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Before yesterdayLa voie du ฿ITCOIN

73 - Genre Venus

January 15th 2018 at 08:21

L'épisode suscité par la célèbre Nabilla Benattia met en perspective divers enjeux qui sont apparus, avec un air de plaisanterie, dans une lumière finalement assez déplaisante.

Au départ, un petit film, que tout le monde a vu et dont je transcris quelques phrases.

Danae par Chantron 1891« Les chéris, je sais pas si vous avez entendu parler du bitcoin, genre cette sorte de nouvelle monnaie virtuelle… Et en fait je connais l'une des filles qui travaillent avec un trader qui sont à fond dans le bitcoin. C'est un peu la nouvelle monnaie, genre la monnaie du futur. Et donc en fait je trouve que c'est assez bien. Et comme en ce moment genre c'est grave en train de se développer, ils ont créé un site (..) ça vous permet d'apprendre à utiliser le bitcoin. Voilà, je crois que c'est le bon moment, ça commence à peine à se développer, et je pense que c'est le moment de s'y intéresser un petit peu. En fait, même si vous y connaissez rien ça vous permet de gagner de l'argent, sans y investir beaucoup, genre vous y investissez des petites sommes, genre moi j'ai dû mettre à peu près 1000 euros j'ai déjà gagné 800 euros, mais vous pouvez faire beaucoup moins ».

Y avait-il vraiment de quoi faire entrer en ébullition la cryptosphère, l'Internet, puis l'AMF, maladroitement relayée par Libération, le journal des jeunes de 77 ans?
On a un peu envie de remarquer qu'elle dit plutôt moins de sottises que bien des journalistes spécialisés, et que son incitation à un investissement pédagogique est assez prudent. Comme l'a courageusement noté le directeur de l’hebdomadaire du Point, jeudi sur France Inter, cela signifie que le phénomène commence à toucher le grand public et qu'on doit se réjouir que quelq'un porte enfin la chose sur la place publique. « En revanche, vous entendez souvent des politiques en parler, du bitcoin ? Jamais, ou presque. Est-ce qu'ils comprennent ? à mon avis, pas souvent (...) Eh bien celle qui porte le sujet sur la place publique, c’est Nabilla Benattia. Puissent les politiques l’écouter, et se saisir enfin, de ce phénomène tout sauf anecdotique ».

Alors d'où vient le scandale ?

Parlons d'abord de la forme : une publicité à peine déguisée sur une cible douteuse?

Certes Nabilla Benattia s'exprime ici sur un réseau social ouvert aux tout jeunes adolescents qui ne sont pas une cible appropriée pour des placements risqués ou non, même si les enfants peuvent voir les publicités automobiles diffusées par la télévision sans précaution particulière à l'égard de ceux qui n'ont pas l'âge de rouler.

Certes elle fait la promotion d'un site Internet qui vend une formation pour les personnes intéressées par la cryptomonnaie, formation qui nécessite de souscrire un abonnement alors qu'elle assure que « c'est gratuit ». Mais si l'on doit compter tous les liens prétendant mener vers des téléchargements gratuits et qui en trois clics amènent l'internaute à la page payante, on va remplir un Bottin. Les internautes, même jeunes, connaissent la vie...

Certes, la justice pourrait entamer une procédure pour publicité déguisée contre celle qui, dans sa vidéo, ne mentionne pas explicitement le caractère publicitaire de son message. Là encore, il y aurait un fort risque de paraître vouloir « faire un exemple » quand des centaines d'autres « influenceurs » oublient allègrement les recommandations de l'ARPP sur la communication publicitaire numérique malgré les foudres brandies depuis longtemps par la Répression des Fraudes. Est-ce propre au numérique ou à Nabilla ? Je n'ai jamais entendu un journaliste rappeler que tel ou tel grand expert économiste présenté à l'antenne comme professeur à Paris I ou à Paris II siège aussi, en toute indépendance et pour rendre service, sans doute, chez David de Rothschild ou chez son cousin Edmond,

Maintenant, redescendons sur terre. Quand Nabilla Benattia s'enlise dans ses explications (« Ils ont un site qui est sûr (...) honnêtement ils ont plus de 85% de taux de réussite, donc en gros, ils ne se trompent pas, quoi ») quel est l'adolescent d'aujourd'hui, même benêt, qui n'a pas compris qu'elle fait de la pub ? Même les pré-ados savent bien que si Norman et Cyprien gravitent aujourd'hui dans l'orbite de Webedia (Monsieur Ladreit de Lacharrière, qui ne possède pas que la Revue des Deux Mondes et qui s'y connait en « relations ») cela n'est pas étranger à des considérations de monétisation de l'influence qu'ils exercent. Je ne dis pas qu'ils approuvent. L'opération de rachat de Mixicom par Wabadia avait au printemps 2016 suscité de vifs débats. Mais ils savent !

Genre ?

Il y a dans La Vénus à la fourrure de Polanski (oui, je sais...) une scène où le metteur en scène (Mathieu Amalric) qui n'en peut plus d'entendre Wanda ( Emmanuelle Seigner) balancer de manière compulsive le mot « genre » pris fautivement ici comme un adverbe à chaque phrase, se fait moquer par elle. Parce que, lui, il égrène des « pour ainsi dire » légèrement désuets. Il s'enquiert donc de ce qu'il faut dire aujourd'hui à la place de « pour ainsi dire ».

Personne ne s'est gêné pour signifier à Nabilla qu'elle n'était pas à sa place. L'opinion de dizaines d'experts qui n'ont pas lu le quart de l'article Bitcoin sur Wikipedia, les rires de ceux qui pouffent sur les plateaux en assurant que l'on n'y comprend rien, coupant au besoin la parole de celui qui semblent savoir avec des « oh là là on n'y comprend rien! », l'arrogante paresse de ceux qui tranchent que « c'est une folie complète ce truc », les comparaisons absurdes, les invectives, les bidouillages de ceux qui ne savent plus s'ils détachent Bitcoin de la Blockchain ou la Blockchain du Schmilblick ... tout est légitime, tout à droit à l'antenne. Mais pas la parole de Nabilla assurant que c'est genre la monnaie du futur.

Si elle le dit, c'est forcément du grand n'importe quoi nous assure (dans un français, à tout prendre, guère différent de celui de la jeune personne) un vieux briscard de syndicat bancaire. « La vulgarité et la bêtise en cadeaux additionnels » relance un banquier pourtant populaire. Ces gens là ne peuvent rien dire quand Bill Gates, Richard Branson, Marc Andreesen ou Al Gore leur expliquent que Bitcoin c’est révolutionnaire, et que c'est beaucoup mieux qu’une monnaie. En général ils n'en sont pas informés, parce que les propos positifs ne sont pas relayés. Et si par hasard ils le sont, ça ne les convainc en rien. Mais un vieux fonds de servilité les maintient dans leur bouderie. Alors que si une jeune femme si différente des critères de leur monde à eux dit à peu près la même chose dans sa langue à elle, ils peuvent se lâcher.

Et l'illégitimité de cette jeune personne rebondit immédiatement sur Bitcoin. Comme il s'agit de coller à la phase ultime de la bulle, qui serait celle de l'arrivée des idiots (alors même que tout annonce l'arrivée des fonds d'investissemens) Nabilla devient la preuve vivante de l'effondrement conceptuel et financier de « ce truc ». C'est définitivement le moment de vendre. Qu'elle conseille d'acheter permet à tout un tas de couillons de conseiller de vendre. A croire que des cartes de CIF ont été distribuées au petit matin dans leurs boites aux lettres. Nabilla c'est mieux que le cireur de chaussure de Rockefeller (ou de Joe Kennedy plus personne ne sait), mieux que le chauffeur de Joe Kennedy (ou de Rockefeller, tout le monde s'en fiche) mieux que le barbier (cette version existe aussi), mieux que toutes les petites gens qui, en se contenant au fond de répéter ce qu'ont dit la veille les demi-instruits, offrent à ces derniers l'occasion de rire un bon coup à la santé des travailleurs manuels et des classes populaires.

Tous les journaux se sont crus obligés de citer le twitte de l'AMF. Nabilla vivement critiquée, recadrée, taclée, j'en passe. Notez bien que le message de l'AMF n'étant pas destinée @nabilla (elle a un compte public) et ne faisant que citer #nabilla (j'imagine que celui qui a la main sur le compte twitter de l'institution comprend la différence) doit être destiné aux ados accros à Snapschat. Ils sont certainement très nombreux à suivre l'AMF.

Venus au miroir à Anvers, Rubens d apres TitienAu demeurant, au « Y'a pas besoin de s’y connaître » de Nabilla, l'AMF en répondant par un « restez à l’écart » aussi puissamment argumenté, se met à peu près au même niveau, celui de gens qui usent de l'argument d'autorité que confère notoriété ou position sociale mais qui n'ont pas le courage d'approfondir la question.

Depuis Monsieur Valls, on sait que nos élites ne souhaitent pas trop que les gens essayent de comprendre.

Venus

Sur les réseaux et messageries, la goujaterie vient renforcer le mépris de classe. En pleines séquelles de l'affaire Weinstein, on reste confondu de ce que l'on peut lire sur LinkedIn, dans le déluge d'articles et de commentaires que des responsables encravatés ont consacrés à ces 3 minutes de Snapschat. Il y en a qui comprennent certaines choses tellement lentement qu'ils feraient mieux de ne pas moquer Melle Benattia. Les riches assonances du mot bitcoin font merveille chez des consultants informatiques dignes de personnages de Houellebecq. Les plus délicats des cadres outragés par cette jeune femme sont ceux qui se contentent de demander si elle se croit dans un cabaret.

La Vénus à la fourrure

On sent quand même vite une sourde saloperie de mâles rancuniers derrière tout cela. Bien sûr, on a compris que Nabilla, cette femme sans éducation, annonçait le jugement dernier d'un Bitcoin « qui n'en finit pas de mourir » (j'ai lu ça tel quel). Cela n'en fait pas la femme perdue du 17ème chapitre de l'Apocalypse. Ce que révèlent les références plus ou moins discrètes aux usages que cette jeune femme pourrait faire de son corps, c'est, au-delà d'une frustration charnelle un peu pathétique, la risible frustration du monsieur qui se dit qu'il est trop tard pour profiter de l'aventure. Il n'y a que ceux qui n'ont pas acheté un bitcoin en 2014 ou 2015 pour calculer sordidement ce qu'ils auraient dans leurs poches s'ils en avaient acheté mille en 2012. Comme s'ils avaient l'once de courage pour cela !

Pour ainsi dire

En conseillant à ses fans l'achat de 1000 euros de bitcoin, elle mettrait donc la société française au bord du gouffre. C'est la moitié de la mise moyenne annuelle d'un français sur deux dans des jeux de hasard qui ne font pas honneur à l'esprit humain, même s'ils sont sous la coupe de l'Inspection des Finances. Est-ce qu'il n'y a ni drame social lié au jeu d'argent, ni publicité pour y inciter ? C'est ce que semble soutenir un rapport d'enquête parlementaire (de 2005) : « votre rapporteur est parvenu à la conclusion que jamais l'Etat ne pousse à développer le jeu pour alimenter ses caisses, au terme de ses recherches et de ses recoupements dans ce domaine qui relève de l'éthique. L'Etat semble tenir, au moins dans ce secteur, un langage assez pondéré et se placer en promoteur sincère d'un développement compétitif, certes, mais responsable ». Rien à voir, donc, avec le grossier tapinage (le mot n'est jamais employé innocemment) de Melle Benattia.

Celle-ci n'aurait aucune capacité intellectuelle ? Est-on bien sûr que la personne qui débite des conseils dans les agences bancaires de quartier s'exprime dans une langue plus recherchée ou avec des arguments mieux étayés ? Aucune importance me dira-t-on,puisque c'est pour placer des produits maison, offrant toute garantie.

Quand il s'agit de séduire les petits bourgeois, la grande finance se prive-t-elle d'user du charme plus que du raisonnement ? Ceux qui ont vécu la fin des années 1980 se souviendront des procédés utilisés pour draguer « l'actionnariat populaire». Paribas exhibait l'Orangerie de la rue d'Antin sur fond de prouesses vocales de Barbara Hendricks : toutes choses mieux assorties aux goûts de la classe dirigeante que le peignoir rose de Nabilla, mais sans guère plus de rapport avec l'étude d'une opportunité d'investissement. Suez voulut alors montrer qu'il s'agissait de réfléchir. En faisant appel à une vraie star, pas à une starlette:

En quoi, mais en quoi, ce message est-il différent de celui de Melle Benattia?

Les actionnaires de Suez ont bu le bouillon. Un bide devenu un cas d'école. Le slogan « réfléchissez » revint comme un boomerang sur les stratèges de l'argent et de la communication. Madame Deneuve, elle, alla jusqu'à se dire « choquée par la méchanceté des journaux, et surprise que les dirigeants de Suez ne réagissent pas pour la protéger ».

En 1993 (seconde vague de privatisation) les sociétés en quête de pigeons corrigeaient le tir, les experts en communication ayant le cuisant souvenir des dérapages antérieurs, comme le notait le journal les Echos eux-mêmes. On n'avait pas encore songé à parler de « Blue Chips Nation », mais on n'allait pas tarder à inventer le « placement de père de famille ». Aider les grands patrons, ça c'est du bon risque ! Financer les découverts de fin de mois de l'Etat en collaboration avec des banquiers «Spécialistes en Valeur du Trésor », ça ce sont des choses nobles auxquelles on peut penser en se réveillant le matin.

Les propos de la classe dirigeante sur Bitcoin ne constituent pas un apport à un débat d'idées mais des sarcasmes de concurrents auxquels il convient peut-être parfois de répondre comme tel. Genre Vénus...

51 - Des météores ?

July 18th 2016 at 07:40

(Questions impériales sur Satoshi - II)

Le colonel Chabert déjà évoqué ici pour évoquer l'impossible retour de Satoshi fait lui-même signe vers un autre revenant, d'un tout autre poids historique : Quand je pense que Napoléon est à Sainte- Hélène, tout ici-bas m’est indifférent dit-il.

un retour

Or l'Empereur, lui, avait déjà réussi un premier retour : le 1er mars 1815, il débarqua à Golfe Juan, revenant de l'ile d'Elbe après 10 mois d'absence et il fut "reconnu" immédiatement. Balzac, encore, fait dire à son Médecin de campagne : Avant lui, jamais un homme avait-il pris d'empire rien qu'en montrant son chapeau ? Bonne question... Ce vol de l'Aigle fit longtemps espérer par ses partisans un nouveau prodige.

LeysCe miracle d'un nouveau retour après une évasion rocambolesque de Sainte-Hélène à laquelle Napoléon semble s'être toujours refusé (*), certains romanciers l'ont imaginé. Simon Leys (1986), tout en supposant que l'empereur revient vivant en France, s'intitule tout de même le sien "La mort de Napoléon" et il n'est pas sans rapport avec ce qui peut être la situation d'un génie inconnu comme Satoshi : l'impossibilité non seulement de "revenir", mais plus radicalement d'être soi-même.

Comme il ressemblait vaguement à l’Empereur, les matelots l’avaient surnommé Napoléon. Aussi, pour la commodité du récit, ne l’appellerons-nous pas autrement. Et d’ailleurs, c’était Napoléon. (...) Seul le maître d'équipage désapprouvait cette appellation. Que l'on associât le nom de son dieu à ce petit homme laid avec son ventre enflé et ses jambes grêles, lui paraissait sacrilège.

en 1820Il est vrai que le portrait fait de lui par un anglais en 1820 laisse envisager combien peu reconnaissable aurait pu être l'enfant prodigue de la gloire après quelques années de pourissoir tropical.

Mais l'auteur vise au coeur, présentant Napoléon étranger à lui-même sur le bateau de son évasion : Entre le personnage qu'il avait dépouillé et celui qu'il n'avait pas encore créé, il n'était temporairement personne. Débarqué à Anvers il ne reconnut pas même le bassin Napoléon qu'il avait inauguré en personne dix ans plus tôt. À Waterloo il a le sentiment d'être là pour la première fois. À Paris le voici errant, recueilli comme vieux soldat par de vieux soldats, tous nostalgiques de l'empire. Et un jour la terrible nouvelle arrive. Sur la petite île lointaine, l'empereur (son sosie, donc) vient de mourir. Tout le monde pleure autour de lui. Lui est foudroyé, sa destinée devenait posthume.

Voici maintenant qu'un obscur sous-officier, rtien qu'en mourant sottement sur un rocher désert à l'autre bout du monde, avait réussi à dresser sur son chemin le rival le plus formidable et le plus inattendu qu'on puisse concevoir : lui-même !

S'il revenait Satoshi n'aurait-il pas à se battre contre Satoshi lui-même?

Le Napoléon de Leys est vrai, extrêmement crédible. Et pourtant il "se reconstruit" (ce mot que Jean-Paul Kauffmann déteste) ... comme marchand de melons. Le personnage de l'empereur est désormais largement occupé par les fous. Une visite à l'asile l'en convainc : une malheureuse épave présentait une image mille fois plus fidèle, plus digne et plus convaincante de son modèle que l'improbable fruitier chauve qui, assis à ses côtés, l'examinait avec stupeur.

James Sant 1900Napoléon vieillit : chaque fois qu'il se rendait chez le barbier, il mesurait dans le double miroir avec une fascination hypnotisée l'effacement progressif de ses traits originaux, petit à petit supplantés par ceux d'un inconnu qu'il méprisait, qu'il haïssait - et qui lui inspirait une horreur grandissante. C'est ce que peut suggérer la toile de James Sant La dernière phase (1900) récemment présentée au public lors de l'exposition Napoléon à Sainte-Hélène au Musée de l'Armée.

Jusqu'où peut-on comparer Satoshi Nakamoto à Napoléon Bonaparte ? Au plan psychologique, nul n'en sait rien. Quant à l'amour des mathématiques, il est patent chez les deux hommes (*). C'est au regard d'une forme particulière de génie, qu'il y a, me semble-t-il, chez l'inconnu de 2008 une sureté du regard, une capacité d'agencer de manière proprement lumineuse des facteurs de nouveauté révolutionnaires avec des éléments pré-existants (d'ancien régime) que l'on retrouve chez le Premier Consul. Enfin c'est surtout dans l'optique d'un Hegel ou d'un Marx qu'il me paraît que la comparaison est permise.

hegel

Pour Hegel(*), Napoléon est l'instrument de l'Absolu sur le théâtre du monde, Napoléon, en entrant à Iéna l'épée en main le jour où le philosophe achève sa Phénoménologie de l'Esprit, devient le héros de l'histoire moderne. Je ne crois pas forcer le trait en le retrouvant chez Satoshi. Il s'empare d'une citadelle, celle de la monnaie, achevant un mouvement multiséculaire de libération de l'homme des corps intermédiaires, des liens et des autorités. Le P2P, c'est l'Absolu du 21ème siècle.

Renversant l'idéalisme hégélien tout en conservant sa dialectique historique, Karl Marx ne voit en Napoléon ni l'empereur romain du sacre ni le dieu de la guerre mais le génie qui va permettre l'éclosion de la société bourgeoise moderne en France et sur une bonne part du continent. Il reviendra à d'autres de dire, de même, ce qu'aura été réellement le travail historique de Satoshi Nakamoto.

Mais quand le travail est accompli, l'histoire se passe assez bien des grands hommes. En 1791, le lieutenant corse de 22 ans l'avait déjà noté : les hommes de génie sont des météores destinés à brûler pour éclairer leur siècle. Plutôt que de pourrir en victime de ses ennemis, autant faire comme Satoshi et move on to other things.

vieux




Pour aller plus loin :

50 - Il prit la résolution de rester mort ?

July 14th 2016 at 16:45

( Questions impériales sur Satoshi - I)

Satoshi Nakamoto est une énigme et le demeurera peut-être. Je n'ai pas l'intention d'ajouter ici mes hypothèses personnelles à la longue suite de celles qui ont déjà été formulées (voir sur le site bitcoin.fr). Pour moi, son mystère qui anime bien des conversations dans la communauté (qui est-il, ou qui sont-ils ? que pense-t-il de tel ou tel problème ? que va devenir son magot ? ) est consubstantiel au bitcoin, si du moins comme l'écrit quelque part Hegel, la vérité n'est pas comme une monnaie qui, telle qu'elle est frappée, est prête à être dépensée et encaissée. La vérité contient de la vie, da la souffrance et de la mort.

le mort d'Eylau

Je ne peux donc partager entièrement le point de vue purement technicien de Peter Todd selon lequel l’identité de Satoshi est simplement une curiosité historique.

L'apparition épisodique d'un prétendant est une chose qui ne peut qu'amuser l'historien comme elle stimule le romancier et intéresse le psychologue.

Des quatre faux tsars Dimitri successifs à la bonne dizaine de faux Dauphins du Temple, on ne manque pas de références en la matière. Chacune de ces histoires témoigne de la conjonction de trois facteurs : un événement historique mystérieux, inouï ou scandaleux, l'existence d'un désordre mental individuel et une situation d'incertitude politique collective. Il n'est pas question de les rappeler ici, mais seulement de souligner la ressemblance frappante avec ce que nous voyons autour des "prétendants" Satoshi et de leur interférence dans les problèmes de gouvernance du bitcoin.

Une chose, néanmoins m'étonne toujours. Pour soutenir (rarement) comme pour réfuter (le plus souvent) tel ou tel prétendant, la plupart de mes amis se forgent implicitement l'image parachronique d'un Satoshi qui serait aujourd'hui le même qu'en 2008. On compare la langue, le style, la démarche du prétendant aux traces, bien rares de surcroît, laissées par le disparu. Comme si le temps n'avait pas passé sur lui autant que sur nous.

chabertIl y a un héros de roman qui est l'archétype de cette situation, c'est le Colonel Chabert de Balzac. Cet enfant trouvé dont une révolution a fait un soldat, un héros, Grand Officier de la Légion d'Honneur, disparaît de l'histoire dans le tumulte d'une bataille terrible (Eylau, 8 février 1807) et réapparaît à Paris deux ans après Waterloo, alors qu'il est officiellement mort.

C'est un héros dépossédé, émouvant, mais assez lucide. Un roi goutteux a remplacé son empereur, un aristocrate l'a remplacé dans le lit de sa femme, la société a changé, il ne la reconnait pas davantage qu'elle ne le reconnait lui-même.

Au terme de ses efforts, il prend, dit Balzac, la résolution de rester mort. Le roman de Balzac nous donne finalement des clés pour tenter de comprendre la situation, que Satoshi soit l'un des prétendants connus, ou bien qu'il soit tout autre et reste caché.

Tant qu'il prétend à être reconnu, Chabert est traité de fou. On voit bien qu'une partie des critiques contre les prétendants Satoshi vise la qualité de leur état mental. Comme si un héros (de guerre ou de science) était un homme ordinaire et comme si pareille situation ne devait pas le rendre plus étrange encore qu'il ne l'était de nature!

craighJ’irai, s’écria-t-il, au pied de la colonne de la place Vendôme, je crierai là : « Je suis le colonel Chabert qui a enfoncé le grand carré des Russes à Eylau ! » Le bronze, lui ! me reconnaîtra.
Et l’on vous mettra sans doute à Charenton lui répond l'un des rares personnages honnête et qui croit en ses dires.

Chabert finalement renonce. A vrai dire, il a renoncé depuis longtemps, il n'a cessé de renoncer depuis dix ans : je fus convaincu de l’impossibilité de ma propre aventure, je devins triste, résigné, tranquille, et renonçai. On me dira que certains prétendants ne sont ni résignés ni tranquilles ? Mais écoutons Craig Wright, et convenons, au moins, qu'il parle comme un héros balzacien (bien sûr il y a aussi des escrocs chez Balzac) : Je suis désolé. Je croyais que je pouvais le faire. Je croyais que je pouvais mettre les années d’anonymat et de dissimulation derrière moi. Mais, à mesure que les événements de la semaine se sont déroulés et alors que je me préparais à publier la preuve que j’avais accès aux premières clés, j’ai flanché. Je n’ai pas le courage. Je ne peux pas. C'est à peu près le trajet de Chabert !

Le temps change tout ; ce qui est intime, ce qui est social, ce qui est politique. Le colonel avait connu la comtesse de l’Empire, il revoyait une comtesse de la Restauration dit Balzac pour évoquer l'épouse de Chabert.

Que doit penser Satoshi ? Huit ans après la grande crise, les banques n'ont jamais été aussi puissantes. Goldman Sachs, qui peut aussi facilement mettre à genoux un peuple que recruter un commissaire européen, développe sa blockchain sans bitcoin, dépose des brevets. Le monde ne bruisse que d'une forme précise de "technologie blockchain", celle qu'il sera possible de transformer en jeu de société.

Un point central du roman est que Chabert semble pourtant tenir davantage à sa femme et à son honneur qu'à son trésor. Il vaut mieux avoir du luxe dans ses sentiments que sur ses habits. Ce qui ramène au million de bitcoins de Satoshi Nakamoto, trésor interdit ou abandonné, peut-être perdu, et qui alimente tant de spéculations.

Il y a un homme qui se passionne pour Chabert, c'est Jean-Paul Kauffmann. Glissons, puisqu'il déteste que l'on en parle, sur son statut d'otage (durant 3 ans, au Liban) et disons que, selon Jérôme Garcin, sa singulière bibliographie ressemble désormais à un long traité de la fuite, à un précis de disparition dans des lieux sinistres et carcéraux où le temps s’est arrêté et les portables ne passent plus. Lui-même, dans son dernier livre, écrit : je ne suis pas devenu meilleur, simplement plus vivant et plus loin je ne me suis pas reconstruit à l'identique.

kauffmann

Dans ce livre, Outre-terre, il se promène sur le champ de bataille d'Eylau en songeant à Chabert. Il est plus facile de s'identifier à lui qu'au Père Goriot ou à Eugénie Grandet. Chacun peut y chercher, à travers son histoire personnelle, des traces de ses propres heurts, de ses arrachements, de ses phobies. Chabert est la figure de l'absent, du disparu, du gêneur.

De même Satoshi disparu, fantomatique, ne devient-il pas, peu à peu, lui aussi une forme de menace ?

Pour aller plus loin :

44 - La Liberté

April 14th 2016 at 09:02

Lors d’un colloque à l’Assemblée Nationale, on m’avait demandé de répondre à la question : Pourquoi, achète-t-on des bitcoins ? Est-ce la confiance qui mobilise les bitcoineurs ou plus simplement une analyse rationnelle du risque au regard des gains escomptés ?

J’avais répondu qu’il y avait bien des raisons, au delà de l’intérêt, pour désirer détenir du bitcoin. Le bitcoin n’est pas intéressant, il est passionnant, et pour au moins trois raisons : la dimension ludique et communautaire, l'émerveillement technologique et le projet politique.

Quand j’en vins au projet politique, je dus avouer qu’il était difficile à présenter simplement. Je jugeais un peu dur, dans ce temple de nos institutions nationales, d’aller clamer « no borders no banks » et me contentai donc de rappeler que le cœur du projet d’une monnaie décentralisée c’était la liberté du cyberespace, mais en précisant «au double sens d’absence de contrôle et de répression, mais aussi de fluidité, d’instantanéité, de partage et de confiance ». Façon de dire que ce n'était pas forcément ce que, depuis les Augustes romains, les politiques entendent volontiers par Liberté.

de Sevère Alexandre à Sempé

Or pendant ce temps, un artiste contemporain que j’ai déjà évoqué ici abordait lui aussi la chose à sa façon. Youl a déjà revisité, à la demande de clients bitcoineurs, la Cène de Vinci et les Joueurs de Carte de Cézanne. A chaque fois je suis étonné de la pertinence de ses intuitions, et j’échange volontiers avec lui.

promenade au LouvreUn de ses clients venait de lui commander une toile inspirée de la cultissime Liberté guidant le Peuple d’Eugène Delacroix que le Cercle du Coin avait, presque en même temps, adoptée comme illustration de son communiqué de presse « pas de révolution Blockchain sans Bitcoin ».

Songeant à cela durant que je parlais, je me demandais si ce n'était pas un choix trivial, voire fâcheux. La liberté figure sur des monnaies depuis le temps de Rome, et ce même tableau, passablement sagouiné, avait jadis servi à illustrer un billet de 100 francs créé en 1978 et qui circula jusqu’à la fin du siècle. Je me gardai bien d’évoquer tout cela devant tant d’officiels et me promis d’y revenir pour mes lecteurs.

Depuis mon billet sur sa Cène, Youl me fait l'amittié de me montrer certaines étapes de son travail.

Youl premières ébauches

Disons d’abord un mot sur Delacroix : un peintre non-académique mais non-révolutionnaire, plutôt admirateur de Napoléon. Il n’a pas participé à l’insurrection de 1830. Et pourtant on voit partout son tableau comme illustration de cette révolte et des suivantes, voire pour illustrer « les Misérables » (avec le petit Gavroche) alors qu’en fait c’est sans doute Hugo qui s’est inspiré du peintre, bien des années plus tard, pour écrire le récit d’une insurrection républicaine de 1832, qui fut durement réprimée par le régime établi deux ans plus tôt.

La toile de Delacroix célèbre en effet les « trois glorieuses » journées du 27, 28 et 29 juillet 1830 au cours desquelles la foule de Paris (bourgeois et ouvriers réunis) renversèrent la monarchie « de droit divin » du dernier des frères de Louis XVI. Mais la haute-bourgeoisie et sa presse ne voulaient ni de la République parce qu’elle était perçue comme un facteur de désordre social, ni du fils de Napoléon, parce que l’empire aurait hérissé les puissances étrangères. On décida donc de placer sur le trône le cousin du roi renversé, Louis-Philippe et l'on fut bien heureux d'une solution finalement dénuée de toute légitimité : Louis-Philippe n'était pas le successeur légitime, son père avait voté l'abolition de la monarchie et la mort du roi, et aucun suffrage populaire ne vint jamais conforter ce régime bâtard. On est bien loin des sentiments qu’inspire aujourd'hui l'icône de Delacroix.

Delacroix, 1830

Cette Liberté illustre ainsi une révolution confisquée. Voilà justement quelque chose que les bitcoineurs peuvent parfois ressentir lors de certaines conférences sur la révolution Blockchain...

Le peintre a peint sa toile célèbre plusieurs mois plus tard, quand les « trois glorieuses » ont accouché d’un régime d'oligarchie financière et de haute-bourgeois. Sa Liberté tient un peu de la déesse antique, mais elle tient aussi de Marianne, fille du peuple à peau brune. Quand les critiques virent le tableau, ils le trouvèrent grossier, ils protestèrent que Delacroix déshonorait la glorieuse révolution de juillet en la peignant avec des teintes d’ordures. Or, de la glorieuse révolution, il ne restait déjà que ce qui est au sommet de la pyramide sur laquelle est construit l'agencement de ce tableau: le drapeau. Les visiteurs du Louvre le reconnaissent comme celui de la France mais en 1830 il était encore celui de Valmy et d'Austerlitz, tout juste adopté par le nouveau régime.

La "révolution" consista en effet à changer le drapeau, tandis que le nouveau roi se couchait dans les draps de l'ancien, et que ses préfets et ses gendarmes maintenaient partout le même ordre. Delacroix a-t-il voulu rappeler que le régime déjà embourgeoisé qui était né de l’événement de 1830 n’avait sa légitimité (et sa limite?) que dans la violence? Les soldats qui tirèrent sur les insurgés de 1830 firent la même besogne au service du nouveau régime.

Il y a un goût très amer dans cette Liberté. Il suffit de songer que la toile reprend ostensiblement la composition du Radeau de la Méduse (1819), l'histoire d'une catastrophe..

La Méduse 1819

Maintenant, qu’allait faire Youl ?

Le drapeau orange n'est pas une surprise, même si la couleur n'apparaît pas sur les premières ébauches. Et autour de la Liberté on s'attend à voir une représentation métaphorique des forces et des métiers à l’oeuvre dans la révolution de la décentralisation : développeurs, cryptologues, hackers, bloggers. Bien sûr Youl met aux mains des émeutiers des pics, symboles transparents du travail des mineurs.

La difficulté, c’est que la toile de Delacroix, c’est fondamentalement (d'après le peintre lui-même) une barricade. Il y a eu des morts en juillet 1830. Pas des milliers, mais assez pour couvrir de leurs noms la colonne de la Bastille qui commémore cela. Dieu merci, l'apparition du bitcoin n’a pas encore fait de morts (sauf des coupables : Karplelès and Co), mais on peut dire que certains aujourd’hui souffrent, voire meurent, du fait des monnaies-dettes. Youl n'a pas éludé cette dimension. Le sol reste jonché de corps sacrifiés.

Youl nouvelle ébauche

Le « vieux monde » n'a guère sa place sur la toile de Delacroix. Les tours de Notre Dame, sur lesquelles flotte un minuscule drapeau tricolore, situent discrètement l'action dans la cité de toutes les révolutions et font sans doute une allusion au caractère très catholique du roi renversé. La BCE prend cette place dans le fonds de la toile de Youl, décor un peu stérile et symbole d'un système lointain.

Youl, ébauche avec monuments

C'est le moment de regarder la même Liberté quand elle ornait un billet de banque centrale.

la liberté pour 100 francs

Les plus anciens se souviennent des rumeurs (généralement invérifiables) assurant que tel ou tel pays refusait de laisser circuler cette coupure pour son indécence supposée. Nul ne semblait s'offusquer que cette liberté n'eût point de monument à prendre d'assaut ni d'émeutier à entraîner si ce n'est un enfant unique, en quoi je pense voir une auto-célébration de la génération 68. Comme sur la pièce romaine, c'est une Liberté sans contenu conceptuel qui guide un peuple sans remise en cause vers un avenir sans changement. On ne peut que songer, devant cette récupération d'une Liberté révolutionnaire recyclée en symbole patriotique à l'étrange transformation qui ferait de la technologie de Satoshi un instrument à alléger les charges des banques.

Au fait, qu'est-ce qui provoqua la révolution de 1830 ? Des ordonnances prétendant réduire la liberté d'expression et restreindre le droit des électeurs. Tiens, tiens...

Allez ! Voici le tableau de Youl terminé. Avec un tel drapeau il devrait conserver sa force révolutionnaire ! Bravo !

La liberté par Youl




Pour aller plus loin :

43 - Le bitcoin : d'Oresme à Galilée ?

March 25th 2016 at 09:27

(cet article a été traduit en chinois)

À la Conférence « Blockchain : disruption et opportunités » tenue le 24 mars à l'Assemblée nationale, on m'avait demandé une brève mise en perspective de la notion de confiance, notamment à travers la figure de Nicolas Oresme.

Que peut encore avoir à nous dire de ce que nous observons aujourd’hui, un moine normand que l'on a parfois décrit comme l'Einstein du 14 ème siècle et dont les financiers seuls se souviennent qu'il estimait que la monnaie est l'affaire des marchands ? De cet érudit, économiste, mathématicien et traducteur d'Aristote, chez qui l'on trouve avec des siècles d'avance des principes qui seront ceux de Gresham, de Turgot, d'Adam Smith ou de Jean-Baptiste Say, il arrive aujourd'hui que se réclament ceux qui aspirent au retour d'une "monnaie valeur" (même si Oresme ne confondait pas la monnaie et la richesse!). J'ai donc pensé que l'idée de partir d'Oresme pour introduire une réflexion autour du bitcoin était bonne, mais pour aller où ?

Voici le texte (un peu remanié et completé) de mon intervention.

Nicolas Oresme

En apparence Oresme n’a pas grand’chose à nous dire. Il a vécu plus de 70 mutations monétaires, qui ont fait perdre 50% de sa valeur à la monnaie métallique. Ceux qui ont moins de 50 ans, en France, n’ont rien connu de comparable et franchement ça se sent parfois un peu dans leurs commentaires.

Oresme, en bon aristotélicien, réprouve l’intérêt sur l’argent, qui est le dangereux fondement de nos monnaies actuelles, mais il conteste aussi le droit de l’Etat sur la monnaie, droit qui est remis en cause avec le Bitcoin.

La monnaie, nous dit Oresme, n'est pas la propriété du prince. Elle appartient à ceux qui la gagnent, à la collectivité de ses utilisateurs, qui seule peut en définir le statut. Mais ne nous y trompons pas : quand Oresme dit que la monnaie est affaire de marchands il parle de bonne monnaie. Il aurait peut-être approuvé l’indépendance de la BCE, certainement pas le Quantitative Easing car la monnaie ne se peut faire par alkemie.

Pour Oresme, la confiance est confiance dans la valeur autant que dans l’échange. Aujourd’hui on confond les deux choses, assez frauduleusement.

Je dois donc revenir sur la présentation qui est généralement faite de la confiance comme naturellement suscitée et entretenue par une institution tierce et centralisée. Je crois que c’est simplement faux. Les hommes se font d’abord confiance l’un à l’autre, entre frères, amis, voisins. La première forme de monnaie-dette chacun la connait : au café on ne partage pas, on dit « je te revaudrai ça ». Je suis de ceux qui pensent que la monnaie n’a pas d’origine précise et qu’elle est, comme le langage lui-même, (confère l’expression sur parole) un élément constitutif de notre humanité.

Il suffit de rappeler que les mots confiance et confidence ont les mêmes racines latines pour voir que la confiance est chose intime. La confiance (au delà du premier cercle) est historiquement de nature ethnique ou religieuse. Voyez le rôle que les liens familiaux et religieux jouent traditionnellement dans certaines communautés de marchands (lombards, juifs, ismaéliens, gujaratis) et sur certains marchés comme celui du diamant.

Or la puissance publique n’est pas de nature intime, ethnique ou religieuse. L’idée qu’elle soit le fondement de la confiance dans la monnaie est, au mieux, une mythologie destinée à faire de nécessité vertu.

Les pères du papier

L’assignat qui annonce la terreur (laquelle avait manqué au système de Law) n’a aucun fondement républicain. Il tient bien plus du despotisme de Catherine II, qui s’inspirait d’Ivan Possochkov, un économiste du temps de Pierre-le-Grand qui disait crument que la matière dont la pièce est faite importe peu et que la volonté de l’empereur serait d’attribuer la même valeur à un morceau de cuir ou à une feuille de papier, elle suffirait.

La confiance dans cette monnaie d'État est sans cesse invoquée. Mais du fait de son cours forcé elle est parfaitement invérifiable et souvent fort mince. Toute personne qui a fait un an d’études d’histoire sait que le petit épargnant finit toujours grugé. Nos concitoyens ont lu que les banques étaient fragiles, ils soupçonnent que les garanties des dépôts sont illusoires, et ils ont entendu un ministre plutôt pondéré leur dire que la France est en faillite. Les plus informés ont compris ce que chypriation et résolution bancaire veulent dire.

Chez le percepteur, Jan Massys, 1539

Ce qui donne son efficacité, sa valeur, à la monnaie officielle ce n’est pas du tout ma confiance ou celle de l’épicier, comme le dit la bibliothèque rose de l’économie, c’est le percepteur qui exige cette monnaie et l’accepte au nominal. Le fisc (autant et plus que le commerce) est la raison d’être et le vrai fondement de la monnaie régalienne. Contre le moine Oresme, c’est donc Jésus qui a raison quand il parle du « denier de César ».

un percepteur romain

Quand l’évangile écrit Ἀπόδοτε οὖν τὰ Καίσαρος Καίσαρι, comprenons qu’il faut payer ses impôts à l’Etat mais placer sa confiance dans la société.

Cependant, en matière d’agencement de la société face aux Etats, nous sommes moins dans un « moment social » ( dans lequel Oresme nous parlerait de l’autonomisation des échanges par rapport au prince) que dans un « moment mathématique », où l'on découvre comme le fit Galilée en d'autres domaines, qu'il est possible de se passer de quelques mythes.

Galileo Galilei peint par Le TintoretLe moment Galilée apporte sa part de désenchantement pour les nostalgiques, d’exaltation pour les imaginatifs.

Au delà du hype ludique et communautaire, au delà de l'émerveillement technologique, il y a aussi ici un projet politique, difficile à présenter simplement surtout à des non-américains. Le slogan « no borders no banks » manque probablement de tact. Le cœur du projet, c’est je crois la liberté du cyberespace. Liberté au double sens d’absence de contrôle et de répression, mais aussi de fluidité, d’instantanéité, de partage et de confiance.

Désormais, et c’est une déflagration, la confiance est écrite en langage mathématique.


Pour aller plus loin :

  • Sur Oresme : une présentation du Traité des Monnaies (1355)
  • Étant de ceux qui pensent que les premières monnaies furent sans doute les femmes (ce que suggère me semble-t-il David Graeber) je trouve particulièrement succulente cette phrase d'Oresme : Si comme donc la communaulté ne peult octroyer au prince qu’il ait la puissance et auctorité d’abbuser des femmes de ses cytoiens a sa voulunté, et desquelles qu’il luy plaira, pareillement elle ne luy peult donner privilleige de faire à sa voulunté des monnoies.
  • Télécharger une traduction du Traité des monnaies en pages 47 à 92 de l'ouvrage réalisé par une équipe conduite par Jean-Michel Servet et mis en ligne par l'Institut de Coppet.
  • La citation complète de Possochkov : Ce qui fait la valeur d'une pièce de monnaie, ce n'est pas l'or, l'argent, le cuivre, la matière plus ou moins précieuse qui a été employée pour la confectionner; non, rien de tout cela ne fait que cette pièce de monnaie soit reçue en échange d'un boisseau de blé ou d'une pièce de drap. Ce qui fait cela, c'est l'image de l'empereur frappée sur le métal, c'est la volonté de l'emperuer exprimée par cette image, d'attribuer à ce morceau de métal une efficacité telle qu'on l'accepte sans hésiter en retour des choses ayant une valeur réelle, servant aux usages réels de la vie. Et dès lors, la matière dont cette pièce est faite importe peu. La volonté de l'empereur serait d'attribuer la même valeur à un morceau de cuir , à une feuille de papier, elle suffirait, et il en serait ainsi.

136 - Les trois générations

March 8th 2023 at 10:00

Au moment où des hauts-fonctionnaires enfants et petits enfants spirituels de Gérard Théry (1933- 2021) veulent enterrer Bitcoin (au besoin après l'avoir étouffé eux-mêmes) pour se donner la satisfaction de conforter leur conception obsolète du monde mais aussi pour le profit des banquiers et la vanité de politiciens sans vision, il m'a paru important de donner sur mon blog la traduction d' un article qui permet de replacer les bourrasques dans la perspective d'un voyage au long cours.

Cet article a été publié par Aleksandar Svetski, fondateur du Bitcoin Times, auteur de The UnCommunist Manifesto et de la série virale (et controversée) Remnant, par ailleurs responsable de la croissance et de la stratégie chez Lucent Labs.

Sa  théorie des trois générations  ne pouvait que tirer l'oeil d'un historien... et je remercie mon ami et co-auteur Adli Takkal Bataille, président de notre  Cercle du Coin  de m'en avoir signalé l'importance.

L'illustration est issue de la publication originale que l'on trouve sur le site de Bitcoin Magazine et sur celui de Zerohedge

Voici la traduction de l'article. Mes commentaires sont placés en dessous, comme il sied à des commentaires.

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Les bitcoiners sont connus pour leur capacité à surestimer la vitesse avec laquelle Bitcoin va  envahir le monde  et devenir  une monnaie largement acceptée .

J'ai longtemps appartenu à ce camp, mais j'en suis venu à penser différemment ces derniers temps. Avant de m'accuser d'avoir déserté ou de me traiter de fainéant, je vous demande de lire la suite et de réserver votre opinion jusqu'à la fin. J'aime à penser que je mûris dans ma façon de considérer Bitcoin. Voyez-y de la tempérance, de la patience ou une dose d'humilité, mais j'essaie d'ajouter un peu de réalisme, ou une  préférence pour le temps long  à la perception souvent surexcitée de Bitcoin parmi certains d'entre nous.

Mais, comme vous le remarquerez, je pense qu'à long terme, aucun d'entre nous n'est  assez haussier  (chapeau bas devant CK).

Allons-y...

BITCOIN EST UNE TRANSFORMATION TECHNIQUE, SOCIALE ET ÉCONOMIQUE

Bien des gens sont très prompts à projeter les courbes d'adoption de technologies antérieures sur les perspectives de Bitcoin. Mais le problème est que Bitcoin n'est pas une simple technologie.

Il ne s'agit pas seulement d'un smartphone, d'un ordinateur, d'un réseau social, d'une nouvelle action ou d'un nouveau titre, d'une nouvelle méthode de paiement, d'un moteur de recherche, d'une plateforme de messagerie ou de tout autre nouveau produit, application ou service.

Bitcoin est une transformation complète, technique, sociale et économique. Il s'agit d'une réinvention de l'argent depuis ses fondements mêmes, incompatible avec toute primitive antérieure.

Il s'agit donc non seulement d'un changement d'une ampleur considérable, mais aussi d'un changement complètement différent sur le plan paradigmatique. Il y a à cela des avantages comme des obstacles, tous considérables.

Des avantages parce que :

  1. Bitcoin a le plus grand potentiel de croissance que l'on puisse imaginer. Si son offre est fixe et que le marché auquel il s'adresse est celui d'une monnaie mondiale - ce qui implique qu'il sera la mesure par rapport à laquelle chaque action, propriété, entreprise, véhicule, sac à main ou quoi que ce soit existant sur terre sera évalué - il s'ensuit que le bitcoin sera, à terme,  l'unité de valeur  la plus liquide et la plus précieuse de la planète.
  2. S'il est incompatible avec l'ordre ancien, il offre véritablement un changement de paradigme. Et s'il est supérieur (ce qui a été prouvé dans toutes les dimensions importantes en ce qui concerne sa fonction de monnaie), alors il ne se contentera pas de  concurrencer  l'ancienne garde, mais il la remplacera complètement. Il ne s'agit pas du  découpage d'un nouveau marché , mais d'une transformation de type  gagnant-gagnant  et, fondamentalement, d'une transformation de type  changement de la nature du jeu . C'est beaucoup plus important.

Des obstacles parce que :

  1. Une telle transformation n'est pas une mince affaire. Devenir une monnaie mondiale ne sera pas une promenade de santé ; ce ne sera pas facile, il y aura beaucoup, beaucoup de vents contraires et des cadavres jalonneront le parcours. Le changement est difficile, même dans les meilleurs moments et avec les contreparties les plus volontaires. Nous n'avons ni les uns ni les autres de notre côté.
  2. La nature des changements de paradigme est telle que la plupart des gens ne les voient pas et même lorsqu'ils les voient ils les comprennent rarement. Il faut donc un certain temps pour atteindre une masse critique (quelle que soit la signification de cette mesure) et beaucoup plus de temps pour parvenir à ce que l'on appelle  l'adoption de masse . De plus, les gens n'aiment pas avoir tort, en particulier les gens qui sont en place, de sorte qu'outre le facteur temps, il faut compter avec les réactions négatives et les moqueries de tout le monde.

Il s'agit là d'obstacles réels qu'il est nécessaire de reconnaître. Vous ne pouvez pas simplement fermer les yeux et les oreilles, tweeter que  Bitcoin règle le problème  et prétendre que tout va bien se passer parce que  Number go Up . Non.

Nous devons comprendre que nous jouons  le plus grand jeu , comme dirait Jeff Booth, c'est à dire que nous jouons avec les plus grands enjeux, pour les plus grands gains, contre les plus grands ennemis - à la fois externes et internes. Nous nous battons à la fois contre l'establishment et contre les cultures dans lesquelles nous avons été élevés.

Il y a plus de changements à opérer qu'aucun d'entre nous ne peut l'imaginer.

Je ne dis pas cela pour vous décourager de Bitcoin ou pour vous donner l'impression que  bon sang - je vais mourir avant de voir le bon côté des choses , mais pour : a) vous suggérer que c'est probablement plus important que vous ne le pensiez, et b) pour vous inciter à un peu de réalisme afin que vous puissiez vous préparer mentalement et cesser de jouer à des jeux à court terme. Vous devez vous préparer.

Le bitcoin est un marathon, pas un sprint.

LA THÉORIE DES TROIS GÉNÉRATIONS

Les changements socio-économiques à grande échelle prennent des générations pour s'installer et se normaliser. La vieille garde doit mourir, pour ainsi dire, afin que ceux qui sont nés dans le nouveau paradigme puissent prendre les commandes.

Or chaque génération représente un changement de paradigme en soi, et chaque changement successif apportera avec lui une compréhension et une relation totalement nouvelles avec Bitcoin.

Explorons tout cela...

PREMIÈRE GÉNÉRATION : LA PHASE D'INFECTION

Nous sommes dans la première génération de Bitcoin. Appelons cela le premier chapitre, ou la première  ère . Cette ère ou cette génération s'étendra sur 20 ans et constituera la  phase d'infection  de Bitcoin.

Je l'appelle ainsi parce qu'à ce stade, Bitcoin infecte le système. Il s'agit d'une sorte de virus qui s'accroche à des hôtes qui agissent alors de manière à ce qu'il se propage davantage. Son but est d'infecter les infrastructures clés, les esprits clés, les leviers clés et les systèmes clés du paradigme actuel. Il doit d'abord s'infiltrer le plus discrètement possible, puis former une sorte de symbiose avec l'hôte au fur et à mesure qu'il se développe, de sorte qu'il en résulte des avantages mutuels pour l'ensemble toujours plus grand d'hôtes et aussi pour le virus Bitcoin.

Nous avons vu cela se produire.

À ce stade, Bitcoin devait prouver que quelqu'un l'échangerait contre de l'argent (ou contre une pizza). Il devait présenter une  preuve de concept  commerciale significative, ce qu'il a fait avec la Silk Road. Il a dû franchir une première étape de monétisation (Mt. Gox) et inspirer toute une industrie d'imitateurs parce que ce qu'il faisait était tellement transformateur - ce que nous avons vu avec les shitcoins.

Cette évolution s'accompagne d'un grand nombre de spéculations, jusqu'à ce que nous atteignions finalement une part suffisamment importante de la capitalisation totale du marché ou de la liquidité pour que puisse s'effectuer une transition vers le nouveau paradigme.

Nous sommes en plein milieu de la mini-ère de spéculation de cette première génération, ou de la phase d'infection des débuts de Bitcoin.

Alors que certains d'entre nous, les radicaux, considèrent et utilisent le bitcoin comme de l'argent et comme notre unité de compte, le reste du monde le considère généralement comme un actif spéculatif, ou quelque chose avec laquelle on  trade  pour obtenir encore davantage de dollars. Ce n'est pas pour rien que Bitcoin est corrélé aux marchés, et même s'il y a des signes de découplage, il est encore tôt et les gens continueront à court terme à le considérer comme un actif  à risque .

Certains qualifient cette situation de  mauvaise  et affirment qu'elle trahit la promesse initiale de Bitcoin, mais je pense qu'ils passent à côté de l'essentiel. L'argent fait tourner le monde, et jamais plus que dans le monde moderne et matériel dans lequel nous vivons.

Par conséquent, pour avoir le plus grand impact et assurer la symbiose la plus efficace, Bitcoin doit être un animal économique et financier. Pour réparer la débauche financière, Bitcoin doit englober la débauche et ensuite, lentement, comme un virus (même si dans le cas de Bitcoin, il s'agit plutôt d'un anti-virus), infecter les hôtes et commencer à les changer.

L'allongement de la préférence temporelle et derrière, l'adaptation et la maturation du comportement des gens sont un exemple fréquent de cet effet. Pour en savoir plus, consultez l'article de Saifedean Ammous dans l'édition autrichienne du Bitcoin Times :  Making Time Preference Low Again .

Voilà, c'est ça : nous sommes dans la première génération, sur une période de 20 ans. Nous en sommes à 15 ans et nous sommes sur la bonne voie. Il nous reste encore cinq ans avant d'entrer dans la prochaine génération, et au cours de ces cinq années, nous assisterons à deux nouveaux halvings, à une énorme activité de spéculation et à une véritable accélération vers l'état de liquidité ou de saturation de la capitalisation du marché que j'ai mentionné plus tôt.

Dans le même temps, en coulisses, des choses se seront construites pour préparer le terrain à la prochaine génération. Ce qui nous amène bien sûr à cette...

DEUXIÈME GÉNÉRATION : L'ÉTAPE DE L'INFRASTRUCTURE

Imaginez que vous êtes né en 2009, la même année que Bitcoin.

Vous grandissez et devenez adulte dans un monde où Bitcoin a toujours existé. Pour vous, en tant qu'enfant, il va de soi que l'argent est une chose numérique, et l'idée compliquée d'ouvrir un compte en banque ou de se promener avec des billets imprimés et des cartes en plastique vous est étrangère ou vous semble étrange.

En 2029, vous allez avoir 20 ans et peut-être que la spéculation ne vous a pas encore vraiment effleuré l'esprit. Peut-être voyez-vous plutôt un problème à résoudre et considérez-vous simplement Bitcoin comme un outil pour vous aider à le résoudre.

Gardez à l'esprit qu'à ce stade, le prix du bitcoin serait nettement plus élevé et sa volatilité plus faible. Des éléments comme le Lightning Network seront plus avancés, ainsi que d'autres protocoles en surcouche ancrés sur Bitcoin. En tant que tel, vous considérez toute cette infrastructure émergente comme une boîte à outils et non comme un actif spéculatif. En fait, vous pouvez considérer d'autres choses de la même manière et choisir de jouer avec elles, mais parce que a) le bitcoin a mûri et que la volatilité s'est un peu atténuée, et b) de nombreux services proposent désormais le bitcoin comme option de financement, vous décidez que c'est la norme par rapport à laquelle vous mesurerez vos gains. Ce n'est plus l'actif spéculatif qui prime.

Il est même possible que vos parents aient été des bitcoiners de la première génération et qu'ils vous aient enseigné les principes ou transmis Bitcoin et que vous ayez grandi immergé dedans. Ainsi, non seulement Bitcoin est quelque chose qui a toujours existé  pour vous mais c'est aussi quelque chose que vous comprenez profondément.

Il ne s'agit pas non plus d'idées farfelues, compte tenu de l'époque dans laquelle vous avez grandi. Imaginez comment vous et ceux de votre génération verront Bitcoin et comment vous l'utiliserez. Complètement différemment, oui.

C'est pourquoi je considère la prochaine étape comme celle de l'outillage ou de l'infrastructure. À cette époque, le bitcoin quittera enfin les spéculateurs pour entrer dans le cœur, l'esprit et les mains des bâtisseurs.

Les jeunes de 20 ans qui lèveront des capitaux et créeront des entreprises à cette époque utiliseront Bitcoin, Lightning et d'autres couches comme des outils qui leur donneront un tel avantage dans le monde que nous verrons toute une gamme de produits et de services qui intègreront l'argent dans leurs opérations, de la même manière que la communication a été intégrée dans tout ce que nous utilisons aujourd'hui.

Les incitations évolueront de telle sorte que le fait d'avoir Bitcoin et ses surcouches dans votre boîte à outils vous donnera des super-pouvoirs.

Mais... gardez à l'esprit que pendant une grande partie de cette ère, la génération précédente tiendra encore les cordons de la bourse. Il y aura toujours un élément culturel et normatif qui considérera Bitcoin comme étranger ou spéculatif et qui, malgré  tout ce qui se passe , se battra encore pour s'accrocher au passé.

Cette époque sera celle du choc entre les nouveaux bâtisseurs et les bitcoiners de la première génération, d'un côté, et l'élite résiduelle de l'ancien monde qui possède encore une grande partie de la richesse fiduciaire (actions, obligations, propriétés, entreprises, shitcoins, etc.) Les bitcoiners de la première et de la deuxième génération, en particulier au début de cette ère, seront encore en infériorité numérique. Mais bien sûr, aucun grand homme n'a jamais renoncé à se battre, quelles que soient les circonstances.

Si l'on prolonge cette période de 20 ans, jusqu'en 2049, je ne pense pas qu'aucun d'entre nous puisse imaginer le type d'infrastructure, de produits et de services qui en résulteront, ni l'ampleur du changement qui s'ensuivra. Ce qui m'amène bien sûr à la...

TROISIÈME GÉNÉRATION : LE STADE DE L'ADOPTION MASSIVE

C'est la génération de l'adoption massive. C'est là que les enfants de nos enfants atteindront l'âge adulte. Ils n'auront vraiment pas connu un monde dans lequel Bitcoin n'existait pas et pourraient même entrer dans l'âge adulte sans savoir ce qu'était la monnaie fiduciaire.

À la fin de cette ère, les derniers vestiges de notre génération commenceront à s'éteindre et le ruban adhésif qui maintenait l'ancienne infrastructure en place cédera. La cité de la monnaie fiduciaire sera abandonnée. Nous entrerons dans la phase d'adoption par le grand public.

Vous vous dites peut-être :  Mais non ! Ça se passera bien plus vite parce que... regardez toutes les technologies qui seront construites d'ici là .

À quoi je vous répondrais :  Bien sûr, beaucoup de technologies seront construites à ce moment-là, mais je suis presque certain qu'un nombre important de personnes hésiteront encore à vendre leur maison, leur voiture, leurs produits ou leurs services pour de l'argent magique sur Internet .

Ce nombre aura considérablement diminué, mais si vous pensez que les gouvernements, les grandes entreprises et les personnes qui ont réussi dans la vie grâce à un seul mode de fonctionnement vont tout miser et faire confiance à une monnaie vieille de 40 ans plutôt qu'à des choses comme la forme de propriété qui existe depuis des milliers d'années, alors vous vous faites des illusions.

Bitcoin est la voie à suivre, mais la richesse doit d'abord changer de mains et cela prendra du temps. C'est pourquoi je pense que c'est à la troisième génération qu'adviendra la phase d'adoption massive. Elle arrivera à l'âge adulte dans un monde où nous disposerons d'une technologie financière supérieure et d'une infrastructure économique qui permettra aux gens d'utiliser Bitcoin comme capital. Il s'agit de la forme de capital la plus liquide, la plus largement accessible, la plus significative et la plus fiable qui soit.

Si l'on se place en 2069, le monde sera complètement différent. C'est à ce moment-là que Bitcoin arrivera vraiment à maturité. C'est le moment où la monnaie fiat sera supprimée, mourra ou deviendra une relique du passé, tandis que Bitcoin deviendra à la fois une infrastructure de règlement mondiale et la monnaie mondiale.

C'est le moment où Bitcoin ou un protocole en surcouche ancré dans Bitcoin fera partie intégrante de presque toutes les applications technologiques utilisées par des personnes du monde entier.

À ce stade, Bitcoin ne sera plus le virus ; il se sera uni à un nouvel hôte et même l'aura créé.

Je ne sais pas ce qui se passera ensuite. Mais il est passionnant d'y penser. Nous serons alors dans un tout nouveau paradigme.

POUR LES ENFANTS DE NOS ENFANTS

Vous remarquerez que mes certitudes sur ce qui se passera à chaque étape diminuent au fur et à mesure que l'on s'éloigne dans le temps. Je suis assez sûr de ce que nous réservent les cinq prochaines années, et j'ai un certain niveau de confiance pour au moins la première moitié de la deuxième ère, mais au-delà, je ne peux que supposer et donner les grandes lignes de ce qui est probable.

C'est parce que je suis un humain et que les humains sous-estiment toujours les effets composés, alors que Bitcoin est sujet à plus d'effets composés que pratiquement tout ce que nous connaissons (au moins en tant qu'actif, si ce n'est même pour d'autres choses). À chaque jour qui passe, à chaque nouveau satoshi détenu par chaque nouvel utilisateur, à chaque nouveau mineur qui se branche, à chaque nouveau commerçant qui accepte Bitcoin, à chaque nouveau nœud qui fonctionne et à chaque nouveau canal Lightning qui s'ouvre, Bitcoin se compose et se développe.

Aucun d'entre nous n'est prêt à affronter ce que cela signifie pour trois générations entières et, malheureusement, beaucoup d'entre nous ne vivront pas assez longtemps pour le voir. Mais c'est le sort qui nous est échu !

Notre génération a reçu le cadeau de pouvoir compter parmi les pères fondateurs d'un monde nouveau, mais aussi la malédiction d'endurer un monde de clowns pour prix de ce privilège. Bien que nous ne puissions pas vraiment profiter des fruits de ce travail, nous aurons été la génération qui restera dans les livres d'histoire comme celle qui a tout changé.

Je ne sais pas ce qu'il en est pour vous, mais c'est un marché qui vaut la peine d'être conclu.

Les bitcoiners de la première génération sont comme ceux qui ont posé les fondations et les premières pierres des cathédrales de l'Antiquité et de l'époque féodale. Ils ne vivront jamais assez longtemps pour voir ces structures achevées, mais ils resteront à jamais dans les mémoires en tant que fondateurs.

Et qui sait ? Peut-être regarderons-nous depuis l'autre monde et admirerons-nous ce que nous avons fait, comme ces grands qui nous ont précédés l'ont fait pour leurs créations.

Je n'en sais rien.

Ce qui compte, et je vous laisse sur ce point, c'est de reconnaître que Bitcoin est un phénomène pluri-générationnel. Ce n'est pas Google, Apple, Facebook, Twitter, un smartphone, PayPal, Visa, une action ou une simple marchandise. Il est bien plus important que tous ces éléments réunis et, en raison de son importance fondamentale, il faudra du temps pour que les gens l'adoptent.

Il faudra quelques générations pour que cela se normalise. Il faudra que nous mourions pour qu'il atteigne son potentiel - non pas que nous devions être fusillés, mais notre génération doit céder la place à la suivante et à la suivante pour que le nouveau paradigme s'installe vraiment. Une fois que nous aurons disparu, Bitcoin s'épanouira vraiment.

J'espère que vous garderez cela à l'esprit lorsque vous penserez à Bitcoin.

Nous devons faire attention à ne pas projeter sur lui des courbes d'adoption de la technologie et, en cas de déception, tenter de le bricoler. Ce qui n'est pas cassé n'a pas toujours besoin d'être réparé ou mis à jour et, en fait, la principale caractéristique de Bitcoin est peut-être le fait qu'il ne changera pas, ou très peu, sur les échelles de temps que j'ai évoquées dans cet essai.

Si les règles de consensus de Bitcoin sont restées inchangées et qu'il reste tick-tock, next block'd pendant trois, quatre, cinq décennies, alors les gens auront naturellement développé ce qui compte le plus pour une nouvelle norme et un nouveau paradigme socio-économiques : la confiance.

Et même si les bitcoiners détestent ce mot, la confiance est importante - la vérité est que l'on fait le plus confiance à ce que l'on peut vérifier. C'est pourquoi Bitcoin sera en fin de compte la couche monétaire, économique et de communication la plus fiable de la planète, après quelques générations.

118 - Bitcoin mis en bière

January 4th 2022 at 19:53

(pour Sofiane)

Commençons par un aveu de faiblesse : cet article serait difficile à traduire.

Il y avait jadis, m'a-t-on dit, dans mon village de Picardie un menuisier qui faisait aussi  café  et ne se refusait pas le plaisir d'accueillir à l'occasion le client par une plaisanterie très fine :  vous venez pour une bière ? .

Bref, je ne vais pas parler de Bitcoin mis pour une 440ème fois (à ce jour)  en bière  (du vieux bas-francique bëra pour civière) mais d'une certaine chope de bière (du moyen-néerlandais bier) qui me semble avoir largement échappé à la fureur du mème qui règne dans notre sonnante et trinquante communauté.

Ce 3 janvier, donc, un banquier d'affaires crypto de longue date (il se reconnaitra) poste, comme quelques centaines d'autres j'imagine, l'iconique page du Times de Londres. Quelle élégance, ce Satoshi, on dirait un personnage de Jules Verne. On sent le boomer et ça me ravit à chaque fois.

Comme chacun sait, Satoshi, dans son premier bloc de validation, le 3 janvier 2009, a en effet rajouté ces quelques mots :  Chancellor on brink of second bailout for banks . Et là, le fin banquier d'ajouter :  Certains diront que c'est un message subliminal pour réfléchir sur notre économie monétaire, d'autres qu'il s'agissait simplement d'une preuve de date... le mystère subsiste .

Au moment précis où j'ai lu le mot subliminal mes yeux se sont ouverts et, pour la première fois je le confesse (mais j'ai eu beau interroger autour de moi, je ne semble pas plus borgne qu'un autre) j'ai VU :

pinte.jpg, janv. 2022

Bon dieu... mais c'est bien sûr !  me dis-je comme le célèbre commissaire : le vrai message subliminal, c'est la pinte. Ce message s'adressait clairement à plusieurs personnes qui ne le savaient pas ce jour-là, il y a 13 ans, mais qui allaient devenir, d'un bout du monde à l'autre, les piliers d'innombrables social-meetups.

Mais ce qui est vraiment magnifique c'est ce que dit le minuscule chapeau : que le prix de l'indispensable pinte allait baisser !!!

Or au cours de ces réunions savantes et conviviales, de pinte en pinte, on allait assister à une baisse vertigineuse du prix de la bière... exprimé dans la monnaie de Satoshi.

Mes amitiés aux buveurs de bière francophones qui se reconnaîtront eux-aussi aisément et aux bars qui ont eu l'intelligence de vendre la bière en bitcoin !

107 - Ne plus descendre dans l'Arène ?

March 2nd 2021 at 19:00


On a beau faire, on a beau dire, on est toujours surpris par la fabrique de l'opinion.

Dans un pays où la culture mathématique est tellement faible que la seule chose que l'on remarque quand le chef du gouvernement se trompe (ou nous trompe) avec un graphique dont l'axe des abscisses est décalé de 6 jours et celui des ordonnées (*) de 30%, c'est l'inversion du drapeau français sur une slide de son pénible show... il y a peu à espérer des « débats » sur un sujet techniquement complexe, philosophiquement innovant et politiquement radical comme Bitcoin.

La hausse du bitcoin, la bulle du bitcoin, la folie du bitcoin ont ressurgi ces dernières semaines, avec peu de « variants » par rapport à la précédente édition en fin 2017.

En gros, ça donne quelque chose comme ça :


Parce que fondamentalement un « débat » n'est qu'un spectacle qui, ne coûtant rien à produire, occupe l'écran entre deux publicités. Ce n'est pas un exposé, ni une conférence, ni un MOOC. Un universitaire sérieux ne devrait point s'y produire ni un esprit distingué s'y exhiber.

D'autre part la place des monnaies numériques dans le paysage médiatique n'étant pas encore celle du menu sans porc, qui transforme n'importe quelle assemblée de lymphatiques en horde de furieux, ni celle des mérites comparés de l'hydroxychloroquine, de l'ivermectine ou des anticorps monoclonaux pour lesquels il existe déjà des milliers d'experts ennuyeux (à mourir) le spectacle est un peu court.

La « production » charge deux ou trois jeunes filles de trouver des intervenants : elles en trouvent quelques-uns, grâce à Google, auxquels elles signifient qu'ils ont à passer le soir même au studio, et à Paris naturellement. Cela restreint fatalement l'échantillon, mais qu'importe.

La jeune personne m'appelle, m'avoue avec un gloussement irrésistible qu'elle n'y connait rien, me demande le nom d'autres experts qui justement seraient taillables et corvéables à l'instant puisque moi j'entends rester tranquille au vert. Le temps que je les lui fournisse (pas mauvais bougre, dans le fond) une de ses collègues en a trouvé deux ou trois autres, dont un qui a déjà fait le tour de dix autres plateaux pour expliquer que ce n'est pas une monnaie, ce n'est pas une monnaie, ce n'est pas une monnaie.

Arrive le soir ou le lendemain, j'ai le résultat à l'écran. Jamais de quoi regretter d'être dans les gradins plutôt que sur le sable. En 2017, j'avais écrit sur LinkedIn un article que j'avais intitulé La «folie» Bitcoin dans les médias français. Je l'ai re-publié récemment, sans changer trois mots. Je continue de penser qu'il n'est pas très nécessaire de se justifier.

Depuis 2017, certes, les questions se sont faites un peu moins brutales, et on nous épargne le topo sur « la blockchain ». Des gens comme Yves Calvi ou Philippe Soumier proposent même (enfin...) un format convenable.

Il y a eu évidemment un « basculement psychologique » (le terme est d'Olivier Babeau) chez les interviewers comme chez certains interviewés.

Chez les premiers, on sent la fatigue (même M. Lenglet met de l'eau dans son vin) voire parfois, quand même, comme un zest de rancune : pourquoi diable ces bitcoineurs ont-ils cru utile de multiplier les précautions en 2017, au lieu de nous dire franchement que ça vaudrait le prix d'une voiture trois ans plus tard ?

Chez certains des héros de la cryptomonnaie, et c'est le plus rigolo pour les initiés, il y a eu aussi depuis 2014 ou 2017 un effet « chemin de Damas ». Plus personne n'ose dire que la monnaie n'est qu'un cas d'usage sans grand intérêt de la technologie blockchain.

Mais entre le temps perdu à expliquer ce que signifie la décentralisation, éluder les questions sur le cours, réfuter l'ineptie sur l'impossibilité d'acheter ses croissants à Paris en bitcoin, recadrer les chiffres sur les usages criminels et renvoyer les balles sur la consommation énergétique, que peut bien dire d'utile, d'instructif, d'éclairant ou de motivant l'expert venu pour expliquer et qui sert de Rétiaire dans cette petite arène ?

Parce que, de son côté, le Mirmillon de l'establishment connaît son métier.

Que ce soit un ponte comme Minc, pratiquement à côté de ses mocassins, ou des économistes déjà vus plus de mille fois comme Jean-Marc Daniel, Philippe Bechade, Philippe Murer, on n'a jamais rien de nouveau.

Ils sont là pour taper, ils tapent. Ils n'ont pas bougé d'un pouce, pas modifié leurs incantations d'un iota.

Ces joutes risibles m'ont donné quelques occasions d'allonger encore un peu la liste des lauréats du Prix Tulipe. Mince bénéfice !


La conclusion : moins il y a de gens importants sur le plateau, mieux c'est. Cela diminue l'exposition des no-coiners et de leurs naïvetés de béotiens. Autant conseiller à Papi et Mamie, dans leur cuisine, de regarder Bapt&Gael, ils perdront moins leur temps !

Et, dût l'orgueil hexagonal en souffrir, des émissions suisses comme le Forum de la RTS peuvent aussi s'avérer plus utiles, un peu comme la presse belge pour rectifier les erreurs de M. Castex, sans vouloir en faire une affaire personnelle....

Pour le grand public, enfin, et pour en rester aux rigolos, j'ai trouvé que le petit sketch d'Alexis Le Rossignol valait bien des explications fumeuses d'émissions qui prétendaient nous informer. A ma connaissance, il n'a pourtant même pas eu droit, comme Nabilla en janvier 2018, à un petit gazouillis de l'AMF (**). A croire qu'en distanciel les gardiens du Temple ne surveillent même plus ce qui se trame dans le vaste monde !



NOTES
(*) Ils sont tellement linéaires (pour ne pas dire plats) qu'ils n'ont pas même songé à inscrire les contaminations sur une échelle logarithmique : ce ne serait pas faux, ce serait même assez justifiable, et le gogo en retirerait une rassurante impression de promenade de santé, pardon pour le jeu de maux.
(**) Parmi les nombreuses choses que je ne regrette pas d'avoir écrites, mon billet Genre Vénus, sur l'affaire Nabilla. Le site Bitcoin.fr a marqué le troisième anniversaire de ce petit événement en posant la question : et si Nabilla avait raison ?

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