Qui construit Ethereum ? Pour rĂ©pondre Ă cette question, cette sĂ©rie dâinterviews prĂ©sente les français qui y contribuent au sens large : dĂ©veloppeurs du protocole, dĂ©veloppeurs dâapplications, graphistes, investisseurs, utilisateurs, membres actifs de la communautĂ©âŠ
Aujourdâhui nous rencontrons Nicolas Bacca, cofondateur et directeur innovation chez Ledger.
Bonjour Nicolas, merci de prendre un peu de temps pour Ethereum-France aujourdâhui. Pour commencer, tu es un cofondateur et le directeur innovation chez Ledger, est-ce que tu pourrais te prĂ©senter en quelques phrases?  Â
Je viens du monde de la carte Ă puce. Jâai crĂ©Ă© plusieurs boĂźtes avant de monter Ledger. Mon obsession a toujours Ă©tĂ© la carte Ă puce. Câest un objet que tout le monde a dans la main, dans son portefeuille ou dans son tĂ©lĂ©phone et qui a une particularitĂ© assez amusante. Une carte Ă puce, câest dĂ©tenir des secrets, mais ce ne sont pas tes secrets. Câest-Ă -dire que lorsque tu as une carte Ă puce aujourdâhui, tu dĂ©tiens le secret de ta banque ou de ton opĂ©rateur, mais ce serait quand mĂȘme vachement bien que ce soit tes secrets que tu dĂ©tiens. On sait Ă©galement que câest trĂšs dur de casser une carte Ă puce. Personne nâa jamais vraiment rĂ©ussi. Du coup que pourrait-on imaginer comme produit en ayant une carte Ă puce dans laquelle on pourrait mettre son secret? Au dĂ©part jâai pensĂ© aux mots de passe. Les gens pourraient protĂ©ger leurs mots de passes. Je me suis rendu compte que ça ne marchait pas vraiment, jâai crĂ©Ă© une boite lĂ dedans avant et lâexpĂ©rience mâa montrĂ© que cela importait peu aux gens. En dĂ©couvrant la blockchain, jâai eu une forme de dâĂ©piphanie : quand on attache de lâargent Ă un secret, tout de suite, les gens sont beaucoup plus intĂ©ressĂ©s par sa protection parce quâon panique quand on perd mĂȘme 10 euros. On a une peur primaire de perdre de lâargent. Du coup, jâai enfin trouvĂ© un intĂ©rĂȘt pour mettre ses secrets dans une carte Ă puce: lâargent. Mon intĂ©rĂȘt pour la blockchain est arrivĂ© de lĂ .Â
Câest comme ça que Ledger est arrivĂ©. Depuis, Ledger a pas mal grossi et je tiens particuliĂšrement Ă remercier la blockchain Ethereum car suite au boom des ICOs en 2017, on a pu vendre Ă©normĂ©ment dâappareils. Aujourdâhui, on en est Ă peu prĂšs 200 employĂ©s. Au niveau de lâinnovation, mon rĂŽle est de fluidifier la roadmap, qui commence Ă ĂȘtre un petit peu complexe sur nos produits avec 200 personnes. Je me prĂ©sente comme un entrepreneur âin houseâ. Jâanalyse des projets que je trouve intĂ©ressants autour de moi et je regarde comment faciliter lâintĂ©gration de ces projets dans Ledger, et, en mĂȘme temps, jâessaie de voir oĂč Ledger pourrait aller dans quelques annĂ©es. Câest-Ă -dire Ă quoi ressemblera le prochain hardware wallet? Est-ce quâil sera intĂ©grĂ© dans un tĂ©lĂ©phone, dans une montre, dans un frigidaire ?
Est-ce que tu as une formation qui tâa permis dâintĂ©grer lâĂ©cosystĂšme de la blockchain plus facilement. Es-tu cryptographe ?Â
Je ne suis pas cryptographe, je suis un vile utilisateur de cryptographie. Je nâĂ©cris pas dâalgorithme. Par contre, jâai des gens, mes Ă©quipes, qui Ă©crivent des algorithmes. Moi, jâessaye de les utiliser le mieux possible. Jâessaye de faire de la cryptographie qui sera adaptĂ©e Ă des usages un peu particuliers, tels que « comment faire pour aller le plus vite possible sur un appareil qui va ĂȘtre le plus restreint possible? » « Comment faire pour ĂȘtre le plus sĂ©curisĂ© possible? » Jâai une formation dâingĂ©nieur avec une formation monĂ©tique. Je suis sorti de lâENSI de Caen, qui sâappelait lâISMRA Ă lâĂ©poque. Dans la monĂ©tique, on a eu la chance dâavoir un professeur qui Ă©tait un des crĂ©ateurs du Minitel. Jâai commencĂ© Ă tomber un peu dans les cartes Ă puce Ă ce moment lĂ . Je suis assez autodidacte â jâai bidouillĂ© pas mal depuis mon plus jeune Ăąge â je commence Ă ĂȘtre un peu vieux dans la communautĂ© (rires), et enfant jâai fait partie du « plan informatique pour tous ». On mettait des Ă©tudiants sur des ordinateurs fantastiques qui sâappelaient des MO5 quâon mettait en rĂ©seau. On pouvait dessiner des trucs sur des tĂ©lĂ©s, ça sâappelait des crayons optiques. On avait une tortue physique qui se baladait sur une table Ă qui on donnait des ordres en lui disant de tourner Ă gauche, tourner Ă droite⊠Ca peut paraĂźtre un peu curieux maintenant.Â
Tu as dĂ©couvert la blockchain par ton intĂ©rĂȘt pour les cartes Ă puces, quand Ă©tait-ce, et quelle en Ă©tait ta premiĂšre impression? Â
Je suis tombĂ© sur le Bitcoin en mi-2012 et, tout de suite, ça a cliquĂ©. Je me suis dit « ce truc coche toutes les cases », câest-Ă -dire quâil a rĂ©ussi, lĂ oĂč dâautres avaient tentĂ©, Ă faire des choses avec de la cryptographie grĂące Ă lâajout dâune dynamique de thĂ©orie des jeux; une dynamique Ă©conomique. Dans ma tĂȘte, un systĂšme qui tourne avec la cupiditĂ© -un des principaux moteurs pour faire avancer les choses- ça ne pouvait que fonctionner. Câest un truc oĂč des gens peuvent gagner de lâargent et en mĂȘme temps, ça permet de crĂ©er une monnaie complĂštement dĂ©centralisĂ©e, hors de toute contrainte et sur laquelle on a enfin la main. Le lien avec ce que jâessayais de faire sur des cartes Ă puce, pour moi, Ă©tait juste Ă©vident. Ă lâĂ©poque, jâavais une boite sur laquelle on faisait pas mal de choses en consulting. Jâai prĂ©venu mes acolytes que jâavais commencĂ© Ă mâintĂ©resser à ça. Ils commençaient Ă avoir lâhabitude parce que par le passĂ©, je mâĂ©tais dĂ©jĂ intĂ©ressĂ© Ă des trucs bizarres. De ma dĂ©couverte du Bitcoin à « on peut faire quelque chose avec la carte Ă puce et Bitcoin » ça a quand mĂȘme pris un an et demi. On a dĂ©veloppĂ© Ă sec, sans ĂȘtre soutenu par qui que ce soit, avant dâaller sur une des premiĂšres confĂ©rences Ă lâĂ©poque qui sâappelait la San JosĂ© Bitcoin Conference en 2013 qui Ă©tait un endroit absolument surrĂ©aliste. Aujourdâhui, les confĂ©rences crypto sont assez ennuyeuses comme pas mal des confĂ©rences dâindustrie. Sur Ethereum câest encore diffĂ©rent, mais quand on assiste Ă des confĂ©rences non dĂ©veloppeurs, câest un peu classique. LĂ , on avait de tout, des libertariens, on avait des gars qui chantaient, qui essayaient de fabriquer des objets et de les vendre en Bitcoin. CâĂ©tait un premier contact assez fun.Â
Du coup, tu fais tes dĂ©buts sur Bitcoin, quâest-ce qui tâa intĂ©ressĂ© chez Ethereum?
Je trouve que les deux systĂšmes sont totalement diffĂ©rents et en mĂȘme temps totalement complĂ©mentaires. On a une courbe dâapprentissage extrĂȘmement complexe sur Bitcoin, mais on a un systĂšme trĂšs stable, un systĂšme qui est vraiment fait pour tourner dâune certaine façon, il est le moins paramĂ©trable possible. Ăa permet de bien montrer les concepts Ă©conomiques et comment les concepts Ă©conomiques interagissent avec la technique en sachant que la technique reste fiable. On se concentre sur lâĂ©conomie, on regarde ce qui se passe derriĂšre et ça permet de faire des choses. Ethereum jâai envie de dire que câest un petit peu le principe inverse puisque la courbe dâapprentissage est minuscule. Beaucoup de gens peuvent essayer de faire des trucs. AprĂšs comme beaucoup de gens peuvent se lancer, cela a permis la crĂ©ation de choses bizarres mais câest un terrain dâexpĂ©rimentation absolument fantastique, aussi bien sur les parties techniques quâĂ©conomiques. Quand jâai commencĂ© Ă mâintĂ©resser Ă Ethereum jâavais investi un petit peu de Bitcoin dans la prĂ©vente que jâai instantanĂ©ment perdu aprĂšs la prĂ©vente, en essayant de les Ă©changer sur Kraken. Pour donner une idĂ©e de mon expertise de trader, lors de mon premier trade jâai confondu « buy » et « sell » et ça ne sâest pas trĂšs bien passĂ© (rires).
Jâai continuĂ© Ă mâintĂ©resser Ă Ethereum, pour justement voir dans ce bouillonnement crĂ©atif ce quâon pouvait faire. Pour en revenir Ă la cryptographie, elle avance super vite, on a des applications, des nouveaux algorithmes cryptographiques, notamment en ce qui concerne la protection de la vie privĂ©e. Toutes les choses que lâon fait aujourdâhui sur les « privacy chains », « privacy coins », sur Ethereum, on peut retrouver ça dans des grappes dâalgorithmes plus gros qui vont servir Ă protĂ©ger la vie privĂ©e. Câest sur les crypto-monnaies quâon voit ces algorithmes arriver en production. GrĂące à ça, ces algorithmes subissent le test le plus violent qui puisse exister, Ă savoir le test monĂ©taire. Jâai lâhabitude de dire, concernant la sĂ©curitĂ©, que les blockchains sont des « bug bounties » gĂ©ants (de la recherche de bugs pour laquelle on va ĂȘtre payĂ©). Quand on veut organiser ça pour une boite, on doit organiser des choses formelles. On engage des hackers et leur proposant une rĂ©munĂ©ration sâils trouvent quelque chose. Au final, on nâa jamais vraiment la garantie de trouver les bons hackers et eux nâont pas la garantie dâĂȘtre payĂ©. Alors que sur une blockchain, on a une « incentive » immĂ©diate pour casser des choses. Que ce soit casser la partie technique, Ă©conomique ou cryptographique. Ce qui est magnifique sur Ethereum, câest quâon combine tout en mĂȘme temps. On a des « bug bounties » fabuleux pour tester les nouvelles classes dâalgorithmes cryptographiques, notamment au niveau de la « privacy » et au niveau de la « scalability », puisque quand on voit ce qui se passe au niveau de la « scalability », on a recours Ă des techniques de cryptographie modernes.
Avec tout ce quâon arrive Ă dĂ©montrer aujourdâhui sur Ethereum on se retrouve avec des classes dâalgorithmes qui nâexistaient pas auparavant et quâon pourra appliquer sur plein dâautres choses. Par exemple, aujourdâhui, on voit tous les dĂ©bats qui se font autour des applications de traçage tels que stop COVID, etc. Si on avait des algorithmes qui Ă©taient rĂ©putĂ©s solides pour pouvoir collecter des gros morceaux de donnĂ©es et en faire des rapports les plus anonymes possibles, ça serait quand mĂȘme trĂšs utile. Quand on est face Ă des monstres qui peuvent potentiellement collecter des donnĂ©es utilisateurs dans tous les sens, si on arrive Ă , dĂšs le dĂ©part, Ă©crire des algorithmes qui garantissent que tout ce quâon collecte va passer dans une moulinette, et donner des donnĂ©es utilisables, mais quâon ne pourra jamais revenir Ă lâutilisateur, on a quelque chose de super utilisable et les crypto-monnaies vont nous permettre dâĂ©prouver ces algorithmes. Je considĂšre les crypto-monnaies aujourdâhui comme une espĂšce de laboratoire gĂ©ant de nouvelles techniques cryptographiques qui permettent de les faire Ă©voluer beaucoup plus vite que tout ce quâon a pu constater jusquâĂ prĂ©sent.Â
Les crypto monnaies sont donc un bac Ă sable pour faire avancer la cryptographie selon toi?Â
Je le vois complĂštement comme ça ! Les blockchains sont des bacs Ă sable, surtout Ethereum, pour faire avancer Ă©normĂ©ment de choses. Quand on voit tout ce qui se passe au niveau de la DeFi (finance dĂ©centralisĂ©e), on voit Ă©merger des considĂ©rations qui pourraient ĂȘtre Ă©conomiques et sociales. Beaucoup de gens parlent de revenu universel, et si on rĂ©flĂ©chissait une Ă©tape plus loin en se demandant ce que lâon pourra faire lorsquâon recevra ce revenu universel? Comment se faire des prĂȘts entre soi, comment garantir que quelquâun va nous rembourser, comment peut-on ĂȘtre plus flexible, comment modĂ©liser un contrat lĂ©gal, avec une exĂ©cution nĂ©cessitant le moins de ressources possibles pour garantir quâil soit bien exĂ©cutĂ©? On a des rĂ©ponses Ă tous ces problĂšmes qui passent par la cryptographie, et qui passent aussi par des gros efforts dâinterface utilisateur. Quand je vois les blockchains comme un bac Ă sable, ce nâest pas dans le sens dâun jouet mais comme une façon de faire progresser la sociĂ©tĂ© Ă une vitesse qui nâa jamais Ă©tĂ© possible jusquâĂ prĂ©sent.
Aujourdâhui, Ledger, pour le grand public est un hard wallet permettant de sĂ©curiser sa clef et dâavoir accĂšs Ă ses crypto-monnaies. Si la crypto-monnaie est le bac Ă sable qui va permettre la sortie dâautres applications au sein de la blockchain, en tant que directeur innovation, est-ce que tu rĂ©flĂ©chis au positionnement de Ledger pour ces futures applications? Est-ce que vous avez dĂ©jĂ des produits permettant de stocker dâautres types dâinformation?
ComplĂštement. Justement, câest vraiment pour ça que Ethereum mâintĂ©resse. Aujourdâhui, on essaye de rĂ©soudre deux problĂšmes chez Ledger. Le premier problĂšme, câest la sĂ©curitĂ©: la dĂ©tention de la clef privĂ©e, et le deuxiĂšme problĂšme, câest un problĂšme dâinterface utilisateur. Aujourdâhui, quand on interagit avec des blockchains, avec ce type de contrat, on nâest pas juste en train dâutiliser sa clĂ© privĂ©e pour signer quelque chose. Câest-Ă -dire que si on prend des logiques de composition quâon a en DeFi, par exemple, quand on place en ordre sur une plateforme de trading dĂ©centralisĂ©e, ce serait utile dâavoir un hardware wallet nous indiquant « attention, vous allez placer un ordre qui vous permet dâacheter tel token Ă tel prix », plutĂŽt que de dire « attention, vous allez signer avec votre clef privĂ©e ce message complĂštement illisible, en hexadĂ©cimales ». On clique car on se sent en sĂ©curitĂ© avec son « hardware wallet » mais on ne comprend pas vraiment ce quâon a fait. LĂ dessus on a beaucoup de travail pour simplifier lâexpĂ©rience utilisateur et ma vision dĂ©finitive, lĂ oĂč jâaimerais bien quâon arrive, câest quâon ait cette interface super sĂ©curisĂ©e qui permette en mĂȘme temps dâexpliquer dâune maniĂšre trĂšs claire Ă lâutilisateur ce quâon est en train de faire. Quâon ait un rĂ©flexe, quand on veut faire quelque chose en ligne, de prendre son ledger, de savoir que, quand on est sur un ordinateur qui peut ĂȘtre complĂštement infectĂ©, on aura toujours une information trĂšs claire affichĂ©e sur son Ledger de lâordre quâon est en train dâeffectuer et du coup Ledger devient un outil de protection de la vie digitale. Un outil de protection qui permet en mĂȘme temps de clarifier et de simplifier ce quâon est en train de faire. Expliquer ce quâon fait est aussi important que de protĂ©ger la clĂ©. Ethereum est un fantastique bac Ă sable pour tester ces problĂ©matique dâUX parce quâelles sont complexes.Â
Ce nâest pas un petit chantier de sâattaquer Ă lâUX dans la blockchain.Â
Non, en effet ce nâest pas dans ce petit chantier! On va commencer un pilote avec un moteur de trading dĂ©centralisĂ©: Deversifi, oĂč on va avoir la signature des ordres qui va ĂȘtre directement rĂ©alisĂ©e sur le hardware wallet. Câest un petit exemple oĂč on peut aller. AprĂšs, je pense quâĂ terme, on aura une forme de dissociation de la logique du smart contract et de son interface utilisateur quâon pourra tĂ©lĂ©charger et on saura que lorsquâon interagit avec tel « smart contract », on va avoir cette interface utilisateur qui va arriver. AprĂšs, on se rend compte que quand on commence Ă parler de composition, effectivement, ça donne des problĂšmes atroces. Quand on propose trois smart contracts entre eux, on a envie dâavoir une vision claire pour lâutilisateur de ce quâil se prĂ©sente. Donc lĂ , on doit encore pousser la rĂ©flexion un cran plus loin. En tout cas câest une problĂ©matique super intĂ©ressante Ă rĂ©soudre.
Jâai un petit exercice pour toi, par rapport Ă Ledger, que ce soit sur la problĂ©matique dâUX ou sur les wallets. Est ce que tu pourrais mâexpliquer comme si jâavais 12 ans ce que tu fais?Â
Je vais regarder les diffĂ©rentes choses qui vont se mettre en place dans lâĂ©cosystĂšme, je vais prendre mes « inputs » pour voir quels sont les services qui sont populaires et quels sont les services aujourdâhui sur lesquels on commence Ă constater une traction intĂ©ressante. Ensuite, je vais rĂ©flĂ©chir Ă comment, sur ces services lĂ , on doit modifier notre support pour quâon puisse dâabord sĂ©curiser ces services. Ensuite, comprendre un peu et dĂ©cortiquer ces services pour voir ce que ça implique, dâexpliquer simplement Ă lâutilisateur ce que ce service va rĂ©aliser. En gĂ©nĂ©ral, je rĂ©alise des « proof of concepts » pour analyser ce que ça implique, sur notre « stack » technique pour dâabord ĂȘtre capable de sĂ©curiser ce protocole et ensuite ĂȘtre capable dâexpliquer clairement Ă lâutilisateur ce que le protocole est en train de faire. Parce quâune fois quâon lâa clairement expliquĂ© Ă lâutilisateur, on peut faire plein de choses. Certes, juste afficher lâinteraction, câest la version la plus bĂȘte et mĂ©chante: afficher sur le hardware wallet ce quâon est en train de faire. Mais aprĂšs, si on rĂ©flĂ©chit Ă nos produits industriels comme le Vault, on est capable de poser des conditions dâexĂ©cution supplĂ©mentaires. Câest-Ă -dire que, par exemple, si on a conscience aujourdâhui du fonctionnement dâun protocole de trading, au lieu de signer des ordres dâune maniĂšre assez simpliste, on peut poser des limites en disant « sur cette plateforme de trading je vais mâautoriser Ă signer uniquement pour tel montant par jour ». La comprĂ©hension du fonctionnement du protocole permet non seulement de mieux expliquer Ă lâutilisateur, mais aussi poser des rĂšgles de sĂ©curitĂ© complĂ©mentaires. Câest pour ça que jâai tendance Ă dire que la sĂ©curitĂ© et lâinterface utilisateur vont de pair puisquâune bonne interface utilisateur va renforcer la sĂ©curitĂ©. LĂ dessus, mon rĂŽle, ça va ĂȘtre dâavancer sur ces deux aspects et dâexpliquer comment on peut glisser ça dans notre roadmap et de voir comment on va pouvoir arriver Ă fournir ça de maniĂšre industrielle le plus rapidement possible, dans toutes les diffĂ©rentes branches de Ledger. Jâarrive vraiment au dĂ©marrage des nouveaux produits.
Merci beaucoup! Je reviens sur quelque chose que tu disais quant Ă ta mĂ©saventure de trader sur Kraken, est-ce que tu peux mâexpliquer ton rapport Ă la spĂ©culation qui se fait autour des crypto- monnaies?
Je suis un trĂšs, trĂšs mauvais trader. Jâai arrĂȘtĂ© la spĂ©culation, mais je remercie trĂšs fortement les personnes qui spĂ©culent parce que câest grĂące Ă eux quâon arrive Ă avoir plus dâintĂ©rĂȘt sur les crypto-monnaies. Pour moi, on a Ă©normĂ©ment de gens qui sont entrĂ©s dans les crypto-monnaies par la spĂ©culation. Quelque part, ils font intĂ©gralement partie du systĂšme et ils aident Ă populariser le systĂšme. Si on regarde aujourdâhui comment Bitcoin fonctionne, Bitcoin ne peut pas fonctionner sans la partie monĂ©taire et je pense que câest vraiment une composante critique du systĂšme que lâon retrouve Ă tous les niveaux. Une blockchain tourne toujours avec un token. Si le token nâa pas de valeur, lâapplication ne va pas ĂȘtre sĂ©curisĂ©e et comprendre le mĂ©canisme de sĂ©curisation de son token passe par la rĂ©flexion des attaques possibles et ça, ça passe par la spĂ©culation. Si personne ne spĂ©cule sur son token, au final, on a un systĂšme sans offre ni demande et sur lequel on ne peut rien tester. Je remercie trĂšs fortement les spĂ©culateurs de faire vivre le systĂšme.Â
La spĂ©culation aide donc Ă populariser cette technologie encore trĂšs niche malgrĂ© 10 ans dâexistence. Chez ledger vous vous attaquez aux difficultĂ©s de lâexpĂ©rience utilisateur, frein connu de lâadoption massive, est-ce que tu en vois dâautres?Â
Pour moi, lâinterface utilisateur, câest trĂšs probablement le plus gros frein parce quâon voit aujourdâhui que, quand on commence Ă vouloir gĂ©rer lâargent, on perd tout le monde dĂšs le dĂ©part. Lâutilisateur est accueilli par ces 24 mots Ă devoir Ă©crire quelque part, et les mettre dans un coffre fort⊠câest dĂ©jĂ perdu. Je pense quâon a Ă©normĂ©ment dâefforts Ă faire au niveau des interfaces utilisateurs. La difficultĂ© se situe sur un Ă©quilibre Ă trouver entre lâexpĂ©rience utilisateur et la dĂ©centralisation: oĂč place-t-on le curseur pour avoir lâexpĂ©rience utilisateur la plus simple possible et ne pas perdre la dĂ©centralisation? Le conflit est entre dĂ©centralisation et expĂ©rience utilisateur, plutĂŽt quâentre expĂ©rience utilisateur et sĂ©curitĂ©. On peut avoir des choses trĂšs sĂ©curisĂ©es avec une bonne expĂ©rience utilisateur, par contre, garder un fonctionnement trĂšs dĂ©centralisĂ©, câest compliquĂ©. Je dirais quâun autre frein est simplement la rĂ©gulation. On commence Ă concevoir des produits complexes, comme toutes les solutions DeFi. Les dĂ©veloppeurs sâarrachent dĂ©jĂ les cheveux pour comprendre ce quâils font car en effet, il ne faut pas ĂȘtre juste dĂ©veloppeur. Quand on analyse une application comme ça, il faut ĂȘtre dĂ©veloppeur, Ă©conomiste, professionnel de la thĂ©orie des jeux, etc. Il faut se dire que la rĂ©gulation derriĂšre tout ça, elle est quelques annĂ©es en arriĂšre, quand on voit les lois qui sont passĂ©es, les rĂ©gulateurs sont tout juste en train de comprendre les ICOâŠÂ Câest bien, mais câĂ©tait il y a trois ans. Lâincertitude quâon va avoir concernant la rĂ©gulation et le manque de passerelles avec le monde rĂ©el, que cette absence de rĂ©gulation engendre sont problĂ©matiques. Aujourdâhui, câest vrai que la plupart des applications sont essentiellement financiĂšres, mais on voit poindre des applications touchant le monde rĂ©el, tel que Kleros. On a un systĂšme de rĂ©solution de litiges extrĂȘmement simplifiĂ©. Câest une application qui aujourdâhui pourrait complĂštement sortir du monde de la blockchain et ĂȘtre proposĂ© Ă des gens qui Ă©crivent du contenu ou Ă des gens qui font nâimporte quel type de de service. Ils ne verraient mĂȘme pas quâil y a une blockchain derriĂšre, tout serait cachĂ© pour un utilisateur. On a des applications qui pourraient ĂȘtre prĂ©sentĂ©es pour autre chose que financier. Et mĂȘme au sein de la finance, pas la spĂ©culation mais la finance classique, recrĂ©er un compte bancaire complĂštement dĂ©centralisĂ© aurait clairement son intĂ©rĂȘt. Etre capable de mettre en place tous les services dâune banque, un livret A, faire un prĂȘt, etc. on en a la capacitĂ© technique, mais il reste le frein de la rĂ©gulation ainsi que le problĂšme dâinterface utilisateur. En termes de blocages pour lâadoption massive je dirai donc que loin devant câest lâinterface utilisateur, et derriĂšre la rĂ©gulation.  Â
Tu as mentionnĂ© lâĂ©quilibre Ă trouver entre expĂ©rience utilisateur et dĂ©centralisation. Est-ce que tu as dĂ©cidĂ© de lâorientation de ton curseur? Ce que tu serais prĂȘt Ă lĂącher en termes de dĂ©centralisation au profit de lâexpĂ©rience utilisateur ? On voit au sein de lâĂ©cosystĂšme de plus en plus dâapplications qui sont obligĂ©es dâaller vers un peu de centralisation pour permettre cette gestion. Est ce que câest quelque chose que tu envisages Ă©galement?
Câest vraiment quelque chose que jâenvisage aujourdâhui. Je pense quâil faut quâon apprenne Ă ĂȘtre bien modulaire dans la dĂ©centralisation. Aujourdâhui, pour moi, ce qui est trĂšs important surtout, câest de ne pas de crĂ©er de « lock-in » câest-Ă -dire de bloquer les utilisateurs. On peut avoir des systĂšmes qui sont dĂ©centralisĂ©s, mais qui vont ĂȘtre, par exemple, implantĂ©s par juste quelques acteurs. Si un nouvel acteur peut arriver dans le systĂšme, et peut remplacer un des acteurs du systĂšme qui serait dĂ©faillant, je considĂšre quâon a dĂ©jĂ un systĂšme plus dĂ©centralisĂ© quâun systĂšme complĂštement fermĂ©. Donc, aujourdâhui, tout simplement si le service tombe, je sais que je suis capable de rĂ©cupĂ©rer les fonds parce que le systĂšme est crĂ©Ă© de telle façon que tout est lĂ . Si je sais que quelquâun dâautre peut arriver dans le systĂšme et commencer Ă construire des services qui peuvent ĂȘtre passablement concurrents du mien, je pense que la dĂ©centralisation est toujours lĂ . Un bon test de dĂ©centralisation câest de se demander si le service que je suis en train de construire permet Ă un concurrent de se crĂ©er. Si la rĂ©ponse est oui, le test de dĂ©centralisation a rĂ©ussi.
Jâai une derniĂšre question quâon garde toujours comme petite question de fin Ă laquelle tu as un peu dĂ©jĂ rĂ©pondu. Et jâaurais peut ĂȘtre une question bonus pour toi, si tu veux bien. Dâabord, est-ce aujourdâhui tu as une application construite sur Ethereum que tu considĂšres dĂ©jĂ utile pour le grand public? Tu as parlĂ© de Kleros, est-ce que tu en as une autre?Â
Jâaime bien lâexemple de Kleros parce que je trouve que câest un exemple qui permet de cacher complĂštement la technologie. Ca va rĂ©pondre Ă des problĂšmes de la vie courante. La rĂ©solution de litige arrive Ă nâimporte qui pour nâimporte quoi. Kleros tourne avec des « incentives » qui sont liĂ©es Ă une blockchain, mais ça, on le sait que si on creuse. Un utilisateur de site e-commerce lambda peut trĂšs bien utiliser un systĂšme comme ça pour faire son propre systĂšme de rĂ©solution. En technique qui cache ce quâon a derriĂšre la blockchain, ce qui est, Ă mon avis, la meilleure façon de la populariser, je trouve que câest un bon exemple.Â
Merci beaucoup, la petite question bonus, du coup, tu parlais un peu de la rĂ©gulation et du lĂ©ger retard que les rĂ©gulateurs ont par rapport Ă la technologie. Est-ce que tu a un peu un avis sur la rĂ©gulation dans lâĂ©cosystĂšme français? Ledger fait partie de lâADAN (Association pour le DĂ©veloppement des Actifs NumĂ©riques) dont la volontĂ© est dâaccĂ©lĂ©rer la discussion et dâarriver plus rapidement Ă des solutions en termes de rĂ©gulation. Est-ce que tu as un avis sur lâĂ©cosystĂšme français, est-il favorable au dĂ©veloppement des applications blockchain?Â
Jâai envie de dire quâil y a beaucoup dâapprentissage Ă faire. Je ne pense pas quâon soit rĂ©ellement Ă la ramasse. Je pense quâon fait les choses Ă la vitesse de la rĂ©gulation. On ne peut pas demander Ă la rĂ©gulation dâaller aussi vite que le dernier protocole DeFi. Pour lâinstant, ça passe encore par des processus qui sont assez longs. HonnĂȘtement, je nâai pas lâimpression quâon soit Ă la ramasse, surtout que lâon nâest pas parmi les pays les plus faciles pour pas mal de choses. Ma principale critique au niveau de la rĂ©gulation en France, câest plus sur le double discours quâon a au niveau des banques. Si une sociĂ©tĂ© dans les crypto-actifs cherche Ă se crĂ©er, elle va se retrouver face Ă des murs. Les sociĂ©tĂ©s qui ont eu des problĂšmes pendant la crise et qui ont cherchĂ© des aides gouvernementales nâont pas eu beaucoup de succĂšs. Il nây a pas de problĂšme dans la rĂ©gulation, par contre, derriĂšre, il manque clairement des chaĂźnons de transmission. Les consignes ne sont pas bien transmises, volontairement ou involontairement, mais ça, câest un autre dĂ©bat.Â
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