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40 - Tintin et l'hype"ĐŻ"texte

January 28th 2016 at 09:24

Chacun a compris ici ou sur le site ami bitcoin.fr que je fais partie, quelque part entre 7 et 77 ans (et plus prĂšs de la limite haute) d'une des nombreuses gĂ©nĂ©rations Tintin. Depuis plusieurs jours je mĂ©ditais un nouveau billet avec l'idĂ©e de l'illustrer par de curieux dĂ©tournements de cette Ɠuvre immense. Les Ă©vĂ©nements, comme on va le voir, se sont tĂ©lescopĂ©s ce qui m'a paru un signe Ă©tonnant.

De quoi s'agissait-il au début ? Des liens hypertextes, qu'un amendement proposé par deux députés vise ni plus ni moins qu'à interdire.

Tintin et l'hypertexte

Depuis quelques jours en effet, ledit amendement a fait enfler un dĂ©bat un peu surrĂ©aliste, tant d'un point de vue juridique puisqu'il s'agit de contourner un arrĂȘt de la CJUE, que d'un point de vue technique puisqu'il s'agit de dĂ©battre de la nature mĂȘme du lien permettant un accĂšs pas forcĂ©ment autorisĂ© - c'est vrai - Ă  une Ɠuvre protĂ©gĂ©e par la loi mais exposĂ©e par la technique.

de quoi rireCe projet (qui n'est pas la premiÚre manifestation de compassion politique pour les "ayants droit") a provoqué moins d'effroi que d'hilarité de la part d'une vaste communauté qui considÚre le cyber-espace comme libre à tous égards, et les biens culturels comme ayant un coût/prix marginal nul.

On peut en disputer savamment, mais notons d'abord que ce qui apparaßt comme légal à l'opinion tend à le devenir en bien des domaines. Notons ensuite qu'une loi qu'on ne saurait faire appliquer est une sottise. Toutes les tentatives d'interdire les liens se sont soldées par des échecs, comme le rappelle opportunément Libération...

En matiĂšre de protection bornĂ©e du droit d'auteur, fĂ»t-ce au bĂ©nĂ©fice d'un ayant droit, il y a un mĂštre Ă©talon: c'est l'entreprise Moulinsart. Il lui arrive de pousser le bouchon jusqu'Ă  perdre ses procĂšs. Cette entreprise est gĂ©rĂ©e d'une main avide par un monsieur dont le principal titre est d'ĂȘtre le second mari de la seconde femme d'HergĂ© et qui, bien au-delĂ  du contrĂŽle des dĂ©cors de mugs ou de T-shirts, prĂ©tend contrĂŽler pratiquement toute la production intellectuelle ou artistique, comique ou savante, sur une Ɠuvre qui n'est pas la sienne, quand bien mĂȘme elle lui appartiendrait financiĂšrement.

le DUpondt sans peineParmi ses victimes figura, en 1997, l'humoriste Albert Algoud qui publiait alors un savoureux "Le Dupondt sans peine" pour lequel il se vit purement et simplement interdire la reproduction de la moindre vignette. L'ouvrage n'Ă©tait en rien une attaque contre l'Ɠuvre ou la mĂ©moire de HergĂ© et ne portait nul prĂ©judice moral ou commercial Ă  Tintin.

Comme on sait, il ne sert Ă  rien de contraindre les gens imaginatifs, car cela les rend plus imaginatifs encore. Si Tintin fait rĂȘver, c'est qu'il reste des rĂȘveurs, et que le lien entre lui et ses fans n'est pas commercial.

L'ouvrage fut donc illustré, et bien illustré. D'abord par des dessinateurs amis (ou complices ?) qui réinterprétÚrent les Dupondt en dépit des foudres de leur "propriétaire".

d'autres Dupondt

Dupond et Dupont se virent transformés en véritables fétiches. Sans risque puisque ce dessin ne copie pas directement un dessin effectivement signé de Hergé.

fétichisme

Mais au-delà, quand il lui fallait copier et non détourner, Algoud inventa une forme originale de citation: la vignette blanche, ou "case fantÎme", dont l'image (que chacun connaßt déjà et que les vrais amateurs de Tintin peuvent se représenter par la pensée) est absente, mais assortie d'un gentil appel au crime. Comme cela :

découper2

Ou en désignant narquoisement l'enquiquineur à la vindicte populaire...

fielleux

pillageEn termes propres, il s'agissait bien de piller, au moins symboliquement. Et tout cela sans que le mot Internet ne soit Ă©noncĂ©. À l'Ă©poque il y avait une quarantaine de millions d'ordinateurs connectĂ©s. Trois ans plus tard ce nombre avait dĂ©jĂ  Ă©tĂ© multipliĂ© par dix. Il y aurait aujourd'hui plus d'un milliard de sites.

Tintin, Haddock, les Dupondt et Tournesol n'ont donc jamais pu ĂȘtre totalement aliĂ©nĂ©s aux intĂ©rĂȘts financiers de la "famille", malgrĂ© la force de frappe financiĂšre (et donc juridique) qu'on peut lui supposer.

S'il lui arrive de gagner en justice, une simple intimidation suffit le plus souvent. C'est ce qui vient de se produire avec le (dĂ©jĂ  culte) Ă©tudiant belge connu comme "Un faux graphiste". Ce tintinophile averti avait ouvert un site de dĂ©tournement de Tintin avec des dizaines de planches extrĂȘmement bien vues, largement reprises sur sa page Facebook.

Je donne ces informations pour que chacun puisse prendre ses prĂ©cautions. Les dessins vont en effet ĂȘtre retirĂ©s suite Ă  des menaces de "Moulinsart".

Je cite "Un faux graphiste": Mes dĂ©tournements de Tintin n'ont jamais gĂ©nĂ©rĂ© aucun profit, on s'est juste bien marrĂ© pendant un an. Moulinsart veut que je les supprime de la page, et n'ayant aucune ressource financiĂšre, je ne compte pas m'engager dans une bataille juridique, sans doute perdue d'avance. Ils seront supprimĂ©s dans le courant de la semaine, et ça me fait mal au coeur
 Ses fans, dont je suis, partagent sa dĂ©ception. mais la guĂ©rilla continue. Je parie un bitcoin qu'on trouvera toutes ses planches en ligne dans un an, dans cinq ans, dans cent ans.

Sur Internet on trouve tout et le pire. Et quant Ă  l'honneur de Tintin, bien pire que ce que faisait le malheureux graphiste belge : comment Tintin s'y prend avec les filles (ha ! ha !) et mĂȘme comment Tintin aime Milou.

Tu viens de cliquer sur ce second lien, ami lecteur, et tu es déçu : il ne s'est rien passĂ©. DĂ©sormais La Voie du Bitcoin appliquera la loi : plus de lien hypertexte. Mais tu peux recrĂ©er toi-mĂȘme un "lien Algoud" : copie les mots joliment coloriĂ©s en bleu et colle les dans la barre Google. Cela doit sĂ»rement pouvoir s'automatiser. Il va donc falloir aussi interdire de colorier les mots en bleus. Il serait mĂȘme prudent d'interdire Google s'il ne respecte pas toutes les lois françaises. Le Parlement va aussi Ă©crire Ă  Internet Inc. pour faire remplacer l'arobase (@) par le (Ă ) qui est tout de mĂȘme plus français. Il suffira de mettre Ă  jour quelques milliards de pages et quelques millions de programmes.

Allez, préparons-nous pour la grande révolution numérique à la française, avec un zeste d'humour belge et un reste de compassion pour les jeunes entrepreneurs, et disons au-revoir à ... Un faux Graphiste.

les jeunes entrepreneurs (copie illégale puisqu'aucun droit n'est reversé à l'étudiant belge, que je félicite pour son fair-play autant que pour son talent! )

29 - Retour Ă  Tintin

September 13th 2015 at 14:33

on va rireJe viens de publier sur le site bitcoin.fr et à la demande de ses fondateurs un cycle de billets tournant autour de "l'identité du bitcoin". En tentant de répondre à la question de savoir pourquoi son logo usuel est de couleur orange, il y a une petite vignette de Tintin qui m'est revenue à l'esprit.

Presqu'anecdotique dans le rĂ©cit oĂč elle figure, elle m'a pourtant semblĂ© faire le lien entre deux textes publiĂ©s ici l'an passĂ©.

Pourquoi revenir Ă  Tintin?

En effet, j'avais déjà abordé le monde de Tintin dans Le Secret de Nakamoto, et plusieurs aspects de la symbolique de la couleur orange dans mon billet en marge des mystÚres sacrés.

Le cycle de la Licorne est notoirement l'un des plus riches (un trĂ©sor!) d'un point de vue analytique. J'avais Ă©tĂ© frappĂ© de l'abondance d'enseignements sur ce que sont un secret, un message codĂ©, la valeur des choses, ce que signifie le lieu du trĂ©sor. La quĂȘte des origines, le pĂšre absent dans la filiation d'HergĂ© comme dans celle d'Haddock rĂ©sonnaient aussi avec l'absence de Satoshi Nakamoto.

le dernier incaLe cycle du Temple du Soleil, qui suit immédiatement, est antithétique et complémentaire. Complémentaire parce que ce sont à chaque fois des trésors volés, le premier par le pirate puis par le chevalier, le second par les explorateurs, puis par Tournesol. Antithétique parce que le trésor du pirate était retrouvé non pas au bout du monde, mais chez soi, alors qu'une petite partie de celui de l'Inca (un simple bracelet) est finalement rapportée à l'autre bout du monde. Hergé n'a donc pas construit son récit sur le modÚle du précédent, alors qu'il aurait parfaitement pu le faire : Tintin aurait pu découvrir le trésor d'Atahualpa que l'on cherche toujours et l'exposer à Moulinsart à cÎté de celui de Rakham...

Or ce trésor, il est admis à le contempler mais jure qu'il n'en dira aucun mot hors du temple. le trésor des incas

L’album du Temple du Soleil paraĂźt en fait Ă  l’époque oĂč HergĂ© Ă©crit Ă  sa femme : Tintin voudrait devenir un homme. Il voudrait devenir humain. Tintin, mĂȘme quand il semble chercher des trĂ©sors, est celui dont Michel Serres dira bien plus tard qu’il est un explorateur de la fraternitĂ© humaine. Sa premiĂšre richesse est faite de rencontres.

Tintin rencontre donc Zorrino. Ce petit indien quechua est marchand d’oranges, un fruit bien prĂ©sent au PĂ©rou, mais dont la dimension symbolique ne peut ĂȘtre mise entre parenthĂšses, tellement l’Ɠuvre d’HergĂ© est riche d’archĂ©types, de rĂ©fĂ©rences mythologiques, alchimiques, religieuses, maçonnes ou philosophiques.

Revenons donc à l'orange, et expédions assez vite ce qui est trivial. L'orange, trÚs actinique, est la voyante couleur du danger...

la couleur de tous les dangers

Pour ce qui est de son usage dans le monde du bitcoin, j'ai Ă©mis l'hypothĂšse que l'orange s'Ă©tait imposĂ© comme substitut de l'or, impossible Ă  "rendre" par du jaune pur. Certains m'ont dit prosaĂŻquement que l'orange rappelle que Bitcoin est un projet "en travaux". Évidemment ! Mais elle est aussi la couleur des... vĂȘtements de prisonniers (que l'on doit pouvoir traquer en cas d'Ă©vasion) popularisĂ©s par le cinĂ©ma amĂ©ricain. MĂȘme si la tenue de taulard est grise au Japon oĂč M. KarpelĂšs pourrait sĂ©journer un moment...

Mais, en dehors des chantiers et des geĂŽles, l'orange qui procĂšde de l’union entre l’or du ciel et le rouge de la chair symbolisait pour les philosophes de jadis la rĂ©vĂ©lation de l’amour divin Ă  l’ñme humaine comme cela a Ă©tĂ© dit au sujet des oeuvres de Vinci ou de RaphaĂ«l. Enfin, parce que c'est une couleur mĂ©langĂ©e, elle a symbolisĂ© la luxure, la dissimulation, la trahison... Quelle ambivalence !

Que peut nous rĂ©vĂ©ler, au delĂ , l'album de Tintin? La couleur orange, depuis la rencontre de Tintin avec Zorrino dont le nom signifie le petit renard, court sous maintes variantes (car il n’y a qu’un jaune et qu’un rouge, mais il y a mille nuances d'orange) et d’un bout Ă  l’autre du rĂ©cit de la lente approche par les hĂ©ros du temple du Soleil et de son or. Dans ce rĂ©cit - comme dans la symbolique propre au bitcoin - l'or-ange entretient un lien mystĂ©rieux avec celui que l'on appelle le mĂ©tal jaune. Les hĂ©ros manqueront d'ailleurs de mourir sur le bĂ»cher, en costume orange, pour avoir commis le crime de profaner l’or sacrĂ©.

le grand dĂ©crypteurS'ils Ă©vitent la mort, c'est que Tintin, explorateur, est aussi celui qui dĂ©crypte les messages : dans cet album comme dans bien d’autres c’est pour avoir su lire un petit bout de papier qu’il garde, contre une organisation, le contrĂŽle de la situation. En prĂ©voyant l’éclipse (le cygne noir a-t-on envie de dire), il fait voler en Ă©clat l’ordre rigide et hautement centralisĂ© de la sociĂ©tĂ© inca.

Ainsi l’éclipse de l’astre d’or sauve les hommes en orange.

Ă©clipse

Mais ce n’est pas tout : au dĂ©but, Tintin a dĂ©fendu le petit porteur d’oranges d’une brute qui le persĂ©cutait. Un indien qui le surveillait a Ă©tĂ© Ă©mu par la noblesse de l’étranger et lui a donnĂ© un talisman. Que Tintin donne Ă  Zorrino quand celui-ci l’a menĂ© au Temple du Soleil, et que finalement Zorrino brandit face Ă  l’Inca.

Tout au long du rĂ©cit court un objet presqu’invisible et innommĂ© (ceci, quelque chose
) qui pend au bout d’une chaĂźne et qui fait chaĂźne lui-mĂȘme.

chaĂźne

Le talisman qui sert Ă  rĂ©compenser, ou Ă  racheter, fonctionne comme une monnaie. C'en est peut-ĂȘtre une, marquĂ©e du signe de l'Inca. Tintin et Zorrino, en quelque sorte rendent Ă  l'Inca ce qui est Ă  l'Inca. Ce sont les deux fonctions rĂ©galiennes et verticales de la monnaie : solder et percevoir.

Mais il y a une autre fonction, horizontale, de la monnaie. Zorrino est lui-mĂȘme un mĂ©diateur entre Tintin et l’Inca et Ă  cet Ă©gard il n'est pas forcĂ©ment anecdotique qu'il soit marchand d'oranges. Baudelaire suggĂšre quelque part que la cuisine et la peinture ont beaucoup en commun, d'ĂȘtre des arts d'accommoder les matiĂšres. L'orange appartient aux deux mondes, nourriture et couleur. L'orange est la seule couleur qui se mange, se consomme.

De ce fait, elle convient bien Ă  la monnaie. Plusieurs philosophes ont soulignĂ© que l'usage propre de l'argent, c'est aussi la disparition : je me sers de mon argent au moment oĂč je le perds. La circulation de l'argent ne masque jamais complĂštement sa perte, au niveau individuel. Aristote, citĂ© par Thomas d'Aquin, rappelle que la monnaie est faite pour l'Ă©change et que son mode de consommation spĂ©cifique coĂŻncide avec son retrait jusqu'Ă  sa disparition (distractio) dans l'Ă©change. Distraction, destruction...

Sous les yeux de l'Inca, mais librement, il y a un traffic entre Zorrino (sorte d'ange qui semble prĂȘt Ă  tout, fĂ»t-ce Ă  se battre et Ă  donner sa vie) et Tintin, qui quitte le temple mais y laisse Zorrino.

homme pour homme

Tout ceci est-il sans rapport avec la monnaie, voire le bitcoin ?

L'or est éternel, il peut rester caché des siÚcles. Le bitcoin aussi prétend à l'éternité et peut rester caché d'autant qu'à ce jour il n'existe pas de "pompe" fiscale. On ne rend pas à Satoshi ce qui est à Satoshi. Ses vrais défis du moment tournent, quand on les analyse, autour de l'échange, de l'usage, de la remise en jeu.

Hergé a, fondamentalement, l'intuition que le vrai trésor c'est la vie et que la premiÚre dépense c'est le sacrifice. De l'argent, ne dit-on pas qu'il faut savoir le sacrifier? ne dit-on pas qu'on ne l'emporte pas dans la tombe? L'orange, dont la couleur marie le jaune et le rouge (l'or des idoles et le sang des sacrifices? ) est éphémÚre, elle a une valeur d'usage qui est la consommation.

DebtLes intuitions d'Hergé recoupent, me semble-t-il, ce qu'écrit David Graeber (dont la couverture américaine est d'un rouge beaucoup plus orangé que la couverture française) : la monnaie sert à acheter des biens mais aussi à définir les relations entre les personnes.

Si Tintin s'en tire toujours et sauve ses amis, c'est qu'il réfléchit, qu'il risque et qu'il échange et enfin qu'il noue des liens...

la rancon

5 - Tintin et le trésor de Nakamoto

July 15th 2014 at 07:36

Tout l'avenir est dans Tintin. C'est affaire de temps, comme chez Nostradamus, mais tout finit par se révéler.


un trésor célÚbre

J'ai relu Le secret de la Licorne et Le trésor de Rackham le Rouge. Et puisqu'il s'agissait de parchemins et de manuscrits anciens, je les ai relus dans l'édition originale de 1942 et 1943, avant de vérifier certains points et de mesurer quelques écarts dans l'édition en couleur.

Il ne m'a pas paru anecdotique que l'aventure dans laquelle je retrouvais tant d'évocation du bitcoin fût justement celle que deux psychanalystes considÚrent comme centrale dans l'exploration du drame secret de leur auteur. J'ai donc aussi relu ce qu'en disaient d'un part Serge Tisseron, dans son Tintin chez le psychanalyste paru en 1985 et Michel David, dans son livre ultérieur, Une psychanalyse amusante, Tintin à la lumiÚre de Lacan, paru en 1994. J'y reviendrai à la fin de ce billet.

S'il m'a quand mĂȘme fallu quelques minutes pour songer au jeu de mot qui forme le titre de ce billet, je dois dire que le cĂŽtĂ© Tintin et le bitcoin m'a vĂ©ritablement sautĂ© aux yeux dĂšs la premiĂšre page, qui commence par une tragique disparition de wallet. Tisseron (dont le livre vise Ă  reconstituer le drame gĂ©nĂ©alogique d'HergĂ©) note avec une grande pertinence que ce vol se situe au marchĂ© aux Puces, cimetiĂšre des souvenirs oubliĂ©s. Dans ma propre optique, le mĂȘme lieu me paraĂźt une mĂ©taphore transparente de la plus ancienne Ă©conomie : produire des objets et les Ă©changer en cash.

perte du wallet
Ce petit incident servira plus tard à l'intrigue qui se noue lorsque Tintin fait l'acquisition aux Puces d'une maquette de bateau qui déclenche immediatement une forme de spéculation inexplicable.
une valeur purement spéculative?
Pourtant l'objet prend trĂšs vite de la consistance romanesque : le vaisseau en question se trouve ĂȘtre exactement celui qui sert de toile de fond au portrait d'un ancĂȘtre du capitaine Haddock. Tandis que Tintin regarde le tableau, on cambriole son appartement pour dĂ©rober la maquette. Ce second vol, qui va s'avĂ©rer symĂ©trique d'un vol de portefeuille , est une seconde preuve de sa valeur.
un Ă©trange vaisseau
À moins qu'il ne faille voir ici le caractĂšre trĂšs accessoire de la matĂ©rialitĂ© du support par rapport Ă  l'information codĂ©e contenue. Car en vĂ©ritĂ© ce n'est pas le bateau qui est intĂ©ressant mais ce que sa maquette contenait : un petit message !
message à clé
Or le mĂȘme jour, le Capitaine tout aussi embarquĂ© dans cette nouvelle aventure, a lui aussi fouillĂ© dans son grenier (dans sa mĂ©moire remarque Tisseron) et retrouvĂ© les souvenirs de son illustre aĂŻeul. Et qu'a-t-il trouvĂ© en vĂ©ritĂ© ?
une lecture excitante
En rĂ©alitĂ©, comme le secret n'est pas celui du bateau mais de son capitaine, le fabuleux trĂ©sor qui constitue le secret de l'affaire n'est pas non plus celui de Rackham le Rouge. Certes le pirate a transportĂ© sur le vaisseau royal son trĂ©sor, mais il l'avait volĂ© trois jours plus tĂŽt Ă  un vaisseau du roi d'Espagne. Comme quoi le problĂšme de traçabilitĂ© ne date pas d'hier. S'ensuit le rĂ©cit des tribulations de l'ancĂȘtre : il rĂ©ussit Ă  se dĂ©barrasser des pirates en faisant sauter le vaisseau, il saute Ă  la mer, survit comme un Robinson sur une Ăźle puis revient plus tard en France, oĂč avant de mourir il a le temps de confectionner trois petites maquettes de la Licorne, qu'il lĂšgue Ă  ses trois fils.

MĂȘme un autre que Tintin aurait compris que les deux autres maquettes doivent contenir des messages similaires, et que l'on est sur la piste du trĂ©sor que le pirate a volĂ© au roi d'Espagne, et que le marin de Louis XIV ne semble n'avoir songĂ© Ă  rendre ni Ă  celui-ci ni Ă  celui-lĂ . D'ailleurs mĂȘme l'honnĂȘte Tintin n'envisage pas que le trĂ©sor puisse avoir de lĂ©gitime propriĂ©taire. Que peut-on en dĂ©duire?
de quoi payer la rançon d'un roi?
On comprend ici qu'il existe une valeur, voire une monnaie (Racakham dit bien payer) qui n'est pas au roi qui n'est ni frappĂ©e de son effigie ni destinĂ©e Ă  financer (et moins encore Ă  rembourser) ses dettes. Au 1er avril dernier le site Bitcoin.fr avait imaginĂ© que la Commission EuropĂ©enne lançait un eurocoin dont la quantitĂ© totale Ă©tait fixĂ©e Ă  21 milliards et dont la moitiĂ© devait ĂȘtre prĂ©-minĂ©e pour effacer progressivement les dettes souveraines des États membres... Personne, curieusement, n'a souhaitĂ© explorer l'idĂ©e au delĂ  de la blague.

Le trésor du pirate est à qui en possÚde l'adresse. Reste donc à trouver les autres petits messages, ce qui occupe quelques pages, curieusement scandées par des vols à répétition de portefeuilles contenant les précieuses adresses.
vols en série
Enfin les trois messages Ă  clĂ© sont rĂ©unis, et, superposĂ©s, livrent la clĂ© du mystĂšre : et cette clĂ© semble ĂȘtre l'emplacement (l'adresse?) physique du trĂ©sor Ă©pave ou Ăźle dĂ©serte.
trois clés
toute la lumiĂšre
Reste donc Ă  trouver l'Ă©pave au bout du monde, ce qui fait l'objet du second album oĂč apparaĂźt pour la premiĂšre fois Tournesol, venu proposer un petit sous-marin en forme de requin pour Ă©voluer parmi les requins. Je laisse chacun filer cette mĂ©taphore-lĂ .
les requins
L'épave finalement découverte, on finit par repecher un coffre, mais il ne contient que des documents :
encore des parchemins
Quant Ă  l'Ăźle dĂ©serte au large du lieu du drame, si on y trouve bien une croix de bois et divers messages codĂ©s (les insultes du capitaine se rĂ©vĂšlent ĂȘtre hĂ©ritĂ©es de son lointain ancĂȘtre, et la communautĂ© des perroquets locaux fournit Ă  cet Ă©gard la validation de cette transmission), de trĂ©sor, point.

L'amertume est grande, le découragement gagne les chasseurs de trésor, qui doivent se résigner à rentrer en Europe. L'intrigue rebondit cependant, car on découvre tout à la fois que le chùteau des antiquaires véreux qui avaient tout fait, dans l'épisode précédent, pour s'emparer des trois maquettes de la Licorne est désormais en vente et ... que ledit chùteau, Moulinsart, avait été donné jadis par Louis XIV à l'illustre aïeul de Haddock.
il faut racheter Moulinsart
Pour cela, les fonds sont tout trouvés : Tournesol vient de vendre le brevet de son sous-marin anti requins. Moulinsart sera donc acheté avec de l'IP.
Et c'est à Moulinsart que se dénoue l'énigme. Dans la ... crypte au pied d'une statue, se trouve une représentation du globe globe terrestre qui va fonctionner comme une adresse comprimée en quelque sorte.
à l'adresse indiquée
le trésor
Le gĂ©nie d'HergĂ© s'exprime tout entier dans ce fait : le trĂ©sor, qui s'est dĂ©robĂ© d'adresse en code et de manuscrit en reprĂ©sentation, n'est pas mĂȘme nommable quand il est vu en lui-mĂȘme. RĂ©pondant Ă  la rĂ©plique de Tournsesol qui disait de l'argent? aucune importance, Haddock s'extasie ici: des machins, quelles merveilles...
Au fond, voici ce qu'il conviendrait, au stade oĂč en est le bitcoin, de rĂ©pondre aux questions sur sa vraie nature (monnaie, actif, instrument de ceci ou de cela). Le bitcoin est-il une monnaie dans la pleine acception du terme? de l'argent? aucune importance !
Si certains investisseurs le dĂ©sirent, comme les trĂ©sors qui ornent le rĂȘve du chevalier, c'est qu'ils y voient, parĂ©s de prestiges et de ruses, un machin qui est une merveille.

    *    *    *

C'est tout ? Peut-ĂȘtre pas, mĂȘme s'il faut aller plus profond dans l'analyse de l'oeuvre d'HergĂ©.
une ile inconnue

L'Ăźle du trĂ©sor n'existe sur aucune carte. Elle a peut-ĂȘtre cela de commun avec le pays dont le bitcoin serait la devise. Pourtant, songeons-y, si le trĂ©sor que l'on y croit enfoui a Ă©tĂ© volĂ©, l'Ăźle a Ă©tĂ© dĂ©couverte par le Chevalier. En droit - c'est une remarque personnelle - le Chevalier aurait pu en revendiquer la souverainetĂ©, pour son roi ou pour lui-mĂȘme. Quelle faille l'amĂšne Ă  prĂ©fĂ©rer une secrĂšte appropriation Ă  une glorieuse revendication ?

Il n'est pas question ici de reprendre tous les travaux initiĂ©s par Serge Tisseorn et repris par d'autres : la naissance de pĂšre inconnu (mais vraisemblablement noble, voire de sang royal) du pĂšre du dessinateur est un lourd fardeau psychique, partiellement encryptĂ© dans le rĂ©cit familial, et dont le personnage de Haddock, mal reliĂ© au Chevalier de Hadoque, lui-mĂȘme probable bĂątard du Roi-Soleil, est un clair produit.

une psychanalyse amusanteJe cite ici Michel David (page 162) : le Chevalier fait croire que le trésor est enterré dans "l'ßle" et confie le fait à ses fils de maniÚre si indirecte qu'ils ne seront pas en état de l'entendre ou de le comprendre, tout comme ils ignoreront sans doute tout de leur hypothétique et royale ascendance

et plus loin : l'inconsistance de la figure paternelle qu'il représente laissera des traces jusqu'à Haddok.

La psychanalyse, ajoute l'auteur lacanien (page 166) témoigne que l'origine conserve toujours quelque chose de mythique, de fictif.


Il n'est donc pas anecdotique de souligner, maintenant, que la figure de Satoshi Nakamoto, objet de tant de supputations, pĂšse lourdement sur l'inconscient collectif du bitcoin. Qu'il s'agisse, ou non, du retraitĂ© de Temple City ( un personnage au passĂ© semĂ© d’embĂ»ches et dont la grande passion serait la collection de modĂšles rĂ©duits ) reste accessoire par rapport Ă  sa volontĂ© initiale de rester un pĂšre anonyme de la communautĂ©.
Un jour sans doute, quelqu'un pourra disserter sur les failles, les doutes, le roman personnel de Satoshi Nakamoto. Ses drames seront-ils les ressorts de l'aventure du bitcoin? Ou bien sa volonté d'anonymat sera-t-elle perçue comme destinée à s'effacer (avec une belle part du trésor...) pour que les utilisateurs se comportent vraiment en hommes libres? Il y a une vignette, ajoutée par Hergé dans l'édition en couleur, comme si il avait cru utile de souligner à la relecture ce point essentiel :


à portée de la main

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