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Before yesterdayComprendre la cryptomonnaie

Les ETF indexés sur le bitcoin et la menace du BlackFork

January 24th 2024 at 10:00

L'année 2024 a commencé en trombe dans le monde de Bitcoin et des cryptomonnaies : le mercredi 10 janvier, 11 ETF indexés sur le bitcoin (BTC) ont été approuvés par la SEC, le gendarme financier américain, au terme d'une procédure qui avait cours depuis plusieurs années. Cette décision a provoqué la réjouissance d'une partie la communauté, en raison de l'éventuelle hausse du prix qu'elle va pouvoir amener. Mais a elle aussi suscité l'inquiétude, notamment en ce qui concerne l'altération des caractéristiques fondamentales de Bitcoin.

Des ETF pour Bitcoin

Un ETF, pour exchange-traded fund ou fonds négocié en bourse en français, est un fonds de placement en valeurs mobilières dont les parts peuvent être échangées en bourse. Ce produit a pour objectif de répliquer les performances d'un actif ou d'un panier d'actifs déterminé, de sorte à rendre accessible l'investissement pour le particulier. Les ETF sont typiquement utilisés pour les indices boursiers, comme le S&P500 aux États-Unis ou le CAC40 en France.

Un ETF est constitué de parts qui sont échangées sur les marchés financiers. La valeur de ces parts peut être garantie de deux manières principales : la réplication physique, où l'actif sous-jacent est détenu par le fonds, et la réplication synthétique, où la performance est reproduite grâce à des paniers d’actions liquides achetés auprès d’une banque d’investissement (via des swaps). Les ETF peuvent aussi concerner deux sortes d'actifs : soit l'actif lui-même auquel cas on parle d'ETF au comptant (ou spot), soit un contrat à terme, auquel cas on parle d'ETF futures.

Les ETF (spot et futures) sont aussi présents sur le marché des matières premières (commodities). Ainsi, des ETF physiques adossés à l'or ont émergé dans les années 2000, dont notamment SPDR Gold Trust (GLD) ou l'iShares Gold Trust (IAU) — l'ETF de BlackRock. Cette démocratisation de la spéculation sur le cours de l'or, grâce à la liquidité apportée, a accompagné la hausse formidable du cours de l'once d'or, qui est passé de 300 à 1800 $ entre 2002 et 2011.

Il est naturel que les personnes qui considèrent le bitcoin comme de l'or numérique et comme une réserve de valeur demandent la mise en place d'un ETF indexé sur le bitcoin, voyant notamment le potentiel de hausse fulgurant que celui permettrait. À partir de 2012, ces personnes ont ainsi soutenu l'émergence d'un tel fonds pour la cryptomonnaie. La première proposition d'un ETF indexé sur le bitcoin remonte à l'année 2013, a été la demande faite par les frères Winklevoss en juillet 2013. Puis, en décembre 2017, des contrats à terme basés sur le BTC sont apparus à la bourse de Chicago (CBOE et CME). En février 2021, le premier ETF physique, distribué par Purpose Investments, a été validé au Canada. En octobre 2021, le premier ETF synthétique, géré par ProShares, a été proposé à la vente, au New York Stock Exchange (NYSE). Mais il a fallu attendre le mois de janvier 2024 pour voir arriver des ETF physiques aux États-Unis et notamment à Wall Street, le principal centre financier du monde.

Le 10 janvier, le gendarme financier étasunien, la Security and Exchange Commission (SEC), a approuvé 11 demandes d'ETF physiques devant être échangés à la bourse du Nasdaq, au NYSE et Chicago Board Options Exchange (CBOE). Ces ETF ont commencé à être négociés en bourse à partir du lendemain.

SigleSponsorDépositaireBourse
GBTCGrayscaleCoinbaseNYSE
IBITBlackRockCoinbaseNasdaq
FBTCFidelityFidelityCBOE
ARKBArk / 21 SharesCoinbaseNYSE
BITBBitwiseCoinbaseNYSE
EZBCFranklin TempletonCoinbaseCBOE
BTCOInvescoCoinbaseCBOE
HODLVanEckGeminiNYSE
BRRRValkyrieCoinbaseNasdaq
BTCWWisdomTreeCoinbaseCBOE
DEFIHashdexBitGoCBOE

Ces ETF sont divers. Nous pouvons citer le cas de GrayScale, filiale du Digital Currency Group, qui propose depuis 2013 une fiducie basée sur le bitcoin, appelée le GBTC, qu'elle a converti en ETF pour l'occasion. On peut aussi citer le cas de VanEck qui a choisi pour dépositaire la plateforme Gemini, gérée par les frères Winklevoss, ces derniers ayant obtenu gain de cause plus de 10 ans après leur première demande. Mais le principal acteur dans cette histoire est BlackRock, le plus gros gestionnaire d'actifs du monde, de sorte qu'on a tendance à réduire le sujet à cette multinationale iconique.

Ces ETF sont des ETF physiques. La SEC a tranché en faveur d'un mécanisme indirect, où la soumission et le rachat des parts se font par un règlement en monnaie classique (« cash creates ») plutôt qu'en bitcoin, mais l'ETF doit se procurer les bitcoins sur le marché. Cela suppose donc la conservation des bitcoins en réserve, et c'est ce qui enthousiasme beaucoup les spéculateurs.

Toutefois, cette détention n'est généralement pas directe : sauf dans le cas de Fidelity, elle se fait par le biais d'un dépositaire. Et le dépositaire largement dominant aujourd'hui est Coinbase Custody, ce qui constitue une grande centralisation de la détention et de l'activité économique.

La capture de Bitcoin

L'entrée en scène des ETF physiques indexés sur le bitcoin s'inscrit dans la financiarisation de Bitcoin qui a commencé en 2012–2013 avec l'arrivée des premiers acteurs financiers classiques dans l'écosystème. Cette évolution s'est accompagnée d'une réglementation de plus en plus drastique des services du secteur, comme les plateformes d'échange, les dépositaires et les processeurs de paiement. Cela se traduit peu à peu par une lente prise de contrôle de la part des autorités en place (dont l'État fédéral américain) qui influencent de plus en plus l'économie de Bitcoin.

La capture d'un protocole ouvert n'est pas une idée absurde. En effet, une telle chose s'est déjà produite par le passé, notamment pour SMTP (un des protocoles derrière le courrier électronique) et pour XMPP (un protocole de messagerie instantanée). Ces protocoles ont été récupérés grâce à une stratégie similaire à la stratégie de Microsoft appelée « embrace, extend, and extinguish » (littéralement « adopter, étendre, et étouffer »), qui consiste à entrer sur un marché en appliquant des normes largement utilisées, étendre ces normes en leur ajoutant des caractéristiques propriétaires (ou privatrices), puis se servir de ces différences afin de défavoriser les concurrents. Cette stratégie était prévue par Microsoft dans le but de récupérer le protocole HTML aux détriment des navigateurs web classiques comme Netscape, ce qui n'a heureusement pas eu lieu.

Dans le cas de Bitcoin, l'idée serait d'adopter BTC comme protocole de base hébergeant une activité financière, attirer l'essentiel de l'activité économique, puis lui ajouter des caractéristiques de censure ou de fiscalité et repousser les quelques dissidents qui resteraient. Dans ce cas, les incitations ne sont pas les mêmes, car elles ne viennent pas uniquement du marché, mais sont distribuées entre plusieurs acteurs : BlackRock et le monde financier qui cherchent le rendement dans un objet spéculatif soutenu par un récit unique, et l'État qui cherche à contrôler Bitcoin le plus possible pour éviter que ses citoyens disposent de trop de liberté. L'ETF constitue un leurre, une imposture, un divertissement qui permet de détourner les individus de ce qui fait réellement la valeur de Bitcoin : la propriété souveraine de son argent obtenue par le biais de la conservation de ses clés privées et par l'échange décentralisé et confidentiel.

Cette inquiétude à propos de la capture de Bitcoin a été soulevée par de nombreuses personnalités dont Arthur Hayes, Chris Blec ou encore Edward Snowden. En France, elle a été exposée par Richard Détente de la chaîne Grand Angle, dans une vidéo intitulée « Comment Blackrock compte tuer Bitcoin ? ». Malheureusement, cette intuition (parfois mal articulée) a subi les foudres des commentateurs qui s'empressaient de se concentrer sur les détails plutôt que de prolonger la réflexion de fond, ce que nous nous proposons de faire ici.

Le « BlackFork »

L'altération du protocole Bitcoin, c'est-à-dire la modification des règles qui garantissent la résistance à la censure et à l'inflation du système, correspond à ce qu'on appelle communément un fork. Elle peut être faite par le biais d'un hard fork, qui est un changement incompatible des règles de consensus, ou bien par l'intermédiaire d'un soft fork, qui est une restriction des règles de consensus pouvant créer une certaine rétrocompatibilité. Dans les deux cas, ces modifications peuvent mener à une scission de chaîne (ce qu'on appelle parfois aussi un hard fork) où deux branches permanentes émergent d'une seule et même chaîne et sont entretenues par des réseaux de nœuds appliquant des règles différentes. Deux systèmes concurrents gérant leur propres unités de compte sont alors créés et coexistent.

Les sponsors des ETF ont dû déterminer, pour les besoins de clarté du contrat, quel type de branche ils prendraient en charge dans l'éventualité d'une scission. Le cas qui a fait parler de lui est celui de BlackRock en juin 2023. Voici ce qui est écrit dans sa demande d'ETF déposée auprès de la SEC :

« Dans le cas d'un hard fork du réseau Bitcoin, le Sponsor, comme le permettent les termes de l'Accord de Fiducie, utilisera sa seule discrétion pour déterminer, en toute bonne foi, quel réseau pair à pair, parmi un groupe de forks incompatibles du réseau Bitcoin, est généralement accepté comme le réseau Bitcoin et devrait donc être considéré comme le réseau approprié pour les besoins de la Fiducie. [...] Il n'y a aucune garantie que le Sponsor choisira l'actif numérique qui aura finalement le plus de valeur, et la décision du Sponsor peut avoir un effet négatif sur la valeur des actions. Le Sponsor peut également être en désaccord avec les Détenteurs de Parts, le Dépositaire des Bitcoins, d'autres prestataires de services, l'Administrateur de l'Indice, les plateformes d'échange de cryptomonnaies ou d'autres acteurs du marché sur ce qui est généralement accepté comme Bitcoin et devrait donc être considéré comme "Bitcoin" pour les besoins de la Fiducie, ce qui peut également avoir un effet négatif sur la valeur des Parts en conséquence. »

D'une part, on note que BlackRock n'envisage pas ici le fait de prendre en charge les deux branches, d'une façon ou d'une autre, par exemple en offrant l'opportunité de retirer les coins de la branche minoritaire. Ainsi, le client, qui prend déjà un risque de garde auprès de BlackRock, ne serait pas crédité des unités correspondantes, causant une perte évidente, si la branche minoritaire avait une certaine importance.

D'autre part, BlackRock se réserve le droit de déterminer la chaîne de son choix, et non suivre la décision des autres acteurs du marché ou la chaîne conservant les règles initiales. Il s'agit là d'une avancée inquiétante, car elle laisse entrevoir la possibilité pour BlackRock de créer sa propre version de Bitcoin, un « BlackFork » tel que nous l'appelons ici. Bien entendu, cette version ne serait pas celle émanant directement du gestionnaire d'actifs mais de la réglementation financière.

En raison de sa position dans le monde financier, il est évident que BlackRock fait partie intégrante du pouvoir en place, le gestionnaire suivant les réglementations qu'il participe également à influencer. C'est pourquoi le protocole promu par BlackRock risque d'être une version altérée de Bitcoin qui implémenterait une mesure de censure des transactions sous prétexte de lutter contre le blanchiment et le terrorisme (LCB-FT). Il s'agirait essentiellement d'un soft fork, c'est-à-dire d'une restriction des règles de consensus, permettant aux blocs produits d'être compatibles avec le protocole initial. C'est pourquoi, dans le cas où la branche de BlackRock serait majoritaire économiquement, le Bitcoin initial serait obligé de procéder à un hard fork pour continuer d'exister. Dans tous les cas, deux systèmes monétaires entreraient en concurrence.

Scénario hypothétique : soft fork de censure de BlackRock et hard fork d'échappatoire des dissidents. Le soft fork exclut les transactions identifiées comme « sales », de sorte que tout bloc en contenant est rendu orphelin. Le hard fork d'échappatoire impose au premier bloc de la scission de contenir une transaction identifiée comme « sale » pour garantir l'incompatibilité.

Majorité économique et proposition de valeur

Il est commun de dire qu'un système qui modifie le protocole sans consensus approximatif de la communauté n'est pas Bitcoin. Et ce sera toujours le discours d'un certain nombre de bitcoineurs qui jugeront que le « vrai Bitcoin » ne peut pas être le résultat de cette scission controversée, celle-ci ne bénéficiant ni de l'accord des développeurs de Bitcoin Core, ni de celui de la communauté des utilisateurs historiques, et n'étant certainement pas conforme aux principes fondamentaux du concept originel proposé par Satoshi Nakamoto. Cependant, même si ce discours peut se comprendre, il a pour défaut de cacher la réalité économique du processus.

Comme nous avons pu le répéter ici et , Bitcoin est un système essentiellement économique, dont les règles de consensus sont elles aussi déterminées de manière économique. De surcroît, il s'agit d'une monnaie, à savoir un mécanisme servant d'intermédiaire dans les échanges, dont l'utilité dépend de la quantité de biens et de services qu'il permet d'acheter dans le commerce. Cette utilité a tendance à évoluer de manière superlinéaire par rapport à la quantité disponible de biens et de services, en raison du cercle vertueux lié à la liquidité, phénomène qu'on nomme usuellement effet de réseau par analogie aux réseaux sociaux.

Chaque ensemble de règles existant est ainsi soutenu par une économie donnée. De ce fait, chaque système appliquant ces règles possède une importance propre, fonction de l'activité commerciale qu'il véhicule. Le protocole est déterminé par l'application des règles réalisée par les commerçants, les acteurs qui vendent des biens et des services contre du bitcoin, y compris de la monnaie classique (celui qui « achète du bitcoin » est un commerçant). Leur importance dans la prise de décision dépend, grosso modo, de leur activité économique vérifiée par l'intermédiaire de leurs nœuds.

Les autres « utilisateurs », les clients et les détenteurs (si nous pouvons faire une telle distinction, car chacun a généralement été un commerçant), sont aussi importants, dans le sens où ils influencent les commerçants, mais ce n'est pas à eux que revient le dernier mot. Les mineurs n'ont pas non plus de pouvoir direct1, sauf en tant que commerçants recevant des frais pour le service de confirmation des transactions.

Dans le cas d'un ETF, le commerçant réel est le dépositaire (ici Coinbase) qui reçoit les bitcoins des personnes qui souhaitent les changer en monnaie classique. Ce dépositaire est lié par contrat au Sponsor et à la Bourse, de sorte que les trois forment un ensemble. L'activité économique est l'ensemble des règlements nécessaires au maintien du prix de l'ETF, ce qui peut représenter un volume conséquent suivant la volatilité du cours. Ainsi, l'importance économique de l'ETF de BlackRock, des autres ETF et des places de marché réglementées peut très bien surpasser l'importance économique de l'économie dissidente. C'est pourquoi il est probable que le BlackFork dispose, dans un premier temps, de la majorité économique.

Bien entendu, un autre facteur joue : le fait que la proposition de valeur de ce « Bitcoin » serait grandement altérée. Il y aurait ainsi un effet de substitution immédiat qui jouerait en faveur du Bitcoin initial, malgré sa moindre utilité à l'instant de la scission. Par conséquent, il peut nous semble absurde que des personnes puissent adopter le BlackFork.

Cependant, c'est négliger le niveau de propagande et de confusion qui peut émaner du système médiatique (à la télévision ou sur Internet), ainsi que le degré de cupidité à court terme des gens. De plus en plus de personnes n'ont en effet jamais entendu parler des racines cypherpunks de Bitcoin et sont là pour profiter du bitcoin comme une supposée « réserve de valeur ». La proposition de valeur serait le fait que le nombre monte, reposant sur le mythe des 21 millions et la supposée « résistance à l'inflation » qui pourrait exister sans résistance à la censure et sans confidentialité. C'est le « Bitcoin » promu par Michael Saylor depuis 2021. On voit déjà cette narration se développer avec la publicité de VanEck promouvant son ETF, qui dit : « Bitcoin peut vous aider à vous prémunir contre la dévaluation de votre argent par l'État. »

Et l'illusion pourrait tout à fait s'installer. En dépit de son absurdité à long terme, cela pourrait tenir, bénéficiant de la lancée culturelle accumulée par Bitcoin depuis des années. Toute personne qui voudrait miser sur le contraire se retrouverait à combattre des forces extraordinaires et ne pourrait pas s'en sortir. Ne dit-on pas que les marchés peuvent rester irrationnels plus longtemps que vous ne pouvez rester solvable ?

L'illusion serait brisée lorsque, quelques temps plus tard, un soft fork taxatoire ou bien un hard fork d'inflation serait mis en place, détruisant la maigre proposition de valeur du Bitcoin soutenu par BlackRock. Le BTC deviendrait alors un jeton mémétique sans intérêt objectif, si ce n'est l'histoire qu'il porterait.

La question est de savoir quelle taille l'économie libre peut atteindre avant qu'un tel BlackFork ne survienne. Parce qu'à mon avis un tel jour arrivera, même si cela prendra des années. Le loup est déjà dans la bergerie ; les moutons voudront-ils se préparer à une attaque certaine ?


Notes

1. Contrairement à une idée persistante, ce ne sont pas les mineurs qui donnent à la monnaie sa valeur, le bitcoin n'étant aucunement « adossé » à l'énergie comme on peut le lire trop souvent. Cela ne veut pas dire que les mineurs ne peuvent pas avoir une influence (par l'intermédiaire de leur capacité à attaquer une chaîne en la censurant), mais il s'agit là d'une influence qui est subsidiaire au pouvoir des commerçants. Ainsi, si la centralisation du minage et sa réglementation sont des problèmes évidents, ils ne sauraient entrer dans l'équation ici.

L’Élégance de Bitcoin : un ouvrage singulier

February 21st 2024 at 10:00

En mars 2022 j'ai décidé d'écrire un livre sur Bitcoin. Cela faisait quelques temps que l'idée me trottait dans la tête, ayant accumulé un certain nombre de connaissances sur le sujet et voulant exposer clairement ce que j'avais compris. Vingt-et-un mois plus tard, non sans difficulté, celui-ci était terminé. Il est sorti officiellement le 31 janvier 2024 et connaît depuis un lancement encourageant !

Cet article est une présentation de cet ouvrage. Il en retrace sa longue conception, en expose le contenu général et dévoile quelques-uns des sujets abordés. J'espère ici convaincre les quelques personnes qui hésiteraient à se le procurer.

Un projet de longue haleine

L'idée de ce projet de livre m'est venue progressivement, mais elle s'est imposée dans mon esprit au cours de l'hiver 2021. La France était alors en proie à la dure restriction du passe vaccinal, ce qui m'avait un peu ouvert les yeux sur les possibilités d'évolution de notre société. Bitcoin représentait pour moi une sorte d'espoir, un outil de liberté sur lequel focaliser mon attention, et je voulais partager cette vision de manière claire et complète. Ayant écrit plus d'une centaine d'articles sur le sujet et ayant traduit l'ouvrage Cryptoeconomics d'Eric Voskuil, j'estimais avoir la légitimité pour écrire ce livre. J'ai annoncé ma décision début mars, quelques semaines à peine après l'invasion de l'Ukraine par la Russie et l'application de sanctions économiques drastiques contre les résidents russes.

J'ai mis au point une campagne de financement participatif en bitcoins qui permettrait de payer pour le lancement du livre et de me rémunérer pour quelques mois d'écriture. Celle-ci a été mise en place sur mon propre nœud grâce à Umbrel et BTCPay Server, et relayée via un VPS loué (en BTC) chez BitLaunch. La campagne a été financée principalement en BTC, mais quelques contributions ont été aussi faites en XMR et en BCH, cryptomonnaies que j'acceptais manuellement. Diverses contreparties ont été promises aux contributeurs et ont depuis à peu près toutes été honorées.

Le plan de l'ouvrage était déjà cohérent et il ne changerait pas significativement tout au long de la rédaction. L'idée était de décrire l'origine avant la destination, le pourquoi avant le comment, le général avant le particulier, pour former un ensemble clair et complet. Le contenu n'était pas destiné aux nouveaux venus, mais devait tout de même rester compréhensible pour le lecteur intéressé. Le propos devait se différencier du contenu produit par les « influenceurs » qui, en général, reste souvent à la surface et se limite parfois au prix et à l'investissement... Il était ainsi nécessaire que les sujets soient traités en profondeur, y compris d'un point de vue technique.

J'ai mis toute mon âme dans ce livre. J'y ai placé tout ce qui avait de l'importance pour moi, tout ce qui m'avait fasciné dans Bitcoin, même si certains sujets pouvaient être controversés ou complexes. J'ai essayé d'être le plus sincère dans ma démarche, en indiquant d'où venait ce que j'avançais : l'ouvrage contient ainsi une multitude de références disséminées au sein de centaines de notes (à tel point que des notes supplémentaires ont dû être extraites et être hébergées en ligne). Cet ouvrage est aussi un témoignage de ma relation avec Bitcoin, notamment dans la conclusion (chapitre 15) où je donne un avis plus personnel et où j'émets quelques prospectives sur Bitcoin.

Au cours de la rédaction, le contenu a pu être amélioré grâce aux diverses relectures bénévoles. Je remercie grandement ceux qui ont accepté de relire un chapitre ou deux pour me signaler ce qui n'allait pas, au niveau de la forme ou du fond. Ils sont cités au début du livre. Cet aspect m'a fait prendre conscience que l'écriture d'un livre n'était pas une tâche strictement individuelle : c'est un travail mené par une personne unique, certes ; mais celui-ci dépend du retour et du soutien d'autres personnes. Je n'aurais jamais pu écrire ce livre seul.

Assez rapidement, j'ai eu quelques contacts avec des éditeurs. J'ai finalement choisi la maison d'édition spécialisée Konsensus Network pour m'aider à publier l'ouvrage. Elle était constituée de bitcoineurs passionnés et proposait le paiement en bitcoins directement dans sa boutique, deux choses essentielles de mon point de vue. J'ai notamment été en communication avec Édouard Gallego qui m'a grandement aidé dans le processus (et que je remercie infiniment).

Enfin, il m'a été conseillé de trouver quelqu'un qui pourrait écrire une préface, car (on ne va pas se mentir) cet élément peut faciliter les ventes. La préface sert en effet de caution intellectuelle, garantissant une certaine qualité du propos auprès du public, une sorte de validation par un pair utile au discernement individuel. J'ai ainsi dû chercher un préfacier. C'était une chose délicate car, de mon point de vue, la personne devait à la fois m'avoir appris quelque chose (je devais lui être redevable) et apprécier le livre, au moins partiellement. Mon choix s'est porté vers Jacques Favier, historien et co-fondateur du Cercle du Coin, que j'avais découvert en 2017 par l'intermédiaire d'une vidéo de Raj de la chaîne Autodisciple, et dont j'avais lu l'ouvrage La Monnaie acéphale co-écrit avec Adli Takkal-Bataille. Jacques est quelqu'un que j'estime et dont j'apprécie les interventions orales comme écrites, ainsi que les multiples livres. Il a une culture historique que je n'aurais probablement jamais et est d'une finesse remarquable quand il s'agit de parler de Bitcoin.

En octobre 2023, je lui ai formulé ma demande, escomptant qu'il serait ouvert à la chose, et il a accepté de relire mon manuscrit. Je savais qu'il n'apprécierait pas tout le contenu du livre, et notamment ses penchants les plus « libéraux » et « autrichiens », mais j'espérais qu'il y trouverait des points qui lui plairaient. Il a finalement accepté. Il a rédigé une superbe préface, avec le talent d'écriture que ses lecteurs lui connaissent. Le fait que nous ayons des points de vue différents n'est à mon avis pas un défaut, d'autant plus que j'ai voulu m'adresser à tout le monde. Même s'il existe évidemment des opinions erronées au sujet de Bitcoin, la diversité des points de vue est une richesse qu'il convient de cultiver. Tout comme dans la célèbre fable indienne où des aveugles touchent chacun une partie différente d'un éléphant et décrivent l'animal d'une façon différente, nous avons tous notre perspective de Bitcoin qui peut être valable et complémentaire par rapport aux autres, à condition d'être de bonne foi.

Un contenu riche

Le livre a pour objectif de donner une vue d'ensemble de Bitcoin, à la fois sous des perspectives technique, historique, économique et politique. Tout d'abord, j'aborde l'histoire de Bitcoin de ses origines en 2008 à aujourd'hui (chapitres 1 et 2). Puis, j'évoque ses racines proprement dites en explorant ses fondements monétaires, politiques et techniques et en retraçant comment il s'inscrit dans une évolution déterminée (chapitres 3, 4, 5 et 6). Ensuite, je présente son modèle de fonctionnement général, qui est plutôt simple quand on y pense mais terriblement efficace, en décrivant tour à tour la signature numérique, le minage et la détermination du protocole (chapitres 7, 8, 9, 10, 11). Enfin, je rentre dans les détails plus techniques en m'attardant sur les rouages de Bitcoin et en abordant des thèmes tels que la confidentialité, la programmabilité et la scalabilité (chapitres 12, 13, 14).

Table des matières élégance de Bitcoin
Table des matières (cliquer pour agrandir)

Le contenu est donc très riche et saura contenter les plus curieux. Les sujets abordés dans le livre sont des sujets réels, profonds, et parfois complexes, qui sont rarement abordés dans les médias généralistes. On alterne entre les idéologies politiques, les solutions techniques, l'utilité du système, la censure des transactions, l'altération des règles de consensus ou les frais de transaction. Il ne s'agit pas de convaincre le lecteur d'« investir » dans le bitcoin, mais de lui faire prendre conscience des enjeux qui s'incarnent au sein même de Bitcoin et de la bataille de la monnaie numérique qui se joue aujourd'hui même.

Le titre de l'ouvrage – qui était à l'origine provisoire, mais qui s'est imposé comme définitif avec le temps – reflète l'élégance rare qui caractérise la conception de base de Bitcoin. Dans le propos, cette élégance est en filigrane : vous ne trouverez pas de grand discours philosophique sur la beauté ou de récit grandiloquent à propos d'une expérience mystique, mais vous pourrez ressentir cette élégance à travers la façon dont Bitcoin est agencé. Bitcoin tire sa force de cet aspect. Sa simplicité est à la base de sa robustesse : comme l'écrivait Satoshi Nakamoto dans le livre blanc, « le réseau est robuste du fait de sa simplicité non structurée ».

L'image de couverture (conçue par le talentueux ImTechnicolor) représente Bitcoin en tant qu'arbre dont les branches sont des pistes de circuit imprimé et dont les feuilles sont des pastilles. Elle combine ainsi la nature informatique du système, qu'on retrouve dans le réseau qui le supporte, et son aspect organique, lié aux êtres humains et à leurs interactions économiques et culturelles. De plus, cette illustration résumé particulièrement bien les différents thèmes abordés dans l'ouvrage : les racines techno-idéologiques de Bitcoin retraçant ce qui a pu mener à sa découverte ; son caractère essentiellement pluriel, qui se transcrit dans les différentes scissions et les versions alternatives du protocole ; sa chaîne de blocs, que Satoshi décrivait comme « une structure en forme d’arbre qui a pour racine le bloc de genèse, chaque bloc pouvant avoir plusieurs candidats à sa suite » ; et enfin les arbres de Merkle, qui interviennent dans les blocs pour agencer les transactions. J'en suis particulièrement satisfait.

Une perspective différente

Beaucoup de contenu sur Bitcoin se concentre sur les choses qui plaisent au grand public. Le nerf de la guerre numérique étant l'attention, il faut aborder les sujets de manière péremptoire et simpliste, qui parle au plus grand nombre sans trop le bousculer. Il convient ainsi bien souvent d'évoquer le pouvoir d'achat de nos monnaies qui s'érode et le prix du bitcoin qui monte en conséquence, dans une vision schématique du phénomène. En général, on ne cherche pas trop à revenir sur les racines cypherpunks de Bitcoin, ni à mettre en avant qu'il permet de contrevenir à la loi positive ou de s'adonner à certains vices. On évite également de parler de ses faiblesses et de ses limites, voulant convaincre autrui d'en acheter un peu.

Étant anticonformiste, je m'oppose à cette vision des choses, qui a ses mérites (je le concède) mais qui ne cadre pas avec ce que Bitcoin véhicule. Je pense qu'il est profitable de dire ce qui nous semble être la vérité de manière crue et directe, quitte à déplaire aux plus modérés. Cet ouvrage a été écrit dans cette optique et de multiples sujets polémiques sont abordés. En voici quelques-uns.

Bitcoin possède des racines idéologiques profondes. Bitcoin n'est pas un assemblage technique neutre, mais possède des valeurs qui sont inscrites dans le code du logiciel, qui peuvent être identifiées dans les écrits de son fondateur et qui se retrouvent au sein de sa communauté. La valeur principale est bien entendu la liberté, le but de Bitcoin étant, comme l'écrivait Satoshi, de « conquérir un nouveau territoire de liberté pour plusieurs années ». Parmi les mouvements qui ont influencé la découverte de Bitcoin, on peut citer le libertarianisme américain moderne initié par Murray Rothbard dans les années 60, l'agorisme de Samuel Konkin III, le mouvement libriste débuté par Richard Stallman dans les années 80, l'extropianisme transhumaniste de Max More, et le mouvement cypherpunk des années 90 représenté par Tim May. Les expériences de monnaies numériques forment aussi une indication de la longue quête qui a mené à la cryptomonnaie. Je ne suis évidemment pas le premier à parler de cette « préhistoire » de Bitcoin : des livres ont été écrits à ce sujet – dont notamment Digital Cash de Finn Brunton et The Genesis Book d'Aaron van Wirdum, sorti très récemment – et des épisodes de podcast y ont été consacrés – et en particulier les premiers épisodes de celui d'Urbantech.

L'argent liquide physique va disparaître. Tout comme la monnaie a transitionné de la monnaie métallique au papier-monnaie, celle-ci subit une transformation similaire en devenant peu à peu une monnaie entièrement numérique. Cette évolution est aujourd'hui en cours en Occident et devrait se finaliser dans les décennies à venir, sauf dans le cas d'une prise de conscience massive. Nous nous retrouverons dans un monde utilisant principalement de la monnaie numérique de banque centrale et ses dérivés privés, dans lequel le rôle de l'argent liquide papier aura été rendu obsolète et négligeable. La surveillance et la censure financières pourront se déployer comme jamais auparavant. Dans ce monde aux aspects dystopiques, Bitcoin formera une alternative cruciale pour la liberté.

Bitcoin est une monnaie de désobéissance. Bitcoin n'a d'utilité propre par rapport au dollar et à l'euro que dans la mesure où il existe en dehors des lois et de l'intervention des banques. Par sa résistance à la censure (aspect largement mis en valeur dans le livre), cet outil est fait pour désobéir aux autorités en charge, chose qui peut être jugée légitime ou non. Il garantit la liberté de transaction pour des activités sensibles comme la liberté d'expression, l'opposition politique dans les pays, l'envoi de fonds à l'étranger, et plus généralement l'économie parallèle.

L'adoption de masse n'aura pas lieu. L'adoption de masse du bitcoin est désirable dans la mesure où elle permettrait à tous de disposer d'une monnaie libre, et empêcherait les diverses manipulations monétaires réalisées par les États et par les banques. C'est pour cela qu'elle est souvent présentée comme un objectif à atteindre, comme si les monnaies fiat pouvaient disparaître dans une hyperbitcoinisation fulgurante. Cependant, il est illusoire de croire qu'une telle adoption pourrait survenir du jour au lendemain, et tous ceux qui ont travaillé sur le terrain peuvent en témoigner. L'utilisation de Bitcoin suppose des contraintes variées (comme la volatilité du pouvoir d'achat, les frais de transaction, le manque de scalabilité et la réglementation dissuasive), ce qui crée une barrière à l'entrée que tout le monde n'est pas prêt à franchir. La sobriété du discours pourrait ainsi être bénéfique.

Le passage à l'échelle se fera (aussi) par le recours aux mises en œuvre alternatives de Bitcoin. Comme tout le monde le sait, Bitcoin ne passe pas à l'échelle en tant que système unique : le nombre de transactions pouvant être incluses dans un bloc est restreint par une limite de poids de blocs, et les solutions de seconde couche censées améliorer cette capacité de traitement, comme le Lightning Network, sont par essence imparfaites, puisque reposant sur le règlement des litiges sur la chaîne. Toutefois, il existe une troisième voie pour accroître le nombre de transferts : c'est l'utilisation de monnaies de substitution, c'est-à-dire de cryptomonnaies alternatives libres et décentralisées possédant des caractéristiques proches de BTC (propriété entière, résistance à la censure, résistance à l'inflation) mais n'offrant pas la même sécurité. Cet effet peut déjà être observé lors de la hausse de frais sur le réseau lorsque les utilisateurs ont recours à d'autres cryptomonnaies (2023 en a été un bel exemple avec Ordinals). En parallèle, certaines boutiques en ligne focalisées sur Bitcoin ont compris le phénomène à l'instar de Bitrefill, qui accepte le litecoin (LTC) et d'autres cryptomonnaies, et de ShopInBit, qui accepte le monero (XMR). De manière générale, cette solution pourrait s'imposer à long terme de la même manière que l'argent a pu être le complément de l'or pendant des siècles avant d'être démonétisé en 1873, à condition bien sûr que la demande pour Bitcoin ne soit pas trop faible et qu'une solution de scalabilité révolutionnaire ne soit pas découverte entretemps.

Où se procurer l'ouvrage

Vous retrouverez ainsi, dans cet ouvrage qui présente une vision profonde et cohérente de Bitcoin, du contenu qui n'a pas forcément été abordé dans la langue de Molière. Ce sera, je l'espère, une lecture qui saura se démarquer des autres.

Vous pouvez vous procurer l'ouvrage sur la boutique de Konsensus Network, où il est possible de payer en BTC et en euros. Il est aussi disponible à la vente sur Amazon à un prix plus élevé et dans un format légèrement différent : l'objet est plus grand et plus lourd, et le papier un peu plus blanc. Les évaluations positives sont bien évidemment les bienvenues si vous avez effectué un achat sur la plateforme récemment ; cela aidera à améliorer la visibilité du livre. Le livre peut également être retrouvé sur le site de la FNAC. Un format numérique (epub) devrait être proposé prochainement, sur toutes les plateformes.

Enfin, précisons que vingt-et-un jetons non fongibles (NFT) liés au livre ont été forgés via le protocole Ordinals, dont la liste des identifiants a été incluse dans le livre. Ils sont en voie d'être distribués aux contributeurs et aux relecteurs.

La correspondance entre Martti Malmi et Satoshi Nakamoto

March 16th 2024 at 10:00

Le 23 février 2024, alors que se tenait le procès qui opposait Craig Steven Wright à la COPA (Crypto Open Patent Alliance), un évènement concomitant a marqué tous les passionnés de l'histoire de Bitcoin. Martti Malmi, ancien développeur du logiciel principal et bras droit de Satoshi Nakamoto entre 2009 et 2010, a publié la correspondance privée par courrier électronique qu'il entretenait avec le créateur de Bitcoin. Dans ces courriels, on retrouvait une multitude de détails intéressants qui permettaient d'éclaircir ce qui s'était passé à cette époque-là et de confirmer quelques aspects de la personnalité de Satoshi.

Martti Malmi a publié cette correspondance sur son site personnel. Il s'agit d'une archive incomplète, constituée de 260 courriels, couvrant la période entre mai 2009 et février 2011. On sait en effet que ses échanges avec Satoshi ont eu lieu jusqu'en mai 2011, mais qu'il avait changé d'adresse entretemps. Comme raison expliquant cette publication tardive, il a indiqué :

« Je ne me sentais pas à l'aise de partager des échanges de correspondance privée par le passé, mais j'ai décidé de le faire pour un procès important au Royaume-Uni en 2024, dans lequel j'étais témoin. De plus, il s'est écoulé beaucoup de temps depuis que ces courriels ont été envoyés. »

Ces courriels ne sont pas entièrement nouveaux dans le sens où le journaliste Nathaniel Popper avait déjà eu l'occasion de les consulter en 2015 lors de l'écriture de son livre Digital Gold, qui retraçait les débuts de l'histoire de Bitcoin. Il avait en effet pu interroger Martti Malmi, qui lui avait fourni ces courriels, et des extraits de ces échanges étaient abondamment cités dans le livre.

La prise de contact

Martti Malmi est un personnage important dans l'histoire de Bitcoin. Finlandais, il a été actif dans Bitcoin entre 2009 et 2011, avant de prendre un emploi à plein temps et de s'éloigner progressivement de Bitcoin. Il utilisait le pseudonyme sirius-m sur SourceForge, un pseudonyme qu'il a conservé lors de de son implication dans Bitcoin.

En 2009, Martti Malmi est un jeune étudiant en informatique à l'Université technologique d'Helsinki située à Espoo à l'Ouest de la capitale. Il découvre Bitcoin en avril grâce à son intérêt passager pour le crypto-anarchisme de Tim May. Le 9, il teste le système et mine ses premiers bitcoins avec son ordinateur portable (bloc 10 351). Dans la soirée il rédige un court texte de présentation de Bitcoin, qu'il publie sur le forum anti-state.com et celui de Freedomain Radio. Ces deux forums ont pour point commun de promouvoir largement la liberté de l'individu face à l'État, mais ils diffèrent dans leur sensibilité : le premier est de tendance libertarienne de gauche, prônant un anarchisme de marché anti-capitaliste, tandis que le second appartient à la droite anarcho-capitaliste rothbardienne, étant rattaché à la personne de Stefan Molyneux.

Dans son texte au ton résolument agoriste, intitulé P2P Currency could make the government extinct?, Martti Malmi écrit :

« Comme le Liberty Dollar et certaines monnaies locales nous l'ont montré, nous ne pouvons pas nous fier à une monnaie émise de manière centralisée qui peut être facilement arrêtée par l'État. À la place, nous pourrions avoir un système monétaire alternatif basé sur un réseau p2p décentralisé. En faisant quelques recherches sur Google, j'ai découvert qu'un système de ce type a récemment été proposé, et il s'appelle Bitcoin.

[...]

Le système est anonyme, et aucun État ne pourrait possiblement taxer ou empêcher les transactions. Il n'y a pas de banque centrale qui puisse déprécier la devise avec la création illimitée de nouvelle monnaie. L'adoption généralisée d'un tel système ressemblerait à quelque chose qui pourrait avoir un effet dévastateur sur la capacité de l'État à se nourrir à partir de son bétail. Qu'en pensez-vous ? Je suis très enthousiaste à l'idée d'un système pratique qui pourrait vraiment nous rapprocher de la liberté au cours de notre vie. »

Après avoir publié ce texte, Martti Malmi envoie un courriel à Satoshi Nakamoto dans lequel il déclare être « Trickstern du forum anti-state.com » (son autre pseudonyme) et qu'il « aimerait aider avec Bitcoin ». On ignore à quelle date il a expédié ce message, mais probablement peu de temps après la publication du texte. Satoshi lui répond le 2 mai 2009 (#1). Il va droit au but en écrivant directement : « Merci d'avoir lancé ce sujet sur ASC, ta compréhension de bitcoin est en plein dans le mille. »

Le créateur de Bitcoin poursuit en commentant, à propos des réponses sur le forum provenant probablement de gold bugs : « Certaines de leurs réponses étaient plutôt réactionnaires, mais je suppose qu'ils sont tellement habitués à s'opposer à la monnaie fiat qu'ils estiment que tout ce qui n'est pas l'or n'est pas assez bon. Ils admettent qu'une chose est inflammable, mais affirment qu'elle ne brûlera jamais parce qu'il n'y aura jamais d'étincelle. » Ici, il fait référence (peut-être malgré lui) au théorème de régression de Mises, qui postule qu'un bien doit nécessairement posséder une valeur d'usage non monétaire avant de pouvoir devenir une monnaie et que les amateurs d'or aiment invoquer pour défendre leur point de vue. Dans son analogie, l'utilisation non monétaire est cette « étincelle » et la combustion correspond au phénomène monétaire qui, une fois lancé, peut continuer de lui-même à condition de disposer de suffisamment de combustible.

Présenter Bitcoin

Satoshi se présente comme meilleur programmeur qu'écrivain, une évaluation pour le moins contestable quand on compare la qualité de ses interventions avec celle de son code, qui est médiocre. Dans le premier courriel (#1), il déclare : « Mon style d'écriture n'est pas très bon, je suis un bien meilleur codeur. » Cet élément fait écho à une réponse faite à Hal Finney quelques mois plus tôt où il disait qu'il était « meilleur pour la programmation que pour l'écriture ». Il dira aussi en 2010 qu'« écrire une description de ce truc pour le grand public est sacrément difficile ».

Ainsi, même si Martti prend part au développement durant l'année 2009 (il sera crédité dans les remerciements de la version 0.2), Satoshi le met plutôt à contribution pour remplir la page web sur SourceForge (bitcoin.sourceforge.net), la plateforme où est hébergé le code du logiciel, notamment en écrivant une foire aux questions (FAQ). Pour ce faire, Satoshi lui fournit (#3) une compilation des explications qu'il a pu fournir çà et là, en privé et en public. On y retrouve des réponses données à Hal Finney, Ray Dillinger, Dustin Trammell, Jonathan Thornburg, John Gilmore, Martien van Steenbergen, Michel Bauwens et Mike Hearn. (Notons que certaines d'entre elles n'avaient pas encore été publiées à ce jour.)

Aidé par ces courriels riches en informations, Martti rédige alors la FAQ (#4), qui est approuvée par Satoshi (#5). Elle contient des éléments de langage constitutifs de ce qui fera Bitcoin par la suite. Bitcoin y est présenté comme une « monnaie numérique anonyme basée sur un réseau pair à pair » qui « utilise la cryptographie à clés publique et privée », qui « est valorisée pour les choses contre lesquelles elle peut être échangée, tout comme le sont toutes les monnaies papier traditionnelles » et dont les nouvelles unités « sont générées par un nœud du réseau chaque fois qu'il trouve la solution à un certain problème calculatoire ». Martti évoque également quelques-uns des avantages apportés par Bitcoin : le transfert de fonds sur Internet, l'absence de contrôle des transactions par un tiers de confiance, la protection vis-à-vis des politiques monétaires inflationnistes des banques centrales et le potentiel de hausse de la valeur découlant de l'accroissement de la taille de l'économie.

La page est mise en place le 6 mai (#9). Martti y installe également un forum et un wiki le 9 juin (#17). La page, le wiki et le forum seront annoncés par Martti Malmi lui-même sur la liste de diffusion de Bitcoin le 13 juin.

Le 11 juin, Satoshi contacte à nouveau Martti Malmi et lui propose le mot « cryptomonnaie » (cryptocurrency en anglais) pour décrire Bitcoin (#19). Il écrit : « Quelqu'un a proposé le mot "cryptomonnaie"… c'est peut-être un mot que nous devrions utiliser pour décrire Bitcoin, ça te plaît ? » Le Finlandais approuve et avance que « The P2P Cryptocurrency » pourrait être le slogan de Bitcoin. Cette suggestion sera mise en œuvre : le titre de la page web deviendra « Bitcoin P2P Cryptocurrency » et l'annonce de la version 0.3 en juillet 2010 décrira le projet comme « Bitcoin, the P2P cryptocurrency » (#198).

Toutefois, tout ne convient pas à Satoshi. Par exemple, dans le même courriel du 11 juin, il dit à Martti qu'il n'est « pas à l'aise » avec le fait de déclarer que Bitcoin est un « investissement » (#19). Plus tard, en juillet 2010, il reviendra également sur la mise en avant de l'anonymat, pour deux raisons : le danger pour l'utilisateur et la perception du grand public. Quelques heures après sa déclaration sur le forum ne pas vouloir « mettre l’aspect "anonyme" au premier plan », il écrira ainsi à Martti (#197) :

« Je pense que nous devrions mettre moins l'accent sur l'aspect anonyme. Avec la popularité des adresses bitcoin au lieu de l'envoi par IP, nous ne pouvons pas donner l'impression que tout est automatiquement anonyme. Il est possible d'être pseudonyme, mais il faut être prudent. [...] De plus, "anonyme" sonne un peu suspect. Je pense que les gens qui veulent de l'anonymat le découvriront sans que nous en fassions la promotion. »

L'obsession de l'amorçage

Les courriels publiés par Martti Malmi révèlent aussi l'obsession de Satoshi Nakamoto à propos de l'amorçage de Bitcoin. Le 21 juillet 2009, il écrit à celui qui est devenu son bras droit (#24) : « Cela aiderait si les gens pouvaient l'utiliser pour quelque chose. Nous avons besoin d'une application pour l'amorcer. Des idées ? » Un mois plus tard, le 24 août, il lui partage ses idées et il écrit (#28) : « Ce serait plus efficace s'il existait également une niche de produits pour laquelle il pourrait être utilisé. Certaines monnaies virtuelles, comme le Q coin de Tencent, ont percé dans le domaine des biens virtuels. » Le 28, Martti répond (#30) : « Bitcoin pourrait être promu auprès des utilisateurs de communautés virtuelles comme World of Warcraft et Second Life, qui comptent toutes deux des millions d'utilisateurs. » Tout ceci rappelle la réponse de Satoshi à Dustin Trammell du 15 janvier 2009 où il expliquait que Bitcoin pourrait servir de « points de récompense », de « jetons de don », de « monnaie pour un jeu », aux « micropaiements pour des sites pour adultes » ou encore au paiement pour un site web ou pour envoyer un courriel.

Il y a néanmoins un problème qui hante cet amorçage : celui de la première valorisation. Bitcoin est en effet le projet d'une nouvelle monnaie qui a besoin d'une « étincelle ». Pour cela, la méthode historique la plus simple est l'adossement à une autre monnaie déjà adoptée : c'est de cette manière que les États ont pu faire accepter le papier-monnaie à leurs populations. C'est pourquoi Satoshi l'envisage et déclare à plusieurs reprises dans ses échanges avec Martti que Bitcoin sera « garanti par du liquide » (#1) ou « par de la monnaie fiat » (#3). Si cela peut paraître énigmatique de prime abord, il précise sa pensée quelques mois plus tard (#28) : « Offrir de la monnaie pour garantir les bitcoins attirerait les chasseurs de gratuité, ce qui aurait l'avantage de générer beaucoup de publicité. »

Pour mettre en place ces idées, Satoshi est en contact avec plusieurs donateurs éventuels. Dans le courriel du 21 juillet (#24), il écrit ainsi à Martti : « Il y a des donateurs que je peux solliciter si nous trouvons quelque chose qui nécessite un financement, mais ils souhaitent rester anonymes. » L'un d'entre eux sera sollicité plus tard pour payer les diverses dépenses de Martti : le Finlandais recevra 3 600 $ par la poste tout juste un an plus tard ! (#210)

Les idées de Satoshi pour l'amorçage inspirent Malmi, qui tente de mettre en application la garantie du bitcoin par le biais d'une plateforme de change. Le 22 juillet 2009, il décrit son concept à Satoshi (#25) :

« J'ai pensé à un service de change qui vendrait et achèterait des bitcoins contre des euros et d'autres devises. La possibilité d'échanger directement des bitcoins contre une monnaie existante donnerait au bitcoin la meilleure liquidité initiale possible et donc une meilleure facilité d'adoption pour les nouveaux utilisateurs. Tout le monde accepte d'être payé avec des pièces facilement échangeables contre de la monnaie commune, mais tout le monde n'accepte pas d'être payé avec des pièces qui ne sont garanties que pour l'achat d'un type spécifique de produit.

À titre pédagogique, la formule permettant de fixer un prix stable en euros serait quelque chose comme : (Le montant d'euros qu'on est prêt à échanger contre des bc + la valeur en euros des biens que d'autres personnes vendent contre des bc) / (Le nombre total de bc en circulation - les actifs propres en bc). »

La plateforme de Martti consiste à jauger l'offre et la demande d'une manière différente que la bourse traditionnelle, en prenant en compte les euros et les bitcoins déposés par les usagers. Il finit par mettre en œuvre son idée en mars 2010 au travers du site Bitcoinexchange.com (#133) et réalise quelques ventes au fil des mois (#191, #214), mais le système n'est pas avantageux pour les utilisateurs. La plateforme fermera en 2011.

La garantie de la valeur du bitcoin provient en réalité de l'action d'un autre utilisateur, bien connu par ceux qui s'intéressent à l'histoire de Bitcoin : NewLibertyStandard (NLS). Celui-ci s'inscrit sur le forum hébergé sur SourceForge durant l'automne 2009. Le 8 octobre, il annonce qu'il échange des bitcoins contre des dollars sur son site web, newlibertystandard.wetpaint.com, à un taux de change basé sur son propre coût de production. Martti en informe Satoshi (#34), qui lui répond une semaine plus tard (#35) :

« Il est encourageant de voir que davantage de personnes s'intéressent au projet, comme ce site NewLibertyStandard. J'aime son approche de l'estimation de la valeur basée sur l'électricité. Il est instructif de voir quelles explications les gens adoptent. Elles peuvent aider à découvrir une manière simplifiée de comprendre [Bitcoin] qui puisse le rendre plus accessible aux masses. De nombreux concepts complexes dans le monde ont une explication simpliste qui satisfait 80 % des gens, et une explication complète qui satisfait les 20 % restants, ceux qui voient les défauts de l'explication simpliste. »

De son côté, Martti contacte NLS (#34) et effectue un échange avec lui le 12 octobre : 5 050 bitcoins contre 5,02 $ sur PayPal. Cela donne au bitcoin un prix d'échange pour la première fois de son histoire : 0,001 $ environ ! Par la suite, NLS continue à contribuer au projet, par l'intermédiaire de son service de change et par ses tests réalisés pour le portage du logiciel sur Linux (#66). Quant à Satoshi, son obsession à propos de l'amorçage ne le quittera que lorsque le projet prendra réellement de l'ampleur, après le slashdotting de juillet 2010.

La méfiance de Satoshi

Ce qui ressort enfin de ces courriels est la méfiance de Satoshi Nakamoto vis-à-vis du pouvoir. Celui-ci en effet met tout en place pour éviter d'avoir affaire aux autorités, ayant l'intuition qu'il est en train de construire un système monétaire révolutionnaire et que cela ne plaira pas aux élites installées.

Le créateur de Bitcoin démontre une connaissance pointue des systèmes de paiements et de monnaies centralisées alternatives comme les devises en or numériques telles que Pecunix et e-Bullion, le système Liberty Reserve, ou encore le service russe WebMoney. Lorsque Martti lui parle de l'avancement du prototype de sa plateforme d'échange en février 2010, il lui conseille ainsi d'accepter les virements entrants de Liberty Reserve, qui permet de faire des échanges « sans poser de question et en toute confidentialité » (#141). Il évoque aussi l'existence des cartes-cadeaux (« paysafecards ») qui peuvent rendre service pour réaliser certaines opérations financières. Le même jour, il suggère à Martti de ne pas « se précipiter » et de ne pas « se faire rejeter par toutes les solutions de paiement » (#142), ce qui indique qu'il connaît très bien la censure bancaire qui règne dans le milieu. Il a également conscience du problème de la rétrofacturation comme l'atteste un courriel adressé à Martti quelques jours plus tard (#151) :

« Toutes les méthodes de paiement conventionnelles ont recours à la réfutabilité pour pallier l'absence de mots de passe et de crypto. Le système est largement ouvert à la copie des numéros de carte de crédit et des numéros de compte en clair, et ils y remédient en inversant la transaction après coup. »

Satoshi sait donc très bien où il met les pieds et est conscient que ce qu'il fait remet en cause l'autorité financière sur le transfert monétaire sur Internet. Il a probablement entendu parler de la fermeture du système de devise en or numérique e-gold a fermé en 2007 et de l'arrestation de ses fondateurs, qui ont été condamnés pour facilitation de blanchiment d'argent et activité de transfert d'argent sans licence. Il a connaissance de la censure financière grandissante perpétrée par les banques pour se conformer aux réglementations étatiques.

Il donne quelques indices dans sa façon de dire les choses. Par exemple, lorsqu'il s'oppose au fait de déclarer explicitement de considérer Bitcoin « comme un investissement » en juin 2009, il écrit à Martti que « c'est quelque chose de dangereux à dire » et qu'il devrait « supprimer ce point » (#19), craignant probablement les lois qui réglementent le conseil en investissement. Plus tard, en février 2010, lorsque Martti lui évoque la volonté de traduire le site web en finnois, Satoshi répond la chose suivante (#158) :

« Il serait peut-être préférable de ne pas le traduire dans ta propre langue. Souvent, la réponse habituelle en matière de légalité est que le contenu n'est destiné qu'aux ressortissants d'autres pays. Le fait de le traduire dans ta langue maternelle affaiblit cet argument. »

Ainsi, la préoccupation de Satoshi vis-à-vis du pouvoir politique atteint un niveau quasi paranoïaque, ce qui montre qu'il a conscience du caractère profondément transgressif de sa découverte. C'est probablement pourquoi il déclarera dans l'un de ses derniers messages publics en décembre 2010 que « WikiLeaks a donné un coup de pied dans la fourmilière » et que « la colonie se dirige maintenant vers nous », avant de disparaître à jamais.

Le succès de Bitcoin et la disparition

À partir de la fin de l'année 2009, les choses commencent à s'arranger pour Bitcoin. Le mois de novembre est consacré à la migration de la page SourceForge vers Bitcoin.org (#102) : la description de Martti Malmi se retrouve donc sur le site officiel (#124). C'est aussi l'occasion de lancer un nouveau forum, celui hébergé sur SourceForge n'étant pas assez évolué. Satoshi écrit ainsi (#53) : « Maintenant que le forum sur bitcoin.sourceforge.net gagne en popularité, nous devrions vraiment chercher un endroit qui héberge gratuitement la gestion d'un forum complet. » Après des hésitations au sujet du moteur logiciel à utiliser, c'est Simple Machines Forum qui est choisi par Satoshi (#99). Le nouveau forum est mis en ligne le 26 novembre à l'adresse bitcoin.org/smf (#110).

Quelques mois plus tard, ce forum commence à attirer beaucoup de monde et devient le centre névralgique de la communication autour de Bitcoin. Le 7 février 2010, Satoshi s'étonne ainsi de son succès (#153) : « Le forum est en train de décoller. Je ne m'attendais pas à ce qu'il y ait autant d'activité aussi rapidement. » En mai, Martti devra ajouter plusieurs sections pour organiser les nombreuses discussions (#191).

Certaines personnes contactent également Satoshi en privé. C'est notamment le cas de Jon Matonis, un économiste qui tient le blog The Monetary Future où il traite de sujets liés aux monnaies numériques, à la banque libre et à la cryptographie, et qui « souhaite écrire un article sur Bitcoin » (#189). Le 4 mars, Satoshi lui répond en le complimentant sur son blog en disant qu'il « aurait aimé qu'il y ait quelque chose comme ça » quand il avait fait ses premières recherches trois ans auparavant. Le 6, il envoie un courriel à Martti en lui demandant de l'aide, car il n'a « pas le temps de répondre à ses questions », chose que le Finlandais accepte le lendemain (#190). Néanmoins, il semble que Satoshi ne le met finalement pas en relation avec Jon Matonis, ce dernier publiant un très succinct article sur Bitcoin le 13 mars (UTC).

Le 11 juillet 2010, il se produit un évènement qui bouleverse l'histoire de Bitcoin : suite à la sortie de la version 0.3 du logiciel, une courte présentation de Bitcoin rédigée par un utilisateur est publiée sur Slashdot, un site d'actualité très populaire auprès des passionnés d'informatiques et d'autres sujets. Cet évènement provoque un afflux massif de visiteurs sur le site et sur le forum de Bitcoin, une augmentation du nombre d'utilisateurs et de mineurs sur le réseau. En particulier, le prix du BTC connaît la première hausse majeure de son histoire, en passant de 0,008 $ à 0,08 $ en une semaine.

Mais cela veut dire aussi que le travail de Satoshi et des développeurs s'accroît considérablement. Le 18 juillet (#210), le créateur de Bitcoin écrit ainsi à Martti, en réponse à sa suggestion de changer de service d'hébergement pour le site et le forum :

« S'il te plaît, promets-moi de ne pas faire de basculement maintenant. La dernière chose dont nous avons besoin, c'est de problèmes de basculement qui s'ajoutent à l'afflux de travail que nous recevons actuellement de slashdot. Je perds la tête tellement il y a de choses à faire. »

Ce sentiment de surcharge se confirme dès l'été avec plusieurs problèmes techniques qui sont découverts, comme le 1 RETURN bug ou le dépassement de mémoire qui provoque le Value Overflow Incident.

Tout ceci montre cependant que le projet a pris. La communauté est désormais suffisamment grande et enthousiaste pour que Bitcoin ne faiblisse pas. Satoshi sent qu'il peut prendre du recul et donner plus de responsabilités à ses premiers auxiliaires, Martti Malmi et Gavin Andresen. Le rôle de Gavin est notamment prépondérant. Le 3 décembre, lorsque Martti lui demande à qui il pourrait donner un rôle d'administrateur serveur supplémentaire pour le site, Satoshi répond (#241) :

« Ce devrait être Gavin. J'ai confiance en lui, il est responsable, professionnel, et techniquement bien plus compétent que moi avec linux. »

C'est probablement en décembre 2010 que le créateur décide de disparaître, alors que des utilisateurs du forum suggèrent que WikiLeaks devrait accepter le bitcoin, l'ONG de Julian Assange étant soumise à un blocus financier des acteurs traditionnels et ne pouvant donc pas recevoir de dons. Le 5 décembre, Satoshi s'y oppose publiquement en déclarant que « le projet a besoin de grandir progressivement pour que le logiciel puisse se renforcer en cours de route » et que « Bitcoin est une petite communauté expérimentale encore naissante ». Le 7 décembre, il envoie un courriel à Martti lui demandant s'il peut l'« ajouter à la liste de développeurs du projet sur la page de contact ». Son intention est de retirer ses propres informations de contact. Cela corrobore les propos que Gavin Andresen tiendra quelques années plus tard, Satoshi ayant procédé exactement de la même façon avec lui : « [Satoshi] a fini par me rouler dans la farine en me demandant s'il pouvait mettre mon adresse de courrier électronique sur la page d'accueil de bitcoin, et j'ai dit oui, sans me rendre compte que, lorsqu'il mettrait mon adresse, il enlèverait la sienne. »

Le 12 décembre, Satoshi poste son dernier message public sur le forum, mais continue d'interagir en privé avec les personnes en lesquelles il a confiance. Il cherche à se faire le plus discret possible et ne souhaite pas s'exposer en se chargeant de la communication du projet. Ainsi, le 6 janvier 2011, lorsque Gavin lui dit qu'il ferait mieux de parler à la presse à l'occasion d'un contact avec Rainey Reitman de l'Electronic Frontier Foundation, il répond que ce dernier est « la meilleure personne pour le faire » (#254). Ce n'est pas par manque d'intérêt, car il poursuit en ajoutant :

« L'EFF est très importante. Nous voulons entretenir de bonnes relations avec elle. Nous sommes le type de projet qu'ils apprécient ; ils ont aidé le projet TOR et ont fait beaucoup pour protéger le partage de fichiers en P2P. »

Il disparaît définitivement en mai 2011, deux ans après la première prise de contact avec Martti Malmi. À celui-ci il écrit : « Je suis passé à autre chose et je ne serai probablement plus là à l'avenir. » Il a peut-être choisi de se consacrer à son activité professionnelle, mentionnée dans l'un des courriel pour expliquer son absence d'août 2009 (#24). On ne le saura probablement jamais.

Suite à la disparition du créateur de Bitcoin, le site et le forum seront confiés à Cobra (un autre Finlandais) et Theymos. Le forum sera ensuite déplacé à l'adresse forum.bitcoin.org en mai 2011 puis vers bitcointalk.org en août. Martti Malmi, lui, vendra ses bitcoins durement minés pour s'acheter un appartement à Helsinki. Et Bitcoin continuera de fonctionner, bloc après bloc.

Des nouveaux éléments dans l'énigme Nakamoto

La publication de la correspondance entre Martti Malmi et Satoshi Nakamoto constitue ainsi un évènement important, qui a marqué la communauté de Bitcoin. Ces courriels nous racontent la relation qui unissait le créateur de Bitcoin et le jeune Finlandais lorsqu'ils ont développé ce qui est aujourd'hui une cryptomonnaie utilisée par des millions de personnes, notamment en forgeant un discours qui a depuis été repris par beaucoup. Nous remercions ainsi Martti Malmi de les avoir mis en ligne, malgré sa réticence compréhensible à rendre public des échanges privés sans l'accord de l'autre personne.

Ces courriels sont fondamentaux dans la compréhension que l'on a de Satoshi. Même s'ils ne nous apprennent rien de réellement crucial, ils ont le mérite d'éclaircir certains points sur la façon dont se sont déroulées les choses, tant du point de vue de la communication que de la technique. Certains traits de personnalité du créateur de Bitcoin nous sont aussi confirmés comme son obsession de l'amorçage ou sa méfiance des autorités.

En outre, ses relations avec d'autres personnages clés de l'histoire de Bitcoin transparaissent un peu plus clairement. Le 21 juillet 2009, Satoshi a ainsi mentionné Hal Finney disant qu'il avait « ouvert la voie » des années auparavant avec « sa Reusable Proof of Work (RPOW) » (#24), ce qui nous confirme qu'il avait bien connaissance de ce système datant de 2004. Martti et Satoshi parlent aussi d'un certain David (#23), qui n'est nul autre que David Parrish ou dmp1ce et qui semble avoir un peu contribué au développement en 2009. On distingue aussi l'importance de NewLibertyStandard qui a tout simplement lancé Bitcoin économiquement en étant le premier commerçant et en garantissant une sorte de plancher de valeur. Enfin, Gavin Andresen apparaît clairement dans ces e-mails comme celui qui pris la place de Martti Malmi en tant que bras droit de Satoshi au cours de l'année 2010, le Finlandais ayant été assez occupé à partir de ce moment.

En complément de cet article, vous pouvez retrouver l'épisode d'Enigma Nakamoto consacré à ce sujet : Épisode 11 : les mails de Martti Malmi.

Vous pouvez également en apprendre plus sur Bitcoin dans mon livre, L'Élégance de Bitcoin, qui regorge de détails croustillants et dont les deux premiers chapitres sont dédiés à raconter son histoire. Disponible sur le site de l'éditeur en format broché et ebook, ainsi que sur Amazon.

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