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Before yesterdayComprendre la cryptomonnaie

Flipstarter, le financement participatif pour Bitcoin Cash

April 24th 2020 at 10:00

Flipstarter est une plateforme dĂ©centralisĂ©e de financement participatif dĂ©diĂ©e Ă  l’écosystĂšme de la cryptomonnaie Bitcoin Cash (BCH). CrĂ©Ă©e en rĂ©ponse Ă  la trĂšs controversĂ©e proposition de redirection d’une partie du revenu du minage ayant pour but de payer les dĂ©veloppeurs, la plateforme se veut ĂȘtre une alternative transparente et volontaire permettant aux dĂ©tenteurs de BCH les plus fortunĂ©s de coopĂ©rer pour soutenir Ă©conomiquement l’évolution de la cryptomonnaie. L’objectif actuel de Flipstarter est d’apporter des fonds aux Ă©quipes en charge du dĂ©veloppement du protocole pour l’annĂ©e qui vient.

 

Pourquoi Flipstarter ?

Le 22 janvier dernier, Jiang Zhuoer, le PDG de la coopĂ©rative miniĂšre chinoise BTC.TOP, a annoncĂ© la mise en place d’un « plan de financement de l’infrastructure pour Bitcoin Cash » prĂ©voyant une redirection de 12,5 % de la rĂ©compense de bloc de Bitcoin Cash vers les Ă©quipes de dĂ©veloppement des implĂ©mentations logicielles. Cet Infrastructure Funding Plan (IFP) Ă©tait soutenu par certaines des plus grandes coopĂ©ratives de minage de bitcoins, Ă  savoir Antpool, BTC.com, ViaBTC et, semblait-il, Bitcoin.com. Il devait ĂȘtre mis en place par le biais d’un soft fork appliquĂ© par les mineurs qui invaliderait tout bloc refusant cette mesure, Ă  la maniĂšre d’une attaque des 51 %. Ce caractĂšre obligatoire aurait permis d’aller Ă  l’encontre du problĂšme du passager clandestin, c’est-Ă -dire de la situation oĂč seules quelques coopĂ©ratives miniĂšres se chargent de financer l’écosystĂšme tandis que les autres sont des « passagers clandestins » qui profitent des bĂ©nĂ©fices apportĂ©s sans y contribuer.

Lors de sa publication, l’idĂ©e a en apparence recueilli l’approbation de beaucoup de dĂ©veloppeurs, dont Amaury SĂ©chet, le dĂ©veloppeur en chef de Bitcoin ABC. Celle-ci constituait aprĂšs tout un modĂšle de trĂ©sorerie comme on peut le retrouver dans d’autres protocoles comme Dash et Zcash, et rĂ©solvait le problĂšme de financement du dĂ©veloppement des implĂ©mentations qui sont des logiciels libres que chacun peut utiliser Ă  sa guise et dont on ne peut pas en faire une exploitation commerciale classique.

Cependant, une vive opposition s’est rapidement dĂ©veloppĂ©e au sein de la communautĂ© de Bitcoin Cash et beaucoup de personnes qui soutenaient initialement l’IFP ont changĂ© d’avis. Le plan constituait en effet un profond changement des incitations Ă©conomiques de Bitcoin Cash et ouvrait une boĂźte de Pandore en inscrivant un arbitraire dangereux dans le protocole, ce qui remettait en cause une partie des bases culturelles de la communautĂ©. L’opposition a donc Ă©tĂ© extrĂȘmement virulente et l’IFP, parfois qualifiĂ©e de « taxe sur le minage », a fait l’objet de dĂ©bats enflammĂ©s Ă  propos de ce qu’est Bitcoin Cash et de ce qu’on peut modifier ou non. L’organisation Bitcoin Unlimited s’est opposĂ©e en bloc, en s’engageant Ă  procĂ©der Ă  un hard fork si l’IFP Ă©tait activĂ©. De son cĂŽtĂ©, Bitcoin.com est revenu sur son soutien et Roger Ver a dĂ©clarĂ© qu’il n’avait jamais explicitement donnĂ© son accord en premier lieu.

En dĂ©pit de la nature controversĂ©e de ce plan, Bitcoin ABC a persistĂ© dans son choix le 15 fĂ©vrier et l’a implĂ©mentĂ© dans son code de sorte Ă  ce qu’il soit activĂ© par le signalement des mineurs, Ă  la maniĂšre du BIP9. Ce refus d’écouter une partie de la communautĂ© a conduit Ă  la crĂ©ation d’une implĂ©mentation concurrente, Bitcoin Cash Node (BCHN), ayant repris le code source de Bitcoin ABC et en ayant ĂŽtĂ© les changements relatifs Ă  l’IFP. BCHN est une implĂ©mentation de nƓud adaptĂ©e pour les mineurs et gĂ©rĂ©e par un groupe de dĂ©veloppeurs ayant fait leurs preuves. Son dĂ©veloppeur en chef est freetrader, la personne qui avait participĂ© Ă  la crĂ©ation de Bitcoin Cash avec Amaury SĂ©chet en 2017.

 

Logo Bitcoin Cash Node BCHN

 

DĂšs le dĂ©but de ce mouvement d’opposition, une proposition de financement alternatif a Ă©mergĂ©. Le 26 janvier, le dĂ©veloppeur anonyme imaginary_username publiait un article dans lequel il expliquait qu’entre le modĂšle de l’investissement par le capital-risque (tel qu’il est rĂ©alisĂ© pour Bitcoin-BTC par exemple) et celui de la trĂ©sorerie interne (comme pour Dash ou Zcash), il en existait un troisiĂšme : le financement participatif. Il mettait notamment en avant le fait que les dĂ©tenteurs de BCH les plus fortunĂ©s avaient tout intĂ©rĂȘt Ă  investir dans l’infrastructure, puisque celle-ci participait au succĂšs Ă©conomique de Bitcoin Cash. Cet article a eu un certain succĂšs dans la communautĂ© et a rĂ©ussi Ă  recueillir plus de 1000 $ de pourboires en bitcoins cash. Mais surtout, il a inspirĂ© ce qui allait devenir Flipstarter.

Flipstarter tire donc son origine de la protestation contre la proposition de financement par redirection du revenu du minage. La plateforme a Ă©tĂ© dĂ©veloppĂ©e par John Nieri et son Ă©quipe1 en seulement deux mois. AprĂšs une campagne fructueuse pour EatBCH, elle hĂ©berge aujourd’hui diffĂ©rentes campagnes de financement visant Ă  rĂ©colter un total de 700 000 dollars pour les diffĂ©rentes implĂ©mentations logicielles de Bitcoin Cash.

 

Une résurrection de Lighthouse, le projet de Mike Hearn

Flipstarter est donc une plateforme de financement participatif dĂ©diĂ©e Ă  l’écosystĂšme de Bitcoin Cash. Plus que cela : il s’agit d’une plateforme qui fonctionne sur la blockchain de Bitcoin Cash, et qui utilise l’aspect programmable des transactions pour faire en sorte que le financement participatif ne repose pas sur un tiers de confiance. Flipstarter est donc une application dĂ©centralisĂ©e (ou du moins partiellement dĂ©centralisĂ©e) et se distingue de cette maniĂšre des plateformes de crowdfunding centralisĂ©es comme Kickstarter, Indiegogo ou Ulule.

Cependant, l’idĂ©e du financement participatif dĂ©centralisĂ© n’est pas une idĂ©e nouvelle et existe en rĂ©alitĂ© depuis les dĂ©buts de Bitcoin. Et Flipstarter n’est qu’une rĂ©surrection de Lighthouse, un logiciel gĂ©rĂ© par le dĂ©veloppeur Mike Hearn en 2015.

 

Mike Hearn 2015
Mike Hearn en 2015.

 

Mike Hearn Ă©tait un dĂ©veloppeur pour Bitcoin entre 2010 et 2016. Il est connu pour avoir implĂ©mentĂ© le protocole Bitcoin en Java sous la forme de la bibliothĂšque bitcoinj, participĂ© Ă  la crĂ©ation et Ă  l’évolution des portefeuilles lĂ©gers et aidĂ© Ă  la conception du protocole de paiement BIP70.

Ayant dĂ©couvert Bitcoin au printemps 2009 et ayant interagi par courriel avec Satoshi Nakamoto, il s’est trĂšs rapidement intĂ©ressĂ© aux capacitĂ©s de dĂ©veloppement de contrats autonomes (smart contracts) sur Bitcoin. C’est donc tout naturellement que la possibilitĂ© de Bitcoin de gĂ©rer le financement participatif par des contrats de garantie (assurance contract) lui est apparu comme une chose essentielle Ă  dĂ©velopper. DĂšs 2011, Mike Hearn Ă©crivait ainsi sur la page des contrats de Bitcoin Wiki :

Un contrat de garantie est une maniĂšre de financer la crĂ©ation d’un bien public, c’est-Ă -dire d’un bien qui, une fois crĂ©Ă©, bĂ©nĂ©ficie Ă  tous gratuitement. L’exemple typique est celui d’un phare : bien que tout le monde puisse ĂȘtre d’accord sur le fait qu’il doit ĂȘtre construit, c’est bien trop cher pour justifier qu’un marin individuel en construise un, Ă©tant donnĂ© qu’il bĂ©nĂ©ficiera Ă  tous ses concurrents. Une solution est que tout le monde promette de payer pour la crĂ©ation du bien public, de sorte Ă  ce que les promesses soient appliquĂ©es seulement si la valeur totale des promesses dĂ©passe le coĂ»t de crĂ©ation. Si le nombre de personnes qui contribuent n’est pas assez Ă©levĂ©, personne ne doit payer quoi que ce soit.

 

Logo Lighthouse Bitcoin

 

Son idĂ©e a marinĂ© pendant quelques annĂ©es, puis, en 2014, Mike Hearn a tentĂ© de la mettre en application. Lighthouse (nommĂ© en rĂ©fĂ©rence Ă  l’exemple typique du phare) a Ă©tĂ© ainsi annoncĂ© le 17 mai 2014 lors de la confĂ©rence Bitcoin 2014 Ă  Amsterdam. Son but affichĂ© Ă©tait de remplacer la Fondation Bitcoin, qui finançait Ă  l’époque l’essentiel du dĂ©veloppement de l’écosystĂšme, mais qui Ă©tait critiquĂ©e en raison de son organisation hierarchique et de son opacitĂ©. Lighthouse reprĂ©sentait donc un moyen plus dĂ©centralisĂ© et transparent de soutenir les diffĂ©rents projets relatifs Ă  Bitcoin.

Mike Hearn a formĂ© une entreprise, appelĂ©e Vinumeris, avec laquelle il a organisĂ© le dĂ©veloppement du logiciel Lighthouse. Une version alpha a Ă©tĂ© dĂ©voilĂ©e au public en septembre 2014, mais il a fallu attendre le 20 janvier 2015 pour la sortie d’une version bĂȘta complĂštement fonctionnelle.

 

Logo Vinumeris
Logo de Vinumeris, l’entreprise en charge du dĂ©veloppement de Lighthouse. Vinumeris est le diminutif de « vires in numeris ».

 

La plateforme Lighthouse a suscitĂ© l’enthousiasme au sein de la communautĂ© mais n’a jamais Ă©tĂ© pleinement utilisĂ©e. Sur les campagnes qui ont eu lieu sur la plateforme, seules quelques unes sont arrivĂ©es Ă  terme, et pour cause : il fallait tĂ©lĂ©charger un logiciel pour faire une promesse et chaque campagne Ă©tait limitĂ©e Ă  674 promesses.

 

Campagne Lighthouse Bitsquare Bisq 2015
Exemple de la campagne de Bitsquare (aujourd’hui Bisq) sur Lighthouse.

 

Mais ce qui a sans doute enterrĂ© le projet, c’est le dĂ©bat sur la scalabilitĂ© qui faisait rage Ă  l’époque. Mike Hearn favorisait alors l’augmentation de la taille des blocs et s’est dĂ©tournĂ© de Lighthouse pour se focaliser sur la rĂ©alisation de cette vision. C’est ainsi qu’en aoĂ»t 2015, avec Gavin Andressen, il a crĂ©Ă© Bitcoin XT, une implĂ©mentation de Bitcoin concurrente de Bitcoin Core. NĂ©anmoins, malgrĂ© un soutien fort dans la communautĂ©, Bitcoin XT n’a pas rĂ©ussi Ă  s’imposer comme l’implĂ©mentation de rĂ©fĂ©rence, et Mike Hearn a finalement tirĂ© sa rĂ©vĂ©rence le 14 janvier 2016, interrompant par lĂ  tout rapport avec Bitcoin. Lighthouse a alors dĂ©finitivement disparu de la scĂšne2.

À la suite de cet Ă©chec, le dĂ©veloppement de Bitcoin s’est tournĂ© vers le modĂšle de financement par le capital-risque, ce qui l’a rendu plus sensible Ă  la logique du retour sur investissement, modĂšle qui n’est pas mauvais en soi, mais qui peut conduire Ă  des conflits d’intĂ©rĂȘt Ă©vidents. L’entreprise Blockstream, co-fondĂ©e fin 2014 par des dĂ©veloppeurs majeurs de Bitcoin Core, a ainsi levĂ© 55 millions de dollars en fĂ©vrier 2016 auprĂšs de sociĂ©tĂ©s d’investissement comme AXA Strategic Ventures, Digital Garage et Horizons Ventures. Elle a assumĂ© pendant longtemps la charge du financement des dĂ©veloppeurs, charge qui semble avoir aujourd’hui Ă©tĂ© reprise par Chaincode Labs.

 

Comment fonctionne Flipstarter ?

Voyons à présent comment cela fonctionne techniquement.

L’idĂ©e de base de Flipstarter est de permettre Ă  un ensemble d’investisseurs de financer un projet commun en se prĂ©munissant contre le problĂšme du passager clandestin. Chacun promet d’investir une certaine somme dans le projet Ă  condition que les autres paient aussi : si toutes les parties concernĂ©es font cette promesse, le projet est financĂ© ; sinon, le projet n’est pas financĂ© et personne ne paie. Pour faire ceci il existe une fonction native de Bitcoin qu’on appelle couramment anyone-can-pay.

Comme on le sait, dans Bitcoin Cash, les transaction sont toutes constituĂ©es d’entrĂ©es et de sorties. Sauf dans le cas de la transaction de rĂ©compense qui crĂ©e des nouveaux bitcoins cash, chaque entrĂ©e dĂ©pense la sortie d’une transaction prĂ©cĂ©dente. L’entrĂ©e est pour cela signĂ©e par le propriĂ©taire des fonds dĂ©pensĂ©s, et la signature rĂ©sultante est ensuite vĂ©rifiĂ©e par les nƓuds du rĂ©seau. Pour que la transaction soit valide, il faut que les signatures des entrĂ©es soient toutes valides.

Bien que la signature ne permette de dĂ©penser qu’une seule entrĂ©e, l’utilisateur signe gĂ©nĂ©ralement toutes les donnĂ©es de la transaction, ce qui a pour consĂ©quence d’invalider la signature produite si une partie de la transaction est modifiĂ©e. Cependant une transaction peut aussi ĂȘtre partiellement signĂ©e, et la signature ne concerne alors que des entrĂ©es et des sorties spĂ©cifiques.

Cela est fait rĂ©alisĂ© par l’intermĂ©diaire d’un champ prĂ©sent dans l’entrĂ©e de la transaction appelĂ© « type de signature » ou « type de hachage de la signature » (signature hash type), qui indique quelle partie de la transaction est hachĂ©e pour ĂȘtre ensuite soumise Ă  l’algorithme de signature3. Ce type de signature est ajoutĂ© Ă  la fois Ă  la transaction non signĂ©e (la prĂ©image) et Ă  la signature elle-mĂȘme sous la forme d’un octet. Notez que tout ceci Ă©tait prĂ©sent dĂšs la crĂ©ation de Bitcoin et que Satoshi Nakamoto avait intĂ©grĂ© ce type de signature dans le code d’origine.

Le type de signature est construit Ă  partir de plusieurs signaux de signature qu’on peut combiner (en les additionnant). Les 4 signaux de signature prĂ©sents dans Bitcoin Cash sont :

  • SIGHASH_ALL (0x01) qui indique que toutes les sorties sont signĂ©es. Il s’agit du signal de signature le plus utilisĂ© car, utilisĂ© seul, il englobe toutes les entrĂ©es et toutes les sorties de la transaction.
  • SIGHASH_SINGLE (0x03) qui permet de ne signer qu’une seule sortie.
  • SIGHASH_NONE (0x02) qui indique qu’aucune sortie n’est signĂ©e.
  • SIGHASH_ANYONECANPAY (0x80) qui permet de ne signer qu’une seule entrĂ©e.

Les trois signaux concernant les sorties peuvent ĂȘtre combinĂ©s avec SIGHASH_ANYONECANPAY, ce qui permet de former finalement 6 types de signatures diffĂ©rents. Sur Bitcoin Cash, le type de signature est toujours combinĂ© avec le modificateur SIGHASH_FORKID de valeur 0x40.

 

Type de signature SIGHASH Bitcoin Bitcoin Cash BTC BCH
Les différents types de signature dans Bitcoin et Bitcoin Cash.

 

À l’aide de ces types de signatures, il est possible de rĂ©aliser un certain nombre de choses intĂ©ressantes, dont les transactions de financement participatif de Flipstarter.

Les transactions de Flipstarter sont des transactions anyone-can-pay dont les entrĂ©es sont signĂ©es avec SIGHASH_ALL | SIGHASH_ANYONECANPAY. Chaque signature ne prend donc en compte que l’entrĂ©e concernĂ©e et les sorties de la transaction. Cela fait que la transaction n’est pas valide tant que la somme des montants en entrĂ©e n’est pas Ă©gale au montant en sortie (plus les frais de transaction). Ainsi, les contributeurs peuvent promettre de ne donner des fonds que si le montant cible est atteint.

 

Anyone-can-pay sur Bitcoin Cash

 

Tant que la campagne n’est pas terminĂ©e, l’investisseur peut Ă  tout moment annuler sa promesse en dĂ©pensant les fonds signĂ©s. Une campagne arrive Ă  son terme lorsque les montants des contributions atteignent le but : la transaction est alors diffusĂ©e sur rĂ©seau et les coins sont dĂ©finitivement dĂ©pensĂ©s.

La levĂ©e de fonds a donc lieu grĂące Ă  une seule transaction. Cela constitue un moyen simple et lĂ©ger, mais qui a ses propres limitations tant au niveau de la mise en relation des utilisateurs que du nombre de personnes pouvant participer (la taille d’une transaction standarde Ă©tant limitĂ©e Ă  100 ko).

Une premiĂšre campagne pour l’association caritative EatBCH a Ă©tĂ© rĂ©alisĂ©e en guise de premier essai. Elle a levĂ© 20 BCH (soit 3350 $) en moins d’une journĂ©e, grĂące Ă  la participation de 17 personnes. Les destinataires des fonds Ă©taient les deux branches de l’association : 7 BCH ont Ă©tĂ© envoyĂ©s Ă  EatBCH Venezuela et 13 BCH ont Ă©tĂ© reversĂ©s Ă  EatBCH South Sudan. La transaction, visible sur la chaĂźne de blocs grĂące Ă  son identifiant c0dcdd6fdf6068bb4bdf77de93217a1ba315da58234702526522bd324e61bc89, est reprĂ©sentĂ©e ci-dessous.

 

Transaction Flipstarter EatBCH 2020

 

 

Quelle destinée pour Flipstarter ?

Flipstarter a Ă©tĂ© annoncĂ© le 15 fĂ©vrier 2020, pour ĂȘtre lancĂ© le 17 avril dernier. Le systĂšme a donc Ă©tĂ© dĂ©veloppĂ© trĂšs rapidement, mais il est cependant fonctionnel : cinq campagnes ont lieu en ce moment mĂȘme pour rĂ©aliser le financement annuel des diffĂ©rentes implĂ©mentations de Bitcoin Cash. Les montants rĂ©coltĂ©s sont de 1000 BCH pour Bitcoin ABC, 978 BCH pour Bitcoin Cash Node, 360 BCH pour bchd, 241 BCH pour Bitcoin Verde et 460 BCH pour Knuth (Bitprim). Cela reprĂ©sente un total de 3039 BCH, soit 700 000 $ lors de son lancement le 17 avril.

 

Campagne Flipstarter Bitcoin Cash Node BCHN 23 avril
La campagne de Bitcoin Cash Node (BCHN) qui, au 23 avril 2020, avait recueilli 285,80 BCH.

 

La plateforme est pour le moment trĂšs minimaliste et l’expĂ©rience utilisateur est loin d’ĂȘtre optimale. Le mĂ©cĂšne doit ainsi interagir avec le site web Ă  l’aide d’un plugin sur le portefeuille Electron Cash en copiant collant du texte de l’un Ă  l’autre et vice versa. De plus, les portefeuilles matĂ©riels comme le Ledger Nano X ne peuvent pas ĂȘtre utilisĂ©s, puisque ceux-ci ne peuvent pas signer une transaction en anyone-can-pay. Enfin, comme on l’a dit, les limites internes du protocole font qu’une campagne ne peut pas rĂ©unir plus de 670 contributeurs : il existe par consĂ©quent un montant minimal Ă  promettre, ce qui empĂȘche les petits donateurs de participer. Pour remĂ©dier Ă  tout ceci, les dĂ©veloppeurs de Flipstarter travaillent sur des contrats autonomes plus complexes utilisant le systĂšme de script de Bitcoin Cash.

Flipstarter est donc un moyen fonctionnel mais imparfait pour lever des fonds et il est lĂ©gitime de se demander si ce modĂšle rĂ©ussira Ă  s’imposer ou si, comme pour Lighthouse, il tombera dans l’oubli et l’indiffĂ©rence. Heureusement, la communautĂ© de Bitcoin Cash n’est pas la derniĂšre Ă  s’investir, comme le prouve la derniĂšre levĂ©e de fonds pour l’audit et le dĂ©veloppement de CashFusion qui a rĂ©coltĂ© 100 000 dollars dĂ©but avril. De cette maniĂšre, il n’est pas impossible que ce type de financement devienne la nouvelle norme pour le financement du dĂ©veloppement de Bitcoin Cash. De plus, ce modĂšle fonctionne pour d’autres systĂšmes de cryptomonnaie, Ă  l’instar de Monero dont le dĂ©veloppement est financĂ© par des donations volontaires sans contrepartie.

De plus, si cela rĂ©ussit, le modĂšle de Flipstarter pourrait se populariser et devenir une maniĂšre commode de lever des fonds pour un projet spĂ©cifique n’ayant aucun lien avec le dĂ©veloppement logiciel. Dans le milieu des protocoles crypto-Ă©conomiques, il existe en effet une multitude de projets d’utilitĂ© commune qui ne demandent qu’à ĂȘtre financĂ©s mais qui ne peuvent pas faire ceci par le biais d’un financement par capital-risque ou d’une ICO : je pense notamment Ă  l’adoption commerciale de la cryptomonnaies en gĂ©nĂ©ral. Au-delĂ  de notre microcosme, ce type de financement pourrait, dans un futur plus lointain, s’étendre Ă  des projets d’infrastructures communes comme les logiciels libres, les routes publiques ou les fĂȘtes communales, et rĂ©soudre ainsi un certain nombre de problĂšmes qui sont actuellement rĂ©solus par la force lĂ©gale.

Toutefois, pour que ceci rĂ©ussisse il faut mener Ă  bien les premiĂšres Ă©tapes. Si vous apprĂ©ciez Bitcoin Cash et que vous pouvez vous le permettre financiĂšrement, envisagez donc d’utiliser Flipstarter pour donner Ă  Bitcoin ABC, Ă  BCHN ou Ă  une autre implĂ©mentation. Pour savoir comment procĂ©der, il existe ce tutoriel (en anglais) qui explique tout pas Ă  pas. Il y a Ă©galement la vidĂ©o suivante, rĂ©alisĂ©e par John Moriarty.

 

 

La destinĂ©e de Flipstarter repose donc sur le comportement des dĂ©tenteurs de bitcoins cash : feront-ils l’effort de participer, de se joindre Ă  l’effort commun, ou ignoreront-ils la possibilitĂ©, pourtant tout Ă  fait rationnelle, de financer l’infrastracture logicielle de la cryptomonnaie ? L’avenir nous le dira.

 


Notes

1. ↑ Les principaux contributeurs au projet Flipstarter sont John Nieri (emergent_reasons), Jonathan Silverblood, Dagur, Sploit et Leandro Di Marco. L’idĂ©e originale provient de imaginary_username, qui a Ă©galement contribuĂ© en rĂ©alisant des traductions.

2. ↑ Une tentative de reprise de Lighthouse sur Bitcoin Cash avait dĂ©jĂ  eu lieu bien avant Flipstarter Ă  travers Lighthouse.cash. Cependant, le projet a migrĂ© vers Bitcoin SV en novembre 2018 et semble avoir Ă©tĂ© abandonnĂ© depuis longtemps.

3. ↑ Pour connaĂźtre tous les dĂ©tails sur ce sujet, vous pouvez lire mon article Comment envoyer une transaction Bitcoin Ă  la main ?


Sources

Andreas M. Antonopoulos, Mastering Bitcoin: Programming the Open Blockchain, chapitre 6.
Mike Hearn, Contract page on Bitcoin Wiki.
Arianna Simpson, Game Theory, Assurance Contracts, and Crowdfunding with Bitcoin, 28 avril 2014.
Lighthouse FAQ
Mike Hearn, The resolution of the Bitcoin experiment, 14 janvier 2016.
imaginary_username, Assessment and proposal re: the Bitcoin Cash infrastructure funding situation (traduction : Évaluation et proposition en rĂ©ponse Ă  la situation financiĂšre de Bitcoin Cash), 26 janvier 2020.
Introducing Flipstarter, 15 février 2020.

Pourquoi j’aime Bitcoin Cash

February 8th 2020 at 09:00

J’ai dĂ©couvert Bitcoin lors de l’annĂ©e 2013, et ce serait mentir de dire que cela n’a pas changĂ© ma vie. Ma comprĂ©hension de ce systĂšme complexe a Ă©tĂ© longue et ardue, douloureuse parfois, mais surtout incroyablement enrichissante. Avec l’existence de Bitcoin, j’ai su qu’il Ă©tait possible de construire un avenir meilleur et que le lent glissement de l’humanitĂ© dans la servitude n’était pas une fatalitĂ©. En donnant Ă  chacun un accĂšs facile Ă  la propriĂ©tĂ© de son argent, la cryptomonnaie offrait ce que des dĂ©cennies de disputes politiques n’avaient pas pu donner : la possibilitĂ© d’une libertĂ© monĂ©taire.

Au cours de l’étĂ© 2017, un nouveau Bitcoin est apparu : Bitcoin Cash. NommĂ© comme ceci pour insister sur son rĂŽle d’argent liquide, il s’agissait d’une branche de Bitcoin qui en reprenait le fonctionnement de base mais qui en augmentait la capacitĂ© transactionnelle. Cette arrivĂ©e sur le marchĂ© a attirĂ© mon attention : je possĂ©dais des bitcoins (BTC) Ă  l’époque et me suis retrouvĂ© de facto propriĂ©taire du mĂȘme montant de bitcoins cash (BCH). Puisque je m’intĂ©ressais alors dĂ©jĂ  aux cryptomonnaies alternatives, je ne trouvais pas surprenant que certaines personnes veuillent crĂ©er un nouveau systĂšme qui ne subissait pas les congestions rĂ©guliĂšres rencontrĂ©es Ă  cette Ă©poque par Bitcoin. Cependant, j’étais persuadĂ© Ă  l’époque qu’un accroissement significatif de la capacitĂ© transactionnelle de Bitcoin aurait Ă©galement lieu, que ses problĂšmes de scalabilitĂ© disparaĂźtraient, et j’en dĂ©duisais que Bitcoin Cash n’avait donc pas beaucoup d’intĂ©rĂȘt. Ce n’est qu’aprĂšs l’annulation de SegWit2X en novembre 2017, et le refus catĂ©gorique de la communautĂ© de Bitcoin de procĂ©der Ă  cette augmentation, que j’ai saisi toute la pertinence de ce projet.

DĂšs sa crĂ©ation, Bitcoin Cash a suscitĂ© la polĂ©mique au sein du monde de la cryptomonnaie. Puisqu’il partageait avec son grand frĂšre le mĂȘme fonctionnement, le mĂȘme historique de transactions et les mĂȘmes codes culturels (dont le nom « Bitcoin »), certains voyaient dans l’apparition de cette cryptomonnaie une tentative de remplacer Bitcoin. Parfois appelĂ© « Bcash » par ses dĂ©tracteurs, Bitcoin Cash reprĂ©sentait pour eux une imposture, une attaque contre « le vrai Bitcoin ».

Aujourd’hui encore, Bitcoin Cash fait l’objet de dĂ©bats passionnĂ©s et divise les crypto-enthousiastes. Dans la communautĂ© francophone en particulier, il est ignorĂ©, mĂ©prisĂ© et considĂ©rĂ© par beaucoup comme un Ă©niĂšme protocole de cryptomonnaie n’ayant pas beaucoup d’utilitĂ©, ou pire, comme une arnaque. De fait, de nombreuses personnes ne comprennent pas pourquoi j’apprĂ©cie Bitcoin Cash, et c’est ce je vais tenter d’expliquer dans ce long article.

 

Qu’est-ce que Bitcoin Cash ?

Tout comme Bitcoin, Bitcoin Cash est un protocole de transfert de valeur numĂ©rique sur Internet. Il est tout Ă  fait ouvert et ne nĂ©cessite aucune permission, de telle sorte qu’il permet thĂ©oriquement Ă  quiconque d’envoyer des fonds Ă  une autre personne, Ă  n’importe quel endroit et Ă  n’importe quel moment, de maniĂšre simple, fiable, rapide et peu coĂ»teuse. Cela se fait par le biais d’une unitĂ© de compte propre, appelĂ©e le bitcoin cash et dont le sigle boursier est BCH.

Le fonctionnement de Bitcoin Cash est sensiblement la mĂȘme que celui de Bitcoin. Il se base sur un rĂ©seau pair-Ă -pair sur lequel est partagĂ© un grand registre public oĂč sont enregistrĂ©es toutes les transactions depuis le 3 janvier 2009, registre qu’on appelle communĂ©ment « chaĂźne de blocs » ou « blockchain ». La viabilitĂ© du systĂšme est assurĂ©e par la dĂ©pense Ă©nergĂ©tique des mineurs, qui sont rĂ©compensĂ©s pour cela par la crĂ©ation monĂ©taire de nouveaux BCH et par les frais payĂ©s par les transactions traitĂ©es : il s’agit donc essentiellement d’un systĂšme Ă©conomique qui repose sur la recherche du profit de ces mineurs.

Du cĂŽtĂ© des idĂ©es, la communautĂ© de Bitcoin Cash possĂšde Ă  peu prĂšs les mĂȘmes fondements idĂ©ologiques que celle de Bitcoin. Tout d’abord, on retrouve une mĂȘme conviction libĂ©rale parmi les membres de la communautĂ©, notamment par la volontĂ© de rĂ©duire l’intervention des États dans la vie des individus, et par la dĂ©fense de la libertĂ© monĂ©taire dĂ©crite par l’école autrichienne d’économie. Cette conviction fait que la politique monĂ©taire du bitcoin cash reste, tout comme celle du bitcoin, dĂ©flationniste : la crĂ©ation monĂ©taire est rĂ©duite de moitiĂ© tous les 4 ans (« halvings ») de telle sorte qu’il ne devrait (a priori) jamais exister plus de 21 millions de BCH. Ensuite, la communautĂ© de Bitcoin est trĂšs attachĂ©e Ă  la libertĂ© d’expression (bien comprise) et aux valeurs libristes vĂ©hiculĂ©es par le logiciel libre , notammment par son opposition aux brevets. Enfin, Ă  l’instar de Bitcoin, le camp Bitcoin Cash met Ă  l’honneur les mĂ©thodes d’action crypto-anarchistes et agoristes comme des moyens permettant aux individus de protĂ©ger leur libertĂ© et leur confidentialitĂ©, choses qui sont aujourd’hui de plus en plus remises en cause par nos dirigeants.

Cependant, malgrĂ© tous ces points communs, les communautĂ©s de Bitcoin et de Bitcoin Cash ont leurs dĂ©saccords qui font que nous avons deux cryptomonnaies rivales. En effet, la cause de la divergence entre les deux communautĂ©s ne se situe pas au niveau de l’idĂ©al poursuivi, et il faut chercher ailleurs pour comprendre ce qui les sĂ©pare.

 

Pourquoi est-il apparu ?

La crĂ©ation de Bitcoin Cash est issue de ce qu’on appelle un embranchement de la chaĂźne de blocs de Bitcoin. Le 1er aoĂ»t 2017, la chaĂźne de blocs de Bitcoin s’est sĂ©parĂ©e en deux chaĂźnes distinctes, chacune Ă©tant partagĂ© sur son rĂ©seau de nƓuds propre : celle de Bitcoin (BTC), la chaĂźne majoritaire en terme de puissance de calcul, et celle de Bitcoin Cash, la chaĂźne minoritaire. Bitcoin Cash intĂ©grait notamment une « taille limite des blocs » de 8 Mo, ce qui le rendait incompatible avec Bitcoin.

 

Bitcoin Cash hard fork embranchement bloc 478559
L’embranchement de la chaĂźne de Bitcoin crĂ©ant deux chaĂźnes distinctes : Bitcoin (BTC) et Bitcoin Cash (BCH)

 

Pourquoi procĂ©der Ă  une telle mesure ? À cette Ă©poque, la communautĂ© Ă©tait rongĂ©e de l’intĂ©rieur par un dĂ©bat virulent sur la maniĂšre dont Bitcoin devait passer Ă  l’échelle, dĂ©bat appelĂ© par la suite le dĂ©bat sur la scalabilitĂ© de Bitcoin. La capacitĂ© transactionnelle de la chaĂźne Ă©tait alors restreinte par une taille limite des blocs de 1 Mo fixĂ©e arbitrairement par le protocole. Jusqu’en 2016, cela n’avait pas posĂ© problĂšme puisque la nombre de transaction Ă©tait suffisamment faible pour ne pas trop impacter le fonctionnement de Bitcoin. Mais en 2017, les blocs se sont mis Ă  atteindre rĂ©guliĂšrement cette taille limite, ce qui avait pour consĂ©quence fĂącheuses de rĂ©duire la facilitĂ© d’utilisation de Bitcoin. Par effet d’enchĂšre, les frais pour voir sa transaction ĂȘtre confirmĂ©e (c’est-Ă -dire ĂȘtre incluse dans un bloc) devenaient non nĂ©gligeables : pendant une pĂ©riode de congestion, un individu avait le choix entre payer le prix (souvent quelques euros), ou ne pas le faire et attendre un certain temps (parfois des jours). Ainsi, le bitcoin ne pouvait plus servir correctement d’intermĂ©diaire d’échange.

Deux visions s’opposaient quant Ă  la maniĂšre dont il fallait rĂ©soudre ce problĂšme :

  • L’une considĂ©rait que la capacitĂ© de Bitcoin devait rester limitĂ©e, et que le protocole de base devait devenir principalement un protocole de rĂšglement de litiges (settlement layer) servant de base Ă  des protocoles de surcouche comme le rĂ©seau Lightning (« LNP/BP ») ou les chaĂźnes latĂ©rales. D’aprĂšs ce point de vue, les blocs devaient rester petits pour garantir une dĂ©centralisation maximale du rĂ©seau, ce qui aurait pour consĂ©quence d’amener les frais moyens Ă  augmenter drastiquement en cas de popularisation du bitcoin. Il s’agit aujourd’hui de la vision de Bitcoin (BTC), ce qui explique son intĂ©gration de SegWit (qui facilite de dĂ©ploiement de Lightning) et de Replace-by-Fee (RBF).
  • L’autre vision considĂ©rait que Bitcoin devait principalement rester un protocole de paiement (payment layer) tel qu’il l’avait toujours Ă©tĂ© jusque lĂ , et passer Ă  l’échelle par l’augmentation progressive de la taille limite des blocs. Selon cette perspective, le protocole devait ĂȘtre modifiĂ© et optimisĂ© pour s’adapter Ă  la demande, il fallait que les frais restent faibles et que les transactions puissent ĂȘtre rapidement acceptĂ©es. Il s’agit actuellement de la vision de Bitcoin Cash (BCH), ce qui explique son refus d’implĂ©menter SegWit (qui n’est pas optimisĂ©e pour les gros blocs) et d’autoriser RBF (qui dĂ©truit partiellement la confiance qu’on peut avoir dans les transactions non confirmĂ©es).

On dĂ©note une tentative de compromis qui comportait l’activation de SegWit couplĂ©e au doublement de la taille limite des blocs, tentative qu’on a par la suite nommĂ©e « SegWit2X ». Cette proposition a, Ă  deux reprises, fait l’objet d’un accord signĂ© par des acteurs majeurs de l’industrie : le premier Ă©tait l’accord de Hong Kong du 20 juin 2016, qui a notamment Ă©tĂ© signĂ© par les principaux dĂ©veloppeurs de Bitcoin Core ; le second Ă©tait le dĂ©sormais cĂ©lĂšbre accord de New York qui s’est fait en l’absence de Bitcoin Core le 23 mai 2017. La mise Ă  niveau SegWit a finalement Ă©tĂ© activĂ©e sur Bitcoin le 24 aoĂ»t 2017, mais la deuxiĂšme partie du compromis (2X) ne s’est jamais rĂ©alisĂ©e.

Bitcoin Cash constituait donc, et l’histoire lui a donnĂ© raison, un plan de secours. En effet, au cours du printemps 2017, la pression pour activer SegWit Ă©tait forte : outre l’accord de New York, une mesure appelĂ©e User Activated Soft Fork (UASF) Ă©tait soutenue par une minoritĂ© d’individus et menaçait d’appliquer SegWit par le biais du BIP148, malgrĂ© le dĂ©saccord des mineurs. C’est ainsi qu’un plan alternatif est nĂ© : appelĂ© User Activated Hard Fork (UAHF), celui-ci devait s’activer le mĂȘme jour que l’UASF, le 1er aoĂ»t, pour prĂ©server une version de Bitcoin sans SegWit. L’activation de SegWit a finalement Ă©tĂ© enclenchĂ©e le 21 juillet par le signalement des mineurs suivant le BIP91, et l’UASF n’a jamais Ă©tĂ© mis en application. NĂ©anmoins, puisque tout indiquait que les dĂ©veloppeurs de Bitcoin Core refuseraient de doubler la taille limite des blocs de base, l’UAHF a lui bien eu lieu, et a conduit Ă  la crĂ©ation de Bitcoin Cash.

L’UAHF s’est fait avec le soutien des mineurs chinois qui considĂ©raient que le passage Ă  l’échelle sur la chaĂźne Ă©tait Ă©conomiquement plus profitable pour eux1. Bitmain, le constructeur d’ASIC Ă  la tĂȘte des deux coopĂ©ratives miniĂšres Antpool et BTC.com, s’est impliquĂ© directement en annonçant publiquement la mise en place de ce plan et en finançant le dĂ©veloppement de l’implĂ©mentation logicielle en charge de l’embranchement. Deux dĂ©veloppeurs, Amaury SĂ©chet et freetrader, avaient dĂ©jĂ  pour projet de conserver un protocole sans SegWit, et ont mis sur pied le logiciel dans ce but : c’est ainsi qu’est nĂ©e l’implĂ©mentation Bitcoin ABC. L’embranchement a finalement eu lieu le 1er aoĂ»t Ă  18:12 UTC grĂące Ă  l’aide de la coopĂ©rative de minage ViaBTC2 qui a minĂ© le premier bloc de Bitcoin Cash en l’espace de cinq heures.

Bitcoin Cash est donc le produit direct de la gouvernance dĂ©centralisĂ©e de Bitcoin. Les deux camps du dĂ©bat sur la scalabilitĂ© n’ont jamais pu se mettre d’accord sur la route Ă  prendre, et s’est soldĂ© par une sĂ©paration : le premier protocole, majoritaire Ă©conomiquement, a pu conserver le nom de Bitcoin ainsi que son effet de rĂ©seau ; l’autre, minoritaire, a pris le nouveau nom de Bitcoin Cash et a dĂ» se recontruire Ă  partir de lĂ .

 

Principaux forks de Bitcoin

 

 

Une culture unique

Comme beaucoup d’autres, c’est Ă  la suite de l’échec de SegWit2X, et du refus catĂ©gorique de Bitcoin Core de procĂ©der Ă  un hard fork pour augmenter significativement la taille des blocs, que je me suis rendu compte de la pertinence de Bitcoin Cash. Cependant, ce ne sont pas les caractĂ©ristiques techniques choisies qui m’ont fait aimer Bitcoin, mais l’état d’esprit de sa communautĂ©.

Comme on le sait, la valeur d’une monnaie est fondĂ©e sur la confiance que les individus lui portent, et il est par consĂ©quent tout Ă  fait naturel que la dimension culturelle (pour ne pas dire religieuse) soit importante dans le milieu des cryptomonnaies. En effet, c’est cette dimension qui donne Ă  une cryptomonnaie sa force : chaque communautĂ© possĂšde un certain nombre de croyances qui la dĂ©finit, chaque membre agit selon ces valeurs prĂ©-Ă©tablies et c’est sur cette base que va se construire l’effet de rĂ©seau et la valeur de la cryptomonnaie en question. Évidemment, Bitcoin Cash ne dĂ©roge pas Ă  la rĂšgle, et il convient donc de regarder ce qui fait de lui quelque chose d’unique.

Ce qui distingue la communautĂ© de Bitcoin Cash d’autres communautĂ©s comme celle de Bitcoin et celle d’Ethereum par exemple, c’est la force de la narration autour du paiement et de la facilitĂ© de transaction, comme il est indiquĂ© dans le livre blanc : « Bitcoin: A Peer-to-Peer Electronic Cash System ». En effet, Bitcoin Cash met Ă  l’honneur le fait que la plupart des utilisateurs n’ont ni le besoin, ni l’envie d’utiliser un nƓud complet, et que la dĂ©mocratisation de la cryptomonnaie passera par l’intermĂ©diaire des portefeuilles lĂ©gers comme BRD ou Electron Cash, qui permettent d’effectuer des paiements depuis un smartphone. À ce titre, il existe mĂȘme un service non custodial appelĂ© Cointext qui permet d’envoyer du BCH par SMS.

C’est pour cette raison que Bitcoin Cash m’est sympathique. En effet, sa culture entiĂšre est bĂątie autour de cette idĂ©e que le bitcoin a Ă©tĂ© conçu pour ĂȘtre dĂ©pensĂ© et que c’est comme cela qu’il acquiert sa valeur. Chaque membre de la communautĂ© est incitĂ© Ă  dĂ©penser ses bitcoins et Ă  les remplacer (« spend & replace ») plutĂŽt qu’à simplement les accumuler et les conserver. Chaque personne se doit de participer aux fondations de la nouvelle Ă©conomie pair-Ă -pair en utilisant Bitcoin Cash dĂšs qu’il doit payer pour quelque chose. Chacun est encouragĂ© Ă  faire des dons aux diffĂ©rents projets de la communautĂ© comme EatBCH ou CashShuffle, peu importe la valeur de son don. Et enfin, le fait d’essayer de convaincre des commerçants d’accepter la cryptomonnaie pour amorcer l’adoption est hautement valorisĂ©.

On ne peut donc que constater que la communautĂ© de Bitcoin Cash embrasse pleinement la narration du moyen, et qu’elle s’oppose en bloc Ă  la narration opposĂ©e selon laquelle le bitcoin devrait ĂȘtre une rĂ©serve de valeur avant toute chose, narration qui prend une place assez grande au sein de la communautĂ© de Bitcoin-BTC. Qu’on ne se mĂ©prenne pas : de maniĂšre gĂ©nĂ©rale, les deux communautĂ©s poursuivent l’idĂ©al d’une monnaie servant Ă  la fois de moyen de paiement et de rĂ©serve de valeur. Cependant, il existe une diffĂ©rence au niveau de quelle fonction est privilĂ©giĂ©e par rapport Ă  l’autre. Ainsi, d’un cĂŽtĂ©, la communautĂ© de Bitcoin va mettre l’accent sur l’aspect « rĂ©serve de valeur » du bitcoin, pensant que cette fonction doit ĂȘtre protĂ©gĂ©e, quitte Ă  nĂ©gliger dans un premier temps la facilitĂ© de transaction. De l’autre cĂŽtĂ©, la communautĂ© de Bitcoin Cash va insister sur le rĂŽle d’intermĂ©diaire d’échange, prĂ©sumant que cette fonction est primordiale, quitte Ă  nĂ©gliger dans un premier temps la stabilitĂ© du protocole et sa rĂ©sistance Ă  la censure. La diffĂ©rence est subtile mais explique bien les mĂ©thodes de scalabilitĂ© choisies par les deux camps.

Bitcoin Cash est donc l’archĂ©type du progressisme et de la prise de risque : au lieu de s’enfermer dans une fausse sĂ©curitĂ©, il cherche Ă  s’adapter au mieux Ă  la potentielle demande du grand public, notamment en intĂ©grant les innovations produites par l’écosystĂšme. C’est dans ce but qu’ont lieu tous les six mois des mises Ă  niveau planifiĂ©es du protocole, mĂȘme si les modifications apportĂ©es sont accessoires : il faut habituer l’écosystĂšme au changement et le rythme, bien qu’il soit agressif, a le mĂ©rite d’ĂȘtre rĂ©gulier.

Un autre aspect culturel important dans la communautĂ© est le sentiment que Bitcoin Cash est la continuation du projet originel entrepris par Satoshi Nakamoto, qui estimait effectivement que le passage Ă  l’échelle devait se faire sur la chaĂźne, par l’augmentation progressive de la taille des blocs3. C’est de lĂ  qu’est nĂ© le culte de la « vision de Satoshi », qui a menĂ© plus tard Ă  la crĂ©ation de Bitcoin SV, une version de Bitcoin suivant Ă  la lettre une certaine interprĂ©tation des paroles de Satoshi. Cependant, quand bien mĂȘme Bitcoin Cash suivrait globalement la volontĂ© du crĂ©ateur, cet Ă©lĂ©ment sert trop souvent d’argument d’autoritĂ© : quelque chose n’est pas vrai juste parce que Satoshi l’a dĂ©clarĂ©, bien que ses Ă©crits soit remplis de sagesse. Du reste, il faut remarquer sur Bitcoin Cash s’est lui aussi Ă©loignĂ© de cette supposĂ©e vision, par exemple par la protection contre la rĂ©organisation profonde ou les implĂ©mentations multiples.

De cette impression de continuation dĂ©coule aussi un ressentiment envers Bitcoin Core, qui a sciemment modifiĂ© le concept initial de Bitcoin pour en faire un protocole de rĂšglement de litiges, sur lequel se baseraient diverses surcouches comme le rĂ©seau Lightning. Ce ressentiment se nourrit notamment de la campagne de censure massive sur le subreddit r/Bitcoin et sur Bitcointalk qui a accompagnĂ© ce changement de direction et qui continue d’ĂȘtrĂ© Ă©voquĂ©e aujourd’hui comme l’une des raisons de l’impopularitĂ© de l’augmentation de la taille des blocs. Certains membres de la communautĂ© vont mĂȘme jusqu’à considĂ©rer comme plausible la thĂ©orie du complot selon laquelle l’entreprise Blockstream aurait recrutĂ© les principaux dĂ©veloppeurs de Bitcoin Core dans le but de dĂ©truire l’utilitĂ© de la chaĂźne (« Block the stream! ») et d’entraver l’adoption de Bitcoin, et que les agences gouvernementales ne seraient pas Ă©trangĂšres Ă  cette instrumentation. Bien qu’il soit logique d’imaginer que les gouvernements contrĂŽlent des agents infiltrĂ©s dans Bitcoin, cette thĂ©orie me semble hautement exagĂ©rĂ©e. Je pense Ă©galement que la communautĂ© de Bitcoin Cash gagnerait beaucoup Ă  ne plus ressasser continuellement la frustration de s’ĂȘtre fait voler le titre de « vrai Bitcoin ». Elle est en effet bien plus accueillante quand elle met simplement en valeur Ă  quoi sert Bitcoin Cash et pourquoi il a toute sa pertinence.

 

Les forces de Bitcoin Cash


Ainsi, Bitcoin Cash possĂšde une culture unique, et il tire des forces Ă©videntes de cette culture. Comme Bitcoin, Bitcoin Cash vise Ă  ĂȘtre une monnaie numĂ©rique rĂ©sistante Ă  la censure et Ă  l’inflation, bien que les moyens pour arriver ne soient pas les mĂȘmes. Mais contrairement Ă  Bitcoin, Bitcoin Cash n’est pas figĂ©, ossifiĂ© comme l’est Bitcoin, et peut donc s’amĂ©liorer et intĂ©grer de nouvelles fonctionnalitĂ©s. Bitcoin Cash n’a pas vocation Ă  changer sans cesse pour l’éternitĂ©, mais c’est l’objectif sur le moyen terme.

Afin d’éviter les revirements trop brutaux, les dĂ©veloppeurs de Bitcoin Cash ont mis au point une feuille de route claire incluant les Ă©volutions prĂ©vues. Celle-ci permet Ă  tout le monde de savoir Ă  quoi s’en tenir dans les grandes lignes. La voici :

 

Feuille de route de Bitcoin Cash 2020

 

Parmi les améliorations du protocole qui ont déjà été réalisées, on retrouve :

  • Un nouveau format d’adresse (CashAddr) pour faire la diffĂ©rence entre les adresse de BTC et celles de BCH.
  • Une augmentation de la taille des donnĂ©es incriptibles par OP_RETURN, ce qui permet l’écriture de messages arbitraires sur le chaĂźne et l’émergence de rĂ©seaux sociaux rĂ©putĂ©s incensurables comme Memo.
  • Une extensibilitĂ© des contrats autonomes grĂące Ă  des codes opĂ©ration supplĂ©mentaires, dont OP_CHECKDATASIG qui rend possible les oracles et les engagements (covenants) sur les donnĂ©es en jeu.
  • Les signatures de Schnorr copiĂ©es sur les signatures dĂ©veloppĂ©es sur BTC. Il n’est pas impossible que Taproot soit aussi implĂ©mentĂ© Ă  l’avenir.
  • Un ordre canonique des transactions (CTOR) au sein des blocs, amĂ©liorant la scalabilitĂ© sur le long terme.

Mais le progrĂšs ne s’arrĂȘte pas lĂ  et de nombreuses Ă©volutions sont planifiĂ©es :

  • L’intĂ©gration d’Avalanche en tant qu’algorithme de prĂ©-consensus qui apporterait une confirmation quasi-instantanĂ©e des transactions. Avalanche pourrait aussi ĂȘtre utilisĂ© en post-consensus contre les attaques des 51 %.
  • Un nouveau format de transaction, dont le meilleur candidat est pour l’instant Mitra. Ce format de transaction permettrait Ă  Bitcoin Cash d’approcher la programmabilitĂ© d’Ethereum et rendrait possible le fonctionnement d’organisations autonomes dĂ©centralisĂ©es (DAO) par exemple.
  • L’implĂ©mentation de satoshis divisibles, permettant de conserver la prĂ©cision de l’unitĂ© de compte malgrĂ© la hausse de la valeur.
  • Un meilleur protocole de transmission des blocs tel que Graphene ou Xthinner.
  • D’autres amĂ©liorations pour le passage Ă  l’échelle comme les arbres Merklix et l’engagement des UTXO.

Pour intĂ©grer toutes ces fonctionnalitĂ©s, Bitcoin Cash se repose sur des modifications non rĂ©trocompatibles du protocole, aussi connues sous le nom de hard forks. Cela veut dire qu’à chaque mise Ă  niveau, les nƓuds n’ayant pas modifiĂ© leur logiciel en consĂ©quence se voient exclus du rĂ©seau, ce qui est un point nĂ©gatif. NĂ©anmoins, cette mĂ©thode de mise Ă  niveau permet de garder les choses simples au sein du protocole : en effet, contrairement au soft fork (rĂ©trocompatible) qui ajoute de la complexitĂ©, le hard fork permet d’instaurer un changement de la maniĂšre la plus directe possible. Ainsi, la dette technique est maintenue plutĂŽt basse par rapport Ă  quelque chose comme SegWit par exemple, ce qui est crucial dans le cas d’un systĂšme Ă©conomique gĂ©rant plusieurs milliards de dollars.

Au-delĂ  du protocole en lui-mĂȘme, des amĂ©liorations ont Ă©galement lieu grĂące Ă  de multiples projets comme le Simple Ledger Protocol qui permet de crĂ©er et d’échanger des jetons sur la chaĂźne de Bitcoin Cash, ou les Cash Accounts qui offrent des adresses lisibles par l’homme sur la chaĂźne (du type ludoviclars#20043). Parmi les divers projets en application, on se doit aussi de citer CashShuffle et le plus rĂ©cent CashFusion qui donnent aux utilisateurs la possibilitĂ© de mĂ©langer leurs piĂšces de BCH pour les rendre moins traçables, et ceci sans passer par un intermĂ©diaire. Si ces procĂ©dĂ©s de confidentialitĂ© peuvent aussi ĂȘtre mis en place sur Bitcoin-BTC, les frais faibles et prĂ©visibles de Bitcoin Cash permettent aux mĂ©langes d’avoir lieu de maniĂšre automatique et peu coĂ»teuse au sein d’un portefeuille ordinaire comme Electron Cash.

Ensuite, une autre force de Bitcoin Cash est son modĂšle Ă©conomique sur le long terme. Comme on le sait, dans Bitcoin et Bitcoin Cash, la rĂ©munĂ©ration des mineurs provient encore principalement de la crĂ©ation monĂ©taire, qui est rĂ©duite de moitiĂ© tous les quatre ans et qui devrait donc ĂȘtre progressivement remplacĂ©e par les frais de transaction. En restreignant fortement sa capacitĂ© transactionnelle, Bitcoin a choisi de faire reposer sa sĂ©curitĂ© sur la supposition que les frais seront rĂ©partis entre un nombre rĂ©duit de transactions. À l’inverse, dans Bitcoin Cash il est prĂ©vu que beaucoup de transactions paient chacune peu de frais pour arriver au mĂȘme rĂ©sultat. Ainsi, n’en dĂ©plaise aux maximalistes du bitcoin, le modĂšle Ă©conomique de Bitcoin Cash est bien plus sain car il repose sur un nombre plus important d’acteurs indĂ©pendants pour payer pour la sĂ©curitĂ© du rĂ©seau. À terme, la rĂ©sistance Ă  l’inflation de Bitcoin Cash (assurĂ©e socialement) pourrait mĂȘme ĂȘtre supĂ©rieure Ă  celle de Bitcoin, puisqu’il y aurait alors moins de pression Ă  crĂ©er de nouvelles unitĂ©s.

Enfin, et c’est l’un des points les plus positifs Ă  propos de Bitcoin Cash, son protocole possĂšde une gouvernance plus dĂ©centralisĂ©e que bon nombre d’autres projets. MĂȘme si Bitcoin ABC reste de facto l’implĂ©mentation de rĂ©fĂ©rence suivie par la majoritĂ© des coopĂ©ratives de minage et des plateformes d’échange, Bitcoin Cash repose sur des implĂ©mentation multiples qui ont chacune un mot Ă  dire et une possibilitĂ© de diverger. La plus influente d’entre elles, Bitcoin Unlimited, reprĂ©sente mĂȘme une sorte de contre-pouvoir Ă  Bitcoin ABC, en ayant sa philosophie propre et en Ă©tant utilisĂ©e par quasiment la moitiĂ© des nƓuds du rĂ©seau. Les autres logiciels de nƓud complet sont bchd (maintenu principalement par Chris Pacia et Josh Ellithorpe), Bitcoin Verde (maintenu par Joshua Green et son Ă©quipe) et Flowee The Hub (maintenu par Thomas Zander).

 

RĂ©partition nƓuds Bitcoin Cash BCH fĂ©vrier 2020

 

De mĂȘme, il existe une diversitĂ© aux sein des meneurs idĂ©ologiques de la communautĂ© et, contrairement Ă  ce que beaucoup trop de gens imaginent, Roger Ver n’est pas le seul Ă  avoir une influence sur le protocole. La communautĂ© n’est ainsi pas exempte de conflits, comme les dĂ©saccords plus ou moins tranchĂ©s Ă  propos de la protection contre la rĂ©organisation, de la limite des transactions chaĂźnĂ©es non confirmĂ©es ou (plus rĂ©cemment) du plan de financement impliquant une redirection de 12,5 % de la rĂ©compense de bloc vers les dĂ©veloppeurs.

 


et ses faiblesses

Les Ă©lĂ©ments que nous venons d’évoquer font de Bitcoin Cash l’un des protocoles de cryptomonnaie les plus intĂ©ressants et les plus prometteurs de l’écosystĂšme. En revanche, en dĂ©pit de ces forces, il possĂšde Ă©galement son lot de faiblesses qui, comme on va le voir, sont loin d’ĂȘtre nĂ©gligeables. Selon moi, Bitcoin Cash est beaucoup critiquĂ© Ă  tort, mais il faut reconnaĂźtre qu’il possĂšde des dĂ©fauts majeurs qui font que certains rechignent Ă  s’y impliquer financiĂšrement ou humainement.

La premiĂšre faiblesse de Bitcoin Cash est son instabilitĂ©. En effet, le programme de mise Ă  niveau semestrielle fait que les rĂšgles de consensus changent rĂ©guliĂšrement, et qu’il est difficile pour les entrepreneurs, les investisseurs et les autres acteurs de l’industrie de prĂ©voir avec prĂ©cision Ă  quoi Bitcoin Cash ressemblera un an plus tard. Il s’agit d’un trĂšs gros inconvĂ©nient par rapport Ă  son grand frĂšre Bitcoin qui garantit une certaine constance : Ă  titre d’exemple, nombre de partisans de BTC achĂštent des nano-ordinateurs Raspberry Pi et les utilisent comme nƓuds complets parce qu’ils savent que la capacitĂ© transactionnelle de la chaĂźne ne sera pas augmentĂ©e de sitĂŽt. Bitcoin Cash est donc, comme je l’ai dĂ©jĂ  affirmĂ©, un projet risquĂ©.

De plus, cette instabilitĂ© favorise les conflits au sein de la communautĂ©. L’exemple le plus parlant est sans doute la crĂ©ation de Bitcoin SV qui a eu lieu lors de la mise Ă  niveau du 15 novembre 2018 : Ă  mon avis, sans l’existence de ce changement perpĂ©tuel, Bitcoin SV n’aurait pas eu l’importance qu’il a eu.

Cependant, cette instabilitĂ© est le prix Ă  payer pour pouvoir Ă©voluer convenablement vers un systĂšme monĂ©taire Ă  part entiĂšre : en supposant que Bitcoin Cash survive, les bienfaits apportĂ©s par les changements mis en place pourraient bien surpasser les dĂ©sagrĂ©ments rencontrĂ©s sur le court terme. En outre, au fil du temps et avec le dĂ©veloppement de l’économie autour de Bitcoin Cash, le protocole est vouĂ© lui aussi Ă  s’ossifier : les mises Ă  niveau se feront alors de plus en plus rares, et seront de moins en moins risquĂ©es.

La deuxiĂšme faiblesse de Bitcoin Cash, qui est en partie une consĂ©quence de la premiĂšre, est le prix de son unitĂ© de compte qui reprĂ©sente (Ă  l’heure oĂč je parle) environ 4 % du prix du bitcoin. Cela est un problĂšme car Bitcoin et Bitcoin Cash partagent le mĂȘme algorithme de minage (SHA-256), ce qui fait que les mineurs peuvent utiliser leurs machines sur une chaĂźne ou l’autre selon leur prĂ©fĂ©rence. Par consĂ©quent, puisque les mineurs vont vers ce qui est le plus profitable, la puissance de calcul derriĂšre Bitcoin Cash reprĂ©sente aussi 4 % de celle derriĂšre Bitcoin (4 EH/s pour 100 EH/s). Et cela impacte sĂ©vĂšrement la rĂ©sistance Ă  la censure du protocole : en effet, la faiblesse du taux de hachage de Bitcoin Cash fait que les grandes coopĂ©ratives de minage gĂšrent une puissance de calcul suffisante pour attaquer le rĂ©seau par elles-mĂȘmes. Bien qu’elles n’aient pas forcĂ©ment d’intĂ©rĂȘt Ă  le faire (notamment si la puissance de calcul n’est pas la leur), le fait qu’elles aient la possibilitĂ© de le faire est trĂšs inquiĂ©tant et rend Bitcoin Cash vulnĂ©rable aux attaques des 51 %.

 

Répartition taux de hachage Bitcoin Cash BCH février 2020

 

Une illustration de cette possibilitĂ© est l’incident qui a eu lieu le 15 mai 2019, lors de la mise Ă  niveau qui activait les signatures de Schnorr et qui autorisait la dĂ©pense des fonds envoyĂ©s par mĂ©garde sur des adresses SegWit (adresses anyone-can-spend du point de vue de Bitcoin Cash). Un mineur inconnu mal intentionnĂ© a tentĂ© de s’emparer de ces fonds au sein du bloc 582 698 au lieu de les allouer Ă  leurs rĂ©els propriĂ©taires, mais les autres coopĂ©ratives de minage (BTC.TOP, BTC.com) n’ont pas laissĂ© passer cela en invalidant les blocs minĂ©s et en minant leur propre chaĂźne (plus longue). Certains ont qualifiĂ© cela d’attaque des 51 %, mais selon moi ce n’était pas une attaque puisqu’il Ă©tait compliquĂ© d’intĂ©grer un changement faisant respecter cette rĂšgle (Bitcoin Cash n’a pas Ă  interprĂ©ter SegWit) et que la communautĂ© Ă©tait quasi-unanimement en accord avec ce qui a Ă©tĂ© fait. Cependant, cela en dit long sur l’étendue du problĂšme.

Bien heureusement, un remĂšde partiel contre les attaques des 51 % est appliquĂ© depuis novembre 2018 : Bitcoin ABC implĂ©mente en effet une protection contre la rĂ©organisation profonde qui empĂȘche toute rĂ©organisation de la chaĂźne de plus de 10 blocs. Cette protection fait que toute transaction ayant plus de 10 confirmations est considĂ©rĂ©e comme finale, ce qui permet typiquement aux plateformes d’échange d’accepter les dĂ©pĂŽts de BCH en toute sĂ©rĂ©nitĂ©. NĂ©anmoins, cette mesure brise le principe de la chaĂźne longue et reprĂ©sente donc un compromis. Elle pose notamment le problĂšme conceptuel de la subjectivitĂ© faible (un nouveau nƓud qui se synchronise avec le rĂ©seau peut ĂȘtre trompĂ© par un attaquant en suivant la chaĂźne la plus longue et pas la chaĂźne considĂ©rĂ©e comme valide par le reste du rĂ©seau) dont on doit se prĂ©occuper. Quoi qu’il en soit, la protection contre la rĂ©organisation est une mesure d’urgence nĂ©cessaire mĂȘme si elle ne rĂ©sout pas tout, et pourra Ă  l’avenir ĂȘtre dĂ©sactivĂ©e si le prix du BCH remonte au niveau de celui du BTC ou si l’algorithme Avalanche est implĂ©mentĂ©.

Enfin, la troisiĂšme faiblesse principale de Bitcoin Cash est son effet de rĂ©seau qui reste bien moins grand que celui de Bitcoin. Ce dernier dispose en effet d’un avantage non nĂ©gligeable et qui, s’il parvenait Ă  passer correctement Ă  l’échelle, condamnerait Bitcoin Cash Ă  subir la dure loi de la concurrence. Toutefois, comme je l’ai expliquĂ© dans mon article contre le maximalisme, Bitcoin-BTC a ses problĂšmes propres et je suis plutĂŽt sceptique sur sa capacitĂ© Ă  s’adapter Ă  la demande par l’intermĂ©diaire du rĂ©seau Lightning ou des chaĂźnes latĂ©rales. C’est pourquoi je pense que Bitcoin Cash continuera Ă  exister aux cĂŽtĂ©s de son grand frĂšre pour les annĂ©es Ă  venir.

 

Le passage Ă  l’échelle sur la chaĂźne est-il viable ?

Comme nous l’avons vu, la diffĂ©rence principale entre Bitcoin Cash et Bitcoin est la mĂ©thode privilĂ©giĂ©e pour passer Ă  l’échelle : contrairement Ă  Bitcoin, Bitcoin Cash a pour objectif de passer Ă  l’échelle sur la chaĂźne, par le biais de l’augmentation progressive de la taille limite des blocs telle que l’imaginait Satoshi Nakamoto4. Ce moyen est Ă©lĂ©gant et simple, ce qui constraste avec la complexitĂ© d’une solution comme le rĂ©seau Lightning. Ainsi, la taille limite des blocs est passĂ©e de 1 Ă  8 Mo le 1er aoĂ»t 2017, et de 8 Ă  32 Mo le 15 mai 2018, ce qui fait que Bitcoin Cash peut aujourd’hui thĂ©oriquement traiter 244 transactions par seconde. Comme indiquĂ© sur la feuille de route, ce seuil pourra devenir Ă  la longue un seuil adaptable qui se baserait sur l’activitĂ© de la chaĂźne et n’aurait plus Ă  ĂȘtre modifiĂ© manuellement par des mises Ă  niveau4.

Naturellement, ce plan a toujours provoquĂ© le doute parmi les personnes les plus sceptiques, et on peut lĂ©gitimement se demander si cette mĂ©thode de passage Ă  l’échelle est possible et jusqu’à quel point. Regardons donc cela plus en dĂ©tail.

Tout d’abord, prĂ©cisons que le projet Bitcoin Cash est censĂ© se dĂ©velopper sur plusieurs dĂ©cennies, et qu’il ne faut pas trop se formaliser de la taille d’un tĂ©raoctet indiquĂ©e sur la feuille de route. Cette taille reprĂ©sente la capacitĂ© nĂ©cessaire pour que 10 milliards d’ĂȘtres humains puissent effectuer 50 transactions par jour, c’est-Ă -dire une adoption gĂ©nĂ©ralisĂ©e du bitcoin cash dans le monde. De plus, il est prĂ©cisĂ© que cette croissance doit ĂȘtre dĂ©terminĂ©e par le marchĂ© (« market-driven growth ») ce qui signifie qu’elle n’aura pas lieu s’il n’y a pas une rĂ©elle demande qui fasse augmenter le prix, et qui accroisse par consĂ©quent les moyens financiers des diffĂ©rentes Ă©quipes en charge d’amĂ©liorer l’infrastructure logicielle et matĂ©rielle du systĂšme.

L’objectif n’est pas en soi de produire de gros blocs, mais de pouvoir le faire en gardant une dĂ©centralisation suffisante du rĂ©seau. Le mot « dĂ©centralisation » est un mot vague mais nous comprenons que le rĂ©seau est « suffisamment dĂ©centralisĂ© » lorsqu’il est capable de rĂ©sister aux diffĂ©rentes attaques qui peuvent ĂȘtre faites Ă  son encontre, et en particulier aux attaques des États. Une façon de mesurer la dĂ©centralisation est le nombre de nƓuds du rĂ©seau, qui dĂ©pend du coĂ»t individuel pour faire fonctionner un nƓud : en effet, plus un nƓud est coĂ»teux Ă  entretenir du point de vue du stockage, de la bande passante et de la capacitĂ© de traitement, moins il y a d’opĂ©rateurs sur le rĂ©seau. Toutefois, cette mĂ©trique est plutĂŽt simpliste et d’autres paramĂštres rentrent en jeu comme la qualitĂ© de cette dĂ©centralisation6 ou le nombre total d’utilisateurs7.

De cette maniĂšre, bien qu’elle fasse des compromis, la communautĂ© de Bitcoin Cash considĂšre la dĂ©centralisation du rĂ©seau comme une qualitĂ© Ă  ne pas trop nĂ©gliger et s’oppose fermement Ă  Bitcoin SV, dont le but semble ĂȘtre d’écrire tout sur la chaĂźne et de faire en sorte qu’un nombre rĂ©duit d’acteurs puisse faire tourner un nƓud.

Ensuite, nous pouvons nous demander si nous n’avons pas dĂ©jĂ  atteint un point critique avec Bitcoin-BTC et qu’il ne faudrait pas conserver une petite taille des blocs. Afin de dĂ©terminer s’il Ă©tait possible ou non d’augmenter la capacitĂ© transactionnelle en prĂ©servant une dĂ©centralisation suffisante, divers tests ont Ă©tĂ© rĂ©alisĂ©s :

  • En octobre 2017, Bitcoin Unlimited a mis en place un rĂ©seau de test appelĂ© le Gigablock Testnet sur lequel des blocs d’un gigaoctet ont pu se propager.
  • En juin 2018, une Ă©tude menĂ©e conjointement par le groupe Dash Core et l’UniversitĂ© d’État de l’Arizona a prouvĂ© que le protocole Dash (qui veut aussi passer Ă  l’échelle on-chain) pouvait traiter aisĂ©ment des blocs de 10 Mo toutes les 2,5 minutes, soit environ 295 transactions par seconde.
  • Le 1er septembre 2018, un stress test financĂ© par la communautĂ© a eu lieu sur le rĂ©seau de Bitcoin Cash : ce ne sont pas moins de 2,1 millions de transactions qui ont Ă©tĂ© traitĂ©es pendant la journĂ©e, et ceci sans augmentation des frais ni complication majeure malgrĂ© des blocs pouvant peser jusqu’à 15 Mo.

Bien entendu, il existe tout un tas de problĂšmes qu’il faudra corriger avant que le rĂ©seau ait la chance de monter en charge, mais ces essais montrent bien qu’il est au moins envisageable d’augmenter la taille limite des blocs de plusieurs ordres de magnitude sans trop impacter la dĂ©centralisation du rĂ©seau.

Enfin, il reste Ă  savoir jusqu’oĂč peut aller ce passage Ă  l’échelle : en effet, requĂ©rir que le rĂ©seau pair-Ă -pair traite des blocs d’un tĂ©roctet toutes les dix minutes semble ĂȘtre une idĂ©e complĂštement dĂ©lirante. Seul l’avenir nous le dira, mais il est possible que le progrĂšs technologique permette, au cours du XXIĂšme, de considĂ©rablement augmenter les ressources informatiques disponibles pour les individus. C’était d’ailleurs tout l’esprit de la loi de Moore, une conjecture du XXĂšme observant que le nombre de transistors dans un circuit intĂ©grĂ© dense doublait chaque annĂ©e, qui est par ailleurs citĂ©e par Satoshi Nakamoto dans le livre blanc de Bitcoin.

En toute honnĂȘtetĂ©, je ne sais pas si ce passage Ă  l’échelle sur la chaĂźne est faisable et quel effet il aurait sur le rĂ©seau. Il s’agit plus pour moi d’un acte de foi qu’une dĂ©marche entiĂšrement rationnelle, tous les projets crypto-Ă©conomiques Ă©tant de toute maniĂšre des expĂ©rimentations. Il est Ă©vident que les choses doivent rester limitĂ©es, mais le niveau oĂč placer cette limite est une vaste question, Ă  laquelle (Ă  ma connaissance) personne n’a jamais apportĂ© de rĂ©ponse totalement satisfaisante. Heureusement, le passage Ă  l’échelle pourra toujours se faire de maniĂšre hybride selon l’avancement du dĂ©veloppement des solutions de seconde couche : la communautĂ© de Bitcoin Cash n’est pas opposĂ©e dans l’absolu au rĂ©seau Lightning et aux chaĂźnes latĂ©rales, mĂȘme si elle considĂšre que l’accroissement de l’activitĂ© sur la chaĂźne est une prioritĂ©.

 

Conclusion

Ainsi, Bitcoin Cash est l’incarnation de la gouvernance dĂ©centralisĂ©e de Bitcoin : il est le produit d’un dĂ©bat sur la scalabilitĂ© qui ne s’est jamais rĂ©solu. Il puise ses forces dans l’histoire de Bitcoin, ce qui explique toute la passion qui l’entoure. J’aime Bitcoin Cash Ă  cause de la vision claire de ce qu’il veut devenir : un argent liquide Ă©lectronique dĂ©centralisĂ© facile Ă  utiliser et accessible Ă  tous. J’aime Bitcoin Cash Ă  cause de la communautĂ© qui porte cet objectif dans son cƓur. J’aime Bitcoin Cash Ă  cause de sa capacitĂ© Ă  Ă©voluer pour que cette vision se rĂ©alise.

À ceux qui pensent que Bitcoin Cash fait fausse route et dĂ©tĂ©riore l’image de Bitcoin, je dirai que son existence a au moins le mĂ©rite de rendre service Ă  Bitcoin en attirant les individus qui pensent que l’augmentation de la taille des blocs est la voie Ă  suivre et en faisant un travail d’adoption des commerçants qui bĂ©nĂ©ficie Ă  toutes les cryptomonnaies. De plus, je prĂ©ciserai que le fait de soutenir Bitcoin Cash ne signifie pas pour moi que je suis fermĂ© aux autres modĂšles. Il faut reconnaĂźtre que Bitcoin a un effet de rĂ©seau et une stabilitĂ© exemplaires qui font de lui un point stable dans l’écosystĂšme, et qu’il existe aussi des protocoles comme Ethereum ou Tezos qui possĂšdent un conception diffĂ©rente et qui permettent de faire des choses qui ne sont pas vraiment possibles sur Bitcoin Cash.

L’avenir est incertain dans l’écosystĂšme des cryptomonnaies et il n’est pas impossible que Bitcoin Cash disparaisse Ă  un moment ou un autre, du fait d’une Ă©niĂšme querelle interne ou de la concurrence d’une autre cryptomonnaie. NĂ©anmoins, la vie est une prise de risque et l’instabilitĂ© qui le caractĂ©rise actuellement pourrait bien ĂȘtre sa plus grande force sur le long terme. C’est pourquoi je lui prĂ©dis une brillante destinĂ©e.

 


Notes

1. ↑ Certaines personnes considĂšrent que les mineurs se sont opposĂ©s Ă  SegWit parce que cette mise Ă  niveau annulait les effets de l’ASICBoost, une technique brevetĂ©e qui permettrait d’augmenter l’efficacitĂ© du minage de 20 % et que certains mineurs utiliseraient en secret. Bitmain a toujours niĂ© cette allĂ©gation.

2. ↑ Dans la transaction de rĂ©compense du « bloc d’exode » de Bitcoin Cash (478 559), on trouve d’ailleurs un message de bienvenue pour Shuya Yang, la fille de Haipo Yang, le PDG de ViaBTC :

Welcome to the world, Shuya Yang!

3. ↑ Le 3 novembre 2008, en rĂ©ponse Ă  l’objection de James A. Donald selon laquelle le systĂšme ne passait pas correctement Ă  l’échelle, Satoshi Nakamoto a dĂ©clarĂ© :

Long before the network gets anywhere near as large as that, it would be safe for users to use Simplified Payment Verification (section 8) to check for double spending, which only requires having the chain of block headers, or about 12KB per day. Only people trying to create new coins would need to run network nodes. At first, most users would run network nodes, but as the network grows beyond a certain point, it would be left more and more to specialists with server farms of specialized hardware. A server farm would only need to have one node on the network and the rest of the LAN connects with that one node.

The bandwidth might not be as prohibitive as you think. A typical transaction would be about 400 bytes (ECC is nicely compact). Each transaction has to be broadcast twice, so lets say 1KB per transaction. Visa processed 37 billion transactions in FY2008, or an average of 100 million transactions per day. That many transactions would take 100GB of bandwidth, or the size of 12 DVD or 2 HD quality movies, or about $18 worth of bandwidth at current prices.

If the network were to get that big, it would take several years, and by then, sending 2 HD movies over the Internet would probably not seem like a big deal.

4. ↑ MĂȘme aprĂšs avoir implĂ©mentĂ© une taille limite des blocs de 1 Mo, Satoshi Nakamoto a toujours envisagĂ© de l’augmenter, comme le prouve son message du 4 octobre 2010 sur le forum Bitcointalk :

It can be phased in, like:

if (blocknumber > 115000)
    maxblocksize = largerlimit

It can start being in versions way ahead, so by the time it reaches that block number and goes into effect, the older versions that don’t have it are already obsolete.

When we’re near the cutoff block number, I can put an alert to old versions to make sure they know they have to upgrade.

5. ↑ L’idĂ©e d’une taille limite des blocs adaptable n’est pas nouvelle et se retrouve dans le « Consensus Émergent » de Bitcoin Unlimited ainsi que dans le nom de Bitcoin ABC, ABC signifiant « Adjustable Blocksize Cap ». Une Ă©bauche de BIP a Ă©tĂ© Ă©crite par Imaginary Username.

6. ↑ On comprend qu’il y a un problĂšme si les nƓuds se situent gĂ©ogaphiquement au mĂȘme endroit, s’ils passent par le mĂȘme FAI, ou pire, s’ils sont tous hĂ©bergĂ©s sur AWS. Voir l’entrevue entre Naomi Brockwell et Josh Ellithorpe Ă  ce sujet pour un Ă©clairage plus complet.

7. ↑ À capacitĂ© transactionnelle Ă©gale, un rĂ©seau qui sert 10 millions de personnes est plus utile qu’un rĂ©seau qui sert 10 000 personnes, ce qui incite les gros opĂ©rateurs (coopĂ©ratives de minage, plateformes d’échange, portefeuilles, applications, etc.) Ă  entretenir un nƓud.


Sources

Satoshi Nakamoto, Bitcoin: A Peer-to-Peer Electronic Cash System, 31 octobre 2008.
Daniel Morgan, The Great Bitcoin Scaling Debate — A Timeline, 3 dĂ©cembre 2017.
Joannes Vermorel, Terabyte blocks for Bitcoin Cash, 17 décembre 2017.
Jonathan Toomim, An incomplete history of the Bitcoin Cash’s origin and the Minimum Viable Fork project, 1er juin 2019.
Haipo Yang, The Story behind Bitcoin Fork, 26 août 2019.
Joannes Vermorel, On choosing the right block size for Bitcoin, 17 septembre 2019.
The Bitcoin Cash Roadmap

Les cryptomonnaies contre l’autoritĂ©

November 29th 2019 at 21:00

Cet article a été initialement publié le 12/07/2017 sur Révolte Créatrice et sur Steem.

L’argent ! Y a-t-il quelque chose qui intĂ©resse plus le monde moderne que l’argent ? Pour la plupart, nous apprĂ©cions l’argent car il intervient dans la satisfaction de nos dĂ©sirs les plus communs. Eau, nourriture, vĂȘtements, logement, chauffage, Ă©lectricitĂ©, outil de travail, culture, et mĂȘme position sociale : tout semble s’obtenir par son intermĂ©diaire. L’argent est le symbole de la richesse. Certains l’adulent, d’autres en font la cause de tous les maux : toujours est-il que le sujet a un enjeu rĂ©el, tangible pour la quasi-totalitĂ© des ĂȘtres humains.

Si je veux parler aujourd’hui de la monnaie (terme plus correct pour dĂ©crire ce que nous appelons « argent »), c’est pour parler de l’avancĂ©e sans prĂ©cĂ©dent que reprĂ©sentent les cryptomonnaies, et du potentiel qu’elles ont d’Ɠuvrer pour la libertĂ©. L’engouement rĂ©cent qui est en train de se former dans le monde financier et mĂ©diatique autour de la « technologie blockchain » ne fait que confirmer le bouleversement Ă©conomique qu’elles pourraient provoquer.

 

Monnaie et cryptomonnaie

La monnaie est usuellement définie comme un bien remplissant trois fonctions :

  1. Elle a un rĂŽle d’intermĂ©diaire dans les Ă©changes : en Ă©tant universellement reconnue, elle rĂ©sout les problĂšmes d’un hypothĂ©tique troc.
  2. Elle constitue une rĂ©serve de valeur dans le temps : elle permet d’accumuler du travail fourni pour n’en rĂ©cupĂ©rer les produits que bien plus tard.
  3. Elle sert d’unitĂ© de compte pour le calcul Ă©conomique ou la comptabilitĂ© : c’est un moyen standard d’exprimer la valeur des autres biens.

Dans l’histoire de l’humanitĂ©, les marchandises servant de monnaie ont Ă©tĂ© nombreuses (bĂ©tail, sel, coquillages, graines de cacao, etc.), mais ce sont les mĂ©taux prĂ©cieux comme l’or et l’argent qui ont Ă©tĂ© adoptĂ©s le plus largement pour cet usage, en raison de leur raretĂ©, de leur inaltĂ©rabilitĂ©, de leur divisibilitĂ© et vraisemblablement de leur beautĂ©. Aujourd’hui, nous utilisons des billets et des piĂšces n’ayant plus aucune valeur intrinsĂšque (appelĂ©s liquide ou espĂšces) et des Ă©critures dans les registres des banques (appelĂ©s comptes bancaires). En fait, ce qui caractĂ©rise la monnaie, c’est une construction psychologique : chacun apporte de la valeur Ă  sa monnaie parce qu’il est convaincu qu’elle va lui permettre d’acheter d’autres biens Ă  ses semblables (qui lui apportent de la valeur pour la mĂȘme raison).

 

PiĂšce de bitcoin small

 

Maintenant qu’est-ce que la cryptomonnaie ? Pour expliquer briĂšvement en quoi consistent les cryptomonnaies, il convient de parler de la premiĂšre d’entre elles, le bitcoin. Bitcoin est un protocole d’échange d’informations pair-Ă -pair fonctionnant sans autoritĂ© centrale, crĂ©Ă© en 2008 par Satoshi Nakamoto et mis en pratique Ă  partir du 3 janvier 2009. Ce protocole open-source gouverne l’émission et les transactions d’un jeton (token) du mĂȘme nom qui a vocation Ă  ĂȘtre une monnaie : le bitcoin (qu’on Ă©crit en minuscules pour diffĂ©rencier la monnaie du protocole). Bitcoin utilise diffĂ©rentes technologies cryptographiques : c’est pour cela qu’on parle de crypto-monnaie.

L’ensemble de tous les Ă©changes effectuĂ©s entre ses utilisateurs depuis sa crĂ©ation est enregistrĂ© dans un immense registre public appelĂ© chaĂźne de blocs ou blockchain. Pour initier une transaction, il suffit Ă  un utilisateur de l’écrire dans la blockchain Ă  l’aide du protocole. Contrairement au cas d’un virement bancaire qui aurait besoin d’ĂȘtre validĂ© par les banques concernĂ©es, Bitcoin s’affranchit d’un tiers de confiance : la fiabilitĂ© du systĂšme repose sur le fait que la validation d’un bloc (un ensemble de transactions) demande la rĂ©solution d’un problĂšme cryptographique nĂ©cessitant une grande puissance de calcul. Cette validation, appelĂ©e preuve de travail, offre Ă  celui qui la rĂ©alise une rĂ©compense se composant de bitcoins crĂ©Ă©s par le protocole (ainsi que d’éventuels frais de transaction). C’est ce qu’on appelle le minage (en rĂ©fĂ©rence aux mineurs d’or) et c’est la seule façon d’augmenter la masse monĂ©taire du bitcoin.

Le bitcoin est une monnaie dĂ©flationniste dans le sens oĂč la quantitĂ© de bitcoins pouvant ĂȘtre crĂ©Ă©s est limitĂ©e Ă  21 000 000. La rĂ©munĂ©ration par bloc (actuellement de 12,5 BTC) est rĂ©duite de moitiĂ© tous les 210 000 blocs (soit environ tous les 4 ans), et s’arrĂȘtera aux alentours de 2140. C’est pour cette raison que, si l’intĂ©rĂȘt pour le bitcoin ne cesse pas de s’accroĂźtre, sa valeur augmentera au fil des annĂ©es.

Autre dĂ©tail important, la « gouvernance » de Bitcoin repose sur un consensus de la communautĂ©, c’est-Ă -dire sur l’équilibre entre les intĂ©rĂȘts de chacun : le conservatisme des dĂ©veloppeurs, la cupiditĂ© des mineurs, la demande d’amĂ©lioration des utilisateurs. Il ne s’agit pas d’un systĂšme dĂ©mocratique (personne ne vote Ă  proprement parler) mais plutĂŽt Ă©conomique. La gouvernance Ă©merge en effet du choix du logiciel (la version du protocole) que les utilisateurs lancent sur leur ordinateur. Les mineurs ont une grande influence sur ce choix car c’est eux qui valident la chaĂźne : si n’importe qui peut crĂ©er sa propre version de Bitcoin, n’importe qui n’est pas assurĂ© que les mineurs le suivront. Cependant, leur pouvoir est limitĂ© car ce sont les utilisateurs qui donnent de la valeur au bitcoin, et qui donc vont agir sur les revenus du minage. La soliditĂ© du protocole est basĂ©e sur un ordre spontanĂ© produit par l’ensemble des actions volontaires des individus. La gouvernance de Bitcoin peut ĂȘtre comparĂ©e Ă  celle du langage humain que personne ne gouverne rĂ©ellement (n’en dĂ©plaise Ă  l’AcadĂ©mie Française) et dont l’évolution rĂ©sulte du choix des rĂšgles que vont appliquer les membres d’une communautĂ© linguistique pour communiquer. Il s’ensuit que le protocole peut effectivement Ă©voluer pour rĂ©soudre les problĂšmes qu’il rencontre (comme la rĂ©cente congestion du rĂ©seau), mais que cette Ă©volution est fastidieuse en raison de tous les intĂ©rĂȘts en jeu.

Plus gĂ©nĂ©ralement, une cryptomonnaie est une monnaie numĂ©rique dĂ©centralisĂ©e qui repose sur un protocole cryptographique pair-Ă -pair. Elle peut avoir des diffĂ©rences techniques avec le bitcoin : Litecoin utilise une autre fonction de hachage (Scrypt), Ethereum met en avant l’implĂ©mentation de contrats auto-exĂ©cutables, Monero propose une anonymisation des transactions, Dash permet des transactions instantanĂ©es. Cependant, elles en conservent les principales caractĂ©ristiques et en particulier l’absence de recours Ă  un tiers de confiance pour procĂ©der Ă  une transaction. En ce sens, les cryptomonnaies sont des concurrentes sĂ©rieuses aux monnaies « traditionnelles » qui demandent l’intervention des banques et des États pour fonctionner.

Le bitcoin s’est fait connaĂźtre auprĂšs du grand public en 2013 lorsque son cours est montĂ© Ă  plus de 1000 $ avant de chuter dramatiquement dĂ©but 2014 suite Ă  la faillite de Mt. Gox. C’était le dĂ©but d’un nouvelle Ăšre. Depuis, la confiance globale dans les cryptomonnaies s’est consolidĂ©e. De plus en plus de monde s’y intĂ©resse. En dĂ©pit de la volatilitĂ© du marchĂ©, les investissements se sont intensifiĂ©s et les projets dans le domaine se sont multipliĂ©s (notamment sur le rĂ©seau Ethereum). En mars 2017, la capitalisation boursiĂšre totales des cryptomonnaies s’approchait des 25 milliards de dollars ; dĂ©but juin 2017, soit 3 mois plus tard, elle avait quadruplĂ© en atteignant les 100 milliards de dollars. Bien que nous pouvons nous attendre Ă  de fortes corrections du marchĂ© dans les mois Ă  venir, et mĂȘme Ă  un krach en cas de dĂ©faillance technique (il ne faut pas oublier le caractĂšre expĂ©rimental de ces technologies), nous sommes peut-ĂȘtre Ă  la veille d’un Ăąge d’or des cryptomonnaies. Pour ma part, je m’étonne chaque jour de cet Ă©cosystĂšme qui ne cesse d’évoluer.

 

Le rĂšgne des monnaies fiat

Depuis la fin de l’étalon-or en 1971, toutes les monnaies gouvernementales du monde (le dollar, l’euro, le yen, le yuan, etc.) sont des monnaies fiat. Une monnaie fiat (du latin « qu’il soit fait ») est une monnaie dont la valeur repose essentiellement sur la confiance accordĂ©e Ă  l’État au sein duquel elle est utilisĂ©e et qui impose son cours forcĂ©. Ce type de monnaie s’oppose aux monnaies liĂ©es Ă  une marchandise (mĂ©taux prĂ©cieux entre autres) : les piĂšces utilisĂ©es pendant des siĂšcles avaient une valeur intrinsĂšque, mĂȘme si le gouvernement intervenait dans leur fabrication pour en garantir la composition (par exemple, le napolĂ©on Ă©tait une piĂšce de vingt francs se composant de 6,45 g d’or Ă  900 ‰). Elle s’oppose Ă©galement Ă  la monnaie reprĂ©sentative comme les billets de banque qui permettaient d’obtenir une certaine quantitĂ© d’or et d’argent sur simple prĂ©sentation, le cours forcĂ© Ă©tant un rĂ©gime monĂ©taire dans lequel les banques sont dispensĂ©es d’échanger le papier-monnaie contre du mĂ©tal prĂ©cieux. Cette non-convertibilitĂ©, qui Ă©tait autrefois exceptionnelle, est devenue la norme.

La monnaie fiat est imposĂ©e aux citoyens par la contrainte de la loi. En France, la monnaie liquide (appelĂ©e monnaie fiduciaire) a cours lĂ©gal : il est interdit pour un commerçant de « refuser des piĂšces de monnaie ou des billets de banque [
] selon la valeur pour laquelle ils ont cours » (Code pĂ©nal, article R642-3). Le citoyen doit payer ses impĂŽts et ses amendes en euros. L’État impose un monopole sur la monnaie en espĂšces en interdisant Ă  quiconque de vouloir concurrencer l’euro :

La mise en circulation de tout signe monĂ©taire non autorisĂ© ayant pour objet de remplacer les piĂšces de monnaie ou les billets ayant cours lĂ©gal en France est punie de cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende. (Code pĂ©nal, article 442-4)

Notons que les monnaies locales complĂ©mentaires n’ont pas vocation Ă  concurrencer l’euro, et sont bien souvent indexĂ©es sur lui.

 

Euros small

 

Mais la monnaie fiat ne se rĂ©sume pas Ă  sa forme liquide ; elle est aussi scripturale c’est-Ă -dire qu’elle peut se rapporter simplement Ă  l’écriture d’une dette dans un registre bancaire. Aujourd’hui, avec le dĂ©veloppement informatique, environ 90 % de la masse monĂ©taire en circulation est dĂ©matĂ©rialisĂ©e. On reproche souvent aux cryptomonnaies leur caractĂšre numĂ©rique et « virtuel », mais en rĂ©alitĂ© nous utilisons dĂ©jĂ  de la monnaie numĂ©rique, et cela au moyen de chĂšques, de cartes de paiement, de virements bancaires et de prĂ©lĂšvements mensuels.

Dans les pays dĂ©veloppĂ©s, la crĂ©ation de la monnaie scripturale est dĂ©lĂ©guĂ©e aux banques commerciales (comme le CrĂ©dit Agricole ou la Caisse d’Épargne en France) et rĂ©glementĂ©e par les banques centrales (BCE, Fed, Banque d’Angleterre, BoJ). La monnaie est simplement crĂ©Ă©e par les banques en Ă©change d’une promesse de remboursement d’un particulier ou d’une entreprise. Il y a ainsi crĂ©ation monĂ©taire lors de l’octroi d’un crĂ©dit, et destruction monĂ©taire lors du remboursement de ce crĂ©dit : certains parlent d’« argent dette ». La monnaie est bien crĂ©Ă©e : la banque n’a pas besoin de dĂ©tenir la somme demandĂ©e en espĂšces pour pouvoir la prĂȘter. Pour plus d’informations, vous pouvez aller visionner cette trĂšs bonne vidĂ©o de vulgarisation d’Heu?reka sur le sujet.

La monnaie fiat n’a donc pas de fondement tangible comme pouvait l’ĂȘtre les piĂšces de mĂ©tal prĂ©cieux ou les billets de banque convertible en or. Elle peut ĂȘtre thĂ©oriquement crĂ©Ă©e Ă  partir de rien (ex nihilo), ce qu’on rĂ©sume un peu grossiĂšrement dans l’expression « faire fonctionner la planche Ă  billets ». Cette crĂ©ation monĂ©taire provoque mĂ©caniquement ce qu’on appelle de l’inflation (ou « hausse des prix ») : si vous augmentez la masse monĂ©taire, vous augmentez la demande sans changer l’offre des produits et services, ce qui aura pour consĂ©quence finale d’augmenter les prix.

Par exemple, imaginez que vous doubliez la quantitĂ© de monnaie dans les mains de chaque citoyen d’un État fermĂ© : chacun sera deux fois plus riche qu’il ne l’était auparavant et se mettra Ă  consommer plus. Au fur et Ă  mesure du temps, un homme qui vend ses services, voyant la demande pour ainsi dire doubler, se mettra Ă  augmenter ses tarifs par intĂ©rĂȘt. Celui qui achĂšte ses services, voyant le prix augmenter, se mettra lui aussi Ă  vendre ses services plus cher. Peu Ă  peu, toute la sociĂ©tĂ© se calibrera sur cet Ă©quilibre entre l’offre et la demande, les plus pĂ©nalisĂ©s dans l’histoire Ă©tant ceux qui ont le moins de facilitĂ© Ă  changer leurs tarifs, Ă  savoir les salariĂ©s. Finalement, les prix auront doublĂ©.

En rĂšgle gĂ©nĂ©rale, les gouvernements et les banques ne sont pas gĂ©nĂ©reux au point d’augmenter la quantitĂ© de monnaie de chaque citoyen et utilisent l’argent crĂ©Ă© pour financer leurs propres projets (guerres, subventions, projets personnels des dirigeants
), ce qui a pour effet d’appauvrir les Ă©pargnants. L’inflation est une sorte d’impĂŽt indirect et invisible qui touche tout le monde. De plus, elle engendre des dĂ©sastres monstrueux dans les pays qui abusent de la crĂ©ation monĂ©taire.

Les cas d’inflation sont nombreux, dans l’histoire comme dans l’actualitĂ©. En France, les premiĂšres expĂ©riences de monnaie fiat ont conduit Ă  une importante augmentation des prix : on peut citer notamment la mise en place du systĂšme de Law (prononcĂ© « Lass ») entre 1716 et 1720, ainsi que l’émission des assignats pendant la RĂ©volution française qui a engendrĂ© une inflation de 304 % entre 1796 et 1797.

En 1914, l’effort de guerre a poussĂ© la France, le Royaume-Uni et l’Allemagne Ă  suspendre la convertibilitĂ© en or de leurs monnaies respectives (le franc, la livre et le mark). AprĂšs la premiĂšre guerre mondiale, lorsque la France est revenue (momentanĂ©ment) Ă  l’étalon-or en 1928, la valeur du franc en or Ă©quivalait Ă  20 % de sa valeur de 1914. Le Royaume-Uni a menĂ© une politique fortement dĂ©flationniste afin de restaurer la valeur de la livre sterling (ce qu’il a fait en 1925), mais cette politique a eu pour effet de freiner gravement l’économie. Quant Ă  l’Allemagne (la grande perdante), elle a connu entre 1922 et 1923 une pĂ©riode d’hyperinflation (appelĂ©e hyperinflation de la rĂ©publique de Weimar) au cours de laquelle la valeur du mark s’est totalement effondrĂ©e.

De nos jours, dans les pays occidentaux, les banques centrales s’efforcent de conserver un taux d’inflation de 2 %, l’économie moderne Ă©tant dĂ©pendante de cette inflation pour fonctionner.

Un autre exemple d’hyperinflation beaucoup plus rĂ©cent est celui du Zimbabwe entre 2000 et 2009, gouvernĂ© par Robert Mugabe. Le symbole de cette inflation est la mise en circulation, en janvier 2009, d’un billet de 100 000 milliards de dollars zimbabwĂ©ens valant 30 dollars amĂ©ricains. Encore plus rĂ©cemment, au Venezuela, suite aux prĂ©sidences successives de Hugo ChĂĄvez et de NicolĂĄs Maduro (ce dernier Ă©tant encore en fonction), l’état de l’économie du pays s’est dĂ©gradĂ© : les prix auraient Ă©tĂ© multipliĂ©s par 8 en 2016 alors que le PIB se serait effondrĂ© de 18,6 %.

 

Billet de 100 billions de dollars zimbabwéens

 

Cependant, l’inflation n’est pas la seule consĂ©quence pernicieuse de la nature des monnaies fiat. En vous forçant Ă  utiliser des piĂšces et des billets sans autre valeur intrinsĂšque que leur coĂ»t de fabrication, le gouvernement peut tout simplement les dĂ©clarer comme invalides du jour au lendemain. C’est ce qui s’est passĂ© en Inde le 8 novembre 2016. Ce jour-lĂ , Narendra Modi a annoncĂ© la dĂ©monĂ©tisation des billets de 500 et de 1000 roupies (valant respectivement 7 et 14 euros) sous prĂ©texte de s’attaquer Ă  la corruption et Ă  l’évasion fiscale. L’ensemble de ces billets reprĂ©sentait 86 % de la masse monĂ©taire fiduciaire en circulation, dans un pays oĂč les Ă©changes se font gĂ©nĂ©ralement en liquide, ce qui a provoquĂ© la panique.

Cette mesure drastique rentre dans le cadre d’un guerre contre l’argent liquide menĂ©e par les États du monde entier. Le liquide est en effet bien moins visible et contrĂŽlable que l’argent prĂ©sent sur nos comptes bancaires : il sert au marchĂ© noir, Ă  Ă©viter l’impĂŽt et la surveillance. Le rĂȘve d’une sociĂ©tĂ© sans espĂšces (cashless society) reprĂ©sente aux yeux des fanatiques la fin de ces petits actes de rĂ©volte financiĂšre contre l’État auxquels sont continuellement poussĂ©s les individus. L’utilisation d’un compte bancaire (et donc le fait de devoir passer par une banque) permet en effet au gouvernement (sous certaines rĂ©serves Ă©videmment) de savoir la somme d’argent que vous possĂ©dez, combien vous gagnez et avec qui vous Ă©changez. Mieux : on peut purement et simplement vous voler. Lors de la crise chypriote de 2013, dans le cadre du plan de sauvetage des banques, les dĂ©pĂŽts de plus de 100 000 euros de la Bank of Cyprus ont Ă©tĂ© ponctionnĂ©s Ă  37,5 %, sans cadre lĂ©gal. Depuis le 1er janvier 2016, la « Directive sur le redressement et la rĂ©solution des banques » de l’Union EuropĂ©enne autorise les banques Ă  ponctionner les comptes de leurs clients de plus de 100 000 euros en cas de difficultĂ© ou de faillite.

 

La liberté cryptomonétaire

Pour lutter contre tous les inconvĂ©nients liĂ©s aux monnaies fiat (inflation, dĂ©monĂ©tisation du liquide, ponction des comptes bancaires), la solution optimale a longtemps Ă©tĂ© de dĂ©tenir des mĂ©taux prĂ©cieux en tant que valeur refuge. Bitcoin a changĂ© la donne. Les cryptomonnaies sont devenues des alternatives sĂ©rieuses en cas de crise monĂ©taire. Elles permettent de conserver de la valeur Ă  l’abri des actions du gouvernement. Elles donnent aux individus dĂ©pourvus de comptes bancaires la possibilitĂ© d’ĂȘtre leur propre banque Ă  condition de possĂ©der un smartphone et un accĂšs Ă  Internet. Elles anĂ©antissent les frontiĂšres : chacun peut envoyer des fonds de façon quasi-instantanĂ©e Ă  l’autre bout du monde sans autre coĂ»t que les frais de transaction (qui sont ridicules par rapport aux diverses taxes prĂ©levĂ©es dans les Ă©changes internationaux).

Bitcoin a redonnĂ© espoir Ă  tous ceux qui chĂ©rissent la libertĂ©, et pour cause : il a un biais idĂ©ologique trĂšs marquĂ©, ayant Ă©tĂ© conçu pour Ă©chapper Ă  l’autoritĂ© de l’État et des banques centrales. VĂ©ritable prouesse technologique, Bitcoin constitue une dĂ©fiance envers un systĂšme monĂ©taire qui marche sur la tĂȘte. La date de sa mise en pratique est de fait trĂšs symbolique : elle fait suite Ă  la crise des subprimes aux États-Unis, celle-lĂ  mĂȘme qui a engendrĂ© la crise Ă©conomique globale de 2008.

 

Goéland small

 

Le protocole Bitcoin a Ă©tĂ© imaginĂ© par des crypto-anarchistes (aussi appelĂ©s cypherpunks), c’est-Ă -dire des personnes qui s’opposent au contrĂŽle gouvernemental de l’information sur le web et qui prĂ©conisent des moyens cryptographiques pour y remĂ©dier. Comme Jacques Favier et Adli Takkal Bataille l’indiquent dans leur ouvrage Bitcoin, la monnaie acĂ©phale :

Bitcoin [a Ă©tĂ©] conçu par et pour gens opposĂ©s Ă  l’autoritarisme des gouvernements, refusant la censure et la possibilitĂ© de censure, refusant la surveillance de masse, souhaitant conserver la propriĂ©tĂ© de leurs donnĂ©es personnelles, pensant que pour cela l’anonymisation de leurs correspondances, de leurs donnĂ©es et de leurs transactions est un droit, que les logiciels libres sont plus sĂ»rs que les logiciels propriĂ©taires, aux sources fermĂ©es, et qu’une monnaie libre par rapport aux États et aux banques est une chose dĂ©sirable et utile.

L’idĂ©e d’un « internet de la monnaie » n’est pas nouvelle dans le milieu. Comme partout dans le monde de la recherche, Satoshi Nakamoto s’est inspirĂ© grandement des projets antĂ©rieurs. Nous pouvons citer le eCash de David Chaum (1994), la b-money de Wei Dai (1998) et le bit gold de Nick Szabo (2005), reconnus comme Ă©tant des prĂ©curseurs du bitcoin. Satoshi Nakamoto cite d’ailleurs le papier de Wei Dai dans le livre blanc de Bitcoin.

Chose fascinante Ă  propos de Bitcoin : tout le monde ignore l’identitĂ© rĂ©elle de son inventeur, Satoshi Nakamoto n’étant qu’un pseudonyme pouvant dĂ©signer une personne ou un groupe de personnes. Encore plus fou : il a trĂšs vite cessĂ© d’intervenir dans l’évolution de son invention. Ainsi, contrairement Ă  d’autres protocoles cryptomonĂ©taires comme Litecoin, Ethereum ou Dash, Bitcoin n’a pas meneur qui serve de figure principale, mĂȘme si certaines personnalitĂ©s s’imposent plus que les autres. Le bitcoin est une monnaie acĂ©phale (littĂ©ralement « sans tĂȘte »), ce qui ne fait que renforcer son biais anarchisant.

Les cryptomonnaies sont aussi conformes aux idĂ©aux libĂ©raux de libertĂ©, de propriĂ©tĂ© et de responsabilitĂ©. Tout d’abord elles offrent une libĂ©ration du monde de la monnaie qui est, comme nous l’avons aperçu, dominĂ© par des entitĂ©s telles que les banques et les gouvernements. En 1976, dans Pour une vraie concurrence des monnaies, Friedrich Hayek proposait d’ailleurs l’établissement d’une libertĂ© monĂ©taire et bancaire totale, qui se traduirait notamment par l’émission concurrentielle de monnaies distinctes. Les cryptomonnaies reprĂ©sentent un facteur de libre Ă©change Ă  l’échelle de la planĂšte : il devient trĂšs difficile d’empĂȘcher une personne d’envoyer une transaction, mĂȘme si cette transaction est « prohibĂ©e ». Elles garantissent informatiquement la propriĂ©tĂ© des fonds d’un utilisateur, le vol Ă©tant pour ainsi dire impossible. De cette propriĂ©tĂ© absolue, dĂ©coule une responsabilitĂ© : tout utilisateur peut ĂȘtre privĂ© de ses fonds en cas de mauvaise manipulation ou de perte des clĂ©s de son portefeuille. Cette responsabilitĂ© contraste avec le systĂšme actuel oĂč votre banque vous rembourse lorsque vous vous faites voler votre carte de crĂ©dit, et oĂč chaque site web vous propose de restaurer votre session avec votre adresse mail en cas de perte de votre mot de passe.

Bitcoin est une invention radicalement hostile Ă  l’autoritĂ©, rejetant non seulement la censure, la surveillance et plus gĂ©nĂ©ralement le contrĂŽle de l’information, mais aussi et surtout l’intervention gouvernementale dans l’économie. Cette radicalitĂ©, les mĂ©dias de masse l’évoquent dĂšs qu’ils parlent de Bitcoin : la cryptomonnaie facilite les Ă©changes illĂ©gaux, le trafic de drogues et le financement du terrorisme islamiste. La cryptomonnaie est fonciĂšrement une mise en pratique anarcho-capitaliste et il est dans l’ordre des choses qu’elle soit utilisĂ©e dans le cadre du marchĂ© noir ou du marchĂ© gris. Car, aprĂšs tout, qu’est-ce que le marchĂ© « noir » si ce n’est le marchĂ© libre, exempt de toute taxe et de toute rĂ©glementation administrative ? De fait, le bitcoin a longtemps Ă©tĂ© la monnaie du dark web, cĂ©lĂšbre pour avoir Ă©tĂ© utilisĂ© sur la plateforme Silk Road, avant d’ĂȘtre concurrencĂ© par des monnaies plus confidentielles comme le monero ou le zcash.

En donnant aux utilisateurs la capacitĂ© d’éviter l’impĂŽt, les cryptomonnaies constituent un instrument de lutte directe contre l’État. En France, la place occupĂ©e par l’État (au sens gĂ©nĂ©ral) est imposante et ne cesse de croĂźtre : l’ensemble des prĂ©lĂšvements obligatoires est passĂ© de 33,6 % du produit intĂ©rieur brut en 1965 Ă  45,5 % en 2014. Les cryptomonnaies entraĂźneraient la rĂ©duction la pression fiscale par le bas, en permettant aux citoyens qui les utilisent (je pense notamment aux commerçants) de ne pas dĂ©clarer tous leurs revenus (comme cela se fait habituellement avec le liquide). En cas d’adoption de masse d’une cryptomonnaie, la souverainetĂ© monĂ©taire rendue aux individus pourrait possiblement faire reculer le pouvoir Ă©tatique, en l’obligeant Ă  s’adapter Ă  cette Ă©volution. C’est dans cet esprit que le prix nobel Milton Friedman affirmait dans une interview en 1999 :

Je pense qu’Internet va devenir une des forces majeures qui va diminuer le rĂŽle des gouvernements. La seule chose qui manque, mais qui sera dĂ©veloppĂ©e bientĂŽt, est une solution fiable de cash Ă©lectronique.

Outre l’aspect monĂ©taire, Bitcoin pourrait ĂȘtre Ă  l’origine d’une libertĂ© bien plus vaste. La technologie derriĂšre le protocole, appelĂ©e par une mĂ©tonymie un peu Ă©trange « technologie blockchain », pourrait en effet rĂ©volutionner certains secteurs de l’économie nĂ©cessitant l’existence de tiers de confiance comme le notariat. Nous pouvons dĂ©jĂ  le constater dans le monde cryptomonĂ©taire : en servant de modĂšle, Bitcoin a provoquĂ© une vague crĂ©ative et certains protocoles se sont spĂ©cialisĂ©s pour remplir d’autres tĂąches que le paiement. Dans ce cas, le jeton n’est qu’une incitation Ă  authentifier la chaĂźne de blocs et n’a pas vocation Ă  devenir une monnaie rĂ©elle : il faudrait plutĂŽt parler d’actif numĂ©rique. Ethereum est le parfait exemple de ce type d’usage : le protocole se prĂ©sente comme une plateforme dĂ©centralisĂ©e qui exĂ©cute des contrats intelligents et qui permet le dĂ©ploiement d’applications dĂ©centralisĂ©es. Citons Ă©galement Steem qui est un rĂ©seau social rĂ©compensant ses utilisateurs ; Sia qui est un projet de stockage dĂ©centralisĂ© des donnĂ©es ; et BitBay qui souhaite devenir une plateforme de marchĂ© permettant d’échanger des choses de maniĂšre sĂ©curisĂ©e (souvent prĂ©sentĂ© comme un eBay dĂ©centralisĂ©). L’innovation technique de la chaĂźne de blocs, amplifiĂ©e par la libertĂ© des initiatives et la facilitĂ© d’investissement, pourrait bien changer la face du monde.

NĂ©anmoins, je pense qu’il est judicieux de s’attendre Ă  une contre-attaque de l’empire. Certains pays pourraient fortement restreindre voire interdire l’usage des cryptomonnaies, ce qui influencerait les bons citoyens qui respectent scrupuleusement la loi, mĂȘme s’il serait facile de contourner la loi, comme on le fait aujourd’hui avec le tĂ©lĂ©chargement illĂ©gal. D’autres États choisiront peut-ĂȘtre d’utiliser la technologie de Bitcoin pour crĂ©er leur propre cryptomonnaie semi-centralisĂ©e : un euro numĂ©rique rĂ©gi par l’Union EuropĂ©enne pourrait ainsi voir le jour. AprĂšs tout, l’imagination des lĂ©gislateurs quand il s’agit de taxer et de rĂ©glementer une innovation technique est sans limites.

 

Conclusion

Les cryptomonnaies reprĂ©sentent un tour de force technique sans prĂ©cĂ©dent. De par leur existence, elles nous poussent Ă  nous intĂ©resser Ă  ce qui fonde la valeur de la monnaie que nous utilisons, et Ă  rĂ©aliser Ă  quel point nous faisons confiance au systĂšme bancaire actuel. Le XXĂšme siĂšcle a largement Ă©tĂ© dominĂ© par les monnaies fiat et par l’inflation qui en rĂ©sulte. Il est possible qu’il n’en soit pas de mĂȘme pour le XXIĂšme siĂšcle. Si les cryptomonnaies fascinent tant, c’est en raison de leur caractĂšre subversif et de leur potentiel de libĂ©ration. Elles exacerbent le sentiment de dĂ©fiance que tout individu normalement constituĂ© ressent pour l’autoritĂ©, et sa propension Ă  vouloir s’émanciper de la tutelle qui lui est imposĂ©e. C’est l’une des raisons pour lesquelles je pense que cet engouement pour les cryptomonnaies ne cessera de croĂźtre au cours des annĂ©es, jusqu’à qu’elles deviennent des monnaies Ă  part entiĂšre pour le commun des mortels.

 


Pour écrire cet article je me suis grandement inspiré du trÚs bon ouvrage Bitcoin, la monnaie acéphale de Jacques Favier et Adli Takkal Bataille.

SideShift, l’échangeur de cryptomonnaies automatisĂ©

November 20th 2019 at 18:13

SideShift AI, ou plus simplement SideShift, est un service d’échange direct de cryptomonnaies ne nĂ©cessitant aucune vĂ©rification d’identitĂ©. CrĂ©Ă© par Andreas Brekken en janvier 2019, il s’agit d’une alternative Ă  ShapeShift, le cĂ©lĂšbre service d’échange qui a pris en 2018 la dĂ©cision controversĂ©e d’imposer Ă  ses utilisateurs de fournir leurs informations personnelles pour effectuer des Ă©changes. SideShift est encore jeune et demeure en version bĂȘta (version 0.4 Ă  l’heure actuelle), mais il est trĂšs prometteur, notamment par son engagement Ă  ne pas tomber dans les mĂȘmes travers que son grand frĂšre.

 

Qui est Andreas Brekken ?

Puisqu’un service d’échange tel que SideShift implique un tiers de confiance, il est intĂ©ressant de connaĂźtre son crĂ©ateur et directeur, qui est en charge de son dĂ©veloppement : Andreas Brekken.

Andreas Brekken est nĂ© en NorvĂšge et possĂšde actuellement la nationalitĂ© de l’État de Saint-Christophe-et-NiĂ©vĂšs (appelĂ© Saint Kitts par les anglophones), « paradis fiscal » situĂ© dans les CaraĂŻbes. Il s’agit d’un dĂ©veloppeur ayant travaillĂ© sur beaucoup de projets en lien avec la cryptomonnaie : il a entre autres co-fondĂ© une plateforme d’échange appelĂ©e Justcoin.com en 2013 (revendue en 2014) et travaillĂ© pour Kraken en tant qu’ingĂ©nieur entre 2015 et 2016.

 

Andreas Brekken lunettes de soleil

 

À cĂŽtĂ© de cela, Andreas Brekken est le propriĂ©taire du site web Shitcoin.com oĂč il publie de longues analyses sur des plateformes ou des protocoles qu’il essaie comme Storj, Monero, OpenBazaar, Dash, Iota, EOS, Tron ou le rĂ©seau Lightning. Le site met Ă©galement Ă  disposition une newsletter humoristique retraçant de maniĂšre dĂ©calĂ©e l’actualitĂ© de l’écosystĂšmes des cryptomonnaies.

Depuis fin 2018, Andreas Brekken travaille principalement sur SideShift AI, qui se développe lentement mais surement.

 

Pourquoi SideShift AI ?

Force est de constater que le nom de SideShift AI n’a pas Ă©tĂ© choisi au hasard. D’abord, l’acronyme AI (Artificial Intelligence) donne une indication sur ce vers quoi tend SideShift : une automatisation des Ă©changes entre les diffĂ©rentes chaĂźnes. MĂȘme s’il s’agit d’une plateforme centralisĂ©e, on peut penser que des techniques comme les Ă©changes atomiques (atomic swaps) seront implĂ©mentĂ©es Ă  l’avenir.

L’autre partie du nom, SideShift, fait une rĂ©fĂ©rence directe Ă  ShapeShift dont il prend la relĂšve. Avec sa dĂ©cision d’imposer des contraintes de KYC et d’AML, le grand frĂšre ShapeShift s’est en effet coupĂ© de ce qui avait fait son succĂšs en 2017 et en 2018 : des Ă©changes directs et sans contrainte, permettant aux utilisateurs d’échanger une cryptomonnaie contre une autre sans procĂ©dure administrative. SideShift est donc en concurrence avec d’autres services du mĂȘme type qui ont Ă©mergĂ© comme ChangeNOW.

SideShift permet d’échanger des cryptomonnaies de façon simple et rapide, mais son rĂŽle ne se limite pas qu’à ça. Initialement, son objectif Ă©tait en effet de faciliter le transfert des unitĂ©s numĂ©riques entre une chaĂźne et ses diffĂ©rentes sidechains (ou chaĂźnes latĂ©rales), en donnant aux utilisateurs la possibilitĂ© de passer rapidement de l’une Ă  l’autre. SideShift s’inscrit notamment dans la dynamique du projet Drivechain portĂ© par Paul Sztorc.

La premiĂšre chaĂźne latĂ©rale dans laquelle SideShift est impliquĂ© est Liquid, la sidechain de Bitcoin dĂ©veloppĂ©e par Blockstream. SideShift fournit non seulement un service d’échange, mais il participe aussi Ă  la sĂ©curitĂ© de la chaĂźne latĂ©rale en faisant partie de la fĂ©dĂ©ration forte qui en a la charge.

En plus de cela, SideShift est utilisĂ© au sein du portefeuille de Bitcoin.com qui permet d’utiliser du bitcoin (BTC) et du bitcoin cash (BCH), et qui favorise ce dernier en le mettant en avant. SideShift a donc une position originale dans le conflit qui existe entre les communautĂ©s de Bitcoin et Bitcoin Cash, en Ă©tant recommandĂ© par Adam Back (PDG de Blockstream) tout en ayant un partenariat avec Bitcoin.com, l’entreprise du cĂ©lĂšbre Roger Ver faisant l’apologie de Bitcoin Cash.

Enfin, et ce n’est pas nĂ©gligeable, SideShift fait preuve d’un certain humour que d’autres plateformes n’ont pas. La promotion de SideShift, loin de passer par la publicitĂ© traditionnelle, se fait par la production de mĂšmes, ironisant souvent sur l’air ridicule que nous avons lorsque nous nous prenons en photo avec notre carte d’identitĂ© pour rĂ©pondre aux requĂȘtes de KYC des plateformes d’échange rĂ©glementĂ©es.

 

Exemple de PNJ montrant leur piÚce d'identité pour pouvoir échanger leurs cryptomonnaies

 

 

Quels échanges sont proposés ?

SideShift AI est encore en bĂȘta et ne permet pour l’instant d’échanger que les principales cryptomonnaies. NĂ©anmoins le choix est assez variĂ© et pourra vous satisfaire. Notez que chaque Ă©change effectuĂ© sur le site coĂ»te gĂ©nĂ©ralement 1 % du montant Ă©changĂ©, ce qui favorise les petites conversions.

Dans les cryptomonnaies « classiques », on retrouve le bitcoin (BTC), l’éther (ETH), le bitcoin cash (BCH), le litecoin (LTC), le Binance Coin (BNB), le bitcoin SV (BSV), le monero (XMR), le dash (DSH), le zcash (ZEC), ainsi que des cryptomonnaies moins sĂ©rieuses comme le dogecoin (DOGE) et le Spice Token (SPICE).

 

Échanger bitcoin btc et bitcoin cash bch

 

Il vous est aussi possible d’échanger des stable coins tels que le dai (DAI), le Tether USD (USDT), l’USDC de Circle et le HonestCoin (USDH) de CoinEx. Cette possibilitĂ© d’échanger vos cryptomonnaies contre des jetons indexĂ©s sur le dollar pourra ĂȘtre utile pour se prĂ©munir rapidement contre la volatilitĂ© du marchĂ© sans devoir passer par une plateforme traditionnelle.

Ensuite, comme on l’a Ă©voquĂ©, SideShift soutient la chaĂźne latĂ©rale Liquid et permet d’échanger des bitcoins se trouvant sur Liquid (L-BTC) pour des bitcoins de la chaĂźne principale (BTC). SideShift supporte Ă©galement la version Liquid du Tether USD, et a mĂȘme crĂ©Ă© son propre jeton indexĂ© sur le bitcoin cash : le L-BCH !

Enfin, il est possible de rapatrier des bitcoins prĂ©sents sur le rĂ©seau Lightning vers la chaĂźne de blocs, ce qui peut ĂȘtre utile si vous avez reçu un pourboire sur un service comme Tippin ou Bottle Pay. Malheureusement, vous ne pourrez pas procĂ©der au mouvement inverse : dans ce cas prĂ©fĂ©rez utiliser ZigZag par exemple.

Le dernier crypto-actif proposĂ© Ă  l’échange par SideShift est le SAI, qui est le jeton de fidĂ©litĂ© du site et qui est Ă©mis sur trois chaĂźnes diffĂ©rentes : Ethereum, Bitcoin Cash et Liquid. Si vous participez au programme d’affiliation, vous obtiendrez des SAI lorsque les personnes utilisant votre lien procĂ©deront Ă  des Ă©changes ! N’hĂ©sitez donc pas Ă  utiliser le mien : https://sideshift.ai/a/IzCaNLe2Y 🙂

 

Comment utiliser SideShift AI ?

Pour effectuer un Ă©change, rendez-vous sur le site web sideshift.ai. Vous vous retrouverez sur la page d’accueil : l’interface est minimaliste (ce qui plaira aux cypherpunks), mais tout Ă  fait fonctionnelle.

 

Page d'accueil de SideShift

 

Cliquez d’abord sur la premiĂšre icĂŽne (ici celle d’Ethereum) pour sĂ©lectionner la cryptomonnaie que vous dĂ©sirez convertir. Comme on l’a dit, les possibilitĂ©s sont multiples dans le type de coin qu’on peut Ă©changer. Ici j’ai optĂ© pour Ă©changer du bitcoin (BTC).

 

SideShift choix cryptomonaie Ă  envoyer

 

Puis cliquez sur la seconde icĂŽne pour choisir la cryptomonnaie que vous souhaitez obtenir en Ă©change. LĂ  encore, il y a une multitude de possibilitĂ©s, bien qu’il en manque quelques unes par rapport au sens inverse. Ici j’ai choisi de recevoir du bitcoin cash (BCH).

 

SideShift choix cryptomonaie Ă  recevoir

 

Vous aurez ensuite Ă  renseigner votre adresse de rĂ©ception de la cryptomonnaie de sortie, c’est-Ă -dire celle de votre portefeuille personnel. Ici, mon adresse pour recevoir du bitcoin cash Ă©tait qzy06gv7e6wejn63lmxrz65phe9kz79ga5gfdjnh37. Pour continuer, cliquez sur « SHIFT ».

 

Échange BTC vers BCH : mise en place

 

Enfin, vous devrez envoyer la cryptomonnaie indiquĂ©e Ă  l’adresse donnĂ© par SideShift (ici 3JD9EiS3tt7wFBeJr7deVRNMV6JMuMwKcp
), soit en la copiant directement, soit en scannant le code QR avec votre smartphone. Une fois la cryptomonnaie reçue, SideShift attendra un certain nombre de confirmations (une seule dans le cas de Bitcoin) pour vous envoyer l’autre cryptomonnaie.

SideShift vous indiquera le montant minimal et maximal qu’il est possible d’échanger. Dans mon cas, le montant devait se trouver entre 0,00012365 et 1,6 BTC, c’est-Ă -dire qu’il pouvait aller de 1 € Ă  12 000 €.

Prenez garde Ă  enregistrer le numĂ©ro de l’ordre (ici e9f9383795f9a5813da5) pour effectuer une rĂ©clamation au support en cas de problĂšme technique.

 

Échange BTC vers BCH : envoi des BTC

 

Lorsque votre transaction sera confirmĂ©e, SideShift vous enverra vos fonds. Le taux de change sera calculĂ© Ă  l’instant de la confirmation. Notez que ce dernier inclut les frais de 1 % prĂ©levĂ©s par SideShift sur les Ă©changes.

 

Échange BTC vers BCH : taux de change final

 

 

Conclusion

À l’instar de ShapeShift en 2017, SideShift AI se prĂ©sente comme un service automatisĂ© d’échange de cryptomonnaies permettant de convertir des fonds de maniĂšre simple et rapide, et sans nĂ©cessiter d’identification prĂ©alable. Il saura donc faciliter la vie de beaucoup d’utilisateurs de la communautĂ© en permettant Ă  chacun d’éviter les procĂ©dures longues et douloureuses des plateformes d’échange traditionnelles.

 

 

Le maximalisme du bitcoin contre la cryptomonnaie

October 31st 2019 at 09:10

Le maximalisme du bitcoin est une doctrine morale considĂ©rant que Bitcoin est le seul systĂšme de cryptomonnaie viable, qu’il doit occuper une position de monopole dans la sphĂšre crypto-Ă©conomique, et qui vise donc Ă  dĂ©courager la formation et le dĂ©veloppement de cryptomonnaies alternatives, notamment par l’attaque rĂ©pĂ©tĂ©e des autres projets sur les rĂ©seaux sociaux.

Dans l’article prĂ©cĂ©dent, nous avons vu que cette doctrine se fondait sur le fait que Bitcoin formait un systĂšme Ă©conomique complexe, dont la sĂ©curitĂ© et les qualitĂ©s monĂ©taires dĂ©pendaient de sa santĂ© financiĂšre, et qu’il Ă©tait par consĂ©quent hautement dĂ©sirable que la dominance du bitcoin soit la plus grande possible. Nous avons ainsi observĂ© que les maximalistes se prĂ©sentaient comme les cellules du systĂšme immunitaire de Bitcoin, dont le devoir Ă©tait de rĂ©guler culturellement la communautĂ© et de repousser les attaques sociales provenant des autres acteurs.

Aujourd’hui, nous allons examiner les raisons pour lesquelles cette doctrine est erronĂ©e, tant du point de vue monĂ©taire que technique, et pourquoi elle a un impact nĂ©gatif sur l’écosystĂšme.

Notez que dans cet article nous parlerons du bitcoin comme une monnaie destinĂ©e Ă  ĂȘtre utilisĂ©e par tous, un argent numĂ©rique pair-Ă -pair mondial, ce qui est la position gĂ©nĂ©ralement adoptĂ©e par les maximalistes, notamment quand ils dĂ©crivent l’avĂšnement prochain du bitcoin comme une certitude. Il serait possible d’adopter une position plus prudente en considĂ©rant que Bitcoin est techniquement limitĂ© et qu’il n’atteindra jamais un usage gĂ©nĂ©ralisĂ© (« Bitcoin est ce qu’il est »), mais ce n’est pas le sujet ici.

 

Bitcoin est-il indétrÎnable ?

Il est commun pour les maximalistes de prĂ©senter le bitcoin comme le roi des cryptomonnaies qui restera dominant en raison de son effet de rĂ©seau. Cependant, cet effet de rĂ©seau n’est aujourd’hui pas aussi puissant qu’il paraĂźt l’ĂȘtre et Bitcoin n’est Ă  mon avis pas indĂ©trĂŽnable, bien qu’il risque de conserver sa position pendant encore quelques temps.

Tout d’abord, le symptĂŽme clair de la fragilitĂ© de l’effet de rĂ©seau de Bitcoin est l’existence du maximalisme lui-mĂȘme : si Bitcoin n’était pas mis en danger par sa concurrence, les maximalistes n’existeraient tout simplement pas. Nous avons d’ailleurs dĂ©jĂ  remarquĂ© que le maximalisme s’était initialement dĂ©veloppĂ© entre 2014 et 2015 lorsque le prix du bitcoin Ă©tait au plus bas et que son effet de rĂ©seau commençait Ă  s’affaiblir.

Ensuite, il faut remarquer que l’écosystĂšme des cryptomonnaies est encore minuscule d’un point de vue financier si on le compare aux monnaies fiat ou Ă  l’or : sa capitalisation boursiĂšre actuelle est de 250 milliards de dollars, loin des 15 000 milliards de la masse monĂ©taire M3 du dollar et des 7500 milliards de la valeur du stock d’or mondial. De plus, cette valeur financiĂšre doit ĂȘtre considĂ©rĂ©e avec prudence puisqu’elle est surtout issue de la spĂ©culation autour d’une technologie naissante, et pas de l’usage effectif de cette technologie. Ceci fait que rien n’est encore Ă©tabli et qu’il peut encore y avoir des retournements assez rapides.

Les maximalistes aiment comparer Bitcoin Ă  Internet parce que la suite de protocoles TCP/IP Ă©tait la premiĂšre de la sorte Ă  voir le jour et a pu devenir un standard grĂące Ă  cet avantage, en dĂ©pit de la rude concurrence du modĂšle OSI lancĂ© plus tard. Mais il ne faut pas gĂ©nĂ©raliser et il existe de nombreux contre-exemples Ă  l’avantage du prĂ©curseur : le français a longtemps occupĂ© le statut de langue diplomatique internationale avant de tomber en dĂ©suĂ©tude au profit de l’anglais ; Google n’était pas le premier moteur de recherche ; Facebook a supplantĂ© MySpace en tant que rĂ©seau social, etc.

Enfin, et c’est sans doute la raison la plus importante, le fait est que Bitcoin a des dĂ©fauts majeurs et qu’on ne peut y remĂ©dier. En effet, le Bitcoin des maximalistes ne pourra pas changer sensiblement en raison de leur absence de compromis1 : si Bitcoin changeait sans leur approbation, alors il deviendrait, selon leur terminologie, une cryptomonnaie alternative. Ainsi, cette rĂ©sistance au changement rend obsolĂšte le principal argument qu’on pourrait faire en faveur de l’existence d’une seule cryptomonnaie, Ă  savoir le fait qu’elle peut intĂ©grer toutes les amĂ©liorations de ses concurrentes puisque tout est en source ouverte.

 

Le bitcoin est une mauvaise monnaie

Selon les maximalistes, le bitcoin est une monnaie saine, une monnaie librement choisie par le marchĂ© qui est Ă  l’abri des ingĂ©rences Ă©tatiques. Mais pour qu’il soit choisi par les gens, il faudrait que le bitcoin dispose des qualitĂ©s d’une bonne monnaie. Or ce n’est pas le cas.

La monnaie est l’intermĂ©diaire d’échange par excellence. Ce qui fait qu’un bien est utilisĂ© comme monnaie, c’est ce qu’on appelle sa cessibilitĂ© (de l’allemand AbsatzfĂ€higkeit, traduit en anglais par saleability ou salability), c’est-Ă -dire la facilitĂ© avec laquelle ce bien peut ĂȘtre Ă©changĂ© sur le marchĂ© dĂšs que son dĂ©tenteur le dĂ©sire et en encourant le moins de perte de valeur possible. Ce concept, dĂ©crit en 1892 par Carl Menger dans son essai On the Origin of Money, se rapproche donc du concept de liquiditĂ©, ce qui fait que de nombreuses personnes dĂ©finissent la monnaie comme le bien le plus liquide : c’est d’ailleurs pour cela qu’on parle « d’argent liquide » en français.

Une bonne monnaie doit avoir une cessibilitĂ© Ă©levĂ©e qui s’adapte aux circonstances des Ă©changes Ă©conomiques. D’abord, la monnaie doit ĂȘtre cessible Ă  travers l’espace : il faut qu’elle soit portable, c’est-Ă -dire que l’énergie ou le coĂ»t pour la dĂ©placer doit ĂȘtre moindre. Ensuite, sa cessibilitĂ© a aussi besoin de se faire dans le temps : la valeur de la monnaie doit ĂȘtre stable et pour cela il faut qu’elle soit durable et rare. Enfin, la monnaie doit possĂ©der une cessibilitĂ© qui s’ajuste Ă  l’échelle : le bien utilisĂ© doit ĂȘtre divisible et fongible, c’est-Ă -dire qu’il doit ĂȘtre possible de le diviser en petites unitĂ©s et qu’on ne doit pas discerner une unitĂ© d’une autre. Cette triple adaptation Ă  l’espace, au temps et Ă  l’échelle se retrouve dans les trois fonctions de la monnaie : intermĂ©diaire dans les Ă©changes, rĂ©serve de valeur et unitĂ© de compte.

Le problĂšme, c’est que les maximalistes, et malheureusement beaucoup de bitcoineurs, ont tendance Ă  se focaliser sur la fonction de rĂ©serve de valeur du bitcoin, qui provient notamment de sa durabilitĂ© et de sa raretĂ©, tout en nĂ©gligeant ses autres fonctions. Assez Ă©trangement, ils s’imaginent que la monnaie acquiert d’abord son statut de rĂ©serve de valeur pour ensuite devenir un intermĂ©diaire dans les Ă©changes et enfin une unitĂ© de compte.

 

L’évolution monĂ©taire du bitcoin selon Murad Mahmudov (cliquer sur l’image pour agrandir)
L'évolution monétaire du bitcoin selon Murad Mahmudov

 

En cela, ils oublient que la monnaie, dont le rĂŽle unique est de servir de moyen d’échange indirect sur le marchĂ©, obtient son statut de monnaie2, non pas en acquĂ©rant chacune de ces fonctions individuellement, mais plutĂŽt de maniĂšre simultanĂ©e et progressive, les trois fonctions se complĂ©tant mutuellement. Ainsi que l’écrit Ludwig von Mises dans sa ThĂ©orie de la monnaie et du crĂ©dit publiĂ©e en 1912 :

La monnaie est un bien dont la fonction Ă©conomique est de faciliter les Ă©changes rĂ©ciproques de biens et de services. [
] [Ses fonctions secondaires] peuvent toutes ĂȘtre dĂ©duites du rĂŽle de la monnaie comme moyen d’échange commun.

La fonction de moyen d’échange est donc indissociable de la fonction de rĂ©serve de valeur, et c’est la raison pour laquelle la plupart des gens Ă©pargnent leur richesse en monnaie fiat en dĂ©pit de l’inflation : car ils peuvent avoir un accĂšs direct, immĂ©diat et sans friction Ă  d’autres biens et services. Cela est d’autant plus vrai pour le bitcoin qui, contrairement Ă  l’or, n’a (quasiment) aucune valeur non monĂ©taire, et dĂ©pend par consĂ©quent de sa fonction d’intermĂ©diaire d’échange pour garder son prix.

Ainsi, pour devenir la monnaie saine tant louĂ©e, le bitcoin ne doit pas seulement ĂȘtre un bien rare et inconfiscable, mais il doit aussi avoir une cessibilitĂ© qui s’adapte bien Ă  l’espace et Ă  l’échelle, choses qui lui font cruellement dĂ©faut.

 

Les deux problĂšmes de Bitcoin

Bitcoin souffre de problÚmes intrinsÚques qui ont des conséquences néfastes sur sa nature de systÚme monétaire. En particulier, deux problÚmes majeurs impactent le bitcoin : son manque de portabilité, qui est caractérisé par des frais de transactions et des temps de confirmations élevés, et son manque de fongibilité, issu de la faible confidentialité de sa chaßne.

Le premier problĂšme majeur du bitcoin est son manque de portabilitĂ© qui est directement liĂ© aux problĂšmes de passage Ă  l’échelle de son protocole. Comme on l’a vu dans le prĂ©cĂ©dent article, la capacitĂ© transactionnelle du rĂ©seau est artificiellement limitĂ©e par une taille limite des blocs afin de prĂ©server une dĂ©centralisation maximale du rĂ©seau. Cette limitation provoque depuis 2017 des congestions pĂ©riodiques du rĂ©seau Bitcoin : les transactions en attente de confirmation s’accumulent dans la zone mĂ©moire des nƓuds (« mempool »), ce qui fait grimper les frais de transaction par un phĂ©nomĂšne d’enchĂšres successives. Les utilisateurs sont alors contraints d’attendre que la congestion passe (ce qui peut prendre plusieurs jours), ou bien de payer des frais plus grands pour que leur transaction soit confirmĂ©e.

 

Taille moyenne des blocs de BTC entre 2013 et 2019
La taille des blocs entre 2013 et 2019. Avant SegWit la taille des blocs était limitée à 1 Mo ; depuis SegWit, la restriction est définie de maniÚre plus complexe3 mais est toujours trÚs contraignante.

 

Ce phĂ©nomĂšne de quota est vu comme nĂ©cessaire par les maximalistes : pour eux, il contribue Ă  crĂ©er un marchĂ© des frais pour payer pour la sĂ©curitĂ© de Bitcoin. Mais il a pour consĂ©quence d’amoindrir considĂ©rablement la portabilitĂ© du bitcoin, notamment lors des pĂ©riodes d’engouement spĂ©culatif comme en dĂ©cembre 2017 oĂč les frais de transaction mĂ©dians atteignaient les 30 $, ou lors de l’étĂ© dernier oĂč ils dĂ©passaient les 3 $.

Les maximalistes ont tendance Ă  croire que le problĂšme de scalabilitĂ© sera rĂ©solu par des solutions (miracles) de surcouche comme le rĂ©seau Lightning et les chaĂźnes latĂ©rales, mais Ă  mon avis ce ne sera pas suffisant. D’abord, ces solutions ont leurs dĂ©fauts et leurs limitations propres : le rĂ©seau Ligthning par exemple, a des problĂšmes inhĂ©rents de sĂ©curitĂ©, de scalabilitĂ© et de liquiditĂ©. Ensuite, puisque la croissance des frais rendra la chaĂźne de blocs inutilisable pour beaucoup de personnes, la dĂ©centralisation de ces couches supĂ©rieures sera considĂ©rablement impactĂ©e par l’impossibilitĂ© Ă©conomique de revenir sur la couche de base. Ainsi, sans une augmentation de la capacitĂ© transactionnelle du protocole Bitcoin comme le prĂ©conise Thaddeus Dryja (l’un des co-concepteurs du rĂ©seau Lightning), le manque de portabilitĂ© du bitcoin pourrait perdurer.

Continuons avec le second problĂšme majeur de Bitcoin, qui est son manque de confidentialitĂ©. Dans Bitcoin, le registre des transactions n’est pas anonyme, mais pseudonyme : les bitcoins sont transfĂ©rĂ©s entre des adresses publiques dĂ©tenues par les utilisateurs, de telle sorte qu’en principe on ne peut pas savoir Ă  qui appartient quoi. Cependant, Ă  cause de la multiplication des procĂ©dures d’identification (KYC/AML) par les plateformes d’échange et de l’analyse de chaĂźne (notamment rĂ©alisĂ©e par Chainalysis), cette relative confidentialitĂ© est clairement remise en cause, et ce d’autant plus que la mauvaise portabilitĂ© du bitcoin pousse les gens Ă  passer par l’intermĂ©diaire de services tiers.

Il existe une mĂ©thode d’anonymisation directement applicable sur Bitcoin : il s’agit du mĂ©lange de piĂšces (appelĂ© CoinJoin) qui permet aux utilisateurs de brouiller les pistes en envoyant leurs fonds dans une transaction commune. Mais les problĂšmes de scalabilitĂ© de Bitcoin pourraient rendre cette mĂ©thode assez peu fiable et trĂšs onĂ©reuse pour les petits montants, ce qui contraste directement avec l’utilisation massive qui en est faite par Dash (PrivateSend) ou par Bitcoin Cash (CashShuffle), cryptomonnaies offrant des frais faibles de maniĂšre quasi permanente. De plus, d’autres protocoles disposent d’une meilleure confidentialitĂ© en exploitant des techniques cryptographiques : Zcash utilise des preuves Ă  divulgation nulle de connaissance pour augmenter l’opacitĂ© de certaines transactions, et Monero se base entre autres sur les signatures de cercle pour obtenir un haut niveau d’anonymat gĂ©nĂ©ral.

Pour en revenir aux caractĂ©ristiques monĂ©taires, ce manque de confidentialitĂ© impacte directement la fongibilitĂ© du bitcoin. En effet, l’absence d’anonymat permet de diffĂ©rencier les piĂšces de bitcoin et de leur attribuer des valeurs distinctes. En tĂ©moigne notamment le dĂ©veloppement du commerce des « bitcoins vierges », c’est-Ă -dire des bitcoins fraĂźchement minĂ©s, n’étant pas « salis » par des transactions illĂ©gales et qui se vendraient 20 % au-dessus du prix du marchĂ©. Ce manque de fongibilitĂ© pose un problĂšme important pour un bien qui veut ĂȘtre une monnaie : pour accepter le bitcoin, le commerçant devrait prĂ©alablement s’assurer que les bitcoins payĂ©s ne soient pas volĂ©s ou n’aient pas Ă©tĂ© impliquĂ©s dans des affaires criminelles, ce qui alourdirait profondĂ©ment les Ă©changes. Pire : si un État bannissait la dĂ©tention de bitcoins ou menaçait de le faire, l’insuffisance de confidentialitĂ© impacterait d’autant plus la cessibilitĂ© du bitcoin dans le pays concernĂ©.

Enfin, quant Ă  savoir si le bitcoin est le seul Ă  pouvoir ĂȘtre durable et rare, et si les autres cryptomonnaies ne peuvent pas atteindre le mĂȘme degrĂ© d’immuabilitĂ©, c’est Ă  mon avis une question ouverte. Comme on l’a dit dans l’article prĂ©cĂ©dent, la possibilitĂ© de faire tourner un nƓud du rĂ©seau et la politique monĂ©taire dĂ©flationniste du bitcoin sont garanties par l’inaltĂ©rabilitĂ© des rĂšgles de consensus, et cette inaltĂ©rabilitĂ© est garantie par une norme culturelle forte, un point de Schelling dont les maximalistes sont les premiers dĂ©fenseurs (« Toute tentative de changer Bitcoin est une arnaque ! »). À ceci, je rĂ©pondrai que la norme culturelle dĂ©fendue par la communautĂ© pourrait ne pas concerner toutes les rĂšgles de la mĂȘme façon : certains aspects du protocole, dont la politique monĂ©taire, seraient maintenus par l’absence de compromis, tandis que d’autres, comme la taille limite des blocs, pourraient ĂȘtre moins bien dĂ©finis et dĂ©pendre des avancements technologiques. Ainsi, on ne peut selon moi exclure la possibilitĂ© que, au fur et mesure du temps, d’autres cryptomonnaies puissent devenir de bonnes rĂ©serves de valeur.

Quoi qu’il en soit des autres cryptomonnaies, le bitcoin des maximalistes est loin de constituer la monnaie idĂ©ale qu’ils vantent en permanence, et sa rigiditĂ© quasi absolue face au changement, qui lui donne sa force actuelle, pourrait devenir, Ă  long terme, la plus grande de ses faiblesses.

 

D’autres usages des registres distribuĂ©s

La cryptomonnaie ce n’est pas que la monnaie, et l’usage qu’on peut faire d’un protocole crypto-Ă©conomique n’est pas limitĂ© au simple transfert de valeur. En effet, deux autres catĂ©gories d’utilisations existent : l’usage notarial, c’est-Ă -dire la garantie de l’authenticitĂ© de donnĂ©es, et l’usage « contractuel » passant par le biais de contrats autonomes (smart contracts), c’est-Ă -dire de programmes informatiques dont l’exĂ©cution se fait par l’intermĂ©diaire d’une chaĂźne de blocs et ne nĂ©cessite donc pas l’intervention d’un tiers de confiance. C’est la crĂ©ation de Bitcoin qui, en apportant un registre rĂ©putĂ© immuable et une possibilitĂ© de programmer la monnaie, a permis Ă  ces usages annexes de voir le jour.

Cependant, Bitcoin est nĂ©cessairement limitĂ©, notamment par son modĂšle de sĂ©curitĂ© qui requiert que la taille des donnĂ©es et le nombre d’opĂ©rations restent suffisamment bas. C’est pour cela qu’on a vu d’autres protocoles, faisant d’autres compromis et ayant des modĂšles de sĂ©curitĂ© diffĂ©rents, se spĂ©cialiser dans ces usages. Ethereum en est sans doute le meilleur exemple : l’éther a en effet Ă©tĂ© crĂ©Ă© dans le but de servir principalement de carburant Ă  la plateforme (Vitalik Buterin parle de « cryptofuel »), et pas de rĂ©elle monnaie comme le bitcoin. Les usages notariaux et contractuels Ă©tant moins sensibles que la monnaie, Ethereum peut se permettre d’ĂȘtre moins dĂ©centralisĂ© et plus flexible que Bitcoin.

Satoshi Nakamoto lui-mĂȘme n’était pas hostile Ă  cette idĂ©e, et, dans l’un de ses derniers messages en dĂ©cembre 2010, il avait donnĂ© son avis sur le projet BitDNS, qui allait devenir Namecoin en 2011 :

Empiler tous les systĂšmes de quorum par preuve de travail dans une seule base de donnĂ©es ne passe pas Ă  l’échelle. Bitcoin et BitDNS peuvent ĂȘtre utilisĂ©s sĂ©parĂ©ment. [
] Les rĂ©seaux ont besoin d’avoir des destins diffĂ©rents. Les utilisateurs de BitDNS pourraient ĂȘtre complĂštement tolĂ©rants vis-Ă -vis de l’ajout de fonctionnalitĂ©s permettant de traiter des donnĂ©es volumineuses puisque peu de registraires de noms de domaine seraient nĂ©cessaires, tandis que les utilisateurs de Bitcoin pourraient devenir de plus en plus sectaires Ă  propos de la limitation de la taille de la chaĂźne de sorte que son accĂšs reste facile pour beaucoup d’utilisateurs et pour de petits appareils.

Mais ce n’est pas l’avis des maximalistes qui rejettent en bloc tous les modĂšles crypto-Ă©conomiques autres que Bitcoin, et font par consĂ©quent une critique intransigeante de la « technologie blockchain », le terme utilisĂ© par les mĂ©dias pour dĂ©signer l’ensemble des technologies de consensus sur des systĂšmes distribuĂ©s. En fait, ils sont si inflexibles qu’ils en sont arrivĂ©s Ă  transformer le motto fallacieux « blockchain not Bitcoin », popularisĂ© par Blythe Masters en 2015, en la proposition inverse qui est encore plus surrĂ©aliste : « Bitcoin not blockchain ». En effet, selon leur doctrine, le seul usage qu’on puisse faire d’une chaĂźne de blocs est l’usage monĂ©taire, et la seule chaĂźne Ă  mĂȘme d’y parvenir est celle de Bitcoin. C’est pourquoi beaucoup de maximalistes en vont jusqu’à insulter Andreas Antonopoulos, bitcoineur convaincu, cĂ©lĂšbre confĂ©rencier et auteur de Mastering Bitcoin, qui partage la vision d’un Ă©cosystĂšme variĂ© et qui soutient Ethereum.

 

Tableau décisionnel de la blockchain selon Saifedean Ammous
Tableau décisionnel de la blockchain selon Saifedean Ammous

 

Il est dur de juger de la pertinence d’Ethereum, mais tout indique que son utilisation est vouĂ©e Ă  grandir et que l’éther conservera sa valeur Ă  long terme. À l’instar de Bitcoin, Ethereum jouit d’un effet de rĂ©seau en tant que prĂ©curseur dans sa catĂ©gorie, ce qui lui donne un avantage non nĂ©gligeable par rapport aux autres plateformes du mĂȘme type, et ce malgrĂ© sa nature changeante et hasardeuse.

Ainsi, Ă  l’avenir, il est probable qu’on voie une diversitĂ© de protocoles de registres distribuĂ©s Ă©merger, et que chacun d’entre eux aura ses propres compromis pour s’adapter au mieux Ă  l’usage visĂ©.

 

Le maximalisme est un tribalisme toxique

Le maximalisme est un tribalisme toxique qui cherche Ă  Ă©craser les cryptomonnaies alternatives au bitcoin. Les maximalistes semblent ĂȘtre devenus les meneurs idĂ©ologiques de la communautĂ© de Bitcoin et, tels des missionnaires en charge de rĂ©pandre la bonne nouvelle, ils diffusent leur propagande partout oĂč ils le peuvent : sur les rĂ©seaux sociaux, dans les mĂ©dias les plus gĂ©nĂ©ralistes et mĂȘme dans les livres pour enfants4 !

Parmi leurs pratiques, on retrouve l’injonction Ă  accumuler des bitcoins, qui se matĂ©rialise le plus souvent par la rĂ©pĂ©tition de courtes phrases en anglais comme « buy bitcoin » (achetez du bitcoin) ou « stack sats » (entassez les satoshis) et par la mise en valeur de la fonction de rĂ©serve de valeur du bitcoin. Et quand le prix de cette « rĂ©serve de valeur » s’effondre avec la volatilitĂ© qu’on lui connaĂźt, ce sont les expressions « buy the dip » (achetez la baisse) et « HODL5 » qui ressortent. La rĂ©alitĂ© est que cette injonction contribue directement Ă  la valorisation du bitcoin, donc Ă  la santĂ© du systĂšme entier, et que c’est pour cela que les maximalistes appellent autant Ă  l’accumulation. D’ailleurs, l’une des quatre vĂ©ritĂ©s de Giacomo Zucco que j’avais Ă©voquĂ©es dans le premier article, Ă©tait que « toute tentative de pousser quelqu’un Ă  dĂ©penser du bitcoin [Ă©tait] une arnaque », qui sous-entend que celui qui dĂ©penserait ses bitcoins les donnerait Ă  quelqu’un d’autre qui pourrait les vendre Ă  vil prix et faire baisser le cours.

Mais la pratique la plus dĂ©testable des maximalistes est sans doute l’attaque gratuite contre les diffĂ©rentes cryptomonnaies et contre les services qui acceptent ces autres cryptomonnaies comme Coinbase et Bitpay. PremiĂšrement, cette attitude est directement nuisible Ă  l’intĂ©rieur de l’écosystĂšme (les gens investis dans des projets « sans intĂ©rĂȘt » ne reviendront pas vers Bitcoin parce qu’un maximaliste leur a dit qu’ils Ă©taient des shitcoiners, bien au contraire), et mĂȘme au sein de la communautĂ© de Bitcoin. Secondement, elle donne une image exĂ©crable de Bitcoin et des cryptomonnaies Ă  l’extĂ©rieur de notre microcosme : les maximalistes font paraĂźtre les bitcoineurs comme des gens sectaires et fermĂ©s, des spĂ©culateurs intĂ©ressĂ©s uniquement par le prix (« number go up »), qui rĂ©pĂštent sans cesse que le bitcoin est un or numĂ©rique qui ne doit pas bouger, ce qui dissuade clairement l’arrivĂ©e de nouveaux utilisateurs souhaitant l’utiliser comme un moyen de paiement.

Ainsi, ce tribalisme des maximalistes nuit directement au concept d’argent liquide Ă©lectronique pair-Ă -pair qu’est censĂ© reprĂ©senter Bitcoin. En d’autres termes, le maximalisme est toxique pour la cryptomonnaie. Pour citer les mots de Ferdous Bhai, un bitcoineur profondĂ©ment agacĂ© par le maximalisme :

Si nous continuons d’éloigner les utilisateurs en prenant des positions extrĂȘmes et absurdes, alors l’effet de rĂ©seau de Bitcoin arrĂȘtera de grandir, et les monnaies alternatives possĂ©dant un Ă©cosystĂšme plus sain finiront par gagner. [
] Je veux voir Bitcoin gagner, et je continuerai de construire et de soutenir les entreprises qui rendent Bitcoin meilleur, plus fort et plus accessible. Dans ce processus, nous ne devons jamais perdre de vue notre objectif. Bitcoin n’est pas l’objectif final ; c’est un moyen d’atteindre l’objectif d’une monnaie dĂ©nationalisĂ©e, sans permission et rĂ©sistante Ă  la censure, que nous pouvons choisir d’utiliser ou de ne pas utiliser volontairement, sans coercition, ingĂ©nierie sociale ou menace de violence.

 

La coexistence des cryptomonnaies

Le maximalisme est donc une idĂ©ologie dĂ©fendant un monopole du bitcoin dans l’écosystĂšme des cryptomonnaies, par le biais d’une propagande continuelle ayant pour but de raffermir l’effet de rĂ©seau de Bitcoin. Pour les maximalistes, la coexistence des systĂšmes crypto-Ă©conomiques semble non seulement inutile mais profondĂ©ment nĂ©faste pour Bitcoin. Cependant, comme on l’a vu ici, le bitcoin n’est pas la monnaie saine tant louĂ©e et Bitcoin n’est pas une bonne plateforme adaptĂ©e Ă  tous les usages, et il est donc inĂ©vitable que des concurrents apparaissent.

Bitcoin-BTC reprĂ©sente le protocole le plus conservateur de l’écosystĂšme : Ă  cause du phĂ©nomĂšne d’ossification, il est trĂšs dur d’y intĂ©grer de nouvelles fonctionnalitĂ©s, et quand cela se fait tout de mĂȘme, le processus est lent et douloureux, ce qui n’est pas forcĂ©ment une mauvaise chose. Le problĂšme c’est que les maximalistes rabĂąchent continuellement que Bitcoin est le seul systĂšme de cryptomonnaie viable et que tous les autres sont vouĂ©s Ă  disparaĂźtre. En cela, ils semblent nĂ©gliger la notion hayĂ©kienne de la concurrence comme un processus de dĂ©couverte. L’écosystĂšme est en effet encore naissant et tous les protocoles crypto-Ă©conomiques, dont Bitcoin, peuvent encore ĂȘtre qualifiĂ©s d’expĂ©riences incertaines. Il est donc trĂšs raisonnable de penser que la coexistence pacifique des diffĂ©rents systĂšmes est bĂ©nĂ©fique pour la cryptomonnaie en gĂ©nĂ©ral, dans le sens oĂč de meilleurs modĂšles pourraient ĂȘtre dĂ©couverts et oĂč les erreurs de certains protocoles donneraient des indications sur ce qu’il ne faut pas faire.

De plus, il est possible qu’à terme la possibilitĂ© d’accĂ©der aux taux de change en direct et de pouvoir Ă©changer une cryptomonnaie contre une autre de maniĂšre quasi instantanĂ©e et dĂ©centralisĂ©e (Ă©changes atomiques, interopĂ©rabilitĂ©), pourrait maintenir une coexistence de cryptomonnaies ayant des caractĂ©ristiques diffĂ©rentes. Tout comme l’argent Ă©tait utilisĂ© aux cĂŽtĂ©s de l’or pendant des siĂšcles Ă  cause du problĂšme de divisibilitĂ© de ce dernier, divers systĂšmes pourraient se dĂ©velopper en parallĂšle Ă  Bitcoin pour compenser ses dĂ©fauts potentiels.

Quoi qu’il en soit, nous poursuivons tous le mĂȘme idĂ©al de libertĂ© monĂ©taire et de dĂ©sintermĂ©diarisation du systĂšme financier. PlutĂŽt qu’attaquer en permanence les alternatives Ă  Bitcoin, les bitcoineurs passionnĂ©s feraient mieux de se concentrer calmement sur leur cryptomonnaie, voire mĂȘme d’encourager l’usage des cryptomonnaies en gĂ©nĂ©ral. L’idĂ©e n’est pas de tomber dans l’excĂšs inverse : il existe assurĂ©ment des jetons numĂ©riques sans intĂ©rĂȘt qui sont soutenus et vendus par des personnes malhonnĂȘtes et frauduleuses. Mais il serait profitable de communiquer de façon bienveillante et argumentĂ©e plutĂŽt qu’adopter une attitude toxique et stĂ©rile.

Finalement, Ă  l’image de Satoshi Nakamoto lorsqu’il Ă©tait encore actif, nous devrions nous comporter de maniĂšre exemplaire pour que les contributeurs et utilisateurs futurs voient en nous des modĂšles Ă  imiter et qu’ils Ɠuvrent, eux aussi, Ă  l’essor de la monnaie libre.

 

Lever de soleil essor des cryptomonnaies small jpg

 


Notes

1. ↑ Les seuls changements du protocole tolĂ©rĂ©s par les maximalistes sont les modifications rĂ©trocompatibles qui restreignent les rĂšgles de consensus, qu’on appelle improprement soft forks. Ces modifications sont des mises Ă  niveau du protocole qui n’obligent pas les nƓuds non miniers et les autres infrastructures Ă  se mettre Ă  jour, ce qui permet ainsi de conserver l’effet de rĂ©seau de Bitcoin. Cependant, tous les soft forks ne sont pas acceptables car il est techniquement possible de changer la politique monĂ©taire du bitcoin ou d’augmenter la capacitĂ© transactionnelle par cette mĂ©thode de mise Ă  jour. Pour en savoir plus, vous pouvez lire mon article Ă  ce sujet.

2. ↑ La monnaie n’a pas vraiment de statut, et il n’y a aucune distinction nette entre une monnaie et une non-monnaie. D’aprùs Hayek dans Pour une vraie concurrence des monnaies :

Ce que nous observons est bien davantage un continuum dans lequel des biens dotĂ©s de diffĂ©rents degrĂ©s de liquiditĂ©, ou dont les valeurs fluctuent indĂ©pendamment les unes des autres, se confondent partiellement par le degrĂ© auquel ils peuvent ĂȘtre utilisĂ©s en tant que monnaie.

C’est ainsi qu’on peut considĂ©rer qu’il existe un multitude de monnaies (appelĂ©es « devises » par certains), et que les cryptomonnaies peuvent ĂȘtre dĂ©signĂ©es sous ce nom dans le sens oĂč elles servent effectivement d’intermĂ©diaire d’échange au sein de leurs communautĂ©s respectives, bien que leur liquiditĂ© soit trĂšs en deçà de celle des monnaies traditionnelles.

3. ↑ Depuis l’activation de SegWit, la grandeur restreinte par le protocole est le poids des blocs, qui ne peut pas dĂ©passer les 4 millions d’unitĂ©s. Cette limite autorise thĂ©oriquement la taille rĂ©elle des blocs Ă  approcher les 4 Mo, mais en pratique celle-ci avoisinerait plutĂŽt les 2 Mo dans le meilleur des cas. Le graphique ci-dessous montre l’évolution du poids moyen des blocs entre 2013 et 2019, calculĂ© rĂ©trospectivement. Les congestions du rĂ©seau ont gĂ©nĂ©ralement lieu lors des pĂ©riodes oĂč le poids des blocs atteint la limite des 4 millions d’unitĂ©s de façon rĂ©pĂ©tĂ©e.

Poids moyen des blocs de BTC entre 2013 et 2019

4. ↑ Bitcoin Money: A Tale of Bitville Discovering Good Money est un petit livre Ă©crit par Michael Caras qui raconte l’apparition de la monnaie au sein d’une sociĂ©tĂ© d’enfants et qui fait l’apologie de Bitcoin. Vers la fin du livre, des enfants crĂ©ent leurs propres copies de Bitcoin, prĂ©sentĂ©es trĂšs caricaturalement comme des monnaies qui demandent de faire confiance aux personnes qui les ont crĂ©Ă©es, Ă  l’instar des monnaies fiat.

5. ↑ « HODL » est une dĂ©formation orthographique du mot « hold » qui signifie ici « conservez [vos bitcoins], ne vendez pas ». Ce mĂšme provient Ă  l’origine d’un utilisateur du forum Bitcointalk qui avait, probablement Ă©mĂ©chĂ©, crĂ©Ă© un sujet intitulĂ© « I AM HODLING » Ă  la suite d’une baisse du cours pour expliquer qu’il Ă©tait un mauvais tradeur et qu’il fallait qu’il change de stratĂ©gie. Cinq annĂ©es plus tard, interrogĂ© par Coindesk, cet homme dĂ©clarait qu’il Ă©tait déçu de ce que son expression Ă©tait devenue. Pour le citer :

J’aime Bitcoin lui-mĂȘme mais je ne suis pas particuliĂšrement un maximaliste du bitcoin. [
] La raison pour laquelle le bitcoin avait de la valeur, Ă  mon avis, Ă©tait parce qu’il Ă©tait une monnaie Ă©chappant aux frontiĂšres, une monnaie qui puisse ĂȘtre transfĂ©rĂ©e entre deux personnes quelconques, Ă  n’importe quel moment et pour quasiment aucun frais.


Sources

Friedrich Hayek, Pour une vraie concurrence des monnaies (The Denationalization of Money), octobre 1976.
Vitalik Buterin, On Bitcoin Maximalism, and Currency and Platform Network Effects, 19 novembre 2014.
Saifedean Ammous, The Bitcoin Standard: The Decentralized Alternative to Central Banking, mars 2018.
Sal The Agorist, The Economics of BTC Maximalism, 25 août 2019.
Arthur Breitman, On Supply Caps, 2 septembre 2019.

Les fondements du maximalisme du bitcoin

October 15th 2019 at 09:00

Dans l’article prĂ©cĂ©dent, nous avons vu que le maximalisme du bitcoin Ă©tait une doctrine morale visant Ă  dĂ©courager la formation de cryptomonnaies alternatives, et qu’il se manifestait par une critique vĂ©hĂ©mente et systĂ©matique de ces derniĂšres, notamment en les dĂ©signant sous le nom mĂ©prisant de « shitcoins ». On pourrait croire Ă  du simple trollage, on pourrait penser qu’il s’agit d’une mouvance peu sĂ©rieuse d’individus en manque d’attention, mais c’est loin d’ĂȘtre le cas. En effet, les maximalistes les plus rĂ©flĂ©chis savent trĂšs bien ce qu’ils font, et ils savent aussi trĂšs bien le justifier.

Nous allons donc voir aujourd’hui sur quoi le maximalisme du bitcoin se fonde : pourquoi les maximalistes considĂšrent que le bitcoin est la meilleure des cryptomonnaies, pourquoi ils croient que les autres cryptomonnaies ne peuvent pas avoir les qualitĂ©s monĂ©taires du bitcoin, et pourquoi ils ont l’intime conviction qu’il est nĂ©cessaire de combattre ces autres cryptomonnaies dans le dĂ©bat public, y compris par le biais de propos simplistes, dĂ©sagrĂ©ables et blessants.

 

Le bitcoin, une monnaie saine

Aujourd’hui, la fonction monĂ©taire est soumise Ă  un monopole imposĂ© par les gouvernements : les Ă©changes passent par l’intermĂ©diaire de monnaies fiat comme l’euro, le dollar ou le yen, qu’il est interdit de concurrencer1 et qui sont Ă©mises par des États ou par des banques centrales. Dans chaque rĂ©gion du monde, on est ainsi forcĂ© d’utiliser une monnaie unique, et ce monopole a des effets nĂ©fastes sur l’économie.

PremiĂšrement, ce monopole permet de procĂ©der Ă  une crĂ©ation monĂ©taire continue et d’engendrer une inflation, c’est-Ă -dire une baisse du pouvoir d’achat de la monnaie, sans que le peuple ne puisse rien faire. Cette crĂ©ation monĂ©taire, conformĂ©ment au fait qu’elle profite Ă  ceux qui reçoivent la monnaie nouvellement produite, aide considĂ©rablement l’État en rĂ©duisant le poids de sa dette et des intĂ©rĂȘts qu’il doit payer. Mais elle soutient surtout l’économie actuelle, qui est littĂ©ralement droguĂ©e Ă  l’inflation (« il faut baisser les taux pour relancer l’économie »), ce qui provoque du malinvestissement et des crises Ă©conomiques rĂ©currentes et cycliques. Tel que le dĂ©crit Saifedean Ammous dans son livre L’étalon-bitcoin :

La gestion de la masse monĂ©taire [par le gouvernement], c’est le problĂšme qui se fait passer pour la solution ; c’est le triomphe de l’espoir et des Ă©motions sur la raison froide ; c’est la racine de toutes les politiques de subvention vendues Ă  des Ă©lecteurs crĂ©dules. Elle fonctionne comme une drogue extrĂȘmement addictive et destructive, telle que la mĂ©thamphĂ©tamine ou le sucre : elle cause une belle euphorie au dĂ©but, faisant croire Ă  sa victime qu’elle est invincible, mais dĂšs que l’effet diminue, la descente est dĂ©vastatrice et la victime en demande plus. C’est alors qu’un choix doit ĂȘtre fait : soit souffrir des effets du sevrage de l’addiction, soit prendre une autre dose, reporter d’un jour le moment de rendre des comptes, et entretenir de lourds dĂ©gĂąts Ă  long-terme.

Secondement, puisque l’économie tend Ă  se numĂ©riser (notamment par l’usage des cartes bancaires au dĂ©triment de l’argent liquide), ce monopole monĂ©taire donne un pouvoir de censure aux banques, ce qui permet indirectement Ă  l’État d’affermir son contrĂŽle sur les capitaux et de prĂ©lever l’impĂŽt plus facilement.

Bitcoin a spĂ©cifiquement Ă©tĂ© crĂ©Ă© pour rĂ©pondre Ă  ce double problĂšme. Pour les maximalistes et beaucoup d’autres bitcoineurs, le cƓur de la valeur du bitcoin rĂ©side dans le fait qu’il constitue une monnaie saine (sound money), c’est-Ă -dire une « monnaie librement choisie par le marchĂ©, et qui reste sous le contrĂŽle de ses dĂ©tenteurs, Ă  l’abri des ingĂ©rences et des interventions coercitives » pour reprendre les termes de Saifedean Ammous. Le bitcoin dispose en particulier de deux caractĂ©ristiques, qui Ă©mergent de l’aspect dĂ©centralisĂ© du systĂšme et que les monnaies gouvernementales n’ont pas : il est difficile Ă  produire et difficile Ă  censurer. En ce sens, le bitcoin se rapproche des mĂ©taux prĂ©cieux et, surtout, de l’or.

 

L'or et le bitcoin small

 

 

Pourquoi Bitcoin est unique

Cela nous amĂšne donc Ă  nous poser la question qui nous intĂ©resse dans cet article : si le bitcoin possĂšde les caractĂ©ristiques d’une monnaie saine, pourquoi les autres cryptomonnaies, qui s’inspirent grandement de sa conception de base, ne pourraient-elles pas aussi ĂȘtre rares et incensurables ?

Pour y rĂ©pondre, il faut constater que ces qualitĂ©s ne proviennent pas du code de Bitcoin, qui est disponible en source ouverte et qu’il est possible de copier autant qu’on le souhaite, mais des forces Ă©conomiques qui le protĂšgent : Bitcoin forme en effet un systĂšme Ă©conomique complexe qu’il est dur de rĂ©pliquer.

Tout d’abord, il est issu d’une « immaculĂ©e conception » telle que les maximalistes aiment l’appeler, c’est-Ă -dire d’une croissance initiale qui a Ă©tĂ© organique et anarchique, ce qui le distingue des autres cryptomonnaies.

En Ă©tant crĂ©Ă© en premier, Bitcoin a en effet Ă©chappĂ© Ă  beaucoup des inconvĂ©nients rencontrĂ©s par les protocoles lancĂ©s ensuite : il n’a pas Ă©tĂ© attaquĂ© dĂšs le premier jour et il n’a pas attirĂ© tout de suite la cupiditĂ© des spĂ©culateurs, mais il a Ă©tĂ© construit progressivement par des idĂ©alistes qui se demandaient si ce curieux systĂšme pouvait fonctionner. Ceci donne notamment au bitcoin l’une des distributions les plus justes de l’écosystĂšme puisque les bitcoins qui existent actuellement ont Ă©tĂ© minĂ©s et sont passĂ©s de main en main, et ont gagnĂ© leur valeur au fur et Ă  mesure du temps : aucune prĂ©vente ni aucune prĂ©-allocation n’a eu lieu comme pour l’éther, le ripple, l’éos ou le iota.

De plus, il est important de noter que le crĂ©ateur de Bitcoin, le mystĂ©rieux Satoshi Nakamoto, a disparu en 2011 laissant les rĂȘnes du projet Ă  une multitude de personnes : cela fait du bitcoin une monnaie acĂ©phale, sans meneur. Bitcoin se sĂ©pare donc de beaucoup d’autres protocoles crypto-Ă©conomiques dont le dĂ©veloppement gĂ©nĂ©ral est bien souvent influencĂ© par une personnalitĂ© unique, comme Ethereum est influencĂ© par Vitalik Buterin, Litecoin par Charlie Lee et EOS par Dan Larimer.

Ensuite, avec ses 10 annĂ©es d’existence, Bitcoin possĂšde une certaine longĂ©vitĂ© dont ne disposent pas les autres cryptomonnaies. Bitcoin peut ainsi ĂȘtre comparĂ© Ă  un rat d’égout, qui survit dans un environnement hostile : il est rempli de dĂ©fauts, mais il est terriblement bien adaptĂ© au contexte d’adversitĂ© dans lequel il Ă©volue, que ce soit du point de vue technique, Ă©conomique ou social. Et cette longĂ©vitĂ© renforce la confiance qu’on peut avoir dans le systĂšme conformĂ©ment Ă  l’effet Lindy : plus Bitcoin survit longtemps, plus son espĂ©rance de vie augmente.

Cela est d’autant plus vrai que Bitcoin bĂ©nĂ©ficie d’un point de Schelling naturel qui garantit l’inaltĂ©rabilitĂ© des rĂšgles de consensus : dans le cas d’un dĂ©saccord, toutes les parties en prĂ©sence choisiront de ne rien faire et un changement contentieux ne sera jamais appliquĂ© Ă  ce qu’on appelle « Bitcoin ». Cela change donc de Bitcoin Cash et d’Ethereum par exemple, qui rĂ©alisent des mises Ă  niveau rĂ©guliĂšres de leur protocole de base.

Enfin, cette rĂ©sistance au changement de Bitcoin lui permet de garder une faible capacitĂ© transactionnelle par le biais d’une « taille limite des blocs » qui restreint le nombre de transactions qu’on peut inclure dans un bloc. Cette restriction prĂ©serve la possibilitĂ© pour le plus grand nombre d’entretenir un nƓud complet afin d’assurer une plus grande dĂ©centralisation du rĂ©seau : en particulier, cela permet d’avoir une plus grande concurrence dans le minage et une meilleure vĂ©rification des rĂšgles de consensus. Comme le dit SosthĂšne dans son apologie des petits blocs, « il ne faut jamais sacrifier une parcelle de facilitĂ© de validation pour obtenir davantage de facilitĂ© de transaction [
] il est beaucoup moins dangereux de pĂ©cher par excĂšs de prudence que l’inverse ».

Selon les maximalistes, la restriction de la capacitĂ© transactionnelle n’est pas un problĂšme, mais une nĂ©cessitĂ© technique pour prĂ©server la dĂ©centralisation et l’immuabilitĂ© de Bitcoin : la couche infĂ©rieure (la chaĂźne de blocs) doit ĂȘtre stable, comme l’est la suite des protocoles sur laquelle se base Internet (« TCP/IP ») ; et l’activitĂ© Ă©conomique doit se passer sur les couches supĂ©rieures, qui peuvent ĂȘtre plus Ă©volutives. De cette maniĂšre, Ă  l’avenir, si Bitcoin rencontre une adoption massive, l’idĂ©e est qu’une petite quantitĂ© d’acteurs paiera des sommes astronomiques pour la sĂ©curitĂ© du rĂ©seau Bitcoin, et que l’essentiel des transactions se fera en dehors de la chaĂźne par le biais de solutions de scalabilitĂ© comme les chaĂźnes latĂ©rales (Liquid, RSK, etc.), le rĂ©seau Lightning ou les bitcoins physiques d’OpenDime. Rien n’interdira non plus l’usage de solutions centralisĂ©s comme les crypto-banques qui Ă©mergent dĂ©jĂ  aujourd’hui.

 

Les deux qualités de Bitcoin

Toutes les caractĂ©ristiques qu’on a Ă©voquĂ©es donnent au bitcoin des qualitĂ©s que les autres cryptomonnaies ne possĂšdent pas et que, selon les maximalistes, elles ne pourront jamais possĂ©der.

La premiĂšre qualitĂ©, qui est sans doute la plus mise en valeur par les maximalistes, est la rĂ©sistance Ă  l’inflation. Le fait que le protocole ne puisse pas Ă©voluer de façon drastique empĂȘche de modifier la politique monĂ©taire du bitcoin, qui est gravĂ©e dans le code depuis le premier jour. Pour les maximalistes, ce n’est pas le cas des autres protocoles crypto-Ă©conomiques qui, comme on l’a vu, peuvent ĂȘtre modifiĂ©s bien plus facilement que Bitcoin Ă  l’instar de Bitcoin Cash, ou pire, qui n’ont pas du tout de politique monĂ©taire dĂ©finie comme Ethereum.

Cela fait du bitcoin une monnaie dure Ă  produire (hard money) qui devient de plus en plus dure Ă  produire au fur et Ă  mesure du temps. En effet, la crĂ©ation monĂ©taire de bitcoins est rĂ©duite de moitiĂ© tous les 4 ans : le taux de crĂ©ation monĂ©taire qui est aujourd’hui d’environ 3,7 % par an, passera Ă  1,8 % par an en mai 2020, et tendra vers 0 Ă  mesure que les annĂ©es passent. Par consĂ©quent, il ne devra jamais y avoir plus 21 millions de bitcoins en circulation.

 

Création monétaire du bitcoin

 

La deuxiĂšme de ces qualitĂ©s est la rĂ©sistance Ă  la censure, c’est-Ă -dire qu’il est trĂšs dur pour une entitĂ© d’empĂȘcher ou de modifier l’écriture d’une transaction sur la chaĂźne de blocs. Cela fait du bitcoin une monnaie souveraine, contrairement Ă  d’autres cryptomonnaies.

D’abord, puisque le protocole est difficile Ă  changer, il est hautement improbable de revenir sur l’historique des transactions dans Bitcoin tel que cela a Ă©tĂ© fait dans Ethereum en 2016 Ă  la suite du du piratage de TheDAO et qui a menĂ© Ă  la scission entre Ethereum (ETH) et Ethereum Classic (ETC). Il est aussi impossible de geler des comptes comme l’ont fait les producteurs de blocs d’EOS en juin 2018.

Ensuite, Bitcoin est sans doute le protocole crypto-Ă©conomique le moins vulnĂ©rable aux attaques des 51 %. Il possĂšde en effet un taux de hachage suffisamment haut pour rendre exorbitant le coĂ»t de telles attaques2. À cĂŽtĂ© de cela, les branches minoritaires de Bitcoin qui partagent le mĂȘme algorithme de consensus (Bitcoin Cash, Bitcoin SV) sont aujourd’hui trĂšs sensibles Ă  ce type d’attaque : une coopĂ©rative de minage peut Ă  elle seule rĂ©aliser disposer de la moitiĂ© de la puissance de calcul et attaquer le rĂ©seau, bien qu’elle n’y soit clairement pas incitĂ©e. Les chaĂźnes de blocs minĂ©es par processeur graphique (GPU) sont aussi trĂšs vulnĂ©rables aux attaques des 51 % : Ethereum Classic, Bitcoin Gold et Verge en ont par exemple Ă©tĂ© des victimes.

Enfin, le fait qu’une attaque puisse ĂȘtre profitable sur ces chaĂźnes alternatives plus petites provient de la possibilitĂ© pour l’attaquant de convertir ses gains en BTC : sur Bitcoin, ce ne serait pas possible, car un attaquant dĂ©truirait la crĂ©dibilitĂ© de l’ensemble de l’écosystĂšme avec celle de Bitcoin, et se priverait d’un moyen efficace de conserver les fonds obtenus.

 

L'essence de Bitcoin
L’essence de Bitcoin selon David Puell (et les idĂ©es de Pierre Rochard)

 

Bitcoin est ainsi un systĂšme complexe dont les qualitĂ©s proviennent, non pas seulement de sa conception de base, mais aussi et surtout des circonstances Ă©conomiques et sociales dans lequel il Ă©volue. Pour qu’une autre cryptomonnaie puisse disposer de ces qualitĂ©s, il faudrait donc qu’elle rĂ©ussisse Ă  reconstituer ces circonstances, au moins en partie. Cependant, il existe un phĂ©nomĂšne qui s’oppose au succĂšs d’une telle dĂ©marche : c’est ce qu’on appelle l’effet de rĂ©seau.

 

L’effet de rĂ©seau de Bitcoin

L’effet de rĂ©seau est le phĂ©nomĂšne par lequel l’utilitĂ© rĂ©elle d’une technique ou d’un produit dĂ©pend de la quantitĂ© de ses utilisateurs. Il s’agit d’un effet qui s’auto-alimente, qui fonctionne comme un cercle vertueux : plus il y a d’utilisateurs dans le systĂšme, plus les nouveaux utilisateurs se tournent vers ce systĂšme. L’effet de rĂ©seau peut Ă©galement ĂȘtre exprimĂ© par la loi de Metcalfe :

L’utilitĂ© d’un rĂ©seau est proportionnelle au carrĂ© du nombre de ses utilisateurs.

L’exemple le plus parlant de l’effet de rĂ©seau est celui qui prend place en linguistique : les gens adoptent naturellement la langue qui leur sert Ă  communiquer avec les autres. À l’heure de mondialisation, il existe donc une tendance gĂ©nĂ©rale Ă  se tourner vers les langues les plus massivement utilisĂ©es, et en particulier vers une seule langue : l’anglais. L’anglais n’est ni la langue la mieux organisĂ©e, ni la plus facile Ă  apprendre, ni la plus facile Ă  prononcer : Ă  ce titre, l’esperanto, qui est une langue construite, est une bien meilleure. Mais la langue anglaise est trĂšs utilisĂ©e autour du monde, et Ă  ce titre fait aujourd’hui office de lingua franca dans le commerce international ou dans la communautĂ© scientifique, Ă  tel point qu’une personne peut rencontrer des difficultĂ©s si elle ne la connaĂźt pas.

Bitcoin, qui est un protocole de communication comme le langage, est soumis au mĂȘme genre d’effet de rĂ©seau, et c’est cet effet de rĂ©seau qui fait de lui le protocole le plus connu et le plus valorisĂ©. Bitcoin est le premier protocole crypto-Ă©conomique et jouit pour cela de l’avantage du prĂ©curseur (appelĂ© first-mover advantage en anglais), qui lui donne encore aujourd’hui la place de numĂ©ro 1 sur le marchĂ© des cryptomonnaies.

L’effet de rĂ©seau de Bitcoin peut se dĂ©composer en une multitude d’effets de rĂ©seaux diffĂ©rents, qui interagissent et se renforcent mutuellement au cours du temps. Nous nous bornerons ici Ă  en Ă©voquer les principaux.

Le premier effet de rĂ©seau dont Bitcoin tire parti est l’effet de sĂ©curitĂ© spĂ©cifique aux protocoles crypto-Ă©conomique, qui fait que les systĂšmes les plus utilisĂ©s sont les plus difficiles Ă  attaquer tant du point de vue technique que social. Du cĂŽtĂ© de la validation des transactions, dans le cas de Bitcoin, le cycle est le suivant : une hausse dans le nombre de gens voulant utiliser le bitcoin fait augmenter son prix ; cette hausse du cours attire de nouveaux mineurs ; l’apport de cette puissance de calcul accroĂźt la sĂ©curitĂ© du rĂ©seau ; la sĂ©curitĂ© du rĂ©seau augmente la confiance que les gens ont dans Bitcoin et donc leur volontĂ© d’utiliser le bitcoin ; et ainsi de suite. De mĂȘme, du cĂŽtĂ© de la gouvernance, une hausse dans le nombre d’utilisateurs rend les rĂšgles de consensus plus difficiles Ă  changer (on appelle cela l’ossification du protocole) ce qui fait augmenter la confiance qu’ont les utilisateurs dans le maintien des qualitĂ©s de Bitcoin.

 

Cercle vertueux de la sécurité de Bitcoin
Cercle vertueux de la sécurité de Bitcoin selon Parker Lewis

 

Le deuxiĂšme effet de rĂ©seau qui bĂ©nĂ©ficie Ă  Bitcoin est celui liĂ© au dĂ©veloppement informatique : les dĂ©veloppeurs sont attirĂ©s par les protocoles les plus utilisĂ©s, et amĂ©liorent par leur travail l’expĂ©rience des utilisateurs de ces protocoles. Cet effet concerne les dĂ©veloppeurs de l’implĂ©mentation de rĂ©fĂ©rence du protocole, Bitcoin Core, qui amĂ©liorent la sĂ©curitĂ© et l’efficacitĂ© du code source du logiciel : c’est ainsi que Bitcoin dispose des dĂ©veloppeurs les plus compĂ©tents (bien qu’imparfaits) et que tous les projets qui se basent sur le mĂȘme code source (Bitcoin ABC pour Bitcoin Cash, Litecoin Core pour Litecoin) continuent d’en rĂ©pliquer les modifications. Cet effet de rĂ©seau englobe aussi tous ceux qui dĂ©veloppent des applications ou des solutions rendant plus facile l’utilisation de Bitcoin, telles que les portefeuilles logiciels, les portefeuilles matĂ©riels, les processeurs de paiement, les plateformes d’échange, les services de garde, les services de mĂ©lange de piĂšces, etc. En fait, la plupart des applications dans l’écosystĂšme vont inclure le bitcoin par dĂ©faut. On pourrait Ă©galement inclure la documentation technique dans ce cercle vertueux : Mastering Bitcoin, la rĂ©fĂ©rence qui explique le fonctionnement de Bitcoin, n’est pas Ă©crit pour Bitcoin Cash par exemple.

Le troisiĂšme effet de rĂ©seau est celui qui concerne la liquiditĂ© du marchĂ©, c’est-Ă -dire la capacitĂ© Ă  acheter ou Ă  vendre rapidement un actif sans que cela ait d’effet majeur sur son prix. Dans cet effet, plus un marchĂ© est liquide, plus il attire les gros investisseurs qui peuvent alors y entrer, ce qui le rend mĂ©caniquement plus liquide : la liquiditĂ© engendre de la liquiditĂ©. Cet accroissement de la liquiditĂ©, outre le fait qu’il amĂ©liore la profondeur du marchĂ© et rĂ©duit son Ă©cart, permet aussi de stabiliser le prix du bitcoin : ainsi, malgrĂ© sa volatilitĂ© toujours trĂšs Ă©levĂ©e, le bitcoin est aujourd’hui la cryptomonnaie la plus stable de l’écosystĂšme.

Le quatriĂšme effet de rĂ©seau est l’effet de prĂ©fĂ©rence monĂ©taire, qui concerne l’usage du bitcoin en tant que monnaie : une personne prĂ©fĂšre utiliser une seule monnaie, non seulement parce qu’il lui est ainsi plus facile de faire ses comptes (effet intrapersonnel), mais aussi parce qu’elle veut utiliser la mĂȘme monnaie que ceux qui l’entourent pour ne pas avoir Ă  Ă©changer continuellement sa monnaie contre une autre et Ă  payer des frais de change en permanence (effet interpersonnel). Cet effet de rĂ©seau explique notamment pourquoi l’adoption d’une monnaie par un marchand va dĂ©pendre de l’adoption des clients potentiels, et vice versa.

Le cinquiĂšme effet de rĂ©seau est l’effet de marketing, qui fait qu’il est plus facile de vendre quelque chose Ă  une personne, si cette derniĂšre en a dĂ©jĂ  entendu parler. Puisque les systĂšmes les plus dominants sont les plus connus, cet effet va dĂ©cupler leur force. De cette façon, au sein du grand public il semble que la quasi-totalitĂ© de la population a dĂ©jĂ  entendu parler au moins une fois de Bitcoin (« Le bignecogne3 ? Ah oui ils en ont parlĂ© Ă  la tĂ©lĂ© ! ») alors que ce n’est pas le cas pour Ethereum.

Ainsi, ce phĂ©nomĂšne de l’effet de rĂ©seau intervient Ă  de multiples reprises au sein du systĂšme Ă©conomique complexe qu’est Bitcoin, et c’est cet enchevĂȘtrement de cercles vertueux qui lui donne sa force et qui fait qu’il prend le pas sur les autres systĂšmes du mĂȘme genre. Dans un environnement oĂč Bitcoin est dĂ©jĂ  bien installĂ©, il est donc lĂ©gitime de se demander comment une cryptomonnaie, mĂȘme techniquement meilleure que lui, pourrait se faire une place sur le marchĂ©. De cette observation, les maximalistes concluent que seul Bitcoin compte et que les autres n’ont pas d’importance. Le bitcoin est la cryptomonnaie la plus utilisĂ©e, la plus sĂ©curisĂ©e, la plus fiable, la plus accessible, la plus liquide, la plus connue du grand public ; et cela n’est pas prĂȘt de changer.

 

Le maximalisme est le mécanisme de défense de Bitcoin

À prĂ©sent que nous avons vu ce qui rendait Bitcoin si important, il faut nous intĂ©resser au fondement de la doctrine maximaliste : si Bitcoin dispose d’un aussi grand effet de rĂ©seau, pourquoi chercher Ă  maximiser sa dominance de maniĂšre inconditionnelle ?

Comme on l’a vu, Bitcoin est un systĂšme Ă©conomique dont les qualitĂ©s proviennent des forces Ă©conomiques qui le soutiennent. De cette maniĂšre, plus le prix du bitcoin est haut, plus Bitcoin est fort. Cependant cet effet est Ă  double tranchant : une baisse du prix du bitcoin affaiblit mĂ©caniquement le systĂšme, et c’est lĂ  tout le problĂšme quand on sait que l’attaquant potentiel peut ĂȘtre un État. L’effet de rĂ©seau n’est pas assez puissant pour empĂȘcher une dispersion des forces Ă©conomiques dans les alternatives Ă  Bitcoin, et c’est donc pour cela que les maximalistes voient dans les autres systĂšmes de cryptomonnaie, non pas des clones inutiles qu’on peut ignorer, mais des usurpateurs qui tentent de profiter du succĂšs de Bitcoin, des parasites qu’il faut Ă©liminer.

PremiĂšrement, pour les maximalistes, la prolifĂ©ration des cryptomonnaies alternatives correspond Ă  de la crĂ©ation monĂ©taire dĂ©guisĂ©e et remet en cause la raretĂ© du bitcoin : en occupant la mĂȘme niche, ces cryptomonnaies diluent son prix quand elles attirent des utilisateurs ou des spĂ©culateurs qui auraient autrement achetĂ© du bitcoin. Ce pourrait ne pas rĂ©ellement ĂȘtre un problĂšme si les cryptomonnaies alternatives n’étaient pas survendues et n’occupaient pas une telle place, mais malheureusement le marchĂ© est dominĂ© par un engouement mĂ©diatique autour de la « technologie blockchain », engouement qui permet notamment Ă  un certain nombre d’individus peu scrupuleux d’effectuer des prĂ©ventes de jetons monstrueuses sans produit minimum viable.

Secondement, comme on l’a dit, le foisonnement des cryptomonnaies alternatives rĂ©duit la sĂ©curitĂ© de Bitcoin, ce qui est bien plus grave. En ayant un succĂšs Ă©conomique, les concurrents du bitcoin font diminuer son prix, ce qui abaisse mĂ©caniquement la puissance de calcul du rĂ©seau et la stabilitĂ© du protocole, et, par voie de consĂ©quence, sa sĂ©curitĂ©.

Le cas de Bitcoin Cash est sans doute le plus parlant. Puisqu’il fait intervenir la mĂȘme fonction de hachage que Bitcoin dans son algorithme de consensus (SHA256) et qu’il a la mĂȘme « image de marque » (Bitcoin: A Peer-to-Peer Electronic Cash System), Bitcoin Cash constitue une menace potentielle pour Bitcoin. En cas de succĂšs, Bitcoin Cash pourrait attirer Ă  lui les forces de Bitcoin (utilisateurs, mineurs, dĂ©veloppeurs), sans pour autant, selon les maximalistes, disposer des mĂȘmes caractĂ©ristiques d’immuabilitĂ© que son frĂšre. C’est pour cela qu’il est important pour ces maximalistes de le qualifier d’attaque contre Bitcoin, de constamment le critiquer (de maniĂšre argumentĂ©e ou non, peu importe), et de le dĂ©signer sous le nom dĂ©sormais pĂ©joratif de Bcash afin de nier son existence en tant que produit de la gouvernance dĂ©centralisĂ©e de Bitcoin.

Le maximalisme vise donc Ă  prĂ©server l’effet de rĂ©seau qui bĂ©nĂ©ficie Ă  Bitcoin et dont dĂ©pendent ses propriĂ©tĂ©s de rĂ©sistance Ă  la censure et de rĂ©sistance Ă  l’inflation. Pour les maximalistes, Bitcoin est unique et le succĂšs d’une cryptomonnaie alternative serait synonyme de dĂ©faite dans leur quĂȘte d’une monnaie saine pour le monde. C’est de cette maniĂšre qu’ils se dĂ©peignent en dĂ©fenseurs de Bitcoin, en chevaliers qui ne renoncent pas face Ă  l’adversitĂ©, et qu’ils s’enorgueillissent profondĂ©ment de lutter contre la prolifĂ©ration des autres cryptomonnaies.

 

Chevalier Tone Vays Chevalier Giacomo Zucco
Tone Vays Giacomo Zucco

 

La meilleure façon de comprendre le maximalisme est de le voir comme le systĂšme immunitaire mĂ©mĂ©tique de Bitcoin4 : les maximalistes sont les globules blancs de l’organisme Bitcoin en charge de trouver et d’éliminer les substances Ă©trangĂšres. De cette maniĂšre, les maximalistes forment la minoritĂ© intolĂ©rante en charge de protĂ©ger Bitcoin : ils ne font aucun compromis, rejettent en bloc les autres cryptomonnaies et combattent leurs partisans comme s’il s’agissait de bactĂ©ries pathogĂšnes.

C’est pour cela que les maximalistes sont critiquĂ©s pour leur toxicitĂ© : ils attaquent les autres projets sur les rĂ©seaux sociaux, souvent de maniĂšre non argumentĂ©e et caricaturale conformĂ©ment Ă  la culture du web, et n’hĂ©sitent pas Ă  propager des idĂ©es virales et simplistes pour arriver Ă  leurs fins. Mais, bien loin de nier leur comportement ou de s’en excuser, ils revendiquent leur toxicitĂ© comme une nĂ©cessitĂ©, persuadĂ©s qu’ils dĂ©livrent une « dure vĂ©ritĂ© » et qu’ils sont des missionnaires qui rendent service Ă  la communautĂ©. Dans une diffusion en direct du 29 septembre 2019 d’Anthony Pompliano, Aleksandar Svetski a d’ailleurs parfaitement exprimĂ© ce point de vue :

La toxicitĂ© est vraiment importante : c’est le mĂ©canisme des globules blancs Ă  l’intĂ©rieur de Bitcoin. Les globules blancs sont toxiques pour la maladie, et nous, les bitcoineurs qui formons la minoritĂ© intolĂ©rante, sommes les globules blancs de Bitcoin. Nous devons rester forts et, quelle que soit la façon dont les gens nous appellent, que ce soit par le terme « toxique » ou par n’importe quel autre nom Ă  la con qu’ils veulent nous donner, nous devons maintenir le niveau, parce que, si nous ne le faisons pas, personne ne le fera.

Le maximalisme a donc un rĂŽle rĂ©el dans le contexte Ă©conomique de Bitcoin, et les maximalistes forment les dĂ©fenseurs de ce qu’ils croient ĂȘtre l’archĂ©type de la monnaie saine. Ils renforcent l’effet de rĂ©seau qui donne Ă  Bitcoin sa force, et cela semble fonctionner Ă  premiĂšre vue.

Cependant, on peut se demander si cette vision du monde est conforme Ă  la rĂ©alitĂ© et si elle n’est pas entiĂšrement biaisĂ©e par les phĂ©nomĂšnes sociaux dans lesquels les maximalistes s’inscrivent. Le bitcoin est-il une monnaie saine, et ne peut-il pas ĂȘtre concurrencĂ© ? Le monde doit-t-il tendre vers une seule monnaie majeure conformĂ©ment Ă  l’effet de rĂ©seau ? Ne peut-on rĂ©ellement faire aucun autre usage de la technologie inventĂ©e par Bitcoin ? Le maximalisme rend-il vraiment service Ă  Bitcoin en tant que systĂšme Ă©conomique ? Nous essaierons de rĂ©pondre Ă  ces questions dans le prochain article.

 


Notes

1. ↑ En France, la monnaie imposĂ©e est l’euro. Ce dernier a cours lĂ©gal dans le pays, c’est-Ă -dire qu’il est interdit pour un commerçant de « refuser des piĂšces de monnaie ou des billets de banque [
] selon la valeur pour laquelle ils ont cours » (Code pĂ©nal, article R642-3). De plus, l’article 442-4 du Code pĂ©nal indique qu’il est interdit de concurrencer la forme liquide de l’euro :

La mise en circulation de tout signe monĂ©taire non autorisĂ© ayant pour objet de remplacer les piĂšces de monnaie ou les billets de banque ayant cours lĂ©gal en France est punie de cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende.

Pour ce qui est de la monnaie numĂ©rique, la loi est plus floue mais tout indique que l’État ne restera pas inactif. En tĂ©moigne par exemple la rĂ©action de Bruno Le Maire, le minustre de l’économie et des finances, au projet Libra dans laquelle il affirme que « la souverainetĂ© des États est en jeu ».

2. ↑ Le dernier ASIC de Bitmain, l’Antminer S17, a un taux de hachage de 56 TH/s et son prix est de 2322 $ d’aprĂšs le site officiel. Avec une puissance de calcul du rĂ©seau approchant des 100 EH/s, une attaque des 51 % coĂ»terait plus de 2 milliards de dollars rien que pour l’achat des ASIC. À ceci, il faudrait ajouter le coĂ»t de l’infrastructure, celui du refroidissement ainsi que celui de l’électricitĂ© nĂ©cessaire Ă  l’attaque, comme le dĂ©crit une analyse de novembre 2018 (dĂ©jĂ  rendue obsolĂšte par les chiffres actuels).

3. ↑ « Bignecogne » est une retranscription de la dĂ©formation orale du mot « bitcoin », qui est difficile Ă  prononcer pour certains francophones. On pourra aussi rencontrer « bitecogne ».

4. ↑ L’expression « systĂšme immunitaire mĂ©mĂ©tique de Bitcoin » provient de Vin Armani, qu’il a lui-mĂȘme reprise d’un tweet de Giacomo Zucco.


Sources

Michael Goldstein, Everyone’s a Scammer, 11 septembre 2014.
Vitalik Buterin, On Bitcoin Maximalism, and Currency and Platform Network Effects, 19 novembre 2014.
Saifedean Ammous, The Bitcoin Standard: The Decentralized Alternative to Central Banking, Wiley, mars 2018.
SosthÚne (le zélote), Apologie des petits blocs, 2 août 2018.
Giacomo Zucco, Bitcoin Maximalism Dissected (vidéo), 23 septembre 2018.
Ben Perrin, My Path To Bitcoin Maximalism, 16 juillet 2019.
Parker Lewis, Bitcoin Can’t Be Copied, 2 aoĂ»t 2019.

Le maximalisme du bitcoin : origine et définition

October 5th 2019 at 09:30

Un spectre hante l’univers des cryptomonnaies : le spectre du maximalisme. Dans cette sĂ©rie d’articles, je me propose d’examiner en profondeur ce qu’on appelle le maximalisme du bitcoin, de dĂ©terminer sur quoi cette idĂ©ologie se fonde et de montrer quel impact elle a sur l’écosystĂšme des protocoles crypto-Ă©conomiques.

Je m’attarderai dans ce premier article Ă  tenter de comprendre d’oĂč vient le maximalisme pour en donner une dĂ©finition claire. La tĂąche n’est pas facile dans le sens oĂč beaucoup de personnes se revendiquent du maximalisme, mais en font preuve Ă  des degrĂ©s divers. L’objectif est de dĂ©gager l’essence gĂ©nĂ©rale de la doctrine professĂ©e par les maximalistes les plus influents1.

 

Le foisonnement des cryptomonnaies alternatives

Bitcoin est une invention fantastique et constitue un changement de paradigme dans l’histoire de l’humanitĂ©. CrĂ©Ă© par Satoshi Nakamoto en 2008, ce protocole permet d’échanger de la valeur sur Internet, par le biais d’une monnaie appelĂ©e le bitcoin, sans que quiconque puisse l’interdire et sans que quiconque puisse augmenter la quantitĂ© de bitcoins en circulation Ă  son avantage.

Le lancement de Bitcoin le 3 janvier 2009 change donc les choses : il devient soudainement possible d’envoyer directement des fonds Ă  n’importe quelle personne, oĂč qu’elle se situe dans le monde et Ă  n’importe quel moment de la journĂ©e, et tout cela Ă  moindre frais. Bitcoin permet d’envisager la fin du monopole monĂ©taire imposĂ© par les États et le dĂ©veloppement d’une alternative aux politiques inflationnistes des banques centrales. Avec Bitcoin, la libertĂ© de crĂ©er surgit dans un domaine qui Ă©tait dominĂ© par la puissance publique depuis des siĂšcles.

C’est pour cette raison que Bitcoin est copiĂ© dĂšs les premiĂšres annĂ©es de son existence : parce que c’est possible, parce que l’idĂ©e de Satoshi Nakamoto ouvre la voie Ă  une vraie concurrence des monnaies sur le web. DĂšs 2011, on voit donc d’autres cryptomonnaies apparaĂźtre en nombre, cryptomonnaies qu’on dĂ©signe couramment sous le nom de cryptomonnaies alternatives, ou altcoins en anglais. Le premier protocole Ă  copier et modifier le code source de Bitcoin est Namecoin, crĂ©Ă© en avril 2011, dont l’objectif est de dĂ©velopper un systĂšme dĂ©centralisĂ© de noms de domaine. Puis vient Litecoin en octobre de la mĂȘme annĂ©e, qui, bien qu’il ne se diffĂ©rencie pas tellement de Bitcoin, parvient Ă  se faire une bonne place sur le marchĂ© des cryptomonnaies.

 

Cryptomonnaies alternatives altcoins 2014

 

Les annĂ©es d’aprĂšs sont marquĂ©es par la naissance de nombreux projets, sĂ©rieux et moins sĂ©rieux, comme Peercoin en aoĂ»t 2012, Dogecoin en dĂ©cembre 2013, Dash en janvier 2014, ou Monero en avril 2014. Mais c’est surtout l’apparition de la plateforme d’application dĂ©centralisĂ©es Ethereum en juillet 2015 qui marque l’écosystĂšme par son originalitĂ©. La plateforme donne en effet la possibilitĂ© Ă  ses utilisateurs de mettre facilement en place des contrats autonomes (smart contracts) sur sa chaĂźne de blocs, chose qu’il Ă©tait dĂ©jĂ  possible de faire avec Bitcoin mais de façon limitĂ©e. L’unitĂ© sous-jacente Ă  Ethereum, l’éther, connaĂźt un certain succĂšs et reprĂ©sentera rapidement le deuxiĂšme crypto-actif en terme de capitalisation boursiĂšre aprĂšs le bitcoin.

Par la suite, le foisonnement de cryptomonnaies alternatives s’accĂ©lĂšre. L’annĂ©e 2017 est sans doute la pĂ©riode la plus prolifique pour ces cryptomonnaies. En effet, Ă  cette Ă©poque, le rĂ©seau de Bitcoin commence Ă  ĂȘtre de plus en plus congestionnĂ© Ă  cause de son problĂšme de passage Ă  l’échelle, ce qui amĂšne certaines personnes Ă  se tourner vers d’autres rĂ©seaux plus utilisables. Mais surtout, l’annĂ©e est marquĂ©e par une bulle spĂ©culative monstrueuse : le prix du bitcoin est multipliĂ© par 20 en moins d’un an, passant de 1000 $ Ă  20 000 $ ; celui de l’éther passe de 8 $ Ă  plus de 1300 $ Ă  son pic, ce qui reprĂ©sente une multiplication par plus de 160. Cela pousse donc certains Ă  vouloir leur part du gĂąteau, et l’on assiste Ă  la crĂ©ation de plusieurs milliers de crypto-actifs en tous genres, notamment par le biais d’Initial Coin Offerings, des levĂ©es de fonds dĂ©centralisĂ©es ayant lieu sur la plateforme Ethereum ou sur d’autres plateformes concurrentes. L’annĂ©e 2017 est Ă©galement l’annĂ©e de l’embranchement de Bitcoin Cash, protocole nĂ© des problĂšmes de gouvernance de Bitcoin et qui connaĂźt un certain succĂšs malgrĂ© un apriori nĂ©gatif d’une frange de l’écosystĂšme. Cet embranchement donnera l’idĂ©e Ă  des opportunistes de rĂ©itĂ©rer le procĂ©dĂ©, comme les crĂ©ateurs de Bitcoin Gold.

Cette création de crypto-actifs provoque une baisse drastique de la part de marché du bitcoin (aussi appelée dominance), qui, début 2018, ne représente plus que 33 % de la capitalisation totale du marché comme on peut le voir sur le graphique ci-dessous.

 

Dominance du bitcoin BTC de 2013 Ă  2019

 

Les derniĂšres annĂ©es ont donc Ă©tĂ© marquĂ©es par une multiplication massive des cryptomonnaies, crĂ©Ă©es pour de multiples raisons et concurrençant le bitcoin de maniĂšre plus ou moins directe. Et, bien que la dominance du bitcoin soit aujourd’hui remontĂ©e aux 70 %, certaines de ces cryptomonnaies sont dĂ©sormais bien plus respectĂ©es qu’en 2014. Mais une rĂ©action de rejet s’est dĂ©veloppĂ©e face Ă  ce mouvement de diversification : une levĂ©e de boucliers appelĂ©e le maximalisme du bitcoin.

 

D’oĂč vient le maximalisme du bitcoin ?

Notons avant de commencer qu’il existe autant de maximalismes que de cryptomonnaies (un maximalisme de l’éther par exemple), mais que ce qui nous intĂ©resse ici est le maximalisme du bitcoin car c’est de loin celui qui a le plus de succĂšs et possĂšde le plus d’adeptes.

Comme on l’a vu, dĂšs 2011 on assiste Ă  la crĂ©ation de cryptomonnaies autres que le bitcoin, ce qui provoque dĂšs le dĂ©but une rĂ©action naturelle de scepticisme chez quelques individus. En 2013, on lit dĂ©jĂ  des critiques plus construites des cryptomonnaies alternatives de la part de personnalitĂ©s du milieu comme Gavin Andresen ou Daniel Krawisz. Et c’est l’accroissement et la systĂ©matisation de ce rejet qui mĂšnera progressivement Ă  l’apparition du maximalisme du bitcoin.

Le terme apparaĂźt en 2014 comme une forme raccourcie de l’expression « Bitcoin dominance maximalism » inventĂ©e par Vitalik Buterin, le crĂ©ateur d’Ethereum. Fin 2014, ce dernier utilise en effet Ă  de multiples reprises cette expression pĂ©jorativement dans le but de critiquer la position de ceux qui conspuent les cryptomonnaies alternatives2. L’objectif du maximalisme est ainsi dĂšs le dĂ©but indiquĂ© dans son nom : maximiser la dominance Ă©conomique du bitcoin, c’est-Ă -dire minimiser la place des moyens qui lui font concurrence de maniĂšre proche, Ă  savoir les altcoins. Autrement dit, il s’agit de maximiser l’activitĂ© Ă©conomique de Bitcoin et de ce qui s’y rattache, comme le rĂ©seau Lightning ou les chaĂźnes latĂ©rales, au dĂ©triment de tous les autres protocoles crypto-Ă©conomiques.

Puis, le 22 octobre 2014, Dominic Williams met en ligne l’article On Sidechains, Bitcoin Maximalism and Freedom, qui rĂ©agit Ă  la philosophie prĂ©sente derriĂšre les chaĂźnes latĂ©rales dĂ©crite par des dĂ©veloppeurs de Blockstream dans un papier publiĂ© le mĂȘme jour. C’est la premiĂšre utilisation attestĂ©e du terme raccourci « Bitcoin maximalism ».

Quatre semaines plus tard, le 19 novembre 2014, Vitalik Buterin lui-mĂȘme publie un long article sur le sujet. Il dĂ©finit alors la doctrine du maximalisme du bitcoin comme :

L’idĂ©e qu’un milieu de multiples cryptomonnaies concurrentes est indĂ©sirable, qu’il est mal de lancer « encore un autre jeton », et qu’il est Ă  la fois juste et inĂ©vitable que la monnaie bitcoin en vienne Ă  atteindre une position de monopole sur la scĂšne des cryptomonnaies.

Mais le terme ne reste pas intrinsĂšquement pĂ©joratif trĂšs longtemps et certaines personnes le reprennent positivement dĂšs 2015 : dans sa vidĂ©o du 7 janvier 2015, Chris Derose en parle comme une position acceptable ; le 30 mai, Jerry Chan explique pourquoi il faut ĂȘtre un maximaliste du bitcoin ; et le 30 juillet, le lancement d’Ethereum ravive le dĂ©bat et amĂšne certains sceptiques Ă  se ranger du cĂŽtĂ© du maximalisme. Finalement, le terme devient peu Ă  peu un titre dont chaque bitcoineur peut se rĂ©clamer avec fiertĂ©. À la maniĂšre des jĂ©suites, les maximalistes tirent ainsi leur nom d’un terme qui Ă©tait Ă  l’origine connotĂ© nĂ©gativement.

Il est important de souligner que le maximalisme est nĂ© dans un climat de doute : en janvier 2015, le marchĂ© Ă©tait au plus bas et le prix du bitcoin Ă©tait descendu jusqu’aux 175 $ alors qu’il avait dĂ©passĂ© les 1000 $ en dĂ©cembre 2013. Ce mĂȘme doute alimente aujourd’hui le maximalisme ambiant.

En effet, avec le krach et le marchĂ© baissier qui l’a suivi, le maximalisme du bitcoin s’est progressivement renforcĂ© au sein de l’écosystĂšme des cryptomonnaies. Ceux qui avaient placĂ© beaucoup d’espoir spĂ©culatif dans certains jetons numĂ©riques ont connu la dĂ©sillusion en voyant leur prix chuter bien plus fortement que celui du bitcoin, et se sont donc tournĂ©s vers ce dernier. Avec la baisse des cours, la dominance du bitcoin est progressivement remontĂ©e, et, tel un phĂ©nomĂšne qui s’auto-entretient, cette remontĂ©e a donnĂ© Ă  l’idĂ©al maximaliste un nouvel Ă©lan.

Aujourd’hui le bitcoin est prĂ©dominant : sa dominance approche des 70 % et, si l’on pondĂšre la capitalisation des cryptomonnaies avec leur liquiditĂ© comme l’a fait Forbes, cette dominance atteindrait mĂȘme les 90 % ! Cette supĂ©rioritĂ© permet Ă  la doctrine maximaliste de continuer de se propager au sein de l’écosystĂšme, Ă  tel point qu’elle s’est retrouvĂ©e dans les propos d’un membre du CongrĂšs des États-Unis lors d’une audition au sujet de la libra en juillet dernier.

 

Qu’est-ce que le maximalisme du bitcoin ?

À prĂ©sent que l’on sait d’oĂč vient le maximalisme du bitcoin, il nous est possible de le dĂ©finir plus clairement. Comme je l’ai dit prĂ©cĂ©demment, l’idĂ©e est de tenter d’identifier ses composantes essentielles, qui sont identifiables chez ses principaux partisans.

D’aprĂšs le Centre National des Ressources Textuelles et Lexicales, le maximalisme est une « tendance Ă  donner une trĂšs haute valeur Ă  quelque chose ». Dans le cas du maximalisme du bitcoin (qui est historiquement le raccourci de « Bitcoin dominance maximalism »), il s’agit de donner un haute valeur Ă  la dominance Ă©conomique du bitcoin, et non pas Ă  son prix comme on pourrait le penser. Cette dominance est mesurĂ©e par rapport aux autres cryptomonnaies3 (telles que l’éther, le bitcoin cash ou le litecoin), de sorte qu’elle ne peut augmenter que par le biais de l’augmentation du prix du bitcoin ou de la diminution de celui des cryptomonnaies alternatives. Les maximalistes vont donc agir en vue d’accroĂźtre cette dominance.

Selon Eric Voskuil, « le maximalisme est un effort de relations publiques visant Ă  dĂ©courager la formation de biens de substitution pour une cryptomonnaie donnĂ©e ». Autrement dit, le maximalisme du bitcoin est une doctrine prĂŽnant l’usage de la propagande dans le but de rĂ©duire l’effet de substitution crĂ©Ă© par les problĂšmes fonctionnels rencontrĂ©s par Bitcoin. Il s’agit de dĂ©courager la concurrence des autres cryptomonnaies, c’est-Ă -dire d’Ɠuvrer en faveur d’un monopole du bitcoin. Bitcoin doit rĂ©gner en maĂźtre et toutes les autres chaĂźnes doivent exister en tant que chaĂźnes latĂ©rales, ou bien disparaĂźtre : une chaĂźne de blocs pour les dominer toutes (« one chain to rule them all »). Bien entendu, le monopole dĂ©fendu par les maximalistes n’est pas un monopole lĂ©gal, mais un monopole naturel : puisqu’ils sont pour la plupart des libĂ©raux (libertarians) adeptes de l’école autrichienne d’économie, les maximalistes consĂ©quents n’ont jamais prĂŽnĂ© l’intervention de la puissance Ă©tatique pour dĂ©courager l’usage des autres cryptomonnaies.

Ainsi, le maximalisme ne rĂ©side pas dans le fait de soutenir Bitcoin, d’utiliser exclusivement Bitcoin, ou d’imaginer que Bitcoin est le meilleur systĂšme. Tous ces faits sont des conditions nĂ©cessaires au maximalisme, mais ne suffisent pas, et il faut aller plus loin. Tel que l’écrit Noah Ruderman, le maximalisme est plutĂŽt :

L’opinion, souvent dĂ©fendue trĂšs fermement, que le bitcoin est la seule cryptomonnaie qui devrait exister et que les autres cryptomonnaies ne sont pas seulement mauvaises techniquement, mais aussi moralement. (je souligne)

Le maximalisme est ainsi essentiellement une doctrine morale qui prescrit l’action : le devoir du maximaliste est d’Ɠuvrer Ă  maximiser la dominance du bitcoin, non seulement par la construction de l’écosystĂšme autour de Bitcoin mais aussi par l’attaque des autres projets. Le bitcoin doit donc devenir la cryptomonnaie unique.

Pour parvenir Ă  leurs fins, les maximalistes usent de stratĂ©gies de communication qui leur sont propres. La plus rĂ©pandue est sans doute l’usage du terme « shitcoin » pour dĂ©signer chacune des autres cryptomonnaies. En effet, dans l’argot de l’écosystĂšme, les shitcoins (que l’on peut traduire littĂ©ralement par « piĂšces de merde », ou par « monnaies Ă©troniques » comme certains se sont amusĂ©s Ă  le faire), sont des cryptomonnaies qui ne reposent sur aucune base technique sĂ©rieuse, qui n’ont pas d’utilitĂ© et qui n’ont pas de valeur en dehors de la spĂ©culation. Le mot peut parfois ĂȘtre rapprochĂ© du mot « arnaque » (scam) car ces systĂšmes de cryptomonnaie prĂ©tendent la plupart du temps avoir des propriĂ©tĂ©s qu’ils n’ont pas en rĂ©alitĂ© (dĂ©centralisation, rĂ©sistance Ă  la censure, rĂ©sistance Ă  l’inflation, sĂ©curitĂ©, scalabilitĂ©, etc.)

C’est pour cela que tout ce qui n’est pas Bitcoin doit rentrer dans la catĂ©gorie des shitcoins pour les maximalistes : ils n’hĂ©siteront pas Ă  qualifier systĂ©matiquement toutes les cryptomonnaies alternatives de shitcoins ou d’arnaques, et feront rarement des exceptions.

 

Les quatre vérités universelles du maximalisme selon Giacomo Zucco
Le maximalisme selon Giacomo Zucco4
« Tout ce qui n’est pas Bitcoin est une arnaque !
Toute tentative de changer Bitcoin est une arnaque !
Toute tentative de pousser quelqu’un Ă  dĂ©penser du bitcoin est une arnaque !
Nous ne devrions pas ĂȘtre gentils avec les arnaqueurs !
»

 

Tout ceci peut prĂȘter Ă  confusion, et les observateurs extĂ©rieurs pourront croire Ă  une blague, mais il n’en est rien. Dans l’écosystĂšme, le maximalisme existe en tant que doctrine trĂšs sĂ©rieuse et semble gagner du terrain. Des articles sont Ă©crits, des confĂ©rences sont donnĂ©es et des livres sont vendus par des maximalistes dans le but de propager l’empire du bitcoin sur les autres cryptomonnaies ; et ça fonctionne.

C’est pour cela qu’il est Ă  mon avis trĂšs important d’étudier la question en profondeur. Dans le prochain article, nous verrons ainsi sur quels arguments se fonde la doctrine maximaliste et sur quoi repose son succĂšs.

 


Notes

1. ↑ Beaucoup de bitcoineurs influents sont des maximalistes chevronnĂ©s. Parmi les bitcoineurs qui font preuve de maximalisme dans la sphĂšre anglophone, on peut citer pĂȘle-mĂȘle Saifedean Ammous, Tone Vays, Giacomo Zucco, Jimmy Song, Tuur Demeester, Samson Mow, Michael Goldstein, Anthony Pompliano, Pierre Rochard, et Francis Pouliot. Dans la sphĂšre francophone, il y a par exemple Gregory Guittard, Gilles Cadignan ou encore le vidĂ©aste Cryptosisyphe.

2. ↑ Voir ce sujet du 9 octobre 2014 sur Reddit par exemple.

3. ↑ On pourrait arguer que les maximalistes cherchent plutĂŽt Ă  maximiser la dominance du bitcoin par rapport Ă  des concurrents plus Ă©loignĂ©s comme l’or et les monnaies gouvernementales (le dollar amĂ©ricain, l’euro, etc.) mais, comme on le verra dans le prochain article, cette dominance n’est pas aussi vitale que la dominance par rapport aux autres cryptomonnaies.

4. ↑ Il s’agit d’une capture d’écran de la prĂ©sentation de Giacomo Zucco sur le maximalisme du bitcoin lors de la confĂ©rence Baltic Honeybadger de 2018. Contrairement Ă  ce qu’on pourrait penser, Giacomo Zucco est trĂšs sĂ©rieux quand il affiche ces quatre vĂ©ritĂ©s Ă  l’écran. Dans sa prĂ©sentation il dĂ©clare : « This can seem to you as a little counterintuitive like paradoxical even. Probably you think these are not the results of logical thinking, perhaps you think these are dogmatic or rude. What I’m trying to do here is to perform an axiomatic deduction of these four truths from first principles we can hopefully agree on. » Ces quatre vĂ©ritĂ©s universelles sont donc le rĂ©sultat d’une dĂ©duction logique Ă  partir de 10 principes qu’il Ă©nonce par la suite : « If you disagree with one of these 10 assumptions, probably you can disagree with the four universal truths. Of course in that case you’re wrong, but, I mean, you’re free to be wrong. »


Sources

Dominic Williams, On Sidechains, Bitcoin Maximalism and Freedom (archivé), 22 octobre 2014.
Vitalik Buterin, On Bitcoin Maximalism, and Currency and Platform Network Effects, 19 novembre 2014.
Noah Ruderman, Sidechains don’t scale — A critique of Bitcoin maximalism, 18 mai 2018.
Leo Weese, Where does Bitcoin Maximalism come from?, 17 octobre 2018.
Eric Voskuil, Maximalism Definition, 26 avril 2019.

Le problÚme des généraux byzantins

September 3rd 2019 at 09:52

Le problĂšme des gĂ©nĂ©raux byzantins est un problĂšme d’informatique distribuĂ©e qui a Ă©tĂ© formalisĂ© par Leslie Lamport, Robert Shostak et Marshall Pease en 1982. Il s’agit d’une mĂ©taphore faisant intervenir des gĂ©nĂ©raux qui assiĂšgent une ville ennemie et dĂ©sirent l’attaquer avec leur armĂ©e. Le problĂšme a Ă©tĂ© remis au goĂ»t du jour suite au succĂšs de Bitcoin, inventĂ© en 2008 par Satoshi Nakamoto, qui y apportait une solution originale.

Dans la mĂ©taphore, l’armĂ©e est celle de l’Empire Byzantin, aussi connu comme l’Empire romain d’Orient, qui a perdurĂ© jusqu’en 1453 aprĂšs sa sĂ©paration avec l’Empire d’Occident en 395, et qui s’étendait aux alentours de la GrĂšce et de la Turquie. Le nom de cet empire fait rĂ©fĂ©rence Ă  « Byzance », le nom antique de sa capitale, renommĂ©e Constantinople par Constantin Ier, et qui est aujourd’hui appelĂ©e Istanbul.

 

Empire byzantin en 1180
Empire byzantin en 1180

 

D’aprĂšs Leslie Lamport lui-mĂȘme, les gĂ©nĂ©raux devaient originellement ĂȘtre albanais mais il en a Ă©tĂ© dĂ©cidĂ© autrement. Dans le problĂšme, l’armĂ©e comporte des traĂźtres. Il fallait donc choisir une nationalitĂ© qui ne risque pas d’offenser le sentiment patriotique du lecteur. L’Albanie, qui Ă©tait un pays trĂšs fermĂ© Ă  l’époque, constituait un choix acceptable. Cependant, l’option byzantine Ă©tait bien meilleure, car « byzantin » constituait une appellation a posteriori Ă  laquelle personne ne s’identifiait profondĂ©ment.

 

Le problĂšme

Le problĂšme des gĂ©nĂ©raux byzantins est plutĂŽt simple Ă  Ă©noncer. Des gĂ©nĂ©raux de l’armĂ©e byzantine campent autour d’une citĂ© ennemie avec leurs unitĂ©s et souhaitent l’attaquer. Ils ne peuvent communiquer qu’à l’aide de messagers oraux et doivent Ă©tablir un plan de bataille commun. L’idĂ©e est de coordonner une attaque Ă  un moment prĂ©cis, disons Ă  l’aube. Les gĂ©nĂ©raux partagent ce qu’ils vont faire en envoyant le message « attaque » pour confirmer l’assaut, et « retraite » pour l’annuler.

 

SiÚge des généraux byzantins

 

Cependant, un certain nombre de ces gĂ©nĂ©raux peuvent s’avĂ©rer ĂȘtre des traĂźtres qui essaient de semer la confusion au sein de l’armĂ©e. Ainsi, ils envoient le message « retraite », pour convaincre certains gĂ©nĂ©raux loyaux de battre en retraite au moment de l’assaut et pour causer une dĂ©faite certaine.

 

ProblÚme des généraux byzantins : défaite

 

Le problĂšme est de trouver une stratĂ©gie (c’est-Ă -dire un algorithme) pour s’assurer que tous les gĂ©nĂ©raux loyaux arrivent Ă  se mettre d’accord sur un plan de bataille. Les traĂźtres trahiront tout de mĂȘme en battant en retraite, mais puisque leur nombre est supposĂ© ĂȘtre restreint, l’attaque sera un succĂšs.

 

ProblÚme des généraux byzantins : défaite

 

MĂȘme en dĂ©signant des commandants auxquels des gĂ©nĂ©raux subordonnĂ©s obĂ©iront, la situation fait qu’il est trĂšs difficile de parvenir Ă  un consensus car le commandant peut Ă©galement ĂȘtre un traĂźtre.

 

Pourquoi ce problĂšme est-il important ?

La situation trĂšs imagĂ©e des gĂ©nĂ©raux byzantins peut se rencontrer dans des systĂšmes informatiques divers qui nĂ©cessitent une certaine synchronisation. Elle est notamment problĂ©matique dans des domaines critiques, comme l’aĂ©ronautique : l’infrastructure informatique du Boeing 777 prend par exemple en compte les pannes byzantines.

Mais ce problĂšme se rencontre surtout au sein des rĂ©seaux pair-Ă -pair de nƓuds souhaitant se mettant d’accord sur le contenu d’un registre. Bitcoin par exemple se base sur un rĂ©seau de participants qui entretiennent chacun le registre des transactions rĂ©alisĂ©es : la fameuse chaĂźne de blocs.

 

RĂ©seau pair-Ă -pair blockchain

 

Ces systĂšmes sont en effet soumis aux pannes byzantines (byzantine faults), reprĂ©sentĂ©es par les messages des traĂźtres dans le problĂšme des gĂ©nĂ©raux byzantins. Le but est donc de trouver un algorithme qui permettrait Ă  tous les nƓuds honnĂȘtes de se mettre d’accord en prĂ©sence de nƓuds traĂźtres (ou « byzantins »), c’est-Ă -dire parvenir Ă  un consensus. La propriĂ©tĂ© possĂ©dĂ©e par ce type d’algorithme s’appelle la tolĂ©rance aux pannes byzantines, ou byzantine fault tolerance en anglais, qui est souvent abrĂ©gĂ©e en BFT.

Dans le cas de Bitcoin qui est un systĂšme de transfert de valeur, l’enjeu est de se mettre d’accord sur qui possĂšde quoi de maniĂšre distribuĂ©e, sans reposer sur une autoritĂ© centrale comme cela est fait dans le systĂšme bancaire, et sans que des nƓuds malveillants ne puissent altĂ©rer le consensus.

 

Comment c’est rĂ©solu ?

Il a Ă©tĂ© montrĂ© que le problĂšme des gĂ©nĂ©raux byzantins peut ĂȘtre rĂ©solu de maniĂšre absolue si (et seulement si) les gĂ©nĂ©raux loyaux reprĂ©sentent strictement plus des deux tiers de l’ensemble des gĂ©nĂ©raux. Autrement dit, il ne peut pas y avoir plus d’un tiers de traĂźtres au sein de l’armĂ©e.

Avant Bitcoin, le problĂšme Ă©tait ainsi rĂ©solu par des algorithmes dits « traditionnels » qui Ă©taient soumis Ă  des contraintes fortes, notamment sur le nombre de nƓuds pouvant interagir. Le plus connu est sans doute l’algorithme de consensus PBFT (pour Practical Byzantine Fault Tolerance), qui a Ă©tĂ© mis au point par Miguel Castro et Barbara Liskov en 1999. Il permet Ă  un nombre donnĂ© de participants de se mettre d’accord en gĂ©rant des milliers de requĂȘtes par seconde avec une latence de moins d’une milliseconde. Des variantes de PBFT sont encore utilisĂ©es aujourd’hui au sein de protocoles gĂ©rant des registres distribuĂ©s comme Hyperledger Sawtooth (Sawtooth PBFT) et Neo (dBFT). Il existe Ă©galement bien d’autres algorithmes traditionnels qui se basent sur les mĂȘmes idĂ©es et ont les mĂȘmes propriĂ©tĂ©s.

Ces systĂšmes souffrent nĂ©anmoins d’un dĂ©faut majeur : ils ne sont pas trĂšs robustes. Il faut sĂ©lectionner prĂ©alablement les nƓuds ayant le droit de participer au consensus : cela peut se faire par preuve d’autoritĂ© (proof-of-authority), via une liste blanche de nƓuds, ou par preuve d’enjeu dĂ©lĂ©guĂ©e comme c’est fait dans Neo. Dans les deux cas, le systĂšme est relativement fermĂ© et vulnĂ©rable aux attaques extĂ©rieures, puisque les nƓuds validateurs sont connus de tous et donc soumis aux alĂ©as de la rĂ©alitĂ©.

 

Ancien logo du bitcoin

 

Avec l’invention de Bitcoin en 2008, c’est un nouvel algorithme de consensus qui apparaĂźt : l’algorithme de consensus de Nakamoto par preuve de travail. Celui-ci met en jeu des blocs de transactions, qui sont ajoutĂ©s Ă  une chaĂźne par le biais d’une dĂ©pense d’énergie Ă©lectrique (d’oĂč le terme de preuve de travail), et c’est la chaĂźne qui accumule le plus d’énergie (« la chaĂźne la plus longue ») qui est considĂ©rĂ©e valide. S’il peut y avoir des divergences ponctuelles dans le consensus (embranchements), ce n’est trĂšs souvent pas le cas en raison des incitations Ă©conomiques du protocole : les validateurs, appelĂ©s mineurs, utilisent leur puissance de calcul en l’échange d’une rĂ©compense en bitcoins, et n’ont pas de rĂ©el intĂ©rĂȘt Ă  Ɠuvrer contre le bon fonctionnement du systĂšme.

 

Embranchement de la chaĂźne de blocs
Embranchement (fork) bénin de la chaßne : la chaßne valide est la plus longue.

 

L’idĂ©e gĂ©niale derriĂšre Bitcoin a Ă©tĂ© de rĂ©soudre le problĂšme des gĂ©nĂ©raux byzantins de maniĂšre probabilistique, plutĂŽt que de maniĂšre absolue. En effet, dans les algorithmes traditionnels, une finalitĂ© est atteinte ; dans Bitcoin ce n’est jamais le cas, mais il est possible d’estimer qu’une transaction est irrĂ©versible aprĂšs qu’un certain nombre de blocs aient Ă©tĂ© minĂ©s. De plus, l’algorithme de Nakamoto ne se repose pas sur l’hypothĂšse trĂšs contraignante des 67 % de nƓuds honnĂȘtes : avec Bitcoin, seule la moitiĂ© de la puissance de calcul doit ĂȘtre honnĂȘte.

Ainsi, contrairement aux algorithmes traditionnels, l’algorithme de Nakamoto permet Ă  un trĂšs grand nombre de nƓuds de participer de maniĂšre totalement ouverte sans que son fonctionnement en pĂątisse. Cela est trĂšs important pour un cas d’usage aussi sensible que la monnaie, car il s’agit, rappelons-le, d’une fonction Ă©conomique soumise Ă  un monopole Ă  peu prĂšs partout sur le globe, et toute tentative de concurrence ne saurait rester impunie aux yeux de l’État. Bitcoin doit exister en dehors des lois s’il veut exister tout court. Et c’est aussi pour cette raison que la libra ne verra peut-ĂȘtre jamais le jour : Libra est en effet basĂ© sur un algorithme traditionnel du nom de LibraBFT impliquant une centaine de validateurs, ce qui amoindrit sa capacitĂ© Ă  rĂ©sister Ă  la censure et Ă  exister de maniĂšre indĂ©pendante des États.

 


Sources

Leslie Lamport, Robert Shostak, Marshall Pease, The Byzantine Generals Problem, 1982.
Miguel Castro et Barbara Liskov, Practical Byzantine Fault Tolerance, février 1999.
ProblÚme des généraux byzantins (Wikipédia).

5 choses méconnues à propos des cryptomonnaies

August 13th 2019 at 10:25

La communautĂ© des cryptomonnaies est diverse et florissante, et ses membres semblent apprendre chaque jour de nouvelles choses. On pourrait s’attendre Ă  ce que tout un chacun soit devenu un expert mais c’est loin d’ĂȘtre le cas et certains aprioris ont la vie dure. Aujourd’hui je vous propose de dĂ©couvrir cinq erreurs que les gens font encore rĂ©guliĂšrement Ă  propos des cryptomonnaies, y compris au sein de la communautĂ©.

 

L’éthereum ça n’existe pas

Bitcoin est un protocole de paiement qui gĂšre une unitĂ© de compte native. Pour une raison qui reste inconnue, Satoshi a donnĂ© Ă  cette unitĂ© de compte le mĂȘme nom que le protocole : le bitcoin. En français, une convention pour diffĂ©rencier les deux consiste Ă  Ă©crire l’unitĂ© de compte en minuscules et de la traiter comme un nom commun (« le bitcoin »), et Ă  utiliser la nom du protocole comme un nom propre (« Bitcoin »). Ainsi, le bitcoin est Ă©quivalent Ă  l’euro ou au dollar dans la langue de MoliĂšre : il est traitĂ© Ă  la fois comme l’unitĂ© de compte en tant que telle (« il me doit cinq bitcoins ») et comme le moyen de paiement (« j’accepte le bitcoin »). À l’inverse, le terme « Bitcoin » est utilisĂ© comme on utilise les protocoles de paiement tels que Visa, Mastercard, Paypal, Western Union (« recevoir un paiement via Bitcoin ») ; et on pourra donc parler de rĂ©seau Bitcoin, de compte Bitcoin, de la chaĂźne de blocs de Bitcoin, etc.

En voyant ce fonctionnement, les gens s’imaginent que la dĂ©signation de l’unitĂ© de compte est toujours identique Ă  celle du protocole qui la sous-tend. C’est ainsi que l’on voit rĂ©guliĂšrement des articles ou des vidĂ©os parlant de « l’éthereum » comme le jeton natif faisant fonctionner Ethereum. Cependant, ni le livre blanc, ni Vitalik Buterin, ni aucun membre fondateur de ce protocole n’a jamais parlĂ© de « l’éthereum » : le nom de l’unitĂ© de compte est l’éther (ether en anglais), en rĂ©fĂ©rence Ă  l’hypothĂ©tique substance qui Ă©tait censĂ©e remplir l’espace intersidĂ©ral avant qu’on ne prouve le contraire. Ethereum dĂ©signe quant Ă  lui le protocole crypto-Ă©conomique et l’ordinateur dĂ©centralisĂ© mondial qu’il met en place.

 

Logo Ethereum medium

 

Malheureusement, ce mĂ©susage est assez rĂ©pandu dans la communautĂ© au point que des sites populaires comme Coinmarketcap.com et des plateformes d’échange reconnues comme Coinbase et Binance font la mĂȘme « erreur » (contrairement Ă  Kraken qui est exemplaire). MĂȘme les vidĂ©astes spĂ©cialisĂ©s dans les cryptomonnaies comme Hasheur contribuent Ă  la diffuser. De plus, cette dĂ©rive ne s’arrĂȘte pas Ă  « l’éthereum » : c’est ainsi qu’on Ă©voque parfois « le tezos » au lieu de dire « le tez » pour dĂ©signer l’unitĂ© de compte de Tezos, « le stellar » en lieu et place du lumen, « le tron » pour le tronix (d’oĂč dĂ©rive le sigle TRX), etc.

Bien qu’il puisse arriver qu’une faute devienne un usage commun en linguistique, les deux usages subsistent et seul l’un des deux (« l’éther ») est Ă  la fois conforme Ă  la volontĂ© initiale des crĂ©ateurs et permet de diffĂ©rencier clairement l’unitĂ© de compte du protocole crypto-Ă©conomique. C’est pour cela que j’utilise personnellement ce terme et recommande de le faire Ă  quiconque voudrait crĂ©er du contenu Ă  propos d’Ethereum.

 

La taille limite des blocs de Bitcoin n’est plus de 1 Mo

Comme chacun le sait, dans Bitcoin, les transactions sont regroupĂ©es dans des blocs, qui sont ajoutĂ©s Ă  une chaĂźne toutes les 10 minutes en moyenne. Cependant, ces blocs ne peuvent pas contenir un nombre indĂ©fini de transactions et leur taille est limitĂ©e artificiellement par le protocole afin de garantir un certain niveau de dĂ©centralisation. Pendant 7 ans, la limite sur la taille des blocs Ă©tait de 1 mĂ©gaoctet (1 Mo) de donnĂ©es : cette limite avait Ă©tĂ© inscrite explicitement dans le code par Satoshi Nakamoto en juillet 2010 et a perdurĂ© jusqu’en aoĂ»t 2017.

C’est pour cette raison que les gens, et notamment les dĂ©fenseurs de l’augmentation de la taille limite des blocs comme les partisans de Bitcoin Cash ou de Bitcoin SV, se rĂ©fĂšrent souvent Ă  cette limite quand ils parlent de Bitcoin-BTC. Toutefois, les blocs de Bitcoin ne sont plus limitĂ©s Ă  1 Mo et dĂ©passent rĂ©guliĂšrement les 1,2 Mo. En effet, depuis l’activation de la mise Ă  niveau SegWit le 24 aoĂ»t 2017, la limitation a changĂ© : le critĂšre ne concerne plus la taille du bloc, mais son poids, mĂ©trique dĂ©finie pour l’occasion. La nouvelle limite est ainsi de 4 millions d’unitĂ©s de poids (weight units ou WU).

 

 

Sans rentrer dans les dĂ©tails de cette mise Ă  niveau complexe qu’est SegWit (voyez plutĂŽt mon article sur le sujet), le poids est dĂ©fini comme une moyenne pondĂ©rĂ©e de la taille de la transaction traditionnelle et de la taille des signatures sont dĂ©placĂ©es dans le tĂ©moin, la base de donnĂ©es sĂ©parĂ©e d’oĂč provient le nom Segregated Witness. La limite de 4 MWU autorise thĂ©oriquement une taille rĂ©elle des blocs approchant des 4 Mo, mais en pratique celle-ci n’avoisine que les 2 Mo dans le meilleur des cas. Ainsi, contrairement Ă  ce que certaines personnes peuvent croire encore aujourd’hui, l’augmentation de la capacitĂ© transactionnelle apportĂ©e par la mise Ă  niveau SegWit ne provient pas d’une optimisation des transactions, mais d’une augmentation de la taille limite des blocs.

 

Transactions avant et aprĂšs SegWit

 

Au vu de la complexitĂ© de la nouvelle limite, il peut ĂȘtre plus simple de parler de la limite de 1 Mo (qui est encore valide aux yeux des nƓuds utilisant une version antĂ©rieure du logiciel) : c’est pour cela que beaucoup de vulgarisateurs continuent de l’évoquer. NĂ©anmoins, c’est factuellement faux et cela peut embrouiller le nĂ©ophyte plus qu’il ne le faut quand il voit des blocs de 1,2 Mo ĂȘtre minĂ©s.

 

Roger Ver n’a pas crĂ©Ă© Bitcoin Cash et n’en est pas son reprĂ©sentant officiel

Roger Ver est un personnage controversĂ© de la communautĂ© de Bitcoin et des cryptomonnaies. Il est Ă  la tĂȘte de l’entreprise Bitcoin.com, liĂ©e au domaine du mĂȘme nom, qui fournit un certain nombre de services et occupe une grande place dans le dĂ©veloppement Ă©conomique de Bitcoin Cash (BCH), une branche dissidente de Bitcoin (BTC) dont la mĂ©thode de scalabilitĂ© principale est l’augmentation progressive de la taille des blocs. Roger Ver est donc connu depuis 2017 pour ĂȘtre un fervent dĂ©fenseur de Bitcoin Cash, Ă  tel point que certains imaginent, Ă  tort, qu’il en a Ă©tĂ© le principal instigateur et qu’il en est aujourd’hui le reprĂ©sentant officiel.

 

Roger Ver DĂ©cembre 2018
Roger Ver

 

Roger Ver a dĂ©couvert Bitcoin en 2011 et en faisait la promotion. Son Ă©vangĂ©lisation acharnĂ©e a convaincu un trĂšs grand nombre de personnes de s’intĂ©resser Ă  Bitcoin, notamment en leur donnant des bitcoins pour essayer, ce qui lui a valu le surnom de « Bitcoin Jesus » dans la communautĂ©. Il est Ă©galement connu pour avoir Ă©tĂ© le premier gros investisseur Ă  mettre son argent dans le bitcoin et dans les entreprises de l’écosystĂšme.

Roger Ver Ă©tait un partisan des « gros blocs », et soutenait par consĂ©quent une augmentation de la taille des blocs lors du dĂ©bat sur la scabilitĂ© (notamment par le biais des implĂ©mentations Bitcoin XT, Bitcoin Classic et Bitcoin Unlimited). Cependant, lors de l’embranchement de Bitcoin Cash en aoĂ»t 2017, il a prĂ©fĂ©rĂ© maintenir son soutien vers Bitcoin, convaincu que le projet SegWit2X, qui consistait Ă  activer SegWit et Ă  doubler la taille limite des blocs par la suite, serait appliquĂ©. Ce n’est que lorsque le « 2X » a Ă©tĂ© annulĂ© en novembre 2017, suite au changement d’avis de la majoritĂ© des utilisateurs, que Roger Ver s’est tournĂ© vers Bitcoin Cash, voyant que le rĂ©seau Bitcoin Ă©tait condamnĂ© Ă  ĂȘtre rĂ©guliĂšrement congestionnĂ© Ă  cause d’une limite trop basse. Roger Ver n’a donc pas crĂ©Ă© Bitcoin Cash, et n’en a pas Ă©tĂ© un fervent supporter dĂšs le premier jour (mĂȘme s’il avait de la sympathie pour le projet).

Bitcoin Cash a Ă©tĂ© crĂ©Ă© le 1er aoĂ»t 2017 Ă  la suite du travail de dĂ©veloppement du français Amaury SĂ©chet et de quelques autres (freetrader par exemple), et a Ă©tĂ© soutenu par la coopĂ©rative de minage chinoise ViaBTC et par Bitmain. En fait, quitte Ă  choisir un reprĂ©sentant unique, il faudrait opter pour Amaury SĂ©chet, l’actuel dĂ©veloppeur en chef de l’implĂ©mentation Bitcoin ABC, qui expliquait la vision derriĂšre Bitcoin Cash dĂšs juin 2017 dans une prĂ©sentation donnĂ©e Ă  Arnhem : modifier le protocole pour passer Ă  l’échelle sur la chaĂźne, amĂ©liorer l’expĂ©rience de l’utilisateur et ajouter de nouvelles fonctionnalitĂ©s.

 

Amaury SĂ©chet novembre 2018
Amaury SĂ©chet

 

Roger Ver a aujourd’hui une grande influence au sein de la communautĂ© de Bitcoin Cash. Cependant, sa vision s’éloigne parfois un peu de la vision partagĂ©e par la communautĂ© de Bitcoin Cash, et surtout son comportement est loin d’ĂȘtre exemplaire. En tĂ©moigne son dernier tweet trĂšs douteux qui suggĂ©rait sans preuve que Jack Dorsey, patron de Twitter, aurait eu une liaison avec Elisabeth Stark, co-fondatrice de Lightning Labs, et que cela expliquait son soutien pour le rĂ©seau Lightning. Un autre Ă©lĂ©ment ambigu est qu’encore aujourd’hui, Bitcoin-BTC est encore appelĂ© « Bitcoin Core » sur Bitcoin.com ce qui est plutĂŽt trompeur quand on sait que BTC est quasi-unanimement appelĂ© Bitcoin et constitue la branche dominante depuis plusieurs annĂ©es maintenant. Bien que le comportement dans le camp d’en face n’ait pas forcĂ©ment Ă©tĂ© plus honnĂȘte et que Bitcoin Cash suive le plan initial de Bitcoin, cela ne justifie pas selon moi certaines des mĂ©thodes utilisĂ©es par Roger Ver.

Il y a beaucoup d’individus plus Ă  mĂȘme de reprĂ©senter la vision derriĂšre Bitcoin Cash. Parmi les dĂ©veloppeurs et techniciens, on peut se rĂ©fĂ©rer en particulier Ă  Chris Pacia (bchd), Josh Ellithorpe (bchd, CashShuffle), Mark Lundeberg (Electron Cash), Gabriel Cardona (Bitcoin.com), Peter Rizun (Bitcoin Unlimited), Andreas Brekken (Shitcoin.com, Sideshift.ai), ou encore Vin Armani (Cointext). Parmi les mineurs, on trouve bien sĂ»r Jihan Wu de Bitmain, mais aussi Haipo Yang, PDG de ViaBTC, et Jiang Zhuoer, PDG de le coopĂ©rative de minage BTC.TOP. Enfin, parmi les soutiens de Bitcoin Cash, on peut Ă©galement citer Rick Falkvinge, fondateur du Parti Pirate suĂ©dois, Jeffrey Tucker directeur de publication de l’American Institute for Economic Research, ou encore Gavin Andresen, dĂ©veloppeur emblĂ©matique de Bitcoin qui s’est dĂ©sormais Ă©loignĂ© de l’écosystĂšme.

Ainsi, il est trĂšs fallacieux d’associer Bitcoin Cash Ă  la figure de Roger Ver. Bitcoin Cash est une scission de Bitcoin, qui a sa vision propre et qui ne dĂ©pend pas vraiment d’une seule personne : si Roger Ver disparaissait, Bitcoin Cash continuerait d’exister. De mĂȘme qu’on n’associerait pas la communautĂ© de Bitcoin-BTC au comportement toxique de certains maximalistes, le comportement de Roger Ver n’est pas reprĂ©sentatif de la communautĂ© de Bitcoin Cash.

 

La raretĂ© n’est pas une source de valeur

Dans Bitcoin, la crĂ©ation des nouveaux bitcoins est programmĂ©e Ă  l’avance depuis le premier jour, ce qui fait qu’elle diminue au cours des annĂ©es pour ne jamais dĂ©passer les 21 millions. Cette Ă©mission est rĂ©duite de moitiĂ© tous les quatre ans, ce qui est connu sous le nom de halving : ainsi, il se crĂ©ait 50 bitcoins par bloc entre 2009 et 2012, 25 par bloc entre 2012 et 2016, et 12,5 par bloc depuis 2016. Cela constitue un changement drastique qui diminue la rĂ©compense attribuĂ©e aux mineurs, mais cause aussi l’augmentation de la valeur de la piĂšce.

Avec le prochain halving de 2020 qui s’approche, beaucoup se rĂ©jouissent Ă  l’avance d’une valeur du bitcoin qui repartirait Ă  la hausse de façon spectaculaire, comme cela avait eu lieu lors des deux prĂ©cĂ©dentes rĂ©ductions. On voit en effet beaucoup de bitcoineurs se transformer en experts du « stock-to-flow ratio » et estimer que le prix du bitcoin pourrait atteindre des nouveaux sommets autour des 100 000 $ lors du prochain marchĂ© haussier.

 

Prix du bitcoin et halvings

 

Ici je voudrais juste rappeler que la valeur du bitcoin ne repose pas sur la raretĂ©, mais sur l’usage qu’en font les gens. Pour qu’une chose ait une valeur, il faut des personnes prĂȘtes Ă  l’acheter (demande) ; et pour qu’elles soient prĂȘtes Ă  l’acheter, il faut qu’elles en trouvent un bĂ©nĂ©fice. Ainsi, la rĂ©duction de l’augmentation de l’offre ne constitue pas un argument en soi pour justifier une hausse du prix : mĂȘme si le taux d’émission est rĂ©duit Ă  zĂ©ro, le prix n’augmentera pas si le service apportĂ© par Bitcoin reste le mĂȘme. La valeur du bitcoin repose surtout dans l’utilitĂ© qu’il apporte aux gens et notamment le fait de pouvoir transfĂ©rer de la valeur sans recourir Ă  un intermĂ©diaire.

On parle beaucoup du rĂŽle du bitcoin en tant que « rĂ©serve de valeur » ou « or numĂ©rique », mais selon moi ce n’est qu’un usage de spĂ©culation : on spĂ©cule sur la valeur future pensant que celle-ci sera supĂ©rieure ou Ă©gale Ă  la valeur actuelle dans un horizon de temps donnĂ©. Mais la spĂ©culation n’est pas un usage solide, ce qui peut se voir au vu des fluctuations du prix du bitcoin ces derniĂšres annĂ©es. Pour que le prix augmente de maniĂšre durable et se stabilise, il faudra que les usages non spĂ©culatifs se dĂ©veloppent : transferts entre les pays (remittances), financements participatifs, paiements, contrats autonomes, etc. Ainsi, la rĂ©duction du taux d’émission monĂ©taire ne suffit pas.

 

La preuve de travail et la preuve d’enjeu ne sont pas des algorithmes de consensus

Une lieu commun qui existe au sein de la communautĂ© autour des crypto-actifs est que ce qu’on appelle la preuve de travail et la preuve d’enjeu sont des algorithmes de consensus. J’ai moi-mĂȘme dĂ©jĂ  fait cette considĂ©ration. Si on peut s’y retrouver Ă  peu prĂšs quand on parle de preuve de travail, la preuve d’enjeu (dĂ©lĂ©guĂ©e ou non) est quant Ă  elle source de confusion, car les algortihmes sont nombreux et divers au sein de l’écosystĂšme : Emmy pour Tezos, Ourobouros pour Cardano, Tendermint pour Cosmos, prochainement Casper pour Ethereum, etc.

En rĂ©alitĂ©, la preuve de travail et la preuve d’enjeu sont des mĂ©canismes de rĂ©sistance aux attaques Sybil, et ne disent rien du modĂšle de consensus utilisĂ©. L’algorithme de consensus utilisĂ© dans Bitcoin est l’algorithme de consensus de Nakamoto par preuve de travail, dont le principe trĂšs simple est que la chaĂźne de blocs ayant accumulĂ© le plus de preuve de travail doit ĂȘtre considĂ©rĂ©e comme valide. La preuve de travail n’est lĂ  que pour permettre de choisir les validateurs (mineurs) : seul celui qui a fourni une preuve peut rajouter un bloc Ă  la chaĂźne. Dans le cas contraire, si chaque nƓud pouvait rajouter des blocs Ă  la chaĂźne Ă  tour de rĂŽle, il serait facile pour un attaquant de mettre en place un grand nombre de nƓuds pour contrĂŽler le systĂšme, ce qu’on appelle une attaque Sybil.

La preuve d’enjeu, elle, consiste Ă  considĂ©rer la possession de jetons comme le critĂšre de sĂ©lection des validateurs. L’algorithme de consensus de Nakamoto peut ainsi se baser sur de la preuve d’enjeu, plutĂŽt que de la preuve de travail : les validateurs (forgeurs) sont choisis au hasard selon leur quantitĂ© de jetons mis sous sĂ©questre pour valider un bloc, et la chaĂźne la plus longue est sĂ©lectionnĂ©e. C’est cet algorithme qu’utilise le protocole NXT depuis 2013.

Cependant, on peut imaginer que d’autres algorithme que celui de Satoshi Nakamoto se basent sur de la preuve d’enjeu, ou mĂȘme sur de la preuve de travail. C’est notamment la cas d’Avalanche, un algorithme qui utilise un procĂ©dĂ© de chuchotement pour parvenir Ă  un consensus au sein d’un ensemble de nƓuds donnĂ©s, et qui peut se fonder indiffĂ©remment sur de la preuve de travail ou de la preuve d’enjeu pour sĂ©lectionner les participants. Pour avoir plus d’informations au sujet d’Avalanche, vous pouvez lire mon article sur le sujet.

 


PiÚces et comptes : deux modÚles de représentation

July 20th 2019 at 10:10

Aujourd’hui je voudrais aborder un point un peu technique qui forme la base de l’architecture des blockchains que l’on connaĂźt. Chacun sait que les protocoles Bitcoin et Ethereum permettent d’échanger une unitĂ© de compte (le bitcoin et l’éther, respectivement). Cependant, ces unitĂ©s de comptes ne sont pas reprĂ©sentĂ©es de la mĂȘme maniĂšre selon le protocole dans lequel elles Ă©voluent : Bitcoin va utiliser un modĂšle, et Ethereum un autre. Ces deux modĂšles, qui ont depuis Ă©tĂ© repris par beaucoup d’autres protocoles crypto-Ă©conomiques, sont :

  • Le modĂšle de reprĂ©sentation par des piĂšces de cryptomonnaie (aussi appelĂ©es UTXO pour Unspent Transaction Output). Ce modĂšle est contre-intuitif car les adresses n’existent pas au niveau protocolaire : chaque piĂšce est verrouillĂ©e par un script propre. Il est notamment utilisĂ© par Bitcoin, Bitcoin Cash, Litecoin, Dash et Monero.
  • Le modĂšle de reprĂ©sentation par des comptes, oĂč une adresse possĂšde un solde qui est mis Ă  jour par les transactions. Ce modĂšle est beaucoup plus intutif et est principalement utilisĂ© par les plateformes de contrats autonomes comme Ethereum, EOS ou Tezos.

Nous allons regarder de plus prùs comment ces deux modùles fonctionnent, avant d’en faire la comparaison.

 

Le modĂšle des piĂšces ou des UTXO

Le modĂšle de reprĂ©sentation basĂ© sur les piĂšces est quelque peu contre-intuitif et peut dĂ©router au premier abord. Il s’agit du systĂšme utilisĂ© par Bitcoin depuis sa conception, ainsi que par d’autres protocoles comme Bitcoin Cash, Litecoin, Dash ou Monero. Ce systĂšme utilise des piĂšces de cryptomonnaie. On peut faire l’analogie avec la monnaie fiduciaire : en Europe, il existe des piĂšces de 50 centimes ou de 2 euros pour payer en liquide ; dans Bitcoin, c’est pareil, Ă  la diffĂ©rence que le montant de la piĂšce peut ĂȘtre arbitraire. Un utilisateur pourra ainsi dĂ©tenir une piĂšce de 25 bitcoins et une piĂšce de 1,66886523 bitcoin par exemple.

Ces piĂšces de cryptomonnaies sont crĂ©Ă©es par les transactions prĂ©sentes dans la chaĂźne de blocs. En effet, dans Bitcoin, chaque piĂšce en circulation correspond Ă  une sortie transactionnelle non dĂ©pensĂ©e ou UTXO (de l’anglais Unspent Transaction Output) : une piĂšce n’existe que parce qu’elle est le rĂ©sultat d’une transaction et qu’elle n’est dĂ©pensĂ©e par aucune autre transaction.

Les transactions peuvent ĂȘtre constituĂ©es de plusieurs entrĂ©es et de plusieurs sorties. Sauf dans le cas de la transaction de rĂ©compense (coinbase transaction), elles dĂ©pensent des piĂšces existantes pour en crĂ©er de nouvelles. Les anciennes piĂšces sont les entrĂ©es de la transaction, et les nouvelles les sorties.

Par exemple, disons qu’Alice veuille envoyer 5 bitcoins Ă  Bob (oui ça fait beaucoup d’argent). Elle dispose pour cela de 7 bitcoins rĂ©partis en deux piĂšces : un piĂšce de 3 bitcoins qu’elle a reçue de Yoann, et une piĂšce de 4 bitcoins a reçue de ZoĂ©. Pour envoyer les bitcoins, elle va construire pour elle une transaction dĂ©pensant ces piĂšces de cryptomonnaies (les entrĂ©es) pour crĂ©er une nouvelle piĂšce de 5 bitcoins sous le contrĂŽle de Bob (premiĂšre sortie). Cependant, puisque le montant envoyĂ© Ă  Bob ne correspond pas tout Ă  fait Ă  ce qui a Ă©tĂ© dĂ©bloquĂ©, Alice va crĂ©er une nouvelle piĂšce de 1,9999 bitcoin pour « se rendre la monnaie » (seconde sortie). Le montant restant (0,0001 bitcoin) sert Ă  payer les frais versĂ©s aux mineurs qu’ils rĂ©cupĂ©reront dans la transaction de rĂ©compense.

 

Transaction Bitcoin à deux entrées et deux sorties

 

Bien sĂ»r tout le monde ne peut pas dĂ©penser les piĂšces Ă  sa guise : celles-ci sont verrouillĂ©es par des scripts imposant que certaines conditions soient satisfaites pour que la transaction soit valide (scripts qui sont aussi appelĂ©s « contrats autonomes » ou « smart contracts »). Pour le commun des mortels comme Alice ci-dessus, le standard gĂ©nĂ©ralement utilisĂ© est le type Pay-to-Public-Key-Hash, abrĂ©gĂ© en P2PKH, qui consiste Ă  verrouiller l’UTXO Ă  l’aide de l’empreinte de la clĂ© publique du destinataire, empreinte obtenue par l’intermĂ©diaire des fonctions de hachage SHA-256 et RIPEMD-160. Pour dĂ©penser cet UTXO, le propriĂ©taire devra produire une signature avec sa clĂ© privĂ©e et fournir la clĂ© publique correspondante.

Dans ce cas, l’adresse (par exemple 1DzxhUphLFq8FZPGbFgLF8Ssz3hMX9EuMp) correspond Ă  l’empreinte de la clĂ© publique, Ă  laquelle on rajoute une information pour indiquer qu’on utilise le standard P2PKH (le 1 au dĂ©but de l’adresse). Pour plus de dĂ©tails sur les clĂ©s et les adresses, vous pouvez lire mon article sur le sujet.

Le solde d’une adresse sera alors la somme des montants de toutes les piĂšces verrouillĂ©es par le script correspondant. Ce solde n’est donc pas inscrit directement sur la chaĂźne et est reconstituĂ© par les portefeuilles et par les autres services.

Chaque nƓud entretient une base de donnĂ©es regroupant l’ensemble des UTXO (UTXO set) qu’il conserve en mĂ©moire flash. Cela lui permet d’ĂȘtre considĂ©rablement plus efficace pour vĂ©rifier la validitĂ© d’une transaction, et de pouvoir fonctionner en « mode Ă©laguĂ© » sans conserver la totalitĂ© de la chaĂźne de blocs sur son disque dur. L’ensemble des UTXO Ă©quivaut Ă  l’état du systĂšme prĂ©sent dans Ethereum.

Cette architecture a pour mĂ©rite de favoriser la mise en lots des transactions (batching) qui, par le regroupement de plusieurs paiements en un seul, permet de rĂ©duire les frais payĂ©s. Cette mise en lots est notamment utilisĂ©e par les plateformes d’échange pour regrouper les retraits de ses utilisateurs. Le modĂšle facilite Ă©galement le mĂ©lange des piĂšces, ou CoinJoin.

 

Le modĂšle des comptes

Le modĂšle de reprĂ©sentation basĂ© sur les comptes est le plus intuitif des deux mais son implĂ©mentation n’en est pas moins compliquĂ©e. Il s’agit d’un modĂšle introduit par Ethereum lors de sa crĂ©ation, et qui a Ă©tĂ© repris depuis par toutes les plateformes d’applications dĂ©centralisĂ©es comme EOS, Cardano ou Tezos, et pour cause : ce modĂšle facilite grandement l’implĂ©mentation des contrats autonomes.

Comme son nom l’indique, ce modĂšle se base sur des comptes (accounts). GĂ©nĂ©ralement, un compte est caractĂ©risĂ© par les Ă©lĂ©ments suivants :

  • Une adresse publique, par exemple 0xE87BD234546C55Ca73112a551eCd30184106a502 ;
  • Un solde de cryptomonnaie ;
  • Un compteur, appelĂ© « nonce » dans Ethereum, qui indique le nombre de transactions rĂ©alisĂ©es ;
  • Du code de programmation (seulement pour les contrats) ;
  • Des donnĂ©es stockĂ©es (seulement pour les contrats).

Il existe deux types de comptes : les comptes simples et les contrats. Les comptes simples, appelĂ©s EOA dans Ethereum pour Externally Owned Accounts, servent gĂ©nĂ©ralement Ă  initier des transactions, soit pour rĂ©aliser un paiement (qui est un type d’opĂ©ration en lui-mĂȘme), soit pour interagir avec un contrat. Les contrats sont eux des programmes existant par eux-mĂȘmes sur la plateforme et rĂ©agissent selon les appels effectuĂ©s par les utilisateurs ou par d’autres contrats.

La cartographie des comptes est appelĂ© l’état du systĂšme. Cet Ă©tat est modifiĂ© par les transactions. Par exemple, si Alice veut envoyer 5 Ă©thers Ă  Bob, elle construira et signera une transaction qui retirera 5 Ă©thers de son solde (sans compter les frais payĂ©s au validateurs) et ajoutera 5 Ă©thers Ă  Bob.

Ce modĂšle de reprĂ©sentation est donc beaucoup plus intuitif que celui des piĂšces-UTXO. Pour trouver son solde total, un portefeuille n’aura qu’à questionner l’état du systĂšme sur le compte concernĂ© : pas besoin de reconstituer le montant Ă  partir des UTXO. Les clients lĂ©gers en particulier bĂ©nĂ©ficient grandement de cette caractĂ©ristique : un nƓud du rĂ©seau aura plus de mal Ă  tromper un portefeuille lĂ©ger que dans le modĂšle des piĂšces oĂč il peut volontairement oublier de mentionner l’existence d’une piĂšce.

NĂ©anmoins, ce modĂšle souffre d’une contrainte majeure : chaque compte doit entretenir un compteur ou nonce qui correspond au nombre de transactions confirmĂ©es qu’il a Ă©mises. Ce compteur est prĂ©sent dans toutes les transactions qu’il va envoyer : sa premiĂšre transaction sera marquĂ©e du numĂ©ro 0, la deuxiĂšme du numĂ©ro 1, etc. Ce compteur sert essentiellement Ă  deux choses :

  • D’abord avoir un ordre des transactions : sans compteur, les nƓuds du rĂ©seau pourraient exĂ©cuter les actions dans le dĂ©sordre, ce qui, dans le cadre d’un ordinateur mondial dĂ©centralisĂ©, peut s’avĂ©rer problĂ©matique.
  • Mais surtout Ă©viter le rejeu des transactions : sans compteur, si Alice possĂ©dait 15 Ă©thers et qu’elle envoyait une transactions de 5 Ă©thers Ă  Bob, rien n’empĂȘcherait Bob de diffuser cette transaction deux fois de plus pour rĂ©cupĂ©rer les 10 Ă©thers restants.

 

Comparaison des deux modĂšles

Il existe donc deux modĂšles de base pour reprĂ©senter l’unitĂ© de compte : soit par des piĂšces (ou UTXO), soit par la biais d’un solde prĂ©sent sur un compte. Chacun des deux modĂšles a ses caractĂ©ristiques propres ce qui fait qu’ils ont chacun leurs avantages et leurs inconvĂ©nients.

Le premier point de divergence est la scalabilitĂ©. Tout d’abord le stockage est diffĂ©rent. Dans Bitcoin, les UTXO doivent tous porter le script de verrouillage correspondant Ă  l’adresse du destinataire, ce qui alourdit les choses par rapport Ă  un modĂšle de comptes, oĂč seuls les montants vont ĂȘtre stockĂ©s. Cet effet est augmentĂ© si une adresse reçoit de multiples paiements. De plus, grĂące Ă  cette caractĂ©ristique, les paiements simples dans Ethereum prennent en moyenne deux fois moins de place que dans Bitcoin (un peu plus de 100 octets ou lieu de 226 octets).

Cependant, cela est Ă  mitiger avec le fait que le modĂšle des piĂšces facilite la parallĂ©lisation des transactions (pas de compteur) et qu’il semble ĂȘtre bien plus compatible avec beaucoup de mĂ©thodes de passage Ă  l’échelle comme le partitionnement (sharding).

La seconde diffĂ©rence se trouve au niveau de la confidentialitĂ© des transactions : en effet, le modĂšle des piĂšces est plus secret que le modĂšle des comptes. Comme on l’a dit dans la premiĂšre partie, le fait qu’une transaction possĂšde plusieurs entrĂ©es et plusieurs sorties est une caractĂ©ristique prĂ©sente par dĂ©faut dans le modĂšle des piĂšces. Cela permet de mettre en place des techniques d’anonymisation comme le fait d’utiliser une nouvelle adresse Ă  chaque transaction, ou le mĂ©lange des piĂšces (CoinJoin).

Dans le modĂšle des comptes, cette caractĂ©ristique n’est pas forcĂ©ment naturelle. Ethereum par exemple ne permet pas nativement d’effectuer des transactions complexes (plusieurs entrĂ©es ou plusieurs sorties) sans passer par l’intermĂ©diaire d’un contrat autonome, comme pour procĂ©der Ă  une mise en lots par exemple. La consĂ©quence est que, par facilitĂ©, les portefeuilles ont gĂ©nĂ©ralement une adresse unique pour recevoir des fonds ce qui altĂšre la confidentialitĂ© des utilisateurs. Il est de mĂȘme pour le mĂ©lange des fonds qui doit Ă©galement se faire par le biais d’un contrat.

Pour continuer avec ce sujet, les deux modĂšles n’offrent pas le mĂȘme niveau de fongibilitĂ©, cette derniĂšre Ă©tant le fait de ne pas pouvoir distinguer une unitĂ© d’une autre. Avec les modĂšle des UTXO, les services gouvernementaux peuvent marquer les piĂšces « sales » et les rendre illĂ©gales, ce qui rĂ©duit le niveau de fongibilitĂ© de la monnaie. Heureusement, les techniques de confidentialitĂ© mentionnĂ©es ci-dessus permettent d’amĂ©liorer la situation en compliquant considĂ©rablement le suivi des piĂšces sur la chaĂźne. Le modĂšle des comptes, lui, assure une fongibilitĂ© techniquement parfaite puisque les soldes sont simplement mis Ă  jour, bien qu’il soit sans doute possible de marquer les fonds d’une maniĂšre ou d’une autre.

Le troisiĂšme et dernier point de diffĂ©rence est la simplicitĂ©. En dĂ©pit de la difficultĂ© posĂ©e par l’implĂ©mentation du compteur, le modĂšle des comptes est, par son cĂŽtĂ© intuitif, un bien meilleur modĂšle en terme de facilitĂ© de comprĂ©hension et d’interaction pour le dĂ©veloppeur. En particulier, la programmation de contrats autonomes est beaucoup plus facile Ă  mettre en place sur Ethereum que sur Bitcoin, ne serait-ce que pour accĂ©der au solde prĂ©sent Ă  une adresse.

 

Ainsi les deux modĂšles ont leurs forces et leurs faiblesses. Ces caractĂ©ristiques font qu’un modĂšle va ĂȘtre privilĂ©giĂ© Ă  un autre selon le type d’usage visĂ© par le protocole. D’un cĂŽtĂ©, le modĂšle des piĂšces va ĂȘtre prĂ©fĂ©rĂ© par les protocoles fondĂ©s principalement sur l’échange de valeur entre individus (c’est-Ă -dire la monnaie), car plus confidentiel. De l’autre cĂŽtĂ©, les protocoles Ă©tant tournĂ©s vers l’exĂ©cution de contrats autonomes vont prĂ©fĂ©rer opter pour un modĂšle basĂ© sur des comptes, bien plus accessible pour l’implĂ©mentation de ce genre d’application.

Notez que cette distinction n’est pas forcĂ©ment respectĂ©e et beaucoup de nouveaux protocoles utilisent un modĂšle hybride pour exploiter au maximum les avantages des deux modĂšles. C’est le cas de Cardano, dont la premiĂšre couche (Cardano Settlement Layer) est basĂ©e sur des UTXO, et de Qtum avec son Account Abstraction Layer (AAL).


Sources

Andreas M. Antonopoulos, Mastering Bitcoin: Programming the Open Blockchain, chapitre 6.
Andreas M. Antonopoulos, Mastering Ethereum: Building Smart Contracts and DApps, chapitre 6.
Dmitry Mishunin, UTXO and Account Model Comparison v.2, 22 octobre 2018.
Offchain.fr, UTXO ou Account – Comprendre l’architecture des Blockchains, 25 mars 2019.

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