Cet article a été initialement publié le 12/07/2017 sur Révolte Créatrice et sur Steem.
Lâargent ! Y a-t-il quelque chose qui intĂ©resse plus le monde moderne que lâargent ? Pour la plupart, nous apprĂ©cions lâargent car il intervient dans la satisfaction de nos dĂ©sirs les plus communs. Eau, nourriture, vĂȘtements, logement, chauffage, Ă©lectricitĂ©, outil de travail, culture, et mĂȘme position sociale : tout semble sâobtenir par son intermĂ©diaire. Lâargent est le symbole de la richesse. Certains lâadulent, dâautres en font la cause de tous les maux : toujours est-il que le sujet a un enjeu rĂ©el, tangible pour la quasi-totalitĂ© des ĂȘtres humains.
Si je veux parler aujourdâhui de la monnaie (terme plus correct pour dĂ©crire ce que nous appelons « argent »), câest pour parler de lâavancĂ©e sans prĂ©cĂ©dent que reprĂ©sentent les cryptomonnaies, et du potentiel quâelles ont dâĆuvrer pour la libertĂ©. Lâengouement rĂ©cent qui est en train de se former dans le monde financier et mĂ©diatique autour de la « technologie blockchain » ne fait que confirmer le bouleversement Ă©conomique quâelles pourraient provoquer.
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Monnaie et cryptomonnaie
La monnaie est usuellement définie comme un bien remplissant trois fonctions :
- Elle a un rĂŽle dâintermĂ©diaire dans les Ă©changes : en Ă©tant universellement reconnue, elle rĂ©sout les problĂšmes dâun hypothĂ©tique troc.
- Elle constitue une rĂ©serve de valeur dans le temps : elle permet dâaccumuler du travail fourni pour nâen rĂ©cupĂ©rer les produits que bien plus tard.
- Elle sert dâunitĂ© de compte pour le calcul Ă©conomique ou la comptabilitĂ© : câest un moyen standard dâexprimer la valeur des autres biens.
Dans lâhistoire de lâhumanitĂ©, les marchandises servant de monnaie ont Ă©tĂ© nombreuses (bĂ©tail, sel, coquillages, graines de cacao, etc.), mais ce sont les mĂ©taux prĂ©cieux comme lâor et lâargent qui ont Ă©tĂ© adoptĂ©s le plus largement pour cet usage, en raison de leur raretĂ©, de leur inaltĂ©rabilitĂ©, de leur divisibilitĂ© et vraisemblablement de leur beautĂ©. Aujourdâhui, nous utilisons des billets et des piĂšces nâayant plus aucune valeur intrinsĂšque (appelĂ©s liquide ou espĂšces) et des Ă©critures dans les registres des banques (appelĂ©s comptes bancaires). En fait, ce qui caractĂ©rise la monnaie, câest une construction psychologique : chacun apporte de la valeur Ă sa monnaie parce quâil est convaincu quâelle va lui permettre dâacheter dâautres biens Ă ses semblables (qui lui apportent de la valeur pour la mĂȘme raison).
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Maintenant quâest-ce que la cryptomonnaie ? Pour expliquer briĂšvement en quoi consistent les cryptomonnaies, il convient de parler de la premiĂšre dâentre elles, le bitcoin. Bitcoin est un protocole dâĂ©change dâinformations pair-Ă -pair fonctionnant sans autoritĂ© centrale, crĂ©Ă© en 2008 par Satoshi Nakamoto et mis en pratique Ă partir du 3 janvier 2009. Ce protocole open-source gouverne lâĂ©mission et les transactions dâun jeton (token) du mĂȘme nom qui a vocation Ă ĂȘtre une monnaie : le bitcoin (quâon Ă©crit en minuscules pour diffĂ©rencier la monnaie du protocole). Bitcoin utilise diffĂ©rentes technologies cryptographiques : câest pour cela quâon parle de crypto-monnaie.
Lâensemble de tous les Ă©changes effectuĂ©s entre ses utilisateurs depuis sa crĂ©ation est enregistrĂ© dans un immense registre public appelĂ© chaĂźne de blocs ou blockchain. Pour initier une transaction, il suffit Ă un utilisateur de lâĂ©crire dans la blockchain Ă lâaide du protocole. Contrairement au cas dâun virement bancaire qui aurait besoin dâĂȘtre validĂ© par les banques concernĂ©es, Bitcoin sâaffranchit dâun tiers de confiance : la fiabilitĂ© du systĂšme repose sur le fait que la validation dâun bloc (un ensemble de transactions) demande la rĂ©solution dâun problĂšme cryptographique nĂ©cessitant une grande puissance de calcul. Cette validation, appelĂ©e preuve de travail, offre Ă celui qui la rĂ©alise une rĂ©compense se composant de bitcoins crĂ©Ă©s par le protocole (ainsi que dâĂ©ventuels frais de transaction). Câest ce quâon appelle le minage (en rĂ©fĂ©rence aux mineurs dâor) et câest la seule façon dâaugmenter la masse monĂ©taire du bitcoin.
Le bitcoin est une monnaie dĂ©flationniste dans le sens oĂč la quantitĂ© de bitcoins pouvant ĂȘtre crĂ©Ă©s est limitĂ©e Ă 21 000 000. La rĂ©munĂ©ration par bloc (actuellement de 12,5 BTC) est rĂ©duite de moitiĂ© tous les 210 000 blocs (soit environ tous les 4 ans), et sâarrĂȘtera aux alentours de 2140. Câest pour cette raison que, si lâintĂ©rĂȘt pour le bitcoin ne cesse pas de sâaccroĂźtre, sa valeur augmentera au fil des annĂ©es.
Autre dĂ©tail important, la « gouvernance » de Bitcoin repose sur un consensus de la communautĂ©, câest-Ă -dire sur lâĂ©quilibre entre les intĂ©rĂȘts de chacun : le conservatisme des dĂ©veloppeurs, la cupiditĂ© des mineurs, la demande dâamĂ©lioration des utilisateurs. Il ne sâagit pas dâun systĂšme dĂ©mocratique (personne ne vote Ă proprement parler) mais plutĂŽt Ă©conomique. La gouvernance Ă©merge en effet du choix du logiciel (la version du protocole) que les utilisateurs lancent sur leur ordinateur. Les mineurs ont une grande influence sur ce choix car câest eux qui valident la chaĂźne : si nâimporte qui peut crĂ©er sa propre version de Bitcoin, nâimporte qui nâest pas assurĂ© que les mineurs le suivront. Cependant, leur pouvoir est limitĂ© car ce sont les utilisateurs qui donnent de la valeur au bitcoin, et qui donc vont agir sur les revenus du minage. La soliditĂ© du protocole est basĂ©e sur un ordre spontanĂ© produit par lâensemble des actions volontaires des individus. La gouvernance de Bitcoin peut ĂȘtre comparĂ©e Ă celle du langage humain que personne ne gouverne rĂ©ellement (nâen dĂ©plaise Ă lâAcadĂ©mie Française) et dont lâĂ©volution rĂ©sulte du choix des rĂšgles que vont appliquer les membres dâune communautĂ© linguistique pour communiquer. Il sâensuit que le protocole peut effectivement Ă©voluer pour rĂ©soudre les problĂšmes quâil rencontre (comme la rĂ©cente congestion du rĂ©seau), mais que cette Ă©volution est fastidieuse en raison de tous les intĂ©rĂȘts en jeu.
Plus gĂ©nĂ©ralement, une cryptomonnaie est une monnaie numĂ©rique dĂ©centralisĂ©e qui repose sur un protocole cryptographique pair-Ă -pair. Elle peut avoir des diffĂ©rences techniques avec le bitcoin : Litecoin utilise une autre fonction de hachage (Scrypt), Ethereum met en avant lâimplĂ©mentation de contrats auto-exĂ©cutables, Monero propose une anonymisation des transactions, Dash permet des transactions instantanĂ©es. Cependant, elles en conservent les principales caractĂ©ristiques et en particulier lâabsence de recours Ă un tiers de confiance pour procĂ©der Ă une transaction. En ce sens, les cryptomonnaies sont des concurrentes sĂ©rieuses aux monnaies « traditionnelles » qui demandent lâintervention des banques et des Ătats pour fonctionner.
Le bitcoin sâest fait connaĂźtre auprĂšs du grand public en 2013 lorsque son cours est montĂ© Ă plus de 1000 $ avant de chuter dramatiquement dĂ©but 2014 suite Ă la faillite de Mt. Gox. CâĂ©tait le dĂ©but dâun nouvelle Ăšre. Depuis, la confiance globale dans les cryptomonnaies sâest consolidĂ©e. De plus en plus de monde sây intĂ©resse. En dĂ©pit de la volatilitĂ© du marchĂ©, les investissements se sont intensifiĂ©s et les projets dans le domaine se sont multipliĂ©s (notamment sur le rĂ©seau Ethereum). En mars 2017, la capitalisation boursiĂšre totales des cryptomonnaies sâapprochait des 25 milliards de dollars ; dĂ©but juin 2017, soit 3 mois plus tard, elle avait quadruplĂ© en atteignant les 100 milliards de dollars. Bien que nous pouvons nous attendre Ă de fortes corrections du marchĂ© dans les mois Ă venir, et mĂȘme Ă un krach en cas de dĂ©faillance technique (il ne faut pas oublier le caractĂšre expĂ©rimental de ces technologies), nous sommes peut-ĂȘtre Ă la veille dâun Ăąge dâor des cryptomonnaies. Pour ma part, je mâĂ©tonne chaque jour de cet Ă©cosystĂšme qui ne cesse dâĂ©voluer.
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Le rĂšgne des monnaies fiat
Depuis la fin de lâĂ©talon-or en 1971, toutes les monnaies gouvernementales du monde (le dollar, lâeuro, le yen, le yuan, etc.) sont des monnaies fiat. Une monnaie fiat (du latin « quâil soit fait ») est une monnaie dont la valeur repose essentiellement sur la confiance accordĂ©e Ă lâĂtat au sein duquel elle est utilisĂ©e et qui impose son cours forcĂ©. Ce type de monnaie sâoppose aux monnaies liĂ©es Ă une marchandise (mĂ©taux prĂ©cieux entre autres) : les piĂšces utilisĂ©es pendant des siĂšcles avaient une valeur intrinsĂšque, mĂȘme si le gouvernement intervenait dans leur fabrication pour en garantir la composition (par exemple, le napolĂ©on Ă©tait une piĂšce de vingt francs se composant de 6,45 g dâor Ă 900 â°). Elle sâoppose Ă©galement Ă la monnaie reprĂ©sentative comme les billets de banque qui permettaient dâobtenir une certaine quantitĂ© dâor et dâargent sur simple prĂ©sentation, le cours forcĂ© Ă©tant un rĂ©gime monĂ©taire dans lequel les banques sont dispensĂ©es dâĂ©changer le papier-monnaie contre du mĂ©tal prĂ©cieux. Cette non-convertibilitĂ©, qui Ă©tait autrefois exceptionnelle, est devenue la norme.
La monnaie fiat est imposĂ©e aux citoyens par la contrainte de la loi. En France, la monnaie liquide (appelĂ©e monnaie fiduciaire) a cours lĂ©gal : il est interdit pour un commerçant de « refuser des piĂšces de monnaie ou des billets de banque [âŠ] selon la valeur pour laquelle ils ont cours » (Code pĂ©nal, article R642-3). Le citoyen doit payer ses impĂŽts et ses amendes en euros. LâĂtat impose un monopole sur la monnaie en espĂšces en interdisant Ă quiconque de vouloir concurrencer lâeuro :
La mise en circulation de tout signe monĂ©taire non autorisĂ© ayant pour objet de remplacer les piĂšces de monnaie ou les billets ayant cours lĂ©gal en France est punie de cinq ans dâemprisonnement et de 75 000 euros dâamende. (Code pĂ©nal, article 442-4)
Notons que les monnaies locales complĂ©mentaires nâont pas vocation Ă concurrencer lâeuro, et sont bien souvent indexĂ©es sur lui.
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Mais la monnaie fiat ne se rĂ©sume pas Ă sa forme liquide ; elle est aussi scripturale câest-Ă -dire quâelle peut se rapporter simplement Ă lâĂ©criture dâune dette dans un registre bancaire. Aujourdâhui, avec le dĂ©veloppement informatique, environ 90 % de la masse monĂ©taire en circulation est dĂ©matĂ©rialisĂ©e. On reproche souvent aux cryptomonnaies leur caractĂšre numĂ©rique et « virtuel », mais en rĂ©alitĂ© nous utilisons dĂ©jĂ de la monnaie numĂ©rique, et cela au moyen de chĂšques, de cartes de paiement, de virements bancaires et de prĂ©lĂšvements mensuels.
Dans les pays dĂ©veloppĂ©s, la crĂ©ation de la monnaie scripturale est dĂ©lĂ©guĂ©e aux banques commerciales (comme le CrĂ©dit Agricole ou la Caisse dâĂpargne en France) et rĂ©glementĂ©e par les banques centrales (BCE, Fed, Banque dâAngleterre, BoJ). La monnaie est simplement crĂ©Ă©e par les banques en Ă©change dâune promesse de remboursement dâun particulier ou dâune entreprise. Il y a ainsi crĂ©ation monĂ©taire lors de lâoctroi dâun crĂ©dit, et destruction monĂ©taire lors du remboursement de ce crĂ©dit : certains parlent dâ« argent dette ». La monnaie est bien crĂ©Ă©e : la banque nâa pas besoin de dĂ©tenir la somme demandĂ©e en espĂšces pour pouvoir la prĂȘter. Pour plus dâinformations, vous pouvez aller visionner cette trĂšs bonne vidĂ©o de vulgarisation dâHeu?reka sur le sujet.
La monnaie fiat nâa donc pas de fondement tangible comme pouvait lâĂȘtre les piĂšces de mĂ©tal prĂ©cieux ou les billets de banque convertible en or. Elle peut ĂȘtre thĂ©oriquement crĂ©Ă©e Ă partir de rien (ex nihilo), ce quâon rĂ©sume un peu grossiĂšrement dans lâexpression « faire fonctionner la planche Ă billets ». Cette crĂ©ation monĂ©taire provoque mĂ©caniquement ce quâon appelle de lâinflation (ou « hausse des prix ») : si vous augmentez la masse monĂ©taire, vous augmentez la demande sans changer lâoffre des produits et services, ce qui aura pour consĂ©quence finale dâaugmenter les prix.
Par exemple, imaginez que vous doubliez la quantitĂ© de monnaie dans les mains de chaque citoyen dâun Ătat fermĂ© : chacun sera deux fois plus riche quâil ne lâĂ©tait auparavant et se mettra Ă consommer plus. Au fur et Ă mesure du temps, un homme qui vend ses services, voyant la demande pour ainsi dire doubler, se mettra Ă augmenter ses tarifs par intĂ©rĂȘt. Celui qui achĂšte ses services, voyant le prix augmenter, se mettra lui aussi Ă vendre ses services plus cher. Peu Ă peu, toute la sociĂ©tĂ© se calibrera sur cet Ă©quilibre entre lâoffre et la demande, les plus pĂ©nalisĂ©s dans lâhistoire Ă©tant ceux qui ont le moins de facilitĂ© Ă changer leurs tarifs, Ă savoir les salariĂ©s. Finalement, les prix auront doublĂ©.
En rĂšgle gĂ©nĂ©rale, les gouvernements et les banques ne sont pas gĂ©nĂ©reux au point dâaugmenter la quantitĂ© de monnaie de chaque citoyen et utilisent lâargent crĂ©Ă© pour financer leurs propres projets (guerres, subventions, projets personnels des dirigeantsâŠ), ce qui a pour effet dâappauvrir les Ă©pargnants. Lâinflation est une sorte dâimpĂŽt indirect et invisible qui touche tout le monde. De plus, elle engendre des dĂ©sastres monstrueux dans les pays qui abusent de la crĂ©ation monĂ©taire.
Les cas dâinflation sont nombreux, dans lâhistoire comme dans lâactualitĂ©. En France, les premiĂšres expĂ©riences de monnaie fiat ont conduit Ă une importante augmentation des prix : on peut citer notamment la mise en place du systĂšme de Law (prononcĂ© « Lass ») entre 1716 et 1720, ainsi que lâĂ©mission des assignats pendant la RĂ©volution française qui a engendrĂ© une inflation de 304 % entre 1796 et 1797.
En 1914, lâeffort de guerre a poussĂ© la France, le Royaume-Uni et lâAllemagne Ă suspendre la convertibilitĂ© en or de leurs monnaies respectives (le franc, la livre et le mark). AprĂšs la premiĂšre guerre mondiale, lorsque la France est revenue (momentanĂ©ment) Ă lâĂ©talon-or en 1928, la valeur du franc en or Ă©quivalait Ă 20 % de sa valeur de 1914. Le Royaume-Uni a menĂ© une politique fortement dĂ©flationniste afin de restaurer la valeur de la livre sterling (ce quâil a fait en 1925), mais cette politique a eu pour effet de freiner gravement lâĂ©conomie. Quant Ă lâAllemagne (la grande perdante), elle a connu entre 1922 et 1923 une pĂ©riode dâhyperinflation (appelĂ©e hyperinflation de la rĂ©publique de Weimar) au cours de laquelle la valeur du mark sâest totalement effondrĂ©e.
De nos jours, dans les pays occidentaux, les banques centrales sâefforcent de conserver un taux dâinflation de 2 %, lâĂ©conomie moderne Ă©tant dĂ©pendante de cette inflation pour fonctionner.
Un autre exemple dâhyperinflation beaucoup plus rĂ©cent est celui du Zimbabwe entre 2000 et 2009, gouvernĂ© par Robert Mugabe. Le symbole de cette inflation est la mise en circulation, en janvier 2009, dâun billet de 100 000 milliards de dollars zimbabwĂ©ens valant 30 dollars amĂ©ricains. Encore plus rĂ©cemment, au Venezuela, suite aux prĂ©sidences successives de Hugo ChĂĄvez et de NicolĂĄs Maduro (ce dernier Ă©tant encore en fonction), lâĂ©tat de lâĂ©conomie du pays sâest dĂ©gradĂ© : les prix auraient Ă©tĂ© multipliĂ©s par 8 en 2016 alors que le PIB se serait effondrĂ© de 18,6 %.
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Cependant, lâinflation nâest pas la seule consĂ©quence pernicieuse de la nature des monnaies fiat. En vous forçant Ă utiliser des piĂšces et des billets sans autre valeur intrinsĂšque que leur coĂ»t de fabrication, le gouvernement peut tout simplement les dĂ©clarer comme invalides du jour au lendemain. Câest ce qui sâest passĂ© en Inde le 8 novembre 2016. Ce jour-lĂ , Narendra Modi a annoncĂ© la dĂ©monĂ©tisation des billets de 500 et de 1000 roupies (valant respectivement 7 et 14 euros) sous prĂ©texte de sâattaquer Ă la corruption et Ă lâĂ©vasion fiscale. Lâensemble de ces billets reprĂ©sentait 86 % de la masse monĂ©taire fiduciaire en circulation, dans un pays oĂč les Ă©changes se font gĂ©nĂ©ralement en liquide, ce qui a provoquĂ© la panique.
Cette mesure drastique rentre dans le cadre dâun guerre contre lâargent liquide menĂ©e par les Ătats du monde entier. Le liquide est en effet bien moins visible et contrĂŽlable que lâargent prĂ©sent sur nos comptes bancaires : il sert au marchĂ© noir, Ă Ă©viter lâimpĂŽt et la surveillance. Le rĂȘve dâune sociĂ©tĂ© sans espĂšces (cashless society) reprĂ©sente aux yeux des fanatiques la fin de ces petits actes de rĂ©volte financiĂšre contre lâĂtat auxquels sont continuellement poussĂ©s les individus. Lâutilisation dâun compte bancaire (et donc le fait de devoir passer par une banque) permet en effet au gouvernement (sous certaines rĂ©serves Ă©videmment) de savoir la somme dâargent que vous possĂ©dez, combien vous gagnez et avec qui vous Ă©changez. Mieux : on peut purement et simplement vous voler. Lors de la crise chypriote de 2013, dans le cadre du plan de sauvetage des banques, les dĂ©pĂŽts de plus de 100 000 euros de la Bank of Cyprus ont Ă©tĂ© ponctionnĂ©s Ă 37,5 %, sans cadre lĂ©gal. Depuis le 1er janvier 2016, la « Directive sur le redressement et la rĂ©solution des banques » de lâUnion EuropĂ©enne autorise les banques Ă ponctionner les comptes de leurs clients de plus de 100 000 euros en cas de difficultĂ© ou de faillite.
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La liberté cryptomonétaire
Pour lutter contre tous les inconvĂ©nients liĂ©s aux monnaies fiat (inflation, dĂ©monĂ©tisation du liquide, ponction des comptes bancaires), la solution optimale a longtemps Ă©tĂ© de dĂ©tenir des mĂ©taux prĂ©cieux en tant que valeur refuge. Bitcoin a changĂ© la donne. Les cryptomonnaies sont devenues des alternatives sĂ©rieuses en cas de crise monĂ©taire. Elles permettent de conserver de la valeur Ă lâabri des actions du gouvernement. Elles donnent aux individus dĂ©pourvus de comptes bancaires la possibilitĂ© dâĂȘtre leur propre banque Ă condition de possĂ©der un smartphone et un accĂšs Ă Internet. Elles anĂ©antissent les frontiĂšres : chacun peut envoyer des fonds de façon quasi-instantanĂ©e Ă lâautre bout du monde sans autre coĂ»t que les frais de transaction (qui sont ridicules par rapport aux diverses taxes prĂ©levĂ©es dans les Ă©changes internationaux).
Bitcoin a redonnĂ© espoir Ă tous ceux qui chĂ©rissent la libertĂ©, et pour cause : il a un biais idĂ©ologique trĂšs marquĂ©, ayant Ă©tĂ© conçu pour Ă©chapper Ă lâautoritĂ© de lâĂtat et des banques centrales. VĂ©ritable prouesse technologique, Bitcoin constitue une dĂ©fiance envers un systĂšme monĂ©taire qui marche sur la tĂȘte. La date de sa mise en pratique est de fait trĂšs symbolique : elle fait suite Ă la crise des subprimes aux Ătats-Unis, celle-lĂ mĂȘme qui a engendrĂ© la crise Ă©conomique globale de 2008.
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Le protocole Bitcoin a Ă©tĂ© imaginĂ© par des crypto-anarchistes (aussi appelĂ©s cypherpunks), câest-Ă -dire des personnes qui sâopposent au contrĂŽle gouvernemental de lâinformation sur le web et qui prĂ©conisent des moyens cryptographiques pour y remĂ©dier. Comme Jacques Favier et Adli Takkal Bataille lâindiquent dans leur ouvrage Bitcoin, la monnaie acĂ©phale :
Bitcoin [a Ă©tĂ©] conçu par et pour gens opposĂ©s Ă lâautoritarisme des gouvernements, refusant la censure et la possibilitĂ© de censure, refusant la surveillance de masse, souhaitant conserver la propriĂ©tĂ© de leurs donnĂ©es personnelles, pensant que pour cela lâanonymisation de leurs correspondances, de leurs donnĂ©es et de leurs transactions est un droit, que les logiciels libres sont plus sĂ»rs que les logiciels propriĂ©taires, aux sources fermĂ©es, et quâune monnaie libre par rapport aux Ătats et aux banques est une chose dĂ©sirable et utile.
LâidĂ©e dâun « internet de la monnaie » nâest pas nouvelle dans le milieu. Comme partout dans le monde de la recherche, Satoshi Nakamoto sâest inspirĂ© grandement des projets antĂ©rieurs. Nous pouvons citer le eCash de David Chaum (1994), la b-money de Wei Dai (1998) et le bit gold de Nick Szabo (2005), reconnus comme Ă©tant des prĂ©curseurs du bitcoin. Satoshi Nakamoto cite dâailleurs le papier de Wei Dai dans le livre blanc de Bitcoin.
Chose fascinante Ă propos de Bitcoin : tout le monde ignore lâidentitĂ© rĂ©elle de son inventeur, Satoshi Nakamoto nâĂ©tant quâun pseudonyme pouvant dĂ©signer une personne ou un groupe de personnes. Encore plus fou : il a trĂšs vite cessĂ© dâintervenir dans lâĂ©volution de son invention. Ainsi, contrairement Ă dâautres protocoles cryptomonĂ©taires comme Litecoin, Ethereum ou Dash, Bitcoin nâa pas meneur qui serve de figure principale, mĂȘme si certaines personnalitĂ©s sâimposent plus que les autres. Le bitcoin est une monnaie acĂ©phale (littĂ©ralement « sans tĂȘte »), ce qui ne fait que renforcer son biais anarchisant.
Les cryptomonnaies sont aussi conformes aux idĂ©aux libĂ©raux de libertĂ©, de propriĂ©tĂ© et de responsabilitĂ©. Tout dâabord elles offrent une libĂ©ration du monde de la monnaie qui est, comme nous lâavons aperçu, dominĂ© par des entitĂ©s telles que les banques et les gouvernements. En 1976, dans Pour une vraie concurrence des monnaies, Friedrich Hayek proposait dâailleurs lâĂ©tablissement dâune libertĂ© monĂ©taire et bancaire totale, qui se traduirait notamment par lâĂ©mission concurrentielle de monnaies distinctes. Les cryptomonnaies reprĂ©sentent un facteur de libre Ă©change Ă lâĂ©chelle de la planĂšte : il devient trĂšs difficile dâempĂȘcher une personne dâenvoyer une transaction, mĂȘme si cette transaction est « prohibĂ©e ». Elles garantissent informatiquement la propriĂ©tĂ© des fonds dâun utilisateur, le vol Ă©tant pour ainsi dire impossible. De cette propriĂ©tĂ© absolue, dĂ©coule une responsabilitĂ© : tout utilisateur peut ĂȘtre privĂ© de ses fonds en cas de mauvaise manipulation ou de perte des clĂ©s de son portefeuille. Cette responsabilitĂ© contraste avec le systĂšme actuel oĂč votre banque vous rembourse lorsque vous vous faites voler votre carte de crĂ©dit, et oĂč chaque site web vous propose de restaurer votre session avec votre adresse mail en cas de perte de votre mot de passe.
Bitcoin est une invention radicalement hostile Ă lâautoritĂ©, rejetant non seulement la censure, la surveillance et plus gĂ©nĂ©ralement le contrĂŽle de lâinformation, mais aussi et surtout lâintervention gouvernementale dans lâĂ©conomie. Cette radicalitĂ©, les mĂ©dias de masse lâĂ©voquent dĂšs quâils parlent de Bitcoin : la cryptomonnaie facilite les Ă©changes illĂ©gaux, le trafic de drogues et le financement du terrorisme islamiste. La cryptomonnaie est fonciĂšrement une mise en pratique anarcho-capitaliste et il est dans lâordre des choses quâelle soit utilisĂ©e dans le cadre du marchĂ© noir ou du marchĂ© gris. Car, aprĂšs tout, quâest-ce que le marchĂ© « noir » si ce nâest le marchĂ© libre, exempt de toute taxe et de toute rĂ©glementation administrative ? De fait, le bitcoin a longtemps Ă©tĂ© la monnaie du dark web, cĂ©lĂšbre pour avoir Ă©tĂ© utilisĂ© sur la plateforme Silk Road, avant dâĂȘtre concurrencĂ© par des monnaies plus confidentielles comme le monero ou le zcash.
En donnant aux utilisateurs la capacitĂ© dâĂ©viter lâimpĂŽt, les cryptomonnaies constituent un instrument de lutte directe contre lâĂtat. En France, la place occupĂ©e par lâĂtat (au sens gĂ©nĂ©ral) est imposante et ne cesse de croĂźtre : lâensemble des prĂ©lĂšvements obligatoires est passĂ© de 33,6 % du produit intĂ©rieur brut en 1965 Ă 45,5 % en 2014. Les cryptomonnaies entraĂźneraient la rĂ©duction la pression fiscale par le bas, en permettant aux citoyens qui les utilisent (je pense notamment aux commerçants) de ne pas dĂ©clarer tous leurs revenus (comme cela se fait habituellement avec le liquide). En cas dâadoption de masse dâune cryptomonnaie, la souverainetĂ© monĂ©taire rendue aux individus pourrait possiblement faire reculer le pouvoir Ă©tatique, en lâobligeant Ă sâadapter Ă cette Ă©volution. Câest dans cet esprit que le prix nobel Milton Friedman affirmait dans une interview en 1999 :
Je pense quâInternet va devenir une des forces majeures qui va diminuer le rĂŽle des gouvernements. La seule chose qui manque, mais qui sera dĂ©veloppĂ©e bientĂŽt, est une solution fiable de cash Ă©lectronique.
Outre lâaspect monĂ©taire, Bitcoin pourrait ĂȘtre Ă lâorigine dâune libertĂ© bien plus vaste. La technologie derriĂšre le protocole, appelĂ©e par une mĂ©tonymie un peu Ă©trange « technologie blockchain », pourrait en effet rĂ©volutionner certains secteurs de lâĂ©conomie nĂ©cessitant lâexistence de tiers de confiance comme le notariat. Nous pouvons dĂ©jĂ le constater dans le monde cryptomonĂ©taire : en servant de modĂšle, Bitcoin a provoquĂ© une vague crĂ©ative et certains protocoles se sont spĂ©cialisĂ©s pour remplir dâautres tĂąches que le paiement. Dans ce cas, le jeton nâest quâune incitation Ă authentifier la chaĂźne de blocs et nâa pas vocation Ă devenir une monnaie rĂ©elle : il faudrait plutĂŽt parler dâactif numĂ©rique. Ethereum est le parfait exemple de ce type dâusage : le protocole se prĂ©sente comme une plateforme dĂ©centralisĂ©e qui exĂ©cute des contrats intelligents et qui permet le dĂ©ploiement dâapplications dĂ©centralisĂ©es. Citons Ă©galement Steem qui est un rĂ©seau social rĂ©compensant ses utilisateurs ; Sia qui est un projet de stockage dĂ©centralisĂ© des donnĂ©es ; et BitBay qui souhaite devenir une plateforme de marchĂ© permettant dâĂ©changer des choses de maniĂšre sĂ©curisĂ©e (souvent prĂ©sentĂ© comme un eBay dĂ©centralisĂ©). Lâinnovation technique de la chaĂźne de blocs, amplifiĂ©e par la libertĂ© des initiatives et la facilitĂ© dâinvestissement, pourrait bien changer la face du monde.
NĂ©anmoins, je pense quâil est judicieux de sâattendre Ă une contre-attaque de lâempire. Certains pays pourraient fortement restreindre voire interdire lâusage des cryptomonnaies, ce qui influencerait les bons citoyens qui respectent scrupuleusement la loi, mĂȘme sâil serait facile de contourner la loi, comme on le fait aujourdâhui avec le tĂ©lĂ©chargement illĂ©gal. Dâautres Ătats choisiront peut-ĂȘtre dâutiliser la technologie de Bitcoin pour crĂ©er leur propre cryptomonnaie semi-centralisĂ©e : un euro numĂ©rique rĂ©gi par lâUnion EuropĂ©enne pourrait ainsi voir le jour. AprĂšs tout, lâimagination des lĂ©gislateurs quand il sâagit de taxer et de rĂ©glementer une innovation technique est sans limites.
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Conclusion
Les cryptomonnaies reprĂ©sentent un tour de force technique sans prĂ©cĂ©dent. De par leur existence, elles nous poussent Ă nous intĂ©resser Ă ce qui fonde la valeur de la monnaie que nous utilisons, et Ă rĂ©aliser Ă quel point nous faisons confiance au systĂšme bancaire actuel. Le XXĂšme siĂšcle a largement Ă©tĂ© dominĂ© par les monnaies fiat et par lâinflation qui en rĂ©sulte. Il est possible quâil nâen soit pas de mĂȘme pour le XXIĂšme siĂšcle. Si les cryptomonnaies fascinent tant, câest en raison de leur caractĂšre subversif et de leur potentiel de libĂ©ration. Elles exacerbent le sentiment de dĂ©fiance que tout individu normalement constituĂ© ressent pour lâautoritĂ©, et sa propension Ă vouloir sâĂ©manciper de la tutelle qui lui est imposĂ©e. Câest lâune des raisons pour lesquelles je pense que cet engouement pour les cryptomonnaies ne cessera de croĂźtre au cours des annĂ©es, jusquâĂ quâelles deviennent des monnaies Ă part entiĂšre pour le commun des mortels.
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Pour écrire cet article je me suis grandement inspiré du trÚs bon ouvrage Bitcoin, la monnaie acéphale de Jacques Favier et Adli Takkal Bataille.