Leur collaboration me semble fonctionner au niveau du PGCD (ici pour les nuls) qui ne peut excéder le plus petit de la série. L'économiste jugeant d'un protocole ou l'informaticien s'essayant à la psychologie de marché ne produisent pas des étincelles.
  • Mais j'ai une raison objective (et non intéressée) de préférer l'ancien Delahaye au nouveau : il offrait bien plus de contenu en calcul. Même si je suis flatté d'être cité, je suis un peu frustré de ne pas voir dans la liste un seul mathématicien. Même les quelques 135 notes renvoient pour l'immense majorité à des papiers polémiques, à des articles de presse et à quelques interviews de banquiers intéressés à tirer à boulet rouge. Un peu comme si je citais Michael Saylor pour étayer l'hypothèse de voir un jour le Bitcoin à 500k...
  • L'idée désinvolte que la PoW viendrait d'une erreur de Satoshi occulte l'hypothèse qu'il puisse s'agir d'une singularité de sa proposition, parmi les nombreuses alternatives d'alors et d'aujourd'hui, et que cette singularité s'expliquerait par une ambition radicale en terme de décentralisation en milieu ouvert.
  • Le fond comme la forme du livre témoignent de ce que l'auteur, personnellement satisfait de sa situation dans un pays dont la gouvernance lui convient et dans un système économique et financier dont il n'anticipe aucun risque grave le concernant, ne voit que des jeux (par définition toujours trop coûteux et insuffisamment sérieux !) dans ce qui est né d'une ambition initiale profondément politique.
  • On lui donnerait néanmoins raison (pour accepter un degré de tyrannie plutôt que de subir plusieurs degrés de réchauffement climatique) si le débat sur le rôle du minage dans la transition écologique n'était pas expédié par quelques citations apocalyptiques, si les arguments des contradicteurs (arguments qu'il connaît mieux que ce qu'il en montre ici) étaient honnêtement exposés, pour que le lecteur puisse effectivement juger ; et juger cela se fait normalement après une instruction à charge et à décharge, un réquisitoire et une plaidoirie.
  • Le livre ne vise cependant rien d'autre, dans la poursuite de ce que réclamait la Tribune de l'Institut Rousseau co-signée en février dernier avec MM. Dufrêne et Servet, qu'une interdiction de facto dont on voit bien à la lecture qu'elle viserait à défendre l'ordre politique actuel (si c'est un ordre...) bien plus que les équilibres naturels.

Finalement et malheureusement, un tel livre, intentionnellement ou non, et la politique qu'il soutient encouragent les propos toxiques et les postures provocantes.





CONFÉRENCES DE JEAN-PAUL DELAHAYE

En 2014, à l'espace des sciences (Rennes): entre dénonciaition du mining et Bitcoin maximalisme ?

En mai 2017 à Normale Sup, sur le  contenu en calcul 

En novembre 2017, au meet-up du Cercle du Coin à Bruxelles : des doutes plus clairement affichés.

En 2020 (déjà) :  dépasser  le Bitcoin

En 2020, Vidéo conférence organisée par le Cercle du Coin durant le premier confinement

129 - Bitcoin, entre l'ancien et le nouveau

August 29th 2022 at 11:40

Bitcoin est parfois décrit (non sans raison!) comme une monnaie d'humains ne se présentant pas les uns aux autres, ne se connaissant pas entre eux et traitant comme des robots, voire comme la monnaie rêvée des machines. Ce qui n'a pas empêché la naissance et le développement d'une sacrée communauté !

En regard, le système fiduciaire se présente comme fondé sur la confiance accordée par des consommateurs protégés par la puissance souveraine (et désormais démocratique) envers des sociétés de banque contrôlées par des régulateurs intègres et compétents : un système plus humain si l'on veut. Mais sans réelle humanité, chacun le sait bien.

J'ai lu cet été un livre portant sur le haut Moyen-Âge (les mérovingiens, les carolingiens et leurs voisins ) et dont la question inaugurale est la suivante :  comment fonctionne concrètement une économie "encastrée", c'est à dire une économie dont les éléments constitutifs, ce que nous appelons le travail, la rémunération, l'échange, la consommation, sont si profondément incrustés ou imbriqués dans les relations sociales qu'ils en deviennent impossibles à individualiser ? 

Telle quelle, la question ne saurait être plus éloignée de Bitcoin et toute comparaison semble hasardeuse à établir !

Pourtant j'ai eu quelques raisons de poursuivre, outre mon amitié pour l'auteur, mon camarade Laurent Feller qui venait de me faire présent de son ouvrage et mon instinct qui me disait que j'allais y piocher de nouvelles munitions contre l'absurde mythe du troc. Je ne fus pas déçu sur ce point d'ailleurs. Enfin, quand j'achevais, une controverse sur Twitter est entrée opportunément en résonance avec ma lecture.

Dès l'introduction on trouve ceci, qui ne peut manquer d'interpeler :  dans un testament médiéval, la valeur des legs est d'abord constituée par les affects qui s'attachent aux objets, non par la contrepartie monétaire que l'on pourrait en tirer . Surgissent en moi tant de réflexions entendues, non pas évidemment chez les cryptotraders mais souvent chez les maximalistes, ainsi que le souvenir de cette scène où un ami qui se reconnaîtra et qui venait d'initier mon fils à l'orange chevalerie en équipant son téléphone et en y déposant un fragment d'or numérique, refusa avec noblesse tout paiement en contrepartie :   On ne fait pas payer du bitcoin . Pourquoi ? On pourrait penser à Mauss et à l'esprit de la chose donnée  que Feller évoque dans sa conclusion et qui force au contre-don.

Dans quelle mesure cette distinction ancienne entre prix et valeur s'appliquerait-elle à Bitcoin ? Ma lecture érudite me suggère trois comparaisons et trois pistes à explorer :

  1. D'abord Bitcoin serait peut-être (je vais me faire mal voir) moins une monnaie qu'un objet précieux, voire sacré, donc fondamentalement destiné à la conservation (le fameux hodl). Moins radicale, l'assimilation de Bitcoin à l'or (la thèse défendue à Surfin Bitcoin par Yves Choueïfaty) s'inscrit pour une part dans cette perspective.
  2. Ensuite comme l'écrit l'auteur  les choses et les personnes sont mêlées  : l'échange, jadis, n'était  que partiellement un échange marchand  et intégrait la logique du don qui structure en grande partie les relations entre les hommes. On sait que Bitcoin, de la cagnotte en faveur d'un ami jusqu'au soutien à des causes politiques, est souvent une monnaie du don. C'est même un moyen de donner avec délicatesse (voir mes remarques anciennes sur la monnaie en chocolat).
  3. Enfin comme dans  les économies anciennes  les économies innovantes ne sont peut-être pas  des reproductions en plus petit ou en moins sophistiqué des économies contemporaines. Elle ne fonctionnent tout simplement pas selon les mêmes règles et celles qui régissent l'économie politique ne s'appliquent qu'imparfaitement voire pas du tout à elles.

Cette différence dans les règles est quelque chose de fondamental.

Savoir que les règles qu'on nous oppose, les lois économiques, les définitions (plus ou moins) aristotéliciennes dans lesquelles on veut parquer Bitcoin, que tout cela a une histoire finalement limitée et circonscrite (quelques siècles tout au plus, quelques décennies parfois) me semble réconfortant. Pour le coup ça justifie la rengaine attribuée à Churchill (voir loin dans le passé pour voir loin dans l'avenir ou quelque chose comme ça : il en a tellement fait qu'on ne sait que choisir).

Au-delà des règles, il y a une philosophie qui doit être prise en compte.

D'un point de vue philosophique, il m'est arrivé de penser que tous les reproches (et même tous les bons conseils) dont on nous abreuve reposent sur l'idée de l'intérêt. Normal pour les tenants d'une monnaie-dette ! Le temps, l'argent, l'enthousiasme placés dans Bitcoin ne seraient pas intéressants. De Bruno Le Maire pleurant sur le magicien qui a perdu trois fois sa mise jusqu'au FMI versant des larmes de crocodile sur le Salvador, en passant par tous les crypto-allergiques de Twitter qui crieront au fou à la prochaine hausse et par la presse qui recherche les pendus, il y a une excitation de nécrophage à guetter le moment de baisse où l'on peut supposer que détenir du Bitcoin ne sert pas notre intérêt.  On vous l'avait bien dit .

La vérité est que Bitcoin n'est pas intéressant mais passionnant. Bien sûr on voit sur les réseaux quelques crypto-dépressifs et des gens qui ont probablement joué au-delà de leurs forces morales. Mais c'est peu de chose par rapport à l'espoir qui porte les hodlers comme à l'enthousiasme des développeurs et des entrepreneurs. Bien des  Universités d'été  de partis politiques seront longuement mentionnées dans les médias sans avoir réuni autant de gens que Surfin Bitcoin 2022.

Il ne faut donc pas abuser des jugements absolus (les  on sait que...) et à cet égard je ne peux qu'adhérer à la plainte de mon ami médiéviste écrivant que  la science économique tend à penser les problèmes qu'elle traite, la valeur, le travail, le marché, sous un angle intemporel, comme s'ils relevaient d'une science de la nature .

Ainsi pour le haut Moyen-Âge certains postulats peuvent conduire à des erreurs de jugement : dire que c'est l'argent (réputé rare, ce qui n'est pas uniformément vrai dans la durée) qui est recherché (et non les produits ou services) c'est rapprocher l'économie de jadis de la nôtre, dans la mesure où la nôtre fait de l'argent une fin en soi ; c'est peut-être aussi postuler, au risque de l'anachronisme, une tension de la vie économique vers la recherche de la richesse et de son accumulation.

Mobilisant Polanyi et Godelier, l'auteur rappelle que les objets monétaires avaient toute sorte de significations, qu'ils étaient notamment des marqueurs de statut ou de rang. Inversement, au Moyen-âge les moyens de paiements n'étaient (déjà) pas limités aux monnaies frappées par les souverains : services (dont la prière!), terres, objets précieux, travail étaient des moyens de paiement.

Le chapitre 10, consacré aux moyens de paiement, développe cela. On y voit aussi des controverses que les dogmes simplificateurs des économistes ignorent superbement, le poids des découvertes (les trésors monétaires sont des trésors de renseignement) quand elles confirment ou infirment les grandes idées, les faiblesses de présentations qui peuvent concourir à transformer une économie d'autrefois  en une variante des économies étudiées par les anthropologues dans les sociétés les plus démunies du globe .

Bref la réalité des trouvailles archéologiques rebat régulièrement les cartes entre une économie exclusivement monétaire que la tradition libérale nous impose en quelque sorte de rechercher et la présentation d'une économie sans besoin de monnaie que la tentation anthropologique pourrait nous induire à construire.

L'œil que je garde toujours ouvert sur le présent m'a livré une occasion de repenser à cela.

Le député Vojetta, dont le principal titre de gloire est d'avoir tombé l'homme politique le plus détesté de France, est sorti de la torpeur estivale pour estimer dans un tweet remarqué qu'il convenait d'oublier les absurdités démagogiques sur l’interdiction de prendre l’✈️ ou celle des jets privés et proposer de parler plutôt d’1 combat réaliste contre le réchauffement : réfléchir ensemble aux moyens de modérer le caractère énergivore des monnaies virtuelles dont le #Bitcoin (99% spéculatif) .

Parmi les polémiques, sous-polémiques et contre-feux divers suscités par cette brillante idée, il n'a pas été possible d'échapper à l'usuelle critique sur la faiblesse de l'usage de Bitcoin comme moyen de paiement ordinaire.

 Quels sont ces 10% des Français qui utilisent les monnaies virtuelles ?  demandait-il.

En resserrant sa question sur des usages de paiement, clairement, on n'y est pas ! Il ne saurait être question de le nier et le Journal du Net a d'ailleurs proposé une réflexion sur ce thème au même moment : les achats en bitcoins : tout le monde en parle, personne ne paie. Trop de raisons y concourent encore actuellement :

  • l'effet de réseau toujours insuffisant ;
  • la démarche purement marketing de la presque totalité des commerces ayant annoncé qu'ils acceptaient Bitcoin ;
  • la maintenance problématique des interfaces de transaction, de change et de comptabilisation qui, du moins jusqu'à la période récente, restreignent très vite l'impact de l'annonce initiale aux commerçants réellement militants. Les choses changeront-elles? Le problème a été abordé à Surfin Bitcoin par Nicolas Dorier, créateur de BTCPay Server ou Jean-Christophe Busnel, managing Partner de StackinSat devant un auditoire fort nombreux. En ligne bientôt ?
  • enfin, il faut le souligner : l'absurde législation française qui (conçue par des gens qui expliquent ensuite benoitement que Bitcoin n'est pas une monnaie) en empêche dans la pratique l'usage comme instrument de paiement courant puisque chaque transaction individuelle déclenche les obligations déclaratives intrusives et les calculs un peu contre-intuitifs du formulaire Cerfa 2086.

Au total donc, en apparence et en France, la richesse placée en Bitcoin reste  purement spéculative  c'est à dire sur des plateformes, attendant du temps (ou du trading) une appréciation plus grande. Chacun sait bien néanmoins qu'une part de cette richesse (comme de celle qu'engendre l'écosystème crypto) circule après change, déclaré ou non, contre fiat ou contre stable, en France ou dans le pays que l'on appelait jadis la  Côte des Pirates  et qui est aujourd'hui un grand ami de la France. Il existe aussi des montages plus ou moins prudents (surtout en bear market) et recommandables.

L'histoire du haut-Moyen-Âge suggère encore une réflexion, fondée sur l'usage qu'on y faisait du lingot, en l'occurrence d'argent :   il apparaît comme une réserve de valeur universellement acceptée et convertible aisément en liquidités. Les voyageurs d'un haut niveau social en emportaient avec eux un peu à la manière dont, autrefois, on emportait des traveller's checks en dollars . Même si la comparaison n'est pas forcément parlante pour les plus jeunes, elle me parait assez pertinente, et extensible à Bitcoin aujourd'hui.

La risible (et sans doute éphémère) controverse sur l'aide que les cryptomonnaies pourraient fournir aux Russes, alors même que le système officiel laissait tant de trous béants dans la raquette des sanctions, a eu le mérite de montrer que les choses ne sont jamais simples quand il s'agit de dire ce qu'est une monnaie, un instrument de paiement, un moyen de transfert. Bitcoin ne peut pas être une monnaie seulement quand il s'agit des Russes...

Comme au Moyen-Âge les détails échappent  comme le dit joliment Feller et par là on entend les traces matérielles de l'existence de trafics qui sont attestés par les textes mais sont insuffisamment ou incomplètement documentés par l'archéologie . Bref l'historien repère bien des circulations d'argent et il retrouve bien  les objets dont elles ont soldé l'achat ... mais pas sur les mêmes sites ce qui le chiffonne un peu :  nous avons donc ici une double impasse .

Serai-je donc le seul à faire le parallèle quand je lis  en fonction des contextes comme de leurs besoins propres, les acteurs rentrent ou sortent du système monétaire . Rien de nouveau sous le soleil ?

Revenons à nos modernes régulateurs : plutôt que d'aller se fourvoyer dans de telles impasses, ne feraient-ils pas mieux d'accepter que Bitcoin est une monnaie sui generis, de constater que la richesse créée par Bitcoin existe, qu'elle circule (souvent, faute de mieux, en alimentant des dépenses somptuaires) et qu'elle pourrait utilement financer des secteurs d'avenir? Ne feraient-ils pas mieux, dès lors, d'aménager la législation pour rendre le pays accueillant, en préférant ce que j'avais dès 2018 appelé une logique de port plutôt qu'une logique de citadelle ?

128 - « Contre l'ignorance... »

June 10th 2022 at 07:24

A l'occasion de la journée mondiale contre l'ignorance et les préjugés, un certain nombre d'instances de la  cryptosphère  ont pris acte de la nécessité d'une campagne de sensibilisation et de pédagogie autour de la cryptomonnaie.

Une fois n'est pas coutume, ce n'est pas dans les couloirs souterrains de la RATP (pourtant la mère de tous les réseaux) qu'ont fleuri les nouvelles affiches mais plutôt sur les abribus de la France entière. Un choix stratégique sur lequel nous reviendrons.

Il s'agit, ont dit les initiateurs de cette campagne, de  favoriser l'acceptation et la reconnaissance des expériences monétaires au sein de la société de marché dans l'esprit d'une concurrence libre, loyale et non faussée, tout en luttant contre les actes d'intimidation et de moquerie .

Le slogan est simple : « Contre l'ignorance, à nous de diffuser la connaissance ».

Il est clair en effet que si 99% des arguments diffusés par Radio-Banque et Télé-Finance sont des billevesées, et si les no-coineurs du Café du Commerce n'ont comme source d'information que des sottises compilées, le trollage en  meute sectaire  par des geeks hargneux et dysorthographiques ne convaincra jamais à lui-seul les personnes sujettes aux préjugés verticaux de la société patriarcale et aux stéréotypes pseudo-aristotéliciens encore présents dans trop de mentalités.

Le salut des bullshiteurs, des nocoineurs, des régulateurs compulsifs et des économistes attardés passe par l'éducation !

Dans un souci budgétaire dû à la faiblesse (relative) des cours, on a repris sans fausse honte les visuels qui ont servi deux ans de suite et malgré les critiques suscitées, à la campagne contre les discriminations et violences subies par les personnes LGBT+.

Cependant le défaut majeur de ladite campagne (le fait de placer systématiquement au centre et en lumière la personne implicitement présentée comme normale) a été gommé, la mise en valeur visuelle étant offerte tantôt à la bitcoineuse ou au bitcoineur, tantôt à la personne qu'elle ou il se propose de réconforter et d'instruire gentiment.

La Voie du Bitcoin est heureuse de compter au nombre des partenaires de cette opération avec ces institutions que sont les sites d'information Bitcoin.fr et Le Journal du Coin et des associations comme Le Cercle du Coin, la belge Be-Crypto et la suisse B2Bitcoin.

On trouvera ci dessous les cinq affiches de la campagne.

À noter ici l'amusant clin d'œil à un fameux financier et économiste français, idole des esprits progressistes et des champions de vertu au tournant du siècle quand il comptait dans ses écuries la moitié de la classe dirigeante actuelle, mais qui figure désormais parmi les 600 français recensés dans les Pandora Papers.

Il est volontairement difficile de préciser laquelle des deux personnes est censée figurer la députée.

On saluera le vigoureux maximalisme de cette campagne dont témoignent amplement les deux affiches précédentes.

La communauté est parfaitement informée de la nature spéculative de Bitcoin. Elle connait l'attrait que l'appât grossier d'un gain rapide peut susciter chez quelques jeunes personnes que leurs parents n'ont pas dotées d'un paquet d'actions du CAC 40 ou qui, n'étant pas passé par les grands corps de l'Etat, risquent de ne jamais jouir d'un salaire à 8 chiffres. Les personnes victimes de ce genre de cupidité sont accueillies et accompagnées avec tact.

Il reste à préciser les raisons qui ont conduit à préférer les abribus.

Outre la saturation de l'espace du métro par Bitcoin (lire ici et ) certains ont avancé un argument simple : en temps d'inflation Bitcoin offrirait un  abri . Mais le débat suscité (sur le sujet dit SoV) risquant de tourner à l'aigre, plusieurs amis mathématiciens ont opportunément souligné la similarité entre l'observation empirique du temps d'attente dans lesdits abribus et celle du temps de validation des blocs sur la blockchain Bitcoin.

L'affichage sur les abribus se veut donc un rappel subliminal mais opportun des vertus de la loi dite exponentielle, une loi qui modélise la durée de vie d’un phénomène sans mémoire, sans vieillissement et sans usure, pour lequel le fait qu’il ait déjà duré un certain temps jusqu’au temps t ne change rien à son espérance de durée à partir du temps t.

Ce n’est pas un point de détail, comme nous le rappelle savamment le Président du Cercle du Coin :  le fait que SHA-256 soit une bonne fonction de hashage, sans défaut, entraine le fait que le temps de résolution d'un hash suive une loi exponentielle. C'est quelque chose que l'on retrouve lorsque l’on examine les chances d’un attaquant . Voilà qui est dit. La chose se défend, en somme...

Continuez de vous instruire vous-mêmes et de diffuser la connaissance autour de vous !

127 - Grâce de Dieu, violence ou algorithme

June 6th 2022 at 10:31

Le Jubilé de Sa Gracieuse Majesté a donné l'occasion de bien des réflexions. Sur le temps qui passe (et le temps c'est de l'argent) et sur ce qui fonde et maintient l'ordre et la valeur des choses, par exemple.

N'étant pas british subject moi-même, même si nombre de mes ancêtres ont dû avoir le Plantagenêt comme seigneur, je me dis que ça ne peut pas être tout à fait par hasard si nos amis d'Outre-Manche conservent à la fois leur reine et leur monnaie. Certes, me dira-t-on, c'est aussi le cas du Danemark, mais normalement quand on dit la reine  on sait bien que c'est Elizabeth Regina (la dernière, à ma connaissance, à user du Dei gratia) et quand on dit  la livre  chacun sait qu'il s'agit de la sterling.

Ceci me renvoie donc à la monnaie, chose étrange et presque sacramentelle sur laquelle il est tellement difficile de dire des choses pertinentes que ça en devient passionnant.

Or tout récemment nous avons entendu une économiste médiatique nous déclarer que  la monnaie c'est de la violence et c'est de la confiance et c'est géré par des institutions . C'est ici et ça vaut le coup.

De la violence, de la confiance ?

Cet énoncé fait évidemment références aux thèses d'Aglietta et d'Orléan exprimées en 1982 dans La violence de la Monnaie, dont on lira ici une présentation critique et développées vingt ans plus tard dans La Monnaie entre violence et confiance : la monnaie n'est pas introduite après coup pour sortir du troc et faciliter les échanges (comme dans la pensée classique) mais elle précède la société marchande elle-même. Attention, pour autant et pour ces auteurs hétérodoxes, la monnaie ne procède non plus ni de l'État, ni du contrat, mais d'une polarisation mimétique fondée sur un processus « d'élection-exclusion », au travers duquel les individus en situation de lutte généralisée (violence essentielle) expriment leur besoin de protection, de certitude, de société.

Notons que les thèses d'Aglietta et d'Orléan où certains ont vu une « vision essentialiste » de la monnaie, reposent sur des choix anthropologiques, sur des convictions idéologiques et philosophiques particulières. Autrement dit elles n'ont pas valeur constitutionnelle et ne sont pas paroles d'évangile.

Mais l'énoncé de Madame Lalucq (puisque c'est elle, bien sûr), par son côté brut de décoffrage auquel ne manque que le fameux  tout ça  a quelque chose d'à la fois loufoque et stimulant, qui tient aux circonstances actuelles, dans laquelle la violence se présente à nous de façon bien plus triviale que dans les pages d'économistes inspirées de René Girard.

Nul ne peut contester en effet qu'au-delà de la violence sociale, la violence physique occupe dans l'actualité française une place qui devient franchement gênante.

On peut l'attribuer aux manifestants, à ceux qui troublent les manifestations ou à ceux qui sont censés protéger le droit de manifester. On peut discuter du caractère plus ou moins systémique des violences exercées par les  forces de l'ordre . Mais nul ne nie la présence obsédante de la violence dans la vie de notre pays. J'ai déjà abordé la chose, en reprenant comme titre le mot d'un ministre qui parlait en 2018 de sédition. J'y renvoie.

Quand Madame Lalucq met violence et confiance dans la même recette, on ne peut aujourd'hui penser qu'à la violence d'État et à la confiance que l'on devrait pourtant avoir dans le même État, ce qu'elle suggère elle-même en ajoutant  et c'est géré par des institutions  alors que Aglietta et Orléan, dans un autre ouvrage datant de 1998, disaient plutôt de la monnaie qu'elle est elle-même  une institution . En regardant ce qui se passe dans nos rues, il devient clair que moins la confiance existe, plus la violence (de l'État, donc) est nécessaire, même si c'est toujours celle de la foule (de  Jojo-le-Gilet-Jaune , des Black blocs ou des racailles) que l'on déplore interminablement sur les plateaux télé.

L'une des manifestations violentes les plus récentes (Liverpool / Madrid au Stade de France) permet d'aller un peu plus loin.

Il y a eu quelque chose de bas dans le fait de n'accuser que les supporters anglais auxquels les témoins n'ont pas imputé de violences proportionnelles à celles qu'ils ont subies. Mais cette bassesse s'orne d'une farce, celle de l'affaire des  faux billets . Non, il n'y a pas eu de « fraude massive, industrielle et organisée de faux billets » de la part des anglais. Le désordre comme l'inefficacité (technique, logistique, numérique) et la violence sont  bien de chez nous .

Reprenons la précieuse  grille Lalucq  : on voit bien la violence et on voit bien, symétriquement, que la confiance en toutes choses s'érode. On voit mal en revanche ce que les institutions apportent comme remède structurel. Le ministre n'avait pas plus tôt dénoncé les Anglais que sur son bord droit on s'en prenait aux immigrés et sur son bord gauche aux policiers. Qui (sauf les dircom qui nous gouvernent) peut dire sans trembler que les JO se passeront bien ?

Or les Anglais viennent de nous montrer, chez eux et la même semaine, un tout autre spectacle.

On peut n'être ni monarchiste ni anglophile et trouver infantile la fascination que les royal people exercent sur la foule ; nul ne sera surpris que le bitcoineur, déjà éloigné du tralala étatique, manifeste une distance au mieux polie vis à vis des pompes royales et peu de considération pour la noblesse ou les décorations.

Ce n'est vraiment pas sa culture. Même si l'abondance de détournements amusants témoigne de son intérêt.

Il reste que les cérémonies du jubilé doivent nous interpeller en tant que Français. À l'heure où j'écris, tout s'est passé durant quatre jours sans violence, sans faux billets, sans gaz lacrymogène. Comme si Londres était cent fois plus loin de Paris que Saint-Etienne...

Que certaines vieilles anglaises couchent toute la nuit sur le macadam pour être au premier rang et voir passer les redcoats et les princes peut à la rigueur être interprété comme un phénomène de groupies. Mais les milliers de street lunches, les piqueniques, les illuminations, les événements innombrables où Sa Majesté ne sera présente qu'en pensée ou en image (comme sur les pièces et les billets, justement...) témoignent de quelque chose : d'émotions, de pensées et de sentiments qui nous sont inconnus et étrangers.

On a beau multiplier les évocations de nos valeurs républicaines , déclarer que  faire des républicains  est la tâche des professeurs (y compris ceux de mathématiques? d'anglais?) et transformer le malheureux Samuel Paty en icône, vanter  notre laïcité  comme s'il s'agissait d'une idée fédératrice... il n'y a rien dans tout cela qui parle à l'âme des gens, leur donne de la joie, les porte à la fête. Cela parle seulement à l'esprit de quelques-uns, et ce n'est pas suffisant. Je crois que nos fêtes gâchées témoignent d'un mal à l'âme. Nous n'avons pas foi en nous-mêmes, nous n'avons pas de fides.

Alors, la vérité concrète de la  trilogie Lalucq  c'est quoi ?

Du côté des institutions : une Banque Centrale hors-sol, impénétrable et incompréhensible pour l'immense majorité de nos concitoyens mais aussi une démocratie atrophiée, une représentation nationale sans rapport avec les équilibres et mouvements de l'opinion ou de la société (voir en commentaire), une devise écrite aux frontons mais quotidiennement vidée de son sens, pour ne rien dire d'institutions européennes kafkaïennes qui ne font les délices que de celles et ceux qui en profitent.

Quant à la violence, on est loin de la soi-disant  violence légitime  pompeusement tirée de Hobbes ou de Weber. Dans un système où des responsables peuvent dire sans honte  il n'y a pas de démocratie contre les traités  ou s'indigner de ce que le vote du Brexit conduise au Brexit (alors qu'il suffisait de re-voter, ou de faire voter le contraire au Parlement, tout le monde fait cela, ils sont fous ces Anglais) il n'est pas étonnant que les policiers soient lourdement armés et avec du matériel controversé. C'est une violence assez triviale, en somme. Les choses tiennent sur la police, le régime tient sur la police : ce n'est pas moi qui le dit, c'est le syndicat des policiers.

Comme le rappelle le dernier numéro de PhiloMag, pour Hannah Arendt l'autorité  présuppose que ceux qui commandent et ceux qui obéissent admettent tous la légitimité du commandement . Bref une autorité qui n'est plus digne de confiance est perçue comme un pouvoir autoritaire et violent.

Il n'est donc pas anodin de noter que les policiers de Sa Gracieuse Majesté sont bien moins armés que les nôtres, de même que le Parlement de Westminster est un lieu de débat plus sérieux que le Palais-Bourbon. Il faut croire que le mix violence/confiance est (un peu?) mieux pensé outre-Manche que chez nous ou à Bruxelles.

Je ne suis pas naïf pour autant : nos amis Britanniques ont les mêmes problèmes que nous avec leurs politiciens. Et Bo Jo le menteur s'est fait conspuer lors des cérémonies du Jubilé. Mais ils ont la reine pour penser à autre chose. Il est notoire qu'elle a un certain mépris pour les politiciens. Voilà au moins un point commun avec son peuple. Ça doit faire du bien.

serious questions.jpg, juin 2022Les billets de la Bank of England (et de quelques autres, d'ailleurs) portent, comme les nôtres, les pompeuses signatures de banquiers, inconnus au mieux et déshonorés au pire.

Cette coquetterie n'a pratiquement aucun sens (moins que la signature d'un commerçant sur un bon de réduction ou sur un voucher) et le ou la signataire ne s'engage à rien de précis et de crédible.

La figure de la souveraine exprime évidemment toute autre chose. Si tant est que dans l'esprit des gens quelqu'un mérite une forme de fides, c'est évidemment la Fidei Defensor dont le titre est rappelé, abrégé ou par initiales, sur chaque pièce, avec la grâce de Dieu.

Tout cela pour dire quoi ? Que les choses irrationnelles (la valeur d'un billet de banque, par exemple) ne tiennent pas debout sans raisons irrationnelles...

Et Bitcoin ?

Remercions Madame Lalucq de nous avoir fourni sa précieuse grille de lecture, sa petite trilogie.

Bitcoin, qui n'a ni reine ni banque centrale, a pourtant bel et bien des institutions, que certains le sachent ou non. J'entends par là qu'on n'y fait pas n'importe quoi, qu'il y a un cadre, et même une forme de check and balances. Mais aussi que sa communauté a ses propres façons de faire et de dire, de travailler et de faire la fête. Bitcoin n'a point besoin de violence parce que ce chef d'œuvre anarchique mais non anomique fait régner un ordre sans autorité hiérarchique ou coercitive. Enfin Bitcoin est peut-être la seule monnaie au monde reposant à ce point sur une confiance librement consentie. Ce que ses ennemis disent sans bien le comprendre quand ils prétendent qu'elle ne repose sur rien.

Je veux conclure sur deux choses récentes qui m'ont amusé. Madame Lalucq a une façon toute personnelle de conduire les débats, se victimisant de façon parfois caricaturale. Inversement la défense des positions qu'elle attaque lui parait incongrue. Les bitcineurs n'ont rien à dire, puisqu'ils ont tort.

Mais elle a exprimé cela d'une façon qui (fort inconsciemment j'en suis certain) reconnaît une chose que je dis moi-même positivement et depuis longtemps : si l'émission monétaire est un privilège régalien, Bitcoin témoigne de l'émergence d'une régalité nouvelle.

Son tweet du 1er juin en devient comique. Et bravo à l'auteur du détournement de la photo de Sa Majesté que je place en conclusion. Long may she reign!

126 - Bitcoin prend le métro

June 1st 2022 at 09:47

On ne comptera bientôt plus les publicités qui, dans le métro parisien, évoquent, vantent ou moquent (qu'importe) Bitcoin. J'ai déjà évoqué dans le lardon des offenses la plus savoureuse d'entre elles. Mais il me semble qu'il faut aborder le phénomène de manière plus large.

Le métro est un endroit où l'on accède en payant ou en trichant, les deux pratiques ayant d'ailleurs mollement évolué au fil du temps. Voyez L'Acéphale page 157. Le paiement y est contrôlé, l'essentiel du personnel semblant d'ailleurs dorénavant affecté à la surveillance plutôt qu'au service des usagers. On y fait la manche ou la charité, toujours en cash à ce jour. Les hauts-parleurs signalent en plusieurs langues la présence de pickpokets. Certains de ceux-ci exploitent le NFC avec plus d'adresse que la RATP elle-même.

La Bourse et la Monnaie y ont leurs stations et la seconde y fait régulièrement sa publicité, en septembre 2021 avec une campagne de Myphoto ou ces jours-ci pour Monnaies et Merveilles avec l'agence Claudine Colin.

Au total, un bon endroit pour faire de l'économie dans sa tête autant que le permettent les intrusifs fragments de musique, graves ou rythmes, échappés des balladeurs de vos voisins. La publicité y est aussi l'une des principales menaces contre la liberté de rêver du voyageur, en même temps qu'elle fournit des stimuli à sa réflexion.

Dans l'évident délabrement de notre pays, le métro parisien n'est pas ce qui s'écroule le plus vite. Relisant à l'occasion Un ethnologue dans le métro publié par Marc Augé en 1986 je ne vois qu'un seul réel changement : la plupart des gens ont un smartphone en main. Moi aussi, naturellement, même si je m'en sers plus que d'autres, me semble-t-il, pour prendre des photos quand quelque chose d'intéressant me  saute aux yeux .

C'est ce qui s'est passé tout récemment, dans un cheminement mental dont je ne vais rien épargner au lecteur puisqu'il est assez désœuvré pour me lire.

Ni la promesse de Qonto de classer (sommairement je le crains) les notes de frais du voyageur de commerce, ni celle de Bimpli de payer en puisant dans deux poches à la fois le triste repas du salarié ne me paraissent réellement révolutionnaires. Notez le nom de la Vierge Rouge au milieu, c'en est comique.

La finance classique se donne bien du mal pour paraître nouvelle. Qonto, fondée par le fils d'un patron de BNPParibas est peut-être une licorne française, avec pas mal de capital chinois derrière, mais c'est tout juste un faux nez du Crédit Mutuel. À noter que, comme bien d'autres entreprises financières, elle ferme les relations dès que ça sent le bitcoin. Les néo-banques, comme les moutons clonés, ont l'âge de leurs banquiers.

Quant à Bimpli (ex Apetiz) ce n'est qu'un gadget de Natixis. La chose regroupe tous les avantages proposés au salarié par son employeur et/ou son CSE. Les commentaires sur Google Play ne sont pas extatiques, c'est le moins que l'on puisse dire. Bref bof bof comme on ne dit déjà plus.

En regard, le promesse de Bitcoin n'a pas vraiment à être explicitée. En fait sa promotion gagnerait sans doute à être laissée aux tiers, parce que jusqu'à présent les insiders n'ont pas toujours été ceux qui en parlaient le mieux.

Coinhouse avait ouvert le bal en juillet 2021, avec une campagne plutôt humoristique fondée sur l'exhibition de ce que l'épargne populaire permet vraiment de s'acheter : du dérisoire, en mettant les choses au mieux.

Les objets proposés me paraissaient en effet assez parlants.

Une bouée comme celle-ci, on ne la voit que dans le  petit bain  de la piscine. Et ce n'est un jouet qu'en apparence :  c'est un mécanisme de protection des enfants. Exactement la posture que prennent les régulateurs quand ils parlent des épargnants, et quelques spécialistes de la réthorique anti-bitcoins quand ils parlent des  bonnes gens  ou des   pauvres types  qui vont se faire rincer.

L'éponge, justement, évoquait la nature bifrons de l'épargne : on éponge l'argent des petites gens, qui pour le reste n'ont qu'à se gratter, expression dont le sens populaire d'après Larousse est  devoir se passer de quelque chose, devoir y renoncer ; se fouiller.

La même entreprise réitérait quelques mois plus tard, mais hélas avec une campagne aux visuels moches et aux slogans rédigés dans un français qui n'était pas précisément celui du Père Hugo, comme « Aujourd’hui le bitcoin ça vaut plus le coup… à vous de voir comment prononcer le plus ». En fait, cela ne m'a pas plu du tout...

En mars de cette année, c'est Paymium qui a renchéri avec une campagne conçue par l’agence DD.

A l’occasion de la campagne présidentielle, l'entreprise souhaitait faire passer son message  sur le ton de l’humour légèrement décalé sans viser quiconque . Bref  votez Bitcoin . Seulement les images évoquaient plutôt la campagne de 1965 ou la blancheur Bonux et on ne sait si le nom des candidats (Yolande Pipeau, Patrick Languedebois, Sophie Jirouette etc) attestait du niveau de réflexion des créatifs ou du niveau d'humour qu'ils supposaient à l'investisseur encore indécis.

Tant et si bien qu'on en vient à se demander si ce n'est pas inconsciemment par prudence que les annonceurs français du Bitcoin choisissent ce ton ringard et un look insipide pour éviter ce qui est arrivé en Angleterre où une campagne plus pertinente a été jugée trop  irresponsable  et interdite en mai dernier.

Que disent, maintenant, les autres publicités, celles qui ne parlent pas de Bitcoin sinon comme faire-valoir ?

En avril, juste après les lardons, c'est Cogedim qui se servait du bitcoin, sur le mode ironique, sceptique et un peu prudhommesque du bourgeois bien installé. Juste comme un contrepoint supposé moins attractif.

Mais comme l'avait joliment suggéré Claire Balva dans un tweet remarqué, Bitcoin s'affichait dès lors comme le  meilleur atout pour attirer l’œil du lecteur sur une publicité .

Le côté boomer nanti de la campagne Cogedim laissait sans doute une place au doute. Nicolas Louvet y répondit non sans pertinence ici rappelant ironiquement qu'il faut, dans l'investissement immobilier, s’attendre à de longs retards de livraison, à un prix du m2 souvent sensiblement plus cher que pour des biens anciens ou récents, ce qui compromet fortement la rentabilité ; que la qualité de la construction n’est pas toujours au rendez-vous et cela affecte la valorisation à terme du bien et les travaux à prévoir à la sortie ; que les frais d’acquisition s’élèvent à plus de 4% et ceux de sortie bien plus encore ; que la liquidité n’est pas toujours évidente, et que donc il faut attendre parfois 10 à 15 ans pour valoriser son investissement ; et qu'enfin acheter pour louer n’est pas sans risques ni coûts (impayés, logement vide). Encore oubliait-il le squatter...

Au total une campagne qui fait peut-être flop (après tout chacun peut investir dans le Bitcoin et dans l'immobilier, avec un zest d'or en sus si ça lui chante) et qui en dit bien moins que celle des lardons, déjà évoquée, et sur laquelle je ne reviens que pour souligner son principal apport : l'idée que le chaland est peut-être en train de  passer à côté  du truc essentiel.

La plus belle est sans doute celle de Lydia.

Commençons par souligner le paradoxe ! Cette autre licorne française (avec elle aussi le chinois Tencent dans son capital) dont le fondateur Cyrille Chiche confesse vouloir faire  le Paypal de l'ère du mobile  et dont Cédric O considérait qu'elle était devenue  l’app de référence du remboursement entre amis et beaucoup plus encore  est d'une grande ambivalence : sa politique de blocage de comptes en séries au moindre soupçon de blanchiment n'augure rien de bon pour celui qui voudrait faire passer par là du cash-out de crypto. Et certains se demandent si ce sont du vrai bitcoin que l'on achète chez Lydia...

 En même temps  pas question de laisser partir ses clients chez des concurrents comme le géant Binance, Coinbase, Crypto.com ou Ledger. Et donc, en s'appuyant sur BitPanda, elle a fait un pas vers le bitcoin-placement puis le bitcoin-trading mais aussi, quoiqu'avec des pincettes, vers le bitcoin-paiement.

L’agence Socialclub s’est vu confier la conception, la production et le déploiement de la première campagne mass média de la fintech française, pour le lancement de Lydia Trading. En apparence, la « super-app » ouvre les portes d'un monde plébiscité (par le public et les publicitaires) mais qui reste, ou qu'on répute toujours, impressionnant. Grâce à Lydia, il sera désormais possible de trader dans la rue ou depuis son balcon, en toute simplicité. L’univers du trading n’a donc plus le même visage en 2022.

Mais il y a évidemment d'autres messages.

Le style moins iconique que renaissant envoie une première série de messages subliminaux : on a déjà abusé partout des comparaisons imprimerie/internet et autres, souvent sur la base de dichotomies forcées entre univers protestant et catholique. Les codes employés ici renvoient effectivement à des choses semblables (autour d'une liberté du sujet affirmée contre les contraintes antiques ou traditionnelles, les soumissions et les servages).

Le point saillant est que le bitcoineur est figuré tel l'Adam de la Sixtine (catholique, quand même) c'est à dire tel l'Homme qui s'éveille dans une relation directe (fort peu catholique) à Dieu, source de Vie et de Vérité.

La pièce dorée, symbolique absurde et usée, est ici reconfigurée en auréole, suggérant que le bitcoineur accomplit à la fois une conversion et une lutte héroïque vers une vie meilleure.

Notons que les auréoles ne figurent point dans la Sixtine, et même qu'elles trahissent ici un archaïsme qui pourrait bien renvoyer à l'équivoque de Lydia elle-même. Les autres images de la campagne s'en dispensent opportunément tout en conservant l'héroïcité de la montée en compétence du bitcoineur.

Il me semble donc qu'on est là, implicitement, moins dans une réforme sévère de type calviniste que dans un renouveau platonisant au sujet duquel je renvoie à un très ancien billet pour ceux qui ont le temps.

La référence explicite à ce que l'on appelle l'ubérisation n'est pas moins intéressante.

Faire de la pub pour le VTC dans le métro (au-delà de l'allitération avec le sigle BTC) pourrait paraitre paradoxal (ou équivoque...) si le mode de transport n'était pas moins important ici que le mode de rapport. Pour le dire de façon plus crue, Über n'a pas contourné les taxis ; il a contourné l'État, ses régulations, ses trafics de licences et d'influences, et au total l'inefficience qu'il génère. Il l'a fait en s'appuyant sur la mass-adoption. Bien avant Über, en décembre 1984, M. Baudecroux l'avait fait sans vergogne pour protéger sa radio libre des foudres du même État. Utile rappel pour les moins de 20 ans.

En ce sens Lydia me semble faire surtout la publicité de Bitcoin, renouant avec celle, plus directe, de Coinhouse. Si tant est que 10% des européens aient déjà des cryptos, comme la BCE s'en est aperçue avec un confortable retard sur les publicitaires mais aussi les humoristes, les cinéastes, les adolescents, les enfants et votre beau-frère... on n'est pas encore  dans le métro  au sens d'un outil devenu quotidien et populaire. Mais on y va...

125 - Psychopathes

April 19th 2022 at 12:47

Pour la première fois, nous dit-on un peu partout, une étude scientifique s’est penchée sur les comportements qui motivent les acheteurs de cryptomonnaies. Parmi les bitcoineurs, c'est surtout l'emploi du mot  psychopathe  qui a frappé. Bien des profils déjà ornés de laser eyes sur les réseaux sociaux se sont enrichis d'allusions psychotiques.

 Actuellement, les raisons pour lesquelles les gens achètent des crypto-monnaies ne sont pas bien connues . On pensait pourtant avoir tout lu : pour acheter de la drogue ? Pour financer le terrorisme ? Pour spéculer honteusement et avoir  un compte en Suisse dans la poche  comme l'avait dit M. Obama ? Le temps passant, et surtout l'intérêt pour Bitcoin et la cyber-économie croissant, il était grand besoin de trouver autre chose que ces préoccupations socialement marginales.

Il suffisait de prendre le problème par l'autre bout. De quoi ont peur aujourd'hui les élites gouvernementales, médiatiques et parfois universitaires ? Des complotistes et de leurs fakes, avec en arrière-plan le Mal, ou Poutine son serviteur. Inutile de s'attarder à repérer l'archaïsme d'un schéma explicatif reproduisant quelque peu le pécheur, son péché et Satan  père du mensonge . Mettons juste cela au goût du jour et à défaut d'un exorciste confirmé, envoyons à l'assaut quelques missionnaires frottés de psychologie et armés d'un bon crible pour trouver la pathologie des bitcoineurs. Après tout, on est toujours le fou de quelqu'un...

Donc ceux qui ont un attrait pour les cryptomonnaies ou un penchant pour Bitcoin, comme ceux qui succombent à cette tentation, qu'est ce qui ne marche pas bien dans leur vilaine tête ?

M'étant procuré le texte en anglais, évidemment sans le payer et par un procédé de psychopathe machiavélique, j'en ai produit une traduction que j'offre gratuitement à mes lecteurs affectés du syndrome FoMO.

Qu'en dire à première vue ?

Je reproche suffisamment aux économistes leurs incursions en gros sabots dans le champ de la science historique (mon livre à ce sujet sort dans quelques jours, patience !) pour ne pas aller m'essayer à la psychanalyse selon la formule consacrée.

Une critique sur la forme reste cependant autorisée par ma déontologie.

46 références savantes pour un article de 4 pages, cela me semble faire trop savant pour être honnête surtout quand tous les liens en bleu sur le pdf original n'ont qu'une seule et même fonction hypertexte qui est de renvoyer à la liste de ces références et non aux articles cités et que les compléments promis ne sont finalement pas mis en ligne. De même toute la partie 2 Méthode peut facilement être sautée par le lecteur : il ne s'agit que de ré-assurance. On ne vous ment pas, voyez un peu..

Sans me livrer sadiquement aux horreurs de l'attaque ad homines, un coup d'œil sur les positions universitaires et les publications des 5 auteurs achève le tableau : tous les 5 sont professeurs dans des écoles de commerce, de management, de publicité ou de marketing, sans référence particulière donnant à suspecter la moindre compétence quant aux ressorts de l'âme humaine, au-delà d'une bonne psychologie de supermarché. Le mot consommateur apparaît d'ailleurs clairement dans les premières lignes de la partie 4 intitulée Discussion.

À noter cependant qu'ils y prennent goût : trois d'entre eux annoncent, pour le mois d'août, un nouvel article sur les effets de la régulation. Maintenant qu'ils ont réuni un panel, ils ne vont plus lâcher l'affaire !

Sur le fond, qu'est-ce que j'ai, personnellement, trouvé dans cette étude ?

Des définitions superficielles

  • On est immédiatement frappé par un apparat volontairement impressionnant de références assénées de façon aussi autoritaire et de définitions schématiques.
  • Mais inversement le corpus delicti est présenté de manière extrêmement pauvre. La cryptomonnaie se voit distinguée (de tout autre investissement) par 2 spécificités seulement : sa volatilité qui l'assimilerait à un gambling et sa décentralisation, essentiellement perçue comme un écart à la norme d'une surveillance (oversight) gouvernementale. C'est quand même très court...

Des assertions non critiquées

  •  Les cryptomonnaies sont des investissements risqués  Sans doute. Mais pourquoi ? À quel point ? Sur quelle échelle de temps ? Pour quel type d'acheteur ?
  • Les  croyances conspirationnistes  se voient caractérisées de façon fort désinvoltes :  par exemple, la méfiance à l'égard du gouvernement. Autrefois, quelqu'un qui n'aimait pas, se méfiait voire combattait son gouvernement, cela s'appelait tout bonnement un opposant. Il y avait certes des pays où on les soignait en psychiatrie, mais ces pays ne jouissaient pas d'une grande considération auprès des démocrates, fussent-ils universitaires.

Un choix d'outils non critiqué

  •  Nous examinons l'effet des traits de la tétrade noire sur l'attitude et l'intention d'achat de cryptomonnaies d'une personne. Pourquoi ne pas étudier aussi voire à la place l'effet de la bienveillance (naturelle dans tout marché de pair à pair) ou de l'envie de voyager, ou encore de la passion de la technologie ?
  • La référence au Covid, cité pour le machiavélisme comme pour la psychopathie, tient de la facilité. Il me semble que les réticences diverses d'une partie de l'opinion sur une partie des discours produits par les divers gouvernements durant la crise épidémique récente forment un matériau un peu fragile pour construire des outils d'analyse recyclables sur Bitcoin.

Un choix délibéré et forcé de mots polémiques

  • Si le bitcoineur se voit épargné en apparence l'incrimination d'être  socialement nuisible tous ceux qui connaissent la littérature sur la  tétrade noire  auront compris.
  • La définition donnée du machiavélisme (outre qu'elle n'a évidemment qu'un peu d'eau de cuisson en commun avec la pensée du Florentin) colle si mal à l'investissement en crypto que le début du point 1.1 de l'article en devient risible.
  • Le sadisme, invoqué quant au troll (qui ne distingue guère le bitcoineur moyen du twitto moyen) n'est pas retenu à charge contre le simple crypto-investisseur. Il aura pu faire ses pâques la conscience en paix.
  • Le narcissisme invoqué (pour tout investissement risqué, d'ailleurs) est tellement la marque d'une époque - le livre tragique de Christopher Lash ne date pas d'hier - qu'il pourrait aujourd'hui être réquisitionné dans l'analyse d'à peu près n'importe quel passant dans la rue. On ne contestera donc, en ce qui concerne l'intérêt pour les cryptos, ni le FoMO ni une belle couche de narcissisme. Mais so what?

So What ?

La lecture de la fort courte partie 5 Limites et recherche future et de la brève conclusion suggère que les auteurs ne se sont même pas convaincus eux-mêmes autant qu'ils ont voulu le laisser croire dans les articles ultérieurement destinés au grand public (comme celui paru dans The Conversation).

Ainsi, avouent-ils en conclusion ce par quoi ils auraient dû commencer :  les chercheurs devraient réaliser comment la méfiance envers les politiciens peut activement conduire l'intention d'achat pour les investissements non soutenus par le gouvernement pour les investisseurs machiavéliques . Quelques bonnes conversations au café du coin auraient sans doute déniaisé les esprits.

 Nous ne suggérons pas que tous les acheteurs de cryptomonnaies présentent les caractéristiques de la tétrade noire. Nous étudions plutôt un sous-ensemble de personnes intéressées par les cryptomonnaies qui présentent ces caractéristiques. Nos résultats montrent que les narcissiques aiment les cryptomonnaies qui sont fondées sur la positivité.

Au total, malgré l'apparat de notes, les détails de la méthode employée et tout le verbiage savant, cet article n'apprend rien ni sur les pervers ni sur les cryptomonnaies ; bien moins en tout cas que sur les auteurs.

Ceux-ci auraient pu, unissant leurs diverses expériences nationales, se demander si ce n'est pas le narcissisme qui conduit un Australien à vouloir la république, le machiavelisme qui conduit un Britannique au Brexit ou encore la psychopathie qui conduit un Danois à rester dans l'Union Européenne après avoir voté  non  jadis.

En France comme ailleurs, narcissiques, sadiques et pervers de tout poil votent aussi ! J'aurais bien envie d'emmerder affectueusement les chercheurs en leur demandant ce qu'ils en pensent.

124 - Le lardon des offenses

March 19th 2022 at 16:07

(Pour Thaïs)

Les campagnes d'affichage publicitaire successives de Coinhouse et de Paymium auront sans doute moins suscité de commentaires parmi les fans de Bitcoin et autres actifs cryptographiques  comme disent pompeusement les législateurs et régulateurs, que celle, totalement imprévue, des lardons végétaux.

Parmi les commentaires les plus fins que j'ai glanés de-ci de-là, il y a le rieur :  l'agence de pub a sûrement eu cette idée en sortant de boîte à 4h du mat'  ou le critique  leur produit est vraiment naze ; des végétariens qui veulent des lardons, c'est quoi ce délire ? Mais bon comme on dit, tant que y'a des cons pour acheter  mais aussi le fataliste  la FNSEA est déjà en train de cuisiner le projet de loi sur le mot lardon  ou le politique  trop bizarre la nouvelle campagne de Fabien Roussel .

Pour être franc, je ne me suis mis à y réfléchir moi-même sérieusement qu'en découvrant, cabas en main, une autre affiche, devant mon marché.

Et là, εὕρηκα... j'ai tout compris.

Ce sont moins Archimède et son levier, en réalité, que Copernic et son renversement de perspective qui sont venus à mon secours. Il ne s'agit pas du lardon, dont le budget pub nous aura seulement offert une redoutable campagne subliminale. Il s'agit bien de Bitcoin. Souvent viandards (même si j'ai toujours un ou deux vegans aux Repas du Coin) mes amis bitcoineurs n'ont pas bien perçu la chose. Ils ont été victimes du lardon, dans le 3ème sens (raillerie, sarcasme) que le dictionnaire attribue au mot et dont Sainte-Beuve ou Mérimée usaient encore il y a 150 ans.

Le sarcasme cible ici très clairement, et pas seulement sur l'uniqueaffiche qui en cite le nom, la situation de Bitcoin en France, ce pays qui passe à côté de son futur.

Renseignons-nous d'abord sur le client.

 Avec son univers décalé, La Vie™ souhaite accompagner en douceur les consommateurs vers les substituts végétaux, plus respectueux de l’environnement et plus sains . Pas de quoi les accuser de vouloir faire interdire la PoW au nom de l'environnement, comme certains écolos mal informés. Le plus probable est qu'ils s'en tamponnent paisiblement. Je n'ai que 13 relations en commun sur LinkedIn avec l'un des deux créateurs de la boite et une seule avec le second. Notons quand même qu'ils sont décalés et que l'inclinaison des lardons sur les affiches est sensiblement comparable celle du logo de Bitcoin.

Quid de l'agence maintenant ?

L'Agence Buzzman, déjà Best International Small Agency of The Year 2011 puis Agence de l’année au Cristal Festival en 2013 et 2016 et pareillement aux Effie France de 2016 et 2021, régulièrement distinguée jusqu'à être reconnue Agence Française la plus Créative en 2019 et Agence de Publicité de la Décennie en 2020 n'est pas un repère de dingues fonctionnant au gag vaseux ou éculé. Surprise ? J'ai 31 relations en commun avec son président...

Que nous dit, en réalité, leur campagne ?

Ce lardon végétal ambitionne littéralement de changer le monde et de réajuster les relations sociales. Il est donc juste et bon de le comparer à Bitcoin.

Les critiques des viandards sont d'ailleurs (même si je ne crois pas qu'ils s'en soient rendu compte) exactement parallèles à celles des financiers enragés parce qu'il manquerait quelque chose à Bitcoin pour en faire une vraie monnaie.

Le lardon végétal introduit une critique radicale du lardon, non en en promouvant un qui serait  sans nitrite  ou orné de ces labels complaisants que l'on retrouve dans la finance comme dans l'alimentation (responsable, solidaire, circuit court et vous m'en direz tant) mais en faisant un lardon sans porc, comme Bitcoin est une monnaie sans la garantie de État, ou une eau sans électrolytes.

À l'unique différence, qu'il ne faut pas perdre de vue en temps de guerre, que l'on tue le cochon mais que ce sont les États qui tuent.

Et si ce lardon peut être vendu en France avec ce type d'affiche, c'est parce le pays de Pasteur a, seul parmi les membres permanents du Conseil de Sécurité, échoué à développer un vaccin contre le Covid. La critique, peut-être née à l'extrême-droite, n'en est pas moins pertinente et a suscité un débat mal étouffé). C'est parce que le pays de Louis Renault et des Peugeot a perdu bien du terrain dans l'automobile, ce qu'illustre le destin de l'île Seguin passée comme le dit sans fard ni honte son promoteur de l'île industrielle à l'île créative, numérique et durable. Et c'est parce que notre seul futur possible consiste aujourd'hui à tenter de conserver notre faible avantage dans l'art de bien vivre et de bien manger, devenu de façon pathétique un argument pour politiciens à court d'idées.

L'apostrophe  vous êtes déjà passé à côté du Bitcoin semble ne s'adresser, grammaticalement, qu'au seul passant, c'est à dire à un individu lambda, salarié exténué, épargnant floué. C'est la vielle antienne journalistique :  celui qui a mis ses économies en Bitcoin en 2009 est aujourd'hui multimilliardaire  transformée en argument de vente.

Mais selon moi elle s'adresse réellement, et je ne sais pas si ça les fait sourire, au fonctionnaire borné, au régulateur maniaque, à l'économiste verbeux, au banquier rentier. Peut-être, quand même, à se moquer ainsi publiquement d'eux, leur fait-elle un peu honte et doit-elle faire honte au pays qu'ils dirigent.

Derrière le lard sans cochon que cette affiche vend, il faut voir le cochon sans lard, sans liard et sans armes que notre pays est devenu.

123 - Ponzi et Pince-moi sont sur un yacht...

February 13th 2022 at 19:27

Comme bien des gens, j'ai découvert récemment l'histoire de l'Arnaqueur de Tinder (Tinder Swindler) que l'on pourrait malicieusement résumer en disant qu'il s'agit d'une affaires  d'échanges sur Internet .

Je ne vais analyser ici, de cette affaire qui à de très nombreux égards est emblématique de notre époque, que ce qui me parait intéresser directement ceux qui veulent réfléchir autour de Bitcoin.

Parce qu'au cœur d'une arnaque, au-delà de l'indélicatesse sentimentale, du mépris de l'être humain, de l'appât d'un gain indû et de la soif de jouissances tape-à-l'oeil, il y a essentiellement l'identité (le renard sous la peau de l'agneau) et... les gros sous. Deux sujets adressés par  la technologie blockchain  comme on dit.

D'abord il y a la double (au moins) identité du héros.

On ne peut qu'être frappé par l'aisance avec laquelle cet homme, né Shimon Yehuda Hayut, documente une identité qui n'est pas seulement fausse mais usurpée, celle du fils supposé du couple Lev and Olga Leviev, dont aucun des neuf enfants ne portent le prénom de Simon. Exactement comme sur sa photo de famille, il s'incruste par copier-coller sur la réalité.

Le coût de cette opération est, comme celui de pratiquement toutes les fraudes numériques, infime ou nul. Mon lecteur et moi pouvons, en quelques minutes et sans quitter notre clavier, poster une photo de nous incrustés comme le personnage du Zelig de Woody Allen au milieu de la famille X ou Y, siégeant au Conseil de la Banque Truc ou de l'Autorité de Régulation Machin. En faire usage ensuite sur les réseaux sociaux ne doit guère être puni bien sévèrement.

Plus l'identification d'un être humain repose sur des réalités numériques (ou numérisées) plus grandit l'espace par où s'infiltrer. Ainsi il n'est pas non plus bien difficile de se procurer une facture EDF, cette dérisoire clé de voûte du KYC bancaire : on trouve tout ce qui est nécessaire en ligne pour cela (exemple ancien, par prudence) et le fait que le technicien ne se dérange plus (merci Linky) doit arranger encore la tâche.

Or dans l'affaire de l'Arnaqueur de Tinder, mis à part l'acte sexuel, toutes les interactions des malheureuses se sont déroulées avec un avatar.

Dans un bal masqué cela ne manquerait pas de pimenter la chose, à la manière d'un gracieux marivaudage. Il faut juste laisser sa carte de paiement bien loin des pattes de son cavalier.

J'en reste là, incitant mes lecteurs à faire l'acquisition du pertinent ouvrage de mon ami Alexis Roussel et de Grégoire Barbey, Notre si précieuse intégrité numérique, préface de Jacques Favier, sans pseudonyme.

L'arnaque mérite-t-elle d'être décrite comme un Ponzi ?

C'est ce que fait la presse grand public (ici Marie-Claire) :  l'enquête du journal VG - ainsi que le documentaire - révèlent une arnaque basée sur un modèle de pyramide de Ponzi : Cecilie payait pour Pernilla, Pernilla payait pour la suivante, ect…  .

Or il saute aux yeux qu'il n'en est rien : Cecilie a, si l'on veut, payé le repas de Pernilla, mais elle ne l'a pas remboursée. On pourrait dire qu'elle a payé le Dom Perignon d'un soir, Pernilla la suite royale d'une nuit et Ayleen la Lambo. Aucune d'entre elle n'a jamais été remboursée avec de gros intérêts comme les clients chanceux d'un Ponzi qui se sauvent avant l'effondrement de la pyramide.

Dans un monde d'inculture financière, cet emploi inexact du nom de Charles Ponzi a cependant de quoi consoler celui qui lit du soir au matin des boutades de banquiers ou des approximations de journalistes faisant de Bitcoin un Ponzi.

Le Cercle du Coin avait organisé une rencontre avec Marc Artzrouni, mathématicien spécialiste reconnu du Ponzi (et à titre personnel peu favorable à Bitcoin) : il avait fait justice de cette assimilation inculte. Ceux qui ont un peu de temps et de curiosité peuvent revoir sa conférence ici.

Oublions Ponzi, non sans rappeler (par méchanceté) que la plupart des banquiers qui nous en parlent ont vendu du fonds Madoff, authentique pyramide, pour le coup.

Parlons donc de l'essentiel : des banques.

Les trois malheureuses héroïnes seraient toujours en train de rembourser, chaque mois, et certainement au taux d'usure, une somme totale de 600.000 dollars en principal.

Comme on le voit dans le documentaire, chacune a pu, en quelques heures et sur la base de bulletins de salaires contrefaits obtenir des prêts à 5 chiffres. Non pas une fois, mais trois, quatre voire cinq fois.

Aucune enquête ? Aucune centralisation par la Banque centrale, ou aucune consultation du fichier des emprunteurs s'il existe ? Aucune inquiétude d'Amex et autres quand l'encours de la carte de paiement est rechargé 3 fois en 3 semaines par 3 crédits personnels ?

Curieusement les documents que l'on aperçoit à la dérobée dans le documentaire semblent presque absents d'Internet où ne demeurent que les photos du BG à tête de pervers et de ses noubas de petit mec sorti des bas-fonds.

Ah la belle chose que l'audace des banques, si promptes soudain, alors qu'on les connaît si prudentes en général !

Je ne sais si l'on finira par incriminer le je-m'en-foutisme des banques, si soupçonneuses quand un client dépose 500 euros en cash ou 5.000 en liquide, mais si peu responsables en réalité dès qu'elles sont protégées par la violence des contrats et des lois.

Il y aurait encore une chose à leur reprocher : l'arnaqueur, parmi les mensonges qui ont pu le rendre crédible même aux moments de crise, invoquait systématiquement la lenteur des transferts bancaires. Car la terre entière sait que l'argent promis arrive toujours le lendemain (au mieux) du jour prévu, que le SEPA n'est ni gratuit ni instantané, pour dix mille raisons et notamment  pour votre sécurité. Un paiement en Bitcoin ne se fait pas attendre, et cette différence est considérable.

Pourtant, si l'une des banques de Cecilie aurait passé l'éponge, apparemment aux frais de son assureur, toutes les autres institutions bancaires impliquées semblent poursuivre en justice et par tous les moyens le recouvrement de leurs créances, avec une ardeur qui serait sans objet si elles avaient prêté cela après de longues analyses de risque à des sociétés capables de se placer sous la protection des lois sur les faillites.

Que conclure de tout cela ?

Mais... ce qu'il vous plaira.

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