Cryptoéconomie : Principes fondamentaux de Bitcoin est un ouvrage crucial pour comprendre Bitcoin. Il s'agit d'une collection d'essais qui abordent des thÚmes aussi divers que la sécurité, le minage, le commerce, la monnaie, la production, la valeur, le passage à l'échelle, et qui tordent le cou à un certain nombre d'idées irrationnelles qu'on peut se faire de Bitcoin. Le tout forme un ensemble cohérent amenant à une meilleure appréhension des aspects économiques de Bitcoin.
Ce livre a été écrit par Eric Voskuil, le développeur en chef de libbitcoin, une bibliothÚque logicielle alternative à Bitcoin Core. Eric possÚde à la fois une expertise pointue du fonctionnement de Bitcoin et une connaissance de l'école autrichienne d'économie. Cela lui a permis d'écrire des essais d'une précision redoutable, qu'il a ensuite regroupés au sein de Cryptoéconomie.
J'ai tellement apprécié la justesse et la qualité de cet ouvrage que j'ai décidé d'en réaliser la traduction en 2021. Celle-ci est désormais disponible en format papier et en format numérique.
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La cryptoéconomie et Bitcoin
La cryptoéconomie est un domaine d'étude interdisciplinaire, émergent et expérimental, qui s'appuie sur des idées issues de la cryptographie, de l'économie, de la théorie des jeux et des réseaux distribués. Ce domaine s'applique aux systÚmes sécurisés grùce aux incitations créées au travers de la circulation d'un jeton numérique.
Le terme « cryptoeconomics » a été créé par Vitalik Buterin en 2014 dans le contexte de la conception d'Ethereum, dans le but de fournir un cadre théorique pour l'étude des mécanismes de consensus par preuve d'enjeu. Il a esquissé les principes sous-jacents de cette discipline le 3 octobre 2014 lors d'un meet-up en parlant notamment de « protocoles cryptoéconomiques ». Le concept a été ensuite repris en janvier 2015 par Vlad Zamfir dans une présentation réalisée au cours de la conférence Cryptoeconomicon.
Eric Voskuil a repris le terme pour l'appliquer à Bitcoin. Bitcoin est en effet le premier systÚme cryptoéconomique viable : il contient des briques cryptographiques (signatures numériques, fonctions de hachage, arbres de Merkle) qui sont assemblées de maniÚre à former un systÚme dont la sécurité repose sur les incitations économiques des individus y participant. L'analyse cryptoéconomique permet par conséquent de décrire ce qui fait que Bitcoin parvient à exister en dépit de sa relation conflictuelle avec l'autorité.
Pour Eric Voskuil, Bitcoin se fonde sur trois grands principes, qu'il appelle les « principes cryptodynamiques » (p. 31) :
- Le partage des risques. Le systÚme doit reposer sur un ensemble de pairs sur un réseau ouvert, plutÎt que sur des autorités désignées qui formeraient des points de défaillance exposés aux attaques. La nature de la sécurité provient en effet des « gens qui s'exposent à des risques personnels » et le but de la décentralisation est de « [répartir] les risques entre les individus qui forment la sécurité du systÚme » (pp. 63-64).
- La dissipation de l'énergie. Le consensus sur les transactions doit reposer sur la preuve de travail, c'est-à -dire sur une consommation d'énergie extérieure au systÚme : « la sécurité des confirmations requiert une autorité pour sélectionner les transactions, [qui est périodiquement confiée] au mineur qui produit la plus grande preuve de travail » (p. 169).
- La régulation du pouvoir. Le systÚme doit intégrer un modÚle de frais de transaction pour garantir une résistance à la censure efficace. Cette résistance est en effet « une conséquence des frais de transaction », ceux-ci servant (en cas de censure active) à faire ne sorte que « la puissance de hachage [...] des non-censeurs outrepasse celle du censeur » (p. 24).
Ce sont ces trois principes servent à définir Bitcoin dans l'ouvrage. Les analyses présentes s'appliquent ainsi non seulement à Bitcoin-BTC, mais aussi à toutes les variantes de ce dernier comme Litecoin.
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Le modÚle de sécurité
Bitcoin est un concept de monnaie rĂ©sistante Ă l'inflation et rĂ©sistante Ă la censure. Sa proposition de valeur est en effet de « [retirer] Ă l'Ătat son contrĂŽle sur l'offre monĂ©taire et sur la censure des transactions ». La quantitĂ© d'unitĂ©s en circulation est dĂ©terminĂ©e par le protocole et chaque individu peut « transfĂ©rer de la monnaie Ă n'importe quelle personne, en tout lieu et Ă tout moment, sans avoir besoin de l'autorisation dâun tiers » (p. 69).
Bitcoin est ainsi une « monnaie du marchĂ© noir ». Par consĂ©quent, il doit ĂȘtre protĂ©gĂ© contre les attaques Ă©tatiques, d'oĂč dĂ©coule son modĂšle de sĂ©curitĂ©. « Son architecture de sĂ©curitĂ© suppose nĂ©cessairement qu'il fonctionne sans autorisation de l'Ătat. » (p. 46)
Dans le modÚle décrit par Eric Voskuil, la sécurité repose sur un marché des confirmations ayant lieu entre deux catégories d'acteurs : les mineurs, qui déploient leur puissance de calcul pour confirmer les transactions ; et les commerçants, qui acceptent l'unité de compte en échange de biens et services (autres devises comprises). Dans ce marché, les commerçants achÚtent des confirmations aux mineurs par le biais de frais qu'ils paient au moment de la réception (par le biais d'une remise) ou lors de l'envoi ultérieur des fonds : « les commerçants achÚtent des services miniers conformes à leurs rÚgles moyennant des frais satisfaisants » (p. 98). Les mineurs sont également récompensés temporairement par la distribution initiale des unités qui est réduite de moitié tous les 4 ans, mais cela n'entre pas en compte dans le modÚle final.
L'une des réflexions brillantes d'Eric Voskuil a été de remarquer que les deux groupes d'acteurs interviennent dans le modÚle de sécurité. Ils protÚgent chacun un aspect fondamental de Bitcoin :
- Les commerçants dĂ©terminent le protocole et peuvent de ce fait lutter contre l'inflation monĂ©taire en acceptant la version dĂ©flationniste de Bitcoin. Ils exercent directement ce pouvoir par l'intermĂ©diaire de leurs nĆuds connectĂ©s au rĂ©seau.
- Les mineurs sélectionnent les transactions et peuvent de ce fait lutter contre la censure des transactions en acceptant de confirmer tous les transferts valides et payant suffisamment de frais. Ils exercent directement ce pouvoir par l'intermédiaire de leurs mines.
Ces deux rÎles sont essentielles à la sécurité du systÚme. Il ne peut pas y avoir de résistance à l'inflation sans moyen d'échapper à la sélection arbitraire des transactions ; et, à l'inverse, il ne peut pas y avoir de résistance à la censure sans un protocole stable.
Dans les deux cas, la sĂ©curitĂ© peut ĂȘtre exprimĂ©e comme le produit de trois facteurs (pp. 59-62) :
- L'activité : le total des recettes reçues (commerçants) ou le total de la puissance de calcul déployée (mineurs) ;
- La distribution : l'inverse de la variation d'activité entre les acteurs individuels (commerçants ou mineurs) ;
- La participation : la fraction de l'humanité impliquée dans l'activité (commerce ou minage).
Par conséquent, la sécurité ne se résume pas simplement au taux de hachage.
Aujourd'hui, Ă cause des pressions centralisatrices naturelles, la sĂ©curitĂ© de Bitcoin est loin d'ĂȘtre optimale. La distribution est en effet rĂ©duite : les mineurs se rassemblent en coopĂ©ratives de minage Ă cause des « pressions de regroupement » comme la variance, la proximitĂ©, etc. (p. 125) et les commerçants ont tendance Ă utiliser des services tiers Ă cause des « pressions de centralisation » liĂ©es Ă l'acceptation de la monnaie (p. 26). Les plateformes d'Ă©change sont la quintessence de cette centralisation : la plupart des gens qui souhaitent acheter du bitcoin pour spĂ©culer sur sa valeur future le font en passant par une place de marchĂ© centralisĂ©e, non pas en Ă©changeant de pair Ă pair, ce qui fait que l'Ă©conomie (basĂ©e Ă 90 % sur la spĂ©culation) est aujourd'hui trĂšs vulnĂ©rable.
Bitcoin n'est donc actuellement « pas bien préparé aux attaques » (pp. 67-68). Cela met en lumiÚre un paradoxe, le « paradoxe du niveau de menace » : la sécurité de Bitcoin est peu élevée lorsque la menace est faible et augmente à mesure que la menace devient plus forte, chose à quoi nous devrons nous attendre dans les années à venir.
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Bitcoin et l'Ă©cole autrichienne d'Ă©conomie
Au-delà de sa compréhension de Bitcoin, Eric Voskuil nous partage son analyse de la monnaie, qu'il a hérité de l'école autrichienne d'économie, et en particulier de Ludwig von Mises et Murray Rothbard qu'il a lus minutieusement. Les thÚmes abordés dans le livre sont en effet des thÚmes chers à ce courant de pensée économique, comme la conception subjective de la valeur, la préférence temporelle ou la nature monétaire de l'inflation.
Mais Eric Voskuil ne s'arrĂȘte pas lĂ : il vient apporter un certain nombre de contributions Ă cette Ă©cole d'Ă©conomie rationnelle, notamment en ce qui concerne le bitcoin. Ce dernier constitue en effet un objet Ă©conomique novateur et vient perturber les conceptions que pouvaient se faire les autrichiens de la monnaie avant 2008.
D'une part, le bitcoin est essentiellement une monnaie fiduciaire : il est dĂ©pourvu de valeur d'usage, si on exclut l'utilisation (accessoire) de l'horodatage de documents. Il « n'a d'utilitĂ© en tant que monnaie que dans la mesure oĂč des personnes sont disposĂ©es Ă commercer avec », et se base par consĂ©quent sur l'accord entre les commerçants qui l'acceptent.
Pour la premiÚre fois de l'histoire, il s'agit d'une monnaie fiduciaire qui a réussi à se développer sans intervention étatique, chose considérée impossible auparavant par les autrichiens (pour qui la monnaie doit provenir d'une marchandise possédant une valeur d'usage) ainsi que par les partisans de la théorie monétaire moderne (pour qui la valeur d'une monnaie découle des impÎts dont elle permet de s'acquitter).
En particulier, le bitcoin constitue un contre-exemple flagrant au thĂ©orĂšme de rĂ©gression de Ludwig von Mises, selon lequel « nul bien ne peut ĂȘtre employĂ© comme instrument dâĂ©change si, au moment oĂč lâon a commencĂ© Ă sâen servir comme tel, il nâavait pas une valeur dâĂ©change en raison dâautres emplois » (L'action humaine, 1949) : il a acquis une valeur sans valeur d'usage initiale, par la valorisation subjective des acteurs qui ont contribuĂ© Ă son dĂ©veloppement Ă©conomique. Certains Ă©conomistes ont tentĂ© d'interprĂ©ter le thĂ©orĂšme pour faire en sorte que le bitcoin en satisfasse les prĂ©misses, mais comme le fait brillamment remarquer Eric Voskuil, cela « rend le thĂ©orĂšme tautologique » puisque « tout ce que les gens considĂšrent comme de la monnaie peut [alors] ĂȘtre une monnaie » (p. 266).
Ainsi, comme l'Ă©crit Eric Voskuil :
« Le bitcoin, en tant que monnaie fiduciaire (c'est-Ă -dire sans valeur d'usage) dĂ©pourvue du soutien de l'Ătat, a finalement mis en Ă©vidence les erreurs logiques du mĂ©tallisme, qui a tentĂ© de dĂ©montrer la nĂ©cessitĂ© de la valeur d'usage pour la monnaie, et du chartalisme, qui a tentĂ© de dĂ©montrer la nĂ©cessitĂ© du soutien de l'Ătat pour la monnaie fiduciaire. » (pp. 282-283)
D'autre part, le bitcoin diffĂšre aussi par sa stabilitĂ© monĂ©taire, c'est-Ă -dire « la relation d'amortissement entre la demande de monnaie et son offre ». Contrairement aux monnaies-marchandises comme l'or et aux monnaies de monopole comme le dollar, le bitcoin possĂšde une politique monĂ©taire prĂ©dĂ©terminĂ©e et a vocation a devenir une monnaie Ă offre fixe. On ne peut pas « en produire plus lorsque le prix est censĂ© ĂȘtre supĂ©rieur ou Ă©gal au coĂ»t de production (coĂ»t du capital inclus) » (p. 303). Ă terme, il n'y a par consĂ©quent pas d'offre supplĂ©mentaire pour compenser une hausse de son pouvoir d'achat.
Bitcoin constitue ainsi un systÚme de monnaie singulier, et on pourrait croire que « la thésaurisation de bitcoin garantit un profit perpétuel » (p. 293), ce qui rendrait le bitcoin intrinsÚquement instable. Néanmoins, cela est compensé par l'absence de scalabilité du systÚme. Puisque la capacité transactionnelle est nécessairement limitée (comme le montre le Principe de scalabilité, p. 312), le systÚme exige le paiement de frais d'utilisation qui excluent certaines plages de valeurs pour le transfert : les utilisateurs évitent en effet de payer des frais élevés pour des transferts de petites sommes et préfÚrent recourir à des monnaies de substitution plus ou moins similaires.
De ce fait, si la demande pour le bitcoin (et a fortiori son prix de change en dollars) s'accroĂźt, les frais augmentent, ce qui a pour effet de rĂ©duire cette demande. Ainsi, « la stabilitĂ© rĂ©sulte [...] de la limitation directe de la demande, au lieu de s'appuyer sur une augmentation de l'offre pour ce faire ». Quant Ă savoir oĂč cette stabilitĂ© se trouve, l'avenir nous le dira.
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Cryptoéconomie : Principes fondamentaux de Bitcoin
CryptoĂ©conomie : Principes fondamentaux de Bitcoin est donc un ouvrage essentiel pour comprendre Bitcoin. Eric Voskuil y dresse un systĂšme thĂ©orique et rationnel cohĂ©rent pour comprendre les principes de Bitcoin et rĂ©futer les idĂ©es fausses qui circulent Ă son sujet. Si vous ĂȘtes passionnĂ©s de Bitcoin, je vous recommande chaudement sa lecture Ă tĂȘte reposĂ©e !
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Merci à Pierre Schweitzer pour sa relecture des sujets économiques et à Jurraca pour sa participation sur le dépÎt.