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Le 88Ăšme Repas du Coin, Ă  Paris le 13 novembre 2024

November 19th 2024 at 00:40

Retour au spacieux Zango pour ce repas qui a rĂ©uni 42 convives, parisiens ou de Luxembourg et GenĂšve, de Bordeaux, de Lyon, de Valence, de Lille, de Rennes, de La Rochelle, d’Auxerre ou de Gisors. Des gens de tous mĂ©tiers : geeks, devs, juristes, banquiers, ingĂ©nieurs, (ancien) gendarme, psychiatre, journaliste ou vidĂ©aste 


AprÚs les « tours de tables », les conversations ont porté sur :

  • le bitcoin maximalisme face aux innovations technologiques, notamment aux usages monĂ©taires et non monĂ©taires sur ethereum ;
  • le bitcoin en tant qu’objet politique mais aussi sociĂ©tal ( le monde des rĂ©seaux, les boomers, l’immobilier etc) ;
  • les positionnements des autoritĂ©s europĂ©ennes face aux annonces de D. Trump autour de Bitcoin ;
  • le rĂŽle et l’utilitĂ© des CBDC, potentiel ou prĂ©tendu  « nouvel outil (politique / monĂ©taire) commun » ;
  • L’obsolescence (ou au minimum les risques de non maintien dans le temps) de bien des solutions, applications, sites de l’écosystĂšme, alors qu’on Ă©voque par ailleurs des usages de « capsules temporelles » adossĂ©es Ă  des caractĂ©ristiques des blockchains
  • l’inefficience de la compliance telle qu’elle est conçue aujourd’hui et que l’on pourrait obtenir aussi bien avec de la certification dĂ©centralisĂ©e pour les services publics, et de beaucoup de choses qui pourrait ĂȘtre amĂ©liorĂ©es.

MalgrĂ© le cri  » ATH !!! » qui retentit soudain, et la joie bruyante que cela a dĂ©clenchĂ© (mĂȘme si « on est lĂ  pour la tech! » toujours ) certaines conversations trahissaient cependant une forme d’inquiĂ©tude diffuse : dĂ©classement de la France et de l’Europe, temps perdus divers, utilitĂ© (ou non!) du port d’arme, voire risques de guerre civile, moins rĂ©els que ressentis par certains.

Si la fine Ă©quipe Adli Takkal Bataille et Alexandre Schtchenko a tĂŽt quittĂ© les lieux pour s’en aller sur le plateau de BFM dĂ©noncer l’hypocrisie et les biais idĂ©ologiques d’élites se rĂ©signant, comme le gouverneur de la Banque de France, si lentement Ă  Bitcoin, nombre de convives ont eux profitĂ© de l’hospitalitĂ© du lieu pour prolonger les temps d’échange dans le salon.

 

Cet article Le 88Ăšme Repas du Coin, Ă  Paris le 13 novembre 2024 est issue du site Le Coin Coin.

148 - Ne sait quand reviendra

November 9th 2024 at 15:40

Je remercie de tout cƓur mon ami Ryo (chaüne Youtube Memento Mori) pour cette belle lecture du premier chapitre de mon livre Aigle, crocodile & faucon à paraütre le 21 novembre chez Michel de Maule.

On est le 26 février 1815 en fin de journée, sur le port principal de l'ßle d'Elbe. Tous les témoins sentent que Napoléon va se lancer dans l'aventure. Mais laquelle ? Ils l'ignorent, et si les lecteurs des livres d'histoire le savent, les lecteurs de mon récit ne seront pas plus malins que les témoins.

Voici donc le moment critique, quelques heures avant le point de divergence de mon récit. Pour le plaisir d'entendre Ryo, pour attendre l'arrivée du livre par la poste ou chez votre libraire et aussi pour ceux qui n'auront pas le courage de s'attaquer au volume tout de suite (voire qui n'ont pas eu le courage de lire le billet L'historien croco et le crypto saurien).

On peut aussi l'Ă©couter sur Spotify.

Les livres audio lus par Ryo peuvent Ă©galement ĂȘtre Ă©coutĂ©s ici :

147 - L'historien croco et le crypto saurien

October 17th 2024 at 10:41

Bien sĂ»r mes amis bitcoineurs pourront ĂȘtre surpris de dĂ©couvrir ma nouvelle production, mĂȘme si le totem saurien en orne malicieusement le titre.

Ceux qui suivent ce blog savent cependant que NapolĂ©on y apparaĂźt dans plusieurs billets (en rĂ©alitĂ© dans plus de 25 et j’en ai Ă©tĂ© surpris moi-mĂȘme en les comptant) et notamment dans NapolĂ©on et nous et Un bon croquis, vraiment ? Comme l’a dit un de nos amis : « Jacques Favier, vous prononcez trois fois son nom devant une bibliothĂšque, il apparaĂźt et il vous fait un cours sur NapolĂ©on ».

Enfin, Ă©videmment, j’ai prĂ©vu pour les crypto-curieux la possibilitĂ© d’acquĂ©rir Aigle, crocodile & faucon en bitcoin. Ce n’est pas chose facile, du fait de la loi sur le prix unique du livre, mais cela pourra se faire lors d’évĂ©nements communautaires. Je ne me cache pas, et le mot  Bitcoin  apparaĂźt mĂȘme sur la page 4 de couverture, comme le nom de Tintin.


Mais venons-en Ă  l'essentiel : pas plus qu'en Ă©crivant sur Tintin, je n’ai pas rĂ©digĂ© ce livre sur NapolĂ©on avec ma main gauche, ni avec d’autres lobes de mon cerveau que pour les livres consacrĂ©s Ă  Bitcoin.

Ou, pour parler comme Satoshi, I had a few other things on my mind mais I’ve not moved on to other things.

Quinze ans avant le white paper, voyant mon pĂšre qui durant quelque congĂ© s’agitait sur sa tondeuse autoportĂ©e au lieu de se reposer Ă  l’ombre de son marronnier, je le taquinai en comparant cette frĂ©nĂ©sie jardiniĂšre Ă  l’activitĂ© de NapolĂ©on sur sa minuscule Ăźle d’Elbe et lui posai soudain la question : que ce serait-il passĂ© s’il y Ă©tait restĂ© tranquillement en fĂ©vrier 1815 au lieu d’enchaĂźner un pari fou, une Ă©popĂ©e jamais vue, un dĂ©sastre sans prĂ©cĂ©dent et un calvaire Ă  l’autre bout du monde ? Nous en avions devisĂ© : Ă©tait-il forcĂ© de s’agiter, pouvait-il ne rien faire ?

On reconnaĂźt lĂ  mon fond de taoĂŻsme, dont le nom La voie du Bitcoin atteste dĂ©jĂ . Lao-Tseu l'a dit : « la voie du Sage est d’agir sans lutter » 

Au-delĂ  de l’anecdotique (le tracteur paternel Ă  l’heure de la sieste) mon intĂ©rĂȘt pour l’annĂ©e 1815 a sa rationalitĂ©. C’est une annĂ©e critique Ă  tous Ă©gards, avec deux « alternances » spectaculaires (trois mĂȘme, si l’on prend la pĂ©riode avril 1814-juin 1815) autour d’un Ă©pisode sans Ă©gal dans l’histoire, ces « Cent Jours » qui sont moins le dernier Ă©clat de l’Empire que la premiĂšre rĂ©volution du 19Ăšme siĂšcle. Des alternances dont les monnaies gardent la trace !

C’est aussi le moment de vĂ©ritĂ© pour le personnage politique de NapolĂ©on, en attendant la terrible sanction qui attend le stratĂšge. AprĂšs une longue dĂ©cennie de dĂ©rive monarchique, il s’aperçoit sur l'Ăźle d'Elbe et vĂ©rifie Ă  son retour qu’il n’a plus comme soutiens, en rĂ©alitĂ©, que l'armĂ©e, des vieux jacobins et quelques jeunes libĂ©raux. Lesquels n’en sont pas moins surpris que lui. C'est cette double surprise qui me parait offrir un objet de rĂ©flexion.

Aujourd’hui les diatribes contre NapolĂ©on viennent trĂšs majoritairement « de gauche » tout en reprenant – il faut le noter – la panoplie complĂšte des calomnies forgĂ©es par les Ă©migrĂ©s et surtout par le gouvernement tory de Londres, et tout en ignorant les jugements bien plus pertinents de Marx ou d’historiens marxistes comme Antoine Casanova. Il m’a paru intĂ©ressant, en contre-point, de saisir ce moment historique oĂč le camp de gauche redĂ©couvre un Bonaparte que ses ennemis de droite ont, eux, toujours considĂ©rĂ©, selon le mot de l’autrichien rĂ©actionnaire Metternich, comme un « Robespierre Ă  cheval ».

VoilĂ  pour expliquer le choix de 1815 pour y placer mon point de divergence et y tester l’idĂ©e d’une non-action, d’une histoire alternative Ă  dĂ©velopper dans un univers virtuel. Les nombreuses uchronies qui se fondent sur l’idĂ©e d’un triomphe en Russie ou d’une victoire Ă  Waterloo ne m’intĂ©ressent pas, les hypothĂšses de base en Ă©tant (sauf improbable intervention divine !) historiquement irrĂ©alistes. Il m’a semblĂ© que, le 26 fĂ©vrier 1815, au contraire, NapolĂ©on aurait pu dĂ©cider (seul) de rester sur son Ăźle. La suite du rĂ©cit m'appartenait-elle, pour autant, en toute libertĂ© ? Cette rĂȘverie m’a accompagnĂ© durant prĂšs de 30 ans.

Entre temps, j’avais rencontrĂ© Satoshi. Dans ma famille, on n’est pas assez formatĂ© pour me pinailler sur les fonctions aristotemiques de la monnaie ou sur le fait que Bitcoin n’ait pas de « rĂ©alitĂ© tangible » : la formule canonique pour me charrier c’est « ta monnaie qui n’existe pas » et cette boutade me plait bien, parce que cela pose des questions bien plus vastes que de savoir si l’on peut mordiller une piĂšce ou froisser un bout de papier entre ses doigts. Qu'est-ce qui existe ?

Toutes les rĂ©flexions menĂ©es ou partagĂ©es sur cette monnaie gravĂ©e par une idĂ©e et battue par des calculs, cette monnaie cĂ©leste pour employer un mot de Mark Alizart, dĂ©ployant son propre espace numĂ©rique dans lequel elle a bien toutes les propriĂ©tĂ©s d’un objet tangible et toutes les qualitĂ©s d’une monnaie sui generis, je ne les ai pas cantonnĂ©es dans un coin hermĂ©tique de mon crĂąne quand, Ă  partir du confinement – situation obsidionale trĂšs appropriĂ©e au sujet – j’ai entrepris de faire enfin vivre « mon » NapolĂ©on dans son nouveau royaume.

A vrai dire, partant de Satoshi et de la grande question de sa « disparition » j’avais dĂ©jĂ , quatre ans plus tĂŽt, Ă©voquĂ© un mot de NapolĂ©on selon qui « les hommes de gĂ©nie sont des mĂ©tĂ©ores destinĂ©es Ă  brĂ»ler pour Ă©clairer leur siĂšcle ». J'y abordais surtout le personnage tel que l’imaginait Simon Leys en 1988, dans une autre uchronie oĂč il montrait comment et pourquoi l’empereur Ă©vadĂ© de Sainte-HĂ©lĂšne refusait ensuite de se manifester.

Partant, en sens inverse, de NapolĂ©on, et mĂȘme si je sais bien que le chiffre napolĂ©onien Ă©tait dans la pratique d'assez faible qualitĂ©, il y a des mots de lui qui m’ont fait penser Ă  Satoshi. Ainsi de « je lis toujours utile » car j’ai toujours pensĂ© que l’assembleur de Bitcoin avait dĂ» beaucoup amasser de savoir avant de les assembler. De mĂȘme pour « rien ne se fait que par calcul » et mieux encore « je calcule au pire » qui me semble convenir Ă  l’inventeur d’un systĂšme qui tient non sur nos vices (toute l’économie le fait) mais sur une plus faible rĂ©munĂ©ration de l’action vicieuse que de l’action conforme.

J'ai souri aussi en lisant « Il n’y a pas nĂ©cessitĂ© de dire ce que l’on a l’intention de faire dans le moment mĂȘme oĂč on le fait » et me suis demandĂ© si le jugement portĂ© sur l'un par le gĂ©nĂ©ral Bernard (le futur Vauban du nouveau monde) ne s'appliquerait pas aussi bien Ă  l'autre : « C'est peut-ĂȘtre la meilleure tĂȘte du siĂšcle, la mieux organisĂ©e. Il n'Ă©tait Ă©tranger Ă  rien, faisait tout par lui mĂȘme, il ne s'Ă©tait jamais confiĂ© Ă  personne qu'au moment de l'exĂ©cution, ayant toujours lui seul dĂ©libĂ©rĂ© et dĂ©cidĂ© de ce qui convenait le mieux ».

Au-delĂ  de ces quelques clignotants (car il ne s’agit pas pour moi, Ă©videmment, de comparer l’un des hommes les plus connus de l’histoire avec celui qui a effacĂ© presque toute trace de son existence terrestre) j’ai poursuivi ma propre expĂ©rience de pensĂ©e. Le bitcoineur qui aura le courage de me suivre entre 1815 et 1827 (j’ai donnĂ© quelques annĂ©es de vie supplĂ©mentaires Ă  mon hĂ©ros par vraisemblance et parce que c'Ă©tait utile Ă  mon rĂ©cit) retrouvera au fil des pages bien des histoires dĂ©jĂ  traitĂ©es ici : le thaler de Marie-ThĂ©rĂšse, la monnaie qui n’existait pas mais qui fit si peur au roi, la fantaisie obstinĂ©e de trois ou quatre faquins qui ont privĂ© le Louvre de trĂ©sors d’art Ă©gyptien. Il y trouvera une pique concernant l'Ă©conomie d'Aristote et des idĂ©es qui peuvent ĂȘtre les nĂŽtres : le mĂ©pris des billets sans encaisse ou le financement communautaire par exemple.

Le lecteur trouvera surtout dans mon rĂ©cit des rĂ©flexions qui peuvent ĂȘtre cruciales pour nous : sur la temporalitĂ©, sur la mass adoption et d'abord sur la souverainetĂ© et les limites d’une souverainetĂ© « personnelle » qui prĂ©occupe tant de bitcoineurs Ă  tendance fĂ©odale. NapolĂ©on, d’aprĂšs le TraitĂ© passĂ© avec ses vainqueurs en avril 1814 restait « empereur » mais il ne s’agissait plus que d’un titre honorifique viager. ConcrĂštement il n’était plus « souverain » et de maniĂšre pareillement viagĂšre que de l’üle d’Elbe. Petite robinsonnade : il « rĂ©gnait » sur un territoire 30 fois plus grand que le Liberland mais presqu’aussi dĂ©pourvu des infrastructures concrĂštes qui permettent l’exercice efficace de la souverainetĂ©.

Il se trouvait donc dans la situation inverse de celle qui faisait fantasmer Andrew Howard en dĂ©cembre dernier quand il imaginait des bitcoiners tellement riches qu’ils en deviendraient souverains de larges Ă©tendues de terre. NapolĂ©on restait souverain (et, mĂȘme vaincu, il conservait selon les notes de police un poids politique considĂ©rable en France et en Italie) mais il n’avait plus sous les bottes qu’une sous-prĂ©fecture 16 fois plus pauvre que la Corse voisine et un pĂ©cule (4 millions de francs-or) qui lui filait entre les doigts.

Or la souverainetĂ© ne consiste ni Ă  se pavaner sur un trĂŽne qui « n'est qu'une planche garnie de velours » (mot apocryphe) ni Ă  s’épargner les ingĂ©rences Ă©trangĂšres (en se faisant oublier sur l’üle d’Elbe ou sur quelque Ăźle artificielle) mais Ă  agir souverainement, concrĂštement, efficacement, sur le thĂ©Ăątre du monde. Il avait un exemple : le pape Pie VII, son ancien prisonnier, restaurĂ© dans ses États sans tirer un seul coup de feu et dont on disait, Ă  Londres mĂȘme, qu’aucun gĂ©nĂ©ral ne l’avait combattu aussi efficacement que le pape Ă  la tĂȘte de son Église.

NapolĂ©on dira Ă  Sainte-HĂ©lĂšne qu’il aurait pu sur l'Ăźle d'Elbe « inventer une souverainetĂ© d’un genre nouveau » et je me suis longuement interrogĂ© sur ce que ces mots pouvaient signifier. Il choisit finalement d’en revenir Ă  la forme antĂ©rieure et en perdit en cent jours toute apparence.

Ayant dĂ©cidĂ© que, dans mon rĂ©cit, il n’irait pas se faire Ă©craser Ă  Waterloo, je ne pensais pas qu’une courte sagesse consistant Ă  jardiner tranquillement sur son Ăźle aprĂšs l’avoir un peu mieux fortifiĂ©e fournirait une matiĂšre suffisante Ă  mon livre. Il fallait d’abord que, sans rentrer en France, il pose un acte souverain de nature Ă  desserrer les contraintes (financiĂšres) et les menaces (militaires) qui pesaient sur sa misĂ©rable principautĂ© et puis ensuite qu’il continue d’agir Ă  la mesure, jusque-lĂ  prodigieuse, de son imagination et de son activitĂ©.

Plus facile Ă  dire qu’à Ă©crire. Les historiens normaux, universitaires, mĂ©prisaient traditionnellement les « uchronies » jusqu’à ce que certains ne confessent que « l’histoire contrefactuelle » est aussi un puissant outil pour comprendre l’histoire tout court. Car tout, si l’on est honnĂȘte et factuel, ramĂšne Ă  la contrainte de rĂ©alitĂ© qui est incommensurable par rapport Ă  ce que l’on appelle pompeusement le « volontarisme politique » et qui est bien plus proche de l’imagination romanesque que ne le croient les « dirigeants ».

Admettons donc que NapolĂ©on ne bouge pas de sa « petite bicoque », tolĂ©rĂ© dans son coin de MĂ©diterranĂ©e et qu’il trouve le moyen de s’y fortifier, de s’y dĂ©fendre, d’y vivre en petit prince et d’y poursuivre ses rĂȘves. Ce n’est pas donnĂ© (et tout le dĂ©but de mon ouvrage vise en gros Ă  tracer les manƓuvres qui le lui ont permis dans mon univers virtuel) mais une fois ceci obtenu le reste du monde change-t-il ? Oui et non. Notez que la question se pose aussi pour Bitcoin : admettons qu’il arrive Ă  un point oĂč nul ne peut le dĂ©truire, l’interdire ou le contraindre, et qu’il soit reconnu comme une monnaie « comme les autres » : le reste du monde change-t-il radicalement ou seulement Ă  la marge ?

Personne, donc, ne va mourir Ă  Waterloo, ni mĂȘme errer comme Fabrice Del Dongo sur ce champ de bataille qui va hanter durablement l'Ăąme française. Il n’y aura ni « terreur blanche » ni « chambre introuvable » ; des centaines d’hommes politiques ne feront pas les girouettes, les anciens rĂ©gicides ne seront pas exilĂ©s et Nathan Rothschild ne fera pas de bon coup en Bourse sur ce coup-lĂ .

La France en restera au TraitĂ© de Paris signĂ© en 1814, une paix entre rois qui sent encore l'ancien rĂ©gime, et ne sera pas acculĂ©e au dĂ©sastreux TraitĂ© de Paris de 1815 qui annonce bien davantage les paix des vainqueurs que connaĂźtra le siĂšcle suivant ; elle ne versera pas 2 milliards de francs-or d’indemnitĂ©, Nice et la Savoie resteront françaises, comme quelques places fortes sur les frontiĂšres belge et allemande, que nous ne rĂ©cupĂ©rerons jamais celles-lĂ . Plus de 2000 tableaux resteront suspendus aux cimaises du Louvre et les Chevaux de Saint-Marc perchĂ©s sur l'Arc du Carrousel.

La légitimité du régime politique de la Restauration ne sera pas si sauvagement compromise ni la séculaire prétention française à la suprématie européenne si tragiquement enterrée. La démographie française ne plongera pas.

Pourtant la contrainte du rĂ©el restera forte et continuera de s’imposer Ă  NapolĂ©on sur son Ăźle mĂ©diterranĂ©enne comme Ă  l’auteur sur son clavier : Metternich et Castlereagh ont toujours un agenda rĂ©actionnaire, les Italiens veulent toujours chasser les Autrichiens, que les Prussiens regardent toujours comme un obstacle Ă  leurs ambitions, les AmĂ©ricains et les Anglais sont toujours dĂ©cidĂ©s Ă  corriger les Barbaresques et ceux-ci sĂšment toujours la terreur en MĂ©diterranĂ©e, l’AmĂ©rique du Sud veut toujours se libĂ©rer de l’Espagne. Et puis, bien sĂ»r, le Tambora explose Ă  la mĂȘme minute dans l’histoire et dans mon rĂ©cit, qui connaissent tous deux une annĂ©e sans Ă©tĂ©.

Pour construire ce que j’ai appelĂ© un « rĂ©cit » plutĂŽt qu’un roman, j’ai donc d’abord essayĂ© d’imaginer le moins possible. J'ai voulu partir des faits, des situations, des coĂŻncidences. J’ai moins relu les historiens (qui expliquent ce qui s’est passĂ© tellement finement qu’on en conclut que cela ne pouvait que se passer) que les tĂ©moins : correspondances et mĂ©moires livrent les « petits faits vrais » dont parlait Stendhal, des coĂŻncidences, des traces d’évĂ©nements oubliĂ©s. J’ai aussi passĂ© des heures dans les catalogues de ventes publiques consacrĂ©es aux autographes ou aux reliques napolĂ©oniennes. Mes lecteurs connaissent mon goĂ»t des reliques, ces objets fĂ©tiches.

AprĂšs cela (osons le dire) j'ai, comme Satoshi, moi-mĂȘme agencĂ©. Parce que le problĂšme posĂ© Ă  NapolĂ©on enfermĂ©, appauvri et menacĂ© sur son Ăźle Ă©voque un peu un triangle d’incompatibilitĂ©.

Comme je le dis en introduction de mon livre, tous les faits prĂ©cisĂ©ment datĂ©s et antĂ©rieurs au 26 fĂ©vrier 1815 Ă  dix-huit heures sont exacts et de façon surprenante, bon nombre de faits ultĂ©rieurs le sont Ă©galement. Tous les personnages nommĂ©s ou seulement dĂ©signĂ©s par un nom de lieu ont rĂ©ellement existĂ©, mĂȘme si certains sont demeurĂ©s parfaitement inconnus. Enfin de nombreux propos et Ă©crits, empruntĂ©s Ă  des sources crĂ©dibles, sont littĂ©ralement reproduits mĂȘme si je les ai rĂ©agencĂ©s dans le temps pour les besoins de mon rĂ©cit.

Contrairement Ă  tous les historiens qui accumulent les faits pour montrer que NapolĂ©on Ă©tait pris au piĂšge – ou plutĂŽt aux piĂšges – et que seul demeure encore obscur le point de savoir si ceux qui avaient tendu ces rets ne furent pas eux-mĂȘmes un peu surpris de l’évĂ©nement, j’ai montrĂ© qu’un certain agencement de faits et d’effets lui offrait l’occasion des « soudaines inspirations qui dĂ©concertent par des ressources inespĂ©rĂ©es les plus savantes combinaisons de l’ennemi » comme on l’avait dit une vingtaine d’annĂ©es plus tĂŽt en Italie.

Une fois rĂ©ussies la sortie de l’histoire et l’entrĂ© dans le rĂ©cit, j’ai tenu Ă  ce que celui-ci demeure historiquement crĂ©dible, donc sans odyssĂ©e conquĂ©rante Ă  travers l'Orient, l'Asie et jusqu'Ă  la Chine comme dans ce qui est considĂ©rĂ© comme la premiĂšre uchronie de l’histoire, celle de Geoffroy-ChĂąteau en 1836). J'ai voulu aussi que mon rĂ©cit s’inscrive dans une temporalitĂ© rĂ©aliste, dans une temporalitĂ© du post hoc ergo propter hoc que connaissent bien ceux qui comprennent la blockchain.

Le systĂšme de contraintes a Ă©tĂ© desserrĂ©, mais elles demeurent. Inversement le geste de NapolĂ©on au point de divergence crĂ©e une premiĂšre onde de choc, diffĂ©rente de celle suscitĂ©e par son retour, mais non nĂ©gligeable : il ne fait pas rien, mais autre chose. Il agit sans lutter. L’onde de l’évĂ©nement alternatif se propage dans le temps du rĂ©cit, avec les rĂ©actions des divers acteurs. Elle est suivie d’autres initiatives de NapolĂ©on, anticipant ou rĂ©agissant Ă  d’autres faits historiques : la piraterie des barbaresques, l’insurrection de l’AmĂ©rique latine, la revendication dans de nombreux pays d'un gouvernement constitutionnel, etc.

Ce second temps du rĂ©cit est, pour qui tente d’imaginer l’histoire, aussi difficile que pour qui tente de deviner le futur (chose que l’on demande toujours niaisement Ă  l’historien). Comme je l’avais fait pour Bitcoin, j’ai rĂ©flĂ©chi en termes de mĂ©tamorphoses. NapolĂ©on est un camĂ©lĂ©on, les peintres l’ont bien montrĂ© et de son vivant mĂȘme on a dit qu’il y avait plusieurs hommes, ou qu’un grenadier avait pris sa place aprĂšs sa mort en Russie.

J’ai fait un choix. Saisissant NapolĂ©on au moment oĂč il est dĂ©sarmĂ©, les plus hauts faits que j’aborde sont ceux qui n’auront pas lieu. Parce que dĂ©libĂ©rĂ©ment « mon » NapolĂ©on est un ĂȘtre de raison qui renonce Ă  l’aventure. Il l’avait dit Ă  Caulaincourt en 1812, qu'il n'Ă©tait pas « un Don Quichotte qui a besoin de quĂȘter les aventures ». Il dĂ©cide de revenir Ă  son personnage, le seul qui puisse « dĂ©passer NapolĂ©on » : Bonaparte, le pacificateur et lĂ©gislateur. Mon NapolĂ©on est donc conforme Ă  ce que l’on disait de lui avant le Sacre, le « plus civil des gĂ©nĂ©raux ». Et pour dire les choses crĂ»ment, il penche non seulement pour la paix mais aussi pour les « idĂ©es du siĂšcle » et non vers les fastes et « les prĂ©jugĂ©s gothiques ».

Cette Ă©volution n’est pas totalement un choix arbitraire ou complaisant de ma part. C’est celle que le prisonnier de Sainte-HĂ©lĂšne a rĂ©ussi Ă  suggĂ©rer, posant au Messie de la RĂ©volution. Seulement, au lieu de dire ce qu’il « aurait pu » ou ce qu’il « voulait » faire, il le fait dans la mesure de ses moyens. Au lieu de cĂ©der Ă  ce que l’historien contemporain Emmanuel de Waresquiel dĂ©crit comme « la tentation de l’impossible » en 1815, il tente ce qui est possible de 1815 Ă  sa mort.

Évidemment, il y a la tĂąche du rĂ©tablissement de l’esclavage. S'intĂ©resser Ă  NapolĂ©on est-il dĂšs lors une faute morale ?

À Sainte-HĂ©lĂšne, peut-ĂȘtre du fait de la frĂ©quentation de l'esclave Toby qu'il voulut racheter, comme dans mon rĂ©cit, NapolĂ©on est conscient de la tĂąche, et moi aussi, bien sĂ»r. Insuffisamment Ă©voquĂ©e jadis (on lui a bien plus reprochĂ© l’exĂ©cution du duc d’Enghien) elle obnubile aujourd’hui pratiquement toute l’épopĂ©e et condamne le hĂ©ros au bannissement en 140 signes : on ne peut pas, on ne doit pas s’intĂ©resser Ă  quelqu’un qui a commis cela. L'acte est nul : le personnage doit l'ĂȘtre Ă©galement.

Brisons l'idole... mais cela a déjà été fait, et pas qu'un peu. Et toujours en vain.

L’une de ses plus violentes ennemies, la reine de Sicile (sƓur de Marie-Antoinette) le considĂ©rait pourtant Ă  la fois comme « l’Attila, le flĂ©au de l’Italie » et comme « le plus grand homme que les siĂšcles aient jamais produit ». Nous ne semblons plus capables d’ambivalence : Ridley Scott le prĂ©sente comme un minus, l’Ɠil vide, dominĂ© par sa femme ou par les Ă©vĂ©nements. C'est peu crĂ©dible, mais un autoritaire belliqueux ne mĂ©ritent guĂšre d'Ă©gards posthumes. C’est ainsi l’opinion courante sur X, hors quelques chapelles bonapartistes dont les dĂ©vots caricaturaux ne perçoivent la lumiĂšre qu’au travers de vitraux trop chamarrĂ©s. Il faut Ă©chapper Ă  ces courtes vues.

Je me demande souvent (et on a senti un petit frisson au moment du rĂ©cent teasing de HBO) ce que les bitcoineurs diraient de Satoshi s’ils apprenaient qu’il battait sa femme, sĂ©questrait sa domestique philippine ou avait violĂ© son neveu ? Le Bitcoin fonctionnerait-il moins bien si Satoshi n'Ă©tait pas un smart guy ou seulement s'il n'Ă©tait pas adepte de l'Ă©conomie autrichienne ?

Passant ainsi, par posture morale, Ă  cĂŽtĂ© du « plus grand homme du plus grand peuple » comme l’écrivit plus tard son frĂšre aĂźnĂ©, le risque est grand de passer aussi Ă  cĂŽtĂ© de ces trĂšs grands hommes que furent ceux qui le servirent. Car presque tous le servirent, comme le remarqua tout de suite l’impertinent Rivarol (mort en 1801) : « ils le servent au lieu de s’en dĂ©faire ». Et pas seulement des sabreurs : depuis l’incroyable entreprise scientifique que fut l’expĂ©dition d’Égypte jusqu’aux derniĂšres heures aprĂšs Waterloo, il fut entourĂ© de savants comme Monge, ContĂ©, Laplace, Chaptal, LacĂ©pĂšde, Fourier.


Ce dernier joue un certain rĂŽle dans mon rĂ©cit. Imaginerait-on, aujourd’hui, un prĂ©fet capable d’inventer un outil mathĂ©matique, de travailler sur la thĂ©orie analytique de la chaleur, de formuler, le premier, l’hypothĂšse de l’effet de serre tout en recevant la belle sociĂ©tĂ© et en protĂ©geant le jeune gĂ©nie qui allait dĂ©chiffrer les hiĂ©roglyphes ?

Oublier volontairement NapolĂ©on, c’est oublier les Français durant 15 ans. Et mĂȘme, puisqu’on ne va pas non plus cĂ©lĂ©brer les rois qui le suivirent, on en vient Ă  se rĂ©veiller miraculeusement en 1848 (avec enfin l’abolition de l’esclavage) sans trop s’appesantir sur le destin qui conduit de nouveau la RĂ©publique et la France sous la coupe d’un Bonaparte. DĂ©cidĂ©ment, mieux vaut lire l’histoire dans Marx que sur X. En arrĂȘtant Ă  Brumaire (voire Ă  Thermidor) la marche de l’Histoire telle qu’on rĂȘverait (aujourd’hui) qu’elle ait Ă©tĂ©, on fait passer Ă  la trappe un demi-siĂšcle de la vie des Français et l’aventure de la plus Ă©tonnante gĂ©nĂ©ration de nos ancĂȘtres, ceux qui comme NapolĂ©on Bonaparte avaient 20 ans en 1789.

Quel sens donner à l’aventure que j’imagine ?

La dĂ©faite de 1814 et la Restauration avaient dĂ©barrassĂ© NapolĂ©on de pas mal d’illusions et de la plus grande partie de la vermine d’Ancien RĂ©gime qu’il avait eu le grand tort de croire ralliĂ©e. Je ne pense donc pas avoir cĂ©dĂ© Ă  une passion personnelle en supposant que, dans la nouvelle Ăšre que mon rĂ©cit permet, NapolĂ©on devait de nouveau s’appuyer sur les « bleus » contre la France « blanche » et la « Sainte-Alliance », sur des savants contre les notables, sur des jeunes ardents contre les fatiguĂ©s.

Talleyrand le lui avait (peut-ĂȘtre) dit : on peut tout faire avec des baĂŻonnettes, sauf s’asseoir dessus. PrivĂ© d’armements et donc de l’ultima ratio regum, il ne lui reste que ce que les plus intelligents de ses ennemis lui reconnaissent : sa prodigieuse capacitĂ© de calcul, son instinct stratĂ©gique, son coup d’Ɠil tactique mais aussi ce que ses vrais vainqueurs, le tsar et le pape lui ont appris : reculer, user la force de l’ennemi ou mĂȘme s’en servir, et souvent attendre. Pour me couler dans cela, j’ai aussi dĂ» affronter l’une des grandes questions qui agitent les bitcoineurs, la « temporalitĂ© ».

Bonaparte, tout au long de sa carriÚre, gÚre une « mass adoption »

Il déclare aprÚs Brumaire que « la Révolution est fixée aux principes qui l'ont commencée : elle est finie ». Ce mot, qui a tant plu et rassuré alors, lui est aujourd'hui reproché par les belles ùmes.

Quels qu’aient Ă©tĂ© ses choix ensuite, y compris la fĂącheuse dĂ©cision d’enlever les mots « RĂ©publique française » des monnaies 5 ans (quand mĂȘme) aprĂšs son sacre, il n’a jamais souhaitĂ© revenir sur la RĂ©volution. Il disait seulement, Ă  sa façon, en avoir clos ce que LĂ©nine aurait peut-ĂȘtre appelĂ© la maladie infantile : « J'ai refermĂ© le gouffre de l'anarchie et dĂ©brouillĂ© le chaos ». Quinze ans de consolidation, essentiellement juridique, des « immortels principes » grĂące aux fameux Codes et puis la France se retrouve, sans lui et sans son despotisme, en monarchie certes constitutionnelle mais Ă  forte tentation rĂ©actionnaire.


Encore faudrait-il mesurer la vitesse de percolation. Il y a une anecdote savoureuse, rapportĂ©e par un tĂ©moin occulaire (le trĂ©sorier Peyrusse) et collationnĂ©e par Thiers dont je colle ici l'extrait. C'est, lors du  vol de l'Aigle  (je n'ai donc Ă©videmment pas pu la reprendre dans mon rĂ©cit) la rencontre avec une gardienne de vaches, dans les Alpes, qui ne sait mĂȘme pas qu'Ă  Paris, le roi a, depuis dix mois, remplacĂ© l'Empereur, qui se tient devant elle dans sa masure... et en sort « tout pensif » !

La « mass adoption » des idées nouvelles semble avoir été bien lente, en mettant le T=0 à la nuit du 4 août.

Qu'en sera-t-il pour celle que l'on ferait courir du 1er novembre 2008 ? J’ai citĂ© l’an passĂ© Ă  Biarritz un texte de Aleksandar Svetski, fondateur du Bitcoin Times dans lequel il notait que les bitcoiners ont une tendance Ă  surestimer la vitesse avec laquelle Bitcoin va envahir le monde et devenir une monnaie largement acceptĂ©e. Notamment parce que, considĂ©rant celui-ci sous l'angle pratique et technologique, ils Ă©tablissent des comparaisons avec l'adoption de techniques disruptives antĂ©rieures. Il rappelait qu'avec Bitcoin, le jeu Ă©tait aussi politique et culturel : on joue ici avec les plus grands enjeux, pour les plus grands gains, contre les plus grands ennemis - Ă  la fois externes et internes; on se bat Ă  la fois contre l'establishment et contre les cultures dans lesquelles nous avons nous-mĂȘmes (encore pour bon nombre) Ă©tĂ© Ă©levĂ©s.

Telle est probablement la situation de la société française en 1815. On verra qu'avec malice, j'ai fait en sorte que la « non-action » accélÚre la marche de l'Idée.

Si la vie m'en laisse le temps et si je trouve des Ă©diteurs, mes prochaines publications ne concerneront toujours pas Bitcoin mais resteront virtuelles puisqu'il pourrait s'agir... de femmes qui, de toute leur vie, n'ont laissĂ© qu'une seule trace, ou d'un homme qui en a laissĂ© une, mais sans avoir jamais existĂ©. Et il ne sera plus question de l'Empereur, c'est promis ! Je resterai tel que j'ai tentĂ© de me dĂ©finir un jour : un  historien local, rĂȘveur et virtuel .

Le 87Ăšme Repas du Coin, Ă  Angers le 11 septembre 2024

September 14th 2024 at 16:33

Cela faisait longtemps qu’il Ă©tait envisagĂ© ce repas angevin, et ce fut un grand succĂšs, saluĂ© tant par les bitcoineurs « de l’étape » que par leurs visiteurs!

38 convives, dont un nombre respectable de parisiens consentant Ă  prendre le TGV, mais aussi des amis de Bordeaux, Lille, Rennes et Luxembourg, et bien sĂ»r un trĂšs gros contingent de Nantes et d’Angers. PrĂšs de deux tiers de convives participaient pour la premiĂšre fois Ă  notre Repas, et l’expĂ©rience a manifestement plu Ă  tous !

Confortablement installĂ©s chez Pont-Pont, face au chĂąteau du bon roi RenĂ© (qui, lui, n’était pas Ă  Angers ce jour-lĂ ) et servis par un jeune homme enthousiaste du Bitcoin (ce n’était pas prĂ©mĂ©ditĂ©) les convives, installĂ©s en terrasse dĂšs midi pour l’apĂ©ritif ont, pour les derniers, quittĂ© les lieux passĂ© quatre heures.

Parmi les sujets abordĂ©s, outre d’assez longs tours de table pour permettre Ă  chacun de se prĂ©senter et de prĂ©senter son parcours et sa rencontre avec Bitcoin :

  • l’impossibilitĂ© d’une vraie discussion en France sur les sujets de mining, en lumiĂšre de l’expĂ©rience concrĂšte du parc du Virunga
  • l’avancĂ©e du Bitcoin au Salvador (oĂč l’un des convives entend s’installer)
  • la privacy et les covenants, ces mĂ©canisme qui imposent des conditions spĂ©cifiques sur le scriptPubKey pour verrouiller un UTXO dans la transaction suivante
  • les besoins d’accompagnement des nouvelles associations Bitcoin, notamment sur la gestion de leur trĂ©sorerie en bitcoin
  • le Bitcoin Economic Forum et Surfin Bitcoin
  • la dĂ©rive alt right  perceptible chez certains cryptos et qui est loin de faire l’unanimitĂ©
  • les perspectives liĂ©es aux Ă©lections amĂ©ricaines, et les espoirs plus ou moins lĂ©gitimes au regard de la situation faite Ă  Bitcoin dans ce pays, mais Ă©galement des consĂ©quences sur la valeur du jeton
  • la rĂšglementation et la rĂ©gulation, que ce soit sur les cryptos ou l’IA
  • le bitcoin  en tant que monnaie frugale mais aussi l’argent, le jeu, les casinos
  • les brokers/exchanges « à la française » et le cartel bancaire
  • l’actualitĂ© politique française, navrante, n’a pas Ă©tĂ© citĂ©e comme une forme particuliĂšrement rĂ©ussie de gouvernance.

Certains des convives se sont retrouvĂ©s le soir dans le cadre de la confĂ©rence organisĂ©e par Emmanuel Harrault avec la Jeune Chambre de Commerce dans le cadre de l’UniversitĂ© Catholique de l’Ouest.

Cet article Le 87Ăšme Repas du Coin, Ă  Angers le 11 septembre 2024 est issue du site Le Coin Coin.

Le 86 Ăšme Repas du Coin Ă  Granville le 17 juillet 2024

July 21st 2024 at 23:17

TroisiĂšme repas « normand » aprĂšs ceux de Bayeux en 2022 et de Caen au printemps, au sommet de la Ville Haute de Granville, jadis vraie place forte Ă  l’architecture militaire typique de la fin de l’Ancien RĂ©gime. Ce qui donne une leçon : comme les systĂšmes informatiques de sĂ©curitĂ©, les systĂšmes de dĂ©fense doivent eux-mĂȘmes pouvoir se protĂ©ger.

Comme il arrive souvent (mĂȘme hors vacances) plusieurs convives campaient au cafĂ© le plus proche avant le dĂ©but du repas.

Dix-sept convives Ă  la ContreMarche, dont de courageux parisiens ayant pris le train, des amis de Caen, Rouen, Saint-LĂŽ ou Arromanches et Ă©videmment un « inclassable », RĂ©mi, le capitaine du Satoboat Ă  qui l’on a par la mĂȘme occasion souhaitĂ© un heureux anniversaire tout en rappelant les rĂšgles du Repas.

Parmi les sujets abordés:

  • Le sempiternel rĂ©cit des dĂ©couvertes de Bitcoin par les uns ou les autres, avec quelques aveux troublants et comiques
  • Le rĂ©cit par capitaine du Satoboat de ce qui a dĂ©cidĂ© de son aventure : un pari anodin ! Il a exposĂ© ensuite ses projets de professionnalisation de ses talents de navigateur. Il va faire un airbnb dans son prochain catamaran et vendra des sĂ©jour touristiques aux riches bitcoiners.
  • On a parlĂ© des aventure entrepreneuriales de Nicolas Cantu qui depuis 3 Ă  4 ans capture le mĂ©thane des paysans pour crĂ©er une Ă©nergie servant ensuit Ă  miner du bitcoin. ParallĂšlement, il a Ă©tendu ses propositions de services et rachĂšte les dĂ©jections de leurs animaux qu’ils traitent puis mĂ©lange avec du leur sable dont voulaient se dĂ©barrasser les mĂȘme paysans. Lui l’utilise l’ensemble pour crĂ©er des isolants naturel. Pas cher. Inerte. Inodore. Encore un bitcoineur qui ne ressemble pas aux Ă©cocides complaisamment dĂ©crits par certains !
  • On a beaucoup parlé des premiers minages des uns et des autres il y a 10 ans parfois: quand on minait du Litecoin Ă  la carte graphique pour acheter du Bitcoin
  • On a Ă©voquĂ© l’indĂ©cidable question de savoir si la divisibilitĂ© trĂšs grande du Bitcoin rĂ©solvait ou pas les problĂšmes (d’ailleurs pas faciles Ă  lister) que crĂ©e (ou crĂ©erait) son montant fini : aucun consensus n’a pu s’établir
  • On a Ă©voquĂ© les durs combats des cryptogirls
  • On a parlĂ© de dĂ©terminisme social et physique, de mĂ©rite et de libertĂ©.
  • On a admirĂ© les reliures de Bernard Pottier, qui a montrĂ© quelques crĂ©ations, dont des « AcĂ©phales » et aussi un Ă©tonnant Ă©phĂ©mĂ©ride taillĂ© pour servir un siĂšcle!

Le repas achevĂ©, plusieurs convives ont suivi RĂ©mi jusqu’à son ponton pour le regarder hisser le drapeau orange !

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Le 85 Ăšme Repas du Coin , Ă  Paris le 12 juin 2024

June 15th 2024 at 15:45

Retour au Zango et Ă  ses saveurs exotiques pour ce diner faisant suite Ă  une rĂ©union de travail de quelques membres courageux du Cercle du Coin en fin d’aprĂšs-midi.

En dĂ©but de soirĂ©e ce sont 43 convives venus de loin (Barcelone, Oslo) mais aussi de Luxembourg et Bruxelles, de Toulouse, Bordeaux, Lyon, Lille, Beauvais ou Auxerre, sans compter ceux qui n’avaient eu qu’une centaine de pas Ă  faire depuis leurs bistrots prĂ©fĂ©rĂ©s qui se sont retrouvĂ©s, malgrĂ© la tenue le mĂȘme jour de la soirĂ©e d’anniversaire de la vieille Maison du Bitcoin de la rue du Caire.

Jacques Favier, en rappelant, notamment pour la quinzaine de convives qui participaient pour la premiĂšre fois Ă  cet Ă©vĂ©nement, les rĂšgles anciennes qui le rĂ©gissent, a mis en garde contre l’importation dans la communautĂ© crypto « de fĂącheux clivages et de lamentables aigreurs » que les passions qui fleurissent en pĂ©riode de guerres ou d’élections pourraient susciter.

Poisson Yassa et riz jollof, bƓuf larmes du tigre et autre spĂ©cialitĂ©s de la « cuisine du voyage » de l’établissement ont participĂ© Ă  cette convivialitĂ© qui fait le sel de ces rencontres.

Parmi les thÚmes abordés aux 7 tables :

  •  les diffĂ©rents exchanges et le trou laissĂ© par FTX, suivi par une rĂ©gulation qui empĂȘche de pouvoir avoir accĂšs Ă  certaines fonctionnalitĂ©s,
  • la diffĂ©rence entre un broker et un exchange (pas claire pour certains convives) mais abordĂ©s Ă  plusieurs tables du fait de la prĂ©sence parmi les convives de nombreux professionnels  membres de Paymium, d’Aplo, de Delubac, d’équipes de gestionnaires de gestion de fortune,
  • l’évolution du protocole Bitcoin (gouvernance avec les BIP), sa rĂ©silience et sa rĂ©sistance Ă  la  censure,
  • Le schisme qui se profile Ă  l’horizon entre les BTC tout propres sous l’angle du KYC (coinbase, ETFs, etc) et les vilains,
  • la rĂ©gulation, la conformitĂ© et MICA avec l’idĂ©e exprimĂ©e par un professionnel que ça verrouille le marchĂ© et que cela forcera les petits Ă  plier boutique,
  • les coĂ»ts consĂ©quents de tels obligations et la situation au niveau europĂ©en, amenant ces fameux petits Ă  se vendre Ă  des gros venu d’ailleurs,
  • la DeFi et  les NFT (discussion autour d’un projet pour rendre persistant un NFT sur le long terme avec les ordinals),
  • Phoenix, et la sĂ©curitĂ© de son nƓud, sa disparition des app Store US qui a fait beaucoup rĂ©agir et attend un Ă©claircissement pour revenir,
  • le Salvador, sa politique et l’usage de Lightning avec Blink, ou les ATM Chivo avec 0% de change,
  • les affaires Roman Sterlingov (bitcoin fog) et Keonne Rodriguez,
  • le made in France et le repositionnement de Paymium sur le B2B,
  • la place des femmes dans la Crypto (la prĂ©sence fĂ©minine se renforçant sensiblement au fil des repas),
  • les tiers-lieux et le financement de projets alternatifs,
  • la passion crypto qui permet d’ĂȘtre libre et, pour certain, de vivre sa vanlife !

Les sujets politiques ont bien Ă©tĂ© abordĂ©s, mais sans provoquer d’animositĂ© : les bitcoineurs français qui connaissent eux-mĂȘmes  des saisons assez mouvementĂ©es dans l’écosystĂšme ne peuvent s’empĂȘcher de chercher Ă  savoir s’ils n’ont pas pas glissĂ© dans une faille spatio-temporelle tellement la spectacle politique actuel est affligeant. L’ironie des amis belges prĂ©sents Ă©tait prise avec le sourire !

PassĂ© minuit, nombre de convives ont Ă©tĂ© happĂ©s par la nuit du quartier, et les Pisco Sours du Sof’s Bar, toujours QG du Cercle !

Cet article Le 85 Ăšme Repas du Coin , Ă  Paris le 12 juin 2024 est issue du site Le Coin Coin.

Le 84Ăšme Repas du Coin, Ă  Luxembourg le 15 mai 2024

May 17th 2024 at 19:01

Retour Ă  Luxembourg longtemps diffĂ©rĂ©, souvent rĂ©clamĂ© par les amis bitcoineurs (nombreux) du Grand-DuchĂ©. Craignant soudain de n’offrir Ă  cette belle journĂ©e qu’une piĂštre mĂ©tĂ©o, l’une de celle-ci nous avait envoyĂ© la vue ensoleillĂ©e qui sert de bandeau Ă  ce compte-rendu. Mais il n’était pas  assurĂ©, s’excusait-elle par avance, que la terrasse puisse servir


Certes nul n’a pu bronzer, mais les cryptos en ont vu d’autres et tout s’est fort bien passĂ©, le soleil rĂ©gnant dans les assiettes du restaurant italien (de quoi ajouter une touche de cosmopolitisme typique du pays) au nom et Ă  l’adresse prĂ©destinĂ©s (21 avenue de la LibertĂ©).

Une bonne vingtaine de locaux, pour 36 convives en tout rĂ©unissant comme cela n’était pas arrivĂ© depuis un certain temps Ă  la fois des Français (venus de Metz, Nancy, Paris et Bordeaux) mais aussi des Belges et un membre fondateur du Cercle, venu de NeuchĂątel.

Beau mĂ©lange aussi de bitcoineurs pour certains historiques, de vieux acteurs de l’écosystĂšme, de traders, de juristes et de nouveaux enthousiastes (avec toujours un peu de web3 comme des Ă©toiles dans les yeux)

AprĂšs le mot d’accueil par Adrian Sauzade, et de longs tours de table oĂč chacun se prĂ©sente, les conversations ont roulĂ© sur les sujets les plus divers, quelques uns conservant d’ailleurs un Ɠil sur le cours qui a saluĂ© l’évĂ©nement par une jolie reprise :

  • la traçabilitĂ©, le mixage et les enjeux juridiques actuels, y compris aux États-Unis ou aux Pays-Bas ;
  • les dĂ©rives de la lutte contre le blanchiment et boulimie rĂ©glementaire en matiĂšre de KYC à l’aune du grignotage des libertĂ©s fondamentales que ça reprĂ©sente (autour d’une initiative d’Alexandre Stachtchenko) et notamment le rĂŽle de l’État et le curseur de son intervention aux diffĂ©rents Ă©tages d’expression de la puissance publiquue
  • l’intĂ©rĂȘt pour la dĂ©centralisation monĂ©taire et financiĂšre en corollaire de la dĂ©centralisation politique, idĂ©alement garante d’une meilleure cohĂ©sion sociĂ©tale et d’une meilleure efficience du processus de dĂ©cision au plus prĂšs des populations
  • les opportunitĂ©s de l’IA dans les activitĂ©s cryptos ; et notamment celles qu’ouvrira la description automatisĂ©e d’objets les plus divers ;
  • les blocages divers auxquels rĂȘvent les autoritĂ©s (comme celui du Tik-Tok)
  • l’intĂ©gritĂ© numĂ©rique et sa rĂ©ception de plus en plus favorable par les opinions, notamment en Suisse, autour d’une initiative d’Alexis Roussel)
  • les intentions rĂ©vĂ©lĂ©es par quelques programmes politiques (notamment du cĂŽtĂ© du Parti socialiste ou « Defi » – ça ne s’invente pas – en Belgique) et l’intĂ©rĂȘt que suscite le Parti Pirate du fait de plusieurs prises de positions rĂ©centes.
  • les combats d’un cĂ©lĂšbre ange exterminateur contre les scammeurs


Le repas s’est achevĂ© par une placement de produit imprĂ©vu mais bien agrĂ©able par Philippe Martin et AnrĂ© Stilmant. BrassĂ©e avec soins dans la Silicon la ₿ouliche est une biĂšre blonde, lĂ©gĂšre et rafraĂźchissante, avec des notes subtiles de houblon et de malt qui vise Ă  incarner l’esprit du bitcoineur : audacieuse, innovante et Ă  la fois authentique !

Tous les convives se sont retrouvĂ©s le soir, avec plusieurs dizaines de Luxembourgeois (travailleurs remarquables donc trop occupĂ©s Ă  midi) lors du meet-up organisĂ© par Yves-Laurent Kayan (Asymkey) sur la Place d’Armes.

Un dernier mot : qui a dit que les cryptos étaient paranos ? 

 

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Le 83Ăšme Repas du Coin, Ă  Caen le 10 avril 1924

April 14th 2024 at 16:08

Deux repas presque coup sur coup, pour répondre à la demande et non pour organiser un contre-événement à la PBW !

Dix neuf convives (une seule dĂ©fection) Ă  la Taverne, dĂ©jĂ  connue des services de police comme QG de la bitcoinie caennaise, mais avec un bon lot de gens venus de toute la Normandie (Saint-LĂŽ, Bayeux, Rouen et Paris) et mĂȘme de rennais ayant rĂ©ussi Ă  franchir la frontiĂšre.

Les conversations ont porté sur des sujets  de trois types :

  • bitcoin :  dĂ©couverte par chacun de Bitcoin (deux convives prĂ©sents dans l’embryon de communautĂ© en 2011, avec quelques dĂ©boires savoureux et non publiables), tentative de dĂ©finition du « maximalisme »,  opportunité offerte par le  LN pour les commerces de dĂ©tail, histoire des BIP, politique actuelle et Ă  venir du Cercle du Coin et importance d’y adhĂ©rer pour une dĂ©marche juridiquement ciblĂ©e en cours de dĂ©finition.
  • blockchains et technologies diverses : tentatives de minimisation des traces carbone, token de crĂ©dit carbone, histoire des forks, notamment « le » fork historique de ethereum.
  • science et politique : enjeux et risques autour de l’iris de l’Ɠil comme signature ou comme actif tokenisĂ©, utilisation de la puissance des moteurs de bateau pour le minage de bitcoin, lĂ©gislation, impact de Mica, nĂ©cessite pour l’IA de disposer de donnĂ©es (un sujet qui peut faire froncer les sourcils chez les bitcoineurs).

La salle offrait aussi une belle exposition sur le thÚme « Nos logos »,

 

SĂ©ance de signature avant de reprendre le train :

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146 - Cocagne : plus on y dort plus on y gagne

April 15th 2024 at 18:00

J'avais annoncĂ© ce billet en conclusion de celui qui traitait de la propriĂ©tĂ© et de la souverainetĂ©, de certaines illusions politiques nĂ©es d'une soudaine prospĂ©ritĂ©, de fantasmes oĂč la mĂ©moire fĂ©odale offre Ă  une classique revendication libertarienne le motif kitsch d'un fief ou d'un royaume .

Tout autre est le Pays de Cocagne, que nous croyons tous connaĂźtre et dans lequel s'emmĂȘlent, dans une innocence un peu enfantine, paresse et gourmandise rĂȘvĂ©es avec la semaine des quatre jeudis ou le Palais de Dame Tartine.

En nous penchant sur ce mythe d'abondance cher Ă  nos ancĂȘtres, je crois que nous pouvons apprendre Ă  mettre en questions notre propre activitĂ© pour donner forme mythologique Ă  nos formes modernes de prospĂ©ritĂ© ou d'abondance.

Il est vraiment amusant de remarquer que le Brueghel qui peignit en 1567 le pays de Cocagne qui sert d'illustration de couverture au livre dont je vais parler est le grand-pĂšre de celui qui illustra la tulipmania aprĂšs la crise de 1637.

Cocagne, histoire d'un pays imaginaire de HilĂĄrio Franco JĂșnior, n'est pas un livre particuliĂšrement rĂ©cent. PubliĂ© au BrĂ©sil dix ans avant le white paper de Satoshi, il a Ă©tĂ© traduit du portugais au moment oĂč je passais devant Bitcoin sans le voir. Pourquoi en traiter aujourd'hui ?

La préface du médiéviste Jacques Le Goff (1924-2014) donne quelques raisons :

  • « le thĂšme de la Cocagne (
) est nĂ© Ă  l’époque du grand dĂ©veloppement de la sociĂ©tĂ© mĂ©diĂ©vale, du milieu du XIIe au milieu du XIIIe siĂšcle, au moment oĂč les rĂ©ussites matĂ©rielles, sociales, politiques et culturelles aiguisĂšrent les appĂ©tits ».
  • « Contrairement au mythe antique de l’ñge d’or, rĂ©apparu au XIIIe siĂšcle, la Cocagne n’est pas une utopie tournĂ©e vers le passĂ©, c’est une utopie qui se libĂšre de cette prison des sociĂ©tĂ©s et des individus qu’est le temps sous sa forme de calendrier ».
  • « En ce siĂšcle oĂč l’on met de plus en plus le droit par Ă©crit, lequel pĂšse toujours plus sur la sociĂ©tĂ© (droit romain renaissant, droit canonique en pleine expansion, droit coutumier mis par Ă©crit), la Cocagne (...) est trĂšs certainement une unomie, un pays sans loi, mais cette caractĂ©ristique est contenue dans la notion d’utopie, c’est-Ă -dire un pays non seulement sans code, sans rĂ©pression, mais aussi sans violence et sans dĂ©sordre. Ne faut-il pas voir dans cela la libre floraison de lois naturelles ? »

Partons donc explorer l'imaginaire d'ancĂȘtres si anciens, si peu boomers que nul ne leur imputera aucune de nos actuelles misĂšres.

Certes, ce n'est pas chose aisĂ©e du fait de l'ignorance oĂč nous nous trouvons (sauf quelques mĂ©diĂ©vistes) des rĂ©alitĂ©s de ce temps. « Du cĂŽtĂ© de la sociĂ©tĂ© imaginaire » rappelle HilĂĄrio Franco JĂșnior « se cache frĂ©quemment la forte prĂ©sence d’une sociĂ©tĂ© concrĂšte Ă  travers l’exagĂ©ration ou l’inversion de ses valeurs, la nĂ©gation de ses peurs ou encore la projection de ses dĂ©sirs ».

Cette mise en perspective de ce que l'on vit et de la façon dont on croit y Ă©chapper vaut aussi pour nous, si nous sommes capables d'un regard un tant soit peu rĂ©flexif : « L’imaginaire dĂ©passe les imaginations. On n’imagine pas ce que l’on veut, mais ce qu’il est possible d’imaginer (
) le Moyen Âge a frĂ©quemment imaginĂ© des anges, des fantĂŽmes et des dragons, non des martiens, des ĂȘtres mutants ou des monstres fabriquĂ©s par l’homme ».

La dĂ©finition mĂ©rite d'abord attention : « rĂ©sultat de l’entrecroisement du rythme trĂšs lent de la mentalitĂ© et de celui plus souple de la culture, l’imaginaire Ă©tablit des ponts entre les diffĂ©rentes temporalitĂ©s ».

La terminologie proposĂ©e est Ă©galement prĂ©cieuse : « La modalitĂ© d’imaginaire qui cible son attention sur un passĂ© indĂ©fini pour expliquer le prĂ©sent est un mythe. Celle qui projette sur l’avenir les expĂ©riences historiques – concrĂštes et idĂ©alisĂ©es, passĂ©es et prĂ©sentes – d’un groupe est l’idĂ©ologie. Celle qui part du prĂ©sent pour tenter d’anticiper ou de prĂ©parer un futur qui rĂ©cupĂšre un passĂ© idĂ©alisĂ© est l’utopie. Naturellement les frontiĂšres entre ces trois modalitĂ©s d’imaginaires sont mouvantes ».

D’aprĂšs Lewis Mumford (The story of utopias, 1922) la RĂ©publique de Platon serait ainsi une utopie de reconstruction, alors que Cocagne serait une utopie d’évasion.

Les premiĂšres se fondent sur le principe de rĂ©alitĂ© tel que dĂ©fini par Freud : on y valorise l’ordre et la rĂ©glementation nĂ©cessaires au maintien de la civilisation, l’homme prĂ©fĂ©rant la sĂ©curitĂ© au bonheur. Dans les secondes, au contraire, prĂ©vaut le principe de plaisir et la quĂȘte de satisfactions plus instinctives.

Le mythe comme l’utopie sont, selon HilĂĄrio Franco JĂșnior, des produits du prĂ©sent, lequel nĂ©cessite toujours de bĂątir des ponts entre le passĂ© et le futur, pour se penser et se projeter. En ce sens « l’utopie est un mythe projetĂ© dans le futur ». Si tout discours mythique n’est pas une utopie, tout discours utopique repose sur un fonds mythique, bien que, du point de vue de ses dĂ©fenseurs, il ait un potentiel de concrĂ©tisation qui le diffĂ©rencieraient du mythe.

L’important est dĂšs lors de mettre en avant l’idĂ©e de projet qui est Ă  l’Ɠuvre dans une utopie.

Selon Raymond Ruyer (l’Utopie et les utopies, 1950) la pensĂ©e mythique rĂ©alise, dans le champ imaginaire, une dissolution des structures sociales grĂące au trait ludique typique de toute utopie. C'est moi qui souligne ludique car j'y retrouve ma conviction que Bitcoin n'est pas une monnaie de casino mais qu'il intĂšgre (entre bien d'autres choses !) une irrĂ©ductible part de jeu, conviction maintes fois exprimĂ©es, dĂšs 2014 dans Monnaie pour rire, pour jouer ou pour changer ? ou en 2020, quand j'Ă©crivais que Bitcoin est Ă  la fois argent du jeu et jeu de l'argent.

Venons-en au texte spécifiquement étudié par l'universitaire brésilien. Il en existe peu de manuscrits : trois en tout, dont le plus complet, en français et datant du dernier tiers du 13Úme siÚcle, est conservé à la BnF :

Ce texte de 188 vers est tellement foisonnant, et le temps de mes lecteurs si chichement comptĂ©, que je vais ici me concentrer sur ce qui est proprement monĂ©taire. Ainsi, au vers 108 : lĂ  personne n’achĂšte ni ne vend (Nus n’i achate ne ne vent). En fait, lĂ  oĂč un idĂ©al de vie comme celui de l’auteur des Proverbes bibliques Ă©tait de vieillir en travaillant, celui du poĂšte mĂ©diĂ©val de se maintenir jeune dans l’oisivetĂ©.

Selon HilĂĄrio Franco JĂșnior, une double abondance, alimentaire et vestimentaire, rend complĂštement caduque la profusion de monnaie. Le Fabliau de Cocagne imagine une terre oĂč l’offre serait bien supĂ©rieure Ă  la demande, et cela malgrĂ© la consommation effrĂ©nĂ©e de ses habitants. Scenario peu crĂ©dible sauf sur quelque Ăźle paradisiaque, mais qui exprime les critiques de certaines couches sociales du temps Ă  l’égard du productivisme corporatif et de la croissante monĂ©tarisation de l’économie occidentale.

Ce qui relĂšve l’abondance de la Cocagne, c’est le fait qu’elle ne dĂ©pende pas du travail humain : l’oisivetĂ© y est mĂȘme la seule activitĂ© rĂ©munĂ©rĂ©e :  plus on y dort, plus on y gagne  dit crĂąnement le vers 28 (qui plus i dort, plus i gaaigne). Leur refus du travail transparaĂźt clairement dans la relation que les habitants du pays bĂ©ni entretiennent avec l’argent.

Au pays de Cocagne, les monnaies ne sont pas qu’abandonnĂ©es, elles sont mortes, dĂ©finitivement superflues, nettement futiles.  Des bourses pleines de deniers gisent le long des champs . Au contraire de ce que dĂ©fendait l’économie monĂ©taire revigorĂ©e de l’époque, elles ne se reproduisent pas, elles ne sont pas des semences. Elles restent Ă©parpillĂ©es, complĂštement stĂ©riles, sur les champs trop fĂ©conds. Tandis que l’économie occidentale au Moyen-Âge avait de plus en plus recours Ă  la monnaie, celle de la Cocagne demeure naturelle et autosuffisante. La Cocagne est ce que les anthropologies dĂ©finissent comme une culture de l’excĂšs.

Et les précieux gneu gneus aristotéliques dans tout cela ?

Des trois fonctions classiquement attribuĂ©es Ă  l’argent, aucune n’est valable en Cocagne. Ce qui prĂȘte Ă  rĂ©flĂ©chir.

  • La premiĂšre (d'ĂȘtre un instrument de mesure de la valeur des biens et services proposĂ©s) n’y est pas applicable parce que les biens et services sont si nombreux qu’ils n’ont aucune valeur marchande, n’importe qui pouvant en jouir Ă  n’importe quel moment. Question : n'est-ce pas ce que l'on a si longtemps et jusqu'ici en vain attendu du progrĂšs ?
  • La deuxiĂšme fonction (d'ĂȘtre un instrument d’échange qui bĂ©nĂ©ficie du consentement gĂ©nĂ©ral) n’a pas davantage de sens Ă  Cocagne oĂč tous les habitants sont propriĂ©taires des richesses locales et oĂč  chacun prend tout ce que son cƓur souhaite , sorte de rĂȘve Ă  la fois collectiviste et consumĂ©riste bien Ă©loignĂ© de la sobriĂ©tĂ© heureuse aujourd'hui tant vantĂ©e (gĂ©nĂ©ralement pour les autres).
  • La troisiĂšme enfin (d'ĂȘtre une rĂ©serve de valeur) n’a pas d’utilitĂ© : comme les habitants savent que leurs pays sera toujours riche, ils ne se sentent pas encouragĂ©s Ă  accumuler ou Ă  Ă©pargner. Si l’argent reste par terre, si personne n’en veut, c'est que le futur n'effraye pas. On n'y est pas., ou tout du moins cette frousse du futur est un Ă©lĂ©ment marquant (ou clivant) de notre temps.

La trilogie labor-dolor-sudor, propre Ă  l’idĂ©ologie fĂ©odale, est remplacĂ©e dans le fabliau par abondance-jeunesse-oisivetĂ©.

Parce que le travail implique une hiĂ©rarchie sociale, la soumission Ă  des personnes et Ă  des rĂšgles, l’inexistence du travail signifie libertĂ©. Par consĂ©quent le non-travail explique et articule d’une certaine maniĂšre la plupart des caractĂ©ristiques de cette terre, bĂ©nie par Dieu et tous ses saints plus que n’importe quelle autre, mĂȘme si clairement, tout obtenir sans travail est le trait le plus antichrĂ©tien de la Cocagne pour un homme de jadis, comme il serait aussi le plus choquant pour les dirigeants de notre pays, avec leurs obsessions comptables et leurs hymnes abrutissants Ă  la valeur travail.

Je ne dis pas que Cocagne soit forcément un exemple à proposer au bitcoineur. Mais, modÚle médiéval pour modÚle médiéval, utopie anachronique pour utopie irréaliste, il vaut bien le fantasme féodal.

Reste un point troublant dans ce beau livre : on n'y parle fort peu de politique, ni dans les termes du passé, ni dans les nÎtres. Tout au plus certaines gloutonneries y paraissent-elles parodier la curie papale. Plus que des révolutionnaires, les habitants de Cocagne sont en réalité des anarchistes radicaux. Ils ne sont pas sujets, fût-ce d'une principauté privée établie par quelque baleine crypto ; ils ne sont pas concitoyens et le mince succÚs des votes sur la blockchain me semblent à cet égard significatifs.

Les bitcoineurs sont convives (avec un goĂ»t prononcĂ© pour la viande!) et amis. Aristote (toujours lui!) le disait bien avant l'auteur anonyme et sans doute picard : si les hommes avaient les uns pour les autres de l'amitiĂ© (φÎčλία / philĂ­a) il n'y aurait nul besoin de politique. C'est dĂ©cidĂ©ment, pour moi, Bruegel l'Ancien qui les peint le mieux.

Pour aller plus loin, on pourra relire :

145 - Influenceurs

April 8th 2024 at 11:00

J'ai suivi avec intĂ©rĂȘt l'Ă©mission d'Élise Lucet consacrĂ©e aux influenceurs.

Disons tout de suite deux choses :

  1. qu'elle mĂ©rite d'ĂȘtre regardĂ©e jusqu'Ă  son terme (peut-ĂȘtre moins clinquant et moins people que les accroches initiales mais plus intĂ©ressant et plus nuancĂ©) ne serait-ce que pour Ă©viter de juger abruptement un travail de deux heures et 45 minutes en butant sur tel ou tel dĂ©tail dans les 5 premiĂšres minutes ou sur le logo Bitcoin
  2. que Bitcoin, justement, n'est cité ici que de maniÚre anecdotique : un logo qui apparait subrepticement à 16:54, le mot crypto-monnaie à 18 :55 et à 43:25, le trader Laurent Billionnaire qui à 25 ans à peine investit sur le marché de la cryptomonnaie « de trÚs grosses sommes ce qui lui permet de trÚs gros gains »...

Autant donc avouer tout de suite que l'Ă©mission ne se focalise pas sur Bitcoin. En un sens, c'est fort bien : cela devrait permettre Ă  tous de rĂ©flĂ©chir sereinement, car chacun de mes lecteurs serait trĂšs Ă  mĂȘme d'appliquer Ă  notre monde crypto, avec ses spĂ©cificitĂ©s rĂ©elles, espĂ©rĂ©es ou fantasmĂ©es, ce qui est dit ici du monde qui se prĂ©tend sĂ©rieux, rĂ©gulĂ©, lĂ©gitime.

La version intégrale est ici

La premiĂšre chose qui parait Ă©vidente, c'est un problĂšme de langage. Certains intervenants en viennent (non sans se tortiller sur leurs chaises) Ă  cette conclusion. Ils constatent qu'ils sont inaudibles. Ils n'iront pas plus loin, de peur (je tremble moi-mĂȘme) d'ĂȘtre accusĂ©s de mĂ©pris de classe : mais les jeunes gens montrĂ©s dans l'Ă©mission, les voleurs comme les volĂ©s, parlent une autre langue que les politiques, les rĂ©gulateurs, les journalistes, les sociologues et les banquiers.

Une autre langue non seulement dans ses codes (« on est clairement dans une relation de confiance, elle nous tutoie c’est ma chĂ©rie c’est des surnoms, elle te conseille
 ») ses mĂ©taphores ou ses trouvailles argotiques. J'avais dĂ©jĂ  abordĂ© cela lors d'un prĂ©cĂ©dent billet consĂ©cutif Ă  l'affaire Nabila, reprenant dans un film admirable le clivage entre ceux qui disent  pour ainsi dire  et ceux qui disent  genre .

C'est une autre langue parce qu'elle est mise en Ɠuvre pour tenir un autre discours :  Aller travailler, c’est une douille  disent ces jeunes gens, lĂ  oĂč toute la classe politique – ceux qui dĂ©noncent au passage la pĂ©nibilitĂ© du travail comme ceux qui font mine de l'ignorer ou pire encore qui l'ignorent vraiment – se croit obligĂ©e d'insĂ©rer le petit couplet sur la  valeur travail dans leur chanson.

Il serait facile de moquer les tentations brandies par les influenceurs, si elles n'Ă©taient pas rigoureusement les mĂȘmes que celles des Lotos dans tous les pays du monde, avec la mĂȘme Ă©quivoque, une disharmonie entre ce que l'on montre (les liasses jetĂ©es en l'air, purple money, jets, lambos) et les plaisirs finalement raisonnables que l'on Ă©nonce :  tout ce que vous allez maintenant pouvoir faire : nouvelle voiture, un voyage pour vos parents... . Un tradeur avoue que l'influenceur Tom se montre lui-mĂȘme en vidĂ©o plus riche qu’il n’est rĂ©ellement. En rĂ©alitĂ©, pas un joueur sur 10.000 (au Forex comme au Loto) n'a une idĂ©e prĂ©cise de ce qu'il ferait de 100 millions, mĂȘme si tous le croient. Cet Ă©cart, entre la reprĂ©sentation du plaisir et ce qui peut humainement ĂȘtre assumĂ© n'est pas sans rapport avec la pornographie.

Car quand on enlĂšve les paillettes et les jingles, les promesses se rĂ©sument concrĂštement Ă  des choses assez modestes : souvent des 1500 Ă  3000 euros par mois. Une somme de cet ordre, cela s’appelait un salaire, il y a peu de temps encore et avec cela nul ne demandait de magie en prime.

Il y a un Ă©change fort amusant :

  • Élise Lucet « J’essaie de comprendre ce que vous voulez dire »
  • « Je m’adresse Ă  des gens qui cherchent l’indĂ©pendance financiĂšre et l’indĂ©pendance financiĂšre ils l’obtiendront pas en travaillant » .

En grattant à peine, on découvre partout un syndrome évident, palpable : l'insatisfaction voire la frustration (titre d'une revue qui s'attache à déconstruire le discours politico-médiatique de la bourgeoisie néo-libérale) devant ce qui est réellement offert à nos contemporains : travailler plus pour gagner des douilles. Oui c'est aussi, dans un argot vieilli, un mot désignant la monnaie.

 Avouez, vous y avez dĂ©jĂ  pensĂ©, l’inflation, cela fait presque deux ans qu’elle ne s’arrĂȘte plus : tout plaquer, fuir la banalitĂ© du quotidien, derriĂšre vous les soucis, tout lĂącher pour une autre vie, putain cette vie elle mĂ©rite d’ĂȘtre vĂ©cue pleinement . Il n'est pas risquĂ©, puisqu'on parle de paris, de parier que 99 Français sur 100 se reconnaĂźtront plus aisĂ©ment dans ces propos que dans les niaises romances du gouvernement qui nous dit (voir ici cet incroyable discours) que  quand tu vas sur une ligne de production, c'est pour ton pays, c'est pour la magie . Les victimes des influenceurs ne veulent pas vraiment vivre comme des Tuche toujours gauches quoique enrichis ; mais elles ne veulent vraiment plus retourner le lundi Ă  leur ligne de production ou Ă  leur banc de galĂ©rien.

L'influenceur sait tout cela. Il est plus malin que ses victimes mais n'en est pas gĂ©nĂ©tiquement diffĂ©rent. Ce qu'il y a en lui de diabolique c'est qu'au milieu des mensonges classiques depuis ceux du Jardin d'Eden ( Vous serez comme des dieux ) il dit aussi la vĂ©ritĂ© : « perdre 30.000 euros dans du copitrading, oui c’est un idiot » et on pourra sourire de voir Élise Lucet s'en offusquer, puisqu'elle pense forcĂ©ment de mĂȘme. M. Blatat livre mĂȘme exactement le fond de ma pensĂ©e « pourquoi il les a pas mis en apport dans un appartement ? ».

Les influenceurs sont peut-ĂȘtre Ă  DubaĂŻ, mais, malgrĂ© les nombreuses images de voyages mises en scĂšne dans le reportage, ils ne sont pas sur une autre planĂšte.

Je n'ai jamais posĂ© ma semelle Ă  DubaĂŻ pour la crypto, mais j'ai visitĂ© KuwaĂŻt avec l'Ă©tat-major de Paribas aprĂšs la privatisation de 1987, donc aprĂšs le krach de la mĂȘme annĂ©e et les bons services rendus par cette poche profonde pour soutenir le cours autant que faire se pouvait et Ă©viter le dĂ©sastre de l'actionnariat populaire voulu par M. Balladur et vantĂ© par des influenceuses socialement plus acceptables que Nabila, comme Catherine Deneuve au profit de Suez.

L'ombre protectrice des derricks (et des mosquées) sur les banques ne date pas d'hier (lisez cet intéressant historique de mon ancienne maison) et n'a fait que s'étendre. Dubaï et les autres citadelles du désert ne sont pas sorties du sable en se dressant contre notre monde bien régulé ; elles ont été édifiées pour lui.

Alors, on nous expliquera sans doute que Dubaï n'est pas Abou Dhabi, ni Doha, ni Riyad, ni Malte. Chacun choisit son émirat ou son ßle en fonction de son business. Entendons-nous bien : il ne s'agit pas de faire du relativisme moral ou de renvoyer dos-à-dos les deux mondes. Il s'agit plutÎt de les montrer sinon comme en tous points similaires du moins comme largement complémentaires et parfois quelque peu siamois.

La plupart des victimes que montre l'Ă©mission d'Élise Lucet sont françaises. Je lui aurais bien suggĂ©rĂ© de demander (Ă  l'AMF, par exemple) ce que font les banques qui brident les virements vers des plateformes crypto mĂȘme rĂ©gulĂ©es mais laissent de pauvres gens envoyer vers des brokers market-makers de l'argent qui transite via les Ăźles CaĂŻman, les Seychelles ou les Bermudes. Apparemment : rien. « Ce type de business model est lĂ©gal ». Alors pourquoi pleurnicher ?

Je ne remets pas en cause l'utilitĂ© de l'action lĂ©gale, mĂȘme s'il m'arrive de taquiner le dĂ©putĂ© StĂ©phane Vojetta, prĂ©sent dans l'Ă©mission. Mais une action ciblĂ©e sur les  influvoleurs  risque d'ĂȘtre comme cette grande lutte contre la drogue dont on nous rebat les oreilles et qui se fait dans les caves ou sur les trottoirs, au mieux dans les ports, mais jamais plus loin, plus haut, plus gros. Or la vĂ©ritĂ© on la connaĂźt : « les influenceurs sont des instruments utilisĂ©s par les courtiers Ă  leur profit » comme le dit l’avocat interrogĂ©.

On prĂ©fĂšre hĂ©las, ici comme ailleurs et comme toujours, faire la morale aux petites gens et aux simples ouailles. Passage sidĂ©rant — on dirait que l'on Ă©voque une Ă©pidĂ©mie : « l’influenceur, n’est pas toujours celui qu’on croit; dans ce nouveau monde il est partout il est tout le monde, il peut prendre le visage de votre tante bien aimĂ©, de votre collĂšgue de bureau, de votre voisine de palier, un proche auquel vous faites confiance ». Finalement, mĂȘme si ce n'est pas dit : ne faites confiance qu'Ă  votre banquier. Le banquier de quartier est le cousin propre de la famille financiĂšre, l'ami au Livret A entre les dents. Comment lui reprocher le reste de sa tribu ?

Le passage sur les paris en ligne m'a semblé un peu long mais il est aussi instructif.

Vincent dit qu’il a Ă©tĂ© ruinĂ© par les opĂ©rateurs. Avant, il jouait dans les bars tabac, depuis ses 18 ans. Ces pratiques Ă  la papa n'Ă©taient pas assez rentables aux yeux de ceux qui veulent que la poule ponde ses Ɠufs d'or en continu pour pouvoir la privatiser. Avec des petits bras comme Vincent, la FdJ et les vieux monopoles de jeux trouvaient le temps long ; on a changĂ© de modĂšle avec des sociĂ©tĂ©s comme Winamax et Betclic.

« Les joueurs comme Vincent sont trĂšs rentables pour les opĂ©rateurs ». Le reportage chez Betclic montre bien Ă  quel point le business model repose (mĂȘme si cela gĂȘne les salariĂ©s eux-mĂȘmes) sur les addicted (cruellement titrĂ©s  VIP ). Mais la suite du reportage, avec le dĂ©tour par l'AutoritĂ© nationale des Jeux montre aussi que la rĂ©gulation (oripeau de puissance publique ne servant plus que de cache-sexe) n'a jamais gĂȘnĂ© le big business.

Là aussi, une question me taraude : le pauvre Vincent a fini par piquer dans la caisse de son entreprise pour jouer. C'est affreux, on en conviendra. Mais personne, à la banque, ne profilait donc ses revenus et ses dépenses ? Je ne peux pas envoyer 10.000 euros (que j'ai) vers une plateforme réglementée sans recevoir mises en garde, menaces ou sanctions ; mais si je joue 1000 euros par semaine pendant 5 ou 10 ans il ne se passe rien ?

Quelques voix s'Ă©taient Ă©levĂ©es lors de la privatisation de la FdJ. AurĂ©lie Filipetti mettait en garde Eric Woerth et dĂ©nonçait (voir Ă  1:34:35) la collusion de ce petit monde avec des proches du prĂ©sident de l’époque, lequel pourrait pratiquement ĂȘtre qualifiĂ© aujourd’hui d’influenceur, du moins auprĂšs des chefs d’état africains.

On ne sache pas que la collusion des mondes du sport, des médias, de l'argent et du pouvoir ait sensiblement régressé depuis lors.

Quatriùme et derniùre occurrence : les cryptomonnaies apparaissent à 2:22:13 au milieu d’une liste d’arnaques possibles.

Les arnaques, en gĂ©nĂ©ral, sont ici prĂ©sentĂ©es comme le signe d’une dĂ©fiance envers les institutions. C'est typiquement ce qui est reprochĂ© au bitcoineur et qu'il ne peut nier tout Ă  fait sauf, et c'est le piĂšge, Ă  avouer qu'il n'est lĂ  que pour la spec. Mieux vaut (Ă  mon avis) assumer sa dĂ©fiance envers les institutions.

Ce qui est reprochĂ© aux institutions (de nouveau : politique, media, argent, sport etc!) est tellement profond, leur collusion derriĂšre le rideau avec les intĂ©rĂȘts dont les  influvoleurs  ne sont Ă©videmment que le symptĂŽme est tellement Ă©vidente que les chances de voir la morale-tĂ©lĂ© l'emporter dans l'opinion sont fort minces. D'autant qu'Ă  l'occasion, les choses se ressemblent aussi devant le rideau.

Le scĂ©nariste de l'Ă©mission nous prĂ©sente le recrutement du Multi Level Marketing comme une sorte de club toxique, avec des sĂ©quences oniriques Ă  la Eyes wide shut. Mais ce que les sĂ©quences filmĂ©es dans le monde rĂ©el montrent, ce sont des grands-messes ambiancĂ©es et criardes comme les meetings de M. Macron en 2017. MĂȘmes discours (la mĂ©taphore de Kevin sur les rhinocĂ©ros et les vaches Ă  1:18:00 Ă©voquant furieusement le distingo subtil entre  les gens qui rĂ©ussissent et les gens qui ne sont rien ) et mĂȘmes exhortations finalement trĂšs bourgeoises (« motivation, persĂ©vĂ©rance, travail, y a que ça qui paye, levez votre cul »). En conclusion mĂȘmes cris, parce que c'est leurs projets.

Il faut fĂ©liciter Élise Lucet de pointer in fine le dĂ©terminisme social, le plafond de verre « double ou triple vitrage », et peut-ĂȘtre fatalitĂ© de l’exil pour ceux qui veulent s’enrichir et un possible aveuglement des pouvoirs publics.

JĂ©rĂŽme Fourquet note le mĂ©pris culturel et le fossĂ© gĂ©nĂ©rationnel qui protĂšge et isole nos Ă©lites de l’infra-monde. Ce sont deux choses que (indĂ©pendamment de leurs Ăąges et de leurs positionnements sociaux qui peuvent par ailleurs ĂȘtre fort divers) les bitcoineurs ressentent parfois vivement.

La fin de l’émission pointe la fin du rĂȘve français, et ce qu'il faudrait peut-ĂȘtre dĂ©signer un jour comme un dĂ©sastre moral : les gosses de pauvres regardant vers DubaĂŻ les gosses de riches vers la City. Les bitcoineurs, avec leurs problĂšmes spĂ©cifiques, ne sont pas moins partagĂ©s.

Le 82Ăšme Repas du Coin, diner parisien du 2 avril 2024

April 4th 2024 at 14:37

Un diner trĂšs parisien avec une fiĂšvre s’abattant sur un enseignant, une foulure clouant au sol une journaliste, un impondĂ©rable Ă©cartant de l’évĂ©nement deux entrepreneurs et un autre empĂȘchement frappant un banquier plus une panne de baby-sitter chez un avocat, privant l’assistance d’assistance juridique
 il y avait quand mĂȘme 35 convives au Greffulhe, Ă©tablissement parisien situĂ© face au ThĂ©Ăątre des Mathurins et dĂ©jĂ  connu de la communautĂ© puisqu’il permet des paiements LN.

Public largement parisien, mais aussi venu des lointaines Yvelines ou de la proche Bruxelles, de GenĂšve, de Lille,  Bordeaux et Toulouse ; des entrepreneurs, un mathĂ©maticien, une haut-fonctionnaire, trois notaires, un avocat, divers consultants, deux spĂ©cialistes de compliance, un candidat aux Ă©lections europĂ©ennes et desgeeks passionnĂ©s ou curieux. À la diffĂ©rence du prĂ©cedent diner parisien (qu’un youtuber anonyme avait plaisamment qualifiĂ© de « couscous d’initiĂ©s ») ce repas reprenait la tradition d’une large ouverture Ă  des amis non-membres du Cercle qui reprĂ©sentaient les deux tiers des convives.

Avec un tel public, les conversations, avant comme aprĂšs le petit mot de bienvenue prononcĂ© par Adrian Sauzade, prĂ©sident du Cercle, partent forcĂ©ment dans tous les sens : on a Ă©voquĂ© l’avenir de Bitcoin  face Ă  la rĂ©glementation et au contrĂŽle croissant des États, mais aussi celui des stablecoins dans le cadre Mica. Il a Ă©tĂ© beaucoup question de ce que le notariat permet d’envisager comme solutions pour lĂ©guer ses cryptos et pour les inĂ©vitables successions. Il y a eu un dĂ©bat sur ce qui doit sĂ©parer le journalisme de l’action des influenceurs. 

L’une des tables, assez politique, a vu de longues discussions autour du Parti Pirate, dont le candidat, bien entourĂ© par deux pointures techniques a Ă©tĂ© un peu mal Ă  l’aise pour faire la promotion des chaines en PoS : on a re-prĂ©cisĂ© la diffĂ©rence entre les Utxo et les systĂšmes account based. Parmi les autres sujets il faut encore noter la difficultĂ© de lecture des contraintes fiscales pour les bitcoiners, mais aussi l’utile enquĂȘte de KPMG qui ouvre des perspectives, peut-ĂȘtre, pour poursuivre la pĂ©dagogie vis Ă  vis des banques, mais aussi pour rĂ©flĂ©chir Ă  la pluralitĂ© politique des utilisateurs de crypto que ladite Ă©tude souligne en contrepoint d’un vacarme parfois peu engageant sur les rĂ©seaux sociaux.

Comme le fit remarquer sur X en sortant de là l’un des convives « Je sors d’un repas du Cercle du Coin. Au delĂ  du fait que c’était trĂšs sympa de rencontrer des bitcoiners (ou autres), je tiens Ă  souligner que la question du prix n’a Ă©tĂ© abordĂ©e qu’une seule fois, et qu’il s’agissait de discuter de l’existence ou non d’un premium non-KYC. »

C’est d’autant plus remarquable que le prix, pour en dire un mot, ne se portait pas fort. Pour faire mentir le convive en question, on a vu deux ou trois amis sortir leur smartphone pour tenter des petits trades.

Il y eut un moment burlesque en fin de soirĂ©e, quand un couple d’honnĂȘtes gens infiltrĂ©s au milieu de nos tables prit le QR code invitant les convives Ă  adhĂ©rer au Cercle pour une invitation Ă  consulter le menu sur son smart-phone. Et un moment Ă©lĂ©gant quand l’ami qui a lancĂ© Crypto Stories fit de gĂ©nĂ©reuses distributions de chaussettes qui feront sensation cet Ă©tĂ© !  Le rapprochement des deux photos est peut-ĂȘtre prophĂ©tique ?

Cet article Le 82Ăšme Repas du Coin, diner parisien du 2 avril 2024 est issue du site Le Coin Coin.

Le 81Ăšme Repas du Coin, Ă  Bordeaux le 15 mars 2024

March 17th 2024 at 21:30

Retour en Gironde, au chaleureux Ă©tablissement La CĂŽte de boeuf du Vieux Bordeaux, prĂšs de la place du Parlement, aprĂšs presque deux annĂ©es, puisque le repas prĂ©vu en mars prĂ©cĂ©dent Ă  Saint-Émilion avait dĂ» ĂȘtre annulé pour fait de grĂšve.

On y est toujours accueilli par une reprĂ©sentation de la Table Ronde dont nul ne pourrait dire si elle est appropriĂ© Ă  un repas dĂ©centralisĂ© et par un personnel d’une grande amabilitĂ© !

L’apĂ©ritif, servi au Monbazillac (ce qui semblĂ© plaire!) a Ă©tĂ© librement consommĂ© dans la rue, le climat, fort morose depuis des semaines ayant (contrairement au prix du bitcoin) choisi de favoriser l’évĂ©nement.

Le Repas a rĂ©uni 28 convives, des bordelaises et des bordelais mais aussi des toulousaines et toulousains, un montalbanais et de rares mais valeureux parisiens. Une grande variĂ©tĂ© de profils et d’expĂ©rience, surtout.

Les conversations, aux 4 tables, ont donc roulĂ© sur les sujets les plus variĂ©s : le prix (mais pas tant que cela) notamment face aux tensions gĂ©opolitiques et les modifications de discours ou d’attitudes que l’on perçoit alors chez certains, les relations avec les banques (vifs Ă©changes entre en entrepreneur et un banquier repenti) l’intĂ©rĂȘt manifeste du monde du vin (reprĂ©sentĂ© en force) pour nos sujets (tokenisation et commerce en crypto), l’effort de vulgarisation qui reste un chantier pour des annĂ©es encore.

Des sujets un peu douloureux: la difficultĂ© des petites structures proches des nouveaux entrants qui n’ont pas envie de devenir des multinationales Ă  se conformer aux prochaines rĂ©glementations MICA et qui dĂ©cident de fermer prochainement. Et encore le mal qu’a fait Craig Wright  dans le dĂ©veloppement de Bitcoin en attaquant personnellement les dĂ©veloppeurs.

Des sujets plus techniques : on a Ă©voquĂ© les Ă©volutions des tokens sur Bitcoin, depuis les Colored Coins de l’époque hĂ©roĂŻque jusqu’aux Ordinals, ou Liana et son intĂ©gration de Taproot annoncĂ©e la semaine prĂ©cĂ©dente.

Prochaines agapes : Paris, Caen, Luxembourg !

Cet article Le 81Ăšme Repas du Coin, Ă  Bordeaux le 15 mars 2024 est issue du site Le Coin Coin.

Le 80Úme Repas , à Hoenheim le 28 février 2024

March 4th 2024 at 09:39

Retour aprĂšs deux ans au Cheval Noir, le magnifique Ă©tablissement que tient, dans un relais de poste de plus de 200 ans, notre ami bitcoineur Mathieu.

L’établissement, qui a dĂ©jĂ  bien du charme, offre la possibilitĂ© de payer en bitcoin, et en utilisant Ă©ventuellement le lightning network ce qu’ont fait plusieurs convives.

Avec une belle délégation « parisienne » du Cercle (en y comptant Adli pour faire masse) et une membre belge venue de Luxembourg, les convives étaient essentiellement de Strasbourg et alentours.

C’est Adrian Sauzade, nouveau prĂ©sident du Cercle du Coin  succĂ©dant Ă  Adli Takkal Bataille qui a prononcĂ© les mots de bienvenue et rappelĂ© les rĂšgles du Repas, prĂ©cisant, quant Ă  la 3Ăšme, qu’on ne se dispute pas non plus au sujet des Ordinals.

Tous ont apprécié le crémant, le Baeckeoffe ou la choucroute aux 3 poissons, le Munster Marikel, le vacherin glacé, le tout arrosé de vins du cru.

Les regards allaient toutefois souvent vers les tĂ©lĂ©phones (ou les montres connectĂ©es) pour surveiller le rallye du cours de Bitcoin, qui atteignait son ATH dans plusieurs devises. Le fait que cela intervienne avant le halving a donnĂ© lieu Ă  d’intĂ©ressantes comparaisons avec les bourgeons qui se dĂ©veloppent avant le printemps. Selon l’ami Jean-Luc de Bitcoin.fr « on n’est pas Ă  l’abri d’un coup de gel » !

Si donc, fort normalement, le cours de Bitcoin occupait pour une fois une part sensible des conversations (encore que tout le monde soit encore « là pour la tech ») on a aussi abordé de nombreux sujets tant cryptos que politiques. Ainsi les discussions ont abordé les protocoles de communication de maniÚre plus large et comment Bitcoin a boulversé la logique des protocoles informatiques.

L’évĂ©nement CryptoXR  d’Auxerre, le mois prĂ©cĂ©dent, a fait l’unanimité quant à  la qualité des confĂ©rences et au fait qu’elle soit accessible. On a abordĂ© le nouveau courant maximaliste (les anciens Ă©tant jugĂ©s plus modĂ©rĂ©s) ou les prochains objectifs du Cercle, notamment en ce qui viserait Ă  des propositions politiques acceptables.
Les anciens ont a aussi plongé le regard sur toutes les années passées :
Jean-Luc a fait l’historique de la crĂ©ation de Bitcoin.fr et Jacques celui de sa Voie du Bitcoin (bientĂŽt dix ans).
Les bruits de bottes ne rencontrent vraiment pas, chez les bitcoineurs, un trĂšs grand enthousiasme, mais l’on a parlĂ© guerre et politique, Russie et Tolstoi, vins d’Alsace et de Moldavie. Le vol des clĂ©s USB contenant les donnĂ©es de sĂ©curisation des Jeux Olympiques laissait gĂ©nĂ©ralement pantois.
Nombreux ont Ă©tĂ© ceux qui n’ont pu rĂ©sister Ă  la tentation des rhums arrangĂ©s par Mathieu, Ă  la mirabelle ou aux griottes et Ă  la cannelle.

Cet article Le 80Úme Repas , à Hoenheim le 28 février 2024 est issue du site Le Coin Coin.

Le 79Ăšme Repas du Coin, Ă  Paris le 31 janvier 2024

February 7th 2024 at 16:24

Deux repas en huit jours, ce n’est pas le rythme habituel mais l’effet de la conjonction du CryptoXR le 24 janvier et de l’AG du Cercle du Coin qui doit impĂ©rativement se tenir avant la fin du mois.

Ainsi donc aprĂšs ladite assemblĂ©e, longue et studieuse, se sont installĂ©s pour un Repas du Coin « entre soi » autour des tables du Clair de Lune 40 membres du Cercle et 2 non membres liĂ©s par un affect jugĂ© suffisamment fort pour ĂȘtre admis au mĂ©choui et aux pĂątisseries servies en grande abondance : un barbu anarchiste et pilier du lieu et un autre barbu agrĂ©gĂ© d’histoire et lecteur de l’AcĂ©phale.

On eut ainsi la joie de voir des membres de la communautĂ© de Paris, mais aussi d’Amiens, de NeuchĂątel, de Luxembourg, de Bordeaux, de Toulouse, de Lille et de Grenoble.

Ceux qui sachent assurent que certaines conversations se sont poursuivies (ou ont sombrĂ©) jusque vers 3 heures du matin au SiĂšge de l’Association rue Saint Sauveur !

Cet article Le 79Ăšme Repas du Coin, Ă  Paris le 31 janvier 2024 est issue du site Le Coin Coin.

144 - De la Propriété et de la Souveraineté

February 3rd 2024 at 19:00

La nature (philosophique ou juridique) de la propriété est un thÚme qui suscite chez certains bitcoineurs, depuis le début, des positions que l'on peut juger  absolutistes  et parfois mal informées.

Pour un oui ou pour un non, certains invoquent les mots de la DĂ©claration des Droits de l'Homme et du Citoyen : la propriĂ©tĂ© est aux termes de son article 2 un droit naturel et imprescriptible et aux termes de l'article 17 un droit inviolable et sacrĂ©. Qu'elle ne soit pas le seul droit citĂ© Ă  l'article 2, ou qu'il soit ajoutĂ© immĂ©diatement Ă  l'article 17 que  nul ne peut en ĂȘtre privĂ©, si ce n'est lorsque la nĂ©cessitĂ© publique, lĂ©galement constatĂ©e, l'exige Ă©videmment, et sous la condition d'une juste et prĂ©alable indemnité  sont des dĂ©tails trop facilement oubliĂ©s dans les controverses.

Disons-le d'emblĂ©e : je marque toujours un grand Ă©tonnement quand je vois tous ces grands mots de naturel ou de sacrĂ© employĂ©s pour tout et rien et surtout pour ne pas payer d'impĂŽts. Parce que le droit de propriĂ©tĂ© a une histoire (avant, pendant et aprĂšs 89) histoire dont il est utile de retrouver les sources et qui ne tient pas tout entier en deux ou trois mots. Et parce que les plaidoiries sont loin d'ĂȘtre toujours cohĂ©rentes.

Le livre de Rafe Blaufarb, professeur d'histoire Ă  l'UniversitĂ© d'État de Floride (ce livre est la traduction française en 2019 de la publication originale The Great Demarcation: The French Revolution and the Invention of Modern Property datant de 2016) Ă©claire la rupture opĂ©rĂ©e par la RĂ©volution dans l’histoire du droit des biens. Et permet de rĂ©flĂ©chir Ă  ce qu'est la propriĂ©tĂ©, et Ă  ce qu'elle n'est pas, en se plaçant encore plus en amont.

Je veux ĂȘtre clair avec mon lecteur : sans remonter au droit romain, sans examiner l'apport essentiel du nominalisme d'Occam (il y aurait tant Ă  dire) je pars ici trĂšs en amont de Bitcoin (2009) et mĂȘme de l'instauration de l'impĂŽt sur le revenu (1917 en France). Ce faisant, je pense nĂ©anmoins pouvoir approfondir le sens des mots, Ă©clairer des questions de principe, poser des questions utiles.

Chacun sera d'accord avec l'auteur sur un point :  La Révolution française a reconstruit entiÚrement le systÚme de propriété qui existait en France avant 1789 .

Sous l'Ancien RĂ©gime certains droits politiques (les seigneuries) s'entremĂȘlaient aux rĂ©alitĂ©s multiples quant Ă  la possession, entre le seigneur qui concĂ©dait une terre tout en conservant certains droits sur elle et son tenancier possesseur et occupant mais astreint Ă  de multiples servitudes, corvĂ©es et obligations envers le premier, sans compter d'innombrables situations d'indivisions, la multiplicitĂ© des droits locaux et des traditions. Ce seigneur Ă©tait d'ailleurs, pour une propriĂ©tĂ© donnĂ©e, rarement unique tant la fĂ©odalitĂ© Ă©tait dans les faits un empilement de seigneuries que nous traiterions aujourd'hui de mille-feuille).

Inversement, le systÚme dit de la  vénalité des offices  tardivement et progressivement mis en place, officilisé sous François Ier et devenu presqu'impossible à éradiquer, faisait de certains agents administratifs royaux (justice, finance etc) les propriétaires héréditaires de leurs charges.

Au sommet  la Couronne incarnait la confusion de la puissance publique et de la propriété privée qui était la caractéristique de l'Ancien Régime .

Que voulaient faire les hommes de 89 ?

Pour changer la sociĂ©tĂ© et instaurer concrĂštement la LibertĂ© et l'ÉgalitĂ©, il fallait Ă  leurs yeux organiser deux choses : la famille et la propriĂ©tĂ©. Et pour re-fonder la propriĂ©tĂ©, il importait de faire sauter le sĂ©culaire Ă©difice fĂ©odal : enlever tout caractĂšre politique au droit de propriĂ©tĂ© (abolition des seigneuries et notamment de leurs droits de justice ou de chasse) et tout caractĂšre patrimonial aux charges publiques pour confĂ©rer Ă  la souverainetĂ© (qui allait passer du roi-suzerain Ă  la Nation-souveraine) son caractĂšre indivisible et remplacer le vieux rĂ©gime de tenure par un rĂ©gime de propriĂ©tĂ© individuel et absolu.

  • (remarque pour les historiens) : dĂ»t l'orgueil français en souffrir, la chose avait dĂ©jĂ  Ă©tĂ© initiĂ©e ailleurs (Angleterre, Etats-Unis, Toscane, Savoie et PiĂ©mont) certes de façon moins radicale, moins spectaculaire, et avec moins d'effet sur le cours des choses europĂ©en.
  • (remarque pour les bitcoineurs) : ce que nombre de mes amis ont en tĂȘte, en invoquant le caractĂšre absolu de leur droit de propriĂ©tĂ© c'est justement l'inverse, Ă  savoir rĂ©concilier et rĂ©ajuster la propriĂ©tĂ© Ă  une forme de pouvoir politique. On y revient plus bas.

Cette propriété réinventée en 89 est-elle bourgeoise ? capitaliste ? Comment la situer historiquement et philosophiquement ?

Pour les historiens marxistes et le dogme qu'ils ont contribué à répandre, la féodalité était avant tout un mode de production et d'organisation sociale, qu'une révolution bourgeoise avait chamboulé pour inaugurer le systÚme capitaliste.

Des historiens plus rĂ©cents ont fait remarquer d'une part que la rĂ©volution n'avait guĂšre aidĂ© (du moins en son foyer) le capitalisme naissant et d'autre part que les hommes de 1789 Ă©taient bien plus souvent avocats qu'entrepreneurs. On peut critiquer le premier point, c'est un dĂ©bat complexe que l'on n'examinera pas ici. Quant au second point, mĂȘme s'il faut rappeler le rĂŽle de nombreux savants (mathĂ©maticiens, physiciens et ingĂ©nieurs) qui ne furent pas sans influence sur les fondements du capitalisme français au 19Ăšme siĂšcle, il est assez Ă©vident. l’AssemblĂ©e constituante comprenait 466 juristes pris au sens large : avocat au Parlement et en Parlement et plus gĂ©nĂ©ralement hommes de loi, soit les deux tiers de l’assemblĂ©e ! Ils reprĂ©sentent encore prĂšs de la moitiĂ© de la Convention en 1792.

La critique du systÚme antérieur par les juristes réunis à Versailles en 1789, que l'on a trop réduite à une attaque inspirée de Locke (et de son DeuxiÚme Traité sur le gouvernement civil, 1689) était largement enracinée dans  l'humanisme juridique  du 16Úme siÚcle, qui voyait déjà dans la féodalité un fùcheux imbroglio de la propriété et du pouvoir.

Venu d'Italie oĂč il est nĂ© un siĂšcle plus tĂŽt, cet humanisme juridique revisitait Ă  la base bien des concepts, avec des dĂ©bats peu comprĂ©hensibles aujourd'hui (l'origine des fiefs fut-elle romaine ou germaine?) sauf Ă  dire qu'on y discutait implicitement de la rĂ©partition des terres et qu'on y dĂ©nonçait sans fard le dĂ©membrement de la puissance publique.

Un peu plus tard, leurs continuateurs (comme Jean Bodin, publiant en 1576 ses Six Livres de la RĂ©publique) ne furent pas des libĂ©raux mais des gens qui, au milieu du tumulte des guerres de religion, entendaient tout au contraire construire les bases de l'État royal absolutiste. Notons dans la mĂȘme veine que l'Ɠuvre juridique des hommes de 1789, mise en forme par le conventionnel CambacĂ©rĂšs devenu second consul de Bonaparte et par quelques autres  ne suffira pas Ă  crĂ©er une forme dĂ©mocratique ni mĂȘme libĂ©rale de gouvernement : le joug napolĂ©onien en fit clairement la dĂ©monstration .

Bref on évacue pas le souverain comme cela. Mais pour Jean Bodin, et c'est un apport majeur, la souveraineté ne réside pas dans la position de juge de dernier ressort, mais dans la capacité absolue de faire la loi.

Plus proche de 1789, et toujours cité pour ses thÚses libérales Montesquieu est subtilement revisité par Rafe Blaufarb. Car avec la séparation des pouvoirs, le baron de La BrÚde et de Montesquieu défendait aussi l'idée que la confusion de la puissance publique et de la propriété était tout aussi nécessaire pour limiter la tendance au despotisme de la monarchie (pour ce qui viendrait ensuite, il n'y songeait pas). La confusion féodale dénoncée par les jurisconsultes humanistes était au contraire à ses yeux un pilier de l'ordre constitutionnel. Voltaire s'en émut. On oublia plus tard que l'Esprit des Lois défendait en fait tout ce que la nuit du 4 août avait aboli.

Plus dĂ©cisive, presque antithĂ©tique, fut l'influence des physiocrates et de leurs conceptions trĂšs opposĂ©es Ă  la fĂ©odalitĂ© Ă  savoir une souverainetĂ© (royale) pleine et indivisible face Ă  une sociĂ©tĂ© ayant dĂ©sormais comme principal objet d'Ă©tablir et de garantir le droit de propriĂ©tĂ©. Celui-ci n'Ă©tait pas naturel mais nĂ©cessaire, les ĂȘtres humains n'ayant pu survivre qu'en devenant cultivateurs, donc en se divisant la terre entre eux. C'est bien chez les physiocrates que l'on trouve l'idĂ©e que la propriĂ©tĂ© est  l'essence de l'ordre naturel et essentiel de la sociĂ©té  pour citer Le Mercier (1767). Mais l'Ă©quilibre de cet Ă©chafaudage devait pour eux ĂȘtre assurĂ© par un souverain hĂ©rĂ©ditaire et copropriĂ©taire de toutes les terres du royaume. Et surtout les conceptions physiocrates restaient trĂšs abstraites  : on y dĂ©crivait un univers de  propriĂ©taires  et de  propriĂ©tĂ©s . On oublia un peu en chemin la place centrale qu'y occupait la  copropriĂ©té  du roi comme Ă©tant  le droit de la souverainetĂ© mĂȘme  et fondant son droit Ă  taxer la propriĂ©tĂ© privĂ©e.

On part de l'abstraction...

Rafe Blaufarb le dit assez crĂ»ment dans son livre : le goĂ»t extrĂȘme des physiocrates pour l'abstraction est frustrant, mais  leur refus de l'historicisme, leur indiffĂ©rence au droit, leur dĂ©sintĂ©rĂȘt volontaire pour les institutions rĂ©elles Ă©taient autant de tactiques discursives nouvelles pour sortit du bourbier du prĂ©cĂ©dent et se placer sur un terrain ouvert et vierge oĂč un changement fondamental pouvait ĂȘtre envisagé . Quelles que soient les raisons (Ăąprement discutĂ©es) qui ont conduit Ă  rĂ©duire la propriĂ©tĂ© Ă  une forme abstraite de  la terre  ils donnĂšrent, intentionnellement ou non, Ă  la propriĂ©tĂ© l'apparence de la naturalitĂ©, la rĂ©duisant Ă  une chose physique.

En 1789 on trancha, et plutĂŽt en faveur des thĂšses physiocrates qu'en faveur de celles de Montesquieu. Puis on oublia les infinis dĂ©tails de ces controverses. Si le livre de Rafe Blaufarb traite surtout des immenses difficultĂ©s qu'ont eu les hommes de 1789 Ă  faire sauter un Ă©difice absurde mais oĂč tant de choses s'intriquaient, s'emmĂȘlaient, avec tant d'intĂ©rĂȘts croisĂ©s, il permet de dĂ©construire l'idĂ©e d'un droit de propriĂ©tĂ©, limpide, cristallin, qui serait comme on dit sur le rĂ©seau X  simple, basique  et abruptement opposable Ă  toute critique, ou Ă  toute suggestion (fĂ»t-elle de taxe nouvelle).

...et on en vient au bricolage

Car derriĂšre la  nuit  des grands principes au 4 aoĂ»t, nuit qui avait en rĂ©alitĂ© Ă©tĂ© mĂ»rie depuis l'annonce mĂȘme de la rĂ©union des États-GĂ©nĂ©raux, derriĂšre le caractĂšre en apparence limpide du premier article du dĂ©cret du 11 aoĂ»t ( L'AssemblĂ©e nationale dĂ©truit entiĂšrement le rĂ©gime fĂ©odal ) il y eut des mois (des annĂ©es, en fait) de tergiversations. Certains droits furent un temps dĂ©clarĂ©s  rachetables  : trois ans plus tard il fallut y renoncer ne serait-ce que parce que l'argent ne valait plus rien. Il y eut moult bricolage, examen de vieilles chartes, destruction d'archives et abandon devant les fureurs populaires. Il y eut aussi de (gros) profits : sĂ©parer la propriĂ©tĂ© et le pouvoir, c'est beau, mais rĂ©gler le cas de la propriĂ©tĂ© ecclĂ©siastique ou nobiliaire, devenue nationale (pour se la partager entre profiteurs payant de la bonne terre en mauvaise monnaie) c'est moins beau.

On pointe ici un vice du  droit de propriété  dans sa réalité concrÚte : c'est que s'il est exempt des crimes antiques, féodaux ou maffieux dont s'amusait Anatole France, il fut dans sa forme bourgeoise largement fondé sur du vol. Nul besoin de citer Proudhon et sa formule célÚbre de 1840 : Balzac le savait fort bien qui écrivait six ans plus tÎt que  le secret des grandes fortunes sans cause apparente est un crime oublié, parce qu'il a été proprement fait . Ce qui est vrai individuellement des profiteurs de 1790 et de tant d'autres l'est ainsi, également, et de maniÚre collective de toute une classe sociale. Pour monter sur le trÎne, Napoléon comme Louis XVIII durent jurer de n'y point revenir.

Il est parfois dangereux de rappeler ce genre de choses, dans la Russie de V. Poutine par exemple, mais c'est toujours nĂ©cessaire, par exemple pour parler de la France des privatisations que Laurent Mauduit dans La caste dĂ©crivait plaisamment en 2018 comme une mise en Ɠuvre du mot de B. Constant  Servons la bonne cause et servons-nous! Ce mot qui ne fait pas forcĂ©ment honneur au saint patron des libĂ©raux français fut Ă©noncĂ© lors de l'Ă©pisode non moins fĂącheux de son ralliement Ă  un homme qu'il avait traitĂ© de despote durant dix ans.

L'idée d'un droit absolu des propriétaires, si l'on oublie les conditions de l'élaboration du droit révolutionnaire, peut aussi venir d'une lecture superficielle du Code civil des Français.

On touche ici le débat (souvent superficiel) sur le rÎle de Napoléon, continuateur et/ou liquidateur de la Révolution.

On peut citer ce que l'empereur lui-mĂȘme exprimait lors d’une rĂ©union du Conseil d’État le 19 juillet 1805, plaidant pour la continuité : « que les lois contre la fĂ©odalitĂ© reposent sur des principes justes ou injustes, ce n’est pas ce qu’il s’agit d’examiner : une RĂ©volution est un jubilĂ© qui dĂ©place les propriĂ©tĂ©s particuliĂšres. Un tel bouleversement est sans doute un malheur qu’il importe de prĂ©venir ; mais, quand il est arrivĂ©, on ne pourrait dĂ©truire les effets qu’il a eus, sans opĂ©rer une RĂ©volution nouvelle, sans rendre la propriĂ©tĂ© incertaine et flottante : aujourd’hui on reviendrait sur une chose, demain sur une autre : personne ne serait assurĂ© de conserver ce qu’il possĂšde ».

Cette phrase est à juste titre citée par Blaufarb comme par l'avocat Hubert de Vauplane, qui dans une étude fort érudite à paraßtre sur l'un des nombreux  rédacteurs oubliés  du Code Napoléon, Théodore Berlier, donne une formulation éclairante des choix qui furent faits alors :

 Le Premier Consul, mais avec lui tout un courant d’hommes politiques qui avaient vu les ravages de la Terreur, prĂŽne un retour Ă  l’ordre, non seulement de la sociĂ©tĂ© mais dans les familles. Ainsi, la plupart des rĂ©formes du droit de la famille ont Ă©tĂ© Ă©dulcorĂ©es (divorce, adoption, droits des enfants illĂ©gitimes) voire supprimĂ©es (Ă©galitĂ© dans les parages successoraux) pour rĂ©pondre Ă  cette attente d’ordre. Quant Ă  la propriĂ©tĂ© individuelle, notamment celle touchant aux biens nationaux mais au-delĂ  mĂȘme de ceux-ci toutes les propriĂ©tĂ©s individuelles, il n’est pas question d’y revenir et encore moins de les remplacer par l’ordre ancien de la fĂ©odalitĂ©. L’ordre nouveau ne doit pas permettre la remise en cause des propriĂ©tĂ©s. La famille rĂ©volutionnaire a ainsi Ă©tĂ© sacrifiĂ©e sur l’autel de la stabilitĂ© de la propriĂ©tĂ©. MĂȘme Louis XVIII n’osera pas toucher Ă  la propriĂ©tĂ© issue de la RĂ©volution et dont il garantira le caractĂšre inviolable dans la Charte en 1814, alors qu’il supprimera le divorce en 1816.

Si la propriĂ©tĂ© a pu ĂȘtre dite absolue par le rĂ©dacteurs du Code NapolĂ©on, Ă©crivant aprĂšs l'orage et balayant quelques idĂ©aux rĂ©volutionnaires pour ne conserver que ce qui Ă©tait utile Ă  l'ordre, ce n'est que par opposition aux statuts trĂšs complexes observĂ©s auparavant mais aussi par un choix politique, un arbitrage trĂšs thermidorien qui conviendra aux brumairiens puis Ă  tous les nantis du siĂšcle peint par Balzac et Zola.

On y voit certes les mĂȘmes principes qu'au 4 aoĂ»t affirmĂ©s bien fort, parfois par des hommes dĂ©jĂ  actifs cette fameuse nuit. Mais le dĂ©cor et le coeur des hommes a changĂ©. MĂȘme pour les propriĂ©taires la libertĂ© ne sera plus celle qui a effrayĂ© ceux qui survĂ©curent Ă  la tourmente. La police veille. L'article 544 illustre la chose et dĂ©finit la propriĂ©tĂ© comme :  le droit de jouir et disposer des choses de la maniĂšre la plus absolue, pourvu qu'on n'en fasse pas un usage prohibĂ© par les lois ou par les rĂšglements . Ce que Blauifarb appelle the great demarcation est ici nettement tracĂ©e : il y a eu modification de la propriĂ©tĂ©, purgĂ©e de ses attributs politiques, mais nul anĂ©antissement des droits de la puissance souveraine sur les propriĂ©tĂ©s particuliĂšres. La loi du 8 mars 1810 sur les expropriations forcĂ©es pour cause d’utilitĂ© publique, texte d’une grande importance et dont la postĂ©ritĂ© fut grande ne peut ĂȘtre oubliĂ©e lorsqu'on invoque le caractĂšre absolu voire sacrĂ© de la propriĂ©tĂ©.

Les choses ne sont guĂšre plus simples aujourd'hui pour Bitcoin que pour les fiefs jadis.

Disons tout de suite que les idĂ©es de certains Bitcoineurs sur la propriĂ©tĂ© sont aussi simples que la nature du droit du dĂ©tenteur de Bitcoin est complexe : est-il, par exemple, un objet fongible qui se caractĂ©riserait par son appartenance Ă  un genre ou Ă  une espĂšce et non par son identitĂ© propre ? Hubert de Vauplane, attentif depuis fort longtemps Ă  ce qui se passe avec l'Ă©mergence des blockchains, et fondateur de groupes de travail sur ces sujets Ă©crivait en 2018 , que  la nature juridique de Bitcoin en droit des biens est incertaine depuis ses dĂ©buts. La question du droit de propriĂ©tĂ© sur le Bitcoin fait dĂ©bat, aussi bien dans les pays de common law que de droit civil. En droit de common law, la question de dĂ©part consiste Ă  considĂ©rer si le Bitcoin peut ĂȘtre qualifiĂ© de droit de propriĂ©tĂ© incorporel. En droit civil, la question est relativement similaire : dans quelle mesure le Bitcoin s’apparente-t-il Ă  un droit rĂ©el ou personnel ? . L'Ă©laboration juridique au sujet de Bitcoin s'est faite pays par pays, sans faire ressortir aucun caractĂšre naturel ou Ă  plus forte raison sacrĂ© de ce droit.

Disons aussi qu'il est piquant de voir l'argument des physiocrates sorti de son contexte et retranscrit par des geeks pour des biens fort peu naturels. Quoi que l'on puisse dire de la blockchain comme espace numérique appropriable, son caractÚre naturel ne saute pas aux yeux et les métaphores agricoles y seraient incongrues.

Mais ce qui pourrait paraßtre encore plus étonnant, c'est qu'en réalité les arguments invoqués sont bien plus souvent, par imprécision (entre souveraineté et suzeraineté) ou opportunisme, ceux des défenseurs des seigneuries (comme Montesquieu) que ceux du fameux 4 août. En réalité, il n'y a guÚre lieu de s'en étonner : la charge de validateur est bien une fonction politique privée. Et si la nature de Bitcoin était féodale ?

Le Bitcoineur (petit) roi ?

On dĂ©tecte aisĂ©ment ce lancinant fantasme, avec une profonde Ă©quivoque sur le vocabulaire (entre propriĂ©tĂ©, pouvoir, seigneurie et mĂȘme royaume) dans certaines publications.

PrÚs d'un quart de million de vues pour ce post de Andrew Howard sur X suggérant ingénument qu'au-delà d'un certain niveau de richesse on pourrait s'acheter un terrain suffisamment grand pour avoir la dimension d'un petit pays et... en devenir le roi.

Il faut avoir la foi chevillée au wallet pour penser que l'établissement de l'étalon Bitcoin, voire la simple hausse du cours à des niveaux certes impensables aujourd'hui, redistribuerait à ce point non seulement les richesses mais aussi les concepts.

Par ailleurs, que l'on puisse mobiliser ce fantasme monarchiste et penser que sa réalisation serait une chose bonne et désirable en dit long sur une profonde immaturité politique.

Let's be serious

Ce fantasme peut avoir une apparence romanesque (une robinsonnade) mais elle recouvre des expĂ©riences ratĂ©es, douteuses, ou dangereuses. J'ai dĂ©jĂ  Ă©crit qu'une terra nullius est souvent une terra nulla. Pratiquement la  propriĂ©té  d'un bout de dĂ©sert ou d'un Ăźlot, mĂȘme revendiquĂ© par nulle puissance, mĂȘme absent de toute carte, ne donnerait nulle  souveraineté  Ă  ses dĂ©tenteurs, ni concrĂštement ni lĂ©galement. A moins de se dĂ©fendre, de se battre, vraiment, et fort longtemps (en se souvenant de ce que l'ultima ratio regum dĂ©signait) et d'installer le minimum vital de souverainetĂ© que sont l'eau douce et l'Ă©lectricitĂ© (boire ou miner il ne faut pas avoir Ă  choisir) avec des frontiĂšres non pas hĂ©rissĂ©es de barbelĂ©s mais internationalement reconnues et donc ouvertes aux indispensables importations.

PlutĂŽt que de rĂȘver Ă  ce qu'on a appelĂ©, Ă  l'Ă©poque des dĂ©colonisations, une  indĂ©pendance drapeau  les bitcoineurs qui ont un fond de pragmatisme devraient mĂ©diter sur le combat sĂ©culaire des princes de Monaco, depuis la rĂ©cupĂ©ration (un peu miraculeuse) de leur rocher en 1814 pour desserrer la tutelle (sarde puis française), se faire admettre d'abord avec un tabouret puis avec un fauteuil dans des dizaines d'instances internationales et n'obtenir la qualitĂ© d'État membre de l'ONU que 180 ans plus tard. Avec de vrais titres princiers d'Ancien RĂ©gime, de vrais TraitĂ©s internationaux, les ressources palpables d'un casino et la maĂźtrise d'une manne fiscale non nĂ©gligeable. Et Deo Juvante c'est Ă  dire avec l'aide (ou la complicitĂ©) de la France pour l'Ă©lectricitĂ©, l'eau et pas mal d'autres choses dont la police, la justice (Cour d'Appel de Nice) et la dĂ©fense. Un livre de FrĂ©dĂ©ric Laurent, paru il y a une vingtaine d'annĂ©e, racontait fort bien ce qu'est Un prince sur son rocher.

Le prince de Pontinha, sur son rocher plus petit encore que celui des Grimaldi, en bordure du port de Funchal, a encore bien du chemin Ă  parcourir !

MĂȘme en oubliant tout ce qui vient d'ĂȘtre dit, ou en admettant qu'un Bitcoin vaille quelques (dizaines de ?) millions et permette Ă  quelques (dizaines de ?) bitcoineurs d'acquĂ©rir une gated community, une citĂ© portuaire, une Ăźle cĂŽtiĂšre, de l'Ă©quiper pour lui donner une autonomie rĂ©elle, la capacitĂ© de se dĂ©fendre d'abord contre l'ancien percepteur du lieu et ensuite contre les requins, et enfin les moyens d'ouvrir des reprĂ©sentations diplomatiques dans quelques États complaisants, oĂč verrait-on une  monarchie  mĂȘme en dĂ©finissant la chose comme le fait expĂ©ditivement Howard comme  a familly-owned free private city  ?

Que l'on agrée ou non à l'idée que la féodalité fut un mode de production, la monarchie a toujours été bien davantage : un ordre symbolique qui n'a rien à voir ni avec la finance classique ni avec la finance crypto.

La planÚte du financier n'est pas celle du roi, et les anarcho-capitalistes qui s'y voient déjà risquent de ne trouver pour séjour que celle du vaniteux.

Ce que rĂ©vĂšle en revanche la lecture de chaque journal, c'est que les vrais milliardaires (old school, GAFAM et bĂ©bĂ©s requins comme SBF) ne perdent pas de temps Ă  de telles songeries et prĂ©fĂšrent, aprĂšs quelques usurpations et dĂ©membrements de la puissance publique, enserrer les États existants dans leurs tentacules (mĂ©dias, donations, financement des partis, pantouflage, corruption) quitte Ă  s'y mĂ©nager de belles fĂ©odalitĂ©s, avec un vague suzerain et pleins de petits vassaux et arriĂšre-vassaux. On lira avec profit l'analyse de Martinoslap sur cette rĂ©alitĂ© prophĂ©tisĂ©e depuis une gĂ©nĂ©ration et prĂ©sentĂ©e en 2020 par l'Ă©conomiste CĂ©dric Durand

Quoi qu'il en soit, quand le Bitcoin vaudra un milliard, il n'aura nul besoin de faire sauter le systĂšme (qui probablement ira assez mal) : il sera devenu le systĂšme.

Quitte Ă  chercher dans le passĂ©, n'y a-t-il pas d'autres rĂȘves Ă  offrir aux Bitcoineurs ?

C'est sur quoi je reviendrai sous peu avec le compte-rendu rĂȘveur de ma lecture actuelle : Cocagne, l'histoire d'un pays imaginaire.

Ă  suivre

79 - Rapport Landau, la tentation du Mur

July 12th 2018 at 18:50

thĂ©orie du port numĂ©riqueAprĂšs le rapport de Mme Toledano pour France StratĂ©gie, puis celui de l’Office d’Evaluation Parlementaire, et en attendant les autres travaux parlementaires en cours, celui de la Commission des Finances du SĂ©nat et celui de la Commission des Finances de l’AssemblĂ©e Nationale dont le rapporteur est Pierre Person, le rapport commandĂ© en janvier par Bruno Lemaire vient allonger la liste des textes oĂč ceux qui veulent faire avancer les choses doivent scruter de (tout) petits signes encourageants.

Le « Rapport Landau » vise Ă  rĂ©pondre aux questions posĂ©es par Bruno Lemaire en janvier. Ses rĂ©dacteurs ont dĂ» s’adapter Ă  partir de mars lorsque le mĂȘme ministre a Ă©noncĂ© l’ambition de faire de la France la championne des ICO, mais aussi, on peut le supposer, en voyant la tournure plus ouverte que prenaient les auditions devant les missions parlementaires.

Dans ce cadre, ce texte a des mĂ©rites, limitĂ©s mais non nĂ©gligeables. Tout en sacrifiant Ă  «la technologie blockchain
 dont les crypto-monnaies ne sont qu’une des applications possibles», il cible bien l’usage monĂ©taire de la chose, sans trop s’embourber comme le font certaines institutions dans un fatiguant dĂ©ni ou sans trop contourner cet usage. Certains « blockchain enthousiastes » le lui ont d’ailleurs dĂ©jĂ  reprochĂ© !

On peut certes le reprendre sur certains points, de vocabulaire ou de technique. On pourrait aisĂ©ment aller plus loin que ce texte : souligner que si les crypto monnaies sont, comme le dit l’introduction, « sans vĂ©ritable prĂ©cĂ©dent dans l’histoire » cela ne vient pas de ce qu’elles « circulent indĂ©pendamment de toute banque et sont dĂ©tachĂ©es de tout compte bancaire ». Nos vieux Nap en faisaient autant.

Inversement, on pourrait soutenir qu’elles sont bien davantage que « l’expression d’un mouvement de sociĂ©tĂ©, d’inspiration libertaire » rendu plus offensif par le discrĂ©dit du systĂšme. En rester lĂ  c’est prendre le risque de les confondre avec les monnaies locales complĂ©mentaires, dont le rapport note lui-mĂȘme qu’elles sont gentiment tolĂ©rĂ©es par le systĂšme qu’elles entendent remettre en cause. Le rapport voit bien qu’il y a quelque chose d’essentiel qui se joue autour des procĂ©dures de consensus (qui « permettent aux participants au rĂ©seau de valider collectivement les transactions ») mais cela est Ă©vacuĂ© aussi vite que citĂ© parce que cela nĂ©cessiterait d’étendre le discrĂ©dit dont souffre le systĂšme bancaire Ă  l’ensemble du systĂšme, institutions politiques comprises.

la guérison

On voit bien qu’il y a, chez les rĂ©dacteurs, de la considĂ©ration pour le mouvement des cryptos (notamment « pour l’engouement qu’elles suscitent ») qui fait Ă©crire que « il serait imprudent pour les pouvoirs publics, quand ils dĂ©cideront de leur rĂ©ponse rĂ©glementaire, de nĂ©gliger ces aspirations et ces soutiens ». Il y a une forme de respect, puisque le bitcoineur ne se voit pas traitĂ© de terroriste, de trafiquant de drogue ou de proxĂ©nĂšte. Il y a parfois de la sympathie : « l’ambition des crypto-monnaies est belle »  mais aussi une petite dose d’hypocrisie quand la phrase enchaĂźne avec « mais difficile Ă  satisfaire : neuf ans aprĂšs le lancement du Bitcoin, elles sont trĂšs peu acceptĂ©es et utilisĂ©es pour les paiements » alors qu’une bonne part des recommandations du rapport vont viser Ă  ce que perdure l’inconfort de l’utilisateur, et que cette durĂ©e de 9 ans n’est pas forcĂ©ment significative Ă  l’échelle du dĂ©ploiement d’une technologie aussi innovante.

Il y a mĂȘme de troublants aveux. Autour du seigneuriage, par exemple, quand on lit que « le seigneuriage peut ĂȘtre affectĂ© au fonctionnement du systĂšme. C’est le cas du Bitcoin, de ce point de vue totalement transparent et intĂšgre ».

Mais fondamentalement, et comme l’audition de Jean-Pierre Landau devant la mission Person nous en avait donnĂ© l’avant-projet, tout ce qui, Ă  tort ou Ă  raison, est perçu comme indice ou preuve de l’inefficacitĂ© des monnaies crypto est imputĂ© Ă  ce qui en est le cƓur mĂȘme : la dĂ©centralisation. Comme si les plus grandes faillites de l’histoire (monĂ©taires ou autres) n’avaient point Ă©tĂ© parfaitement centralisĂ©es. Non, non : un peu de recentralisation ferait le plus grand bien aux crypto-monnaies, et « les autoritĂ©s publiques doivent prendre le leadership et se muer en vĂ©ritables dĂ©veloppeurs de nouvelles applications permises par la blockchain ». En deçà de toute expertise, au delĂ  de tout biais identitaire, on est ici en rĂ©alitĂ© dans le dur d’un conflit politique : il y a peut-ĂȘtre, d’un cĂŽtĂ©, les « idĂ©aux libertaires » sur lequel le rapport insiste, mais il y a de l’autre une panoplie d’ « idĂ©aux rĂ©galiens » qui ne sont pas moins idĂ©ologiques mĂȘme s’ils ne sont jamais questionnĂ©s.

Curieusement le rapport concĂšde cependant un avantage, lĂ  oĂč l’État, il est vrai, n’a guĂšre d’intĂ©rĂȘts Ă  dĂ©fendre, savoir pour les paiements transfrontaliers. Est-ce Ă  comprendre qu’un systĂšme inefficace sera toujours assez bon pour les malheureux Ă©migrĂ©s ? Ou bien est-ce l’aveu implicite (JP Landau l’avait dit devant la mission Person) que le systĂšme officiel est tellement alourdi de compliance formelle et tatillonne qu’il en devient inefficace, et que la religion du KYC a tuĂ© le correspondant banking, accĂ©lĂ©rant la situation de non-bancarisation de la majoritĂ© de la population terrestre ? Mais mĂȘme lĂ , ce sont des choses comme Ripple (voire Corda !) qui se voient dĂ©signĂ©es comme solution possible
 No comment.

Je n’entends pas tout reprendre : ni critiquer les espoirs mis dans les blockchains privĂ©es (il suffit de regarder la liste des personnes consultĂ©es), ni finasser sur les limites d’une digitalisation de tout et de n’importe quoi, ni insister sur la confusion persistante entre la simple reprĂ©sentation digitale de la valeur qu’envisagent tous les suiveurs et la cristallisation numĂ©rique d’une valeur endogĂšne qu’a rĂ©alisĂ©e le protocole Bitcoin, ni pinailler les chiffres douteux sur la consommation Ă©lectrique de la Hongrie ou la comparaison avec les performances de Visa (merveilleusement centralisĂ©es, mais aux Etats-Unis, bien que l’invention de la carte Ă  puce ait eu lieu en France).

Les lecteurs qui partagent mes prĂ©occupations iront donc plutĂŽt voir dans la troisiĂšme partie du rapport ce qui a trait aux politiques publiques. Citons : « MalgrĂ© les interrogations qu’elles suscitent, il n’est pas proposĂ© de rĂ©guler directement les crypto-monnaies. Ce n’est aujourd’hui ni souhaitable, ni nĂ©cessaire. Une rĂšglementation directe n’est pas souhaitable, car elle obligerait Ă  dĂ©finir, Ă  classer et donc Ă  rigidifier des objets essentiellement mouvants et encore non identifiĂ©s. Le danger est triple : celui de figer dans les textes une Ă©volution rapide de la technologie; celui de se tromper sur la nature vĂ©ritable de l’objet que l’on rĂ©glemente; celui d’orienter l’innovation vers l’évasion rĂšglementaire. Au contraire, la rĂ©glementation doit ĂȘtre technologiquement neutre et, pour ce faire, s’adresser aux acteurs et non aux produits eux-mĂȘmes. » C’est plutĂŽt de bon sens, et cela aurait gagnĂ© Ă  ĂȘtre mis en Ɠuvre par bien des intervenants depuis des annĂ©es.

AprĂšs quoi, on sombre un peu dans le vƓu pieux (« la coopĂ©ration internationale doit permettre d’éviter que la concurrence rĂšglementaire ne conduise Ă  des abus ») ou dans la baliverne («il faut dissocier l’innovation technologique, qu’il faut encourager et stimuler, de l’innovation monĂ©taire et financiĂšre, qui doit ĂȘtre considĂ©rĂ©e avec prudence»).

Ce que le rapport, et c’est sa plus grande faiblesse Ă  mes yeux, n’aborde pas, c’est comment nos autoritĂ©s pourraient s’y prendre pour faire de la France la championne des ICO tout en laissant les monnaies crypto dans leur espace virtuel, en Ă©vitant « toute contagion » et en verrouillant au maximum les points de contact, quand je proposais au contraire d’amĂ©nager ceux-ci pour ĂȘtre le plus avenants, commodes et Ă©quipĂ©s possible. Il y a mĂȘme un paradoxe fondamental, dans toute l’ambition politique de la Championne des ICO, qui est de faire les yeux doux Ă  ces opĂ©rations (souvent magnifiquement centralisĂ©es, j’en conviens, mais souvent aussi vaines, creuses, dĂ©cevantes voire crapuleuses) tout en accusant de bien des maux les seuls use-cases prouvĂ©s Ă  ce jour des protocoles d’échanges dĂ©centralisĂ©s, au premier rang desquels se trouve toujours, que cela plaise ou non, Bitcoin. L’assertion, pour lui refuser la nature d’étalon, selon laquelle « aucun exemple de contrats (de vente ou de prĂȘt) libellĂ©s en crypto-monnaies n’est recensĂ© Ă  ce jour » montre l’étendue de l’illusion sur les ICO : une belle majoritĂ© des ICO « ethereum » sont faites avec des contrats autonomes libellant le prix des jetons en ethers. Il faudrait aussi rappeler aux auteurs qui ne connaissent la crypto que de l’extĂ©rieur que Bitcoin est l’étalon sur la plupart des exchanges. Clairement, on a ici un problĂšme de biais identitaire : Bitcoin est un Ă©talon pour un groupe de personnes pour l’instant essentiellement actives dans le cyberespace.

Il y a aussi un passage qui peut laisser rĂȘveur, en ce qu’on ne sait s’il est extrait tel quel d’un vieux rapport concernant l’Internet, ou s’il admet implicitement que Bitcoin a enfin crĂ©Ă© l’Internet de la valeur. Je le livre Ă  la mĂ©ditation du lecteur : « Internet conduira Ă  une profonde transformation des modes de financement de l’innovation et des entreprises. Les Ă©missions et levĂ©es de fonds transfrontiĂšres sur le rĂ©seau vont se dĂ©velopper rapidement. Tirer les bĂ©nĂ©fices de cette technologie en protĂ©geant les Ă©pargnants reprĂ©sente un immense dĂ©fi ». Si l’on entend bĂ©nĂ©ficier d’ICO en euros organisĂ©es par des banques centralisatrices chargĂ©es du KYC, alors effectivement, « tirer les bĂ©nĂ©fices » de la « profonde transformation » qui s’annonce risque d’ĂȘtre un peu dur.

le déploiement d'un réseau

MalgrĂ© quelques interventions courageuses des uns et des autres, le rapport en reste aussi Ă  la dĂ©sastreuse posture d’interdire aux banques (françaises ? leurs succursales luxembourgeoises s’apprĂȘtent Ă  le faire ou le font dĂ©jĂ  !) toute implication, voire Ă  une recommandation selon laquelle « les banques pourraient Ă©galement ĂȘtre soutenues et encouragĂ©es dans leur refus de financer les achats de crypto-monnaies par leurs clients ». Lesquels clients pourront cĂ©der aux sollicitations des arnaqueurs : cela permettra d’entretenir le moulin Ă  invectives. C’est exactement le contraire du message diffusĂ© par la Gendarmerie Nationale qui recommandait il y a quelques semaines de « demander toujours conseil Ă  votre banquier ».

Demander ensuite mollement Ă  ces mĂȘmes banques un peu de bienveillance pour les entrepreneurs ou les dĂ©tenteurs de cryptos (ce que le rapport appelle « la bancarisation des acteurs de la chaĂźne de valeur de la crypto-finance ») sera Ă©videmment vouĂ© Ă  l’échec. TrĂšs accessoirement, et comme je l’ai dĂ©jĂ  notĂ©, cela rend tout Ă  fait utopique la fiscalisation des bitcoineurs dont on parle par ailleurs si imperturbablement : si les banques n’acceptent pas les flux de cash-out des crypto, avec quel argent les bitcoineurs payeront-ils les impĂŽts qu’on leur demande ? Il faudrait parfois toucher le sol. MalgrĂ© les remarques formulĂ©es par quelques gestionnaires d’actifs, qui connaissent quand mĂȘme leur mĂ©tier, quant Ă  l’amĂ©lioration qu’une goute de Bitcoin apporterait Ă  leur gestion, le rapport va jusqu’à exclure la chose (lĂ  aussi, en France seule ?) sous le prĂ©texte presque inconvenant que cela fournirait de la liquiditĂ© Ă  la crypto-sphĂšre, et avec une mauvaise foi Ă  couper le souffle : aprĂšs avoir expliquĂ© que Bitcoin Ă©tait trop jeune pour que l’on puisse induire de ses performances qu’il constituera Ă  terme une rĂ©serve de valeur, on nous dit sans ciller et comme s’il s’agissait d’un fait historique qu’il baisse quand tout va mal. Faut-il rappeler qu’il est nĂ© aprĂšs 2008 ?

C’est donc un Ă©tat de siĂšge (solution propice Ă  la crĂ©ation d’innovations monĂ©taires
) qui est instaurĂ©, isolant les crypto-monnaies des banques et des investisseurs institutionnels. Prendre en modĂšle la dĂ©sastreuse Bitlicence dont les effets ont pu ĂȘtre concrĂštement mesurĂ©s Ă  New-York est une indication claire de l’effet recherchĂ©.

le tour de Gaule

Mais pendant le siĂšge show must go on, le divertissement continue avec ses magiciens et ses jongleurs : tokĂ©niser les rĂ©compenses aux ramasseurs d’ordures volontaires (sans en parler aux urssaf ?) pour leur permettre de payer ce qui servira de remplaçant aux VĂ©lib’ ou Ă©changer, comme l’a fait la Banque de France, des Ă©lĂ©ments de secrĂ©tariat administratif sur une DLT tout ce qu’il y a de classique, voilĂ  qui va faire de la France (laquelle bien sĂ»r « se doit de tracer une voie originale ») un objet d’universelle admiration.

Il va falloir un peu de sĂ©rieux. Si l’on veut tokĂ©niser les billets des JO 2014, sans que cela ne se termine par une commande publique Ă  IBM (ou Ă  Consensys, que l’on aura prise pour une sociĂ©tĂ© française) et si cela doit participer Ă  l’image de modernitĂ© de notre pays autant concevoir autre chose qu’un gadget, et si possible le faire avec des savants français.

Reste un tabou. L’idĂ©e du jeton crypto-fiduciaire (de la CBeM si on veut) hante des milieux fort diffĂ©rents. Dans le cadre que j’avais tracĂ©, celui d’un port numĂ©rique dont la monnaie lĂ©gale, elle-mĂȘme numĂ©rique, pourrait s’interfacer aisĂ©ment avec les monnaies numĂ©riques libres et communes, il me semble que cela faisait sens. Ici on ne sait trop que croire. Aborder les choses sous l’angle du symbolique politique (« politiquement, la disparition du souverain en tant que signe monĂ©taire visible ne serait pas neutre ») fera sourire tant l’eurosceptique que celui qui regarde l’objet matĂ©riel qu’est le billet de la BCE, conçu pour Ă©voquer le moins possible « le souverain ». Aborder cela sous l’angle de la sĂ©curitĂ© (« si des catastrophes humaines ou naturelles venaient Ă  perturber ou dĂ©truire les systĂšmes informatiques sous-tendant la monnaie digitale
 ») sonne aussi assez comiquement aux oreilles du bitcoineur, dĂ©centralisateur par nature et qui sourit de voir le rapport n’envisager comme alternative au centralisme d’Etat que le centralisme d’un GAFA.

Aborder franchement le sujet d’une crypto-fiduciaire consisterait Ă  examiner si les banques centrales sont prĂȘtes Ă  se mettre face aux banques commerciales qu’elles sont censĂ©es rĂ©gir et non servir, et Ă  leur reprendre une part du gĂąteau. A la Banque de France, le sujet provoque des discours pour le moins embarrassĂ©s et sinueux. Reste donc seulement une vague frayeur Ă  l’idĂ©e que ce ne soit un GAFA (le sigle n’apparaĂźt pas une fois) ou un « conglomĂ©rat financier » qui s’empare de la technologie et n’impose son token. De ce risque, en rĂ©alitĂ©, rien n’est dit de la façon dont on le contournera. Nous avons, pour notre part, dĂ©jĂ  demandĂ© ce que la « souverainetĂ© française » gagnerait Ă  cette sujĂ©tion supplĂ©mentaire, quand les monnaies libres, communes et ouvertes du cyberespace pourraient offrir l’instrument d’un rĂ©-aplatissement du monde. L’obstination que le rapport met Ă  traiter Bitcoin de « monnaie privĂ©e » est ici une entrave au jugement.

En ce qui concerne la mise au clair de quelques notions essentielles, le rapport demande en gros que l’on s’inspire du rĂ©gime des devises (eh oui) mais hĂ©las ne fait aucune proposition quant Ă  la fiscalitĂ© des particuliers, se contentant de citer la rĂ©cente dĂ©cision du Conseil d’Etat, sans souligner ni les coĂ»ts divers qu’ont reprĂ©sentĂ©, pour l’écosystĂšme français, 4 annĂ©es de quasi-vide juridique laissĂ© au bon plaisir de la seule administration fiscale, ni les bĂ©nĂ©fices somme toutes limitĂ©s (et pas universels) du nouveau rĂ©gime, ni son caractĂšre totalement non compĂ©titif. Comme dans le mĂȘme temps l’Office Parlementaire d’Evaluation produit un rapport de 200 pages, par ailleurs remarquable, mais oĂč le sujet fiscal fait l’objet d’une ligne (page 95) pour nous rĂ©vĂ©ler que le statut fiscal de Bitcoin et autres « n’est pas clair », il ne reste plus qu’un espoir tenu : que le rapport Person en suggĂšre un, clair, logique et compĂ©titif et qu’il plaise Ă  la sagesse du Prince de lui donner son accord avant la prochaine loi de finances.

montagnes

Au risque de rĂ©pĂ©ter ce que j'ai dit lorsque j'ai Ă©tĂ© auditionnĂ© par la mission Person, puis par la mission Landau, et que j'ai dĂ©jĂ  Ă©crit ici et lĂ  : consacrer plusieurs pages Ă  la thĂ©matique fiscale des ICO fera certainement les dĂ©lices des avocats fiscalistes (qui ont dĂ» en fournir une bonne part) mais c’est une perte de temps si la fiscalitĂ© des particuliers dĂ©tenteurs de crypto-monnaies reste un non sujet. A croire que ces thĂ©matiques ne sont pas abordĂ©es pour construire une fiscalitĂ© adaptĂ©e, lĂ©gitime et raisonnable, mais juste pour inciter Ă  l’exode. Sous cet angle, malheureusement, ça marche.

Le rapport a un mĂ©rite : il n’insulte jamais l’avenir des crypto-monnaies (ainsi « on ne peut exclure qu’une crypto-monnaie existante ou Ă  venir s’impose un jour dans les paiements et donc, comme rĂ©serve de valeur, prĂ©sentant une concurrence et un dĂ©fi pour les monnaies officielles »). Depuis Adolphe Thiers assurant que le train ne transporterait jamais ni marchandises ni voyageurs, la liste est longue des prĂ©visions aussi hautaines que malencontreuses. Mais le spectre du fĂącheux rapport ThĂ©ry, malgrĂ© quelques tentations aisĂ©ment dĂ©celables quand le rapport aborde « l’impossible montĂ©e en puissance », rend aujourd’hui prudents les Cassandre numĂ©riques ou les satisfaits de l’ordre existant. Dans ces conditions on aurait pu souhaiter que le rapport soit aussi prudent avec l’avenir de la France qu’avec l’avenir de la technologie. Etouffer Bitcoin n’est pas Ă  la portĂ©e des autoritĂ©s. Le chasser de leur prĂ©-carrĂ© et faire de la France une Albanie crypto, peut-ĂȘtre.

isoler

C’est l’éternelle tentation du mur, et son inĂ©vitable ambiguitĂ© : qui isole-t-on ?

Monsieur Landau souhaite «contenir» les cryptomonnaies, et non pas permettre leur dĂ©veloppement. Or cela fait des annĂ©es que l’on « contient » ! La France Ă©tait trĂšs en avance en 2011. Le plus ancien exchange europĂ©en est Français. Pourtant aprĂšs avoir rencontrĂ© de nombreuses difficultĂ©s (notamment avec les banques) il ne pĂšse pratiquement rien aujourd’hui et les plateformes amĂ©ricaines dominent d'ores et dĂ©jĂ  le marchĂ© EuropĂ©en. Ajouter des contraintes supplĂ©mentaires c'est renoncer totalement Ă  ce que des plateformes «crypto-crypto » se dĂ©veloppent en France (ou en Europe). Tout l’écosystĂšme sera ailleurs, avec ses ressources humaines, physiques et financiĂšres. On ira les voir en Californie une fois par an.

CommandĂ©, il est vrai, Ă  un moment oĂč le ministre n’avait pas encore embrassĂ© l’ambition de faire de la France la « Championne des ICO », la lecture du rapport Landau n’inquiĂšte guĂšre, mais ne laisse que fort peu de chances de voir notre pays devenir le « port numĂ©rique » que j’appelais de mes vƓux.

Ici encore, et sauf initiative venue des plus jeunes et des digital natives dans l’Administration, au Parlement ou... Ă  l’ElysĂ©e, nous serons marginalisĂ©s lĂ  aussi.

sur le mur

78 - Le rapport de France Stratégie

June 23rd 2018 at 06:07

A l’heure oĂč plusieurs institutions n’ont pas encore lĂąchĂ© prise, que ce soit la BRI qui vient de publier tout un chapitre Ă  charge contre les cryptomonnaies ou la Banque de France qui a multipliĂ© durant tout le printemps des imprĂ©cations assez creuses, le rapport intitulĂ© Les enjeux des Blockchains et publiĂ© par France StratĂ©gie ouvre peut-ĂȘtre la saison des textes plus Ă©quilibrĂ©s et des propositions, mĂȘme timides, qui pourraient engager la France dans autre chose qu'une impasse. Les mĂȘmes experts, en gros, ayant ensuite « planchĂ© » devant les missions parlementaires ou l'Ă©quipe de Jean-Pierre Landau, on peut du moins l'espĂ©rer.

PubliĂ© sous la signature de la Professeur JoĂ«lle Toledano (qui n’est pourtant pas Ă  titre personnel une bitcoineuse fanatique !) avec le concours de plusieurs personnes, ce document mĂ©rite d’ĂȘtre d’abord saluĂ© pour son Ă©quilibre, quelles que soient les critiques que nous pouvons lui adresser Ă  la marge.

le rapport toledanoDĂšs les premiĂšres phrases, on sent que le texte est habile. Il fait, aux pudeurs encore de mise face au « sulfureux bitcoin », les concessions nĂ©cessaires pour ĂȘtre lisible mĂȘme par les effarouchĂ©s. Sans leur celer cependant l’arbitraire des distinctions Ă©culĂ©es entre la technologie et le jeton qui lui donne accĂšs et la finance. Ni l’inanitĂ© de la rĂ©duction Ă  « la blockchain » de ce qui est d’abord une technologie de consensus. Ni l’impasse oĂč aboutissent trĂšs vite ceux qui se prennent Ă  leurs propres mots. Ni le fait que les disruptions viennent rarement de l’intĂ©rieur des systĂšmes, financiers ou autres. Il reste cependant Ă  nos yeux des points douteux qui auraient pu ĂȘtre critiquĂ©s, par exemple que la dĂ©centralisation et la dĂ©sintermĂ©diation soit vraiment et automatiquement facteur de baisse de coĂ»ts.

Le titre du second chapitre « Que faire du Bitcoin ? » est donc ironiquement ionescien (d’autant que Bitcoin, comme AmĂ©dĂ©e, grandit gĂ©omĂ©triquement). Le rapport ne cache ni que Bitcoin est « un petit peu l’argent liquide d’Internet » ni qu’il incarne « ce vieux rĂȘve de l’internet, une monnaie Ă©lectronique ».

Amédée

Notre ouvrage La Monnaie AcĂ©phale y est abondamment citĂ©, et pratiquement prĂ©sentĂ© comme une rĂ©fĂ©rence. MĂȘme si, comme les auteurs en sont prĂ©sentĂ©s comme des propagandistes de Bitcoin, on suggĂšre dans une note en page 21 que la prĂ©sentation faite en dix pages la mĂȘme annĂ©e par Arvind Narayanan (assistant Ă  Princeton) et Jeremy Clark (assistant Ă  la Concordia Institute) est « plus acadĂ©mique ». Ce qui n’empĂȘche pas dans la note placĂ©e juste en dessous de citer les Echos et mĂȘme Vanity Fair


Mais ne refusons pas notre plaisir : le « sulfureux Bitcoin », comme le « grand mĂ©chant loup » est dĂ©sormais intĂ©grĂ© au rĂ©cit dans une place centrale et n’est plus l’apanage des criminels mais le sujet d’étude d’une « communautĂ© de passionnĂ©s d’origine diverse, oĂč les spĂ©cialistes de l’informatique, de la cryptographie et de l’algorithmique cĂŽtoient ceux de la finance, de l’économie, du droit, de l’histoire ». Le Cercle du Coin, d’ailleurs bien reprĂ©sentĂ© durant les auditions de France StratĂ©gie, est dĂ©crit comme « probablement le plus emblĂ©matique » de cette passion.

A noter que la controverse Ă©cologique a le mĂ©rite de ne pas se centrer sur les chiffres extravagants de Digiconomist et que les dĂ©nonciations de la « bulle », quand bien mĂȘme elles viennent de sommitĂ©s, sont mises en regard de la valeur d’utilitĂ© (actuelle ou Ă  terme) des jetons, mĂȘme si on aurait pu souhaiter une rĂ©flexion plus profonde sur ce qui constitue leur valeur.

Le Chapitre 3 aborde la « trust machine », sans que le caractĂšre infalsifiable de la blockchain soit rĂ©ellement questionnĂ©. De ce fait la rubrique des usages « notariaux » laisse un peu sur le lecteur sur sa faim, celui sur « l’Internet de la valeur » paraissant plus sĂ©duisant, malgrĂ© la revue des difficultĂ©s qui n’en Ă©lude qu’une, celle qu’induit le frottement fiscal tant que les transactions entre deux jetons cryptos restent susceptibles de taxation mĂȘme s’ils ne font pas apparaĂźtre de liquiditĂ© en monnaie lĂ©gale. Et soudain, au dĂ©tour d’un intertitre surgit « le retour au galop du bitcoin » certes assorti d’un point d’interrogation. Le lecteur se voit rappeler qu’en dĂ©finitive, le jeton (prĂ©cieux) est la clĂ© de voĂ»te du bĂątiment oĂč l’on longe tous ces rĂȘves. Avec une mise en garde que nous pourrions signer des deux mains : « pour sĂ©parer le bon grain de l’ivraie et bĂ©nĂ©ficier des seuls effets souhaitĂ©s des Blockchains, il ne suffira pas d’essayer d’interdire ou de contrĂŽler le bitcoin » d’autant que, pour filer la mĂ©taphore, peu de bon grain monte vraiment en Ă©pi malgrĂ© l’enthousiasme des entrepreneurs et de leurs sponsors, pour un nombre de raisons assez Ă©levĂ© que le rapport liste opportunĂ©ment.

Ayant pointĂ© les difficultĂ©s qu’ont encore les cryptomonnaies Ă  s’interfacer avec le monde rĂ©el (sans ajouter, comme nous nous le permettons ici, qu’une part de ces difficultĂ©s pourraient ĂȘtre aplanies par ceux-lĂ  mĂȘmes qui les dĂ©signent comme des faiblesses) l’étude en vient au chapitre 4 Ă  l’hĂ©sitation qui saisit les pouvoirs publics. Le cas de la Banque de France est une illustration saisissante et pour qui sait lire entre les lignes, la citation d’un texte de son Chief Economist donne une idĂ©e des contorsions et du vertige de l’institution : « MĂȘme dans le cas extrĂȘme et trĂšs improbable oĂč de la monnaie digitale de banque centrale avec des attributs de dĂ©pĂŽt serait Ă©mise et oĂč le public l’adopterait massivement, le rĂŽle des banques dans la distribution de crĂ©dit, bien que s’exerçant dans des conditions plus difficiles en raison d’une moindre information directe sur leur clientĂšle, ne devrait pas ĂȘtre gravement compromis ». Plus concrĂštement, la note pointe la convergence qui se fait jour autour d’une rĂ©gulation raisonnable, qui donnerait notamment un cadre Ă  ce qui doit en avoir un : la fiscalitĂ© (on regrettera que l’échantillon soit Ă©tabli de maniĂšre Ă  suggĂ©rer un taux de l’ordre de 25%, ce qui paraĂźt douteusement compĂ©titif) ou la comptabilitĂ©. Le rapport n’hĂ©site pas mĂȘme Ă  souligner que « la relation avec les banques et le manque d’expertise des pouvoirs publics deviennent nĂ©fastes ». Dont acte.

La conclusion pointe un dilemme : « Deux scĂ©narios sont envisageables : ou bien encadrer suffisamment les Blockchains existantes ; ou bien favoriser le dĂ©veloppement de nouvelles infrastructures plus sĂ©curisĂ©es. À ce jour, il est difficile de trancher le dilemme : le rapport recommande donc de mener de front les deux stratĂ©gies de ‘’maĂźtrise’’ des blockchains existantes et d’accompagnement de l’émergence de nouvelles solutions. ». On pourra regretter que, malgrĂ© la prĂ©sence de nombreux scientifiques lors des auditions, le choix ne soit pas fait plus rĂ©solument en faveur de cette deuxiĂšme solution, surtout quand il existe des solutions françaises et des avantages compĂ©titifs Ă  la clĂ©.

Les 7 recommandations qui forment le 5Ăšme chapitre sont assez sensĂ©es mĂȘme si certaines risquent (mais c’est la loi du genre) d’apparaĂźtre comme des vƓux pieux. Quand on lit que l’on va « dĂ©velopper les usages des blockchains en s’appuyant sur un groupe Ă  compĂ©tences transversales, Ă  l’intĂ©rieur de l’État » on se dit qu’un inventaire de ce qui existe « Ă  l’intĂ©rieur de l’Etat » pourrait amener quelques doutes, d’autant que le problĂšme est cruellement mis en relief 3 pages plus loin. Quand on lit qu’il faut « dĂ©finir et contrĂŽler les rĂšgles de reporting applicables aux places de marchĂ© » on ne peut s’empĂȘcher de songer que la surveillance des acteurs français ou opĂ©rant en France ne sera pas une tĂąche harassante. ‹Au delĂ , c’est la lĂ©gitimitĂ© mĂȘme de l’Etat pour faire le job qui peut paraĂźtre relever d’un biais identitaire chez les rĂ©dacteurs du rapport, et d’un tropisme culturel proprement français. Que le laboratoire de rĂ©flexion sur les Ă©changes centralisĂ©s soit structurĂ© autour de la Caisse des DĂ©pĂŽts (fondĂ©e en 1816) et que la cellule d’accueil des startups soit logĂ©e chez un rĂ©gulateur paraĂźt tout naturel Ă  nos Ă©lites. Nous pensons que ça ne l’est pas, du moins pas sans examen ni sans un profond aggiornamento numĂ©rique de l’Etat et de l’administration.

77 - Ce qui est sérieux et ce qui l'est moins

April 27th 2018 at 17:20

J'ai dĂ©jĂ  traitĂ© Ă  plusieurs reprises du jeu, univers natif des premiĂšres monnaies qui furent dĂ©crites comme virtuelles. J'avais abordĂ© l'an passĂ© dans Enjeux la rĂ©flexion du mĂ©diĂ©viste Jean-Michel Mehl (« il est exceptionnel que le jeu soit gratuit (...) mĂȘme dans le jeu enfantin, il est facile de dĂ©celer, sous les apparences de la gratuitĂ©, l’espĂ©rance d’une victoire comme la crainte d’une perte ou d’une dĂ©faite, dĂ©finitive et humiliante ») et bien plus tĂŽt dans Monnaie pour rire l'idĂ©e d'un rapport que tous les enfants connaissent bien entre la monnaie et l'univers oĂč l'on fait semblant, voire la fĂȘte des fous.

Podcast

Je reviens sur ce thĂšme en diffusant ici le podcast rĂ©alisĂ©e en mars par Jeanne Dussueil (Globaliz) et au cours duquel Madame Laure de LaraudiĂšre, dĂ©putĂ©e reprĂ©sentant « le prĂ©sent » et moi-mĂȘme parlant pour « le passĂ© » commentions une dystopie future prĂ©sentĂ©e par le conteur Thomas Guyon.

Dans un futur pas si lointain, nous suivions dans ses tribulations et ses angoisses un individu qui avait tout d'un travailleur acharnĂ© sauf que.. pour lui travail n'existait plus si ce n'est dans l'univers d'un jeu video. Gamification la chose est dĂ©jĂ  partout prĂ©sente. Jeanne Dussueil demandait donc Ă  Madame de la RaudiĂšre ce qu'en diraient les politiques (le jour oĂč... plus tard ? trop tard?) et Ă  moi ce qui pourrait bien, alors, d'aprĂšs les enseignements du passĂ©, servir de monnaie.

On pourra Ă©couter le podcast ici (aprĂšs avoir lu ce billet ... et avec nos interventions Ă  partir de la sixiĂšme minute pour ceux que le genre dystopique ennuie...)

Les points d'accord ou de convergence entre la « députée geek » et « l'historien provocateur » ont été assez nombreux. Quant à la gamification de l'économie j'en ai d'abord cité quelques exemples dans le passé :

  • la construction des pyramides, sans doute mue par des considĂ©rations sacrĂ©es ou politiques, peut quand mĂȘme ĂȘtre perçue comme un emploi donnĂ© Ă  la population pour lui Ă©viter l'oisivetĂ©, mĂšre de tous les vices ; quelque chose de parfaitement inutile par rapport Ă  nos besoins naturels, mais que chacun accomplit avec un grand sĂ©rieux (pour rappel les coups de fouets c'est seulement dans Asterix !)
  • l'Ă©conomie des « messes pour le salut des Ăąmes » qui, elle, est Ă  la jonction de ce monde (les prĂȘtres sont bien payĂ©s en espĂšces sonnantes et trĂ©buchantes, en monnaie rĂ©elle comme diraient nos autoritĂ©s) et d'un autre monde, l'au-delĂ  si bien nommĂ© dans lequel ils accomplissent, avec un honnĂȘte niveau de sĂ©rieux, des tĂąches prĂ©cises visant Ă  procurer Ă  des tiers dĂ©funts mais parfaitement identifiĂ©s des avantages virtuels pour continuer de parler comme nos rĂ©gulateurs.

un jeu antique et inutile

LĂ  oĂč j'ai pu me montrer rĂ©ellement provocateur, c'est en ajoutant que l'Ă©conomie du KYC et de la compliance (qui reprĂ©sente dĂ©sormais une part substantielle des recrutements dans le secteur financier et une cause non nĂ©gligeable de la hausse des coĂ»ts refacturĂ©s) est en tout point comparable. ArrĂȘterait-on demain toutes les diligences (les demandes de facture EDF, les appels pour demander Ă  mes 4 enfants le nom de jeune fille de leur mĂšre etc) il ne se passerait rien de tangible, si ce n'est - comme l'arrĂȘt de la construction des pyramides - un chĂŽmage technique pĂ©nible pour les travailleurs concernĂ©s.

J'ai d'ailleurs repris cela sur un billet publié sur LinkedIn et que l'on pourra lire ici :

La vérité, c'est que l'on assiste autant à une gamification de certaines choses sérieuses qu'à une workification de choses futiles, inutiles et tristes.

76 - Nolite te auctoritates...

March 4th 2018 at 18:14

dame de coeur d'aprĂšs une crĂ©ation d'EstarisBitcoin serait toujours un truc de geek et dans la pratique un truc de mec. Si bien des Ă©vidences factuelles tendent Ă  le faire croire, je suis de ceux qui pensent depuis longtemps que la prĂ©sence fĂ©minine doit ĂȘtre recherchĂ©e et valorisĂ©e, et que l'excuse commode selon laquelle il y a traditionnellement peu de copines passionnĂ©es par la technologie est fausse et dangereuse Ă  plus d'un titre.

Au-delĂ  d'un point de principe - la techno comme la monnaie sont affaires de tous - je pense qu'une dĂ©marche spĂ©cifiquement fĂ©minine doit ĂȘtre mise en valeur en ce qui concerne l'usage des monnaies dĂ©centralisĂ©es, ou plutĂŽt que la rĂ©flexion menĂ©e depuis plus de deux siĂšcles par les femmes pour construire leur Ă©mancipation est potentiellement riche d'enseignements pour ceux qui veulent inventer une monnaie sans sujĂ©tion.

Commençons par ce qui est un peu trivial. MĂȘme si les choses s'amĂ©liorent (oh combien lentement) il y a encore bien trop peu de jeunes femmes dans les hackatons, dans les amphis ou dans les auditoires de nos confĂ©rences, dans nos forums et dans les meet-up de notre CommunautĂ©.

Au début de certains repas du Coin il m'arrive de préciser que notre but n'a jamais été de former un gentlemen's club. Malgré des invitations largement lancées en direction des amies ou des profils féminins rencontrés au cours de nos diverses activités, il n'est pas toujours possible d'avoir une convive par table. Pourtant, les attitudes justement dénoncées par un article récent du NYT n'ont pas cours dans nos événements et celles qui nous fréquentent semblent apprécier ces rencontres.

Je ne crois pas que les femmes soient moins intéressées par la technologie. Serait-ce pourtant le cas qu'il resterait le point de savoir si elles sont moins intéressées par la monnaie et le paiement.

Une Ă©tude dĂ©jĂ  ancienne de CoinDesk cherchant qui Ă©taient, en juin 2015, les utilisateurs de bitcoin rĂ©pondait qu’ils Ă©taient jeunes (25 Ă  34 ans), pale, techie and male (Ă  90%). MalgrĂ© l'explosion du nombre de bitcoineurs au niveau mondial, les (rares) Ă©tudes sur ce thĂšme ne permettent pas de percevoir une rĂ©elle amĂ©lioration, certaines affichant un taux extrĂȘmement inquiĂ©tant de 4% de femmes seulement. Une chronique canadienne sur CBC s'en est rĂ©cemment Ă©mue, souligant que cela pouvait rĂ©ellement constituer un signe inquiĂ©tant.

Le poids des femmes (courses alimentaires quotidiennes et « shopping » festif) est Ă©norme dans les actes d’achats, surtout en transactions unitaires. Avec ou sans Lightning Network, Bitcoin ne sera pas une monnaie sans les femmes.

Venons-en à ce qui touche au changement paradigmatique que constitue Bitcoin. Il y a un rapport profond, aussi ancien que l'Humanité, entre la monnaie et la langue. Or certains linguistes, comme Gretchen McCulloch, l'écrivait en 2015, pensent que ce sont les filles (jeunes) qui inventent et renouvÚlent la langue, créant jusqu'à 90% des innovations. Parce que, comme l'avancent Deborah Cameron et d'autres, elles auraient une plus grande sensibilité sociale, des réseaux plus étendus, voire un avantage neurobiologique en la matiÚre. Si tout cela est vrai, sans jeunes femmes parmi nous, Bitcoin pourrait se retrouver un jour vieux sans avoir jamais été adulte.

Marie Laurencin

Il y a cependant des relations bien plus profondes entre celles et ceux qui supportent Bitcoin et pensent que les monnaies décentralisées sont une part de leur liberté, et les femmes qui ont lutté pour leur émancipation et savent que cette lutte ne s'est point achevée en un glorieux jour de proclamation.

Nous avons tous entendu cent fois que les femmes ont dĂ» attendre jusqu'en 1965 pour avoir un compte en banque (sans l'autorisation de leur mari) et Ă  dire vrai cela me fait toujours sourire. Parce que ce poncif suggĂšre qu'elles attendaient cela depuis des siĂšcles. Il y a fort Ă  parier qu'elles n'ont attendu que quelques annĂ©es, et qu'en 1965 bien des maris n'avaient pas eux-mĂȘmes de chĂ©quier : la bancarisation massive dĂ©bute plutĂŽt vers 1967. D'autre part (et mĂȘme si la loi de 1965 donne aux femmes d'autres libertĂ©s) cela assimile le fait d'avoir un compte en banque (et non des espĂšces dans sa poche) Ă  une forme de libertĂ©. Ce qui mĂ©riterait examen. Et il pourrait y avoir bien plus grave !

The Handmaid's taleEn 1985, la romanciÚre et universitaire canadienne Margaret Atwood écrivait son roman The Handmaid's Tale qui met en scÚne un futur dystopique épouvantable dans lequel les Etats-Unis vivent un cauchemar théocratique de type wahhabite mùtiné d'enfer policier façon URSS. Avec un petit avant-goût prophétique de Patriot Act. Le sort des femmes y est particuliÚrement horrible.

Ce livre d'anticipation qui ignore les téléphones mobiles ou Internet est pourtant devenu un roman-culte de la cause féministe et a été récemment brandi dans de nombreuses manifestations hostiles à la remise en cause des droits des femmes par le président Trump, puis porté à l'écran en 2017 dans une série télévisée (en français La servante écarlate).

Voici un court extrait montrant comment, concrĂštement, un piĂšge peut se refermer sur les femmes, mais aussi sur les ennemis, sur les autres. Ou sur vous.

Et la formule latine qui sert de titre à mon billet ? Les curieux liront (note en bas de page) ce que signifient, ou ne signifient pas, les quelques mots latins que l'héroïne trouve dans un recoin de sa geÎle, inscrits comme un message secret. Ceux qui ont déjà suivi la série comprendront ce que je veux dire : Ne laissez pas les autorités vous ...

Une formule de Simone de Beauvoir devrait ĂȘtre mĂ©ditĂ©e par tous ceux (hommes et femmes) qui refusent la forme spĂ©cifique de sujĂ©tion quotidienne et de censure potentielle que reprĂ©sente la monnaie administrĂ©e et centralisĂ©e : « N'oubliez jamais qu'il suffira d'une crise politique, Ă©conomique ou religieuse pour que les droits des femmes soient remis en question. Ces droits ne sont jamais acquis. Vous devrez rester vigilantes votre vie durant. »

Ce que les femmes nous rappellent, c'est que nos droits ne sont jamais acquis. Une autre figure « féministe », Léon Blum, était également un grand inquiet sur le chapitre de la pérennité de nos libertés. Comme la grenouille dans l'eau qui chauffe, nous nous endormons bercés par les discours sur nos valeurs républicaines, notre civilisation et notre état de droit. Nolite te auctoritates...

Blum

Pour aller plus loin, sur le mock latin de Margaret Atwood :

mĂȘme pas latiniste

  • voir ici en anglais l'histoire de cette Ă©trange formule, avec une interview d'un universitaire de Cornell University par Vanity Fair...
  • et lĂ  en français un article de haute linguistique d'une universitaire lilloise !
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