Actu-crypto

🔒
❌ About FreshRSS
There are new articles available, click to refresh the page.
Before yesterdayLa voie du ฿ITCOIN

40 - Tintin et l'hype"Я"texte

January 28th 2016 at 09:24

Chacun a compris ici ou sur le site ami bitcoin.fr que je fais partie, quelque part entre 7 et 77 ans (et plus près de la limite haute) d'une des nombreuses générations Tintin. Depuis plusieurs jours je méditais un nouveau billet avec l'idée de l'illustrer par de curieux détournements de cette œuvre immense. Les événements, comme on va le voir, se sont télescopés ce qui m'a paru un signe étonnant.

De quoi s'agissait-il au début ? Des liens hypertextes, qu'un amendement proposé par deux députés vise ni plus ni moins qu'à interdire.

Tintin et l'hypertexte

Depuis quelques jours en effet, ledit amendement a fait enfler un débat un peu surréaliste, tant d'un point de vue juridique puisqu'il s'agit de contourner un arrêt de la CJUE, que d'un point de vue technique puisqu'il s'agit de débattre de la nature même du lien permettant un accès pas forcément autorisé - c'est vrai - à une œuvre protégée par la loi mais exposée par la technique.

de quoi rireCe projet (qui n'est pas la première manifestation de compassion politique pour les "ayants droit") a provoqué moins d'effroi que d'hilarité de la part d'une vaste communauté qui considère le cyber-espace comme libre à tous égards, et les biens culturels comme ayant un coût/prix marginal nul.

On peut en disputer savamment, mais notons d'abord que ce qui apparaît comme légal à l'opinion tend à le devenir en bien des domaines. Notons ensuite qu'une loi qu'on ne saurait faire appliquer est une sottise. Toutes les tentatives d'interdire les liens se sont soldées par des échecs, comme le rappelle opportunément Libération...

En matière de protection bornée du droit d'auteur, fût-ce au bénéfice d'un ayant droit, il y a un mètre étalon: c'est l'entreprise Moulinsart. Il lui arrive de pousser le bouchon jusqu'à perdre ses procès. Cette entreprise est gérée d'une main avide par un monsieur dont le principal titre est d'être le second mari de la seconde femme d'Hergé et qui, bien au-delà du contrôle des décors de mugs ou de T-shirts, prétend contrôler pratiquement toute la production intellectuelle ou artistique, comique ou savante, sur une œuvre qui n'est pas la sienne, quand bien même elle lui appartiendrait financièrement.

le DUpondt sans peineParmi ses victimes figura, en 1997, l'humoriste Albert Algoud qui publiait alors un savoureux "Le Dupondt sans peine" pour lequel il se vit purement et simplement interdire la reproduction de la moindre vignette. L'ouvrage n'était en rien une attaque contre l'œuvre ou la mémoire de Hergé et ne portait nul préjudice moral ou commercial à Tintin.

Comme on sait, il ne sert à rien de contraindre les gens imaginatifs, car cela les rend plus imaginatifs encore. Si Tintin fait rêver, c'est qu'il reste des rêveurs, et que le lien entre lui et ses fans n'est pas commercial.

L'ouvrage fut donc illustré, et bien illustré. D'abord par des dessinateurs amis (ou complices ?) qui réinterprétèrent les Dupondt en dépit des foudres de leur "propriétaire".

d'autres Dupondt

Dupond et Dupont se virent transformés en véritables fétiches. Sans risque puisque ce dessin ne copie pas directement un dessin effectivement signé de Hergé.

fétichisme

Mais au-delà, quand il lui fallait copier et non détourner, Algoud inventa une forme originale de citation: la vignette blanche, ou "case fantôme", dont l'image (que chacun connaît déjà et que les vrais amateurs de Tintin peuvent se représenter par la pensée) est absente, mais assortie d'un gentil appel au crime. Comme cela :

découper2

Ou en désignant narquoisement l'enquiquineur à la vindicte populaire...

fielleux

pillageEn termes propres, il s'agissait bien de piller, au moins symboliquement. Et tout cela sans que le mot Internet ne soit énoncé. À l'époque il y avait une quarantaine de millions d'ordinateurs connectés. Trois ans plus tard ce nombre avait déjà été multiplié par dix. Il y aurait aujourd'hui plus d'un milliard de sites.

Tintin, Haddock, les Dupondt et Tournesol n'ont donc jamais pu être totalement aliénés aux intérêts financiers de la "famille", malgré la force de frappe financière (et donc juridique) qu'on peut lui supposer.

S'il lui arrive de gagner en justice, une simple intimidation suffit le plus souvent. C'est ce qui vient de se produire avec le (déjà culte) étudiant belge connu comme "Un faux graphiste". Ce tintinophile averti avait ouvert un site de détournement de Tintin avec des dizaines de planches extrêmement bien vues, largement reprises sur sa page Facebook.

Je donne ces informations pour que chacun puisse prendre ses précautions. Les dessins vont en effet être retirés suite à des menaces de "Moulinsart".

Je cite "Un faux graphiste": Mes détournements de Tintin n'ont jamais généré aucun profit, on s'est juste bien marré pendant un an. Moulinsart veut que je les supprime de la page, et n'ayant aucune ressource financière, je ne compte pas m'engager dans une bataille juridique, sans doute perdue d'avance. Ils seront supprimés dans le courant de la semaine, et ça me fait mal au coeur… Ses fans, dont je suis, partagent sa déception. mais la guérilla continue. Je parie un bitcoin qu'on trouvera toutes ses planches en ligne dans un an, dans cinq ans, dans cent ans.

Sur Internet on trouve tout et le pire. Et quant à l'honneur de Tintin, bien pire que ce que faisait le malheureux graphiste belge : comment Tintin s'y prend avec les filles (ha ! ha !) et même comment Tintin aime Milou.

Tu viens de cliquer sur ce second lien, ami lecteur, et tu es déçu : il ne s'est rien passé. Désormais La Voie du Bitcoin appliquera la loi : plus de lien hypertexte. Mais tu peux recréer toi-même un "lien Algoud" : copie les mots joliment coloriés en bleu et colle les dans la barre Google. Cela doit sûrement pouvoir s'automatiser. Il va donc falloir aussi interdire de colorier les mots en bleus. Il serait même prudent d'interdire Google s'il ne respecte pas toutes les lois françaises. Le Parlement va aussi écrire à Internet Inc. pour faire remplacer l'arobase (@) par le (à) qui est tout de même plus français. Il suffira de mettre à jour quelques milliards de pages et quelques millions de programmes.

Allez, préparons-nous pour la grande révolution numérique à la française, avec un zeste d'humour belge et un reste de compassion pour les jeunes entrepreneurs, et disons au-revoir à ... Un faux Graphiste.

les jeunes entrepreneurs (copie illégale puisqu'aucun droit n'est reversé à l'étudiant belge, que je félicite pour son fair-play autant que pour son talent! )

29 - Retour à Tintin

September 13th 2015 at 14:33

on va rireJe viens de publier sur le site bitcoin.fr et à la demande de ses fondateurs un cycle de billets tournant autour de "l'identité du bitcoin". En tentant de répondre à la question de savoir pourquoi son logo usuel est de couleur orange, il y a une petite vignette de Tintin qui m'est revenue à l'esprit.

Presqu'anecdotique dans le récit où elle figure, elle m'a pourtant semblé faire le lien entre deux textes publiés ici l'an passé.

Pourquoi revenir à Tintin?

En effet, j'avais déjà abordé le monde de Tintin dans Le Secret de Nakamoto, et plusieurs aspects de la symbolique de la couleur orange dans mon billet en marge des mystères sacrés.

Le cycle de la Licorne est notoirement l'un des plus riches (un trésor!) d'un point de vue analytique. J'avais été frappé de l'abondance d'enseignements sur ce que sont un secret, un message codé, la valeur des choses, ce que signifie le lieu du trésor. La quête des origines, le père absent dans la filiation d'Hergé comme dans celle d'Haddock résonnaient aussi avec l'absence de Satoshi Nakamoto.

le dernier incaLe cycle du Temple du Soleil, qui suit immédiatement, est antithétique et complémentaire. Complémentaire parce que ce sont à chaque fois des trésors volés, le premier par le pirate puis par le chevalier, le second par les explorateurs, puis par Tournesol. Antithétique parce que le trésor du pirate était retrouvé non pas au bout du monde, mais chez soi, alors qu'une petite partie de celui de l'Inca (un simple bracelet) est finalement rapportée à l'autre bout du monde. Hergé n'a donc pas construit son récit sur le modèle du précédent, alors qu'il aurait parfaitement pu le faire : Tintin aurait pu découvrir le trésor d'Atahualpa que l'on cherche toujours et l'exposer à Moulinsart à côté de celui de Rakham...

Or ce trésor, il est admis à le contempler mais jure qu'il n'en dira aucun mot hors du temple. le trésor des incas

L’album du Temple du Soleil paraît en fait à l’époque où Hergé écrit à sa femme : Tintin voudrait devenir un homme. Il voudrait devenir humain. Tintin, même quand il semble chercher des trésors, est celui dont Michel Serres dira bien plus tard qu’il est un explorateur de la fraternité humaine. Sa première richesse est faite de rencontres.

Tintin rencontre donc Zorrino. Ce petit indien quechua est marchand d’oranges, un fruit bien présent au Pérou, mais dont la dimension symbolique ne peut être mise entre parenthèses, tellement l’œuvre d’Hergé est riche d’archétypes, de références mythologiques, alchimiques, religieuses, maçonnes ou philosophiques.

Revenons donc à l'orange, et expédions assez vite ce qui est trivial. L'orange, très actinique, est la voyante couleur du danger...

la couleur de tous les dangers

Pour ce qui est de son usage dans le monde du bitcoin, j'ai émis l'hypothèse que l'orange s'était imposé comme substitut de l'or, impossible à "rendre" par du jaune pur. Certains m'ont dit prosaïquement que l'orange rappelle que Bitcoin est un projet "en travaux". Évidemment ! Mais elle est aussi la couleur des... vêtements de prisonniers (que l'on doit pouvoir traquer en cas d'évasion) popularisés par le cinéma américain. Même si la tenue de taulard est grise au Japon où M. Karpelès pourrait séjourner un moment...

Mais, en dehors des chantiers et des geôles, l'orange qui procède de l’union entre l’or du ciel et le rouge de la chair symbolisait pour les philosophes de jadis la révélation de l’amour divin à l’âme humaine comme cela a été dit au sujet des oeuvres de Vinci ou de Raphaël. Enfin, parce que c'est une couleur mélangée, elle a symbolisé la luxure, la dissimulation, la trahison... Quelle ambivalence !

Que peut nous révéler, au delà, l'album de Tintin? La couleur orange, depuis la rencontre de Tintin avec Zorrino dont le nom signifie le petit renard, court sous maintes variantes (car il n’y a qu’un jaune et qu’un rouge, mais il y a mille nuances d'orange) et d’un bout à l’autre du récit de la lente approche par les héros du temple du Soleil et de son or. Dans ce récit - comme dans la symbolique propre au bitcoin - l'or-ange entretient un lien mystérieux avec celui que l'on appelle le métal jaune. Les héros manqueront d'ailleurs de mourir sur le bûcher, en costume orange, pour avoir commis le crime de profaner l’or sacré.

le grand décrypteurS'ils évitent la mort, c'est que Tintin, explorateur, est aussi celui qui décrypte les messages : dans cet album comme dans bien d’autres c’est pour avoir su lire un petit bout de papier qu’il garde, contre une organisation, le contrôle de la situation. En prévoyant l’éclipse (le cygne noir a-t-on envie de dire), il fait voler en éclat l’ordre rigide et hautement centralisé de la société inca.

Ainsi l’éclipse de l’astre d’or sauve les hommes en orange.

éclipse

Mais ce n’est pas tout : au début, Tintin a défendu le petit porteur d’oranges d’une brute qui le persécutait. Un indien qui le surveillait a été ému par la noblesse de l’étranger et lui a donné un talisman. Que Tintin donne à Zorrino quand celui-ci l’a mené au Temple du Soleil, et que finalement Zorrino brandit face à l’Inca.

Tout au long du récit court un objet presqu’invisible et innommé (ceci, quelque chose…) qui pend au bout d’une chaîne et qui fait chaîne lui-même.

chaîne

Le talisman qui sert à récompenser, ou à racheter, fonctionne comme une monnaie. C'en est peut-être une, marquée du signe de l'Inca. Tintin et Zorrino, en quelque sorte rendent à l'Inca ce qui est à l'Inca. Ce sont les deux fonctions régaliennes et verticales de la monnaie : solder et percevoir.

Mais il y a une autre fonction, horizontale, de la monnaie. Zorrino est lui-même un médiateur entre Tintin et l’Inca et à cet égard il n'est pas forcément anecdotique qu'il soit marchand d'oranges. Baudelaire suggère quelque part que la cuisine et la peinture ont beaucoup en commun, d'être des arts d'accommoder les matières. L'orange appartient aux deux mondes, nourriture et couleur. L'orange est la seule couleur qui se mange, se consomme.

De ce fait, elle convient bien à la monnaie. Plusieurs philosophes ont souligné que l'usage propre de l'argent, c'est aussi la disparition : je me sers de mon argent au moment où je le perds. La circulation de l'argent ne masque jamais complètement sa perte, au niveau individuel. Aristote, cité par Thomas d'Aquin, rappelle que la monnaie est faite pour l'échange et que son mode de consommation spécifique coïncide avec son retrait jusqu'à sa disparition (distractio) dans l'échange. Distraction, destruction...

Sous les yeux de l'Inca, mais librement, il y a un traffic entre Zorrino (sorte d'ange qui semble prêt à tout, fût-ce à se battre et à donner sa vie) et Tintin, qui quitte le temple mais y laisse Zorrino.

homme pour homme

Tout ceci est-il sans rapport avec la monnaie, voire le bitcoin ?

L'or est éternel, il peut rester caché des siècles. Le bitcoin aussi prétend à l'éternité et peut rester caché d'autant qu'à ce jour il n'existe pas de "pompe" fiscale. On ne rend pas à Satoshi ce qui est à Satoshi. Ses vrais défis du moment tournent, quand on les analyse, autour de l'échange, de l'usage, de la remise en jeu.

Hergé a, fondamentalement, l'intuition que le vrai trésor c'est la vie et que la première dépense c'est le sacrifice. De l'argent, ne dit-on pas qu'il faut savoir le sacrifier? ne dit-on pas qu'on ne l'emporte pas dans la tombe? L'orange, dont la couleur marie le jaune et le rouge (l'or des idoles et le sang des sacrifices? ) est éphémère, elle a une valeur d'usage qui est la consommation.

DebtLes intuitions d'Hergé recoupent, me semble-t-il, ce qu'écrit David Graeber (dont la couverture américaine est d'un rouge beaucoup plus orangé que la couverture française) : la monnaie sert à acheter des biens mais aussi à définir les relations entre les personnes.

Si Tintin s'en tire toujours et sauve ses amis, c'est qu'il réfléchit, qu'il risque et qu'il échange et enfin qu'il noue des liens...

la rancon

5 - Tintin et le trésor de Nakamoto

July 15th 2014 at 07:36

Tout l'avenir est dans Tintin. C'est affaire de temps, comme chez Nostradamus, mais tout finit par se révéler.


un trésor célèbre

J'ai relu Le secret de la Licorne et Le trésor de Rackham le Rouge. Et puisqu'il s'agissait de parchemins et de manuscrits anciens, je les ai relus dans l'édition originale de 1942 et 1943, avant de vérifier certains points et de mesurer quelques écarts dans l'édition en couleur.

Il ne m'a pas paru anecdotique que l'aventure dans laquelle je retrouvais tant d'évocation du bitcoin fût justement celle que deux psychanalystes considèrent comme centrale dans l'exploration du drame secret de leur auteur. J'ai donc aussi relu ce qu'en disaient d'un part Serge Tisseron, dans son Tintin chez le psychanalyste paru en 1985 et Michel David, dans son livre ultérieur, Une psychanalyse amusante, Tintin à la lumière de Lacan, paru en 1994. J'y reviendrai à la fin de ce billet.

S'il m'a quand même fallu quelques minutes pour songer au jeu de mot qui forme le titre de ce billet, je dois dire que le côté Tintin et le bitcoin m'a véritablement sauté aux yeux dès la première page, qui commence par une tragique disparition de wallet. Tisseron (dont le livre vise à reconstituer le drame généalogique d'Hergé) note avec une grande pertinence que ce vol se situe au marché aux Puces, cimetière des souvenirs oubliés. Dans ma propre optique, le même lieu me paraît une métaphore transparente de la plus ancienne économie : produire des objets et les échanger en cash.

perte du wallet
Ce petit incident servira plus tard à l'intrigue qui se noue lorsque Tintin fait l'acquisition aux Puces d'une maquette de bateau qui déclenche immediatement une forme de spéculation inexplicable.
une valeur purement spéculative?
Pourtant l'objet prend très vite de la consistance romanesque : le vaisseau en question se trouve être exactement celui qui sert de toile de fond au portrait d'un ancêtre du capitaine Haddock. Tandis que Tintin regarde le tableau, on cambriole son appartement pour dérober la maquette. Ce second vol, qui va s'avérer symétrique d'un vol de portefeuille , est une seconde preuve de sa valeur.
un étrange vaisseau
À moins qu'il ne faille voir ici le caractère très accessoire de la matérialité du support par rapport à l'information codée contenue. Car en vérité ce n'est pas le bateau qui est intéressant mais ce que sa maquette contenait : un petit message !
message à clé
Or le même jour, le Capitaine tout aussi embarqué dans cette nouvelle aventure, a lui aussi fouillé dans son grenier (dans sa mémoire remarque Tisseron) et retrouvé les souvenirs de son illustre aïeul. Et qu'a-t-il trouvé en vérité ?
une lecture excitante
En réalité, comme le secret n'est pas celui du bateau mais de son capitaine, le fabuleux trésor qui constitue le secret de l'affaire n'est pas non plus celui de Rackham le Rouge. Certes le pirate a transporté sur le vaisseau royal son trésor, mais il l'avait volé trois jours plus tôt à un vaisseau du roi d'Espagne. Comme quoi le problème de traçabilité ne date pas d'hier. S'ensuit le récit des tribulations de l'ancêtre : il réussit à se débarrasser des pirates en faisant sauter le vaisseau, il saute à la mer, survit comme un Robinson sur une île puis revient plus tard en France, où avant de mourir il a le temps de confectionner trois petites maquettes de la Licorne, qu'il lègue à ses trois fils.

Même un autre que Tintin aurait compris que les deux autres maquettes doivent contenir des messages similaires, et que l'on est sur la piste du trésor que le pirate a volé au roi d'Espagne, et que le marin de Louis XIV ne semble n'avoir songé à rendre ni à celui-ci ni à celui-là. D'ailleurs même l'honnête Tintin n'envisage pas que le trésor puisse avoir de légitime propriétaire. Que peut-on en déduire?
de quoi payer la rançon d'un roi?
On comprend ici qu'il existe une valeur, voire une monnaie (Racakham dit bien payer) qui n'est pas au roi qui n'est ni frappée de son effigie ni destinée à financer (et moins encore à rembourser) ses dettes. Au 1er avril dernier le site Bitcoin.fr avait imaginé que la Commission Européenne lançait un eurocoin dont la quantité totale était fixée à 21 milliards et dont la moitié devait être pré-minée pour effacer progressivement les dettes souveraines des États membres... Personne, curieusement, n'a souhaité explorer l'idée au delà de la blague.

Le trésor du pirate est à qui en possède l'adresse. Reste donc à trouver les autres petits messages, ce qui occupe quelques pages, curieusement scandées par des vols à répétition de portefeuilles contenant les précieuses adresses.
vols en série
Enfin les trois messages à clé sont réunis, et, superposés, livrent la clé du mystère : et cette clé semble être l'emplacement (l'adresse?) physique du trésor épave ou île déserte.
trois clés
toute la lumière
Reste donc à trouver l'épave au bout du monde, ce qui fait l'objet du second album où apparaît pour la première fois Tournesol, venu proposer un petit sous-marin en forme de requin pour évoluer parmi les requins. Je laisse chacun filer cette métaphore-là.
les requins
L'épave finalement découverte, on finit par repecher un coffre, mais il ne contient que des documents :
encore des parchemins
Quant à l'île déserte au large du lieu du drame, si on y trouve bien une croix de bois et divers messages codés (les insultes du capitaine se révèlent être héritées de son lointain ancêtre, et la communauté des perroquets locaux fournit à cet égard la validation de cette transmission), de trésor, point.

L'amertume est grande, le découragement gagne les chasseurs de trésor, qui doivent se résigner à rentrer en Europe. L'intrigue rebondit cependant, car on découvre tout à la fois que le château des antiquaires véreux qui avaient tout fait, dans l'épisode précédent, pour s'emparer des trois maquettes de la Licorne est désormais en vente et ... que ledit château, Moulinsart, avait été donné jadis par Louis XIV à l'illustre aïeul de Haddock.
il faut racheter Moulinsart
Pour cela, les fonds sont tout trouvés : Tournesol vient de vendre le brevet de son sous-marin anti requins. Moulinsart sera donc acheté avec de l'IP.
Et c'est à Moulinsart que se dénoue l'énigme. Dans la ... crypte au pied d'une statue, se trouve une représentation du globe globe terrestre qui va fonctionner comme une adresse comprimée en quelque sorte.
à l'adresse indiquée
le trésor
Le génie d'Hergé s'exprime tout entier dans ce fait : le trésor, qui s'est dérobé d'adresse en code et de manuscrit en représentation, n'est pas même nommable quand il est vu en lui-même. Répondant à la réplique de Tournsesol qui disait de l'argent? aucune importance, Haddock s'extasie ici: des machins, quelles merveilles...
Au fond, voici ce qu'il conviendrait, au stade où en est le bitcoin, de répondre aux questions sur sa vraie nature (monnaie, actif, instrument de ceci ou de cela). Le bitcoin est-il une monnaie dans la pleine acception du terme? de l'argent? aucune importance !
Si certains investisseurs le désirent, comme les trésors qui ornent le rêve du chevalier, c'est qu'ils y voient, parés de prestiges et de ruses, un machin qui est une merveille.

    *    *    *

C'est tout ? Peut-être pas, même s'il faut aller plus profond dans l'analyse de l'oeuvre d'Hergé.
une ile inconnue

L'île du trésor n'existe sur aucune carte. Elle a peut-être cela de commun avec le pays dont le bitcoin serait la devise. Pourtant, songeons-y, si le trésor que l'on y croit enfoui a été volé, l'île a été découverte par le Chevalier. En droit - c'est une remarque personnelle - le Chevalier aurait pu en revendiquer la souveraineté, pour son roi ou pour lui-même. Quelle faille l'amène à préférer une secrète appropriation à une glorieuse revendication ?

Il n'est pas question ici de reprendre tous les travaux initiés par Serge Tisseorn et repris par d'autres : la naissance de père inconnu (mais vraisemblablement noble, voire de sang royal) du père du dessinateur est un lourd fardeau psychique, partiellement encrypté dans le récit familial, et dont le personnage de Haddock, mal relié au Chevalier de Hadoque, lui-même probable bâtard du Roi-Soleil, est un clair produit.

une psychanalyse amusanteJe cite ici Michel David (page 162) : le Chevalier fait croire que le trésor est enterré dans "l'île" et confie le fait à ses fils de manière si indirecte qu'ils ne seront pas en état de l'entendre ou de le comprendre, tout comme ils ignoreront sans doute tout de leur hypothétique et royale ascendance

et plus loin : l'inconsistance de la figure paternelle qu'il représente laissera des traces jusqu'à Haddok.

La psychanalyse, ajoute l'auteur lacanien (page 166) témoigne que l'origine conserve toujours quelque chose de mythique, de fictif.


Il n'est donc pas anecdotique de souligner, maintenant, que la figure de Satoshi Nakamoto, objet de tant de supputations, pèse lourdement sur l'inconscient collectif du bitcoin. Qu'il s'agisse, ou non, du retraité de Temple City ( un personnage au passé semé d’embûches et dont la grande passion serait la collection de modèles réduits ) reste accessoire par rapport à sa volonté initiale de rester un père anonyme de la communauté.
Un jour sans doute, quelqu'un pourra disserter sur les failles, les doutes, le roman personnel de Satoshi Nakamoto. Ses drames seront-ils les ressorts de l'aventure du bitcoin? Ou bien sa volonté d'anonymat sera-t-elle perçue comme destinée à s'effacer (avec une belle part du trésor...) pour que les utilisateurs se comportent vraiment en hommes libres? Il y a une vignette, ajoutée par Hergé dans l'édition en couleur, comme si il avait cru utile de souligner à la relecture ce point essentiel :


à portée de la main

❌