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Qu'est-ce que le séquenceur d'une blockchain ?

April 6th 2024 at 10:00

Le séquenceur est l'un des éléments clés de toutes les blockchains et plus particuliÚrement des layer 2. Quel est son rÎle ? Quels sont les différents types de séquenceurs ?

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Une banque de Wall Street aurait contacté un mineur pour lui acheter ses Bitcoins, seulement 2 semaines avant le halving

April 5th 2024 at 18:00

Le PDG de la ferme de minage Hut 8, Asher Genoot, révÚle qu'une banque de Wall Street aurait approché son entreprise pour acheter des Bitcoins. Cette information survient quelques mois aprÚs l'approbation des ETF Bitcoin spot et seulement 2 semaines avant le halving prévu pour le 20 avril 2024, suggérant une potentielle hausse de son adoption dans un futur proche.

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7 Banques centrales, dont la Banque de France, commencent à explorer la tokenisation pour sécuriser les échanges monétaires

April 4th 2024 at 19:00

La Banque des rĂšglements internationaux (BRI) annonce le projet AgorĂĄ, lancĂ© avec le soutien de 7 grandes banques centrales, y compris la Banque de France et la RĂ©serve fĂ©dĂ©rale des États-Unis (FED). Ce projet explore la tokenisation des monnaies fiduciaires pour optimiser les Ă©changes internationaux.

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Fungiball, le premier jeu Web3 Ă  crĂ©er une ligue fĂ©minine dans l’univers du tennis fantasy

March 7th 2024 at 14:29

Fungiball, le premier jeu de tennis fantasy du Web3, rĂ©volutionne le monde du e-sport en offrant aux fans de tennis une expĂ©rience unique. Dans un monde oĂč les femmes sont souvent sous-reprĂ©sentĂ©es dans les jeux vidĂ©o, Fungiball fait figure de pionnier en proposant la premiĂšre ligue exclusivement fĂ©minine, ouvrant ainsi la voie Ă  une plus grande diversitĂ© et inclusion dans l'Ă©cosystĂšme Web3.

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Bitget atteint 25 millions d’utilisateurs, le BGB s’élĂšve Ă  1 $, et le marchĂ© crypto monte en flĂšche

March 7th 2024 at 13:30
Logo Bitget

Le dernier rapport de Bitget fait Ă©tat d'une croissance remarquable au cours du mois de fĂ©vrier 2024, avec une base d'utilisateurs dĂ©passant les 25 millions et son token de plateforme, le BGB, franchissant la barre des 1 $, le tout dans le cadre d'un marchĂ© crypto florissant.

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3 cryptos intéressantes pour ce nouveau Bull Run

March 7th 2024 at 12:15
Top 3 des cryptos pour ce nouveau Bull Run

Le marchĂ© des crypto-monnaies connaĂźt actuellement un rallye puissant avec Bitcoin (BTC) franchissant la barre des 68 000 dollars, approchant de son plus haut historique, propulsĂ© par des afflux dans de nouveaux ETF Bitcoin. Cette hausse a suscitĂ© l’anticipation d’une ‘altseason’, soutenue par une augmentation de 50 % de la capitalisation boursiĂšre des altcoins Ă  [
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L’ÉlĂ©gance de Bitcoin : un ouvrage singulier

February 21st 2024 at 10:00

En mars 2022 j'ai dĂ©cidĂ© d'Ă©crire un livre sur Bitcoin. Cela faisait quelques temps que l'idĂ©e me trottait dans la tĂȘte, ayant accumulĂ© un certain nombre de connaissances sur le sujet et voulant exposer clairement ce que j'avais compris. Vingt-et-un mois plus tard, non sans difficultĂ©, celui-ci Ă©tait terminĂ©. Il est sorti officiellement le 31 janvier 2024 et connaĂźt depuis un lancement encourageant !

Cet article est une présentation de cet ouvrage. Il en retrace sa longue conception, en expose le contenu général et dévoile quelques-uns des sujets abordés. J'espÚre ici convaincre les quelques personnes qui hésiteraient à se le procurer.

Un projet de longue haleine

L'idée de ce projet de livre m'est venue progressivement, mais elle s'est imposée dans mon esprit au cours de l'hiver 2021. La France était alors en proie à la dure restriction du passe vaccinal, ce qui m'avait un peu ouvert les yeux sur les possibilités d'évolution de notre société. Bitcoin représentait pour moi une sorte d'espoir, un outil de liberté sur lequel focaliser mon attention, et je voulais partager cette vision de maniÚre claire et complÚte. Ayant écrit plus d'une centaine d'articles sur le sujet et ayant traduit l'ouvrage Cryptoeconomics d'Eric Voskuil, j'estimais avoir la légitimité pour écrire ce livre. J'ai annoncé ma décision début mars, quelques semaines à peine aprÚs l'invasion de l'Ukraine par la Russie et l'application de sanctions économiques drastiques contre les résidents russes.

J'ai mis au point une campagne de financement participatif en bitcoins qui permettrait de payer pour le lancement du livre et de me rĂ©munĂ©rer pour quelques mois d'Ă©criture. Celle-ci a Ă©tĂ© mise en place sur mon propre nƓud grĂące Ă  Umbrel et BTCPay Server, et relayĂ©e via un VPS louĂ© (en BTC) chez BitLaunch. La campagne a Ă©tĂ© financĂ©e principalement en BTC, mais quelques contributions ont Ă©tĂ© aussi faites en XMR et en BCH, cryptomonnaies que j'acceptais manuellement. Diverses contreparties ont Ă©tĂ© promises aux contributeurs et ont depuis Ă  peu prĂšs toutes Ă©tĂ© honorĂ©es.

Le plan de l'ouvrage Ă©tait dĂ©jĂ  cohĂ©rent et il ne changerait pas significativement tout au long de la rĂ©daction. L'idĂ©e Ă©tait de dĂ©crire l'origine avant la destination, le pourquoi avant le comment, le gĂ©nĂ©ral avant le particulier, pour former un ensemble clair et complet. Le contenu n'Ă©tait pas destinĂ© aux nouveaux venus, mais devait tout de mĂȘme rester comprĂ©hensible pour le lecteur intĂ©ressĂ©. Le propos devait se diffĂ©rencier du contenu produit par les « influenceurs » qui, en gĂ©nĂ©ral, reste souvent Ă  la surface et se limite parfois au prix et Ă  l'investissement... Il Ă©tait ainsi nĂ©cessaire que les sujets soient traitĂ©s en profondeur, y compris d'un point de vue technique.

J'ai mis toute mon Ăąme dans ce livre. J'y ai placĂ© tout ce qui avait de l'importance pour moi, tout ce qui m'avait fascinĂ© dans Bitcoin, mĂȘme si certains sujets pouvaient ĂȘtre controversĂ©s ou complexes. J'ai essayĂ© d'ĂȘtre le plus sincĂšre dans ma dĂ©marche, en indiquant d'oĂč venait ce que j'avançais : l'ouvrage contient ainsi une multitude de rĂ©fĂ©rences dissĂ©minĂ©es au sein de centaines de notes (Ă  tel point que des notes supplĂ©mentaires ont dĂ» ĂȘtre extraites et ĂȘtre hĂ©bergĂ©es en ligne). Cet ouvrage est aussi un tĂ©moignage de ma relation avec Bitcoin, notamment dans la conclusion (chapitre 15) oĂč je donne un avis plus personnel et oĂč j'Ă©mets quelques prospectives sur Bitcoin.

Au cours de la rĂ©daction, le contenu a pu ĂȘtre amĂ©liorĂ© grĂące aux diverses relectures bĂ©nĂ©voles. Je remercie grandement ceux qui ont acceptĂ© de relire un chapitre ou deux pour me signaler ce qui n'allait pas, au niveau de la forme ou du fond. Ils sont citĂ©s au dĂ©but du livre. Cet aspect m'a fait prendre conscience que l'Ă©criture d'un livre n'Ă©tait pas une tĂąche strictement individuelle : c'est un travail menĂ© par une personne unique, certes ; mais celui-ci dĂ©pend du retour et du soutien d'autres personnes. Je n'aurais jamais pu Ă©crire ce livre seul.

Assez rapidement, j'ai eu quelques contacts avec des Ă©diteurs. J'ai finalement choisi la maison d'Ă©dition spĂ©cialisĂ©e Konsensus Network pour m'aider Ă  publier l'ouvrage. Elle Ă©tait constituĂ©e de bitcoineurs passionnĂ©s et proposait le paiement en bitcoins directement dans sa boutique, deux choses essentielles de mon point de vue. J'ai notamment Ă©tĂ© en communication avec Édouard Gallego qui m'a grandement aidĂ© dans le processus (et que je remercie infiniment).

Enfin, il m'a Ă©tĂ© conseillĂ© de trouver quelqu'un qui pourrait Ă©crire une prĂ©face, car (on ne va pas se mentir) cet Ă©lĂ©ment peut faciliter les ventes. La prĂ©face sert en effet de caution intellectuelle, garantissant une certaine qualitĂ© du propos auprĂšs du public, une sorte de validation par un pair utile au discernement individuel. J'ai ainsi dĂ» chercher un prĂ©facier. C'Ă©tait une chose dĂ©licate car, de mon point de vue, la personne devait Ă  la fois m'avoir appris quelque chose (je devais lui ĂȘtre redevable) et apprĂ©cier le livre, au moins partiellement. Mon choix s'est portĂ© vers Jacques Favier, historien et co-fondateur du Cercle du Coin, que j'avais dĂ©couvert en 2017 par l'intermĂ©diaire d'une vidĂ©o de Raj de la chaĂźne Autodisciple, et dont j'avais lu l'ouvrage La Monnaie acĂ©phale co-Ă©crit avec Adli Takkal-Bataille. Jacques est quelqu'un que j'estime et dont j'apprĂ©cie les interventions orales comme Ă©crites, ainsi que les multiples livres. Il a une culture historique que je n'aurais probablement jamais et est d'une finesse remarquable quand il s'agit de parler de Bitcoin.

En octobre 2023, je lui ai formulĂ© ma demande, escomptant qu'il serait ouvert Ă  la chose, et il a acceptĂ© de relire mon manuscrit. Je savais qu'il n'apprĂ©cierait pas tout le contenu du livre, et notamment ses penchants les plus « libĂ©raux » et « autrichiens », mais j'espĂ©rais qu'il y trouverait des points qui lui plairaient. Il a finalement acceptĂ©. Il a rĂ©digĂ© une superbe prĂ©face, avec le talent d'Ă©criture que ses lecteurs lui connaissent. Le fait que nous ayons des points de vue diffĂ©rents n'est Ă  mon avis pas un dĂ©faut, d'autant plus que j'ai voulu m'adresser Ă  tout le monde. MĂȘme s'il existe Ă©videmment des opinions erronĂ©es au sujet de Bitcoin, la diversitĂ© des points de vue est une richesse qu'il convient de cultiver. Tout comme dans la cĂ©lĂšbre fable indienne oĂč des aveugles touchent chacun une partie diffĂ©rente d'un Ă©lĂ©phant et dĂ©crivent l'animal d'une façon diffĂ©rente, nous avons tous notre perspective de Bitcoin qui peut ĂȘtre valable et complĂ©mentaire par rapport aux autres, Ă  condition d'ĂȘtre de bonne foi.

Un contenu riche

Le livre a pour objectif de donner une vue d'ensemble de Bitcoin, à la fois sous des perspectives technique, historique, économique et politique. Tout d'abord, j'aborde l'histoire de Bitcoin de ses origines en 2008 à aujourd'hui (chapitres 1 et 2). Puis, j'évoque ses racines proprement dites en explorant ses fondements monétaires, politiques et techniques et en retraçant comment il s'inscrit dans une évolution déterminée (chapitres 3, 4, 5 et 6). Ensuite, je présente son modÚle de fonctionnement général, qui est plutÎt simple quand on y pense mais terriblement efficace, en décrivant tour à tour la signature numérique, le minage et la détermination du protocole (chapitres 7, 8, 9, 10, 11). Enfin, je rentre dans les détails plus techniques en m'attardant sur les rouages de Bitcoin et en abordant des thÚmes tels que la confidentialité, la programmabilité et la scalabilité (chapitres 12, 13, 14).

Table des matiÚres élégance de Bitcoin
Table des matiĂšres (cliquer pour agrandir)

Le contenu est donc trĂšs riche et saura contenter les plus curieux. Les sujets abordĂ©s dans le livre sont des sujets rĂ©els, profonds, et parfois complexes, qui sont rarement abordĂ©s dans les mĂ©dias gĂ©nĂ©ralistes. On alterne entre les idĂ©ologies politiques, les solutions techniques, l'utilitĂ© du systĂšme, la censure des transactions, l'altĂ©ration des rĂšgles de consensus ou les frais de transaction. Il ne s'agit pas de convaincre le lecteur d'« investir » dans le bitcoin, mais de lui faire prendre conscience des enjeux qui s'incarnent au sein mĂȘme de Bitcoin et de la bataille de la monnaie numĂ©rique qui se joue aujourd'hui mĂȘme.

Le titre de l'ouvrage – qui Ă©tait Ă  l'origine provisoire, mais qui s'est imposĂ© comme dĂ©finitif avec le temps – reflĂšte l'Ă©lĂ©gance rare qui caractĂ©rise la conception de base de Bitcoin. Dans le propos, cette Ă©lĂ©gance est en filigrane : vous ne trouverez pas de grand discours philosophique sur la beautĂ© ou de rĂ©cit grandiloquent Ă  propos d'une expĂ©rience mystique, mais vous pourrez ressentir cette Ă©lĂ©gance Ă  travers la façon dont Bitcoin est agencĂ©. Bitcoin tire sa force de cet aspect. Sa simplicitĂ© est Ă  la base de sa robustesse : comme l'Ă©crivait Satoshi Nakamoto dans le livre blanc, « le rĂ©seau est robuste du fait de sa simplicitĂ© non structurĂ©e ».

L'image de couverture (conçue par le talentueux ImTechnicolor) reprĂ©sente Bitcoin en tant qu'arbre dont les branches sont des pistes de circuit imprimĂ© et dont les feuilles sont des pastilles. Elle combine ainsi la nature informatique du systĂšme, qu'on retrouve dans le rĂ©seau qui le supporte, et son aspect organique, liĂ© aux ĂȘtres humains et Ă  leurs interactions Ă©conomiques et culturelles. De plus, cette illustration rĂ©sumĂ© particuliĂšrement bien les diffĂ©rents thĂšmes abordĂ©s dans l'ouvrage : les racines techno-idĂ©ologiques de Bitcoin retraçant ce qui a pu mener Ă  sa dĂ©couverte ; son caractĂšre essentiellement pluriel, qui se transcrit dans les diffĂ©rentes scissions et les versions alternatives du protocole ; sa chaĂźne de blocs, que Satoshi dĂ©crivait comme « une structure en forme d’arbre qui a pour racine le bloc de genĂšse, chaque bloc pouvant avoir plusieurs candidats Ă  sa suite » ; et enfin les arbres de Merkle, qui interviennent dans les blocs pour agencer les transactions. J'en suis particuliĂšrement satisfait.

Une perspective différente

Beaucoup de contenu sur Bitcoin se concentre sur les choses qui plaisent au grand public. Le nerf de la guerre numérique étant l'attention, il faut aborder les sujets de maniÚre péremptoire et simpliste, qui parle au plus grand nombre sans trop le bousculer. Il convient ainsi bien souvent d'évoquer le pouvoir d'achat de nos monnaies qui s'érode et le prix du bitcoin qui monte en conséquence, dans une vision schématique du phénomÚne. En général, on ne cherche pas trop à revenir sur les racines cypherpunks de Bitcoin, ni à mettre en avant qu'il permet de contrevenir à la loi positive ou de s'adonner à certains vices. On évite également de parler de ses faiblesses et de ses limites, voulant convaincre autrui d'en acheter un peu.

Étant anticonformiste, je m'oppose Ă  cette vision des choses, qui a ses mĂ©rites (je le concĂšde) mais qui ne cadre pas avec ce que Bitcoin vĂ©hicule. Je pense qu'il est profitable de dire ce qui nous semble ĂȘtre la vĂ©ritĂ© de maniĂšre crue et directe, quitte Ă  dĂ©plaire aux plus modĂ©rĂ©s. Cet ouvrage a Ă©tĂ© Ă©crit dans cette optique et de multiples sujets polĂ©miques sont abordĂ©s. En voici quelques-uns.

Bitcoin possĂšde des racines idĂ©ologiques profondes. Bitcoin n'est pas un assemblage technique neutre, mais possĂšde des valeurs qui sont inscrites dans le code du logiciel, qui peuvent ĂȘtre identifiĂ©es dans les Ă©crits de son fondateur et qui se retrouvent au sein de sa communautĂ©. La valeur principale est bien entendu la libertĂ©, le but de Bitcoin Ă©tant, comme l'Ă©crivait Satoshi, de « conquĂ©rir un nouveau territoire de libertĂ© pour plusieurs annĂ©es ». Parmi les mouvements qui ont influencĂ© la dĂ©couverte de Bitcoin, on peut citer le libertarianisme amĂ©ricain moderne initiĂ© par Murray Rothbard dans les annĂ©es 60, l'agorisme de Samuel Konkin III, le mouvement libriste dĂ©butĂ© par Richard Stallman dans les annĂ©es 80, l'extropianisme transhumaniste de Max More, et le mouvement cypherpunk des annĂ©es 90 reprĂ©sentĂ© par Tim May. Les expĂ©riences de monnaies numĂ©riques forment aussi une indication de la longue quĂȘte qui a menĂ© Ă  la cryptomonnaie. Je ne suis Ă©videmment pas le premier Ă  parler de cette « prĂ©histoire » de Bitcoin : des livres ont Ă©tĂ© Ă©crits Ă  ce sujet – dont notamment Digital Cash de Finn Brunton et The Genesis Book d'Aaron van Wirdum, sorti trĂšs rĂ©cemment – et des Ă©pisodes de podcast y ont Ă©tĂ© consacrĂ©s – et en particulier les premiers Ă©pisodes de celui d'Urbantech.

L'argent liquide physique va disparaßtre. Tout comme la monnaie a transitionné de la monnaie métallique au papier-monnaie, celle-ci subit une transformation similaire en devenant peu à peu une monnaie entiÚrement numérique. Cette évolution est aujourd'hui en cours en Occident et devrait se finaliser dans les décennies à venir, sauf dans le cas d'une prise de conscience massive. Nous nous retrouverons dans un monde utilisant principalement de la monnaie numérique de banque centrale et ses dérivés privés, dans lequel le rÎle de l'argent liquide papier aura été rendu obsolÚte et négligeable. La surveillance et la censure financiÚres pourront se déployer comme jamais auparavant. Dans ce monde aux aspects dystopiques, Bitcoin formera une alternative cruciale pour la liberté.

Bitcoin est une monnaie de dĂ©sobĂ©issance. Bitcoin n'a d'utilitĂ© propre par rapport au dollar et Ă  l'euro que dans la mesure oĂč il existe en dehors des lois et de l'intervention des banques. Par sa rĂ©sistance Ă  la censure (aspect largement mis en valeur dans le livre), cet outil est fait pour dĂ©sobĂ©ir aux autoritĂ©s en charge, chose qui peut ĂȘtre jugĂ©e lĂ©gitime ou non. Il garantit la libertĂ© de transaction pour des activitĂ©s sensibles comme la libertĂ© d'expression, l'opposition politique dans les pays, l'envoi de fonds Ă  l'Ă©tranger, et plus gĂ©nĂ©ralement l'Ă©conomie parallĂšle.

L'adoption de masse n'aura pas lieu. L'adoption de masse du bitcoin est dĂ©sirable dans la mesure oĂč elle permettrait Ă  tous de disposer d'une monnaie libre, et empĂȘcherait les diverses manipulations monĂ©taires rĂ©alisĂ©es par les États et par les banques. C'est pour cela qu'elle est souvent prĂ©sentĂ©e comme un objectif Ă  atteindre, comme si les monnaies fiat pouvaient disparaĂźtre dans une hyperbitcoinisation fulgurante. Cependant, il est illusoire de croire qu'une telle adoption pourrait survenir du jour au lendemain, et tous ceux qui ont travaillĂ© sur le terrain peuvent en tĂ©moigner. L'utilisation de Bitcoin suppose des contraintes variĂ©es (comme la volatilitĂ© du pouvoir d'achat, les frais de transaction, le manque de scalabilitĂ© et la rĂ©glementation dissuasive), ce qui crĂ©e une barriĂšre Ă  l'entrĂ©e que tout le monde n'est pas prĂȘt Ă  franchir. La sobriĂ©tĂ© du discours pourrait ainsi ĂȘtre bĂ©nĂ©fique.

Le passage Ă  l'Ă©chelle se fera (aussi) par le recours aux mises en Ɠuvre alternatives de Bitcoin. Comme tout le monde le sait, Bitcoin ne passe pas Ă  l'Ă©chelle en tant que systĂšme unique : le nombre de transactions pouvant ĂȘtre incluses dans un bloc est restreint par une limite de poids de blocs, et les solutions de seconde couche censĂ©es amĂ©liorer cette capacitĂ© de traitement, comme le Lightning Network, sont par essence imparfaites, puisque reposant sur le rĂšglement des litiges sur la chaĂźne. Toutefois, il existe une troisiĂšme voie pour accroĂźtre le nombre de transferts : c'est l'utilisation de monnaies de substitution, c'est-Ă -dire de cryptomonnaies alternatives libres et dĂ©centralisĂ©es possĂ©dant des caractĂ©ristiques proches de BTC (propriĂ©tĂ© entiĂšre, rĂ©sistance Ă  la censure, rĂ©sistance Ă  l'inflation) mais n'offrant pas la mĂȘme sĂ©curitĂ©. Cet effet peut dĂ©jĂ  ĂȘtre observĂ© lors de la hausse de frais sur le rĂ©seau lorsque les utilisateurs ont recours Ă  d'autres cryptomonnaies (2023 en a Ă©tĂ© un bel exemple avec Ordinals). En parallĂšle, certaines boutiques en ligne focalisĂ©es sur Bitcoin ont compris le phĂ©nomĂšne Ă  l'instar de Bitrefill, qui accepte le litecoin (LTC) et d'autres cryptomonnaies, et de ShopInBit, qui accepte le monero (XMR). De maniĂšre gĂ©nĂ©rale, cette solution pourrait s'imposer Ă  long terme de la mĂȘme maniĂšre que l'argent a pu ĂȘtre le complĂ©ment de l'or pendant des siĂšcles avant d'ĂȘtre dĂ©monĂ©tisĂ© en 1873, Ă  condition bien sĂ»r que la demande pour Bitcoin ne soit pas trop faible et qu'une solution de scalabilitĂ© rĂ©volutionnaire ne soit pas dĂ©couverte entretemps.

OĂč se procurer l'ouvrage

Vous retrouverez ainsi, dans cet ouvrage qui présente une vision profonde et cohérente de Bitcoin, du contenu qui n'a pas forcément été abordé dans la langue de MoliÚre. Ce sera, je l'espÚre, une lecture qui saura se démarquer des autres.

Vous pouvez vous procurer l'ouvrage sur la boutique de Konsensus Network, oĂč il est possible de payer en BTC et en euros. Il est aussi disponible Ă  la vente sur Amazon Ă  un prix plus Ă©levĂ© et dans un format lĂ©gĂšrement diffĂ©rent : l'objet est plus grand et plus lourd, et le papier un peu plus blanc. Les Ă©valuations positives sont bien Ă©videmment les bienvenues si vous avez effectuĂ© un achat sur la plateforme rĂ©cemment ; cela aidera Ă  amĂ©liorer la visibilitĂ© du livre. Le livre peut Ă©galement ĂȘtre retrouvĂ© sur le site de la FNAC. Un format numĂ©rique (epub) devrait ĂȘtre proposĂ© prochainement, sur toutes les plateformes.

Enfin, prĂ©cisons que vingt-et-un jetons non fongibles (NFT) liĂ©s au livre ont Ă©tĂ© forgĂ©s via le protocole Ordinals, dont la liste des identifiants a Ă©tĂ© incluse dans le livre. Ils sont en voie d'ĂȘtre distribuĂ©s aux contributeurs et aux relecteurs.

75 - La confiance par décret ?

February 8th 2018 at 17:58

On parle maintenant de Bitcoin, au sommet mĂȘme de l'État, comme d'un facteur de risque systĂ©mique (face Ă  des trillions de monnaies lĂ©gales et des ploutillons d'actifs rĂ©gulĂ©s ou non, mais gĂ©rĂ©s par des gens du systĂšme). Façon de dire que cette expĂ©rience menacerait le systĂšme financier mondial. Mais l'essentiel de la littĂ©rature sur ce fĂącheux bitcoin Ă©mane encore, du moins pour celle qui est prise en compte par les rĂ©gulateurs, les politiques et les journalistes, de ce systĂšme financier lui-mĂȘme. Et ceci ne choque personne. C'est comme cela : quand une banque s'estime victime d'un de ses employĂ©s, le juge choisit cette mĂȘme banque comme experte, et il faut des annĂ©es pour que cela pose des cas de conscience Ă  certains.

La fonction de rĂ©gulation appartient en thĂ©orie Ă  la puissance publique. Ce qui la fonde en droit, c'est Ă  la fois la sĂ©curitĂ© de l'État, celle de la population, et la nĂ©cessaire confiance de celle-ci dans celui-lĂ . On rĂ©gule donc largement (et sous des vocables divers : rĂ©gulation, supervision, contrĂŽle, normalisation, homologation...) les produits financiers comme les mĂ©dicaments, les communications Ă©lectroniques, les jeux en ligne ou les voitures Ă  moteurs. Mais toujours avec les mĂȘmes mots: confiance et sĂ©curitĂ©.

Or si la sécurité est un fait que l'on peut cerner par des mesures objectives (quand elles ne sont pas manipulées) la confiance est un sentiment humain. A priori on ne peut pas la décréter, pas davantage que l'amour ou le respect, par exemple.

le vaccin monétaireDans une double page publiée en janvier par le Monde diplomatique, la journaliste Leïla Shahshahani a abordé à travers les vaccinations obligatoires, le débat confisqué sur un sujet qui me parait nous concerner de façon patente.

Je m'empresse de dire que je n'ai pas trop d'idées sur la question, parce qu'en soi les histoires médicales m'ennuient. Mes enfants ont été vaccinés.

Ce qui m'intéresse ici, ce sont la confiscation d'un débat, l'instauration d'une prétendue « confiance » par la coercition, les erreurs et les dérives qu'un tel systÚme rend fatales.

En quoi cette vaccination obligatoire peut-elle intéresser ceux qui suivent l'actualité de Bitcoin ?

  • En ce qu'il s'agit d'un systĂšme (la santĂ© publique) auquel il est pour notre sĂ©curitĂ© pratiquement impossible d'Ă©chapper comme il est pratiquement obligatoire d'avoir un compte en banque.
  • Mais aussi en ce qu'il s'agit d'un secteur qui, comme le systĂšme monĂ©taire, n'est rĂ©gulĂ© finalement que par lui-mĂȘme, c'est Ă  dire par personne en fait.

Ce qui m'a frappé, dÚs la fin du premier alinéa de l'article, c'est le sentence presque comique par laquelle la ministre des Solidarités et de la Santé, la docteur AgnÚs Buzyn assume pleinement une posture proprement ubuesque : « La contrainte vise à rendre la confiance ».

Quand on a fini d'en sourire, on peut se demander s'il ne faut pas en trembler. Évidemment le propos est tenu par une scientifique, ministre d'un Etat de droit. Serait-il profĂ©rĂ© par l'un de ces dictateurs grotesques que la tĂ©lĂ©vision exhibe toujours Ă  bon escient pour nous faire sentir la chance que nous avons de sommeiller en paix dans un semblant de social-dĂ©mocratie, on en ferait presque un motif d'intervention humanitaire.

confianceSur le fond, on notera que le Conseil d'Etat ayant fait injonction au MinistÚre de faire en sorte que les parents qui le souhaitaient puissent vacciner leur progéniture avec un vaccin simple (DTP) sans adjonction de 3 souches non obligatoires, on a préféré changer la loi et décider qu'on mettrait 11 souches. On aurait aussi bien pu changer la Constitution, puisque, selon une autre parole forte d'une grande démocrate (Madame Touraine) « La vaccination, ça ne se discute pas ». On sait depuis Monsieur Valls que la liste des sujets exclus des champs de la réflexion, de la discussion, voire de la simple curiosité, a tendance à s'élargir.

Comme, hĂ©las, il reste des esprits retors prĂȘts Ă  discuter de tout au vain prĂ©texte que nous serions nĂ©s libres et Ă©gaux et vivrions dans une dĂ©mocratie oĂč la souverainetĂ© Ă©mane du peuple dĂ©libĂ©rant, les mensonges d'Etat tiendront lieu d'argument. « Des enfants meurent de la rougeole aujourd'hui en France » dĂ©clare ainsi tout en finesse le premier ministre, oubliant de prĂ©ciser que ce seraient justement ceux que leur dĂ©ficit immunitaire rendrait non vaccinables.

En fait de sĂ©curitĂ©, c'est la peur que l'on instille, jusque dans les couloirs du mĂ©tro, avec des images oĂč l'on ne sait s'il s'agit d'un labo ou du siĂšge de la Stasi...

la stasi médicale

En l'absence de tout dĂ©bat rĂ©el (en demander un c'est dĂ©jĂ  se faire mal voir), seuls des mĂ©decins gĂ©nĂ©ralistes auront estimĂ© totalement disproportionnĂ©e la privation de collectivitĂ© pour les enfants non vaccinĂ©s au regard de risques « inexistants ou infinitĂ©simaux ». Mais un ministre ne va tout de mĂȘme pas Ă©changer avec des toubibs de quartier...

une petite piquereLe problĂšme d'une confiance imposĂ©e par la coercition, mĂȘme emballĂ©e en grande cause et ficelĂ©e de mensonges, c'est qu'elle est peu efficace, et que son inefficacitĂ© la mine rĂ©guliĂšrement : la frĂ©nĂ©sie de vaccin contre l'hĂ©patite B dans les annĂ©es 1990 a dĂ©bouchĂ© sur le feuilleton de sa responsabilitĂ© dans des cas de sclĂ©rose en plaque ; la mĂ©diocre efficacitĂ© de la mobilisation de 2009-2010 contre la grippe H1N1 (6 millions de doses utilisĂ©es sur les 94 millions de doses payĂ©es aux labos) a mis en lumiĂšre des contrats que le SĂ©nat lui mĂȘme considĂ©ra comme d'une lĂ©galitĂ© douteuse ; l'utilisation du Pandemrix fut ensuite officiellement mise en cause comme coupable de cas de narcolepsie...

Une part notable de la population continue donc à ne ressentir qu'une médiocre confiance, malgré des non-lieux jugés suspects et les débats trop clairement faussés. Mais les laboratoires prospÚrent et il n'est pas interdit de penser que ce soit là l'essentiel.

Sur la forme, de mauvais esprits noteront justement l'imbroglio de conflits d'intĂ©rĂȘts, chez des membres mĂ©decins voire chez le prĂ©sident du ComitĂ© d'Orientation, et mĂȘme chez certains ministres. La journaliste du Monde diplomatique ne s'Ă©tend pas sur ce qu'on dĂ©signe communĂ©ment comme un mĂ©canisme de capture du rĂ©gulateur. Je n'en dirai donc pas davantage, ce qui m'Ă©vitera de paraĂźtre indĂ©licat, ou d'ĂȘtre poursuivi en diffamation.

Ce que l'on appelle en anglais la regulatory capture est une théorie économique qui a un gros mérite : elle se vérifie empiriquement pratiquement chaque année à une occasion ou une autre. (j'ajoute quelques semaines aprÚs la rédaction de cet article une amusante démonstration empirique, à lire ici)

unregulatedC'est un Prix "Nobel" d'économie appartenant à l'école de Chicago, Georges Stigler (1911-1991) qui l'a théorisée. Mais ceux que la langue anglaise ou la théorie économique rebutent n'ont qu'à suivre les grands procÚs qui suivent les grands dérapages...

Les mots de rĂ©guler, rĂ©gulation, rĂ©gulateurs reviennent comme un mantra dans tous les discours publics. Cependant, de scandale du Mediator en scandale Volkswagen, on voit toujours les mĂȘmes ficelles. Il est prudent d'aller prendre chez Stigler la vraie mesure de ce qu'est la rĂ©gulation.

Concluons en revenant explicitement Ă  Bitcoin.

Il est fort douteux que la rĂ©gulation, confiĂ©e Ă  des autoritĂ©s trĂšs proches Ă  tous Ă©gards du secteur bancaire et financier classique, ne produise autre chose qu'une dĂ©fense tatillonne du secteur bĂ©nĂ©ficiant dĂ©jĂ  de la plus forte protection imaginable (au mĂȘme niveau que l'industrie nuclĂ©aire) contre les nouveaux entrants.

Il est donc frustrant que les autorités politiques n'imaginent guÚre d'autres voies d'action politique sur une innovation majeure que la régulation, qu'elles n'organisent pas de rencontre ou de concertation sans que les représentants des autorités de régulation ne représentent la majorité du tour de table.

Enfin il est inquiĂ©tant de voir que les mĂ©dias participent de la mĂȘme confusion, en prĂ©sentant sans distance critique les rĂ©gulateurs comme des experts, quand bien mĂȘme il s'agit d'une innovation qu'ils sont bien moins soucieux de comprendre que de combattre.

70 - In excelsis (les lauriers et les tulipes)

November 19th 2017 at 17:03

Aujourd'hui un bitcoin vaut un peu moins de 200 grammes d'or. Quels grammes d'or, alors, peuvent bien valoir prĂšs de 8 bitcoins chacun ?

La derniĂšre feuille de laurier de 1804

Les derniers jours ont été riches (c'est le mot) en révélations de trésors.

A Cluny, la dĂ©couverte de 2.300 deniers et oboles en argent, en majoritĂ© Ă©mises par l'abbaye de Cluny, mais aussi de 21 dinars musulmans en or, rappelle opportunĂ©ment quelques faits qui viennent rogner les Ă©ternelles prĂ©tentions rĂ©galiennes : l'abbĂ© de Cluny bat monnaie dans une premiĂšre moitiĂ© du XIIĂšme qui est pourtant celle de Philipe Auguste, non du roi Dagobert. Et les moines thĂ©sauriseurs ne dĂ©daignent point l'or que les Almoravides frappent bien avant que saint Louis ne puisse reprendre la frappe de l'or, interrompue en Occident durant plus de 2 siĂšcles. MĂȘme si ces dinars proclament que Muhammad est le ProphĂšte de Dieu, ce qui n'Ă©tait pas spĂ©cifiquement dans ce qu'on appellerait aujourd'hui "nos valeurs".

le dinar et l'Ă©cu

En revanche c'est la figure du Christ, Sauveur du Monde, qui vient de pulvĂ©riser toutes les estimations et toutes les enchĂšres antĂ©rieures. Un thĂšme assez commun en ce dĂ©but du XVIĂšme siĂšcle, et que Van Eyck et DĂŒrer ont dĂ©jĂ  exploitĂ©. Mais c'est le seul tableau du maĂźtre de Florence encore en mains privĂ©es. Qui peut jurer que ce petit tiers de mĂštre-carrĂ© peint il y a un peu plus d'un demi millĂ©naire ne vaut pas le double?

JĂ©sus devant ses juges ?

Enfin le dernier laurier rescapé de la couronne d'un demi-dieu vaut donc depuis ce dimanche 1500 fois son poids d'or, et je n'en suis pas étonné encore que l'objet ait dépassé 3 fois la fourche haute de l'estimation. No limit...

On connait l'Ă©pisode. Essayant le chef d'oeuvre de l'orfĂšvre Biennais, le jeune empereur la trouve trop lourde. " C'est le poids des victoires de votre MajestĂ©" lui rĂ©pond l'habile homme, qui enlĂšvera tout de mĂȘme quelques feuilles, les sauvant ainsi, au passage, de la destruction par les autoritĂ©s officielles, quelques annĂ©es plus tard.

Que nous disent ces anecdotes, sur la raretĂ©, la beautĂ©, la valeur... mais aussi sur la valeur des expertises ? Depuis qu'au mois de mai l'envol des cours de Bitcoin a pris un nouvel essor, on a fort naturellement assistĂ© Ă  de nouvelles imprĂ©cations d'experts. Cela va de Monsieur Trichet qui estime dans Le Temps qu'une monnaie doit porter sa signature ("J’ai signĂ© tous les billets de banque en euros, j’ai tendance Ă  considĂ©rer que cela veut dire quelque chose de garantir la crĂ©dibilitĂ© d’une monnaie") Ă  tous ceux qui ont mĂ©ritĂ© un "prix Tulipe" pour avoir brandi ce lieu commun de l'histoire financiĂšre sans la moindre compĂ©tence historique ni le moindre scrupule financier : d'autres princes d'Ancien-RĂ©gime comme Jamie Dimon ou Cyril de Mont-Marin (Rothschild & Cie) sur Les Echos, et puis leurs mousquetaires comme Marc Rousset sur Boulevard Voltaire oĂč il estime que Bitcoin est "un exemple type de la folie spĂ©culative contemporaine", Marc Touati qui tranche sur acdefi.com qu'on "nage en plein dĂ©lire", Jean-François Faure sur Challenges,... Sans compter le fĂ©cond Pascal Ordonneau qui rĂ©pĂšte tous les 8 jours et dans tous les sens ses trois ou quatre lazzi.

"Ça ne repose sur rien": tout est dit. MĂȘme si cela se rĂ©sume vite Ă  : "ce n'est pas mon systĂšme, je ne l'ai pas signĂ©, il n'y a pas de gens comme nous derriĂšre tout cela, vous n'avez mĂȘme pas la LĂ©gion d'Honneur". On peut imaginer que ce sont les mĂȘmes, des hommes d'Ancien RĂ©gime, qui ont fondu de rage la couronne de l'enfant prodigue de la gloire.

Et si Bitcoin devenait un objet de collection ? J'ai déjà écrit que l'art est dans la nature de Bitcoin... Celui qui aurait 21 bitcoins ( un peu moins que le prix du laurier napoléonien!) possÚderait un millioniÚme d'une chose qu'il peut (dans un régime de liberté d'opinion) considérer comme un trésor inestimable né de l'esprit d'un demi-dieu.

C'est cher ? Oui. C'est le poids des victoires...

la racine de 2Victoires sur qui? Sur les généraux byzantins, la nature réplicable des objets numériques, les centralisateurs, les puissants...

Victoire de qui ? D'un inconnu, certes.

Mais... Qui a calculé la racine de 2 ? Qui a écrit a Bible? Qui a fondé Rome ?

Le Louvre n'est-il pas rempli de trésors anonymes : qui a sculpté la Vénus de Milo ? qui a peint vers 1350 le portrait de Jean II (créateur du "franc")? Qui a peint un siÚcle plus tard la Crucifixion du Parlement de Paris ? Et encore 150 ans plus tard, qui a peint la troublante Gabrielle d'Estrées ?

Quand les descendants de Trichet, Dimon & Cie auront accumulĂ© des bitcoins, peut-ĂȘtre la valeur de ceux encore "en mains privĂ©es (et pseudonymes)" sera-t-elle propulsĂ©e Ă  des sommets ? La petite peinture de Vinci a vu son cours multipliĂ© par 3,5 en 4 ans, et par plus de 1300 en 17 ans. Qui peut jurer que le petit laurier s'il repasse en vente ne vaudra pas un million ?

Quel "expert" veut Ă©crire encore une bĂȘtise ? Il reste certainement des prix Ă  attribuer Ă  ceux qui confondront les tulipes et les lauriers...

68 - La Banque de France et le Moulin du Louvre

November 8th 2017 at 19:00

La publication il y a quelques semaines, sous la plume de M. Christian Pfister, haut responsable de la Banque de France et professeur associé à l'IEP, d'un document de travail consacré aux monnaies numériques est en soi un événement important. Si son titre, Much ado about nothing, est adroitement inspiré de William Shakespeare, le lecteur français pourra regretter qu'une institution fondée par Napoléon communique ses pensées en langue anglaise. Qu'on me pardonne ce patriotisme.

Cependant, aprÚs un coup de chapeau initial au fonctionnement de la chose - qu'on l'appelle DL (citée 6 fois) ou Blockchain (8 occurrences du mot) - c'est bien Bitcoin (16 apparitions) qui est le sujet de la note, et surtout, malgré de prudentes protestations, l'hypothÚse de l'émission d'un jeton numérique fiduciaire par une institution publique. Je ne m'en étonnerai certainement pas, ayant déjà noté il y a bien des mois que « la Banque a les jetons ».

La Galerie dorée revisitée

Le document de travail de Christian Pfister mérite donc une lecture attentive de sa version complÚte en anglais , lecture que j'ai faite en ayant à l'esprit un précédent historique non sans quelque rapport.

Notons d'abord que la compréhension de la nature du bitcoin (jeton numérique, unité de compte endogÚne et incentive indispensable dans son systÚme) marque un heureux progrÚs sur le genre de littérature qui était encore courant il y a peu. Tou cela, pourrait-on dit, est de bon aloi.

Partant de la supposition honnĂȘte que l'usage d'une monnaie numĂ©rique peut se justifier de bien des points de vue (pas tous malhonnĂȘtes ou imbĂ©ciles!) l'auteur examine plusieurs scĂ©narios, tant du point de vue des individus que de celui de diverses sortes d'institutions, pour une adoption croissante de ces monnaies, selon divers degrĂ©s d'adoption.

Bien sûr les petits bonbons au cyanure ne sont pas absents du texte : l'existence d'un incentive par jetons y est ainsi décrite comme «un élément inhérent de bulle» tandis que l'absence de rémunération dans les DL semble ne pas poser de problÚme de sécurité, et que le coût de la distribution, aussi restreinte soit-elle, n'est guÚre évoqué. Il est toujours amusant de voir des gens de finance ne pas s'inquiéter des coûts.

Mais la privacy est correctement abordĂ©e, tant par sa finalitĂ© lĂ©gitime que par la possibilitĂ© dĂ©jĂ  offerte de la prĂ©server avec les petits bouts de papiers de la Banque Centrale. Ce dĂ©tail, dira-t-on, pouvait difficilement ĂȘtre Ă©ludĂ©.

Ces remarques faites, on en vient aux hypothÚses d'adoption et à leurs conséquences sur la politique monétaire.


  • Le scenario "A", restreint, repose sur un usage par les seules institutions financiĂšres de diverses DL les amenant Ă  Ă©prouver un moindre besoin de monnaie Banque Centrale.
  • Le scenario "B" voit s'instaurer une cohabitation-convergence entre la monnaie fiat et des jetons numĂ©riques rĂ©gis par des institutions centralisatrices (et si on appelait cela des banques commerciales ?) qui, selon le degrĂ© de sophistication de leur jeton, pourraient les faire servir Ă  la gestion des comptes courant ou des dĂ©pĂŽts Ă  terme. Encore qu'on puisse supposer comme le remarque l'auteur finement (ou plaidant pour sa paroisse) que les particuliers prĂ©fĂšreront la privacy offerte par le bon vieux cash.
  • Le scenario "C" est celui de l'Ă©mission de ce qu'un jargon nouveau dĂ©signe comme de la CBDC et que je prĂ©fĂšre appeler un jeton cryptographique fiducaire, libellĂ© naturellement dans l'unitĂ© de compte lĂ©gale.

En lisant les sous-variantes du scénario "C" on en vient à se dire qu'il y a une vraie tentation à la Banque de France, qui pourrait penser à cette monnaie crypto-fiduciaire pour rémunérer les dépÎts, ou imposer des taux négatifs. Comme le savent toux ceux qui réfléchissent à la chose, une banque centrale est en position... centrale, justement, sur ce sujet d'une (vraie) monnaie numérique. Il reste à gérer avec diplomatie les conséquences d'une telle décision pour les banques commerciales, en soulignant par exemple que cette monnaie crypto-fiduciaire serait une meilleur monnaie de rÚglement de leurs blockchains consortiales que tous les USC privés dont on nous bat les oreilles (on en conviendra!) tout en niant l'évidente préférence que devrait manifester le public pour ce jeton fiduciaire au détriment des jetons scripturaires privés. A défaut de le démontrer, l'auteur affirme qu'il «ne voit pas de claire raison pour laquelle le public préfÚrerait utiliser une CBDC émise par une agence gouvernementale plutÎt que celle des banques privées (...) avec lesquelles ils ont des relations de long terme». Government agency pour désigner une banque centrale, je n'aurais pas osé.

Mais la suite de la note (abordant les consĂ©quences quant aux relations entre la Banque Centrale et les banques de la place) tend Ă  laisser penser que le scĂ©nario d'une prĂ©fĂ©rence du public pourrait ĂȘtre d'ores et dĂ©jĂ  dans les cartons.

En ce qui concerne les conséquences de la montée en puissance de Bitcoin pour la politique monétaire, l'auteur en revient au risque de déflation que son offre limitée ferait peser, tout en notant qu'en réalité son usage restera modeste, sans rappeler (comme je dois le faire vicieusement) que le cours haussier du bitcoin reflÚte diverses choses qui augmentent, dont justement le nombre de transactions (1) et la taille de son réseau (2).

Au niveau de la cohabitation des monnaies, plusieurs choses me chagrinent :

  • Le document de travail ne semble envisager la cohabitation entre Bitcoin et la monnaie lĂ©gale (papier, numĂ©rique ou en compte) que sous forme de lutte et de volontĂ© de substitution (pour dire que Bitcoin gĂšne - quitte Ă  exagĂ©rer ce qui s'est rĂ©ellement passĂ© Ă  Chypre - mais qu'il ne pourra pas l'emporter). C'est nier la possibilitĂ© que Bitcoin se fasse sa « niche » dans le systĂšme mondial.
  • Plus profondĂ©ment encore, l'auteur semble penser que Bitcoin et les monnaies lĂ©gales jouent sur le mĂȘme terrain physique (avec des gens, des acteurs, des Ă©tablissements tous plus ou moins hĂ©ritĂ©s du passĂ©) alors que Bitcoin a son propre terrain de jeu - immense au demeurant : le cyber-espace. J'ai souvent souri de la rage qui prend en France de rĂ©guler le bitcoin : y rĂ©gule-t-on le dollar, la livre, le franc suisse, le rouble ? Ils circulent pourtant (via Visa ou dans des valises) et leur circulation ne concerne Ă©ventuellement que la police, au titre de mĂ©faits commis, non de l'instrument avec lequel ces mĂ©faits sont commis. Et si l'on considĂ©rait une bonne fois pour toute le bitcoin comme la monnaie de la Lune ?
  • Il n'est nulle part fait mention du rĂŽle qu'une monnaie lĂ©gale numĂ©rique pourrait jouer, sur le territoire oĂč elle circulerait, comme interface avec Bitcoin, son univers et ses richesses. Sans doute ceci est-il une autre histoire, et cette histoire concerne-t-elle les responsables politiques et non la Banque, mais il me paraĂźt vraiment important de la mentionner.

Je vais donc conclure en historien (avant qu'on se charge de me rappeler que je ne suis pas Ă©conomiste!) et ma conclusion sera rĂ©solument optimiste. Quand je lis que «mĂȘme dans le cas extrĂȘme et trĂšs improbable oĂč la Banque Centrale Ă©mettrait des jetons numĂ©riques fiduciaires ayant les attributs de dĂ©pĂŽt bancaire, et oĂč le public les adopterait massivement...» ces clauses de style me font penser au Moulin du Louvre !

La monnaie a une histoire qui est financiĂšre, politique mais aussi technique. Pendant des siĂšcles, la frappe au marteau rĂ©gna, bien qu'elle prĂ©sentĂąt le grave inconvĂ©nient de produire des piĂšces qui n’étaient pas parfaitement rondes, et dont les dessins et inscriptions n’étaient pas toujours identiques.

Au milieu du 16Ăšme siĂšcle, Ă  Augsbourg, on inventa la frappe au balancier, avec une presse Ă  vis inspirĂ©e par la presse d’imprimerie. En France, le roi Henri II fit installer une de ces machines dans la maison dite du Moulin du Louvre, Ă  l'emplacement de l’actuelle place Dauphine. MalgrĂ© l’opposition des maĂźtres monnayeurs, attachĂ©s Ă  leur routine, il crĂ©a la Monnaie du Moulin du Louvre, distincte de la Monnaie de Paris, avec les mĂȘmes attributions que les autres ateliers monĂ©taires royaux.

Monnaies au balancier de Pau frappĂ©es par Henri II de Navarre puis sa fille Jeanne d'AlbretCette expĂ©rience parisienne fut interrompue par sa mort en 1559. En 1563, un arrĂȘt de la Cour des Monnaies interdisait le monnayage au balancier : le Moulin du Louvre ne pourrait plus fabriquer que des mĂ©dailles. Un grand classique du genre dans la guerre des Anciens et des Modernes. Mais une simple pause dans la marche de l'histoire.

Dans le petit royaume de Navarre encore indĂ©pendant, un autre Henri II, frappait aussi au balancier, et sa fille, la reine Jeanne (mĂšre de notre Henri IV) continua. Comme quoi le progrĂšs peut venir de l'Ă©tranger, des marges et ... des femmes ! Que la reine de Navarre soit ici proclamĂ©e ancĂȘtre des bitcoineuses !

En 1640, la France (dont les Ă©changes commerciaux Ă©taient alors en excĂ©dent...) Ă©tait inondĂ©e d'or espagnol. Louis XIII ordonna la fonte de toutes les espĂšces d’or et leur conversion en Ă©cus du titre et poids de l’écu français de 3,37 grammes Ă  23 carats. Une simple opĂ©ration de refonte, pour faire disparaĂźtre les piĂšces usĂ©es ou rognĂ©es.

frappée au marteau

Mais, insistant sur le besoin d’une monnaie de qualitĂ©, le roi rĂ©-ouvrit en douce le Moulin du Louvre, en laissant subsister la frappe au marteau dans les autres ateliers du royaume. En rĂ©alitĂ©, il s’agissait de rendre opĂ©rationnel l’instrument technique de la rĂ©forme que l’on prĂ©parait discrĂštement, en veillant Ă  ne pas alerter les monnayeurs traditionnels.

Enfin, trois mois plus tard, et comme s’il s’agissait d’un simple amĂ©nagement technique, le roi se dĂ©clara rĂ©solu Ă  convertir les grosses pistoles espagnoles qui avaient cours dans son royaume, en d’autres piĂšces d’or du poids mais aussi du titre (22 carats) des pistoles d’Espagne « pour ne pas charger (incommoder) ses sujets », mais sous son nom Ă  lui, et en confiant la tĂąche Ă  la Monnaie au Moulin...

Certes le roi fit passer cette mesure comme une dĂ©rogation exceptionnelle au systĂšme monĂ©taire de la France qui Ă©tait formellement maintenu avec son vieil Ă©cu. Le « louis » fut prĂ©sentĂ© comme un instrument monĂ©taire accessoire, strictement destinĂ© Ă  franciser des piĂšces espagnoles, pesant le poids de deux Ă©cus de France, mais contenant un peu moins d’or pur. En fait Louis XIII venait de crĂ©er une zone monĂ©taire franco-espagnole. Le « louis », cette piĂšce de circonstance, connut un succĂšs et une longĂ©vitĂ© qui en firent, pour longtemps, le symbole mĂȘme de la monnaie de France. La fabrication des vieux Ă©cus, formellement maintenue en 1640 comme monnayage principal, fut abandonnĂ©e dĂšs 1656, et c’est le louis d’or qui resta, jusqu’à la RĂ©volution, la piĂšce d’or Ă©talon.

frappée au balancier

Il y a dans cette vieille anecdote, me semble-t-il, bien des enseignements. La monnaie doit ĂȘtrede qualitĂ©, n'en dĂ©plaise aux monnayeurs Ă  l'ancienne. Elle doit ĂȘtre techniquement adaptĂ©e Ă  l'Ă©poque. Elle doit ĂȘtre Ă  mĂȘme de crĂ©er des zones d'Ă©change aisĂ©s avec ceux qui apportent ... l'or des AmĂ©riques jadis, le bitcoin aujourd'hui.

Un clin d'Ɠil Ă  l'histoire ? Pourquoi ne pas baptiser l'Euro-Crypto-Unit... Ă©cu ?

Jean Varin et Louis XIV Jean Varin, chef du Moulin du Louvre, enseigne la numismatique au jeune Louis XIV




Notes: (1) De la fin 2015 jusqu'en mai 2017 le cours du bitcoin en dollar évolue de façon assez étroitement corrélé avec le carré du nombre de transaction (il tourne autour d'un cent-millioniÚme de ce carré).
(2) Coinbase annonce 50.000 ouvertures de compte par jour. A terme, la loi de Metcalfe s'applique aussi Ă  l'extension d'usage que ces nouveaux comptes annoncent. Bitcoin a ensuite connu l'effet de nouveaux moteurs d'accĂ©lĂ©ration, notamment l'arrivĂ©e d'acteurs institutionnels et l'intĂ©rĂȘt des marchĂ©s Ă  terme.

65 - L' Immortel

August 10th 2017 at 19:07

Pour Karl, qui voit l'avenir et fait de l'or



B comme... C'Ă©tait une de ces pĂ©riodes oĂč les esprits, amenĂ©s par les philosophes vers le vrai, c'est Ă  dire vers le dĂ©senchantement, se lassent de cette limpiditĂ© du possible qui laisse voir le fond de toutes choses, et, par un pas en avant, essaient de franchir les bornes du monde rĂ©el pour entrer dans le monde des rĂȘves et des fictions. 

S'agit-il de notre époque, désenchantée pour les uns, pleine de promesses pour les autres ?

Non, ces lignes ne sont ni de Max Weber, ni de Marcel Gauchet mais... d'Alexandre Dumas, dans Le Collier de la reine.

AprĂšs une sĂ©ance consacrĂ©e Ă  l'imaginaire de la blockchain dans les locaux de France StratĂ©gies, organisme dĂ©pendant du Premier Ministre, un participant me confiait « je ne pensais pas que l'on allait passer deux heures dans une instance publique Ă  imaginer ou rĂȘver des bienfaits pour le bon peuple de la blockchain ». De mon cĂŽtĂ© j'y avais surtout entendu les Ă©ternelles promesses de disruption. J'aurais donc, au contraire, voulu aller plus loin : non pas imaginer ce qu'une blockchain ou une autre pourra changer dans nos organisations, mais voir ce qui est en train de changer en nous pour que nous imaginions de tels changements.

Pour bien placer l'enjeu au plan de l'imagination, j'avais d'ailleurs proposĂ© de traiter aussi de l'imaginaire du camp d'en face. Car faire l'impasse dessus c'est accepter le postulat que nous qui Ɠuvrons Ă  concevoir des Ă©changes dĂ©centralisĂ©s sommes des idĂ©ologues poursuivant rĂȘves ou chimĂšres, tandis que ceux qui gĂšrent les Ă©changes centralisĂ©s et les contrĂŽles autoritaires sont juste mus par un pragmatisme de bon aloi et une paternelle bienveillance. Or le vocabulaire de bien des confĂ©rences, Ă©tudes ou livres blancs trahit clairement une condamnation morale parfois viscĂ©rale d'une dĂ©marche hors institution, immĂ©diatement cataloguĂ©e comme libertaire, anarchiste et propice aux trafics et aux rĂ©voltes. La figure inavouĂ©e de Satoshi Nakamoto est perçue comme inavouable, signant la dimension complotiste de son invention. Quant aux instruments de nos Ă©changes, fondĂ©s sur rien et ne bĂ©nĂ©ficiant d'aucune garantie, ils seraient Ă  classer quelque part entre la fausse monnaie, l'or des fous et l'or du diable.

Je me surprends parfois à reconnaßtre, dans certains fantasmes sur les monnaies virtuelles, de grandes similarités avec les discours qui faisaient jadis de la révolution française le résultat d'un complot maçonnique ourdi par des sociétés secrÚtes. C'est en suivant cette comparaison que je me suis replongé dans le cycle romanesque qu'Alexandre Dumas tira de cette antique "théorie du complot", en faisant du magicien Joseph Balsamo le grand maniganceur de l'effondrement moral de la monarchie française.

les couvertures de Nelson ou de Calman-Levy ont marqué des générations

Bien sĂ»r Joseph Balsamo, qui se faisait appeler comte de Cagliostro, n'a pas provoquĂ© la rĂ©volution. Mais le personnage, ses rĂȘves et ceux qu'il flattait dans le public - fabriquer de l'or, prĂ©voir l'avenir, se rendre immortel - tĂ©moignent d'une fermentation des esprits.

1 rue Saint Claude, ParisNous, nous savons que Joseph Balsamo ne faisait point d'or et surtout qu'il ne pouvait pas en faire. Et Alexandre Dumas, 170 ans avant nous, 60 ans aprĂšs les aventures de son hĂ©ros, s'en doutait. L'important est que les contemporains aient Ă©tĂ© Ă©branlĂ©s, mĂȘme si au fond du creuset de la rue Saint-Claude, ne luisait sans doute que l'or de la piĂšce que Cagliostro y avait d'abord cachĂ©e. Mais faire de l'or avec de l'or, est-ce une escroquerie? ou est-ce faire rĂȘver ?

le buste de Cagliostro par HoudonChacun sent bien que l'irruption de la cryptographie, de ses monnaies et de ses échanges décentralisés s'inscrit autant dans un impetus technologique un peu prométhéen que dans un bouillonnement moral, politique et parfois religieux qu'il est plus difficile de cerner.

Davantage que dans la bimbloterie des use cases "trÚs au-delà du paiement" avec leur charme de vitrine de Noël, c'est dans ce bouillonnement d'idées qu'il faut percevoir les premiers signes d'une révolution à venir.

Il y a deux marqueurs révolutionnaires d'autrefois que l'on retrouve dans notre époque : la volonté de créer un or numérique et un élan renouvelé vers l'immortalité. Imputrescible comme l'or, Bitcoin est une monnaie immortelle dans le cybermonde. A cÎté de l'aspect prométhéen que j'ai déjà abordé, il ne faut pas ignorer l'aspect faustien de certaines recherches actuelles.

Si la falsification de la monnaie est une crapulerie (souvent symĂ©trique Ă  la dĂ©sinvolture des pouvoirs publics) la transmutation du plomb en or est un "grand Ɠuvre" qui historiquement cĂŽtoie fort souvent la recherche d'immortalitĂ©. La poudre de projection, la pierre philosophale et l'Ă©lixir de longue vie participent d'une mĂȘme recherche. Celle d'un monde plus jeune, plus vrai, plus beau. Aujourd'hui, la transformation du bit en or et les recherches du transhumanisme participent de ce rĂȘve sĂ©culaire.

En suivant sur divers forums les conversations de mes amis bitcoineurs, je suis frappĂ© par la rĂ©currence de thĂšmes liĂ©s Ă  la jeunesse (voire Ă  la vie) Ă©ternelle. C'est souvent savant (la tĂ©lomĂ©rase) parfois philosophique (quel sera le sens d'une mort violente quand l'homme syntĂ©thisera la tĂ©lomĂ©rase ?) mais toujours symptomatique. L'homme pourrait rester mortel (et sujet Ă  l'inflation monĂ©taire) en ce monde, mais atteindre via ses avatars du cyberespace une forme d'immortalitĂ©. L'irrĂ©versibilitĂ© des Ă©critures dans la blockchain est bien plus chevillĂ©e Ă  ce rĂȘve qu'Ă  la rĂ©alitĂ©.

d'aprÚs le portrait du comte de Saint Germain  peint par Jean Joseph Taillasson, en 1777Si Balsamo hésita le plus souvent à se dire immortel, Paris avait déjà accueilli, une génération plus tÎt, un homme qu'on présentait bien comme tel, le comte de Saint-Germain. Né à une date inconnue dans une famille inconnue (mais bien sûr princiÚre), polyglotte, cultivé, menant grand train et naturellement à l'aise avec les grands, il arrive en France en 1758, se fait présenter à la Pompadour puis à Louis XV à qui il promet contre sa protection "la plus riche et la plus rare découverte qu'on ait faite".

L'homme est certainement un savant chimiste. Il est aussi musicien (admirĂ© par Rameau) et peintre (louĂ© par Latour). Il prĂ©dit l'avenir Ă  plusieurs occasions, et peut-ĂȘtre Ă  Marie-Antoinette.

Mais annoncer que la monarchie allait Ă  sa perte n'Ă©tait peut-ĂȘtre pas sorcier ! Cagliostro, juste avant la rĂ©volution, refit les mĂȘmes prophĂ©ties, en se servant d'un vase empli d'eau et sans doute d'une certaine dose de sens politique. PrĂ©voir l'avenir peut tenir de la divination ou de la luciditĂ©, de l'escroquerie ou de la spĂ©culation, c'est selon...

On laissa entendre que son train de vie provenait de ce que Saint-Germain faisait de l'or. Mais Ă  la diffĂ©rence de Cagliostro qui fut ou se prĂ©senta comme son Ă©lĂšve, il ne semble pas avoir usĂ© de prestidigitation pour le laisser croire. Les sources qui en parlent sont tardives, apocryphes et romancĂ©es. La rencontre en 1763 Ă  Tournai avec Casanova, au cours de la quelle il aurait changĂ© une piĂšce de cuivre en or, est elle-mĂȘme trĂšs douteuse.

On le dit immortel. Il laissait dire. Il mourut officiellement le 27 février 1784 à Eckernförde, dans le Schleswig. Mais des témoins (pas tous idiots) le croiseront encore durant des décennies...
le temps qui passe

le vrai (?) portraitIl est temps, pour finir, de confesser un petit péché. Le portrait plus haut n'est pas celui de l'Immortel, mais d'un homonyme, Claude-Louis-Robert, comte de Saint-Germain (1707-1778) qui fut maréchal de camp et ministre de la Guerre. Ce portrait, conservé au Musée de Versailles, est pourtant largement utilisé, sur Internet pour illustrer ce qui a trait à l'Immortel, y compris sur des sites de médias reconnus qui ne se donnent pas le mal de vérifier leurs sources. Pour moi, le large cordon bleu m'avait immédiatement paru suspect sur la poitrine d'un aventurier.

De toute façon il n'y a pas de portrait certain de l'Immortel, sinon une gravure allemande postérieure et inspirée d'un tableau désormais introuvable !

Alors pourquoi publier l'autre ? Parce que, ayant récemment reconnu l'Immortel, j'ai mes raisons de trouver ce portrait-là plus crédible...

Pour ailler plus loin :

  • Un article un peu "premier degrĂ©", mais avec d'intĂ©ressantes citations, sur le comte de Saint-Germain. Le tĂ©moignage de Casanova est sans doute apocryphe.
  • Un autre article recensant de nombreux tĂ©moignages postĂ©rieurs Ă  1784, sans vraiment trier les ragots des faits avĂ©rĂ©s, ni les faux tĂ©moignages (par exemple tout ce qui vient des "faiseurs de mĂ©moires" du 19Ăšme siĂšcle, comme le cĂ©lĂšbre faussaire Lamothe-Langon) de ce qui peut ĂȘtre rĂ©putĂ© sinon vrai du moins de bonne foi.

Quelques jugements amusants sur les personnages cités :

  • NapolĂ©on (en 1806) : " Je ne vois pas dans la religion le mystĂšre de l’incarnation, mais le mystĂšre de l’ordre social (...) La religion est encore une sorte d’inoculation ou de vaccine qui, en satisfaisant notre amour du merveilleux, nous garantit des charlatans et des sorciers ; les prĂȘtres valent mieux que les Cagliostro, les Kant et tous les rĂȘveurs de l’Allemagne". DĂ©tail amusant, et qui prouve que la confusion dans l'art des citations ne date point d'Internet, la plupart des sources placent ce mot savoureux en 1800 ou 1801, peu avant ou peu aprĂšs le Concordat, tout en renvoyant aux mĂ©moires de Pelet de la LozĂšre, qui lui place ces mots Ă  la sĂ©ance du Conseil d'État du 4 mars 1806 pendant une discussion sur les sĂ©pultures... NapolĂ©on est rĂ©guliĂšrement invoquĂ© quand on parle du philosophe Hegel, plus rarement pour son raccourci au sujet de Kant !
  • MĂ©rimĂ©e, (4 mars 1857) : "Si l'on compare les farceurs du siĂšcle dernier, le comte de Saint-Germain et Cagliostro avec ce M. Hume, il y a la mĂȘme diffĂ©rence qu'entre le XVIIIe siĂšcle et le nĂŽtre. Cagliostro faisait de l'or, Ă  ce qu'il disait, prĂȘchait la philosophie et la rĂ©volution, devinait les secrets d'Etat. M. Hume fait tourner les tables. HĂ©las ! Les esprits de notre temps sont bien mĂ©diocres."

58 - Sacré labyrinthe

March 7th 2017 at 09:23

Avec quelques membres du Cercle, visite au Labyrinthe d'AmiensJ'avais Ă©tĂ© amusĂ©, en octobre 2016, en lisant un papier oĂč Pierre Noizat comparait les pyramides (elles ne me laissent jamais indiffĂ©rentes) et les cathĂ©drales Ă  des preuves de travail monumentales destinĂ©es, pour le citer, Ă  tĂ©moigner d'une capacitĂ© phĂ©nomĂ©nale Ă  mobiliser les Ă©nergies des sujets et des croyants. Sans la moindre concertation, j'avais publiĂ© la veille un papier sur la preuve de travail de Penelope qui m'a, depuis, valu quelques allusions caustiques que je ne pouvais pas imaginer alors.

Je n'avais Ă©videmment rien de cela en tĂȘte quand il fut dĂ©cidĂ© en janvier que notre prochain repas du Coin aurait lieu Ă  Amiens, occasion de nouer des liens avec la Tech AmiĂ©noise. Mais je ne me projette jamais dans l'avenir qu'avec un oeil vers ce que le passĂ© nous lĂšgue de beau, de grand ou d'instructif.

La cathédrale d'Amiens n'est pas seulement la plus vaste de France (dût l'orgueil des parisiens en souffrir) c'est aussi... celle qui m'impressionne le plus. En songeant à retourner y faire visite, j'ai eu une illumination : le "labyrinthe" tracé sur le dallage de la nef, parce qu'il a rapport à quelque chose de compliqué, contient un message qui nous concerne.

J'ai invité quelques amis à venir le voir, avant de livrer ici mes réflexions.

Le labyrinthe d'Amiens surveillé par un ange

Le sujet du labyrinthe est immense. D'abord parce que cette figure, prĂ©sente dĂšs le palĂ©olithique, date de bien avant que les Grecs ou les CrĂ©tois ne lui aient donnĂ© son nom de laburinthos (λαÎČύρÎčÎœÎžÎżÏ‚), terme dont l'Ă©tymologie est d'ailleurs un peu mystĂ©rieuse.

Logo MH, le labyrinthe de Reims stylisĂ©Notons juste que la racine du mot se retrouvant dans la labrus (Î»ÎŹÏÏÏ…Ï‚), sorte de double-hache utilisĂ©e dans les cultes minoens, mais aussi dans le mot anatolien pour roi (labarna) le labyrinthe a sans doute affaire dĂšs l'origine avec le monument, la puissance et la force.

Est-ce pour cela que l'on a adopté le tracé de celui de la cathédrale de Reims comme logo des Monuments historiques ? Je l'ignore, mais cela me parait significatif.

Je ne vais donc pas reprendre tout ce qui a été écrit à ce sujet, notamment par l'ineffable Jacques Attali pour qui le labyrinthe apparaßt entre autres comme un langage avant l'écriture, chose que j'ai tendance à penser de la monnaie. Je veux, pour moi, me concentrer ici sur les seuls "labyrinthes de cathédrales" en mettant en perspective le "travail" qu'ils induisent avec le "travail" qui intéresse Bitcoin.

Le thÚme du labyrinthe n'est pas biblique, et la culture chrétienne ne s'en est saisi que tardivement pour s'imposer véritablement au 12Úme et surtout au 13Úme qui est le grand siÚcle des cathédrales. Des labyrinthes sont figurés sur le dallage de nombreuses cathédrales, particuliÚrement en France, à Amiens ou comme ici à Chartres.

À Chartres, un labyrinthe du 12ùme siùcle

Parcourir, à genoux bien sur, cet ultime trajet était proposé comme un travail physique et spirituel à ceux qui arrivaient à pieds, parfois d'assez loin, et pour qui la cathédrale était le but d'un petit pÚlerinage. PÚlerinage modeste certes, le seul cependant que les gens les plus simples pouvaient accomplir et auquel il convenait que l'Eglise donnùt du sens.

Si le labyrinthe des cathédrales s'appelait parfois chemin de Jérusalem voire chemin du Paradis c'est qu'en le parcourant ainsi dans un réel effort, ceux qui n'iraient jamais en Terre Sainte pouvaient arriver au centre de la figure, symbole de la Jérusalem céleste.

de ht en bas : Ravenne, Bayeux, Cologne, Saint-Quentin, Reims, Amiens et Saint-Omer

Ces étranges figures, qui ont parfois des petits airs de circuit imprimé ou de QR Code, sont riches d'enseignement.

Un premier dĂ©tail me frappe. Ces "labyrinthes" ne sont que de simples anneaux ou octogones concentriques (thĂ©matique religieuse sur laquelle je ne m'Ă©tendrai pas ici) et jamais des "dĂ©dales", mĂȘme si le motif central de celui de Chartres, dĂ©truit en 1792, semble avoir reprĂ©sentĂ© l'architecte DĂ©dale, le hĂ©ros ThĂ©sĂ©e et le terrible Minotaure.

Si le labyrinthe antique amenait Ă  combattre un monstre, ceux des cathĂ©drales sont faits pour se prouver quelque chose Ă  soi-mĂȘme. Du premier il Ă©tait difficile de ressortir, dans ceux-ci inversement, il est difficile de pĂ©nĂ©trer. Bref, voici peut-ĂȘtre une image du paradigme hard to find, easy to check...

D'autant, second dĂ©tail, que dans presque tous les labyrinthes, on se retrouve fort vite prĂšs du but. Comme si l'oeuvre Ă  accomplir Ă©tait en soi assez simple. À Amiens, le pĂšlerin qui se tient Ă  l'entrĂ©e de la figure n'est qu'Ă  6 mĂštres seulement du Paradis. L'essentiel est de valider ce court voyage par un travail bien plus long.

TroisiÚme détail : avec 234 mÚtres à parcourir, le labyrinthe d'Amiens est relativement court : celui de la basilique de Saint-Quentin, dans l'Aisne voisine, représente un trajet de 260 mÚtres et celui de la cathédrale de Chartres atteint les 261,55 mÚtres. On note cependant que l'ordre de grandeur est constant. Pourquoi ?

Parce que le labyrinthe est moins affaire d'espace que de temps, ou que les deux notions sont ici rĂ©unies. On trouve parfois l'expression de chemin d'une lieue. Le trajet Ă  genoux sur le labyrinthe est censĂ© prendre le mĂȘme temps qu'un trajet d'une lieue Ă  pieds. Or la lieue, cette vieille mesure dont l'Ă©tymologie est peut-ĂȘte gauloise et dont la mesure exacte variait jadis d'une province Ă  l'autre (en tournant toujours autour de 4 de nos kilomĂštres) reprĂ©sentait pour nos anciens... la distance qu'un homme parcourt Ă  pied en une heure.

Autrement dit l'effort est sensiblement le mĂȘme pour tous, d'un labyrinthe Ă  l'autre, et il se mesure en temps.

Enfin, dernier dĂ©tail, plus subtil : les labyrinthes ont toujours leur entrĂ©e vers l'Ouest, cĂŽtĂ© du soleil couchant et de la mort, cĂŽtĂ© par lequel risquent de pĂ©nĂ©trer fantĂŽmes et dĂ©mons. Leur imposer l'Ă©preuve du labyrinthe est donc d'abord une mesure renforçant la sĂ©curitĂ© du saint monument ! Le diable reste piĂ©gĂ© dans un tel parcours soit parce que sa nature (ÎŽÎčÎŹÎČÎżÎ»ÎżÏ‚, dia-bolos, celui qui s'insinue, qui passe par une faille) le lui interdit soit encore parce que, dit-on, il ne se dĂ©place qu'en ligne droite. Il n'a pas la capacitĂ© d'effort du pĂšlerin.

Par cet effort, que gagnait, justement, le pÚlerin ? L'erreur serait ici de projeter au 13Úme siÚcle les abus les plus criants du 16Úme siÚcle et d'oublier que par définition ceux qui effectuaient ce pÚlerinage un peu dérisoire n'avaient guÚre d'argent à donner, mais seulement de la valeur à créer par leur travail et leurs efforts.

Ce qu'on gagnait ici n'avait pas de valeur intrinsÚque, n'était pas gagé par la monnaie légale, n'avait pas la garantie de l'Etat. Mais aux yeux des pÚlerins du labyrinthe, que cela diminuùt la dette de leurs péchés ou que cela augmentùt à l'actif leurs richesses dans un autre monde, c'était précieux !

L'institution, qui avait d'abord tolĂ©rĂ© cet instrument de foi naĂŻve trouvait sans doute que ce moyen de gagner le Ciel manquait de rĂ©gulation. Au 17Ăšme siĂšcle un chanoine de Chartres rĂąlait contre un amuse-foi auquel ceux qui n'ont guĂšre Ă  faire perdent leur temps Ă  courir et tourner. Au 18Ăšme siĂšcle, on les effaça ou on les dĂ©truisit un peu partout, Ă  Sens, Poitiers, Arras. MĂȘme celui d'Amiens fut sacrifiĂ© : celui que nous admirons aujourd'hui n'est plus celui de 1288, dĂ©posĂ© en 1825, mais celui que l'on reconstitua quelques annĂ©es plus tard.

À Reims il avait Ă©tĂ© enlevĂ© dĂšs 1775, parce que les rires des chenapans sautant Ă  pieds joints sur le dallage oĂč l'on sacrait nos rois gĂȘnaient les chanoines. Le symbolisme et le graphisme de ces monuments parlent sans doute davantage Ă  notre Ă©poque. Le labyrinthe de Reims fut recrĂ©Ă©, depuis 2009, par un jeu d'Ă©clairage.

virtuel

De sorte que tous les monuments historiques de France ont comme emblĂšme ... un monument virtuel !

45 - Une perle, chez Escher

April 27th 2016 at 09:48

Bien souvent, le bitcoin est implicitement ou explicitement comparé à une forme d'or numérique. J'avais déjà évoqué ce que nous apporte une comparaison avec le diamant, qu'il faut tailler à l'aide des mathématiques pour en extraire la valeur.

Il m'est venu soudain Ă  l'esprit (je vais dire comment) une autre comparaison avec ce trĂ©sor trĂšs particulier qu'est la perle, une autre merveille d'agencement puisque sa nature chimique est, comme celle du diamant, extrĂȘmement commune. Et l'agencement n'est-il pas le vrai miracle de Satoshi ? perle

Or donc, j'étais durant quelques jours sur la cÎte normande, séjour propice aux plateaux de fruits de mer. Cette circonstance toute contingente est sans aucun rapport avec ce qui suit, quelque soit l'apport constant que ma vie quotidienne offre à ma réflexion sur le bitcoin ! Et ce qui suit n'a du reste que partiellement rapport aux perles !

GEBEn vérité, j'étais en train de lire un ouvrage déjà ancien : le jadis célÚbre Gödel, Escher, Bach de Douglas Hofstadter. Moins pour y trouver matiÚre à réflexion sur sa guirlande éternelle, que parce que je voulais approfondir le rapport du sujet et du fond.

Depuis un petit moment je tente en effet de lister les erreurs de ceux qui veulent oublier bitcoin et ne se servir que de la technologie blockchain.

  • L'une consiste Ă  penser que le fonctionnement et la sĂ©curitĂ© de la blockchain puisse ĂȘtre assurĂ©s sans coĂ»t, sans dĂ©pense, sans dommage. C'est au fond une position un peu idĂ©aliste consistant Ă  aimer la voiture qui vous emmĂšne vers la mer mais Ă  dĂ©tester l'essence qui pollue l'air que l'on y respire.
  • Une autre consiste Ă  oublier la primautĂ© de la fonction de transfert, pour s'imaginer la blockchain comme une main courante infalsifiable et Ă©ternelle (prĂȘte Ă  accueillir toutes les informations de notre civilisation) et non comme un livre enregistrant des mouvements.
  • Une autre encore, moins grossiĂšre cependant, consiste Ă  penser que l'on pourrait faire circuler sur une blockchain autre chose que son unitĂ© de compte intrinsĂšque. Certes on peut colorer des fractions de celle-ci (c'est une piste de rĂ©flexion fĂ©conde) mais Ă  partir d'un certain moment il faut bien admettre que ne circulent en rĂ©alitĂ© que des reprĂ©sentations d'une chose (euro, obligation, action) greffĂ©es sur... quoi ? un token ! Comme l'a dit en public mon ami Adrian Sauzade, l'euro n'est pas une smart money...
  • Et soudain j'ai commencĂ© Ă  me demander si une quatriĂšme erreur ne consistait pas ici dans une mauvais aprĂ©ciation de ce qui est le sujet et de ce qui est le fond.

On pourrait dire qu'il faut oublier la Joconde ou la Vierge aux rochers parce que ce que Vinci a inventé, ce sont des technologies de composition chimique des coloris, la technologie du sfumato, une technologie de perspectives (etc!) qui ont, aprÚs lui, été mises en oeuvre par d'autres. Ce serait là simple faute de goût. On peut aussi n'étudier chez Vinci que les paysages dans le fond des tableaux, c'est un axe de recherche érudite. La conclusion en est le plus souvent que par divers procédés, en contextualisant le portrait avec le paysage, Vinci crée un véritable récit pictural.

Regular Division of the Plane IIIJe m'interrogeais cependant sur ces tableaux oĂč la dichotomie du sujet et du fond est difficile Ă  mettre en oeuvre, ce qui est le cas notoirement dans plusieurs oeuvres de Maurits Cornelis Escher (1898-1972).

Dans quelle mesure pourrait-on dire que la distinction d'un bitcoin qui serait le sujet et d'une blockchain qui serait le fond serait opérante ou non? Je n'en sais rien.

Mais j'ai l'intuition que plusieurs tableaux d'Escher donnent des réponses métaphoriques à ma question. A commencer évidement par l'un des plus célÚbres, qui a déjà été détourné pour illustrer l'apparition d'une transhumanité ou... au profit du bitcoin.

les deux mains

Il y a aussi, chez Escher, une tension entre certains tableaux (je songe Ă  Figure 1975) oĂč aucune distinction n'est possible, et d'autres oĂč le sujet qui se coule d'un cĂŽtĂ© dans le fond en ressort ailleurs, de nouveau en tant que sujet. Il me semble mĂȘme qu'il y a un dessin d'Escher ("Reptiles", 1943) qui peut illustrer assez finement comment la blockchain n'est que la vie du bitcoin, qui l'anime, et qui toutefois en sort (semant l'effroi que n'ont jamais suscitĂ© les monnaies "pour rire" ou les monnaies de jeu) et y retourne constamment.

le bitcoin chez Escher

Que le maĂźtre me pardonne...

Le livre de Douglas Hofstadter traite en fait d'une Boucle Étrange, un procĂ©dĂ© qu'il retrouve dans le canon Ă©ternellement ascendant de Bach, dans certaines gravures d'Escher, et dans la dĂ©monstration du thĂ©orĂšme (proposition VI) de Gödel. Les comparaisons ne sont pas toujours Ă©videntes. Au dĂ©tour d'une phrase, il Ă©crit au sujet de la proposition VI il est difficile de voir une Boucle Étrange dans cette perle, parce que en fait la Boucle Etrange est dans l'huitre, la dĂ©monstration.

A cet endroit j'ai refermé le livre (je n'étais pas bien loin, à la page 19 sur 884 ; je l'ai repris depuis, mais n'en suis guÚre que vers la page 120 au moment de rentrer).

Ε᜕ρηÎșα ! EurĂȘka ! La perle est dans la coquille. L'huĂźtre a certes dĂ©veloppĂ© une technologie coquille pour une raison qui est par ailleurs liĂ©e Ă  la confiance, la confiance qu'en l'occurence elle ne peut faire Ă  personne en ca bas-monde, mais ce n'est pas la coquille qui a de la valeur. Certes on peut aussi y cacher une piĂšce de monnaie. Ou comme ZĂ©zette (Ă©pouse X) s'en servir de cendrier. Mais ce n'est pas pour cela que les pĂȘcheurs de la cĂŽte d'Oman risquĂšrent leur vie durant des siĂšcles pour aller cueillir les coquilles au fond du golfe persique !

Que nous apprend la perle ? On l'a dĂ©jĂ  dit : comme le diamant, sa composition chimique n'en fait en rien un trĂ©sor. Et mĂȘme, elle a une composition fondamentalement similiare Ă  celle de la coquille car elles sont toutes deux formĂ©es d'une concrĂ©tion calcaire, l'aragonite (CaCO3). Ce qu'elle a, que la coquille n'a pas, c'est un Ă©clat, une beautĂ©.

La beauté n'est pas perceptible par tous. On ne peut parler de la perle sans se souvenir de l'injonction évangélique (Mat VII,6) : ne jetez pas la perle aux pourceaux que la sagesse populaire, un peu courte, a progressivement transformé en pas de confiture aux cochons.

perles au cochon

Mais le texte de l'Évangile est bien plus riche : Ne donnez pas les choses saintes aux chiens, et ne jetez pas vos perles devant les pourceaux, de peur qu'ils ne les foulent aux pieds, ne se retournent et ne vous dĂ©chirent. Ici, chacun comprendra ce qui lui plaira.

Revenons Ă  mes vacances.

le rat et l'huitreJ'en Ă©tais lĂ  de mes rĂȘveries quand, un beau matin, je me rends Ă  la petite brocante organisĂ©e sur la place du village. Et la premiĂšre chose que je vois, c'est Ă  croire que... c'est cela : Le rat et l'huĂźtre, fable illustrĂ©e par Firmin Bouisset (le crĂ©ateur de la cĂ©lĂšbre fille du chocolat Menier et du jeune Ă©colier des petits LU). L'image tire mon oeil : je relis le texte ( ce n'est pas la fable la plus cĂ©lĂšbre, sauf pour sa chute) :

Qu'aperçois-je ? dit-il, c'est quelque victuaille ;
Et si je ne me trompe Ă  la couleur du mets,
Je dois faire aujourd'hui bonne chĂšre, ou jamais.

N'est-ce pas ainsi qu'ont réagi les grandes institutions, suivant Blythe Masters, en "découvrant la Blockchain" avec... des années de retard ?

Mais l'hußtre se referme d'un coup sur le prédateur. La Blockchain pourrait bien en faire autant un de ces quatre matins sur certains qui entreprennent de l'examiner d'un peu trop prÚs.

Cette fable contient plus d'un enseignement:
Nous y voyons premiĂšrement
Que ceux qui n'ont du monde aucune expérience
Sont, aux moindres objets, frappés d'étonnement.
Et puis nous y pouvons apprendre
Que tel est pris qui croyait prendre.

41 - Questions philosophiques rue du Caire

January 31st 2016 at 18:36

La Maison du bitcoin organise rĂ©guliĂšrement des petites sĂ©ances d’initiation au bitcoin, aimablement ouvertes Ă  tous. Je m’y suis rendu mercredi 27 janvier avec ma petite idĂ©e, qui consistait Ă  Ă©couter moins l’orateur ( Manuel Valente, trĂšs clair) que les questions de la salle.

En rĂ©alitĂ©, les gens qui viennent rue du Caire ont dĂ©jĂ  de l’intĂ©rĂȘt, voire de la sympathie, pour cette expĂ©rience fascinante, tant d’un point de vue monĂ©taire que d’un point de vue que je dirais
 philosophique.

Et justement, trĂšs vite je me suis aperçu ce mercredi, que sous le masque des visiteurs, s’étaient fort probablement glissĂ© de grands philosophes. Qu’on en juge Ă  l’examen (dans l’ordre) des questions posĂ©es par la salle. On y retrouve les Anciens...

les Anciens

... et les Modernes !

les Modernes

Qui les fabrique, les bitcoins ? Il faut comprendre quel type d’hommes, en accomplissant quel travail, en dĂ©ployant quels efforts. Karl (Marx, pas ChappĂ© !) on t’a reconnu.

Et moi est-ce que je peux en fabriquer ? Adli Takkal Bataille, avec qui j’ai partagĂ© mes idĂ©es et mes doutes, suggĂšre que Friedrich Hayek avait pu se glisser sous la peau de celui qui a posĂ© cette question. Mais j’incline Ă  y voir un retour de SĂžren Kierkegaard, prĂ©curseur des existentialistes pour qui une philosophie que le penseur lui-mĂȘme n’habite pas n’est qu’un palais vide.

Comment ça se fait que ça ait marchĂ© ? Question leibnizienne, rudement tĂ©lĂ©ologique : le bitcoin marche parce qu’il est la meilleur monnaie possible, dans le meilleur des cyber-espaces possibles. Variante Bossuet : le bitcoin participe au plan providentiel.

Combien y a t-il de mineurs? La question pourrait paraĂźtre sans grand enjeu philosophique, sauf Ă  un positiviste, genre Auguste Comte qui pensait que nous ne connaissons ni l'essence, ni le mode rĂ©el de production, d'aucun fait : nous ne connaissons que les rapports de succession ou de similitude des faits les uns avec les autres. Ce genre de pensĂ©e ne m’a jamais passionné 

Donc ce n’est pas Ă©cologique A cet ergo, on reconnaĂźt tout de suite le cartĂ©sien. Qui d’ailleurs se soucie peu de la nature puisque Dieu et Satoshi en ont rendu le bitcoineur maĂźtre et possesseur


Le systĂšme a-t-il dĂ©jĂ  Ă©tĂ© bloquĂ© ? Un disciple du mathĂ©maticien Kurt Gödel, si ce n’est le maĂźtre lui-mĂȘme, venu vĂ©rifier que, selon son cĂ©lĂšbre thĂ©orĂšme, il y a toujours un truc incomplet ou foireux Ă  dĂ©nicher partout (je rĂ©sume).

Comment est organisĂ©e la gouvernance ? On peut penser ici Ă  Rousseau, qui expliquait doctement que quelque part au nĂ©olithique les gars avaient posĂ© la massue dans un coin de la caverne et passĂ© un pacte entre eux au nom duquel on peut aujourd’hui supprimer l’état de droit. Il aurait aussi bien pu imaginer une gouvernance pour le bitcoin. Mais trĂȘve de cynisme potache : c’est plutĂŽt du cĂŽtĂ© de Machiavel qu’une gouvernance du bitcoin trouvera un jour sa description.

Comment on fait concrĂštement pour acheter ? FatiguĂ© du ciel des idĂ©es, c’est ici Aristote qui parle.

les livres jadis se rangeaient

On n’a pas de recours? Non. C’est bien embĂȘtant pour un humain, sujet Ă  l’erreur et au pĂ©chĂ©. On remercie quand mĂȘme saint Thomas d’Aquin, pour qui l'acte humain n’est volontaire que s'il est rationnel et libre, d’avoir soulevĂ© la question.

Qu’est-ce qu’on peut acheter avec ça? Rien, bien sĂ»r, diront les cyniques qui ne le sont jamais autant que leur maĂźtre, DiogĂšne, qui lui voulait abolir la monnaie


autres temps, autres moeurs

Pourquoi la valeur est hyper fluctuante? Parce que tout change, qu’on ne se baigne jamais dans le mĂȘme fleuve. HĂ©raclite d’EphĂšse Ă©tait lĂ , lui aussi.

Pourquoi les banques disent de s’en mĂ©fier? Avec une question aussi naĂŻve, le choix est simple. Soit l’interlocuteur se fiche de vous, soit c’est Socrate redivivus qui va vous prendre par la main et vous faire accoucher de la vĂ©ritĂ© qu’en rĂ©alitĂ© vous connaissez dĂ©jĂ .

Quand est-ce qu’elles font leur propre monnaie? Nicolas Oresme, impatient d’en finir.

Comment est-ce que vous gagniez votre vie? Saint Paul l’écrit (2Th3,10) : celui qui ne travaille pas, qu’il ne mange pas non plus. L’ancien sĂ©minariste Joseph Staline (un philosophe gĂ©orgien) aimait bien cette citation qui rappelle opportunĂ©ment qu’il faut quand mĂȘme faire bouillir la marmite.

Comment la clé sait-elle quelle valeur il y a sur une adresse? Selon mon ami Adli, la question indiquerait sinon la présence directe de Heidegger, du moins son influence sensible.

A noter que personne dans la salle n’a demandĂ© si le bitcoin servait Ă  acheter de la drogue :Herbert Marcuse ne court plus les rues. Personne non plus n'a demandĂ© si le bitcoin finançait l’état islamique : les gens ne lisent donc plus le journal et font davantage confiance au rapport d’Interpol, qui dit que non.

Hathor place du Caire

Comprenne qui pourra.

39 - Du Kraken et de l'imaginaire Bitcoin

January 22nd 2016 at 11:53

le kraken mangeL’une des principales plateformes de bitcoin, la premiĂšre en euros, s’appelle Kraken. Elle vient de croquer deux plateformes amĂ©ricaines, Coinsetter et Cavirtex. Pour illustrer la brĂšve qui annonçait la nouvelle, le site bitcoin.fr n'a pas choisi le logo Ă©purĂ© de Kraken, mais une reprĂ©sentation Ă  l'ancienne figurant sur l'Ă©tiquette d' une marque de rhum.

C’est que le Kraken Ă©voque un parfum d'aventures, de piraterie, de terreur, une longue tradition de textes lĂ©gendaires ou romanesques, de gravures Ă©tranges et de scĂšnes cinĂ©matographiques impressionnantes ! Commençons par le choix de ce nom par les crĂ©ateurs de la plateforme qui Ă©tait une allusion Ă  une rĂ©plique culte d’un film dĂ©jĂ  ancien (1981) mais ayant connu un remake en 3D en 2010, Le clash des Titans.

L'emphase un peu ridicule de Zeus lorsqu'il déclame Release the Kraken en avait fait, involontairement, un sujet de plaisanteries diverses sur Internet.

un Kraken à 4 tentaculesDans ce film, le monstre n'a curieusement que quatre tentacules, ce qui explique aussi le logo de la plateforme, alors que la plupart des innombrables krakens se promenant en liberté sur le net, comme logos de dizaines de sociétés, en ont au moins 8 comme l'animal nommé ocotpussy par les anglo-saxons, si ce n'est plus encore.

J'ai cherchĂ© un peu partout, et d'abord dans Le chant du Kraken, petite Ă©tude passionnante publiĂ©e en septembre par l'historien de l'art Pierre Pigot, ce que le Kraken pouvait venir faire ici, ou du moins ce qu'il pouvait signifier. Et d'abord d’oĂč vient-il ?

De loin! Les Grecs se mĂ©fiaient de la pieuvre qu'ils savaient intelligente et rusĂ©e. Elle figure pourtant entre -525 et -490 sur une piĂšce de la citĂ© d'ÉrĂ©trie, dans l'Ăźle d'EubĂ©e. Les historiens voient dans ce symbole une affirmation d'indĂ©pendance insulaire dans un contexte de rĂ©volte contre les Perses.

Eretrie

En apparence elle n'est pas encore le monstre effrayant qui lance ses tentacules Ă  l'assaut des vaisseaux. Mais HomĂšre ne parlait-il pas dĂ©jĂ  du Kraken, sous le nom de Scylla, un monstre affreux
 six cous gĂ©ants, six tĂȘtes effroyables ont chacune en sa gueule trois rangs de dents serrĂ©es ? Ne parlait-il pas du Kraken sous le nom de MĂ©duse, cette fille des mers qui, pour avoir profanĂ© un temple d’AthĂ©na se vit gratifiĂ©e de serpents se tordant autour de sa tĂȘte ?

Ces monstres invisibles, pourquoi leur donnait-on dĂ©jĂ  la forme d’un poulpe (du grec poly-pous, qui a plusieurs pieds) ? Parce qu’il y a des poulpes monstrueux : au premier siĂšcle, Pline l’Ancien Ă©voque un polypus qui logeait prĂšs de Gibraltar. Sa tĂȘte aurait eu un volume de 600 litres et ses bras mesuraient prĂšs de 9 mĂštres. Monstrueux, ils sont puissants : le polype de Pline ne put ĂȘtre mis Ă  mort que par plusieurs hommes armĂ©s de harpons.

Docteur PopaulMais il y a autre chose, que Pline savait dĂ©jĂ  : les poulpes sont des chasseurs intelligents. Nous savons aujourd’hui qu’ils peuvent faire usage d’outil, et sans doute mĂ©moriser voire apprendre.

Le célÚbre Paul en savait apparemment assez long sur le foot, à défaut de pouvoir deviner l'évolution des crypto-devises.

Monstrueux, puissant, intelligent, suis-je en train de suggérer une comparaison avec le bitcoin?

Une mosaĂŻque de PompeĂŻ rĂ©sume tout ce que nos anciens savaient de la mer riche en poissons et des deux terreurs qui y rĂšgnent : le crustacĂ© dont la carapace ne peut qu’évoquer la cuirasse des lĂ©gionnaires, et le tentaculaire en quoi peut-ĂȘtre voyaient-ils les dĂ©sordres et les ruses de la barbarie. Quelque chose de non-romain, dit Pigot.

au musée de Naples

DĂ©jĂ , c’est le cĂ©phalopode monstrueux qui l’emporte, et il n’a pas encore atteint la taille d’un monstre ou d’un dĂ©mon.

le Kraken de 1558Si l’existence du Kraken n’est pas un article de science, ce n’est pas non plus un dogme. Pourtant les premiĂšres mentions s’en trouvent sous des plumes d’hommes de Dieu. OlaĂŒs Magnus, un archevĂȘque suĂ©dois du dĂ©but du 14Ăšme siĂšcle, semble avoir rencontrĂ© des tĂ©moins qui avaient assez vu le monstre pour en faire des descriptions qui inspireront Konrad Gesner dans cette plus ancienne image (1558). Que dit Olaus ? Les hommes en Ă©prouvent une trĂšs grande crainte et, s’ils les fixent un moment, ils en demeurent stupides de frayeur
un seul de ces monstres marins peut aisĂ©ment faire sombrer plusieurs grands navires


Puis un Ă©vĂȘque norvĂ©gien, Erik Pontoppidan, en 1753 dans son Histoire naturelle de la NorvĂšge rapporta surtout des histoires de pĂȘcheurs : le Kraken se tient dans l’eau Ă  150 mĂštres du rivage vers lequel il remonte en cas de pĂȘche surabondante. Il cite aussi un mĂ©decin, OlaĂŒs Wormius qui serait le premier Ă  avoir parlĂ© d'une ressemblance avec une petite Ăźle. On aperçoit, dit Pontoppidan, comme de petites Ăźles ici et lĂ  puis le dos entier apparaĂźt, d’une circonfĂ©rence de l’ordre de 2.400 mĂštres. Le seul que l'on ait trouvĂ©, en 1680, sur un rivage norvĂ©gien, n'avait en vĂ©ritĂ© frappĂ© les esprits que par la puanteur de sa dĂ©composition. Mais Pontoppidan est le premier Ă  manier une comparaison fĂ©conde: celles des tentacules qui se dĂ©ploient et se dressent levĂ©es du monstre semblables Ă  des mĂąts armĂ©s de leurs vergues.

En 1802 le français Pierre DĂ©nys de Montford lui consacra une belle part de son livre sur les mollusques. Il passa pour un fantaisiste et nul savant n’en parla plus durant un demi-siĂšcle. Mais c'est sa gravure qui allait fixer les traits du Kraken pour prĂšs de deux siĂšcles auprĂšs des poĂštes et des rĂȘveurs, au premier rang desquels il faut citer Tennyson et Hugo. La voici dans une version amusante, animĂ©e. Elle a vraiment eu un destin extraordinaire.

Montfort

Alfred, baron Tennyson (1809-1892) écrit en 1830 ''The Kraken'', dont voici le début de la magnifique traduction de Lionel-Edouard Martin :



Au dessous des remous des gouffres supérieurs,
Loin, loin, parmi les fonds, dans la mer abyssale,
Dort de son vieux sommeil, sans rĂȘve ni veilleur,
Le Kraken ...

La pieuvre de HugoHugo ne le nomme pas Kraken, mais ses Travailleurs de la Mer, Ă©crits en exil Ă  Guernesey, popularisent un vieux mots de patois anglo-normand qui va passer en français: la pieuvre ... Ă©tant entendu que la sienne est comme toute idĂ©e sortant de sa tĂȘte: gĂ©ante.

Dans la longue description de Hugo, qui mĂȘle fascination et dĂ©goĂ»t, une phrase ramasse en 5 mots tout l'effroi: chose Ă©pouvantable, c'est mou.

Hugo introduit donc le thĂšme du combat. Jules Verne le reprend en 1870. Son Capitaine Nemo toise le monstre, l'affronte, le massacre. Il a beau ĂȘtre prince indien, il agit bel et bien en occidental du siĂšcle scientifique.

A la fin du siĂšcle, la pieuvre gĂ©ante a tellement envahi les imaginations qu'elle est devenue comme un symbole de l'Ocean lui mĂȘme. Voyez cela rue Saint-Jacques. la pieuvre de la rue saint Jacques

Mais pratiquement au mĂȘme moment, un tout jeune homme qui signe LautrĂ©amont entame, avec ses chants de Maldoror, un voyage poĂ©tique oĂč ce n'est plus le poulpe qui prend l'homme mais l'homme qui se glisse dans le poulpe au regard de soie.

Pierre Pigot voit au travers de ces variations littéraires un mécanisme de compensation : tout ce que notre imaginaire actuel charrie sur les divers écrans , comme monstre et comme désastre croit avec ce qu'il nomme la pétrification scientifique du monde. Alors que la froide lumiÚre de la science veut régner, les forces souterraines comprimées, étouffées sous le poids de cette transparence atroce bandent leurs pinces et leurs tentacules.

Quand le bitcoin est si fier d'une confiance entiÚrement mathématique, l'image du Kraken n'évoque-t-il pas ce qui reste en nous de défiance?

Revenons donc au bitcoin. Cette fausse monnaie n'inspire-t-elle pas (aux élites 1.0 figées sur leurs lourds vaisseaux) la crainte qu'inspirait le Kraken avec ses tentacules dressées comme des mùts? Insaisissable, presqu'invisible dans les eaux financiÚres... chose épouvantable, c'est mou et pourtant puissant...

Les sceptiques, les détracteurs du bitcoin, ne sont-ils pas comme Ned Land, le harponneur trivial du roman de Verne qui dans le mot Kraken, entend surtout "craque" , le mensonge, le mythe.

Changeons de registre. Tandis qu'Hugo, Melville, Verne, voyaient les tentacules sortir du fond des mers, à l'autre bout du monde, le poulpe entamait une toute autre exploration. En 1814 Hokusai, le vieux fou de dessin, avait illustré la légende de la princesse Tamori, qui avait plongé au fond des eaux pour rechercher une perle magique et qui, pourchassée par les monstres marins, s'était ouverte la poitrine pour y cacher la perle et remonter à la surface. Cette estampe, plus encore que celle de Monford, a fait le tour du monde.

Hokusai

Presque toujours intitulĂ©e, Ă  tort, le rĂȘve de la femme du pĂȘcheur, cette estampe a excitĂ© les fantasmes les plus divers, que l'on sĂ»t ou non que la femme est ici ... morte. C'est sans doute la reconnaissance d'un moment de l'humanitĂ© oĂč celle-ci est sous la menace d'un dieu qui jouit de sa dĂ©voration pour reprendre les mots de Pierre Pigot qui voit aussi dans le plaisir du monstre une puissance parallĂšle de l'obscur, de l'insondable refus de toute forme fixe et assignable.

une interprétation d'hokusai

Des interprétations, parfois bien libres, de Hokusai naitront une immense tradition qu'illustrent un roman de Patrick Grancille, le Baiser de la pieuvre (2010) ou les photographies de Mario Sinistaj, mais aussi une spécialité pornographique typiquement japonaise, le shokushu (tentacle porn...) qui balaie toute la gamme du sordide au sublime, comme avec Edo Porn (Hokusaï Manga) de Kaneto ShindÎ en 1981.

HokusaĂŻ Manga

Nous y voilĂ  : au sexe ! Non, je ne m'en vais pas voir le poulpe de Pigalle, qui (lui) reste de marbre. Je parle de la pieuvre doucereuse qui se glisse dans les replis les plus intimes de la femme et qui « pompe » la pointe de ses seins, pour reprendre l’expression de Huysmans. Elle correspondrait Ă©troitement Ă  l’idĂ©e que les hommes du 19Ăšme siĂšcle se faisaient des relations lesbiennes. En France, un sculpteur sur bois et Ă©bĂ©niste comme François-Rupert Carabin se fit une spĂ©cialitĂ© des amours tentaculaires. S'il faut en croire la revue LGBTQI Miroir/Miroirs, la « pieuvre » serait un suceur mou, fĂ©minin, redoutable, qui suscite l’horreur, la peur ou le dĂ©goĂ»t.

Que peut-on extrapoler de sa réapparition contemporaine? de Hokusai au tentacle porn, un fil court. Rien n'indique qu'il ne passe pas par l'imaginaire bitcoin, dans un milieu dramatiquement masculin.

Davy JonesUn autre fil court Ă  travers la rĂ©apparition pĂ©riodique du Kraken dans les films de piraterie. Dans le second Ă©pisode de Pirates des CaraĂŻbes (2006) le kraken qui va dĂ©truire le navire obĂ©it Ă  un Davy Jones dont le visage, pour ainsi dire dĂ©virilisĂ© lui-mĂȘme, tient fortement de la pieuvre. La scĂšne culte de l'attaque du vaisseau par le Kraken n'ajoute pas grand chose Ă  la lĂ©gende.

Pour finir par lĂ  oĂč j'ai commencĂ©, il faut citer le rhum "Kraken" qui s'est dotĂ© d'une Ă©tiquette un peu intemporelle, inspirĂ©e de la gravure de Montfort, et due au talent de Steven Noble. De ses gravures, Steven Noble dit ceci, qui pourrait s'appliquer au Kraken lui-mĂȘme : a good logo will transcend time. La marque a mis en ligne une sĂ©rie de films tout Ă  fait Ă©tonnants dont celui-ci, avec une attaque en noir et blanc trĂšs esthĂ©tisante.

Tel est finalement le Kraken de la prĂ©sente dĂ©cennie: pirate, esthĂ©tique, puissance encore sous-jacente, potentialitĂ©, Ă©ventualitĂ©... il est comme une petite Ăźle et l'on sait que des libertariens rĂȘvent d'iles off-shore, nouvelles ÉrĂ©trie ; il ressemble, avec ses tentacules en Ă©rection aux vaisseaux qu'il va dĂ©truire, mais il reste insaisissable parce que chose Ă©pouvantable, c'est mou.





Pour aller plus loin :

Pigot* la lecture du Chant du Kraken de Pierre Pigot (aux Ă©ditions Puf)


sculpture de F-R Carabin* sur la pieuvre comme fantasme masculin de la lesbienne, un article dans Miroir Miroir

28 - La boite

August 21st 2015 at 09:26

Les techniciens n'aiment pas les politiciens. La grande figure mythologique de la techno ( τέχΜη ) c'est PromĂ©thĂ©e, dont le nom signifie le PrĂ©voyant, celui qui rĂ©flĂ©chit avant, celui qui regarde devant. Son geste - voler le feu aux dieux pour le donner aux hommes - a inspirĂ© une vraie geste, une abondante littĂ©rature romanesque (jusqu'Ă  Frankenstein !) et des rĂ©flexions profondes Ă  bien des philosophes dont Hobbes et Marx.

Prométhée

Selon le poĂšte Eschyle, il apprit aussi aux humains la notion de temps, les mathĂ©matiques, l'Ă©criture, l'agriculture, le dressage des chevaux, la navigation maritime, la mĂ©decine, l'art divinatoire et l'art mĂ©tallurgique.... rien que cela! Dans bien des cultures, au demeurant, c'est un personnage divin qui apprend aux hommes ces choses utiles. En Égypte, le dieu Thot offre ainsi les hiĂ©roglyphes. Sans pour cela se retrouver enchaĂźnĂ© Ă  un rocher comme le malheureux Titan puni par les dieux.

L'originalitĂ© du cycle promĂ©thĂ©en tient aussi Ă  l'histoire des autres membres de la famille, qui est instructive. Fils comme lui du Titan Japet et de l'OdĂ©anide ClymĂ©nĂ©, son frĂšre ÉpimĂ©thĂ©e porte un nom qui signifie au contraire... Celui qui regarde derriĂšre... ou qui rĂ©flĂ©chit aprĂšs coup.

Platon rapporte comment ÉpimĂ©thĂ©e dĂ©cida un beau matin de se charger de rĂ©partir les qualitĂ©s (force, vitesse etc) entre les animaux. Quand le tour des hommes fut venu il ne restait presque plus rien. C'est pour rĂ©parer cette lourde bourde que son frĂšre aurait dĂ©cidĂ© de rĂ©tablir un peu d'Ă©quitĂ© en faveur des malheureux bipĂšdes sans plumes. Il vola le feu au dieu forgeron, et la technique Ă  la sage dĂ©esse AthĂ©na. Mais il ne put dĂ©rober l'art politique, qui Ă©tait dans la chambre de Zeus lui-mĂȘme...

Dans d'autres rĂ©cits, qui ont ma prĂ©fĂ©rence, c'est ÉpimĂ©thĂ©e qui aurait Ă©tĂ© en charge de procurer la compĂ©tence politique aux hommes dĂ©jĂ  dotĂ©s par son frĂšre de la compĂ©tence technique.

De toute façon, quelque soit le rĂ©cit que l'on suit, l'art de se gouverner resta sur l'Olympe. Et c'est pour cela que l'ĂȘtre humain peut aller sur la lune ou inventer le bitcoin, mais n'est pas capable de rĂ©gler ses petites affaires sur terre et de mettre au point une gouvernance un peu sensĂ©e. A cet Ă©gard, compter sur la technique pour rĂ©inventer la politique, comme le font tant de mes amis, est sans doute une illusion.

On voit aujourd'hui des hommes comme Gavin Andresen, partir d'une proposition technique, complexe et ne suscitant pas de consensus, mais dont l'enjeu n'avait rien d'immĂ©diat et la transformer en rupture politique dont les consĂ©quences peuvent ĂȘtre beaucoup plus rapidement tangibles, tout en glissant au passage quelques autres modifications (dĂ©sanonymisation, mise au ban de certains adresses IP...) dont on parle moins mais qui sont aussi controversĂ©es...

Cela illustre assez bien la chose. C'est en lisant tant de commentaires de bitcoiners qui dĂ©plorent la situation crĂ©Ă©e par l'initiative "XT" que le mythe de PromĂ©thĂ©e et ÉpimĂ©thĂ©e m'est revenu Ă  l'esprit. Qu'ils soient frĂšres n'est Ă©videmment pas anecdotique.

Juppiter custosL'art magique de la monnaie, c'est Satoshi qui l'a volĂ© aux banques Quand on voit sur des monnaies romaines "Jupiter Custos" c'est Ă  dire gardien, protecteur, garant, on saisit intuitivement la dimension promĂ©thĂ©enne du crime de Satoshi. Nul ne sait s'il n'est pas aujourd'hui en train d'expier son crime sur quelque rocher. En tout cas il n'en profite guĂšre, puisque lui-mĂȘme n'a pu ou n'a voulu monĂ©tiser sa propre richesse.

Celui qui a vu loin devant, un monde sans monopole des banques, c'est Satoshi, comme PromĂ©thĂ©e avait vu un monde oĂč les hommes se passeraient des dieux pour cuire la soupe ou forger leurs armes.

Celui qui regarde en arriÚre, Epiméthée, c'est Gavin. La taille du bloc c'est un débat technique. Le nombre de transactions que cette taille détermine indirectement, c'est un enjeu qui n'est pas technique. C'est le bon vieux monde d'avant qui veut reprendre le contrÎle. Ce sont les venture capitalistes qui veulent que les start-up bitcoin se développent, tournent, brassent, beaucoup, encore plus. Ils veulent une Visa 2.0.

Revenons donc Ă  cette intĂ©ressante famille : la femme d'EpimĂ©thĂ©e est restĂ©e plus fameuse que lui. Elle avait nom Pandore, ce qui signifie DouĂ©e de tous les dons et c'Ă©tait (comme tant d'autres!) la plus belle femme du monde. Zeus avait envoyĂ©e Ă  ÉpimĂ©thĂ©e comme un cadeau empoisonnĂ© cette attrayante et pernicieuse merveille selon les mots du poĂšte HĂ©siode, avec en prime une petite boĂźte Ă  ne surtout pas ouvrir.

Pandore par Jean Alaux

Dans la boite, comme on sait, les dieux avaient mis toutes les catastrophes possibles. Bien sĂ»r les catastrophes naturelles, mais aussi la maladie, la vieillesse, la folie et la mort. La liste est plus ou moins longue selon les rĂ©cits. Certains y joignent donc le vice et la passion... ce qui nous ramĂšne Ă  l'impossibilitĂ© de nous gouverner dans laquelle le peu rĂ©flĂ©chi ÉpimĂ©thĂ©e nous a laissĂ©s, malheureux humains que nous sommes.

PandoreLe problĂšme de la boite c'est qu'une fois ouverte, elle est ouverte. Les promoteurs de Bitcoin XT proposent de passer en force pour la taille du bloc.

Mais au delĂ  de la taille du bloc, il y a le fait de passer en force. Pour une raison aujourd'hui, pour d'autres raisons demain. Certains n'ont pas hĂ©sitĂ© Ă  parler de "coup d'État" (ce qui est une mĂ©taphore un peu dĂ©placĂ©e dans notre monde sans Etat) ; d'autres plus justement parlent de comportement puĂ©ril.

Les mythes grecs sont subtils. Dans la boite, les dieux avaient aussi glissé l'espérance...

Il est donc un peu tÎt pour annoncer comme le fait le journal Les Echos que l'utopie d'une monnaie décentralisée va disparaßtre dans cette crise existentielle. Il est un peu tÎt pour désespérer d'une gouvernance communautaire, par l'usage en somme : jusqu'au début de janvier en effet, rien ne se passe. A partir de 2016, c'est une sorte de systÚme de vote automatique qui va s'enclencher. Ceux qui auront installé la version nouvelle proposée par Andresen continueront a faire des block de 1 million. Et si plus de 75% de l'ensemble des nouveaux blocks viennent de systemes XT alors le reseau commencera a faire des blocks a 8 millions. Ce sont des choses déjà vues dans le monde de l'Open Source, et auxquelles le monde de la finance centralisée n'était pas habitué. Il y a des voies de solutions, comme celle que suggÚre Bitpay : une augmentation de la taille des blocs, mais intégrée à Bitcoin "Core"... et en préservant le plus possible la nature décentralisée de Bitcoin.

Prométhée a un fils, qui épouse la fille de son frÚre et de Pandore. Quand le déluge survient ( chez les Grecs aussi...) c'est ce couple qui survit, et repeuple la terre. Les hommes, avec ou sans les dieux, finiront bien par construire leur Commune, lui donner des rÚgles convenables et la défendre.

Une fois que les hommes ont reçu le feu, l'Histoire ne finit pas. Elle commence.

AthĂšnes

Pour aller plus loin :

27 - Invisibles ?

August 10th 2015 at 11:43

Ce billet a été republié en langue chinoise sur le "blog de SosthÚne" de l'érudit traducteur Alexis Gaubert, que je remercie vivement, et sur le site chinois 8BTC.

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S'il y a bien quelque chose de comique dans les arguties opposées à la potentialité du bitcoin, ce sont les postures régaliennes. Surtout dans notre espace européen soigneusement vidé de toute souveraineté et dont les vrais dirigeants se sont faits invisibles.

L'histoire avait pourtant si bien combiné chez nous le gouvernement du peuple athénien, le droit romain et la prétention d'Alexandre à une filiation divine : "le Sénat et le Peuple de Rome"s'incarnÚrent durablement en une seule figure, impériale ! L'aureus d'Auguste montrait le pÚre de la patrie avec, au revers, la figure du sphinx, celui dont l'énigme n'a qu'une réponse : l'Homme.

Auguste et le sphinx

Et ainsi de suite jusqu'à Napoléon qui fut l'Homme d'une République dont la mention perdura au revers des piÚces durant de nombreuses années de son rÚgne.

Napoléon République

Lorsque parurent les euros, parut en mĂȘme temps toute une littĂ©rature pour moquer ou dĂ©plorer l'impersonnalitĂ© des nouveaux billets, avec leurs portes et fenĂȘtres bĂ©antes et leurs ponts enjambant le vide. Bruxelles expliqua que les ponts symbolisaient l'union entre les peuples, les portes et fenĂȘtres l'ouverture et la coopĂ©ration au sein de l'Europe.

Foutaise. Le mĂȘme graphiste put refiler en 2010 sa symbolique Ă  Bachar el Assad ! Dans une version en ruine, prophĂ©tie dont je ne sais si elle Ă©tait ironique.

Billets syrien de Kalina



Si mĂȘme les dictateurs prĂ©fĂšrent aujourd'hui les architectures Ă  leurs portraits, il doit y avoir de bonnes raisons.

à nos amisEn voici une. Dans le petit texte à nos amis, publié l'an passé aux éditions de la Fabrique, le "Comité Invisible" explique comment le pouvoir ne réside plus dans les institutions. Il n'y a là que temples désertés, forteresses désaffectées, simples décors. Et trÚs explicitement, c'est en se fondant sur l'iconographie des billets européens que les anonymes auteurs posent leur thÚse :

La vérité quant à la nature présente du pouvoir, chaque Européen en a un exemplaire imprimé dans sa poche. Elle se formule ainsi : le pouvoir réside désormais dans les infrastructures de ce monde. Le pouvoir contemporain est de nature architecturale et impersonnelle, et non représentative et personnelle.

devant les pylĂŽnesCe pouvoir, disent-ils, n'est pas nĂ©cessairement cachĂ©. Ou alors, s'il l'est, il l'est comme la Lettre volĂ©e de Poe. Nul ne le voit parce que chacun l'a, Ă  tout moment, sous les yeux- sous la forme d'une ligne Ă  haute tension, d'une autoroute, d'un sens giratoire, d'un supermarchĂ© ou d'un programme informatique. Et s'il est cachĂ© c'est comme un rĂ©seau d'Ă©gouts, un cĂąble sous-marin, de la fibre optique courant le long d'une ligne de train ou un data center en pleine forĂȘt. Le pouvoir c'est l'organisation mĂȘme de ce monde, ce monde ingĂ©niĂ©, configurĂ©, designĂ©. L'affiche de Mitterrand en 1965 semble emblĂ©matique d'une transition symbolique.

Les luttes d'aujourd'hui sont donc souvent, comme à Notre-Dame des Landes ou dans le Val de Suse, des luttes au sujet des infrastructures. Dont les opposants sont forcément condamnés à se voir tÎt ou tard qualifiés de terroristes. De fait, dans la mouvance anarchiste, prévaut l'idée de bloquer le systÚme. Une affiche de 2006 (lors des luttes contre le CPE) disait C'est par les flux que ce monde se maintient. Bloquons tout ! On a vu récemment que les anarchistes n'avaient plus le monopole du blocage, taxis et éleveurs ayant repris l'idée avec la bienveillance surprenante de ce qui nous tient lieu de gouvernement.

Venons-en ici au bitcoin. Je l'ai dĂ©jĂ  abordĂ© sous l'angle de l'infrastructure, dans mon billet "complĂštement timbrĂ©" oĂč je rappelais que la Poste, avait toujours Ă©tĂ© un instrument crĂ©ateur de puissance, y compris financiĂšre. Or la Blockchain est une infrastructure qui s'inscrit historiquement aprĂšs la Poste des Thurn und Taxis, les lignes Morse devenues la Western Union, les messageries de Google ou de Facebook.

Mais elle ne peut ĂȘtre possĂ©dĂ©e par une puissance privĂ©e ni contrĂŽlĂ©e par une puissance publique. Ni a priori bloquĂ©e par quiconque, qu'il soit tyran ou terroriste. Bitcoin et la blockchain offrent donc des perspectives politiques nouvelles. Je cite de nouveau le "ComitĂ© Invisible": ObsĂ©dĂ©s que nous sommes par une idĂ©e politique de la rĂ©volution, nous avons nĂ©gligĂ© sa dimension technique. Une perspective rĂ©volutionnaire ne porte plus sur la rĂ©organisation institutionnelle de la sociĂ©tĂ©, mais sur la configuration technique des mondes. (...) il nous faudra coupler le constat diffus que ce monde ne peut plus durer avec le dĂ©sir d'en bĂątir un meilleur.

Il ne s'agit pas de se contenter d'utiliser Twitter dans les manifestations (ou pour les organiser) et les réseaux sociaux pour critiquer en temps réel (et le plus souvent en en restant à une dérision amÚre) les choses du monde comme il va.

The New Dgital AgeLes analyses de Jared Cohen et Eric Schmidt dans The new digital Age font d'Internet la plus vaste expérience impliquant l'Anarchie dans l'Histoire. Elles peuvent aussi laisser penser que Facebook est moins le modÚle d'une nouvelle forme de gouvernement que sa réalité déjà en acte. Et que, comme l'annoncent Cohen et Schmidt, ceux qui n'auront pas de profil social seront fichés. Car c'est le profil Facebook qui tiendra lieu d'identité, et il sera aussi intolérable de le cacher (à l'Etat, aux banquiers...) que de dissimuler son visage.

Il est donc curieux que le "ComitĂ© Invisible" n'ait pas citĂ© Bitcoin, mĂȘme dans son analyse des "communs" (sur laquelle je reviendrai) et fĂ»t-ce nĂ©gativement. Autour de cette infrastructure dĂ©centralisĂ©e, et grĂące Ă  elle, ceux qui veulent changer les choses peuvent dĂ©couvrir les briques invisibles d'une nouvelle maison commune :

  • Ethereum qui permet la mise en oeuvre de contrats intelligents, fonctionnant exactement comme ils ont Ă©tĂ© programmĂ©s pour le faire sans risque de prescription, de censure, ou de fraude, et surtout sans place pour un "tiers de confiance" prĂ©dateur. Ethereum veut restituer ce qui aurait dĂ» advenir grĂące Ă  Internet, y compris en permettant Ă  chacun de crĂ©er des organisations dĂ©mocratiques autonomes.
  • Augur qui permettra la construction d'un marchĂ© dĂ©centralisĂ© de prĂ©diction, dĂ©bouchant sur une rĂ©volution en matiĂšre de prise de dĂ©cision
  • Storj qui veut offrir le stockage chiffrĂ© sur cloud privĂ© le plus sĂ»r possible, grĂące Ă  la technologie blockchain et au protocole P2P.
  • ...mais aussi des services comme Otonomos, qui souhaite permettre Ă  n'importe qui de crĂ©er gratuitement une entitĂ© juridique lĂ©gale, basĂ©e Ă  Singapour, et dont les actions sont accessibles par l'intermĂ©diaire d'une adresse cryptographique comme un porte-monnaie bitcoin.
  • ... ou comme Twister un rĂ©seau social dĂ©centralisĂ© basĂ© en partie sur les protocoles Bittorrent et Bitcoin, ce qui en fait un outil incensurable et en partie chiffrĂ©.

le roman oĂč est (peut-ĂȘtre) Ă©voquĂ© l'informatisation ?Oui, il est temps que ceux qui disent penser au monde de demain en dĂ©couvrent les ruptures de paradigme. Nos dirigeants aiment Ă  visiter les clusters technologiques, mais leur obstination Ă  construire des aĂ©roports inutiles en dit assez long sur le type d'infrastructure qu'ils ont toujours en tĂȘte. Songeons Ă  Jules Verne. Il s’intĂ©ressait aux fonctions des machines mais n’abordait pas la thĂ©orie sous-jacente Ă  ces machines. Il y avait deux approches des automates (thĂ©orie des automates et modĂ©lisation) et Jules Verne n’a pas envisagĂ© ces approches. Il frĂ©quentait des spĂ©cialistes en balistique, gĂ©ographie, chimie, physiologie, histoire naturelle et mines. Mais non ceux qui l'auraient conduits vers la binarisation et la rĂ©volution de l'avenir.

Mais mĂȘme dans notre communautĂ©, il est curieux que les graphistes aient si peu tentĂ© de reprĂ©senter Bitcoin autrement que comme une piĂšce (sans portrait, comme les billets de Kalina !) voire un simple jeton dorĂ©. Certains ont voulu mettre en valeur le caractĂšre numĂ©rique de Bitcoin; Mais c'est le plus souvent en rabĂąchant une iconographie de type Matrix.

Figuration numérique

En cherchant bien on trouve quelques reprĂ©sentations sous sa vraie nature de rĂ©seau, dont celle-ci oĂč le verrou censĂ© reprĂ©senter la sĂ©curitĂ© de la chose, me paraĂźt quand mĂȘme inappropriĂ©...

le cadenas pour la sécurrité

Représenter Bitcoin dans sa nature d'infrastructure immatérielle et invisible est un sacré défi pour les artistes. Et pour nous tous !

Bitcoin art

Pour aller plus loin :

  • la lecture de Ă  nos amis est possible en ligne sur Internet, sans doute du fait d'une mise en ligne sauvage. Mais il existe une diffĂ©rence entre le laisser-ĂȘtre et le laisser-aller, et je recommande Ă  mes propres lecteurs d'acheter le livre plutĂŽt que d'en piller la lecture.
  • Sur Jules Verne et la binarisation, on peut lire une intĂ©ressante Ă©tude universitaire.

24 - Les Anges, de Byzance Ă  Bitcoin

July 9th 2015 at 13:52

C'est Byzance !

piĂšce d'or de Jean II ComnĂšneJadis les voyageurs dĂ©couvraient avec Ă©merveillement Byzance, l'opulence de ses marchĂ©s, le luxe de ses Ă©glises oĂč les saints rĂšgnaient sur l'or des mosaĂŻques, et ses belles piĂšces d'or ou d'electrum, sur lesquelles le Christ lui-mĂȘme apportait sa caution Ă  l'empereur.

Ils rapportĂšrent en France l'expression "c'est Byzance". Une autre expression, valoir son pesant d'or, oĂč l'on trouve le vieux mot bezant, tĂ©moigne de cette antique fascination...

Dans le monde du bitcoin, on fait aujourd'hui plutÎt référence à cette "seconde Rome" pour ses fameux généraux byzantins, qui doivent se concerter tout en supposant l'existence d'un certain nombre de traitres parmi eux.

attaque byzantine en sicile, 1038

La solution du problĂšme mathĂ©matique n'Ă©tant guĂšre inconnue de mes lecteurs, je pose la question historique Ă  laquelle pour ma part je n'ai hĂ©las pas trouvĂ© la rĂ©ponse : pourquoi des byzantins ? Dans leur Ă©tude, Lamport, Shostak et Pease ne s'expliquent pas sur ce point. Les commentateurs se contentent d'affirmer que cela fait rĂ©fĂ©rence Ă  un fait historique. Ce pourrait bien ĂȘtre le siĂšge d'Alexandrie en 641, au cours duquel en rĂ©alitĂ© les gĂ©nĂ©raux byzantins se montrĂšrent en dessous de tout, mais l'histoire byzantine est bien longue et riche en Ă©popĂ©e... Le plus probable que l'un des trois auteurs a eu quelque rĂ©miniscence cinĂ©matographique, et qu'il a songĂ© par exemple au Dernier des Romains (1967) ou au pĂ©plum de Riccardo Freda (1954) Theodora impĂ©ratrice de Byzance. Si un de mes lecteurs peut m'aider, il est le bienvenu!

Byzance, une seconde fois vaincue dans nos programmes scolaires, mal valorisée au Musée du Louvre, disparait lentement de notre mémoire collective. Il en demeure l'idée d'une civilisation brillante mais incapable de se défendre, et une histoire, sans doute fausse, sur ce dont les responsables de la ville auraient disputé durant l'assaut final des Turcs : l'épineuse question du sexe des anges.

Un ange de TiepoloElle prĂȘte aujourd'hui Ă  rire. Mais si les angelots des peintres ont des petits sexes de sacripants qui les situent entre les Amours et les Lutins, les Anges n'ont point ce genre d'organes. La question historique qui s'est posĂ©e (et en fait bien des siĂšcles avant la chute de Byzance en 1453) c'est celle de leur corporĂ©itĂ©, de leur forme matĂ©rielle, de la nature de leur dĂ©placement dans l'espace.

Ce n'est pas sans intĂ©rĂȘt pour ceux qui rĂ©flĂ©chissent aujourd'hui sur la nature du bitcoin.

Comme je l'ai expliquĂ© sans trop de dĂ©tail sur le Cercle des Échos, les Anges sont, dans la pensĂ©e des Anciens, des messagers de l'au-delĂ . Ils ont donc une nature non matĂ©rielle et ils se situent dans un espace qui n'est pas celui "de ce monde". Deux points qui peuvent nous interpeller. Comment nos ancĂȘtres ont-ils surmontĂ© les difficultĂ©s diverses que cette double altĂ©ritĂ© suscitait pour eux?

ange byzantinLes artistes les reprĂ©sentĂšrent comme de gracieux jeunes ĂȘtres, parfois un peu androgynes, souvent dotĂ©s d'ailes dĂ©signant la provenance (les "cieux"), la fonction (apporter des messages Ă  tir d'aile) et la diffĂ©rence avec les humains. Une aurĂ©ole complĂštait la reprĂ©sentation en suggĂ©rant une nature meilleure que celle de notre chair.

Au total les artistes de jadis se donnÚrent donc plus de mal que les infographistes d'aujourd'hui qui ne trouvent guÚre de représentation du bitcoin autre qu'une sorte de piÚce d'or sans ornement.

Signalons donc au passage que l'une des plus belles piÚces du temps de nos rois fut justement un ange, l'Ange d'or battu en 1341 par Philippe VI. C'était rappeler ce que tout le monde savait: que les fleurs de lys avaient été jadis apportées directement par un Ange. Le roi de France était le seul à faire "porter" son blason par des Anges.

un ange d'or

Et ajoutons que la République française émit aussi une piÚce de 20 francs ornée d'un Ange, évidemment laïcisé sous le nom de "Génie de la Liberté". La persistance de cette symbolique n'en n'est pas moins frappante. Comme si l'on avait toujours su que la monnaie était aussi une forme de message...

ange moderne

Venons-en Ă  ce que les penseurs de jadis peuvent nous apporter.

On doit à saint Augustin (354-430), le plus grand philosophe de l'Antiquité tardive, cette définition : Les anges sont des esprits, mais ce n'est pas parce qu'ils sont des esprits qu'ils sont des anges. Ils deviennent des anges quand ils sont envoyés en mission. En effet, le nom d'ange fait référence à leur fonction et non à leur nature. Si vous voulez savoir le nom de leur nature, ce sont des esprits ; si vous voulez savoir le nom de leur fonction, ce sont des anges, ce qui signifie messager. Il y a là un effort conceptuel que l'on pourrait mettre en parallÚle avec certaines distinctions toujours utiles à rappeler dans le monde du bitcoin, comme celle que l'on fait entre le protocole et la devise.

Entre Platon et Aristote, le triomphe de Thomas d'Aquin, dĂ©tail du tableau par Gozzoli au MusĂ©e du LouvreMais c'est surtout chez saint Thomas d'Aquin (1225-1274) que l'on va trouver l'exposĂ© le plus complet, avec un incroyable souci du dĂ©tail, sur toutes les questions que peut poser Ă  l'esprit philosophique l'existence d'un objet sans corps se manifestant par sa seule efficience : est-il composĂ© de matiĂšre ou de forme ? est-il dans un lieu ? dans plusieurs lieux en mĂȘme temps? Ă  plusieurs dans le mĂȘme lieu ? passe-t-il d’un lieu Ă  un autre en traversant l’espace intermĂ©diaire ?

Sans grand effort de transposition, ce sont des questions que peuvent se poser les hommes d'aujourd'hui, et je pense notamment aux rĂ©gulateurs et aux juristes, quand ils rĂ©flĂ©chissent sur les monnaies dĂ©centralisĂ©es. Du fait de ces similaritĂ©s, je pense que la mĂ©thode philosophique de Thomas d'Aquin a peut-ĂȘtre quelque chose Ă  nous apporter.

CrivelliIl y a autre chose, dans sa dĂ©marche qui me paraĂźt devoir ĂȘtre suggĂ©rĂ© Ă  ceux qui rĂ©flĂ©chissent aujourd'hui autour de la monnaie virtuelle. C'est son constant souci de rĂ©concilier les Ecritures saintes et les enseignements philosophiques, essentiellement ceux d'Aristote. Non ce qui est tenu pour vrai par les uns ou par les autres, mais ce qui Ă©tait tenu alors pour vrai par les uns et par les autres. Concilier et unir les deux approches intellectuelles de l'Ă©poque. C'est ce que symbolise bien le retable de Crivelli (1494).

Aujourd'hui il est, par exemple, insuffisant de ne s'interroger sur la nature des nouvelles monnaies qu'en termes purement techniques.

Non pas bien sûr que la technique soit inadaptée, incompréhensible ou trompeuse. La connaissance technique est irremplaçable. Mais parce que c'est de la confluence de plusieurs approches que naßtra une large acceptation de cette nouveauté radicale dans une plus vaste communauté.

Pour aller plus loin :

21 - Respecter les lois sans sacrifier aux idoles

June 5th 2015 at 22:32

La condamnation de Ross Ulbricht et de sa Route de la Soie clĂŽt peut-ĂȘtre une affaire qui, claire sur le fond (les trafiquants de drogue sont condamnĂ©s dans une trĂšs large majoritĂ© de pays) a Ă©tĂ© quelque peu embrouillĂ©e conceptuellement de part et d’autre, les arguments ayant eu tendance Ă  monter aux extrĂȘmes, mĂȘme du cĂŽtĂ© des dĂ©fenseurs de la loi et de l’ordre.

Ce fut la premiĂšre fois que le gouvernement local se servit du terme de blanchiment d’argent  pour y inclure spĂ©cifiquement l’usage du bitcoin plutĂŽt que de l’honnĂȘte monnaie amĂ©ricaine. Comme on sait dĂ©sormais que toute transaction en dollar est rĂ©putĂ©e commise sur le sol amĂ©ricain, le choix des possibles pour les dĂ©linquants se restreint. Il est vrai que nul n’est contraint de se faire dĂ©linquant.

Ce fut la premiĂšre fois aussi qu’un individu se voyait poursuivre du seul fait d’avoir construit un site internet, sans grand Ă©gard pour le Communications Decency Act de 1966. Il est vrai qu’une telle tendance est loin d’ĂȘtre spĂ©cifiquement amĂ©ricaine, la loi française permettant maintenant une censure de la presse digitale sans les garanties accordĂ©es en un temps meilleur Ă  sa sƓur ainĂ©e.

Enfin on a vu la juge Katherine Forrest incriminer l’accusĂ© de ce qu’il aurait inventĂ© une façon de mal faire sans prĂ©cĂ©dent et donc le charger des crimes que d’autres pourraient concevoir Ă  l’identique et dont il devrait, lui, payer les consĂ©quences. 

C'est transformer par balourdise un mouton noir en bouc sacrificiel ! 

Ce type d'Ă©vĂ©nements montre incidemment l’incompĂ©tence technologique des Ă©lites dirigeantes.

Il est vrai que l’innovation affole certains. Et pas seulement l'innovation technologique puisque l'on avait vu la mĂȘme juge demander aux inculpĂ©s de Morgan et Goldman d’éviter les termes de swaps et de  collatĂ©raux pour Ă©pargner les cervelles des jurĂ©s. 

En admettant qu'Ulbricht n'ait pas bricolĂ© mais inventĂ© quelque chose de suffisamment nouveau et qu'il en soit responsable, il faudra l'en crĂ©diter quand des choses intelligentes et rentables naitront de sa mortifĂšre aventure. Le  four Ă  micro-ondes et tant d’autres choses ne sont-elles pas nĂ©es des technologies de guerre ?

Non seulement les responsables ne comprennent pas la technologie, mais ils croient pouvoir la rĂ©gir. Les mĂȘmes technologies mises en oeuvre par Ulbricht attirent dĂ©jĂ  des millions de dollars de la Silicon Valley Ă  Wall Street! 

Restons-en Ă  la philosophie juridique et politique. Quand on inculpe quelqu’un de trafic de drogue, quand on cite Ă  la barre des parents de jeunes dĂ©cĂ©dĂ©s d’overdose, il est troublant de voir ajouter des niaiseries comme celles-ci : Ce que vous avez fait avec la Route de la Soie Ă©tait terriblement destructeur pour le tissu social.

C’est pourtant un point critique pour la juge amĂ©ricaine. Je la cite : l’intention avouĂ©e de la Route de la Soie Ă©tait de se placer au delĂ  de la loi. Dans le monde que vous avez crĂ©Ă© au fil du temps, la dĂ©mocratie n’existait pas. Vous Ă©tiez le capitaine du bateau. La conception et l’existence de la Route de la Soie reposaient sur l’assertion que son concepteur Ă©tait meilleur que les lois de ce pays. C’est quelque chose de trĂšs troublant, de terriblement mal inspirĂ© et de trĂšs dangereux.

On pourrait se contenter de glisser sur ce morceau de grandiloquence juridique qui oublie qu’aprĂšs tout les gaillards de 1776 aussi se sont crus au dessus des lois du moment, et que les participants de la Boston Tea Party ont pris quelques libertĂ©s avec la traçabilitĂ© et la taxation des transactions...


 

On pourrait aussi rappeler que la mĂȘme juge a bien Ă©ludĂ© le fait que le FBI en ayant (peut-ĂȘtre) utilisĂ© des mĂ©thodes peu orthodoxes - surveillance sauvage, hacking - pour pĂ©nĂ©trer les serveurs de la Route de la Soie semble bien s'ĂȘtre aussi placĂ© au delĂ  des lois, ce que font aujourd’hui presque tous les gouvernements dĂ©mocratiques pour un oui ou pour un non. On pourrait au contraire se dire que ce pathos est typiquement amĂ©ricain, comme les mots de l’accusé - Je suis un peu plus sage aujourd’hui, un peu plus mature, et beaucoup plus humble - si faux et ridicules pour une oreille française.

Il est plus utile de remarquer que la loi amĂ©ricaine se retrouve placĂ©e par la juge Katherine Forrest en position d’ĂȘtre considĂ©rĂ©e comme la meilleure du monde. Il y a d’ailleurs une sorte de consentement international Ă  cette pĂ©tition (songeons Ă  certains commentaires sur le rĂŽle que le FBI pourrait jouer dans les petites affaires de la FIFA).

La mĂȘme juge amĂ©ricaine avait justifiĂ© la peine infligĂ©e en 2014 Ă  l’imam radical de Londres, AbĂ» Hamza, par le fait que « le monde » ne serait pas en sĂ©curitĂ© si le prĂȘcheur Ă©tait en libertĂ©.

Seulement, avec l’efficacitĂ© de la justice amĂ©ricaine (et sa capacitĂ© pratiquement impĂ©riale d’agir urbi et orbi) c’est Ă  une morale banalement locale que nous voici confrontĂ©s. Je cite la juge dans ses attendus face Ă  l’imam : le mal peut avoir diffĂ©rentes formes et n’apparaĂźt pas toujours au premier abord dans toute sa noirceur, avait-elle expliquĂ© avant d’ajouter qu’elle avait dĂ©tecté une part de vous que ce tribunal considĂšre comme diabolique.

Revenons sur terre... Sur le fait que Ross Ulbricht eĂ»t Ă©tĂ© mieux inspirĂ© de respecter les lois de son pays, il y a un texte philosophique de rĂ©fĂ©rence, c’est le Criton de Platon. Seulement dans ce dialogue, si une belle part de la dĂ©monstration (page 30 et suivantes) repose sur la dette de naissance contractĂ©e par Socrate vis Ă  vis d’AthĂšnes, une autre provient de son consentement implicite : il n’est jamais sorti de sa citĂ©.

Ce qu’on a rĂ©sumĂ© plaisamment : AthĂšnes, tu l’aimes ou tu la quittes.

Est-ce un argument recevable aujourd’hui par la jeunesse mondialisĂ©e, pour des actes commis dans un cyber-espace ? Cela fait des annĂ©es qu’il est de bon ton d’afficher que l’on est citoyen du monde, cela se rĂ©sumĂąt-il Ă  un gros bilan carbone, Ă  l’usage du globish et Ă  un peu de bouffe ethnique. Sans doute le citoyen du monde qui se dĂ©couvre justiciable in fine de la loi amĂ©ricaine avec sa morale prĂȘchi-prĂȘcha, son axe du mal, son obsession sĂ©curitaire et mĂȘme sa peine de mort, va-t-il revoir son inscription identitaire. Ce qui ne veut pas dire qu’il aura plus de respect pour une justice nationale (celle de sa rĂ©sidence Ă  l’instant t ? celle du hic et nunc ?) se saisissant d’actes commis dans un cyber-espace. Pourquoi ? 

Parce que le cyber-espace a sa culture et sa morale propres. Pascal, une grosse pointure, savait bien que vĂ©ritĂ© en deçà des PyrĂ©nĂ©es, erreur au-delĂ  et il n’y a donc rien d’étonnant Ă  ce qu’un geek et un juge (français, amĂ©ricain ou papou) se comprennent mal et ne partagent pas grand chose. Ce diffĂ©rend excĂšde de trĂšs loin le petit sujet du cannabis, dont l'historien ne dira rien sinon qu'il a un prĂ©cĂ©dent avec la Prohibition, qui ne faisait pas forcĂ©ment de l'AmĂ©rique le meilleur endroit du monde. 

Pour en revenir au bitcoin, il y a en vĂ©ritĂ© un Ă©cart Ă©norme, sidĂ©rant, entre d’un cĂŽtĂ© ce qui se dit et se pense dans les Ă©lites dirigeantes et mĂȘme ce qui se lit dans la presse mainstream et de l'autre cĂŽtĂ© le foisonnement d’idĂ©es des meet-up ou la richesse des dĂ©bats dans les forums.

Pour les anciens, le bitcoin est spĂ©culatif, incomprĂ©hensiblement anonyme et manifestement destinĂ© Ă  vendre de la drogue. Il est un dĂ©fi Ă  l'Idole qu'ils ont dressĂ©e eux-mĂȘmes, entre leur adolescence qui correspond Ă  l'instauration des changes flottants et leur retraite aprĂšs la crise des subprimes...

Pour les modernes les questions que pose le bitcoin sont innombrables et tournent, en simplifiant et en en oubliant, autour de thĂšmes comme : la validitĂ© et robustesse des preuves de travail et des mĂ©thodes alternatives, la sĂ©curitĂ© des cryptages et des storages, le jeu infiniment complexe autour du coĂ»t du minage et du prix du bitcoin (quelques recherches mathĂ©matiques de haut niveau
) sans compter l’épineuse question de la taille des blocks, qui se rĂ©vĂšle riche en enjeux et propice Ă  l’empoignade. S’y greffent des problĂšmes de gouvernance (au niveau de la Fondation, des associations nationales, mais aussi des nodes).

Comment le dire ? L’Histoire a dĂ©jĂ  connu ces pĂ©riodes de changements de paradigme. Peut-ĂȘtre vivons-nous, comme l'Ă©crivait Paul Jorion (MisĂšre de la pensĂ©e Ă©conomique, p. 17)  l'un de ces moments oĂč l'humanitĂ© se met Ă  vivre sur un mode nouveau, oĂč elle passe Ă  autre chose. Ce sont des mouvements de basculements qui sont aussi le plus souvent des pĂ©riodes de dĂ©sordre social. Une "pĂ©riode critique" comme auraient dit Gide et Rist Ă  la veille de la premiĂšre guerre.

Peut-on pour autant parler de destruction du tissu social ? d'anarchie? Dans ma propre vie, j'ai oeuvré dans une banque, dans le capitalisme familial et dans le mouvement coopératif. Je peux comparer ... les bitcoineurs ne croient pas aux Idoles de l'ancien monde, mais ils ne sont pas fous et ils ne sont pas amoraux. 

Certes leur territoire n’est pas reprĂ©sentĂ© Ă  l’ONU mais ils entendent fort bien ce que les lois disaient Ă  Socrate, Ă  savoir que la rĂ©probation suit le criminel oĂč qu’il aille : tout corrupteur des lois passe Ă  juste titre pour un corrupteur des jeunes gens et des faibles d’esprit. Alors, Ă©viteras-tu les villes qui ont de bonnes lois et les hommes les plus civilisĂ©s ? Et si tu le fais, sera-ce la peine de vivre ? Autrement dit le monde du bitcoin (comme plus gĂ©nĂ©ralement celui de l'Internet) a bien ce que Durkheim appelait "un social intĂ©riorisĂ©".

L'affaire de la Route de la Soie concerne tous ceux qui sont impliquĂ©s dans le dĂ©veloppement des Ă©changes dĂ©centralisĂ©s et de la monnaie pseudonyme ou anonyme. Ceci n'est pas abordĂ© sans souci moral. J'invite le lecteur Ă  suivre par exemple la prĂ©sentation faite par le parti pirate hollandais au Bitcoin Wednesday du 4 mars dernier (discussion Ă  partir de la 16 Ăšme minute) ou la prĂ©sentation faite le mĂȘme jour par le spĂ©cialiste du crime numĂ©rique Rickey Givers sur le bitcoin et le crime (discussion Ă  partir de la 12 Ăšme minute). Nul n'est contraint d'adhĂ©rer point par point Ă  toutes les assertions, mais il est clair que la communautĂ© n'est pas anomique ou nihiliste.

Sans doute il y a eu des bitcoins trempés de drogue, mais il y a aussi bien des billets de banque contaminés à la cocaïne (10% ? 50% ? 90% ? ) et l'on n'en fait pas grief à MM. Trichet et Draghi. Sans doute il y a eu Mt Gox dont on parle tant, comme il y avait eu Panama, suffisamment oublié pour que l'on ait pratiquement réitéré avec Eurotunnel. 

Mais dans le monde du passĂ©, on pouvait acheter sa LĂ©gion d'Honneur
 ce qui Ă©tait terriblement destructeur pour le tissu social. Sur Internet la bonne rĂ©putation ne s'acquiert point avec la ceinture dorĂ©e. Faut-il rappeler que c’est sur Internet que se sont construits les modĂšles de tissu social oĂč la rĂ©putation est gĂ©rĂ©e de façon non centralisĂ©e, non autoritaire, non rĂ©galienne ?

La vraie question, si l'on est intĂ©ressĂ© Ă  la fois par le droit et par la technologie n'est-elle pas celle-ci : qu'est-ce que la technologie peut apporter (autrement que par l'usage de gadgets !) Ă  la construction, par une communautĂ© elle-mĂȘme, d'une norme socialement satisfaisante ? Et que peut apporter particuliĂšrement une technologie d'Ă©changes non centralisĂ©s? Car le projet ne saurait ĂȘtre de remplacer la Chambre des DĂ©putĂ©s (juste derriĂšre le Veau d'or ci-dessus...) par une firme de Californie, mĂȘme si la chose serait certainement admissible par nos gouvernants de plus en plus inquisiteurs et autoritaires. 

 

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