Actu-crypto

🔒
❌ About FreshRSS
There are new articles available, click to refresh the page.
Before yesterdayCrypto FR

73 - Genre Venus

January 15th 2018 at 08:21

L'épisode suscité par la célÚbre Nabilla Benattia met en perspective divers enjeux qui sont apparus, avec un air de plaisanterie, dans une lumiÚre finalement assez déplaisante.

Au départ, un petit film, que tout le monde a vu et dont je transcris quelques phrases.

Danae par Chantron 1891« Les chĂ©ris, je sais pas si vous avez entendu parler du bitcoin, genre cette sorte de nouvelle monnaie virtuelle
 Et en fait je connais l'une des filles qui travaillent avec un trader qui sont Ă  fond dans le bitcoin. C'est un peu la nouvelle monnaie, genre la monnaie du futur. Et donc en fait je trouve que c'est assez bien. Et comme en ce moment genre c'est grave en train de se dĂ©velopper, ils ont crĂ©Ă© un site (..) ça vous permet d'apprendre Ă  utiliser le bitcoin. VoilĂ , je crois que c'est le bon moment, ça commence Ă  peine Ă  se dĂ©velopper, et je pense que c'est le moment de s'y intĂ©resser un petit peu. En fait, mĂȘme si vous y connaissez rien ça vous permet de gagner de l'argent, sans y investir beaucoup, genre vous y investissez des petites sommes, genre moi j'ai dĂ» mettre Ă  peu prĂšs 1000 euros j'ai dĂ©jĂ  gagnĂ© 800 euros, mais vous pouvez faire beaucoup moins ».

Y avait-il vraiment de quoi faire entrer en ébullition la cryptosphÚre, l'Internet, puis l'AMF, maladroitement relayée par Libération, le journal des jeunes de 77 ans?
On a un peu envie de remarquer qu'elle dit plutĂŽt moins de sottises que bien des journalistes spĂ©cialisĂ©s, et que son incitation Ă  un investissement pĂ©dagogique est assez prudent. Comme l'a courageusement notĂ© le directeur de l’hebdomadaire du Point, jeudi sur France Inter, cela signifie que le phĂ©nomĂšne commence Ă  toucher le grand public et qu'on doit se rĂ©jouir que quelq'un porte enfin la chose sur la place publique. « En revanche, vous entendez souvent des politiques en parler, du bitcoin ? Jamais, ou presque. Est-ce qu'ils comprennent ? Ă  mon avis, pas souvent (...) Eh bien celle qui porte le sujet sur la place publique, c’est Nabilla Benattia. Puissent les politiques l’écouter, et se saisir enfin, de ce phĂ©nomĂšne tout sauf anecdotique ».

Alors d'oĂč vient le scandale ?

Parlons d'abord de la forme : une publicité à peine déguisée sur une cible douteuse?

Certes Nabilla Benattia s'exprime ici sur un rĂ©seau social ouvert aux tout jeunes adolescents qui ne sont pas une cible appropriĂ©e pour des placements risquĂ©s ou non, mĂȘme si les enfants peuvent voir les publicitĂ©s automobiles diffusĂ©es par la tĂ©lĂ©vision sans prĂ©caution particuliĂšre Ă  l'Ă©gard de ceux qui n'ont pas l'Ăąge de rouler.

Certes elle fait la promotion d'un site Internet qui vend une formation pour les personnes intĂ©ressĂ©es par la cryptomonnaie, formation qui nĂ©cessite de souscrire un abonnement alors qu'elle assure que « c'est gratuit ». Mais si l'on doit compter tous les liens prĂ©tendant mener vers des tĂ©lĂ©chargements gratuits et qui en trois clics amĂšnent l'internaute Ă  la page payante, on va remplir un Bottin. Les internautes, mĂȘme jeunes, connaissent la vie...

Certes, la justice pourrait entamer une procédure pour publicité déguisée contre celle qui, dans sa vidéo, ne mentionne pas explicitement le caractÚre publicitaire de son message. Là encore, il y aurait un fort risque de paraßtre vouloir « faire un exemple » quand des centaines d'autres « influenceurs » oublient allÚgrement les recommandations de l'ARPP sur la communication publicitaire numérique malgré les foudres brandies depuis longtemps par la Répression des Fraudes. Est-ce propre au numérique ou à Nabilla ? Je n'ai jamais entendu un journaliste rappeler que tel ou tel grand expert économiste présenté à l'antenne comme professeur à Paris I ou à Paris II siÚge aussi, en toute indépendance et pour rendre service, sans doute, chez David de Rothschild ou chez son cousin Edmond,

Maintenant, redescendons sur terre. Quand Nabilla Benattia s'enlise dans ses explications (« Ils ont un site qui est sĂ»r (...) honnĂȘtement ils ont plus de 85% de taux de rĂ©ussite, donc en gros, ils ne se trompent pas, quoi ») quel est l'adolescent d'aujourd'hui, mĂȘme benĂȘt, qui n'a pas compris qu'elle fait de la pub ? MĂȘme les prĂ©-ados savent bien que si Norman et Cyprien gravitent aujourd'hui dans l'orbite de Webedia (Monsieur Ladreit de LacharriĂšre, qui ne possĂšde pas que la Revue des Deux Mondes et qui s'y connait en « relations ») cela n'est pas Ă©tranger Ă  des considĂ©rations de monĂ©tisation de l'influence qu'ils exercent. Je ne dis pas qu'ils approuvent. L'opĂ©ration de rachat de Mixicom par Wabadia avait au printemps 2016 suscitĂ© de vifs dĂ©bats. Mais ils savent !

Genre ?

Il y a dans La VĂ©nus Ă  la fourrure de Polanski (oui, je sais...) une scĂšne oĂč le metteur en scĂšne (Mathieu Amalric) qui n'en peut plus d'entendre Wanda ( Emmanuelle Seigner) balancer de maniĂšre compulsive le mot « genre » pris fautivement ici comme un adverbe Ă  chaque phrase, se fait moquer par elle. Parce que, lui, il Ă©grĂšne des « pour ainsi dire » lĂ©gĂšrement dĂ©suets. Il s'enquiert donc de ce qu'il faut dire aujourd'hui Ă  la place de « pour ainsi dire ».

Personne ne s'est gĂȘnĂ© pour signifier Ă  Nabilla qu'elle n'Ă©tait pas Ă  sa place. L'opinion de dizaines d'experts qui n'ont pas lu le quart de l'article Bitcoin sur Wikipedia, les rires de ceux qui pouffent sur les plateaux en assurant que l'on n'y comprend rien, coupant au besoin la parole de celui qui semblent savoir avec des « oh lĂ  lĂ  on n'y comprend rien! », l'arrogante paresse de ceux qui tranchent que « c'est une folie complĂšte ce truc », les comparaisons absurdes, les invectives, les bidouillages de ceux qui ne savent plus s'ils dĂ©tachent Bitcoin de la Blockchain ou la Blockchain du Schmilblick ... tout est lĂ©gitime, tout Ă  droit Ă  l'antenne. Mais pas la parole de Nabilla assurant que c'est genre la monnaie du futur.

Si elle le dit, c'est forcĂ©ment du grand n'importe quoi nous assure (dans un français, Ă  tout prendre, guĂšre diffĂ©rent de celui de la jeune personne) un vieux briscard de syndicat bancaire. « La vulgaritĂ© et la bĂȘtise en cadeaux additionnels » relance un banquier pourtant populaire. Ces gens lĂ  ne peuvent rien dire quand Bill Gates, Richard Branson, Marc Andreesen ou Al Gore leur expliquent que Bitcoin c’est rĂ©volutionnaire, et que c'est beaucoup mieux qu’une monnaie. En gĂ©nĂ©ral ils n'en sont pas informĂ©s, parce que les propos positifs ne sont pas relayĂ©s. Et si par hasard ils le sont, ça ne les convainc en rien. Mais un vieux fonds de servilitĂ© les maintient dans leur bouderie. Alors que si une jeune femme si diffĂ©rente des critĂšres de leur monde Ă  eux dit Ă  peu prĂšs la mĂȘme chose dans sa langue Ă  elle, ils peuvent se lĂącher.

Et l'illĂ©gitimitĂ© de cette jeune personne rebondit immĂ©diatement sur Bitcoin. Comme il s'agit de coller Ă  la phase ultime de la bulle, qui serait celle de l'arrivĂ©e des idiots (alors mĂȘme que tout annonce l'arrivĂ©e des fonds d'investissemens) Nabilla devient la preuve vivante de l'effondrement conceptuel et financier de « ce truc ». C'est dĂ©finitivement le moment de vendre. Qu'elle conseille d'acheter permet Ă  tout un tas de couillons de conseiller de vendre. A croire que des cartes de CIF ont Ă©tĂ© distribuĂ©es au petit matin dans leurs boites aux lettres. Nabilla c'est mieux que le cireur de chaussure de Rockefeller (ou de Joe Kennedy plus personne ne sait), mieux que le chauffeur de Joe Kennedy (ou de Rockefeller, tout le monde s'en fiche) mieux que le barbier (cette version existe aussi), mieux que toutes les petites gens qui, en se contenant au fond de rĂ©pĂ©ter ce qu'ont dit la veille les demi-instruits, offrent Ă  ces derniers l'occasion de rire un bon coup Ă  la santĂ© des travailleurs manuels et des classes populaires.

Tous les journaux se sont crus obligĂ©s de citer le twitte de l'AMF. Nabilla vivement critiquĂ©e, recadrĂ©e, taclĂ©e, j'en passe. Notez bien que le message de l'AMF n'Ă©tant pas destinĂ©e @nabilla (elle a un compte public) et ne faisant que citer #nabilla (j'imagine que celui qui a la main sur le compte twitter de l'institution comprend la diffĂ©rence) doit ĂȘtre destinĂ© aux ados accros Ă  Snapschat. Ils sont certainement trĂšs nombreux Ă  suivre l'AMF.

Venus au miroir Ă  Anvers, Rubens d apres TitienAu demeurant, au « Y'a pas besoin de s’y connaĂźtre » de Nabilla, l'AMF en rĂ©pondant par un « restez Ă  l’écart » aussi puissamment argumentĂ©, se met Ă  peu prĂšs au mĂȘme niveau, celui de gens qui usent de l'argument d'autoritĂ© que confĂšre notoriĂ©tĂ© ou position sociale mais qui n'ont pas le courage d'approfondir la question.

Depuis Monsieur Valls, on sait que nos Ă©lites ne souhaitent pas trop que les gens essayent de comprendre.

Venus

Sur les réseaux et messageries, la goujaterie vient renforcer le mépris de classe. En pleines séquelles de l'affaire Weinstein, on reste confondu de ce que l'on peut lire sur LinkedIn, dans le déluge d'articles et de commentaires que des responsables encravatés ont consacrés à ces 3 minutes de Snapschat. Il y en a qui comprennent certaines choses tellement lentement qu'ils feraient mieux de ne pas moquer Melle Benattia. Les riches assonances du mot bitcoin font merveille chez des consultants informatiques dignes de personnages de Houellebecq. Les plus délicats des cadres outragés par cette jeune femme sont ceux qui se contentent de demander si elle se croit dans un cabaret.

La VĂ©nus Ă  la fourrure

On sent quand mĂȘme vite une sourde saloperie de mĂąles rancuniers derriĂšre tout cela. Bien sĂ»r, on a compris que Nabilla, cette femme sans Ă©ducation, annonçait le jugement dernier d'un Bitcoin « qui n'en finit pas de mourir » (j'ai lu ça tel quel). Cela n'en fait pas la femme perdue du 17Ăšme chapitre de l'Apocalypse. Ce que rĂ©vĂšlent les rĂ©fĂ©rences plus ou moins discrĂštes aux usages que cette jeune femme pourrait faire de son corps, c'est, au-delĂ  d'une frustration charnelle un peu pathĂ©tique, la risible frustration du monsieur qui se dit qu'il est trop tard pour profiter de l'aventure. Il n'y a que ceux qui n'ont pas achetĂ© un bitcoin en 2014 ou 2015 pour calculer sordidement ce qu'ils auraient dans leurs poches s'ils en avaient achetĂ© mille en 2012. Comme s'ils avaient l'once de courage pour cela !

Pour ainsi dire

En conseillant Ă  ses fans l'achat de 1000 euros de bitcoin, elle mettrait donc la sociĂ©tĂ© française au bord du gouffre. C'est la moitiĂ© de la mise moyenne annuelle d'un français sur deux dans des jeux de hasard qui ne font pas honneur Ă  l'esprit humain, mĂȘme s'ils sont sous la coupe de l'Inspection des Finances. Est-ce qu'il n'y a ni drame social liĂ© au jeu d'argent, ni publicitĂ© pour y inciter ? C'est ce que semble soutenir un rapport d'enquĂȘte parlementaire (de 2005) : « votre rapporteur est parvenu Ă  la conclusion que jamais l'Etat ne pousse Ă  dĂ©velopper le jeu pour alimenter ses caisses, au terme de ses recherches et de ses recoupements dans ce domaine qui relĂšve de l'Ă©thique. L'Etat semble tenir, au moins dans ce secteur, un langage assez pondĂ©rĂ© et se placer en promoteur sincĂšre d'un dĂ©veloppement compĂ©titif, certes, mais responsable ». Rien Ă  voir, donc, avec le grossier tapinage (le mot n'est jamais employĂ© innocemment) de Melle Benattia.

Celle-ci n'aurait aucune capacité intellectuelle ? Est-on bien sûr que la personne qui débite des conseils dans les agences bancaires de quartier s'exprime dans une langue plus recherchée ou avec des arguments mieux étayés ? Aucune importance me dira-t-on,puisque c'est pour placer des produits maison, offrant toute garantie.

Quand il s'agit de séduire les petits bourgeois, la grande finance se prive-t-elle d'user du charme plus que du raisonnement ? Ceux qui ont vécu la fin des années 1980 se souviendront des procédés utilisés pour draguer « l'actionnariat populaire». Paribas exhibait l'Orangerie de la rue d'Antin sur fond de prouesses vocales de Barbara Hendricks : toutes choses mieux assorties aux goûts de la classe dirigeante que le peignoir rose de Nabilla, mais sans guÚre plus de rapport avec l'étude d'une opportunité d'investissement. Suez voulut alors montrer qu'il s'agissait de réfléchir. En faisant appel à une vraie star, pas à une starlette:

En quoi, mais en quoi, ce message est-il différent de celui de Melle Benattia?

Les actionnaires de Suez ont bu le bouillon. Un bide devenu un cas d'école. Le slogan « réfléchissez » revint comme un boomerang sur les stratÚges de l'argent et de la communication. Madame Deneuve, elle, alla jusqu'à se dire « choquée par la méchanceté des journaux, et surprise que les dirigeants de Suez ne réagissent pas pour la protéger ».

En 1993 (seconde vague de privatisation) les sociĂ©tĂ©s en quĂȘte de pigeons corrigeaient le tir, les experts en communication ayant le cuisant souvenir des dĂ©rapages antĂ©rieurs, comme le notait le journal les Echos eux-mĂȘmes. On n'avait pas encore songĂ© Ă  parler de « Blue Chips Nation », mais on n'allait pas tarder Ă  inventer le « placement de pĂšre de famille ». Aider les grands patrons, ça c'est du bon risque ! Financer les dĂ©couverts de fin de mois de l'Etat en collaboration avec des banquiers «SpĂ©cialistes en Valeur du TrĂ©sor », ça ce sont des choses nobles auxquelles on peut penser en se rĂ©veillant le matin.

Les propos de la classe dirigeante sur Bitcoin ne constituent pas un apport Ă  un dĂ©bat d'idĂ©es mais des sarcasmes de concurrents auxquels il convient peut-ĂȘtre parfois de rĂ©pondre comme tel. Genre VĂ©nus...

51 - Des météores ?

July 18th 2016 at 07:40

(Questions impériales sur Satoshi - II)

Le colonel Chabert dĂ©jĂ  Ă©voquĂ© ici pour Ă©voquer l'impossible retour de Satoshi fait lui-mĂȘme signe vers un autre revenant, d'un tout autre poids historique : Quand je pense que NapolĂ©on est Ă  Sainte- HĂ©lĂšne, tout ici-bas m’est indiffĂ©rent dit-il.

un retour

Or l'Empereur, lui, avait déjà réussi un premier retour : le 1er mars 1815, il débarqua à Golfe Juan, revenant de l'ile d'Elbe aprÚs 10 mois d'absence et il fut "reconnu" immédiatement. Balzac, encore, fait dire à son Médecin de campagne : Avant lui, jamais un homme avait-il pris d'empire rien qu'en montrant son chapeau ? Bonne question... Ce vol de l'Aigle fit longtemps espérer par ses partisans un nouveau prodige.

LeysCe miracle d'un nouveau retour aprĂšs une Ă©vasion rocambolesque de Sainte-HĂ©lĂšne Ă  laquelle NapolĂ©on semble s'ĂȘtre toujours refusĂ© (*), certains romanciers l'ont imaginĂ©. Simon Leys (1986), tout en supposant que l'empereur revient vivant en France, s'intitule tout de mĂȘme le sien "La mort de NapolĂ©on" et il n'est pas sans rapport avec ce qui peut ĂȘtre la situation d'un gĂ©nie inconnu comme Satoshi : l'impossibilitĂ© non seulement de "revenir", mais plus radicalement d'ĂȘtre soi-mĂȘme.

Comme il ressemblait vaguement Ă  l’Empereur, les matelots l’avaient surnommĂ© NapolĂ©on. Aussi, pour la commoditĂ© du rĂ©cit, ne l’appellerons-nous pas autrement. Et d’ailleurs, c’était NapolĂ©on. (...) Seul le maĂźtre d'Ă©quipage dĂ©sapprouvait cette appellation. Que l'on associĂąt le nom de son dieu Ă  ce petit homme laid avec son ventre enflĂ© et ses jambes grĂȘles, lui paraissait sacrilĂšge.

en 1820Il est vrai que le portrait fait de lui par un anglais en 1820 laisse envisager combien peu reconnaissable aurait pu ĂȘtre l'enfant prodigue de la gloire aprĂšs quelques annĂ©es de pourissoir tropical.

Mais l'auteur vise au coeur, prĂ©sentant NapolĂ©on Ă©tranger Ă  lui-mĂȘme sur le bateau de son Ă©vasion : Entre le personnage qu'il avait dĂ©pouillĂ© et celui qu'il n'avait pas encore crĂ©Ă©, il n'Ă©tait temporairement personne. DĂ©barquĂ© Ă  Anvers il ne reconnut pas mĂȘme le bassin NapolĂ©on qu'il avait inaugurĂ© en personne dix ans plus tĂŽt. À Waterloo il a le sentiment d'ĂȘtre lĂ  pour la premiĂšre fois. À Paris le voici errant, recueilli comme vieux soldat par de vieux soldats, tous nostalgiques de l'empire. Et un jour la terrible nouvelle arrive. Sur la petite Ăźle lointaine, l'empereur (son sosie, donc) vient de mourir. Tout le monde pleure autour de lui. Lui est foudroyĂ©, sa destinĂ©e devenait posthume.

Voici maintenant qu'un obscur sous-officier, rtien qu'en mourant sottement sur un rocher dĂ©sert Ă  l'autre bout du monde, avait rĂ©ussi Ă  dresser sur son chemin le rival le plus formidable et le plus inattendu qu'on puisse concevoir : lui-mĂȘme !

S'il revenait Satoshi n'aurait-il pas Ă  se battre contre Satoshi lui-mĂȘme?

Le NapolĂ©on de Leys est vrai, extrĂȘmement crĂ©dible. Et pourtant il "se reconstruit" (ce mot que Jean-Paul Kauffmann dĂ©teste) ... comme marchand de melons. Le personnage de l'empereur est dĂ©sormais largement occupĂ© par les fous. Une visite Ă  l'asile l'en convainc : une malheureuse Ă©pave prĂ©sentait une image mille fois plus fidĂšle, plus digne et plus convaincante de son modĂšle que l'improbable fruitier chauve qui, assis Ă  ses cĂŽtĂ©s, l'examinait avec stupeur.

James Sant 1900Napoléon vieillit : chaque fois qu'il se rendait chez le barbier, il mesurait dans le double miroir avec une fascination hypnotisée l'effacement progressif de ses traits originaux, petit à petit supplantés par ceux d'un inconnu qu'il méprisait, qu'il haïssait - et qui lui inspirait une horreur grandissante. C'est ce que peut suggérer la toile de James Sant La derniÚre phase (1900) récemment présentée au public lors de l'exposition Napoléon à Sainte-HélÚne au Musée de l'Armée.

Jusqu'oĂč peut-on comparer Satoshi Nakamoto Ă  NapolĂ©on Bonaparte ? Au plan psychologique, nul n'en sait rien. Quant Ă  l'amour des mathĂ©matiques, il est patent chez les deux hommes (*). C'est au regard d'une forme particuliĂšre de gĂ©nie, qu'il y a, me semble-t-il, chez l'inconnu de 2008 une suretĂ© du regard, une capacitĂ© d'agencer de maniĂšre proprement lumineuse des facteurs de nouveautĂ© rĂ©volutionnaires avec des Ă©lĂ©ments prĂ©-existants (d'ancien rĂ©gime) que l'on retrouve chez le Premier Consul. Enfin c'est surtout dans l'optique d'un Hegel ou d'un Marx qu'il me paraĂźt que la comparaison est permise.

hegel

Pour Hegel(*), NapolĂ©on est l'instrument de l'Absolu sur le thĂ©Ăątre du monde, NapolĂ©on, en entrant Ă  IĂ©na l'Ă©pĂ©e en main le jour oĂč le philosophe achĂšve sa PhĂ©nomĂ©nologie de l'Esprit, devient le hĂ©ros de l'histoire moderne. Je ne crois pas forcer le trait en le retrouvant chez Satoshi. Il s'empare d'une citadelle, celle de la monnaie, achevant un mouvement multisĂ©culaire de libĂ©ration de l'homme des corps intermĂ©diaires, des liens et des autoritĂ©s. Le P2P, c'est l'Absolu du 21Ăšme siĂšcle.

Renversant l'idĂ©alisme hĂ©gĂ©lien tout en conservant sa dialectique historique, Karl Marx ne voit en NapolĂ©on ni l'empereur romain du sacre ni le dieu de la guerre mais le gĂ©nie qui va permettre l'Ă©closion de la sociĂ©tĂ© bourgeoise moderne en France et sur une bonne part du continent. Il reviendra Ă  d'autres de dire, de mĂȘme, ce qu'aura Ă©tĂ© rĂ©ellement le travail historique de Satoshi Nakamoto.

Mais quand le travail est accompli, l'histoire se passe assez bien des grands hommes. En 1791, le lieutenant corse de 22 ans l'avait déjà noté : les hommes de génie sont des météores destinés à brûler pour éclairer leur siÚcle. PlutÎt que de pourrir en victime de ses ennemis, autant faire comme Satoshi et move on to other things.

vieux




Pour aller plus loin :

50 - Il prit la résolution de rester mort ?

July 14th 2016 at 16:45

( Questions impériales sur Satoshi - I)

Satoshi Nakamoto est une Ă©nigme et le demeurera peut-ĂȘtre. Je n'ai pas l'intention d'ajouter ici mes hypothĂšses personnelles Ă  la longue suite de celles qui ont dĂ©jĂ  Ă©tĂ© formulĂ©es (voir sur le site bitcoin.fr). Pour moi, son mystĂšre qui anime bien des conversations dans la communautĂ© (qui est-il, ou qui sont-ils ? que pense-t-il de tel ou tel problĂšme ? que va devenir son magot ? ) est consubstantiel au bitcoin, si du moins comme l'Ă©crit quelque part Hegel, la vĂ©ritĂ© n'est pas comme une monnaie qui, telle qu'elle est frappĂ©e, est prĂȘte Ă  ĂȘtre dĂ©pensĂ©e et encaissĂ©e. La vĂ©ritĂ© contient de la vie, da la souffrance et de la mort.

le mort d'Eylau

Je ne peux donc partager entiĂšrement le point de vue purement technicien de Peter Todd selon lequel l’identitĂ© de Satoshi est simplement une curiositĂ© historique.

L'apparition épisodique d'un prétendant est une chose qui ne peut qu'amuser l'historien comme elle stimule le romancier et intéresse le psychologue.

Des quatre faux tsars Dimitri successifs à la bonne dizaine de faux Dauphins du Temple, on ne manque pas de références en la matiÚre. Chacune de ces histoires témoigne de la conjonction de trois facteurs : un événement historique mystérieux, inouï ou scandaleux, l'existence d'un désordre mental individuel et une situation d'incertitude politique collective. Il n'est pas question de les rappeler ici, mais seulement de souligner la ressemblance frappante avec ce que nous voyons autour des "prétendants" Satoshi et de leur interférence dans les problÚmes de gouvernance du bitcoin.

Une chose, nĂ©anmoins m'Ă©tonne toujours. Pour soutenir (rarement) comme pour rĂ©futer (le plus souvent) tel ou tel prĂ©tendant, la plupart de mes amis se forgent implicitement l'image parachronique d'un Satoshi qui serait aujourd'hui le mĂȘme qu'en 2008. On compare la langue, le style, la dĂ©marche du prĂ©tendant aux traces, bien rares de surcroĂźt, laissĂ©es par le disparu. Comme si le temps n'avait pas passĂ© sur lui autant que sur nous.

chabertIl y a un héros de roman qui est l'archétype de cette situation, c'est le Colonel Chabert de Balzac. Cet enfant trouvé dont une révolution a fait un soldat, un héros, Grand Officier de la Légion d'Honneur, disparaßt de l'histoire dans le tumulte d'une bataille terrible (Eylau, 8 février 1807) et réapparaßt à Paris deux ans aprÚs Waterloo, alors qu'il est officiellement mort.

C'est un hĂ©ros dĂ©possĂ©dĂ©, Ă©mouvant, mais assez lucide. Un roi goutteux a remplacĂ© son empereur, un aristocrate l'a remplacĂ© dans le lit de sa femme, la sociĂ©tĂ© a changĂ©, il ne la reconnait pas davantage qu'elle ne le reconnait lui-mĂȘme.

Au terme de ses efforts, il prend, dit Balzac, la résolution de rester mort. Le roman de Balzac nous donne finalement des clés pour tenter de comprendre la situation, que Satoshi soit l'un des prétendants connus, ou bien qu'il soit tout autre et reste caché.

Tant qu'il prĂ©tend Ă  ĂȘtre reconnu, Chabert est traitĂ© de fou. On voit bien qu'une partie des critiques contre les prĂ©tendants Satoshi vise la qualitĂ© de leur Ă©tat mental. Comme si un hĂ©ros (de guerre ou de science) Ă©tait un homme ordinaire et comme si pareille situation ne devait pas le rendre plus Ă©trange encore qu'il ne l'Ă©tait de nature!

craigh– J’irai, s’écria-t-il, au pied de la colonne de la place VendĂŽme, je crierai lĂ  : « Je suis le colonel Chabert qui a enfoncĂ© le grand carrĂ© des Russes Ă  Eylau ! » Le bronze, lui ! me reconnaĂźtra.
– Et l’on vous mettra sans doute Ă  Charenton lui rĂ©pond l'un des rares personnages honnĂȘte et qui croit en ses dires.

Chabert finalement renonce. A vrai dire, il a renoncĂ© depuis longtemps, il n'a cessĂ© de renoncer depuis dix ans : je fus convaincu de l’impossibilitĂ© de ma propre aventure, je devins triste, rĂ©signĂ©, tranquille, et renonçai. On me dira que certains prĂ©tendants ne sont ni rĂ©signĂ©s ni tranquilles ? Mais Ă©coutons Craig Wright, et convenons, au moins, qu'il parle comme un hĂ©ros balzacien (bien sĂ»r il y a aussi des escrocs chez Balzac) : Je suis dĂ©solĂ©. Je croyais que je pouvais le faire. Je croyais que je pouvais mettre les annĂ©es d’anonymat et de dissimulation derriĂšre moi. Mais, Ă  mesure que les Ă©vĂ©nements de la semaine se sont dĂ©roulĂ©s et alors que je me prĂ©parais Ă  publier la preuve que j’avais accĂšs aux premiĂšres clĂ©s, j’ai flanchĂ©. Je n’ai pas le courage. Je ne peux pas. C'est Ă  peu prĂšs le trajet de Chabert !

Le temps change tout ; ce qui est intime, ce qui est social, ce qui est politique. Le colonel avait connu la comtesse de l’Empire, il revoyait une comtesse de la Restauration dit Balzac pour Ă©voquer l'Ă©pouse de Chabert.

Que doit penser Satoshi ? Huit ans aprÚs la grande crise, les banques n'ont jamais été aussi puissantes. Goldman Sachs, qui peut aussi facilement mettre à genoux un peuple que recruter un commissaire européen, développe sa blockchain sans bitcoin, dépose des brevets. Le monde ne bruisse que d'une forme précise de "technologie blockchain", celle qu'il sera possible de transformer en jeu de société.

Un point central du roman est que Chabert semble pourtant tenir davantage Ă  sa femme et Ă  son honneur qu'Ă  son trĂ©sor. Il vaut mieux avoir du luxe dans ses sentiments que sur ses habits. Ce qui ramĂšne au million de bitcoins de Satoshi Nakamoto, trĂ©sor interdit ou abandonnĂ©, peut-ĂȘtre perdu, et qui alimente tant de spĂ©culations.

Il y a un homme qui se passionne pour Chabert, c'est Jean-Paul Kauffmann. Glissons, puisqu'il dĂ©teste que l'on en parle, sur son statut d'otage (durant 3 ans, au Liban) et disons que, selon JĂ©rĂŽme Garcin, sa singuliĂšre bibliographie ressemble dĂ©sormais Ă  un long traitĂ© de la fuite, Ă  un prĂ©cis de disparition dans des lieux sinistres et carcĂ©raux oĂč le temps s’est arrĂȘtĂ© et les portables ne passent plus. Lui-mĂȘme, dans son dernier livre, Ă©crit : je ne suis pas devenu meilleur, simplement plus vivant et plus loin je ne me suis pas reconstruit Ă  l'identique.

kauffmann

Dans ce livre, Outre-terre, il se promĂšne sur le champ de bataille d'Eylau en songeant Ă  Chabert. Il est plus facile de s'identifier Ă  lui qu'au PĂšre Goriot ou Ă  EugĂ©nie Grandet. Chacun peut y chercher, Ă  travers son histoire personnelle, des traces de ses propres heurts, de ses arrachements, de ses phobies. Chabert est la figure de l'absent, du disparu, du gĂȘneur.

De mĂȘme Satoshi disparu, fantomatique, ne devient-il pas, peu Ă  peu, lui aussi une forme de menace ?

Pour aller plus loin :

44 - La Liberté

April 14th 2016 at 09:02

Lors d’un colloque Ă  l’AssemblĂ©e Nationale, on m’avait demandĂ© de rĂ©pondre Ă  la question : Pourquoi, achĂšte-t-on des bitcoins ? Est-ce la confiance qui mobilise les bitcoineurs ou plus simplement une analyse rationnelle du risque au regard des gains escomptĂ©s ?

J’avais rĂ©pondu qu’il y avait bien des raisons, au delĂ  de l’intĂ©rĂȘt, pour dĂ©sirer dĂ©tenir du bitcoin. Le bitcoin n’est pas intĂ©ressant, il est passionnant, et pour au moins trois raisons : la dimension ludique et communautaire, l'Ă©merveillement technologique et le projet politique.

Quand j’en vins au projet politique, je dus avouer qu’il Ă©tait difficile Ă  prĂ©senter simplement. Je jugeais un peu dur, dans ce temple de nos institutions nationales, d’aller clamer « no borders no banks » et me contentai donc de rappeler que le cƓur du projet d’une monnaie dĂ©centralisĂ©e c’était la libertĂ© du cyberespace, mais en prĂ©cisant «au double sens d’absence de contrĂŽle et de rĂ©pression, mais aussi de fluiditĂ©, d’instantanĂ©itĂ©, de partage et de confiance ». Façon de dire que ce n'Ă©tait pas forcĂ©ment ce que, depuis les Augustes romains, les politiques entendent volontiers par LibertĂ©.

de SevÚre Alexandre à Sempé

Or pendant ce temps, un artiste contemporain que j’ai dĂ©jĂ  Ă©voquĂ© ici abordait lui aussi la chose Ă  sa façon. Youl a dĂ©jĂ  revisitĂ©, Ă  la demande de clients bitcoineurs, la CĂšne de Vinci et les Joueurs de Carte de CĂ©zanne. A chaque fois je suis Ă©tonnĂ© de la pertinence de ses intuitions, et j’échange volontiers avec lui.

promenade au LouvreUn de ses clients venait de lui commander une toile inspirĂ©e de la cultissime LibertĂ© guidant le Peuple d’EugĂšne Delacroix que le Cercle du Coin avait, presque en mĂȘme temps, adoptĂ©e comme illustration de son communiquĂ© de presse « pas de rĂ©volution Blockchain sans Bitcoin ».

Songeant Ă  cela durant que je parlais, je me demandais si ce n'Ă©tait pas un choix trivial, voire fĂącheux. La libertĂ© figure sur des monnaies depuis le temps de Rome, et ce mĂȘme tableau, passablement sagouinĂ©, avait jadis servi Ă  illustrer un billet de 100 francs crĂ©Ă© en 1978 et qui circula jusqu’à la fin du siĂšcle. Je me gardai bien d’évoquer tout cela devant tant d’officiels et me promis d’y revenir pour mes lecteurs.

Depuis mon billet sur sa CÚne, Youl me fait l'amittié de me montrer certaines étapes de son travail.

Youl premiĂšres Ă©bauches

Disons d’abord un mot sur Delacroix : un peintre non-acadĂ©mique mais non-rĂ©volutionnaire, plutĂŽt admirateur de NapolĂ©on. Il n’a pas participĂ© Ă  l’insurrection de 1830. Et pourtant on voit partout son tableau comme illustration de cette rĂ©volte et des suivantes, voire pour illustrer « les MisĂ©rables » (avec le petit Gavroche) alors qu’en fait c’est sans doute Hugo qui s’est inspirĂ© du peintre, bien des annĂ©es plus tard, pour Ă©crire le rĂ©cit d’une insurrection rĂ©publicaine de 1832, qui fut durement rĂ©primĂ©e par le rĂ©gime Ă©tabli deux ans plus tĂŽt.

La toile de Delacroix cĂ©lĂšbre en effet les « trois glorieuses » journĂ©es du 27, 28 et 29 juillet 1830 au cours desquelles la foule de Paris (bourgeois et ouvriers rĂ©unis) renversĂšrent la monarchie « de droit divin » du dernier des frĂšres de Louis XVI. Mais la haute-bourgeoisie et sa presse ne voulaient ni de la RĂ©publique parce qu’elle Ă©tait perçue comme un facteur de dĂ©sordre social, ni du fils de NapolĂ©on, parce que l’empire aurait hĂ©rissĂ© les puissances Ă©trangĂšres. On dĂ©cida donc de placer sur le trĂŽne le cousin du roi renversĂ©, Louis-Philippe et l'on fut bien heureux d'une solution finalement dĂ©nuĂ©e de toute lĂ©gitimitĂ© : Louis-Philippe n'Ă©tait pas le successeur lĂ©gitime, son pĂšre avait votĂ© l'abolition de la monarchie et la mort du roi, et aucun suffrage populaire ne vint jamais conforter ce rĂ©gime bĂątard. On est bien loin des sentiments qu’inspire aujourd'hui l'icĂŽne de Delacroix.

Delacroix, 1830

Cette Liberté illustre ainsi une révolution confisquée. Voilà justement quelque chose que les bitcoineurs peuvent parfois ressentir lors de certaines conférences sur la révolution Blockchain...

Le peintre a peint sa toile cĂ©lĂšbre plusieurs mois plus tard, quand les « trois glorieuses » ont accouchĂ© d’un rĂ©gime d'oligarchie financiĂšre et de haute-bourgeois. Sa LibertĂ© tient un peu de la dĂ©esse antique, mais elle tient aussi de Marianne, fille du peuple Ă  peau brune. Quand les critiques virent le tableau, ils le trouvĂšrent grossier, ils protestĂšrent que Delacroix dĂ©shonorait la glorieuse rĂ©volution de juillet en la peignant avec des teintes d’ordures. Or, de la glorieuse rĂ©volution, il ne restait dĂ©jĂ  que ce qui est au sommet de la pyramide sur laquelle est construit l'agencement de ce tableau: le drapeau. Les visiteurs du Louvre le reconnaissent comme celui de la France mais en 1830 il Ă©tait encore celui de Valmy et d'Austerlitz, tout juste adoptĂ© par le nouveau rĂ©gime.

La "rĂ©volution" consista en effet Ă  changer le drapeau, tandis que le nouveau roi se couchait dans les draps de l'ancien, et que ses prĂ©fets et ses gendarmes maintenaient partout le mĂȘme ordre. Delacroix a-t-il voulu rappeler que le rĂ©gime dĂ©jĂ  embourgeoisĂ© qui Ă©tait nĂ© de l’évĂ©nement de 1830 n’avait sa lĂ©gitimitĂ© (et sa limite?) que dans la violence? Les soldats qui tirĂšrent sur les insurgĂ©s de 1830 firent la mĂȘme besogne au service du nouveau rĂ©gime.

Il y a un goût trÚs amer dans cette Liberté. Il suffit de songer que la toile reprend ostensiblement la composition du Radeau de la Méduse (1819), l'histoire d'une catastrophe..

La MĂ©duse 1819

Maintenant, qu’allait faire Youl ?

Le drapeau orange n'est pas une surprise, mĂȘme si la couleur n'apparaĂźt pas sur les premiĂšres Ă©bauches. Et autour de la LibertĂ© on s'attend Ă  voir une reprĂ©sentation mĂ©taphorique des forces et des mĂ©tiers Ă  l’oeuvre dans la rĂ©volution de la dĂ©centralisation : dĂ©veloppeurs, cryptologues, hackers, bloggers. Bien sĂ»r Youl met aux mains des Ă©meutiers des pics, symboles transparents du travail des mineurs.

La difficultĂ©, c’est que la toile de Delacroix, c’est fondamentalement (d'aprĂšs le peintre lui-mĂȘme) une barricade. Il y a eu des morts en juillet 1830. Pas des milliers, mais assez pour couvrir de leurs noms la colonne de la Bastille qui commĂ©more cela. Dieu merci, l'apparition du bitcoin n’a pas encore fait de morts (sauf des coupables : KarplelĂšs and Co), mais on peut dire que certains aujourd’hui souffrent, voire meurent, du fait des monnaies-dettes. Youl n'a pas Ă©ludĂ© cette dimension. Le sol reste jonchĂ© de corps sacrifiĂ©s.

Youl nouvelle Ă©bauche

Le « vieux monde » n'a guÚre sa place sur la toile de Delacroix. Les tours de Notre Dame, sur lesquelles flotte un minuscule drapeau tricolore, situent discrÚtement l'action dans la cité de toutes les révolutions et font sans doute une allusion au caractÚre trÚs catholique du roi renversé. La BCE prend cette place dans le fonds de la toile de Youl, décor un peu stérile et symbole d'un systÚme lointain.

Youl, Ă©bauche avec monuments

C'est le moment de regarder la mĂȘme LibertĂ© quand elle ornait un billet de banque centrale.

la liberté pour 100 francs

Les plus anciens se souviennent des rumeurs (généralement invérifiables) assurant que tel ou tel pays refusait de laisser circuler cette coupure pour son indécence supposée. Nul ne semblait s'offusquer que cette liberté n'eût point de monument à prendre d'assaut ni d'émeutier à entraßner si ce n'est un enfant unique, en quoi je pense voir une auto-célébration de la génération 68. Comme sur la piÚce romaine, c'est une Liberté sans contenu conceptuel qui guide un peuple sans remise en cause vers un avenir sans changement. On ne peut que songer, devant cette récupération d'une Liberté révolutionnaire recyclée en symbole patriotique à l'étrange transformation qui ferait de la technologie de Satoshi un instrument à alléger les charges des banques.

Au fait, qu'est-ce qui provoqua la révolution de 1830 ? Des ordonnances prétendant réduire la liberté d'expression et restreindre le droit des électeurs. Tiens, tiens...

Allez ! Voici le tableau de Youl terminé. Avec un tel drapeau il devrait conserver sa force révolutionnaire ! Bravo !

La liberté par Youl




Pour aller plus loin :

43 - Le bitcoin : d'Oresme à Galilée ?

March 25th 2016 at 09:27

(cet article a été traduit en chinois)

À la ConfĂ©rence « Blockchain : disruption et opportunitĂ©s » tenue le 24 mars Ă  l'AssemblĂ©e nationale, on m'avait demandĂ© une brĂšve mise en perspective de la notion de confiance, notamment Ă  travers la figure de Nicolas Oresme.

Que peut encore avoir Ă  nous dire de ce que nous observons aujourd’hui, un moine normand que l'on a parfois dĂ©crit comme l'Einstein du 14 Ăšme siĂšcle et dont les financiers seuls se souviennent qu'il estimait que la monnaie est l'affaire des marchands ? De cet Ă©rudit, Ă©conomiste, mathĂ©maticien et traducteur d'Aristote, chez qui l'on trouve avec des siĂšcles d'avance des principes qui seront ceux de Gresham, de Turgot, d'Adam Smith ou de Jean-Baptiste Say, il arrive aujourd'hui que se rĂ©clament ceux qui aspirent au retour d'une "monnaie valeur" (mĂȘme si Oresme ne confondait pas la monnaie et la richesse!). J'ai donc pensĂ© que l'idĂ©e de partir d'Oresme pour introduire une rĂ©flexion autour du bitcoin Ă©tait bonne, mais pour aller oĂč ?

Voici le texte (un peu remanié et completé) de mon intervention.

Nicolas Oresme

En apparence Oresme n’a pas grand’chose Ă  nous dire. Il a vĂ©cu plus de 70 mutations monĂ©taires, qui ont fait perdre 50% de sa valeur Ă  la monnaie mĂ©tallique. Ceux qui ont moins de 50 ans, en France, n’ont rien connu de comparable et franchement ça se sent parfois un peu dans leurs commentaires.

Oresme, en bon aristotĂ©licien, rĂ©prouve l’intĂ©rĂȘt sur l’argent, qui est le dangereux fondement de nos monnaies actuelles, mais il conteste aussi le droit de l’Etat sur la monnaie, droit qui est remis en cause avec le Bitcoin.

La monnaie, nous dit Oresme, n'est pas la propriĂ©tĂ© du prince. Elle appartient Ă  ceux qui la gagnent, Ă  la collectivitĂ© de ses utilisateurs, qui seule peut en dĂ©finir le statut. Mais ne nous y trompons pas : quand Oresme dit que la monnaie est affaire de marchands il parle de bonne monnaie. Il aurait peut-ĂȘtre approuvĂ© l’indĂ©pendance de la BCE, certainement pas le Quantitative Easing car la monnaie ne se peut faire par alkemie.

Pour Oresme, la confiance est confiance dans la valeur autant que dans l’échange. Aujourd’hui on confond les deux choses, assez frauduleusement.

Je dois donc revenir sur la prĂ©sentation qui est gĂ©nĂ©ralement faite de la confiance comme naturellement suscitĂ©e et entretenue par une institution tierce et centralisĂ©e. Je crois que c’est simplement faux. Les hommes se font d’abord confiance l’un Ă  l’autre, entre frĂšres, amis, voisins. La premiĂšre forme de monnaie-dette chacun la connait : au cafĂ© on ne partage pas, on dit « je te revaudrai ça ». Je suis de ceux qui pensent que la monnaie n’a pas d’origine prĂ©cise et qu’elle est, comme le langage lui-mĂȘme, (confĂšre l’expression sur parole) un Ă©lĂ©ment constitutif de notre humanitĂ©.

Il suffit de rappeler que les mots confiance et confidence ont les mĂȘmes racines latines pour voir que la confiance est chose intime. La confiance (au delĂ  du premier cercle) est historiquement de nature ethnique ou religieuse. Voyez le rĂŽle que les liens familiaux et religieux jouent traditionnellement dans certaines communautĂ©s de marchands (lombards, juifs, ismaĂ©liens, gujaratis) et sur certains marchĂ©s comme celui du diamant.

Or la puissance publique n’est pas de nature intime, ethnique ou religieuse. L’idĂ©e qu’elle soit le fondement de la confiance dans la monnaie est, au mieux, une mythologie destinĂ©e Ă  faire de nĂ©cessitĂ© vertu.

Les pĂšres du papier

L’assignat qui annonce la terreur (laquelle avait manquĂ© au systĂšme de Law) n’a aucun fondement rĂ©publicain. Il tient bien plus du despotisme de Catherine II, qui s’inspirait d’Ivan Possochkov, un Ă©conomiste du temps de Pierre-le-Grand qui disait crument que la matiĂšre dont la piĂšce est faite importe peu et que la volontĂ© de l’empereur serait d’attribuer la mĂȘme valeur Ă  un morceau de cuir ou Ă  une feuille de papier, elle suffirait.

La confiance dans cette monnaie d'État est sans cesse invoquĂ©e. Mais du fait de son cours forcĂ© elle est parfaitement invĂ©rifiable et souvent fort mince. Toute personne qui a fait un an d’études d’histoire sait que le petit Ă©pargnant finit toujours grugĂ©. Nos concitoyens ont lu que les banques Ă©taient fragiles, ils soupçonnent que les garanties des dĂ©pĂŽts sont illusoires, et ils ont entendu un ministre plutĂŽt pondĂ©rĂ© leur dire que la France est en faillite. Les plus informĂ©s ont compris ce que chypriation et rĂ©solution bancaire veulent dire.

Chez le percepteur, Jan Massys, 1539

Ce qui donne son efficacitĂ©, sa valeur, Ă  la monnaie officielle ce n’est pas du tout ma confiance ou celle de l’épicier, comme le dit la bibliothĂšque rose de l’économie, c’est le percepteur qui exige cette monnaie et l’accepte au nominal. Le fisc (autant et plus que le commerce) est la raison d’ĂȘtre et le vrai fondement de la monnaie rĂ©galienne. Contre le moine Oresme, c’est donc JĂ©sus qui a raison quand il parle du « denier de CĂ©sar ».

un percepteur romain

Quand l’évangile Ă©crit áŒˆÏ€ÏŒÎŽÎżÏ„Î” Îżáœ–Îœ τᜰ ÎšÎ±ÎŻÏƒÎ±ÏÎżÏ‚ ÎšÎ±ÎŻÏƒÎ±ÏÎč, comprenons qu’il faut payer ses impĂŽts Ă  l’Etat mais placer sa confiance dans la sociĂ©tĂ©.

Cependant, en matiĂšre d’agencement de la sociĂ©tĂ© face aux Etats, nous sommes moins dans un « moment social » ( dans lequel Oresme nous parlerait de l’autonomisation des Ă©changes par rapport au prince) que dans un « moment mathĂ©matique », oĂč l'on dĂ©couvre comme le fit GalilĂ©e en d'autres domaines, qu'il est possible de se passer de quelques mythes.

Galileo Galilei peint par Le TintoretLe moment GalilĂ©e apporte sa part de dĂ©senchantement pour les nostalgiques, d’exaltation pour les imaginatifs.

Au delĂ  du hype ludique et communautaire, au delĂ  de l'Ă©merveillement technologique, il y a aussi ici un projet politique, difficile Ă  prĂ©senter simplement surtout Ă  des non-amĂ©ricains. Le slogan « no borders no banks » manque probablement de tact. Le cƓur du projet, c’est je crois la libertĂ© du cyberespace. LibertĂ© au double sens d’absence de contrĂŽle et de rĂ©pression, mais aussi de fluiditĂ©, d’instantanĂ©itĂ©, de partage et de confiance.

DĂ©sormais, et c’est une dĂ©flagration, la confiance est Ă©crite en langage mathĂ©matique.


Pour aller plus loin :

  • Sur Oresme : une prĂ©sentation du TraitĂ© des Monnaies (1355)
  • Étant de ceux qui pensent que les premiĂšres monnaies furent sans doute les femmes (ce que suggĂšre me semble-t-il David Graeber) je trouve particuliĂšrement succulente cette phrase d'Oresme : Si comme donc la communaultĂ© ne peult octroyer au prince qu’il ait la puissance et auctoritĂ© d’abbuser des femmes de ses cytoiens a sa vouluntĂ©, et desquelles qu’il luy plaira, pareillement elle ne luy peult donner privilleige de faire Ă  sa vouluntĂ© des monnoies.
  • TĂ©lĂ©charger une traduction du TraitĂ© des monnaies en pages 47 Ă  92 de l'ouvrage rĂ©alisĂ© par une Ă©quipe conduite par Jean-Michel Servet et mis en ligne par l'Institut de Coppet.
  • La citation complĂšte de Possochkov : Ce qui fait la valeur d'une piĂšce de monnaie, ce n'est pas l'or, l'argent, le cuivre, la matiĂšre plus ou moins prĂ©cieuse qui a Ă©tĂ© employĂ©e pour la confectionner; non, rien de tout cela ne fait que cette piĂšce de monnaie soit reçue en Ă©change d'un boisseau de blĂ© ou d'une piĂšce de drap. Ce qui fait cela, c'est l'image de l'empereur frappĂ©e sur le mĂ©tal, c'est la volontĂ© de l'emperuer exprimĂ©e par cette image, d'attribuer Ă  ce morceau de mĂ©tal une efficacitĂ© telle qu'on l'accepte sans hĂ©siter en retour des choses ayant une valeur rĂ©elle, servant aux usages rĂ©els de la vie. Et dĂšs lors, la matiĂšre dont cette piĂšce est faite importe peu. La volontĂ© de l'empereur serait d'attribuer la mĂȘme valeur Ă  un morceau de cuir , Ă  une feuille de papier, elle suffirait, et il en serait ainsi.

136 - Les trois générations

March 8th 2023 at 10:00

Au moment oĂč des hauts-fonctionnaires enfants et petits enfants spirituels de GĂ©rard ThĂ©ry (1933- 2021) veulent enterrer Bitcoin (au besoin aprĂšs l'avoir Ă©touffĂ© eux-mĂȘmes) pour se donner la satisfaction de conforter leur conception obsolĂšte du monde mais aussi pour le profit des banquiers et la vanitĂ© de politiciens sans vision, il m'a paru important de donner sur mon blog la traduction d' un article qui permet de replacer les bourrasques dans la perspective d'un voyage au long cours.

Cet article a été publié par Aleksandar Svetski, fondateur du Bitcoin Times, auteur de The UnCommunist Manifesto et de la série virale (et controversée) Remnant, par ailleurs responsable de la croissance et de la stratégie chez Lucent Labs.

Sa  théorie des trois générations  ne pouvait que tirer l'oeil d'un historien... et je remercie mon ami et co-auteur Adli Takkal Bataille, président de notre  Cercle du Coin  de m'en avoir signalé l'importance.

L'illustration est issue de la publication originale que l'on trouve sur le site de Bitcoin Magazine et sur celui de Zerohedge

Voici la traduction de l'article. Mes commentaires sont placés en dessous, comme il sied à des commentaires.

- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -

Les bitcoiners sont connus pour leur capacité à surestimer la vitesse avec laquelle Bitcoin va  envahir le monde  et devenir  une monnaie largement acceptée .

J'ai longtemps appartenu à ce camp, mais j'en suis venu à penser différemment ces derniers temps. Avant de m'accuser d'avoir déserté ou de me traiter de fainéant, je vous demande de lire la suite et de réserver votre opinion jusqu'à la fin. J'aime à penser que je mûris dans ma façon de considérer Bitcoin. Voyez-y de la tempérance, de la patience ou une dose d'humilité, mais j'essaie d'ajouter un peu de réalisme, ou une  préférence pour le temps long  à la perception souvent surexcitée de Bitcoin parmi certains d'entre nous.

Mais, comme vous le remarquerez, je pense qu'à long terme, aucun d'entre nous n'est  assez haussier  (chapeau bas devant CK).

Allons-y...

BITCOIN EST UNE TRANSFORMATION TECHNIQUE, SOCIALE ET ÉCONOMIQUE

Bien des gens sont trÚs prompts à projeter les courbes d'adoption de technologies antérieures sur les perspectives de Bitcoin. Mais le problÚme est que Bitcoin n'est pas une simple technologie.

Il ne s'agit pas seulement d'un smartphone, d'un ordinateur, d'un réseau social, d'une nouvelle action ou d'un nouveau titre, d'une nouvelle méthode de paiement, d'un moteur de recherche, d'une plateforme de messagerie ou de tout autre nouveau produit, application ou service.

Bitcoin est une transformation complĂšte, technique, sociale et Ă©conomique. Il s'agit d'une rĂ©invention de l'argent depuis ses fondements mĂȘmes, incompatible avec toute primitive antĂ©rieure.

Il s'agit donc non seulement d'un changement d'une ampleur considérable, mais aussi d'un changement complÚtement différent sur le plan paradigmatique. Il y a à cela des avantages comme des obstacles, tous considérables.

Des avantages parce que :

  1. Bitcoin a le plus grand potentiel de croissance que l'on puisse imaginer. Si son offre est fixe et que le marché auquel il s'adresse est celui d'une monnaie mondiale - ce qui implique qu'il sera la mesure par rapport à laquelle chaque action, propriété, entreprise, véhicule, sac à main ou quoi que ce soit existant sur terre sera évalué - il s'ensuit que le bitcoin sera, à terme,  l'unité de valeur  la plus liquide et la plus précieuse de la planÚte.
  2. S'il est incompatible avec l'ordre ancien, il offre véritablement un changement de paradigme. Et s'il est supérieur (ce qui a été prouvé dans toutes les dimensions importantes en ce qui concerne sa fonction de monnaie), alors il ne se contentera pas de  concurrencer  l'ancienne garde, mais il la remplacera complÚtement. Il ne s'agit pas du  découpage d'un nouveau marché , mais d'une transformation de type  gagnant-gagnant  et, fondamentalement, d'une transformation de type  changement de la nature du jeu . C'est beaucoup plus important.

Des obstacles parce que :

  1. Une telle transformation n'est pas une mince affaire. Devenir une monnaie mondiale ne sera pas une promenade de santé ; ce ne sera pas facile, il y aura beaucoup, beaucoup de vents contraires et des cadavres jalonneront le parcours. Le changement est difficile, mĂȘme dans les meilleurs moments et avec les contreparties les plus volontaires. Nous n'avons ni les uns ni les autres de notre cĂŽtĂ©.
  2. La nature des changements de paradigme est telle que la plupart des gens ne les voient pas et mĂȘme lorsqu'ils les voient ils les comprennent rarement. Il faut donc un certain temps pour atteindre une masse critique (quelle que soit la signification de cette mesure) et beaucoup plus de temps pour parvenir Ă  ce que l'on appelle  l'adoption de masse . De plus, les gens n'aiment pas avoir tort, en particulier les gens qui sont en place, de sorte qu'outre le facteur temps, il faut compter avec les rĂ©actions nĂ©gatives et les moqueries de tout le monde.

Il s'agit là d'obstacles réels qu'il est nécessaire de reconnaßtre. Vous ne pouvez pas simplement fermer les yeux et les oreilles, tweeter que  Bitcoin rÚgle le problÚme  et prétendre que tout va bien se passer parce que  Number go Up . Non.

Nous devons comprendre que nous jouons  le plus grand jeu , comme dirait Jeff Booth, c'est à dire que nous jouons avec les plus grands enjeux, pour les plus grands gains, contre les plus grands ennemis - à la fois externes et internes. Nous nous battons à la fois contre l'establishment et contre les cultures dans lesquelles nous avons été élevés.

Il y a plus de changements à opérer qu'aucun d'entre nous ne peut l'imaginer.

Je ne dis pas cela pour vous décourager de Bitcoin ou pour vous donner l'impression que  bon sang - je vais mourir avant de voir le bon cÎté des choses , mais pour : a) vous suggérer que c'est probablement plus important que vous ne le pensiez, et b) pour vous inciter à un peu de réalisme afin que vous puissiez vous préparer mentalement et cesser de jouer à des jeux à court terme. Vous devez vous préparer.

Le bitcoin est un marathon, pas un sprint.

LA THÉORIE DES TROIS GÉNÉRATIONS

Les changements socio-économiques à grande échelle prennent des générations pour s'installer et se normaliser. La vieille garde doit mourir, pour ainsi dire, afin que ceux qui sont nés dans le nouveau paradigme puissent prendre les commandes.

Or chaque génération représente un changement de paradigme en soi, et chaque changement successif apportera avec lui une compréhension et une relation totalement nouvelles avec Bitcoin.

Explorons tout cela...

PREMIÈRE GÉNÉRATION : LA PHASE D'INFECTION

Nous sommes dans la premiÚre génération de Bitcoin. Appelons cela le premier chapitre, ou la premiÚre  Úre . Cette Úre ou cette génération s'étendra sur 20 ans et constituera la  phase d'infection  de Bitcoin.

Je l'appelle ainsi parce qu'à ce stade, Bitcoin infecte le systÚme. Il s'agit d'une sorte de virus qui s'accroche à des hÎtes qui agissent alors de maniÚre à ce qu'il se propage davantage. Son but est d'infecter les infrastructures clés, les esprits clés, les leviers clés et les systÚmes clés du paradigme actuel. Il doit d'abord s'infiltrer le plus discrÚtement possible, puis former une sorte de symbiose avec l'hÎte au fur et à mesure qu'il se développe, de sorte qu'il en résulte des avantages mutuels pour l'ensemble toujours plus grand d'hÎtes et aussi pour le virus Bitcoin.

Nous avons vu cela se produire.

À ce stade, Bitcoin devait prouver que quelqu'un l'Ă©changerait contre de l'argent (ou contre une pizza). Il devait prĂ©senter une  preuve de concept  commerciale significative, ce qu'il a fait avec la Silk Road. Il a dĂ» franchir une premiĂšre Ă©tape de monĂ©tisation (Mt. Gox) et inspirer toute une industrie d'imitateurs parce que ce qu'il faisait Ă©tait tellement transformateur - ce que nous avons vu avec les shitcoins.

Cette évolution s'accompagne d'un grand nombre de spéculations, jusqu'à ce que nous atteignions finalement une part suffisamment importante de la capitalisation totale du marché ou de la liquidité pour que puisse s'effectuer une transition vers le nouveau paradigme.

Nous sommes en plein milieu de la mini-Úre de spéculation de cette premiÚre génération, ou de la phase d'infection des débuts de Bitcoin.

Alors que certains d'entre nous, les radicaux, considĂšrent et utilisent le bitcoin comme de l'argent et comme notre unitĂ© de compte, le reste du monde le considĂšre gĂ©nĂ©ralement comme un actif spĂ©culatif, ou quelque chose avec laquelle on  trade  pour obtenir encore davantage de dollars. Ce n'est pas pour rien que Bitcoin est corrĂ©lĂ© aux marchĂ©s, et mĂȘme s'il y a des signes de dĂ©couplage, il est encore tĂŽt et les gens continueront Ă  court terme Ă  le considĂ©rer comme un actif  à risque .

Certains qualifient cette situation de  mauvaise  et affirment qu'elle trahit la promesse initiale de Bitcoin, mais je pense qu'ils passent à cÎté de l'essentiel. L'argent fait tourner le monde, et jamais plus que dans le monde moderne et matériel dans lequel nous vivons.

Par consĂ©quent, pour avoir le plus grand impact et assurer la symbiose la plus efficace, Bitcoin doit ĂȘtre un animal Ă©conomique et financier. Pour rĂ©parer la dĂ©bauche financiĂšre, Bitcoin doit englober la dĂ©bauche et ensuite, lentement, comme un virus (mĂȘme si dans le cas de Bitcoin, il s'agit plutĂŽt d'un anti-virus), infecter les hĂŽtes et commencer Ă  les changer.

L'allongement de la préférence temporelle et derriÚre, l'adaptation et la maturation du comportement des gens sont un exemple fréquent de cet effet. Pour en savoir plus, consultez l'article de Saifedean Ammous dans l'édition autrichienne du Bitcoin Times :  Making Time Preference Low Again .

Voilà, c'est ça : nous sommes dans la premiÚre génération, sur une période de 20 ans. Nous en sommes à 15 ans et nous sommes sur la bonne voie. Il nous reste encore cinq ans avant d'entrer dans la prochaine génération, et au cours de ces cinq années, nous assisterons à deux nouveaux halvings, à une énorme activité de spéculation et à une véritable accélération vers l'état de liquidité ou de saturation de la capitalisation du marché que j'ai mentionné plus tÎt.

Dans le mĂȘme temps, en coulisses, des choses se seront construites pour prĂ©parer le terrain Ă  la prochaine gĂ©nĂ©ration. Ce qui nous amĂšne bien sĂ»r Ă  cette...

DEUXIÈME GÉNÉRATION : L'ÉTAPE DE L'INFRASTRUCTURE

Imaginez que vous ĂȘtes nĂ© en 2009, la mĂȘme annĂ©e que Bitcoin.

Vous grandissez et devenez adulte dans un monde oĂč Bitcoin a toujours existĂ©. Pour vous, en tant qu'enfant, il va de soi que l'argent est une chose numĂ©rique, et l'idĂ©e compliquĂ©e d'ouvrir un compte en banque ou de se promener avec des billets imprimĂ©s et des cartes en plastique vous est Ă©trangĂšre ou vous semble Ă©trange.

En 2029, vous allez avoir 20 ans et peut-ĂȘtre que la spĂ©culation ne vous a pas encore vraiment effleurĂ© l'esprit. Peut-ĂȘtre voyez-vous plutĂŽt un problĂšme Ă  rĂ©soudre et considĂ©rez-vous simplement Bitcoin comme un outil pour vous aider Ă  le rĂ©soudre.

Gardez Ă  l'esprit qu'Ă  ce stade, le prix du bitcoin serait nettement plus Ă©levĂ© et sa volatilitĂ© plus faible. Des Ă©lĂ©ments comme le Lightning Network seront plus avancĂ©s, ainsi que d'autres protocoles en surcouche ancrĂ©s sur Bitcoin. En tant que tel, vous considĂ©rez toute cette infrastructure Ă©mergente comme une boĂźte Ă  outils et non comme un actif spĂ©culatif. En fait, vous pouvez considĂ©rer d'autres choses de la mĂȘme maniĂšre et choisir de jouer avec elles, mais parce que a) le bitcoin a mĂ»ri et que la volatilitĂ© s'est un peu attĂ©nuĂ©e, et b) de nombreux services proposent dĂ©sormais le bitcoin comme option de financement, vous dĂ©cidez que c'est la norme par rapport Ă  laquelle vous mesurerez vos gains. Ce n'est plus l'actif spĂ©culatif qui prime.

Il est mĂȘme possible que vos parents aient Ă©tĂ© des bitcoiners de la premiĂšre gĂ©nĂ©ration et qu'ils vous aient enseignĂ© les principes ou transmis Bitcoin et que vous ayez grandi immergĂ© dedans. Ainsi, non seulement Bitcoin est quelque chose qui a toujours existé  pour vous mais c'est aussi quelque chose que vous comprenez profondĂ©ment.

Il ne s'agit pas non plus d'idées farfelues, compte tenu de l'époque dans laquelle vous avez grandi. Imaginez comment vous et ceux de votre génération verront Bitcoin et comment vous l'utiliserez. ComplÚtement différemment, oui.

C'est pourquoi je considĂšre la prochaine Ă©tape comme celle de l'outillage ou de l'infrastructure. À cette Ă©poque, le bitcoin quittera enfin les spĂ©culateurs pour entrer dans le cƓur, l'esprit et les mains des bĂątisseurs.

Les jeunes de 20 ans qui lĂšveront des capitaux et crĂ©eront des entreprises Ă  cette Ă©poque utiliseront Bitcoin, Lightning et d'autres couches comme des outils qui leur donneront un tel avantage dans le monde que nous verrons toute une gamme de produits et de services qui intĂšgreront l'argent dans leurs opĂ©rations, de la mĂȘme maniĂšre que la communication a Ă©tĂ© intĂ©grĂ©e dans tout ce que nous utilisons aujourd'hui.

Les incitations Ă©volueront de telle sorte que le fait d'avoir Bitcoin et ses surcouches dans votre boĂźte Ă  outils vous donnera des super-pouvoirs.

Mais... gardez à l'esprit que pendant une grande partie de cette Úre, la génération précédente tiendra encore les cordons de la bourse. Il y aura toujours un élément culturel et normatif qui considérera Bitcoin comme étranger ou spéculatif et qui, malgré  tout ce qui se passe , se battra encore pour s'accrocher au passé.

Cette époque sera celle du choc entre les nouveaux bùtisseurs et les bitcoiners de la premiÚre génération, d'un cÎté, et l'élite résiduelle de l'ancien monde qui possÚde encore une grande partie de la richesse fiduciaire (actions, obligations, propriétés, entreprises, shitcoins, etc.) Les bitcoiners de la premiÚre et de la deuxiÚme génération, en particulier au début de cette Úre, seront encore en infériorité numérique. Mais bien sûr, aucun grand homme n'a jamais renoncé à se battre, quelles que soient les circonstances.

Si l'on prolonge cette période de 20 ans, jusqu'en 2049, je ne pense pas qu'aucun d'entre nous puisse imaginer le type d'infrastructure, de produits et de services qui en résulteront, ni l'ampleur du changement qui s'ensuivra. Ce qui m'amÚne bien sûr à la...

TROISIÈME GÉNÉRATION : LE STADE DE L'ADOPTION MASSIVE

C'est la gĂ©nĂ©ration de l'adoption massive. C'est lĂ  que les enfants de nos enfants atteindront l'Ăąge adulte. Ils n'auront vraiment pas connu un monde dans lequel Bitcoin n'existait pas et pourraient mĂȘme entrer dans l'Ăąge adulte sans savoir ce qu'Ă©tait la monnaie fiduciaire.

À la fin de cette Ăšre, les derniers vestiges de notre gĂ©nĂ©ration commenceront Ă  s'Ă©teindre et le ruban adhĂ©sif qui maintenait l'ancienne infrastructure en place cĂ©dera. La citĂ© de la monnaie fiduciaire sera abandonnĂ©e. Nous entrerons dans la phase d'adoption par le grand public.

Vous vous dites peut-ĂȘtre :  Mais non ! Ça se passera bien plus vite parce que... regardez toutes les technologies qui seront construites d'ici là .

À quoi je vous rĂ©pondrais :  Bien sĂ»r, beaucoup de technologies seront construites Ă  ce moment-lĂ , mais je suis presque certain qu'un nombre important de personnes hĂ©siteront encore Ă  vendre leur maison, leur voiture, leurs produits ou leurs services pour de l'argent magique sur Internet .

Ce nombre aura considérablement diminué, mais si vous pensez que les gouvernements, les grandes entreprises et les personnes qui ont réussi dans la vie grùce à un seul mode de fonctionnement vont tout miser et faire confiance à une monnaie vieille de 40 ans plutÎt qu'à des choses comme la forme de propriété qui existe depuis des milliers d'années, alors vous vous faites des illusions.

Bitcoin est la voie Ă  suivre, mais la richesse doit d'abord changer de mains et cela prendra du temps. C'est pourquoi je pense que c'est Ă  la troisiĂšme gĂ©nĂ©ration qu'adviendra la phase d'adoption massive. Elle arrivera Ă  l'Ăąge adulte dans un monde oĂč nous disposerons d'une technologie financiĂšre supĂ©rieure et d'une infrastructure Ă©conomique qui permettra aux gens d'utiliser Bitcoin comme capital. Il s'agit de la forme de capital la plus liquide, la plus largement accessible, la plus significative et la plus fiable qui soit.

Si l'on se place en 2069, le monde sera complĂštement diffĂ©rent. C'est Ă  ce moment-lĂ  que Bitcoin arrivera vraiment Ă  maturitĂ©. C'est le moment oĂč la monnaie fiat sera supprimĂ©e, mourra ou deviendra une relique du passĂ©, tandis que Bitcoin deviendra Ă  la fois une infrastructure de rĂšglement mondiale et la monnaie mondiale.

C'est le moment oĂč Bitcoin ou un protocole en surcouche ancrĂ© dans Bitcoin fera partie intĂ©grante de presque toutes les applications technologiques utilisĂ©es par des personnes du monde entier.

À ce stade, Bitcoin ne sera plus le virus ; il se sera uni Ă  un nouvel hĂŽte et mĂȘme l'aura crĂ©Ă©.

Je ne sais pas ce qui se passera ensuite. Mais il est passionnant d'y penser. Nous serons alors dans un tout nouveau paradigme.

POUR LES ENFANTS DE NOS ENFANTS

Vous remarquerez que mes certitudes sur ce qui se passera à chaque étape diminuent au fur et à mesure que l'on s'éloigne dans le temps. Je suis assez sûr de ce que nous réservent les cinq prochaines années, et j'ai un certain niveau de confiance pour au moins la premiÚre moitié de la deuxiÚme Úre, mais au-delà, je ne peux que supposer et donner les grandes lignes de ce qui est probable.

C'est parce que je suis un humain et que les humains sous-estiment toujours les effets composĂ©s, alors que Bitcoin est sujet Ă  plus d'effets composĂ©s que pratiquement tout ce que nous connaissons (au moins en tant qu'actif, si ce n'est mĂȘme pour d'autres choses). À chaque jour qui passe, Ă  chaque nouveau satoshi dĂ©tenu par chaque nouvel utilisateur, Ă  chaque nouveau mineur qui se branche, Ă  chaque nouveau commerçant qui accepte Bitcoin, Ă  chaque nouveau nƓud qui fonctionne et Ă  chaque nouveau canal Lightning qui s'ouvre, Bitcoin se compose et se dĂ©veloppe.

Aucun d'entre nous n'est prĂȘt Ă  affronter ce que cela signifie pour trois gĂ©nĂ©rations entiĂšres et, malheureusement, beaucoup d'entre nous ne vivront pas assez longtemps pour le voir. Mais c'est le sort qui nous est Ă©chu !

Notre génération a reçu le cadeau de pouvoir compter parmi les pÚres fondateurs d'un monde nouveau, mais aussi la malédiction d'endurer un monde de clowns pour prix de ce privilÚge. Bien que nous ne puissions pas vraiment profiter des fruits de ce travail, nous aurons été la génération qui restera dans les livres d'histoire comme celle qui a tout changé.

Je ne sais pas ce qu'il en est pour vous, mais c'est un marchĂ© qui vaut la peine d'ĂȘtre conclu.

Les bitcoiners de la premiÚre génération sont comme ceux qui ont posé les fondations et les premiÚres pierres des cathédrales de l'Antiquité et de l'époque féodale. Ils ne vivront jamais assez longtemps pour voir ces structures achevées, mais ils resteront à jamais dans les mémoires en tant que fondateurs.

Et qui sait ? Peut-ĂȘtre regarderons-nous depuis l'autre monde et admirerons-nous ce que nous avons fait, comme ces grands qui nous ont prĂ©cĂ©dĂ©s l'ont fait pour leurs crĂ©ations.

Je n'en sais rien.

Ce qui compte, et je vous laisse sur ce point, c'est de reconnaßtre que Bitcoin est un phénomÚne pluri-générationnel. Ce n'est pas Google, Apple, Facebook, Twitter, un smartphone, PayPal, Visa, une action ou une simple marchandise. Il est bien plus important que tous ces éléments réunis et, en raison de son importance fondamentale, il faudra du temps pour que les gens l'adoptent.

Il faudra quelques gĂ©nĂ©rations pour que cela se normalise. Il faudra que nous mourions pour qu'il atteigne son potentiel - non pas que nous devions ĂȘtre fusillĂ©s, mais notre gĂ©nĂ©ration doit cĂ©der la place Ă  la suivante et Ă  la suivante pour que le nouveau paradigme s'installe vraiment. Une fois que nous aurons disparu, Bitcoin s'Ă©panouira vraiment.

J'espĂšre que vous garderez cela Ă  l'esprit lorsque vous penserez Ă  Bitcoin.

Nous devons faire attention Ă  ne pas projeter sur lui des courbes d'adoption de la technologie et, en cas de dĂ©ception, tenter de le bricoler. Ce qui n'est pas cassĂ© n'a pas toujours besoin d'ĂȘtre rĂ©parĂ© ou mis Ă  jour et, en fait, la principale caractĂ©ristique de Bitcoin est peut-ĂȘtre le fait qu'il ne changera pas, ou trĂšs peu, sur les Ă©chelles de temps que j'ai Ă©voquĂ©es dans cet essai.

Si les rÚgles de consensus de Bitcoin sont restées inchangées et qu'il reste tick-tock, next block'd pendant trois, quatre, cinq décennies, alors les gens auront naturellement développé ce qui compte le plus pour une nouvelle norme et un nouveau paradigme socio-économiques : la confiance.

Et mĂȘme si les bitcoiners dĂ©testent ce mot, la confiance est importante - la vĂ©ritĂ© est que l'on fait le plus confiance Ă  ce que l'on peut vĂ©rifier. C'est pourquoi Bitcoin sera en fin de compte la couche monĂ©taire, Ă©conomique et de communication la plus fiable de la planĂšte, aprĂšs quelques gĂ©nĂ©rations.

118 - Bitcoin mis en biĂšre

January 4th 2022 at 19:53

(pour Sofiane)

Commençons par un aveu de faiblesse : cet article serait difficile à traduire.

Il y avait jadis, m'a-t-on dit, dans mon village de Picardie un menuisier qui faisait aussi  café  et ne se refusait pas le plaisir d'accueillir à l'occasion le client par une plaisanterie trÚs fine :  vous venez pour une biÚre ? .

Bref, je ne vais pas parler de Bitcoin mis pour une 440Úme fois (à ce jour)  en biÚre  (du vieux bas-francique bëra pour civiÚre) mais d'une certaine chope de biÚre (du moyen-néerlandais bier) qui me semble avoir largement échappé à la fureur du mÚme qui rÚgne dans notre sonnante et trinquante communauté.

Ce 3 janvier, donc, un banquier d'affaires crypto de longue date (il se reconnaitra) poste, comme quelques centaines d'autres j'imagine, l'iconique page du Times de Londres. Quelle élégance, ce Satoshi, on dirait un personnage de Jules Verne. On sent le boomer et ça me ravit à chaque fois.

Comme chacun sait, Satoshi, dans son premier bloc de validation, le 3 janvier 2009, a en effet rajouté ces quelques mots :  Chancellor on brink of second bailout for banks . Et là, le fin banquier d'ajouter :  Certains diront que c'est un message subliminal pour réfléchir sur notre économie monétaire, d'autres qu'il s'agissait simplement d'une preuve de date... le mystÚre subsiste .

Au moment prĂ©cis oĂč j'ai lu le mot subliminal mes yeux se sont ouverts et, pour la premiĂšre fois je le confesse (mais j'ai eu beau interroger autour de moi, je ne semble pas plus borgne qu'un autre) j'ai VU :

pinte.jpg, janv. 2022

Bon dieu... mais c'est bien sûr !  me dis-je comme le célÚbre commissaire : le vrai message subliminal, c'est la pinte. Ce message s'adressait clairement à plusieurs personnes qui ne le savaient pas ce jour-là, il y a 13 ans, mais qui allaient devenir, d'un bout du monde à l'autre, les piliers d'innombrables social-meetups.

Mais ce qui est vraiment magnifique c'est ce que dit le minuscule chapeau : que le prix de l'indispensable pinte allait baisser !!!

Or au cours de ces réunions savantes et conviviales, de pinte en pinte, on allait assister à une baisse vertigineuse du prix de la biÚre... exprimé dans la monnaie de Satoshi.

Mes amitiés aux buveurs de biÚre francophones qui se reconnaßtront eux-aussi aisément et aux bars qui ont eu l'intelligence de vendre la biÚre en bitcoin !

107 - Ne plus descendre dans l'ArÚne ?

March 2nd 2021 at 19:00


On a beau faire, on a beau dire, on est toujours surpris par la fabrique de l'opinion.

Dans un pays oĂč la culture mathĂ©matique est tellement faible que la seule chose que l'on remarque quand le chef du gouvernement se trompe (ou nous trompe) avec un graphique dont l'axe des abscisses est dĂ©calĂ© de 6 jours et celui des ordonnĂ©es (*) de 30%, c'est l'inversion du drapeau français sur une slide de son pĂ©nible show... il y a peu Ă  espĂ©rer des « dĂ©bats » sur un sujet techniquement complexe, philosophiquement innovant et politiquement radical comme Bitcoin.

La hausse du bitcoin, la bulle du bitcoin, la folie du bitcoin ont ressurgi ces derniÚres semaines, avec peu de « variants » par rapport à la précédente édition en fin 2017.

En gros, ça donne quelque chose comme ça :


Parce que fondamentalement un « débat » n'est qu'un spectacle qui, ne coûtant rien à produire, occupe l'écran entre deux publicités. Ce n'est pas un exposé, ni une conférence, ni un MOOC. Un universitaire sérieux ne devrait point s'y produire ni un esprit distingué s'y exhiber.

D'autre part la place des monnaies numériques dans le paysage médiatique n'étant pas encore celle du menu sans porc, qui transforme n'importe quelle assemblée de lymphatiques en horde de furieux, ni celle des mérites comparés de l'hydroxychloroquine, de l'ivermectine ou des anticorps monoclonaux pour lesquels il existe déjà des milliers d'experts ennuyeux (à mourir) le spectacle est un peu court.

La « production » charge deux ou trois jeunes filles de trouver des intervenants : elles en trouvent quelques-uns, grĂące Ă  Google, auxquels elles signifient qu'ils ont Ă  passer le soir mĂȘme au studio, et Ă  Paris naturellement. Cela restreint fatalement l'Ă©chantillon, mais qu'importe.

La jeune personne m'appelle, m'avoue avec un gloussement irrésistible qu'elle n'y connait rien, me demande le nom d'autres experts qui justement seraient taillables et corvéables à l'instant puisque moi j'entends rester tranquille au vert. Le temps que je les lui fournisse (pas mauvais bougre, dans le fond) une de ses collÚgues en a trouvé deux ou trois autres, dont un qui a déjà fait le tour de dix autres plateaux pour expliquer que ce n'est pas une monnaie, ce n'est pas une monnaie, ce n'est pas une monnaie.

Arrive le soir ou le lendemain, j'ai le rĂ©sultat Ă  l'Ă©cran. Jamais de quoi regretter d'ĂȘtre dans les gradins plutĂŽt que sur le sable. En 2017, j'avais Ă©crit sur LinkedIn un article que j'avais intitulĂ© La «folie» Bitcoin dans les mĂ©dias français. Je l'ai re-publiĂ© rĂ©cemment, sans changer trois mots. Je continue de penser qu'il n'est pas trĂšs nĂ©cessaire de se justifier.

Depuis 2017, certes, les questions se sont faites un peu moins brutales, et on nous Ă©pargne le topo sur « la blockchain ». Des gens comme Yves Calvi ou Philippe Soumier proposent mĂȘme (enfin...) un format convenable.

Il y a eu évidemment un « basculement psychologique » (le terme est d'Olivier Babeau) chez les interviewers comme chez certains interviewés.

Chez les premiers, on sent la fatigue (mĂȘme M. Lenglet met de l'eau dans son vin) voire parfois, quand mĂȘme, comme un zest de rancune : pourquoi diable ces bitcoineurs ont-ils cru utile de multiplier les prĂ©cautions en 2017, au lieu de nous dire franchement que ça vaudrait le prix d'une voiture trois ans plus tard ?

Chez certains des hĂ©ros de la cryptomonnaie, et c'est le plus rigolo pour les initiĂ©s, il y a eu aussi depuis 2014 ou 2017 un effet « chemin de Damas ». Plus personne n'ose dire que la monnaie n'est qu'un cas d'usage sans grand intĂ©rĂȘt de la technologie blockchain.

Mais entre le temps perdu à expliquer ce que signifie la décentralisation, éluder les questions sur le cours, réfuter l'ineptie sur l'impossibilité d'acheter ses croissants à Paris en bitcoin, recadrer les chiffres sur les usages criminels et renvoyer les balles sur la consommation énergétique, que peut bien dire d'utile, d'instructif, d'éclairant ou de motivant l'expert venu pour expliquer et qui sert de Rétiaire dans cette petite arÚne ?

Parce que, de son cÎté, le Mirmillon de l'establishment connaßt son métier.

Que ce soit un ponte comme Minc, pratiquement à cÎté de ses mocassins, ou des économistes déjà vus plus de mille fois comme Jean-Marc Daniel, Philippe Bechade, Philippe Murer, on n'a jamais rien de nouveau.

Ils sont là pour taper, ils tapent. Ils n'ont pas bougé d'un pouce, pas modifié leurs incantations d'un iota.

Ces joutes risibles m'ont donné quelques occasions d'allonger encore un peu la liste des lauréats du Prix Tulipe. Mince bénéfice !


La conclusion : moins il y a de gens importants sur le plateau, mieux c'est. Cela diminue l'exposition des no-coiners et de leurs naïvetés de béotiens. Autant conseiller à Papi et Mamie, dans leur cuisine, de regarder Bapt&Gael, ils perdront moins leur temps !

Et, dût l'orgueil hexagonal en souffrir, des émissions suisses comme le Forum de la RTS peuvent aussi s'avérer plus utiles, un peu comme la presse belge pour rectifier les erreurs de M. Castex, sans vouloir en faire une affaire personnelle....

Pour le grand public, enfin, et pour en rester aux rigolos, j'ai trouvĂ© que le petit sketch d'Alexis Le Rossignol valait bien des explications fumeuses d'Ă©missions qui prĂ©tendaient nous informer. A ma connaissance, il n'a pourtant mĂȘme pas eu droit, comme Nabilla en janvier 2018, Ă  un petit gazouillis de l'AMF (**). A croire qu'en distanciel les gardiens du Temple ne surveillent mĂȘme plus ce qui se trame dans le vaste monde !



NOTES
(*) Ils sont tellement linĂ©aires (pour ne pas dire plats) qu'ils n'ont pas mĂȘme songĂ© Ă  inscrire les contaminations sur une Ă©chelle logarithmique : ce ne serait pas faux, ce serait mĂȘme assez justifiable, et le gogo en retirerait une rassurante impression de promenade de santĂ©, pardon pour le jeu de maux.
(**) Parmi les nombreuses choses que je ne regrette pas d'avoir écrites, mon billet Genre Vénus, sur l'affaire Nabilla. Le site Bitcoin.fr a marqué le troisiÚme anniversaire de ce petit événement en posant la question : et si Nabilla avait raison ?

❌