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100- Le sang

September 15th 2020 at 21:38

Voici un billet dont le sujet m'avait Ă©tĂ© suggĂ©rĂ© d'abord par une simple homophonie, ensuite par une rĂ©elle intuition. Il m'a conduit Ă  quelques recherches fĂ©condes. Le sang, liquide infiniment prĂ©cieux, que l'on versa bien avant de verser des sommes d'argent, le sang qui eut un prix des siĂšcles avant l'invention de la monnaie, que pouvait-il nous dire de la valeur que doit avoir une monnaie, surtout en ayant Bitcoin en tĂȘte ?

Est-ce que, pour suivre un simple jeu de mot initial, je ne m'aventurais pas dans une quĂȘte peut-ĂȘtre sacrĂ©e mais oĂč le sol allait se dĂ©rober sous mes pas ?

bitcoin graal.jpg, sept. 2020S'il me fallut plus de six mois pour Ă©crire ce billet n°100, c'est que je consacrais d'abord le temps de confinement Ă  me faire un sang d'encre, j'entends Ă  soigner mes angoisses par l'Ă©criture sur d'autres sujets. Ensuite, durant l'Ă©tĂ©, il me fallut rechercher dans tous les endroits oĂč je stocke du livre l'utile ouvrage de Jean-Paul Roux, Le Sang, trop superficiellement feuilletĂ© Ă  sa sortie en 1988 et depuis lors peut-ĂȘtre sottement prĂȘtĂ© Ă  quelque ami indĂ©licat (devenu de ce fait frĂšre de sang) et enfin Ă  le racheter et Ă  le relire. VoilĂ , pour le making of.

« Tu ne tueras pas »

Ce commandement est au fondement de notre civilisation, tout autant que son contournement dans les faits, mais aussi dans le droit, oĂč s'Ă©labore presque toujours une thĂ©orie distinguant ce qui est lĂ©gitime, ce qui est seulement excusable, et ce qui est interdit, voire punissable de mort, et ceci dans des conditions particuliĂšres pour Ă©chapper Ă  la vendetta. Bref l'effusion du sang, encadrĂ©e rituellement, l'est aussi politiquement.

Une violence légale, que l'on présente abusivement comme une « violence légitime », s'instaure au profit des seigneurs, puis du roi seul, et enfin du monstre froid.

symboles régaliens.jpg, aoĂ»t 2020

Le rapprochement entre le droit de battre monnaie et le droit de rĂ©pandre le sang (que ce soit Ă  cheval Ă  la guerre ou sur le trĂŽne du justicier, soit dans les deux postures que l'on retrouve sur les piĂšces mĂ©diĂ©vales) trouve son symĂ©trique dans la presque coĂŻncidence du moment oĂč nous, Français, trouvons le secret du premier « argent miracle » et de celui oĂč nous tranchons la tĂȘte du Roi des Français.

la tete du roi.jpg, août 2020

Le temps oĂč l'on chante les vertus du « sang impur » voit un effondrement de la valeur de la monnaie comme aucune catastrophe d'ancien rĂ©gime n'en avait suscitĂ©.

révolutions.jpg, aoĂ»t 2020La gĂȘnante ressemblance de la planche Ă  billet et de la « Veuve » illustre cette idĂ©e de façon troublante.

DĂ©sormais le « premier fonctionnaire de la Nation » pourra ĂȘtre plus ou moins clairement Ă©lu ou bien s'imposer par la violence et la ruse, mais plus n'est besoin que coule dans ses veines la moindre goutte de sang de saint Louis.

Certains présidents se sont donnés le frisson en allant, plus ou moins seuls ou nuitamment, visiter la basilique Saint-Denis : rien n'y fait, n'étant pas de la famille, ils n'y sont jamais que des touristes et cela n'abuse que les journalistes. En outre les tombeaux sont vides, la république, dans sa prime jeunesse, ayant poussé la désacralisation jusqu'au sacrilÚge, ce qu'elle n'aime pas voir rappeler, d'ailleurs.

Le choix du chef (caput, le mot qui donne « capital ») ne dĂ©pendant plus, dĂšs lors, que de la loi, fĂ»t-elle celle du plus fort, n'y a-t-il pas quelque risque de voir la mĂȘme loi rĂ©gir la monnaie ? NapolĂ©on, qui entendait bien crĂ©er une dynastie nouvelle et « succĂ©der Ă  Charlemagne » plutĂŽt qu'Ă  Robespierre ou Barras, voulut restaurer la valeur de la monnaie (5 grammes d'argent Ă  neuf dixiĂšme). MalgrĂ© la force de sa volontĂ© et la clairvoyance de ses intuitions, la rĂ©fĂ©rence au mĂ©tal prĂ©cieux ne devait pas rĂ©sister Ă  la modernitĂ© davantage que celle au « sang de France ». DĂ©sormais es papel.

La premiĂšre monnaie?

J'aime bien rappeler, en conférence ou en situation d'enseignement - et surtout avec les plus jeunes, les plus politiquement corrects - que « la premiÚre monnaie, ce sont les femmes ». Frissons ou froncements de sourcils garantis. J'embraye sur le regretté Graeber, et ce qu'il en dit dans Dette, pour faire passer... Mais , né à Rome, je pense naturellement aux vaillantes Sabines, dont l'enlÚvement finit d'ailleurs par créer des relations fructueuses. Tous les hommes sont beaux-frÚres ! De ce viol (à nos yeux) et de ce vol d'un sang étranger, n'est-il pas né le moins raciste de tous les Empires?

Enlèvement des Sabines par Poussin.jpg, sept. 2020

Le sang des femmes a, je crois, offert Ă  toutes les cultures connues de quoi forger mythes et reprĂ©sentations. Je n'Ă©voquerai ici que celui de la dĂ©floration, telle que se la reprĂ©sentaient nos ancĂȘtres. « Cette blessure que l'on inflige Ă  celle qui va devenir la mĂšre de ses enfants n'est pas sans Ă©veiller un trouble » Ă©crit JP. Roux. Il n'y a pas de vie, de perpĂ©tuation de la lignĂ©e et de la structure sociale sans ce premier saignement, traditionnellement interprĂ©tĂ© comme offrande, consĂ©cration et prĂ©mices.

Nous ne comprenons plus aujourd'hui les anciennes obsessions tournant autour de l'innocence ou de la sagesse des filles avant le mariage que comme un dispositif de contrĂŽle social et patriarcal, ce qui est tellement Ă©vident que peut-ĂȘtre faut-il aller voir un tout petit peu plus loin.

don du sang.jpg, sept. 2020Nous avons, sans doute, perdu ou totalement changé le sens du sang. La religion contemporaine nous impose plutÎt de le donner de façon anonyme, en le versant au pot commun sanitaire géré par les autorités, ce qui a un petit parfum de contributions volontaires comme on disait en 1789 pour désigner l'impÎt.

Signer avec son sang ?

Jadis, donner son sang (comme le faisaient la femme à son mari, le vassal à son suzerain, le croisé à son Dieu) avait tellement de sens que signer avec son sang devint un fantasme mythologique obligé, dÚs qu'apparurent au moyen-ùge les récits de diableries, avec leur commerce satanique. La goutte de sang est l'un des moments forts de la légende de Faust, en quoi Hegel voyait « le mythe philosophique par excellent » : le pacte signé de sang coulant de la main gauche y figure dÚs la premiÚre version littéraire.

VoilĂ , dira le moderne, une intĂ©ressante signature biomĂ©trique. Le cĂ©lĂšbre clown qui prĂ©tend ĂȘtre Satoshi et ne peut signer un satoshi suggĂšre que l'identitĂ© que confĂšre une clĂ© bitcoin ne s'usurpe pas davantage que le sang. VoilĂ , pensait en son temps l'ancien, un paiement en monnaie rĂ©elle : le sang c'est l'Ăąme. Une goutte suffit. La signature est irrĂ©versible, la transaction opĂ©rĂ©e ex opere operato.


Payer avec son sang?

Infiniment prĂ©cieux, le sang ne saurait, sans scandale, profanation ou prostitution, payer les dĂ©penses courantes. L'effusion de sang semble au contraire indispensable pour laver le sang versĂ©, mais aussi pour laver l'honneur bafouĂ©. « Presque tout, d'aprĂšs la Loi, est purifiĂ© avec le sang ; et sans effusion de sang, il n'y a pas de pardon » dit saint Paul (ÉpĂźtre aux HĂ©breux). Plus prosaĂŻquement, NapolĂ©on dira un peu la mĂȘme chose un jour qu'un soldat sortit du rang pour rĂ©clamer une croix de la LĂ©gion d'Honneur qu'on lui refusait malgrĂ© moult exploits. Son Colonel, interrogĂ©, reconnaissait les faits d'armes du brave, mais en ajoutant que c'Ă©tait « un ivrogne, un voleur, un...». Sans vouloir en connaĂźtre davantage, l'Empereur accorda la faveur en rĂ©pondant «Bah, le sang lave tout cela...». Le crĂ©ateur de la Banque de France et de la LĂ©gion d'Honneur Ă©tait attachĂ©e Ă  la valeur des choses, plus que des gens, sans doute.

le cid.jpg, sept. 2020En Europe, cette vieille idĂ©e a servi Ă  justifier une pratique nĂ©e du tournoi mĂ©diĂ©val, et transformĂ©e au 16Ăšme siĂšcle pour servir tant Ă  la vengeance du sang qu'Ă  la punition des offenses : « Ce n'est que dans le sang qu'on lave un tel outrage » comme le dit Don DiĂšgue dans Le Cid. C'est que l'honneur est une chose qui semble presque disparue, sauf peut-ĂȘtre dans « le milieu », chez ceux qui ont notamment le front de vouloir se faire justice eux-mĂȘmes.

duel henry picquart.jpg, sept. 2020

Comme l'honneur a été remplacé par le sentiment, les duels ont cédé la place aux centaines de procÚs intentés aujourd'hui par tous ceux qui s'estiment « choqués » par telle ou telle allusion (maligne ou innocente) à leur personne, à leurs origines, à leur orientation sexuelle etc. Ces procÚs apparaissent comme des avatars cheap des duels : on ne s'en tirait pas jadis à si bon compte, avec de la monnaie d'honneur constituée de parlottes judiciaires et de condamnations à l'euro symbolique.

suicide denfert rochereau.jpg, sept. 2020« Faut qu'ça saigne » comme disait Boris Vian : la corde c'est pour les dĂ©pressifs (ceux qui pensent ne pas avoir de valeur intrinsĂšque ?) alors que naguĂšre un homme d'honneur qui faisait faillite, loin de monter une nouvelle entreprise avec de nouveaux partners, se rĂ©volvĂ©risait proprement sur le sofa ou tapis dĂ©jĂ  rouge du grand salon. Dans l'affaire Madoff, un banquier français s'est significativement ouvert les veines. Le boursicoteur qui saute par la fenĂȘtre s'inscrit dans cette tradition, puisqu'il finit lui aussi dans une mare de sang, aprĂšs avoir rĂ©pĂ©tĂ© mĂ©taphoriquement la chute dramatique des valeurs spĂ©culatives qui l'a conduit Ă  cette issue fatale.

Une séance de krach boursier est d'ailleurs rituellement décrite comme un « bain de sang ». On voit bien, parmi les bitcoineurs, que ceux qui ont déjà vécu deux ou trois de ces épisodes constituent une noblesse de sang et se gaussent des effrois des nouveaux venus. Les grands seigneurs du trading ne sont-ils pas, d'ailleurs, un peu vampires, vivant la nuit, se reconnaissant entre eux, déplaçant instantanément et sans bruit sinon leurs corps du moins leurs actifs ?

Le Graal

Difficile de ne pas aborder, pour finir, le sang sous son aspect sacramentel : le vin que la transsubstantiation opérée pour le sacrifice de la messe change en sang du Christ. On est ici hors de tout commerce possible : une goute du sang précieux pour racheter les péchés de toute l'humanité.

La disproportion de la chose, et pour ĂȘtre franc son caractĂšre par trop abstrait, ont pour ainsi dire dĂ©portĂ© l'imagination des profanes du contenu au contenant. L'histoire du Graal est en elle-mĂȘme fascinante : ce possible avatar du chaudron magique qui nourrissait les hĂ©ros celtes ou ressuscitait les guerriers morts au combat est progressivement enchĂąssĂ© dans le rĂ©cit chrĂ©tien Ă  partir d'un auteur nommĂ©... ChrĂ©tien de Troyes. Qu'il ait contenu le vin de la CĂšne ou le sang de la Passion, il est dĂ©sormais vide, et ce qui narrĂ©, de poĂšme en poĂšme, outre l'Ă©numĂ©ration des prodiges qui l'entourent, c'est la quĂȘte des chevaliers partis Ă  sa recherche.

le calice de Dona Urraca.jpg, sept. 2020Bitcoin a parfois Ă©tĂ© comparĂ© Ă  un Graal, un peu parce que l'expression a percolĂ© dans le langage, cette sainte relique y rejoignant la pierre philosophale dans l'attirail des rĂȘves d'antan. On notera qu'il existe sans doute encore plus de forks que de calices rĂ©putĂ©s ĂȘtre le saint Graal par environ 200 cathĂ©drales, abbayes ou musĂ©es. Chacun le sien. Vieille histoire. Les revendications ne se sont pas arrĂȘtĂ©es: en 2011 la basilique de San Isidoro de Leon clamait, sur la foi de deux parchemins Ă©gyptiens Ă©tudiĂ©s durant trois ans par des chercheurs, qu'un vase dĂ©tenu depuis 1050 et connu jusqu'Ă  prĂ©sent comme le « calice de l'infante Doña Urraca » (au moins Ă©chappe-t-on au faux pour musĂ©e amĂ©ricain) Ă©tait le prĂ©cieux et vĂ©ritable Graal.

Si Bitcoin tient effectivement du Graal c'est plutĂŽt, selon moi par la multiplicitĂ© des prodiges. Loin de n'ĂȘtre qu'une relique, le Graal possĂšde, parmi ses innombrables pouvoirs, celui de nourrir, soit le don de vie, celui d'Ă©clairer en procurant des illuminations spirituelles, et celui de rendre invincible. Bitcoin, dont les incroyants disent qu'il n'est pas une vraie monnaie est dĂ©crit par ses Ă©vangĂ©listes comme not just a money, comme une mĂ©ta-monnaie offrant sinon des pouvoirs du moins des clĂ©s vers les pouvoirs qu'entend monopoliser le Pouvoir.

Bitcoin serait-il le sang du numérique ?

101 - Les Gafa et le pouvoir du Pouvoir

September 19th 2020 at 20:23

toledano gafa odile jacob.jpg, sept. 2020JoĂ«lle Toledano est une figure respectĂ©e du monde officiel. Elle est considĂ©rĂ©e comme une spĂ©cialiste de la rĂ©glementation des marchĂ©s, a siĂ©gĂ© plusieurs annĂ©es Ă  l’ARCEP, a enseignĂ© la gouvernance de la rĂ©gulation Ă  Dauphine.

C’est en mĂȘme temps une personne curieuse de la nouveautĂ©, active au board de plusieurs jeunes entreprises du monde numĂ©rique, qui a dirigĂ© en 2018 la mission de rĂ©flexion confiĂ©e Ă  France StratĂ©gie sur les enjeux des blockchains et qui a participĂ© aux Ă©changes cordiaux de plusieurs « Repas du Coin », sans forcĂ©ment partager toutes les convictions des bitcoineurs militants.

Son ouvrage est donc trĂšs bien informĂ©, Ă©quilibrĂ© et lucide, y compris quant aux limites des solutions possibles si l’on souhaite, comme elle-mĂȘme, astreindre des entreprises hors-normes aux normes rĂ©glementaires de l’État de droit et de la concurrence non faussĂ©e.

DĂšs les premiĂšres pages l’auteur ne nie pas une ancienne et profonde incomprĂ©hension de la part des dĂ©cideurs, une forme de gaucherie face Ă  des entreprises sophistiquĂ©es, agiles et opaques. On a envie d'abonder et de rappeler que, bien avant le rĂšgne de Google & Co, le cĂ©lĂšbre « J6M », pur produit de notre establishment, moitiĂ© haut-fonctionnaire moitiĂ© banquier d'affaires, Ă©talait dĂ©jĂ  en exhibant chĂ©quier et chaussettes percĂ©s, son arrogante inadaptation au monde qui Ă©mergeait.

AprĂšs une rituelle Ă©vocation de l’utopie perdue de l’Internet libertaire des origines, passage obligĂ© de toute littĂ©rature sur le cyberespace, l’auteur cite Wikipedia et les logiciels libres (mais omet Bitcoin) comme de rares exceptions au triomphe du Web commercial, univers impitoyable dont elle critique les limites de la prĂ©tendue autorĂ©gulation, sans ajouter que les mĂȘmes arguments pourraient servir contre l’autorĂ©gulation des banques ou de tous les industriels mis en cause dans telle ou telle dĂ©rive, et qui jurent toujours qu’ils vont produire eux-mĂȘmes les bonnes pratiques nĂ©cessaires.

IntĂ©ressante, la description des nouveaux empires commerciaux n’élude pas l’exceptionnelle qualitĂ© (au-delĂ  de la quantitĂ©) des services qu’ils rendent mais en dĂ©montent les malices. On ne peut s’empĂȘcher, parfois, de se demander pourquoi on reprocherait aux nouveaux venus ce qu’on a tolĂ©rĂ© durant des dĂ©cennies Ă  la grande distribution, ou en quoi la dĂ©pendance des mĂ©dias Ă  Google devrait nous chagriner plus que celle qui lie la presse classique Ă  une poignĂ©e de milliardaires dont les relations Ă  l’Etat Ă©chappent largement au contrĂŽle dĂ©mocratique.

JoĂ«lle Toledano reconnaĂźt avec Ă©lĂ©gance que la prophĂ©tie de Marc Andreessen s’est accomplie, et qu’en moins de 10 ans le software a effectivement « mangĂ© le monde ». Ironiquement, j’ajouterais bien qu’il est le seul a l'avoir trouvĂ© digeste, ce monde qui entre temps a mangĂ© le pangolin. Elle-mĂȘme note que ledit monde, en s’abreuvant au Coca-Cola tĂ©lĂ©visuel gratuit, s’était quelque peu prĂ©parĂ© Ă  son funeste sort.

Plus sĂ©rieusement il faudrait ajouter que le nouveau monde a largement Ă©tĂ© financĂ© par l’ancien. Bitcoin (celui-dont-on-tait-le-nom) reprĂ©sente une trĂšs notable exception, puisqu’il a crĂ©Ă© (par une sorte de fiat) sa propre valeur. Qu’Amazon poursuive sa croissance au dĂ©triment de ses profits courants n'est pas le fait d'un manque de tact ; la chose devrait ĂȘtre mieux replacĂ©e, dans une analyse globale, en perspective des mutations du capitalisme financier lui-mĂȘme.

Enfin j’aurais suggĂ©rĂ© ici qu’il fallait toute la sottise (ou la corruption?) des « serviteurs de l’État » et fonctionnaires nĂ©olibĂ©raux pour avoir dĂ©construit des monopoles assez naturels comme ceux des postes, des chemins de fer, etc. - la monnaie faisant ici derechef notable exception - au moment oĂč les seigneurs du numĂ©rique en reconstruisaient d’autres qui, Ă  leur façon, sont devenus sinon naturels du moins logiques.

Qui pourrait vraiment se passer de Google ?

la question .jpg, sept. 2020Le veut-on ? L'utilisateur lambda est bien plus souvent acharnĂ© Ă  enlever Bing, Search et autres concurrents qui s'installent malhonnĂȘtement et se cramponnent comme des tiques, sans que leurs procĂ©dĂ©s ne suscitent d'ailleurs d'imprĂ©cations officielles. Le voudrait-on qu'il resterait Ă  savoir si on le peut sans sinistre. Le risque ne serait-il pas que Google se passe de nous, caviarde la carte de France, brouille nos pistes ? On a vu face Ă  Amazon l'effet de nos vellĂ©itĂ©s, et avec StopCovid l'impossibilitĂ© de contourner totalement les Gafa. Tout juste tente-t-on d'avoir une roue de secours pour un possible dĂ©lestage du GPS...

J’aime bien la description des Gafa en termes d’empires, mĂȘme si Ă  ce niveau, celui du 4Ăšme chapitre, on se demande un peu comment nos petits royaumes entendent s’y prendre, si l’adversaire porte dĂ©jĂ  la pourpre. En gros, pour l’instant, ils nient, Ă©ludent ou finassent. Le livre donne Ă  cet Ă©gard quelques tirades savoureuses d’apologie de notre droit de la concurrence malgrĂ© son patent Ă©chec en l’espĂšce.

L’auteur ne cĂšle pas non plus que la grande force de ces empires tient (notamment pour Amazon) Ă  la satisfaction du client. Une chose que les royaumes ne savent ni ne veulent mesurer. Si l’on compte, par exemple, les « sorties de tunnel » on s’aperçoit que le site qui sait le mieux conserver ses visiteurs est celui des impĂŽts. Les clients sont-ils ravis pour autant ? Les administrations rĂ©galiennes n’ont nul souci des administrĂ©s, nulle considĂ©ration pour eux (ni souvent pour leurs propres agents). Chacun a pu mesurer, durant le confinement, hier avec la comĂ©die des masques aujourd'hui avec celle des tests, Ă  quel niveau d'efficacitĂ© on en Ă©tait arrivĂ© aprĂšs des dĂ©cennies Ă  entendre les politiques pĂ©rorer sur le « recentrage de l’État sur ses fonctions rĂ©galiennes ». Chacun a pu mesurer, symĂ©triquement, que les rĂ©seaux et leurs messageries maintenaient les liens scolaires et qu’Amazon s’inscrivait dans le tout petit nombre des acteurs efficaces.

Le vent a-t-il commencĂ© de tourner contre l’impunitĂ© dont ont joui de fait les Gafa ?

C’est ce qu’affirme JoĂ«lle Toledano, pointant quelques condamnations pĂ©cuniaires pour entrave au droit de la concurrence et pas mal de tirades des politiques contre la diffusion de contenus haineux. On peut cependant penser que les Gafa se moquent des amendes et que les surfeurs se moquent des contenus qui dĂ©plaisent tant aux Ă©lites, lesquelles ne sont pas, aux yeux de la masse, exemptes de tout soupçon en matiĂšre de diffusion de bobards ou de manipulations patentes de la vĂ©ritĂ©. Et pas seulement Ă  Washington ou Ă  Minsk.

Que le code privĂ© et opaque devienne la loi est un fait, surtout si l’on pense aux algorithmes. LĂ  encore, cependant, la grande distribution a toujours su organiser le parcours des clients, la disposition des gondoles et mĂȘme la musique d’ambiance au mieux de ses seuls intĂ©rĂȘts
 et les « conseils » donnĂ©s par les banquiers en matiĂšre de placement ne reflĂštent que la stratĂ©gie commerciale de cet oligopole.

Je trouve peu honnĂȘte le reproche formulĂ© en terme de productivitĂ© au niveau macro-Ă©conomique. Le « paradoxe » d’une faible contribution des ordinateurs Ă  la productivitĂ© a Ă©tĂ© Ă©noncĂ© par Robert Solow une grosse dĂ©cennie avant la naissance de Google, 7 ans avant celle d’Amazon. Il y a quand mĂȘme un bon bail qu’on ne peut plus dire que la productivitĂ© se diffuse progressivement « dans l’ensemble du tissu industriel » si tant est que ledit tissu n’ait pas, certes par endroit mais depuis bien longtemps, pris l’aspect d’une guenille. En faire un Ă©lĂ©ment de remise en cause du « cƓur de la lĂ©gitimitĂ© des Gafa » me paraĂźt donc Ă  la limite de la dĂ©fausse quand pourraient ĂȘtre examinĂ©es d’autres responsabilitĂ©s, ressortant pour le coup du monde officiel, dont celle du fardeau des normes sur la Cerfa-Nation, de la prĂ©dation du secteur financier ou de coĂ»t totalement improductif de la surveillance (AML, KYC et autres jeux stĂ©riles). Il m'est arrivĂ© de penser qu'avec ses bullshit jobs, Graeber avait apportĂ© une des rĂ©ponses possibles au paradoxe de Solow : les ordinateurs servent Ă  numĂ©riser tous les 2 ans ma carte plastifiĂ©e renouvelĂ©e tous les 10 ans (au mieux).

Ainsi donc, les pouvoirs publics seraient enfin murs pour passer Ă  l'offensive? On veut bien le croire mĂȘme si on ne peut s’empĂȘcher de sourire en lisant que face Ă  « un diagnostic commun, des prĂ©conisations partiellement diffĂ©rentes » sont Ă©mises par les divers auteurs de rapports des diffĂ©rentes autoritĂ©s nationales.

Le regulatory shopping tient sans doute autant au vice des Gafa qu’à nos propres tares congĂ©nitales, notamment en Europe : les bricolages de Renault aux Pays-Bas malgrĂ© la prĂ©sence de l’Etat français Ă  son capital sont antĂ©rieurs aux naissances d’Amazon ou de Facebook et ils n’avaient pas mĂȘme la fiscalitĂ© pour seule boussole. Le choix d'installer la gestion de nombreux fonds d'investissement des banques françaises Ă  Luxembourg, voire Jersey, tient aussi au caractĂšre de havres rĂ©gulatoires autant que fiscaux de ces paradis. Les effectifs des rĂ©gulateurs financiers de Saint-Helier, comme ceux en charge de l’application du RGPD Ă  Dublin ne doivent pas obĂ©rer la « productivitĂ© » de ces vertueux pays !

Que certains Gafa, Facebook en tĂȘte, soient aujourd’hui, comme l’affirme l’auteur, demandeurs de rĂ©gulation est bien possible. Pour restaurer leur capital de confiance, ils ont surtout intĂ©rĂȘt Ă  partager certaines responsabilitĂ©s. Il y a lĂ -dedans une bonne part de chiquĂ©. La chasse aux fake news est un Ă©pisode risiblement « sur-jouĂ© » par les Ă©lites politiques. Lors de l’élection française de 2002, l’emballement hystĂ©rique autour d’un fait divers n’ayant ensuite abouti Ă  aucune condamnation, ne saurait ĂȘtre imputĂ© aux dĂ©mons des Gafa. Quant aux « propos manifestement haineux » ciblĂ©s par la proposition de loi de Madame Avia, cette notion floue n’a Ă©videmment pas sautĂ© la barre au Conseil Constitutionnel. Tout ceci ne servira in fine qu’à augmenter l’emprise des rĂ©seaux, seuls Ă  mĂȘme (par leur technologie comme par leurs effectifs) de faire le mĂ©nage des plus grosses saletĂ©s. Que M. Trump ait Ă©tĂ© l’un des premiers Ă  en ressentir l’effet devrait donner Ă  penser. Les rĂ©seaux imposeront leurs valeurs avant celles qu’on dĂ©crit comme « les nĂŽtres » mĂȘme quand de large part de notre population ne les partage pas.

Il est par ailleurs dangereux de spĂ©culer sur la baisse de la confiance dont jouissent les Gafa, si celle dont pourraient se targuer les Etats est moindre, voire nulle, ce que l’auteur ne concĂšde, significativement, qu’à l'ultime page de son livre. L'invocation incantatoire du caractĂšre de « notre État de droit » est un Ă©lĂ©ment de langage relativement nouveau qui vise sans doute Ă  imposer le silence sur ce point, en en faisant une donnĂ©e de nature plus qu’une variable passible d’érosion.

Le bictoineur attend Ă©videmment le chapitre financier

Son attente n’est pas déçue : JoĂ«lle Toledano dĂ©nonce d’abord la cĂ©citĂ© du monde officiel, tombant de sa chaise face Ă  Libra, malgrĂ© des mises en garde de Madame Lagarde dĂšs septembre 2017. Avec une pointe de vanitĂ©, puis-je rappeler que j’en avais parlĂ©, moi, dĂšs mai 2016 ? Je suggĂ©rais, je me cite, de « tracer la perspective de ce qui pourrait ĂȘtre un rĂ©el use-case de la blockchain pour les banques centrales, quand elles en auront fini avec le stade du proof of concept : une blockchain banque centrale dont l'unitĂ© de compte serait une dĂ©clinaison digitale de sa propre monnaie (une e-fiat) ».

L’auteur embraye sur la double rĂ©action officielle (passĂ©e l’agitation sous le choc quand on a dĂ©couvert que l’élĂ©phant Ă©tait dans le bac Ă  sable) : se prĂ©parer Ă  adapter leur rĂ©glementation pour accueillir l’intrus, accompagner des rĂ©ponses industrielles aux projets des Big Tech. AprĂšs un coup de patte que nous ne dĂ©savouerons pas Ă  la « faible efficacitĂ© du systĂšme financier existant », elle expose le risque qu’une monnaie numĂ©rique de banque centrale ferait courir aux banques puis rĂ©vĂšle la solution dialectique : n’émettre que la monnaie utile Ă  la banque commerciale, pas celle qui serait utile Ă  ses clients. Il faut donc rappeler ici, ce qui a Ă©tĂ© dit plus haut par l’auteur elle-mĂȘme : la force des Gafa tient sur la satisfaction de leurs clients, bien plus que sur la contrainte. La force du systĂšme rĂ©gulĂ© est manifestement d’une toute autre nature. JoĂ«lle Toledano ne le cache pas ; elle semble mĂȘme douter de l’issue du projet.

Elle ne croit guĂšre au dĂ©mantĂšlement par les amĂ©ricains, « sauf peut-ĂȘtre pour Facebook » , ce qui selon elle, met la responsabilitĂ© de la lutte entre les mains des europĂ©ens. L’eurosceptique risque ici de dĂ©crocher.

Elle ne croit guĂšre, non plus, que l’attaque par le droit de la concurrence suffise, car l’attaque de l'empire est plus vaste, plus ambitieuse Ă  chaque Ă©tape, alors qu'aucune rĂ©sistance n'est exercĂ©e par la nature du terrain. Que Google soit en train de cartographier la terre est une chose, qu’elle vise Ă  prendre le contrĂŽle des Google cities pourrait certes priver les Ă©diles du contrĂŽle de la politique de leur propre ville » 
 si seulement ils en avaient une. On sait bien que la dĂ©sertification des centre-villes est antĂ©rieure Ă  Google, que la clochardisation de certains quartiers et la gentrification d’autres, ne sont pas dues Ă  Amazon ! La lecture de ce livre rappelle souvent, ce qui n’est malheureusement pas Ă©crit, que la nature a horreur du vide. Et que le vide politique, malgrĂ© un incessant bavardage, est sidĂ©rant.

JoĂ«lle Toledano propose donc de rĂ©guler plutĂŽt les entreprises de l’écosystĂšme, au niveau europĂ©en (Ă  suivre
) en renforçant nos capacitĂ©s d’analyse (si on peut aligner les salaires sur ceux qu’offrent les Gafa
) et en Ă©valuant les Ă©volutions du modĂšle Ă©conomique dans sa globalitĂ©. RĂ©guler les Ă©cosystĂšmes, pour les ouvrir Ă  la concurrence, imposer des codes de conduite empĂȘchant les abus de position dominante, taxer (dans quel pays ?) les investissements ne rĂ©pondant pas au « critĂšre de l’investisseur avisĂ© en Ă©conomie de marchĂ© » tout cela risque de s’enliser, dans le temps juridique (alors que l’envahisseur est agile) et dans l’espace bourbeux de l’Union EuropĂ©enne.

Enfin « introduire la concurrence » risque de nous emmener dans des aventures Ă  la Qwant, qu’il est inutile de dĂ©tailler tant elles se ressemblent toutes. Lutter contre la personnalisation des prix fera un bon sujet de conversation dans le train, oĂč personne ne paye jamais le mĂȘme prix. Mais au total presque toutes les mesures proposĂ©es par JoĂ«lle Toledano sont pertinentes
 sur le papier. Reste Ă  savoir de combien de courage politique et de quelle force de travail compĂ©tente et motivĂ©e, ce que l’auteur dĂ©signe comme « les moyens intellectuels et politiques » disposeront les vieux et impĂ©cunieux royaumes.

Reste aussi Ă  mesurer le soutien de l’opinion dont ils disposeront face au « pouvoir d’influence et pouvoir de sĂ©duction » de l’Empire.

Et c’est là sans doute que je peux commencer l’inventaire de ce qui me paraüt manquer à l’analyse, d’autant que la conclusion y invite trùs clairement.

Rien n’indique que les États jouiraient du moindre support concret de l’opinion face Ă  leurs adversaires. C’est parfois difficile Ă  articuler devant l’autoritĂ© qui parle de « nos institutions » ou de « notre Etat de droit ». L’argument rhĂ©torique opposant « notre Constitution » Ă  laquelle nous serions profondĂ©ment attachĂ©s aux conditions d'utilisation des Gafa, que nous approuvons effectivement d’un clic ignare, indiffĂ©rent et pressĂ© n’a pour moi que peu d'impact. Il y a, vis Ă  vis des Gafa, une sorte de servitude volontaire. Ce que j’entends par lĂ  est chose fort connue et depuis fort longtemps. Le problĂšme c’est que face aux États, la servitude n’est plus vraiment ressentie comme volontaire. Demandons aux gilets jaunes, demandons Ă  ceux qui sont verbalisĂ©s Ă  hauteur de 10% d’un mois de SMIC pour de simples balivernes. Ce qui, il y a prĂšs de deux ans, a Ă©tĂ© ressenti par des politiciens, des juristes et des journalistes bien en cour comme une profanation d’un symbole rĂ©publicain n’a soulevĂ© sans doute que peu d’émotion hors de leur cercle.

Faut-il s’en Ă©tonner ? L'opinion est saoulĂ©e d'injonctions contradictoires et absurdes. La gestion de la pandĂ©mie a Ă©tĂ© sinon une « étrange dĂ©faite » du moins un fiasco exemplaire, et ce sont pas des anarchistes ou des amish qui le disent, mais le trĂšs convenable Institut Montaigne. Et - soyons clairs - ceci n'est pas (seulement) un mal français. En Belgique ou en Suisse, on voit les mĂȘmes rĂ©sistances aux applications de traçage Coronalert ou SwissCovid, et l'une des premiĂšres raisons tient Ă  ce que ces solutions viennent du gouvernement.

DerriĂšre l’extĂ©nuation, de l’adhĂ©sion, du consentement, du respect, il y a l’ombre portĂ©e de tant d’échecs. Le philosophe italien Raffaele Alberto Ventura, dans un article intitulĂ© La chute de l’ordre dominant, soutenait en 218 que les diffĂ©rentes colĂšres populaires du moment manifestaient une forme de « rĂ©action aux rendements dĂ©croissants du paradigme en place ». Autrement dit le coĂ»t croissant des Ă©lites et le bĂ©nĂ©fice marginal dĂ©croissant que les gouvernĂ©s en retirent conduisent Ă  l’érosion du consentement.

Le clivage entre « nous » et « eux » est Ă  la fois excessif et imprĂ©cis. Il y a de la porositĂ©, ou de la corruption. J’ai lu ce livre le jour mĂȘme oĂč j’apprenais le recrutement d’un ancien patron de la NSA, apĂŽtre de la surveillance Ă©lectronique de masse, par le conseil d’administration d’Amazon. La plupart du temps, les puissants s’entendent fort bien entre eux et leurs « conflits » sont plutĂŽt des rĂ©glages hiĂ©rarchiques internes que des dĂ©bats de sociĂ©tĂ©, quelque soit la rhĂ©torique dĂ©ployĂ©e. Les honnĂȘtes gens le savent.

philo mag confiance.jpg, sept. 2020Le « nous » caché dans le titre du livre désigne-t-il le bon peuple naïf, les citoyens frustrés, les politiques désarmés ? Il pourrait ne désigner que les consommateurs abusés et les PME rackettées, si l'auteur n'expliquait pas, justement, les limites de l'approche par le droit de la concurrence.

On n'avancera pas sans un peu de philosophie débarrassée des convenances politiques. Plusieurs articles dans le dernier numéro de Philosophie Magazine évoquent la crise actuelle de la confiance. Celui du rédacteur-en-chef, Martin Legros fait - au rebours des discours officiels - l'apologie de la défiance. J'ai bien aimé sa référence à La société de défiance, publié en 2007 par Yann Algan et Pierre Cahuc (aux éditions de la rue d'Ulm) et cette citation prophétique :

« Le dĂ©ficit de confiance mutuelle nourrit la nĂ©cessitĂ© de l'intervention de l'État. Mais en rĂ©glementant et en lĂ©gifĂ©rant de façon hiĂ©rarchique, l'État opacifie les relations entre les citoyens. En court-circuitant la sociĂ©tĂ© civile, il entrave le dialogue social et dĂ©truit la confiance mutuelle. »

La confiance algorithmique est une réponse possible à cette situation aporétique.

Il manque donc, Ă  mes yeux, une perspective sur ce qui pourrait ĂȘtre reconstruit sur des architectures dĂ©centralisĂ©es. De mĂȘme, il me semble qu’il manque une vue sur le sujet de l’identitĂ© en ligne, d'autant que c'est un sujet typiquement rĂ©galien. S’identifier en ligne grĂące aux Gafa est plus aisĂ©, et on le fait vingt fois par divertissement. S’identifier avec les procĂ©dures Ă©tatiques (ou bancaires) est long, pĂ©nible, parfois kafkaĂŻen, et cela ne vous dote que d’une identitĂ© locale, hexagonale.

De telles vues auraient offert matiÚre à élargissement de la perspective, sinon pour l'extension du domaine de la régulation, du moins pour les possibilités de brÚche dans le dispositif de l'Empire. C'est ce qu'on avait lu chez Laurent Gayard, par exemple, mais aussi... dans les angles du rapport Toledano, que j'ai déjà commenté sur ce blog.

102 - L'incroyable prix de la Monnaie des Assassins

November 5th 2020 at 17:05

Un prix incroyable !

Et non, ce titre racoleur ne va pas me conduire, en ce 5 novembre, Ă  ne parler que de Bitcoin !

Je veux parler d'une piĂšce d'or vieille de plus de 2000 ans et dont le prix a atteint 2.700.000 ÂŁ pour 8 grammes d'or. Une piĂšce d'or assez Ă©tonnante, tant par son extrĂȘme raretĂ© que par son motif : la cĂ©lĂ©bration de l'un des plus cĂ©lĂšbres assassinats politiques de tous les temps.

Il s'agit du lot 463 de la vente menée le 29 octobre dernier par la maison ROMA NUMISMATICS, 20 Fitzroy Square, Londres (métro Warren Street). CÎté face le visage de l'assassin Brutus, cÎté pile son poignard et celui de son complice Cassius entourant le bonnet phrygien, antique symbole républicain, au-dessus de la légende EID MAR (Eidibus Martiis : AUX IDES DE MARS).

L'attention des non-numismates avait été attirée sur ce magnifique objet par le blog de Pierre Jovanovic avec une présentation spectaculaire, mais un peu expéditive.

« C'est totalement fascinant qu'une telle piÚce existe, qu'elle soit parvenue jusqu'à nous et qu'il existe dans le monde des passionnés capables d'y mettre des millions » s'extasiait P. Jovanovic. Sur le fait que des piÚces antiques parviennent jusqu'à nous, on a envie de dire que ce n'est pas la seule ! Le catalogue de la vente est bluffant, et il y a des centaines de ventes numismatiques chaque année dans le monde.

Les reliques du passĂ© sont non seulement en elles-mĂȘmes prĂ©cieuses, mais les rĂ©flexions qu'elles inspirent sont Ă©clairantes et peuvent susciter la mĂ©ditations des bitcoineurs : la valeur des piĂšces de monnaies antiques, comme des statues, des peintures et des autres oeuvres d'art est liĂ©e de façon inextricable Ă  leur valeur intrinsĂšque (souvent faible), Ă  leur raretĂ©, Ă  leur histoire et Ă  la longue « tradition » qui est la leur.

Ceux qui iront lire en dĂ©tail la rubrique 463 du catalogue de vente en ligne verront que cet exemplaire (qui n'est pas unique) a une histoire assez bien documentĂ©e depuis pas loin de 2 siĂšcles ; et surtout que l'examen minutieux de l'Ă©tat de la piĂšce permet de la situer dans une sĂ©rie qui est elle-mĂȘme ici plus que restreinte : on pense qu'il reste peut-ĂȘtre une centaine en argent (des denarii ou deniers) et sans doute pas plus de 3 exemplaires en or (des aurei). Il va sans dire qu'aprĂšs des siĂšcles de passion numismatique et d'ardeur archĂ©ologique, la dĂ©couverte de nouveaux exemplaires dans un tel Ă©tat de conservation reste assez faible pour conforter la raretĂ© de la chose !

Ce qui va fasciner, cependant, c'est l'idée d'une émission commémorative de l'assassinat de l'homme qui voulut, le premier à Rome depuis des siÚcles, se faire roi.

La monnaie, prérogative régalienne nous dit-on, pourrait célébrer ce genre d'acte séditieux ?

CĂ©sar est dictateur dans des formes ou plutĂŽt dans des apparences de formes lĂ©gales subsistant aprĂšs plusieurs guerres civiles. Ce n'est pas nous, grĂȘlĂ©s d'Ă©tats d'urgence et de lois d'exception pour bien moins que cela qui allons chipoter les entorses romaines. Ce qui semble Ă©tabli, en revanche, c'est qu'il jouit, lui, d'un solide appui des classes populaires. Et que les conjurĂ©s, de leur cĂŽtĂ©, sont des sĂ©nateurs, des privilĂ©giĂ©s. Ce qui n'interdit pas de leur supposer des intentions diverses, voire le goĂ»t de la libertĂ© antique.

Ceci posĂ©, la raretĂ© mĂȘme de la piĂšce amĂšne sans doute Ă  ne pas « trop » solliciter sa signification : Rome n'a pas cĂ©lĂ©brĂ© les assassins de CĂ©sar et cette piĂšce n'a pas Ă©tĂ© frappĂ©e dans les ateliers monĂ©taires du Capitole, dans le temple de Junon Moneta car lors de sa frappe (en -43 ou -42) la Ville Ă©ternelle est au pouvoir des hĂ©ritiers de CĂ©sar. Brutus et ses partisans ont pu se servir d'un atelier monĂ©taire militaire « de campagne », comme cela existait assez couramment, ou bien transporter avec eux les « coins » et faire main-basse sur un trĂ©sor de temple dans l'une des villes de GrĂšce ou d'Asie oĂč ils regroupĂšrent un temps leurs partisans.

Les vrais paradoxes de cette monnaie sont assez différents d'une simple apologie du tyrannicide.

Longtemps trĂšs strictement encadrĂ©es, les reprĂ©sentations figurĂ©es sur les piĂšces romaines s'Ă©taient considĂ©rablement enrichies dans les derniĂšres dĂ©cennies de la RĂ©publique, multipliant les allusions, ycompris pour cĂ©lĂ©brer tel haut fait ou telle famille. Mais un tabou demeurait : celui du portrait d'une personnalitĂ© vivante. Pour des raisons religieuses (dans l'antiquitĂ© la monnaie est « garantie » symboliquement par les divinitĂ©s de la citĂ©) mais aussi, Ă©videmment, politiques, car l'effigie d'un vivant ne pouvait ĂȘtre que celle d'un despote, comme cela Ă©tait patent en Orient, et contrevenait donc Ă  la vieille Ă©thique rĂ©publicaine.

Le tabou fut brisé par... le divin Jules, descendant direct de Vénus, comme chacun sait et que cette éthique-là n'étouffait pas trop. Il fut figuré couronné comme un roi et voilé, non par humilité mais à l'image de la déesse Vesta.

Le paradoxe est donc que sur la piĂšce cĂ©lĂ©brant clairement le geste du 15 mars -44 (les ides de mars) le tabou ait Ă©tĂ© pareillement brisĂ© par celui qui avait dĂ©pĂȘchĂ© le tyran ad patres. Tout au plus notera-t-on que ce bon rĂ©publicain est figurĂ© tĂȘte nue alors que celle de CĂ©sar s'ornait d'une couronne.

Les piĂšces en or, on le sait circulaient (beaucoup) moins que celles d'argent, ce qui nous prive d'un facteur assez prĂ©cieux d'Ă©valuation : leur usure. En revanche, les deniers d'argent frappĂ©s avec les mĂȘmes motifs semblent avoir beaucoup circulĂ©. Ce qui implique qu'ils aient inspirĂ© une certaine confiance (bon aloi) et qu'ils aient Ă©tĂ© assez nombreux pour ne pas intriguer. On a dit qu'il en restait peut-ĂȘtre une centaine. Mais un historien qui a Ă©tudiĂ© de prĂšs cette Ă©mission d'argent estime Ă  une trentaine le nombre de paires de « coins », diffĂ©rents. En comptant 15.000 piĂšces pour chaque paire, cela ferait 450.000 deniers, ou 1735 kilogrammes d'argent. Cela fait beaucoup de piĂšces, et, vu l'usure de celles que l'on a retrouvĂ©es, beaucoup de piĂšces qui ont rĂ©ellement circulĂ©. Mais en mĂȘme temps cela n'en fait pas tant que cela : en kilogrammes, c'est le trĂ©sor d'un temple, guĂšre plus.

Sic semper Tyrannis ?

La phrase attribuĂ©e Ă  Brutus, et traduite de maniĂšre elliptique par « mort aux tyrans » court de maniĂšre plus ou moins souterraine dans l'histoire, et pas seulement comme devise de l'État de Virginie. RĂ©gicides, tyrannicides, attentats... certains changĂšrent l'histoire, d'autres confortĂšrent la tyrannie. AprĂšs Brutus, Auguste. Et, comme chez nous, les sĂ©quences du genre Caligula, Claude, NĂ©ron...

Sur les monnaies, les effigies se succĂšdent. Aujourd'hui, certes elles ont disparu. Nul n'a besoin de connaĂźtre le visage de Big Brother ou celui des petits hommes gris.

D'autres alternatives existent. Bitcoin n'a pas pour rien été baptisée par de sulfureux auteurs « la Monnaie acéphale ».






NOTES

103 - Un virus « souverain »

November 9th 2020 at 09:00

A ceux qui, comme moi-mĂȘme, pensent que Bitcoin est fondamentalement une « monnaie souveraine » la lecture du petit livre de Donatella Di Cesare apportera, malgrĂ© tout ce qu'il contient de lueurs de fin du monde de nature Ă  rendre chagrin ses lecteurs, quelques pistes pour stimuler la rĂ©flexion.

Je n'entends pas tordre le propos de cette philosophe italienne qui, en se penchant sur les questions politiques et Ă©thiques Ă  l’ùre de la mondialisation, interroge des phĂ©nomĂšnes actuels comme celui de la terreur, face cachĂ©e de la guerre civile mondiale qu'elle perçoit, ou comme la souverainetĂ©, qu'elle examine Ă  la lumiĂšre de Spinoza. Mais il se trouve que bien des choses qu'elle dit de ce virus qui se rit des frontiĂšres et des vieilles souverainetĂ©s construites Ă  leur abri s'appliquent de façon trop troublante aux grandes cryptomonnaies pour que cela ne puisse pas ĂȘtre relevĂ©.

Donatella di Cesare note d'abord tout ce que le virus a dĂ©jĂ  provoquĂ© : instauration d'une « dĂ©mocratie immunitaire » rĂ©gie par la mesure des distances physiques et par le contrĂŽle Ă©lectronique des corps, d'un gouvernement d'experts hors contrĂŽle, d'Ă©tats d'urgence qui ne sont plus des Ă©tats d’exception. Pour elle, le virus et les choix faits pour le combattre ont mis en Ă©vidence non seulement l'autoritarisme (partout dĂ©noncĂ©, et me semble-t-il, Ă  juste titre) mais surtout ce qu'elle dĂ©crit comme l'intrinsĂšque cruautĂ© du capitalisme.

Contre la doxa qui, comme pour la précédente crise en 2008, assure sans vergogne qu'on ne pouvait rien prévoir, la philosophe assure que ce virus « était dans l'air depuis un moment » et elle en cite des preuves.

Elle rappelle qu'un Ă©vĂ©nement « n'est jamais une absolue singularitĂ©, ne serait-ce que parce qu'il s'inscrit dans la trame de l'histoire ». Cette derniĂšre rĂ©flexion je l'appliquerais volontiers Ă  la publication du 1er novembre 2008, tandis que Donatella di Cesare met les crises financiĂšres et sanitaires dans une mĂȘme perspective, celle d'une aube du troisiĂšme millĂ©naire qui « se caractĂ©rise par une difficultĂ© Ă©norme pour imaginer le futur ».

ça c'est paris.jpg, nov. 2020

Quand mĂȘme, ce n'est pas solliciter le texte que d'y voir des Ă©chos Ă  nos propres prĂ©occupations : « le temps semble dĂ©jĂ  consommĂ© avant mĂȘme qu'il ne soit accordĂ©. Nous sommes sur des escaliers roulants qui montent toujours plus vite ». DerriĂšre la proposition d'une monnaie non fondĂ©e sur de la dette, ne trouvons-nous pas la mise en cause de ce qu'elle critique : une « croissance devenue une excroissance incontrĂŽlable, sans mesure ni fin » et ce qu'elle appelle « l'extension du principe de l'endettement » ?

Si ce virus couronné est « souverain dÚs le nom », les souverainistes, eux, en prennent pour leur grade :

« Rien ne nous a protĂ©gĂ©s, pas mĂȘme les murs patriotiques, ni les frontiĂšres rogues et violentes des souverainistes ». Le virus « dĂ©masque partout les limites d'une gouvernance politique rĂ©duite Ă  l'administration technique ». Ce n'est d'ailleurs pas un hasard, ajoute-t-elle, si les États se dĂ©lĂ©gitiment les uns les autres.


Sommes-nous en guerre?

Beaucoup de gens ont trouvĂ© le terme impropre, destinĂ© Ă  justifier des mesures odieuses dans une rhĂ©torique typiquement française d'exaltation de la puissance armĂ©e. Il est vrai aussi que la prise systĂ©matique des dĂ©cisions en « Conseil de DĂ©fense » offre un havre juridique aux dirigeants demi-courageux. Mais s'il faut le prendre au sĂ©rieux ce terme de guerre, c'est soit que le virus est souverain (la guerre est thĂ©oriquement un privilĂšge de souverain) soit qu'il Ɠuvre comme les terroristes avec lesquels nous sommes aussi « en guerre » et qui, eux, font allĂ©geance Ă  un État souverain fantasmĂ©. Dans les deux cas, qu'il me soit permis de penser que ladite guerre est mal engagĂ©e.

Clemenceau, si facilement invoquĂ© de nos jours, eĂ»t peut-ĂȘtre bougonnĂ© que la guerre au virus est chose trop sĂ©rieuse pour ĂȘtre pilotĂ©e par de supposĂ©s « savants », apparaissant et disparaissant, Ɠuvrant ou tranchant hors tout contrĂŽle dĂ©mocratique, mais pas forcĂ©ment hors des enjeux de carriĂšre et d'intĂ©rĂȘt. Bref ce qu'on a vu Ă©merger depuis des dĂ©cennies en matiĂšre de gestion des monnaies dites « souveraines ». Si au moins, a-t-on envie de persifler, cela s'avĂ©rait efficace !

Pourquoi faut-il indĂ©finiment rĂ©itĂ©rer nos erreurs stratĂ©giques ? Citons ici un autre philosophe, Jean-Loup Bonnamy : « le confinement n’est pas trĂšs efficace pour sauver des vies et dĂ©sengorger le hĂŽpitaux. C’est un remĂšde passĂ©iste et archaĂŻque, une sorte de ligne Maginot. Au dĂ©but du 19Ăšme siĂšcle, le grand Ă©crivain Pouchkine dĂ©crivait dĂ©jĂ  le confinement imposĂ© par les autoritĂ©s russes pour lutter (sans succĂšs) contre l’épidĂ©mie de cholĂ©ra. Je suis assez surpris qu’en 2020, Ă  l’époque d’Internet, dans un pays moderne qui se trouve ĂȘtre la sixiĂšme puissance mondiale, on utilise un remĂšde qui fait davantage penser au dĂ©but du 19Ăšme siĂšcle qu’à l’ùre du big data  ».

Pour moi, l'erreur est moins celle de Maginot avec sa « ligne » que celle de NapolĂ©on avec son  « blocus » : on peut ĂȘtre en guerre.. et se tromper de terrain, surtout si le combat se livre sur un terrain de nature diffĂ©rente.

Qui va la perdre, cette guerre ?

La philosophe ne prĂ©dit pas l'avenir avec certitude : « peut-ĂȘtre le virus souverain finira-t-il par dĂ©stabiliser la souverainetĂ© de l'État ». J'avais Ă©mis cette hypothĂšse, mais seulement Ă  titre d'hypothĂšse, dans un podcast publiĂ© par la Tribune en mai dernier et que l'on peut (rĂ©Ă©couter ici).

La souverainetĂ© europĂ©enne ne devrait, elle non plus, pas sortir magnifiĂ©e de l'Ă©preuve. Le cadre qui nous a Ă©tĂ© donnĂ© depuis des dĂ©cennies comme espace politique et rempart stratĂ©gique s'est rĂ©vĂ©lĂ© inconsistant, inopĂ©rant, inexistant : « une assemblĂ©e de copropriĂ©taires tumultueuse, un amas de nations qui se disputent l'espace Ă  coups de compromis chancelants pour dĂ©fendre leurs propres intĂ©rĂȘts. Aucun sens du commun, aucune pensĂ©e de la communautĂ© » dit Donatella Di Cesare. Et c'est sur ce mot creux (et sur un pacte militaire avec les USA et la Turquie) que repose, en derniĂšre analyse, la soliditĂ© de notre monnaie lĂ©gale... Notons en passant que, du point de vue des cryptomonnaies, cette cacophonie est une apprĂ©ciable aubaine !

Bien sĂ»r l'hypothĂšse inverse, celle d'une extension Ă  l'infini des « pleins pouvoirs » que s'arrogent les wartime presidents est Ă©galement possible. Selon l'auteur, cela tient Ă  ce que le pouvoir « ne sait plus parler Ă  une communautĂ© dĂ©sagrĂ©gĂ©e qu'en faisant appel Ă  la peur ». La rapiditĂ© un peu gĂȘnante avec laquelle, par exemple, un ministre français se saisit d'un attentat terrorisant pour demander une mesure de rĂ©gulation des cryptomonnaies (mesure dĂ©jĂ  prĂ©vue et que l'Ă©vĂ©nement permet juste de faire passer) est assez emblĂ©matique de la convergence de la gouvernance par la peur et de la gouvernance par la dette. Mais ça, ce n'est pas absolument nouveau...

Ce que le virus nous apprend du cyberespace comme terrain de guerre

Donatella Di Cesare ne s'en rĂ©jouit pas, mais elle perçoit un changement dans « le McMonde, l'espace Ă©norme du rĂ©seau, oĂč chacun a dĂ©sormais acquis une citoyennetĂ© supplĂ©mentaire », mĂȘme si pour elle (et je pense qu'elle se trompe pour partie) « ce n'est pas sur le scĂ©nario rĂ©ticulaire que se fonde le nous de la communautĂ© politique ». Seulement, si ce n'est pas lĂ , la lecture de son ouvrage ne laisse pas entrevoir de refuge ni de scĂ©nario alternatif.

Bien sûr, il y a toujours eu, moins avouable que le goût de la liberté ou que l'enthousiasme mathématico-technologique, un fond de noir pessimisme dans l'idéologie qui sert d'humus à Bitcoin. Et il faut bien dire que la lecture de ce petit ouvrage n'est pas de nature à dissiper nos humeurs sombres. Quand on a parcouru son chapitre sur ce qu'elle appelle le « lockdown des victimes », avec ses morgues et ses corps traités comme de purs déchets, il est bien difficile d'avaler la soupe servie à tous les repas par nos derniers hommes politiques, le potage de « valeurs républicaines ». Et ce ne sont pas les dessins tristes et sales du néoCharlie, instaurés en icÎnes de la Déesse Raison, qui nous rendront le sourire ou le courage.

Que le scénario soit seulement et techniquement « réticulaire », qu'il soit empreint d'une dose de survivalisme ou d'une pointe de millénarisme il s'y passe bien des choses. Que ce qui advient ne soit pas une « communauté politique » au sens moderne du terme est possible, mais quoi ? L'émergence de Bitcoin est selon moi la preuve que ce qui y germe n'est pas dépourvu de « souveraineté », puisque jusqu'à preuve du contraire, nulle puissance de ce monde n'a pu stopper Bitcoin, quoi que l'envie n'ait pas dû manquer.

Ce que le virus nous a appris, c'est d'abord que le cyberespace est un terrain particuliÚrement propre à la résilience, j'entends la résistance à ce type de choc. Et pas seulement parce que le virus (à la différence, par exemple, d'un bombardement) affecte peu les infrastructures matérielles du Cloud ou des entrepÎts robotisés. Mais parce que le cyberespace est mondial, ce qui s'y déroule n'est pas, ou est peu, suspendu aux inévitables contradictions locales, aux débats byzantins sur ce qui est essentiel ou pas (l'huile oui, les huiles essentielles non), interdit à Strasbourg ou permis à Kehl, aux atermoiements ou aux arbitrages du cher dirigeant bien-aimé. Bien sur il y a des problÚmes « à la sortie », au point de contact avec the real life. Mais la nature du cyberespace permet à ses champions de développer deux avantages en apparence contradictoires : la puissance du mastodonte et le caractÚre furtif de l'oiseau, caractéristiques auxquelles Andreas Antonopoulos ajoute, dans le cas de Bitcoin, la résistance immunitaire d'une horde de rats d'égout !

Amazon livre tout, peut-ĂȘtre ce qui est interdit, en tout cas mĂȘme ce qui n'est pas jugĂ© essentiel. Il le fait comme l'Ă©picier roulant de jadis, mais il le fait dĂšs le lendemain, parce qu'Ă  l'heure oĂč la FNAC n'a plus de livres en rayon, Amazon a mĂȘme une grammaire grecque ancienne en stock, et qu'il est aussi le seul Ă  avoir en stock la gamme de tous les cordons de connexion possibles. Personne ne songe vraiment Ă  l'empĂȘcher de livrer, avec sa flotte ou avec celle de ses innombrables et furtifs auto-entrepreneurs. Too big...

En regard, les États (qui semblent parfois mieux anticiper les achats de lacrymogĂšnes que ceux de masques ou de tests) ne sont pas puissants (ce dont attestent la litanie de ce qu'ils n'ont pas en stock disponibles avant de longues semaines mais aussi la petitesse et l'obsolescence de leurs infrastructures ) mais ils ne sont pas non plus furtifs. On l'a bien vu avec le navrant Ă©pisode StopCovid, oĂč l'on a attendu des semaines au pied de la montagne sainte l'inĂ©vitable souris, inutile, mal conçue, non compatible avec les applications de nos voisins, et finalement pas mĂȘme indĂ©pendante des GAFAM.

Aujourd'hui, une chose me frappe : tout le bien qui est dit de #TousAntiCovid est dit par des autoritĂ©s centrales, tout le mal qui en est dit, toutes les critiques sont sur les rĂ©seaux. C'est dire : fondamentalement l'État ne comprend pas la « viralitĂ© ». Dans le vocabulaire officiel « viral » reste un mot grossier, la rĂ©putation ne peut ne fonder que sur des cocardes tricolores (sur Twitter, elles ont quelque chose d'incongru) et ce que l'État ne perçoit pas, ne comprend pas, ne sait pas, est accusĂ© de « passer sous les radars », mĂ©taphore guerriĂšre et tout de mĂȘme un peu datĂ©e !

Et le souverain Bitcoin ?

Pourquoi monte-t-elle cette monnaie qui « passe sous les radars », ne suscite de communication bleu-blanc-rouge que pour dire « méfiez vous, n'en achetez pas » et n'est évoquée par les économistes stipendiés que comme « une folie complÚte » ?

Je ne répondrai pas ici à la question. Le virus en est-il responsable ? Je n'en sais rien et je n'y crois guÚre.

Mais d'une certaine façon si la presse mainstream qui avait si bien enterrĂ© Bitcoin n'hĂ©site pas Ă  attribuer sa remontada au virus, n'est-ce pas implicitement qu'aux yeux des noobs sidĂ©rĂ©s, seul le souverain virus peut ainsi donner valeur Ă  l'incomprĂ©hensible monnaie qui monte insolemment face aux monnaies de ces États qu'il tient en Ă©chec ? Bref cela nous en apprend plus sur eux que sur Bitcoin...

Post scriptum qui n'a rien Ă  voir (comme disait Delfeil de Ton, qui fut des fondateurs du vrai Charlie, et pour marquer un anniversaire qui n'est pas sans rapport)

Bitcoin, souverain, pourrait bien s'exprimer comme notre dernier grand monarque, du moins dans les mots que lui prĂȘtait un humoriste du temps ...

104 - SĂ©paration

December 16th 2020 at 20:05

(les illustrations proviennent toutes de l'album Nope en Stock)

Est-ce un effet du hasard si l’incroyable sĂ©quence laĂŻciste que nous vivons depuis des semaines, avec sa rĂ©affirmation emphatique de « principes rĂ©publicains » taillĂ©s sur mesure, coĂŻncide avec les dĂ©clamations ministĂ©rielles visant Ă  dĂ©fendre la monnaie de l’État en rĂ©glementant Ă  outrance tout ce qui de prĂšs ou de loin en menacerait son monopole absolu ? Je ne le crois pas.

Une rĂ©action superficielle aux derniers exploits rĂ©gulatoires de nos ministres consiste Ă  incriminer leurs hymnes hypocrites Ă  la Blockchain-Nation, dont la France serait un parangon, pour les mettre en rapport avec la cerfa-ration quotidienne de rĂšgles absurdes qu’ils nous imposent (1), mais aussi avec une prĂ©tentieuse inculture technologique, plaisamment rĂ©sumĂ©e par le nouveau hashtag #3615crypto.

Je propose ici de prendre un satanĂ© recul, jusqu’en novembre 1789, pour examiner les choses dans une perspective longue, et voir ce que la rhĂ©torique laĂŻque et la rĂ©gulation monĂ©taire nous disent toutes deux de « nos valeurs » comme disent ceux qui parlent pour les autres, mais aussi pour voir ce que la logique de « sĂ©paration » pourrait signifier.

Les séparations françaises

Il arrive Ă  l’occasion que certains de mes amis cryptos Ă©voquent la nĂ©cessitĂ© d'une « sĂ©paration de la Monnaie et de l’État », expression doublement dĂ©tournĂ©e de celle de 1905, parce qu'il ne s'agit plus de tracer une frontiĂšre avec les choses spirituelles mais aussi parce que le problĂšme, dĂ©sormais, serait... du cĂŽtĂ© de l'État. L'hypothĂšse que je vais prĂ©senter est que le problĂšme a toujours Ă©tĂ©, d'une certaine façon, du cĂŽtĂ© de notre État français, spĂ©cifiquement.

L’ordonnance prĂ©sentĂ©e le 9 dĂ©cembre par MM. Le Maire, Dussopt et Lecornu visant au « renforcement du dispositif de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme applicable aux actifs numĂ©riques » se distingue Ă  plusieurs Ă©gards des dizaines d’oukases antĂ©rieurs :

  • par la mauvaise foi, car il ne s’agit que de faire un peu de spectacle tout en se mettant en conformitĂ© avec des recommandations antĂ©rieures du GAFI, avant le prochain round d’évaluation de la France ;
  • par la sottise, puisqu’on ne trouve rien d’autre Ă  invoquer pour justifier cela qu’une bien mince affaire rĂ©cente de « financement terroriste » et prĂ©cisĂ©ment celle oĂč la traçabilitĂ© des opĂ©rations en Bitcoin a justement permis de dĂ©manteler la filiĂšre, comme le montre une belle enquĂȘte de 21 millions qui ramĂšne cette affaire mineure Ă  ses justes proportions ;
  • par la maladresse consistant Ă  exiger une authentification par virement SEPA qui enferme les plateformes françaises dans un mĂ©canisme rĂ©gional que les fonctionnaires europĂ©istes pensent universel, au moment oĂč la Suisse s'affirme comme la vraie nation crypto d'Europe, Ă  bien des Ă©gards et mĂȘme par l'attitude de ses banques.

On trouvera ici les liens vers les analyses de Bitcoin.fr, des responsables de Blockchain Partners ou de l’ADAN. MĂȘme un dĂ©putĂ© de la majoritĂ© a Ă©mis une pertinente critique de cette initiative incongrue qui, Ă  force de vouloir tout rĂ©gir, fait sans doute sortir la "Blockchain Nation" du jeu.

Est-il juste de mettre cela en parallĂšle avec l’offensive bruyamment menĂ©e pour dĂ©fendre notre conception de la laĂŻcitĂ© ?

Cette merveille unique est tellement incomprise Ă  l’étranger que M. Macron en vient Ă  se quereller publiquement avec la presse amĂ©ricaine comme avec le prĂ©sident Ă©gyptien. La sĂ©paration des Ă©glises et de l’État serait, nous dit-on, consubstantielle Ă  la forme rĂ©publicaine de notre pays (la loi ne date pourtant que de 1905) et ferait partie du socle de « nos valeurs ». Tant et si bien que ceux qui refusent cette sĂ©paration deviennent des... « sĂ©paratistes », ce qui implique une certaine gymnastique conceptuelle.

On peut s’interroger sur la gĂ©omĂ©trie du « nous » dont on parle, quand une part non nĂ©gligeable de citoyens français eux-mĂȘmes expriment des rĂ©serves sur lesdites valeurs. Mais surtout cette obsession franco-française rend intenable l’illusion d'une Nation auto-proclamĂ©e porteuse de valeurs universelles et nous enferme dans une singularitĂ© oĂč se complait le narcissisme hexagonal.

Aux racines de nos singularités

Ce serait, pour parler comme M. Macron « comme cela que la France s’est construite ». Je veux bien, mais Ă  condition de commencer par une Ă©vidence oubliĂ©e : l’État, en France, n’a pas eu Ă  livrer un combat de titan pour se libĂ©rer des puissantes serres de l’Église. C’est lui qui s’est introduit avec sa brutalitĂ© et sa dĂ©sinvolture ordinaires dans les affaires de celle-ci.

Le 2 novembre 1789, l’AssemblĂ©e constituante dĂ©crĂ©tait que « tous les biens ecclĂ©siastiques sont Ă  la disposition de la Nation, Ă  la charge de pourvoir, d'une maniĂšre convenable, aux frais du culte, Ă  l'entretien de ses ministres, et au soulagement des pauvres, sous la surveillance et d'aprĂšs les instructions des provinces ». Rappelons que les États-GĂ©nĂ©raux avaient Ă©tĂ© rĂ©unis pour rĂ©tablir les finances de la monarchie. La solution adoptĂ©e (Ă  l’instigation de Talleyrand) a le mĂ©rite de la simplicitĂ© : l’État a environ 4 milliards de dettes, les biens du ClergĂ© doivent bien valoir autant. Et voilĂ .

Seulement cette solution, qu’un Conseil constitutionnel contemporain serait peut-ĂȘtre gĂȘnĂ© de justifier, n’avait rigoureusement aucun autre mĂ©rite que son simplisme, et n’offrait que des dĂ©fauts :

  • elle augmentait la subordination (dĂ©jĂ  rĂ©elle sous les rois) de l’Église française Ă  un pouvoir nouveau, que l’on ne pouvait exonĂ©rer du soupçon de malveillance, accroissant le tiraillement permanent entre l’allĂ©geance au roi et celle qui est due par les catholiques au pape ;
  • elle suscita donc de ce cĂŽtĂ© une condamnation Ă©trangĂšre (on ne parle pas encore de sĂ©paratisme) qui, mettant Ă  mal la conscience de nombreux français, inaugurait un fossĂ© jamais totalement comblĂ© entre nous ;
  • en heurtant la conscience du roi Louis XVI elle portait le germe de l’échec de la tentative d’instaurer une monarchie constitutionnelle, ce qui Ă©tait pourtant le vƓu le plus large et le plus sage Ă  ce moment, nous condamnant Ă  deux siĂšcles d’errances politiques pour en arriver au rĂ©gime actuel, bien moins Ă©quilibrĂ© que ce que l’on souhaitait alors ;
  • enfin elle mit en branle un dĂ©sastre financier collectif. On ne monĂ©tise pas ainsi des murs, des champs ou des forĂȘts reprĂ©sentant peut-ĂȘtre 3 milliards de livres ou 10 fois le budget annuel du royaume. La planche Ă  billet, symboliquement incriminĂ©e dans le naufrage des assignats, fut moins coupable que la duplicitĂ© d’une bourgeoisie qui ne voulait pas payer d’impĂŽt mais ne rechignait pas Ă  se goinfrer de biens volĂ©s puis bradĂ©s.

Cinq ans plus tard la promesse faite au clergĂ© (« pourvoir d’une maniĂšre convenable... ») Ă©tait violĂ©e, les Assignats n’avaient plus de valeur depuis longtemps et la confiance du public dans quoi que ce soit Ă©tait Ă  zĂ©ro. Advint NapolĂ©on, qui rĂ©tablit la paix avec le pape, l’équilibre budgĂ©taire, y compris par l'impĂŽt, et enfin la valeur de la monnaie. Les Français du temps ont plutĂŽt apprĂ©ciĂ© ! Mais NapolĂ©on ne restitua pas pour autant les monuments confisquĂ©s : il suffit de se promener en France pour voir que prĂ©fectures, mairies, musĂ©es, lycĂ©es ou prisons sont souvent des bĂątiments religieux (2). Il se mĂȘla assez lourdement de la vie de l’Église, redessinant les diocĂšses, dĂ©plaçant les siĂšges Ă©piscopaux, rĂ©digeant le nouveau catĂ©chisme, etc. Il s’en alla enfin, mais le roi restaurĂ© ne se montra pas plus discret, ni aucun rĂ©gime aprĂšs lui, y compris les plus rĂ©cents qui se sont mis en tĂȘte l'idĂ©e absurde et largement contreproductive (3) de façonner un « islam de France », voire « des LumiĂšres ».

MĂȘme et surtout devenue « laĂŻque », la RĂ©publique est religieuse ; mais elle l’est trĂšs mal.

Il y a d'abord beaucoup de risible maladresse : entendre M. Hollande prĂŽner que « l’islam est une religion de paix » ou M. Castaner expliquer que « la priĂšre n'a pas forcĂ©ment besoin de lieu de rassemblement » illustre l’étendue des compĂ©tences que nos Ă©lites, pourtant peu instruites de ces choses, s’attribuent en matiĂšre religieuse.

Au-delĂ  de ces maladresses, la RĂ©publique est une DĂ©esse qui a perdu la Raison. RĂ©pĂ©ter en boucle que « la religion est une affaire privĂ©e » indique seulement que l’orateur n’a pas de religion, sinon peut-ĂȘtre une vague spiritualitĂ© new age. AssĂ©ner soir et matin que la loi de la RĂ©publique est supĂ©rieure Ă  la loi de Dieu, voire dans la variante Darmanin « plus forte que la loi des dieux » histoire d’intimider aussi les quelques terroristes polythĂ©istes qui se cacheraient encore parmi nous, ne dĂ©montre rien. Ce n’est qu’un principe hypothĂ©tique, rationnellement indĂ©cidable. Celui qui craint l'enfer se moque des amendes. Et rĂ©pondre aux fanatiques religieux par un fanatisme politique, idolĂątrer la RĂ©publique, de quoi est-ce le signe ? Comme pour tout fanatisme, c’est le signe d’un manque, d’un creux.

Car enfin, ces fameuses valeurs, quelles sont-elles ?

Il n’en existe pas de liste officielle, et on peinerait Ă  en faire un bouquet trĂšs garni. En gros, il y en a trois qui surnagent des mĂ©diocres discours actuels, mais ce ne sont pas celles qu'un homme de 1789 aurait attendues.

D'abord « l’égalitĂ© de l’homme et de la femme » alors que notre Constitution mentionne « l'Ă©gal accĂšs des femmes et des hommes aux mandats Ă©lectoraux et fonctions Ă©lectives, ainsi qu'aux responsabilitĂ©s professionnelles et sociales ». Que ce soit un bon angle d’attaque contre les islamistes, on en conviendra. Que cela rĂ©sume l’ñme de notre peuple et l’histoire du seul royaume dont les femmes ne pouvaient hĂ©riter et oĂč elles furent parmi les derniĂšres Ă  voter est une autre affaire.

Vient ensuite une laĂŻcitĂ© qui met dĂ©sormais Ă  l'honneur de dĂ©chirer le sage compromis de 1905 et d'oublier aussi tout ce qui devrait lui permettre de s'Ă©panouir autrement que dans la hargne (4). Les imprĂ©cations de petits-instruits comme Mme Schiappa ou M Valls peuvent-elles sĂ©rieusement rĂ©unir une large partie de l’opinion française pour « consolider » les « valeurs » de la « citoyenneté » ? PrĂ©tendre qu’une posture qui est aussi loin de faire l’unanimitĂ© (mĂȘme dans un seul camp politique) serait celle de toute une Nation est une imposture.

Et enfin il y a la tolĂ©rance, rebaptisĂ©e « Charlie ». Un mot qui dit tout. Charlie a Ă©videmment le droit de blasphĂ©mer mais nous aurions, en tant que citoyens, une sorte de devoir de regarder ses petites saletĂ©s. Ses caricatures sont projetĂ©es sur les façades, reproduites dans les manuels, brandies comme des icĂŽnes dont la seule vue devrait entraĂźner l’adhĂ©sion Ă  la philosophie voltairienne, diffuser la raison chez les adultes les moins instruits et provoquer dans les Ă©coles de fructueux dĂ©bats Ă  une voix. « Il faut surtout continuer, montrer cela et expliquer que c’est l’ñme de la France que d’autoriser le blasphĂšme » dixit Roselyne Bachelot. Ceux qui ont des doutes sur la mĂ©thode, qu’ils soient archevĂȘques ou professeurs de facultĂ©, se voient intimer le silence au nom de nos valeurs, voire traiter de collabos dans le cadre de l’état de guerre permanent. Le niveau de nos enfants en calcul (ou « en mathĂ©matiques » encore un grand mot) s'effondre, les Bac+5 font une faute d'orthographe par ligne, mais on doit passer des heures sur ces sottises.

En regard de ce bullshit politique, je n’ai pas entendu depuis des annĂ©es un seul gouvernant, parlant de « nos » sacrĂ©es valeurs, oser les trois grands mots qui ornent pourtant nos frontons. Chacun verrait trop bien, soudain, que notre libertĂ© est chaque jour rognĂ©e (5), que l’inĂ©galitĂ© ronge la sociĂ©tĂ© et que la fraternitĂ© n’est plus qu’un mot vide de sens, tant et si bien qu’on doit dĂ©sormais lĂ©gifĂ©rer « contre la haine ».

Aussi creux que le mot « valeurs », le mot « confiance » est invoqué pour à peu prÚs tout ce dont un homme avisé se méfierait.

Les mĂ©dias tournent autour du mot, Ă©voquant – notamment depuis les gilets jaunes - une « certaine forme de mĂ©fiance de certains citoyens vis Ă  vis de nos institutions ». Le pouvoir tourne autour du mot, parlant de « consolider le lien de confiance » entre « notre » police et les français. Les banques tournent autour du mot, invoquant notre confiance dans notre monnaie et dans nos banques, de façon presqu’hypnotique. L’affaire des vaccins, en ce qu’elle va permettre de mesurer rĂ©ellement la confiance des français dans tous ces prĂ©dicateurs, les fait dĂ©jĂ  frĂ©mir.

La proposition de valeur de Bitcoin et des cryptomonnaies appuie donc exactement lĂ  oĂč ça fait mal aujourd’hui dans le systĂšme rĂ©galien.

Bitcoin repose sur la confiance, mais sur une forme de confiance qui ressemble bien plus Ă  celle que l’on a dans un bon instrument qu’à celle qu’invoque le serpent Kaa. Bitcoin a une valeur qui tient Ă  sa raretĂ© et au caractĂšre onĂ©reux de son minage, non Ă  une supposĂ©e convention politique. Bitcoin est libre, son adoption se fait sans coercition, alors que plus rien de ce que propose le gouvernement ne tiendrait une journĂ©e sans coercition.

Bitcoin n’effraie pas encore les gouvernants. Il est mĂȘme assez commode pour eux, pour donner des coups de menton aprĂšs un attentat. En petit comitĂ©, les banquiers centraux avouent ne pas avoir la moindre peur de Bitcoin, et ne redouter sĂ©rieusement que Libra. Ils n’ont pas encore peur du JPM Coin, probablement du fait de douteuses connivences, ou parce qu’ils n’ont pas saisi la menace. Mais aprĂšs tout, la monnaie de Facebook comme celle de JP Morgan restent des formes privĂ©es du dollar, la seule vraie « fiat » du monde. La question qui se pose est justement celle du « fiat », un mot biblique faut-il le rappeler. Et elle commence Ă  se poser, mĂȘme chez Morgan Stanley.

C’est en rĂ©alitĂ© le vide et l’absence de base de leur systĂšme qui fait obligation aux dirigeants de mener leurs guerres.

Cela se voit trop cruellement au creux des arguments dont ils usent dans leurs combats.

Quand M. Darmanin nous affirme que « jamais en aucun moment Allah n’est supĂ©rieur Ă  la RĂ©publique (
) la RĂ©publique transcende tout » on a envie de demander si cette surĂ©minence est le propre de la RĂ©publique française, et par quel miracle si j’ose dire cette crĂ©ature somme toute rĂ©cente a pu se hisser Ă  un tel degrĂ© de majestĂ©.

Monsieur Darmanin, dont on nous dit par ailleurs qu’il est catholique, refuse donc l’idĂ©e que Dieu soit plus grand, ce que signifie exactement « ٱللَّٰهُ ŰŁÙŽÙƒÙ’ŰšÙŽŰ±Ù » mais qu’a-t-il alors en tĂȘte quand il rĂ©cite dans le Gloria : « Toi seul est Seigneur » ? Les croyants (tous) peuvent, et il me semble doivent aimer la France et prier pour elle (on le faisait dĂ©jĂ  du temps des rois) et mĂȘme pour la RĂ©publique (comme le font notamment les juifs Ă  chaque Shabbat, avec une priĂšre particuliĂšrement belle et Ă©mouvante) mais pas un seul, il faut le comprendre, ne mettra jamais l’objet pour lequel il prie au-dessus de Celui Ă  qui il adresse sa priĂšre, et qui n'est pas un compagnon tranquille du foyer, un petit dieu Lare de romain antique. On a le droit d’ĂȘtre croyant ou athĂ©e, on n’a pas le droit d’ĂȘtre idiot. En cas de conflit, s’imposerait Ă  l'esprit du croyant la rĂ©ponse de JĂ©sus Ă  Pilate : « tu n’aurais sur moi aucun pouvoir s’il ne t’avait Ă©tĂ© donnĂ© d'en haut ».

Revenons Ă  Bitcoin : quand on entend dire qu'il ne sera jamais une monnaie car personne n’en garantit la valeur, c’est je crois le mĂȘme type de sottise qui est profĂ©rĂ©, par des gens qui hiĂ©rarchisent beaucoup mais qui analysent peu .

J’ai entendu un banquier expliquer gravement que « si vous perdez un bitcoin, personne ne pourra vous le rendre » : dans la salle nous Ă©tions quelques-uns tentĂ©s de lui demander ce qu’il ferait pour ceux qui avaient perdu un billet de banque dans le mĂ©tro. Fondamentalement, ce sont les piĂšces d’or qui font le banquier riche et lui permettent de garantir ce qu’il entend garantir. Ce n’est que parce que l’on fabrique aujourd’hui de la monnaie avec du vent que l’on a besoin d’une garantie, de nature un peu mystique au demeurant. Aux yeux du bitcoineur, ce n'est pas Bitcoin qui monte, ce sont les monnaies de papier qui s'effondrent. L'Ă©change avec les hommes du « fiat » peut rester courtois, mais il a peu de chance d'ĂȘtre trĂšs fructueux.

J'ai donc la conviction qu'on ne peut rien fonder de crĂ©dible, d’aimable, de durable sur des sottises et qu'il serait temps que les gens de pouvoir en France le comprennent.

Le terrorisme frappe hĂ©las de nombreux pays sans que l’on y parte en guerre idĂ©ologique, en se demandant si Dieu (pour l’appeler par son nom en notre langue) est au-dessus ou au-dessous de la RĂ©publique. Les difficultĂ©s financiĂšres n’épargnent pas non plus de nombreux pays qui s'assignent d'autres prioritĂ©s que de chasser les bitcoineurs comme Louis XIV chassa bien sottement des protestants.

L'un des principaux acquis de la loi de 1905 , mais aussi de celle de 1901 par-delĂ  leurs diffĂ©rences (6) a Ă©tĂ© de voir la RĂ©publique donner des cadres juridiques assez pratiques Ă  l'usage et, du moins Ă  l'origine, assez libĂ©raux. Pourquoi n'instaurerait-elle pas une telle libertĂ© d’association dĂ©centralisĂ©e, Ă©ventuellement assortie du droit d’émission dĂ©centralisĂ©e de jetons de valeurs par ces associations, les formalitĂ©s n'Ă©tant nĂ©cessaires que pour une Ă©ventuelle admission Ă  la cote officielle dans son ressort territorial ?

Ce que demandent la plupart des cryptos - ceux qui ne sont ni juristes en mal de fonds de commerce ni start-upers en levĂ©e de fonds- c’est qu’on les laisse en paix, exempts de soupçons, mais soumis au chĂątiment des crimes dans le cadre du droit applicable Ă  tous. Ils n'ont pas la moindre illusion de voir l'État amĂ©liorer quoi que ce soit par son action. Ils se rĂ©jouiraient de le voir borner son rĂŽle Ă  reconnaĂźtre le simple fait que Bitcoin existe en tant que tel, sans encombrer quiconque de son avis sur la chose et de son illusoire garantie : une sĂ©paration.

NOTES

(1) En France, durant le couvre-feu, il faut signer un bout de papier attestant que l'on promÚne son chien : la simple présence du chien ne suffit pas.
(2) Je ne résiste pas au plaisir de rappeler que le Centre des Finances Publiques place Saint-Sulpice à Paris est installé dans les murs de l'ancien séminaire, et que le projet de restitution fut abandonné en 1924.
(3) Bel article dans le Figaro sur cette illusion inutile.
(4) Intéressante mise au point sur la laïcité par l'universitaire Charles Coutel, dans une tribune chez Marianne.
(5) À tel point, comme le dit MaĂźtre Yann Padova, ex SG de la CNIL dans une tribune publiĂ©e par Les Échos, que « Telle une peau de chagrin, ce qui hier constituait la norme politique et notre identitĂ© culturelle subissent une attrition progressive et insensible gouvernĂ©e par la peur ». (6) sur les deux statuts fixĂ©s par ces deux lois, voir l'intĂ©ressant article paru dans LibĂ©ration.

105 - La cryptologie au coeur du numérique

February 15th 2021 at 10:25


Ce petit ouvrage du grand Jacques Stern est du type que l'on devrait largement offrir à bien des gens qui parlent à tort et à travers de secret et s'offusquent de la seule mention de l'anonymat de façon ignare et irresponsable.

Comment, demande Stern, un art ancestral peut-il, d'Al Kindi et Al Khwùrizmß à Diffie et Hellman, devenir une science moderne ? J'avoue avoir appris grùce à lui que les lettres n, p et q utilisés en 1978 par l'article définissant le RSA étaient déjà employés en 1763 par Euler pour présenter dans la revue de l'Académie de Saint-Petersbourg le théorÚme d'arithmétique modulaire qui porte son nom.

Jacques Stern retrace son propre chemin et comment, pressentant l'Ă©mergence d'un monde numĂ©rique qu'il appelle encore la « nouvelle citĂ© virtuelle » oĂč tout, depuis les fondations jusqu'aux fenĂȘtres Ă©tait alors Ă  construire, il a « modestement » choisi de s'intĂ©resser aux cadenas, aux serrures et aux clĂ©s.

Il y a du conteur chez ce mathĂ©maticien (parabole du cadenas, parabole des tiroirs, couteau suisse...) et de l'historien, dans un domaine oĂč le tic-tac de la montre ne s'arrĂȘte jamais. Les records en matiĂšre de factorisation (donc d'attaque contre le RSA, principal soutien du sytĂšme cryptographique dans le monde des instruments de paiement contemporains) se succĂšdent : factorisation d'un nombre de 768 bits en 2009, de 829 plus rĂ©cemment, soit 250 chiffres dĂ©cimaux. Les dĂ©fenseurs se servent donc aujourd'hui d'un modulo d'une taille supĂ©rieure Ă  500 chiffres. Ceci assure une sĂ©curitĂ© suffisante d'un point de vue matĂ©riel, non d'un point de vue rigoureux, c'est Ă  dire mathĂ©matique.

Le chapitre cryptologie, algorithmes et mathématiques est évidemment celui qui demandera le plus de s'accrocher, à ses souvenirs scolaires ou aux branches que procure Wikipedia ; mais au prix d'un certain effort on en ressort mieux informé, ne serait-ce (en ce qui me concerne) qu'au sujet des différences pratiques entre la cryptographie du type RSA et celle qui se fonde sur les courbes elliptiques.

Stern aborde ensuite le chapitre de la présence de la cryptographie dans l'univers du téléphone, de l'Internet et des moyens de paiement. Avec des choses simples, que tous doivent garder à l'esprit : « ce sont les algorithmes assurant l'authenticité, plus que ceux assurant la confidentialité, qui forment la clé de voûte de la sécurité sur Internet » et une formule puissante : « la sécurité est holistique ».

Sa prĂ©sentation de bitcoin est Ă  la fois sobre, laudative (« combinaison extrĂȘmement remarquable (...) idĂ©e proprement rĂ©volutionnaire ») et honnĂȘte, en ce sens qu'elle situe les enjeux, mais aussi les points controversĂ©s.

Enfin le chapitre sur la cryptographie quantique, laquelle nous dit Stern « n'est pas une expérience de pensée » mais rencontre encore des limites, permet à la fois de mesurer les risques et d'éviter certains fantasmes.

J'avoue ne pas avoir trouvé de réponse à une question (que Stern ne pose d'ailleurs pas) : j'ai bien compris que les recherches en matiÚre de cryptographie postquantique ont commencé. Du cÎté des banques, les clients, in fine paieront la recherche et l'implémentation des solutions nouvelles. Quid du cÎté de Bitcoin, et notamment à l'échéance de 2040 ?

107 - Ne plus descendre dans l'ArÚne ?

March 2nd 2021 at 19:00


On a beau faire, on a beau dire, on est toujours surpris par la fabrique de l'opinion.

Dans un pays oĂč la culture mathĂ©matique est tellement faible que la seule chose que l'on remarque quand le chef du gouvernement se trompe (ou nous trompe) avec un graphique dont l'axe des abscisses est dĂ©calĂ© de 6 jours et celui des ordonnĂ©es (*) de 30%, c'est l'inversion du drapeau français sur une slide de son pĂ©nible show... il y a peu Ă  espĂ©rer des « dĂ©bats » sur un sujet techniquement complexe, philosophiquement innovant et politiquement radical comme Bitcoin.

La hausse du bitcoin, la bulle du bitcoin, la folie du bitcoin ont ressurgi ces derniÚres semaines, avec peu de « variants » par rapport à la précédente édition en fin 2017.

En gros, ça donne quelque chose comme ça :


Parce que fondamentalement un « débat » n'est qu'un spectacle qui, ne coûtant rien à produire, occupe l'écran entre deux publicités. Ce n'est pas un exposé, ni une conférence, ni un MOOC. Un universitaire sérieux ne devrait point s'y produire ni un esprit distingué s'y exhiber.

D'autre part la place des monnaies numériques dans le paysage médiatique n'étant pas encore celle du menu sans porc, qui transforme n'importe quelle assemblée de lymphatiques en horde de furieux, ni celle des mérites comparés de l'hydroxychloroquine, de l'ivermectine ou des anticorps monoclonaux pour lesquels il existe déjà des milliers d'experts ennuyeux (à mourir) le spectacle est un peu court.

La « production » charge deux ou trois jeunes filles de trouver des intervenants : elles en trouvent quelques-uns, grĂące Ă  Google, auxquels elles signifient qu'ils ont Ă  passer le soir mĂȘme au studio, et Ă  Paris naturellement. Cela restreint fatalement l'Ă©chantillon, mais qu'importe.

La jeune personne m'appelle, m'avoue avec un gloussement irrésistible qu'elle n'y connait rien, me demande le nom d'autres experts qui justement seraient taillables et corvéables à l'instant puisque moi j'entends rester tranquille au vert. Le temps que je les lui fournisse (pas mauvais bougre, dans le fond) une de ses collÚgues en a trouvé deux ou trois autres, dont un qui a déjà fait le tour de dix autres plateaux pour expliquer que ce n'est pas une monnaie, ce n'est pas une monnaie, ce n'est pas une monnaie.

Arrive le soir ou le lendemain, j'ai le rĂ©sultat Ă  l'Ă©cran. Jamais de quoi regretter d'ĂȘtre dans les gradins plutĂŽt que sur le sable. En 2017, j'avais Ă©crit sur LinkedIn un article que j'avais intitulĂ© La «folie» Bitcoin dans les mĂ©dias français. Je l'ai re-publiĂ© rĂ©cemment, sans changer trois mots. Je continue de penser qu'il n'est pas trĂšs nĂ©cessaire de se justifier.

Depuis 2017, certes, les questions se sont faites un peu moins brutales, et on nous Ă©pargne le topo sur « la blockchain ». Des gens comme Yves Calvi ou Philippe Soumier proposent mĂȘme (enfin...) un format convenable.

Il y a eu évidemment un « basculement psychologique » (le terme est d'Olivier Babeau) chez les interviewers comme chez certains interviewés.

Chez les premiers, on sent la fatigue (mĂȘme M. Lenglet met de l'eau dans son vin) voire parfois, quand mĂȘme, comme un zest de rancune : pourquoi diable ces bitcoineurs ont-ils cru utile de multiplier les prĂ©cautions en 2017, au lieu de nous dire franchement que ça vaudrait le prix d'une voiture trois ans plus tard ?

Chez certains des hĂ©ros de la cryptomonnaie, et c'est le plus rigolo pour les initiĂ©s, il y a eu aussi depuis 2014 ou 2017 un effet « chemin de Damas ». Plus personne n'ose dire que la monnaie n'est qu'un cas d'usage sans grand intĂ©rĂȘt de la technologie blockchain.

Mais entre le temps perdu à expliquer ce que signifie la décentralisation, éluder les questions sur le cours, réfuter l'ineptie sur l'impossibilité d'acheter ses croissants à Paris en bitcoin, recadrer les chiffres sur les usages criminels et renvoyer les balles sur la consommation énergétique, que peut bien dire d'utile, d'instructif, d'éclairant ou de motivant l'expert venu pour expliquer et qui sert de Rétiaire dans cette petite arÚne ?

Parce que, de son cÎté, le Mirmillon de l'establishment connaßt son métier.

Que ce soit un ponte comme Minc, pratiquement à cÎté de ses mocassins, ou des économistes déjà vus plus de mille fois comme Jean-Marc Daniel, Philippe Bechade, Philippe Murer, on n'a jamais rien de nouveau.

Ils sont là pour taper, ils tapent. Ils n'ont pas bougé d'un pouce, pas modifié leurs incantations d'un iota.

Ces joutes risibles m'ont donné quelques occasions d'allonger encore un peu la liste des lauréats du Prix Tulipe. Mince bénéfice !


La conclusion : moins il y a de gens importants sur le plateau, mieux c'est. Cela diminue l'exposition des no-coiners et de leurs naïvetés de béotiens. Autant conseiller à Papi et Mamie, dans leur cuisine, de regarder Bapt&Gael, ils perdront moins leur temps !

Et, dût l'orgueil hexagonal en souffrir, des émissions suisses comme le Forum de la RTS peuvent aussi s'avérer plus utiles, un peu comme la presse belge pour rectifier les erreurs de M. Castex, sans vouloir en faire une affaire personnelle....

Pour le grand public, enfin, et pour en rester aux rigolos, j'ai trouvĂ© que le petit sketch d'Alexis Le Rossignol valait bien des explications fumeuses d'Ă©missions qui prĂ©tendaient nous informer. A ma connaissance, il n'a pourtant mĂȘme pas eu droit, comme Nabilla en janvier 2018, Ă  un petit gazouillis de l'AMF (**). A croire qu'en distanciel les gardiens du Temple ne surveillent mĂȘme plus ce qui se trame dans le vaste monde !



NOTES
(*) Ils sont tellement linĂ©aires (pour ne pas dire plats) qu'ils n'ont pas mĂȘme songĂ© Ă  inscrire les contaminations sur une Ă©chelle logarithmique : ce ne serait pas faux, ce serait mĂȘme assez justifiable, et le gogo en retirerait une rassurante impression de promenade de santĂ©, pardon pour le jeu de maux.
(**) Parmi les nombreuses choses que je ne regrette pas d'avoir écrites, mon billet Genre Vénus, sur l'affaire Nabilla. Le site Bitcoin.fr a marqué le troisiÚme anniversaire de ce petit événement en posant la question : et si Nabilla avait raison ?

108 - La monnaie qui n'existait pas mais faisait trĂšs peur

April 1st 2021 at 07:00

La lecture du milliĂšme papier d'universitaire opportuniste, non-spĂ©cialiste venu dĂ©poser sa gerbe de tulipes au pied du monument funĂ©raire de Bitcoin (techniquement un « cĂ©notaphe » ) m'a fait souvenir d'une Ă©trange monnaie, qui n'exista jamais mais qui fichait quand mĂȘme une satanĂ©e trouille au « gouvernement lĂ©gitime ».

On est en 1814. Napoléon est à l'ßle d'Elbe. Non pas comme prisonnier, mais comme souverain, au termes du Traité dit de Fontainebleau, signé le 11 avril avec les puissances coalisées contre la France.

Or un souverain, normalement, ça a bien le droit de battre monnaie, non ? « C'est mĂȘme Ă  cela qu'on les reconnait » a-t-on envie d'ajouter en ce jour oĂč les plaisanteries sont (encore) autorisĂ©es.

Revenons à l'article, en l'occurrence celui d'un « enseignant chercheur » à l'Université de Pau, publié récemment sous le titre Le Bitcoin ou le vide symbolique.

Pour emballer un bric-à-brac de lieux communs auquel ne manque finalement que la tulipe, son auteur a pensé trouver un angle d'attaque pertinent avec la dimension symbolique et régalienne.

Mais tout le monde n'a pas le talent de Michel Aglietta et AndrĂ© Orleans, dont les thĂšses visant Ă  Ă©tablir la monnaie en gĂ©nĂ©ral (et il faut bien le dire l'euro en particulier, mĂȘme si c'est le pire exemple possible) comme « fait social total » ont quand mĂȘme une bonne vingtaine d'annĂ©es au compteur.

OĂč sont donc « les mythes, les lĂ©gendes, les effigies et les images partagĂ©es » qui assureraient Ă  l'euro, selon l'oracle de Pau, sa fonction de symbole de « l'inconscient d'une nation » ? Des fenĂȘtres borgnes et des ponts sans rives, voici le rĂȘve des fonctionnaires hors-sol qui nous ont dessinĂ© ce projet totalement et volontairement apolitique. De quelle Nation peut-on ici se prĂ©valoir sans rire ? L'invocation, aussi absurde, n'a ici d'autre but que de critiquer la dimension politique d'un Bitcoin, qui n'aurait pour lui qu'une « communautĂ© sans symbole » !

Vires in nomine ?

En 1814, Napoléon en trÚs mauvaise posture militaire se voit trahi par ses maréchaux, et destitué par le Sénat (des gens qu'il avait nommés...) avant qu'un « gouvernement provisoire » sorti d'une révolution de coulisses ne s'abouche avec les ennemis de la France et que tout ce joli monde ne « restaure » un roi de la famille de Bourbon, auquel manque singuliÚrement la légitimité si l'on compte pour peu celle que lui donnerait sa seule naissance. Le nouveau roi bat monnaie, à la forme, à la taille et à l'aloi de celle de celui que l'on ne désigne plus que comme « le précédent gouvernement » pour retenir les termes les moins violents.

Seulement le peuple, cet Ă©ternel gĂȘneur, ne reconnait point ces symboles « nouveaux » c'est Ă  dire vieillots, dĂ©suets, vidĂ©s de toute force.

Quant à l'effigie, ce gros homme est vite appelé « le roi cochon » renouant là-aussi avec l'Ancien Régime, puisque ce titre peu flatteur avait servi à son malheureux frÚre aßné.

Sur son Ăźle, NapolĂ©on joue au jardinier, sans doute moins comme un jardinier que comme un acteur. Il rumine. Parmi ses soucis, l'argent est bien prĂ©sent, mais surtout l'argent qu'il n'a pas. Le seul mĂ©tal dont il dispose, Ă  Portoferraio, comme le nom l'indique, c'est du fer. MĂȘme pas de quoi faire de la fausse monnaie !

Pourtant un bruit se répand : le « souverain de l'ßle d'Elbe » comme disent alors les diplomates aurait battu monnaie. Cette seule rumeur soulÚve l'enthousiasme des uns et répand la fureur chez les autres.

Peut-ĂȘtre ne s'agissait-il Ă  l'origine que d'une rĂ©action aux mĂ©dailles satiriques de Thomas Kettle qui circulĂšrent dans les fourgons de l'ennemi ramenant le roi qui plaisait aux Ă©lites. Il fallait montrer Buonaparte comme l'ami du diable (sulfureux) et bien dire que « ce n'est pas un vrai souverain ».

Bref « n'y touchez pas »...

Seulement on peut inventer tout ce qu'on voudra pour le tourner en ridicule, son seul nom ou sa seule effigie ont plus de poids que tout le reste.

Voici donc ce que redoute tant la police : il circulerait dans le bon pays de France, redevenu un sage royaume, une piÚce à l'insolente légende Napoleo imperator et rex, dominus Elbae, ubicumque felix.

« Heureux oĂč qu'il se trouve » est bien la devise adoptĂ©e par le souverain de l'Ăźle d'Elbe : est-ce une fanfaronnade, ou bien a-t-il caressĂ© quelques semaines, aprĂšs l'amertume et le break down de Fontainebleau, l'idĂ©e raisonnable de souffler un peu et de s'Ă©tablir noblement mais simplement, comme Cincinnatus jadis et Washington naguĂšre ?

Un rapport en date du 29 juillet 1814 adressĂ© au Roi par le comte Beugnot, directeur gĂ©nĂ©ral de la police explique la chose : « on prĂ©tend qu'il circule dans Paris des piĂšces de cinq francs frappĂ©s Ă  l'Ăźle d'Elbe, Ă  l'effigie de Bonaparte. C'est peut-ĂȘtre un faux bruit (...) je fais cependant rechercher ces piĂšces, pour tĂącher de savoir, en cas qu'il en existe, de quelle source elles proviennent ».

Sans plus de fondement, son bulletin du 5 août rapporte que selon la police de Nancy : « il circule dans diverses parties du département de la Meurthe de la monnaie de l'ile d'Elbe que l'on recherche et que l'on s'arrache : ce sont des piÚces de 5 francs » ; le 9 août il ajoute les rumeurs qui circulent à Bordeaux sur « sa nouvelle monnaie ». Notez bien que l'on s'arrache !

Le 24 août, on aurait vu la piÚce à Saumur. En tout cas on aurait ouï la rumeur et le comte Beugnot court toujours derriÚre elle : « J'ai cherché, mais sans succÚs à m'en procurer (...) Voici les faits que j'ai recueillis et qui me paraissent certains. Un chasseur qui avait suivi Napoléon a obtenu congé. En se rendant dans sa famille, il s'est détourné pour voir quelques amis de son corps, et lui a (dit-on) laissé plusieurs de ces piÚces. Un particulier de cette ville, parti de Toulon le 18 juillet, assure aussi avoir vu de ces piÚces en circulation dans cette ville et à Beaucaire ».

On n'arrive mĂȘme pas Ă  savoir si ce policier improvisĂ© (dont les compĂ©tences Ă©taient d'ailleurs plutĂŽt financiĂšres!) croit ou non Ă  ladite rumeur. Le 26 aoĂ»t il semble y accorder foi : « il parait certain que, sur la route de Paris Ă  Bordeaux, des militaires ont fait voir une piĂšce de quarante francs, prĂ©sentant d'un cĂŽtĂ© l'effigie de Bonaparte; de l'autre , un aigle, et pour lĂ©gende Guerre (sic) Ă  mon rĂ©veil. A Strasbourg, Ă  Belfort, des piĂšces d'or ou d'argent ont aussi Ă©tĂ© vues. Sur les unes on lit : Son rĂ©veil sera terrible ! Sur les autres : Elle se rĂ©veillera ! On pourrait en conclure qu'il y a quelques ateliers et quelques fabrications de cette monnaie sĂ©ditieuse : j'ordonne les plus exactes perquisitions pour s'en assurer ».

Plus il surveille la chose, plus on sent que c'est lui, son roi et son régime sans légitimité qui sont surveillés !

Napoléon te voit.jpeg, avr. 2021

Dans son bulletin du 4 septembre, Beugnot recopie l'alerte reçue du préfet du Gers : « On parle, dans ce département, de nouvelles piÚces de monnaie à l'effigie de Bonaparte; mais personne ne déclare en avoir vu. On ajoute qu'il en a été distribué aux militaires. Le préfet s'est aussitÎt concerté avec les chefs de corps, et des recherches ont été faites avec soin et n'ont jusqu'ici produit aucune découverte semblable. On serait tenté d'en conclure que c'est un faux bruit ».

Le 13 septembre, Beugnot qui vient d'expliquer au roi que ces monnaies n'existaient pas, se croit néanmoins obligé de citer le préfet de la Gironde : « On a parlé à Bordeaux comme ailleurs de la circulation d'une monnaie venant de l'ßle d'Elbe et qui ne serait rien moins qu'une sorte de menace et de provocation à l'Europe. Mais personne n'a encore vu ces monnaies. Ainsi il serait bien possible qu'il n'en existùt pas ». Mais le lendemain, c'est le préfet du Bas-Rhin qui est cité : « Le préfet annonce que, malgré les espérances qu'on lui avait données, il n'a pu parvenir à se procurer aucune des médailles qu'on disait fabriquées à l'ßle d'Elbe ; aussi doute-t-il aujourd'hui qu'il en existe. personne ne déclare en avoir vu».

Et c'est lĂ  enfin que ce fripon (encore prosternĂ© devant NapolĂ©on quelques semaines plus tĂŽt) en vient Ă  risquer aprĂšs 6 semaines de dĂ©lire paranoĂŻaque un dĂ©but de conclusion raisonnable : « Il semble en effet trop absurde de supposer que dans l'Ă©tat d'inquiĂ©tude oĂč ne peut manquer d'ĂȘtre Bonaparte, il ait la folie de provoquer l'Europe par une sorte d'affiche des projets qu'il nourrit peut-ĂȘtre mais qu'il n'oserait proclamer ».

Ben voilà. Le 1er mars 1815 Napoléon débarque, remonte à Paris sans tirer un coup de feu tandis que le « gouvernement légitime » se réfugie à Bruxelles (euh, non, pardon, c'était tentant: à Gand, donc). En Cent Jours, Napoléon qui n'a bien sûr jamais battu monnaie sur son rocher méditerranéen, eut le temps de reprendre la frappe d'un 5 francs identiques aux précédents.

Ce modĂšle inchangĂ© depuis des annĂ©es semblait dire qu'il ne s'Ă©tait rien passĂ©. Quelques rares exemplaires d'une piĂšce de 2 F, dues au ciseau du mĂȘme graveur en fonction depuis 1807, le sieur Pierre-Joseph Tiolier, furent Ă©mises, prenant en compte ce qui allait d'ailleurs quelque peu dĂ©cevoir les parisiens : le grand homme avait grossi et vieilli.

AprĂšs Waterloo, pourtant, il continuera d'effrayer, mĂȘme absent pour toujours. On continuera d'effacer rageusement les aigles, les abeilles, les lettres N.

Naturellement le roi revenu une seconde fois avec les Anglais (qui lui avaient fabriquĂ© quelques piĂšces Ă  Londres) remis son effigie sur de nouvelles piĂšces datĂ©es de 1815. Que l'on devait d'ailleurs au ciseau de Tiolier. A partir de 1816, on changea cette effigie pour une nouvelle, due Ă  Auguste-François Michaut. Avec un « buste nu » dont je ne sais s'il Ă©tait subliminal ou pathĂ©tique. Quant au monnaie battue Ă  Londres, plusieurs dĂ©putĂ©s et mĂȘme la Banque de France eurent les yeux qui leur piquaient. On lira leur histoire peu honorable pour « le gouvernement lĂ©gitime » dans une intĂ©ressante Ă©tude de la Revue Numismatique : il semble qu'on finit par s'en servir pour payer l'indemnitĂ© d'occupation Ă  ceux que le petit peuple appelait narquoisement « nos bons amis les ennemis ».

Bref il est toujours un peu dangereux, pour un gouvernement et ses thuriféraires, d'invoquer des principes creux, ou que les circonstances rendent difficiles à mettre en oeuvre.

Quant à la monnaie séditieuse qui n'a jamais existé que dans les espoirs des uns et les terreurs des autres, des ateliers commerciaux se sont ensuite empressés d'en produire quelques séries, plus ou moins réussies et moins prisées des numismates que des touristes qui visitent la jolie petite ßle toscane.

Sans doute Napoléon eût-il mieux fait d'y demeurer tranquille ; mais comme disait Kipling « ceci est une autre histoire ».

(merci Pamina pour le dessin et à Jo pour les précisions numismatiques ! )

109 - TĂȘtes de turcs

April 17th 2021 at 19:36

Ce billet « sang neuf » pourrait bien ne me faire que peu d'amis. Mais j'y songeais depuis trop longtemps. Et autant prĂ©venir, les tĂȘtes de turcs les plus remarquables ne sont pas sur le Bosphore, mĂȘme si les autoritĂ©s de ce pays viennent d'interdire Bitcoin pour les paiements, ce qui leur permettra ensuite de dire que Bitcoin ne sert que pour des transactions illicites...

On commencera par un peu d'histoire, pour amuser la galerie, et on finira par un bain de sang quand je daignerai en venir au sujet, dont le sort des crypto-entreprises qui ont eu le tort de penser un temps que l'on pouvait faire quelque chose dans un pays oĂč la fiscalitĂ© restait Ă©levĂ©e mais justifiĂ©e par l'excellence de la « rĂ©gulation » offerte par un État puissant et Ă©clairĂ©.

Une histoire triste, en fait.

On lit un peu tout sur l'origine de l'expression « tĂȘte de turc ».

TetesDeTurc.jpg, avr. 2021Ceux dont la mémoire ne remonte pas trop loin (déjà le 20Úme siÚcle parait si vieux !) la font naßtre au 19Úme, avec les dynamomÚtres de foire sur lesquels il fallait frapper le plus fort possible et qui représentaient un visage surmonté d'un turban ou d'un tarbouche.

J'y crois moyennement, parce qu'à vrai dire on retrouve beaucoup moins de turcs sur des dynamomÚtres que sur d'innombrables jeux dits de « passe-boule » comme celui qui orne ce billet, sans compter les décors de manÚges et d'attractions les plus diverses.

Mais mĂȘme en restant au dynamomĂštre, cela ne rĂ©sout pas l'Ă©nigme, car pourquoi un turc ? Parce qu'il fallait montrer qu'on Ă©tait « fort comme un turc » selon une expression attestĂ©e au 17Ăšme siĂšcle et qui serait peut-ĂȘtre nĂ©e d'une observation empirique des performances des diverses ethnies enchainĂ©es aux bancs des galĂšres. À moins qu'il ne s'agisse d'une apprĂ©ciation laudative de la « claque ottomane », coup mortel dont les janissaires savaient faire bon usage en utilisant la paume de leur main avec un Ă©lan d’épaule pour accentuer la vitesse et la force de la claque, coup toujours dĂ©signĂ© comme osmanli tokadi dans les bons manuels.

En remontant d'un siĂšcle, c'est en septembre 1565 que lors du fameux SiĂšge de Malte (Ăźle jadis considĂ©rĂ©e comme place forte inexpugnable et aujourd'hui apprĂ©ciĂ©e de plusieurs amis pour son caractĂšre crypto-friendly) les assaillants Turcs s'Ă©tant laissĂ©s aller (dit-on, car malgrĂ© mon grand Ăąge je n'y Ă©tais pas !) Ă  clouer les cadavres des dĂ©fenseurs d'un fort avancĂ© sur des croix et Ă  les envoyer dans la passe de Malte pour saper le moral des autres dĂ©fenseurs, le grand maĂźtre La Valette rĂ©pliqua en faisant bombarder les turcs avec des tĂȘtes de leurs compatriotes.

Encore un effort et l'on arrive enfin dans les derniĂšres annĂ©es du 11Ăšme siĂšcle. Je m'arrĂȘterai lĂ , c'est promis, au siĂšge que les CroisĂ©s emmenĂ©s par Godefroy de Bouillon mirent le 14 mai 1097 devant NicĂ©e.

La ville était majoritairement chrétienne mais occupée pour le compte du Sultan Kilidj Arslan, par une garnison turque qu'il finit par abandonner à son triste sort.

Alors, pour casser le moral de celle-ci, les CroisĂ©s envoyĂšrent Ă  l’aide de catapultes les tĂȘtes des soldats turcs morts au combat Ă  l’intĂ©rieur de la ville fortifiĂ©e. On voit que le procĂ©dĂ© s'adapte en fonction de la technologie.

La ville fut prise.

Il existe d'autres tĂȘtes de Turcs dans notre histoire : elles vont doucement me ramener Ă  la fĂącheuse actualitĂ© de la « Crypto Nation » française.

C'était du temps que le mot « turc » désignait, en Europe, à peu prÚs tous les musulmans du bassin méditerranéen et du Proche-Orient.

Il fallait bien traiter, Ă©changer, commercer avec ces InfidĂšles. La France depuis François Ier Ă©tait mĂȘme l'alliĂ©e des Ottomans. Mais sans Ă©cole des « Langues'O » - elle ne sera crĂ©Ă©e que sous Louis XIV - et sans Google Trad, Ă©changer avec le turcs n'Ă©tait point donnĂ© Ă  tout le monde. Les Ă©changes se faisaient dans la rĂ©alitĂ© entre des « Turcs de profession » et des « Turcs d'Ambassade ».

Un « Turc de profession » c'est un diplomate adroit et parlant la langue turque, mais c'est le plus souvent un homme plus ou moins français, plus ou moins marchand, plus ou moins fils de son prĂ©dĂ©cesseur et qui, pour vivre en paix et prospĂ©rer chez les InfidĂšles, s'est converti ou a fait semblant. En face de lui, un « Turc d'Ambassade » c'est un homme plus ou moins turc, arabe, armĂ©nien, juif ou grec, plus ou moins marchand et plus ou moins cousin des autres « Turcs » qui frĂ©quentent nos ambassades, imitent les mƓurs des roumis et parlent assez le français pour rappeler sans subtilitĂ© qu'ils ne sont pas mahomĂ©tans et qu'on peut donc leur faire confiance. Champagne et petits fours, Ă  dĂ©faut des Ferrero Roche d'Or...

Il en Ă©tait toujours ainsi du temps de NapolĂ©on et... jeune coopĂ©rant au Caire, au dĂ©but des annĂ©es 1980, je me souviens d'une rĂ©union oĂč sur une dizaine de participants, deux diplomates français, l'un des diplomates Ă©gyptiens et le reprĂ©sentant du journal Le Monde Ă©taient tous quatre d'origine maltaise.

Ce qui est essentiel ici c'est que tous ces gens vivent dans le mĂȘme monde, et qu'aujourd'hui les relations entre la Bitcoinie et la RĂ©publique sont ainsi faites. Juristes d'un cĂŽtĂ©, rĂ©gulateurs de l'autre ; rĂ©gulateurs qui s'en vont dans le privĂ© la semaine suivante, juristes et fiscalistes que la suppression de la rĂ©gulation ou un taux d'imposition plus modĂ©rĂ© mettraient dans la gĂȘne sinon au chĂŽmage. De prime abord, cela semble pouvoir faciliter les choses. Mais on juge un arbre Ă  ses fruits...

Les relations entre les bitcoineurs et les autorités ne sont pas systématiquement empreintes de l'hostilité qu'un lecteur de gazettes pourrait imaginer.

Il faut pourtant avouer que ce n'est pas chose facile. Ça tape dur et quand le bitcoineur n'est pas traitĂ© de « geek illuminé », de pauvre fou, de crĂ©tin inculte (si tant est que l'Ă©conomie soit une culture), d'escroc ou de financier du crime, il a de la chance. Mais reconnaissons-le, les trolls internets qui remplacent l'argumentation par l'invective sont aussi nombreux de notre cĂŽtĂ©. Prenez, par exemple, le dĂ©bat sur l'empreinte Ă©cologique du bitcoin : on peut penser que tel ou tel auteur se trompe, on n'est pas obligĂ© de traiter un professeur d'universitĂ© de « prĂ©tendu savant payĂ© par nos impĂŽts », ni un haut fonctionnaire d'Ă©narque sexagĂ©naire. Il vient un moment oĂč les attaques ad hominem s'apparentent au pire au jeu de la « tĂȘte de turc », au mieux Ă  celui du « massacre ».

J'ai toujours été attentif, par exemple lors des Repas du Coin qui (jadis!) réunissaient experts, curieux, sceptiques et personnalités venues du monde officiel à ce que rÚgne la courtoisie.

HĂ©las, mĂȘme courtoises, les relations ont Ă©tĂ© largement le fait de Bitcoineurs de profession et de Bitcoineurs d'ambassade ou disons d'une part de juristes, fiscalistes, lobbyistes et affairistes suffisamment frottĂ©s de la chose pour pouvoir en parler, souvent fort bien, sinon au milieu des vrais experts, du moins dans la bonne sociĂ©tĂ© des rencontres, groupes de travail, colloques et auditions...et d'autre part de jeunes haut-fonctionnaires ou de parlementaires suffisamment instruits pour ne pas confondre crypto et clepto, assez subtils pour se dĂ©marquer des usages officiels les plus repoussants pour leurs interlocuteurs, assez hardis pour se rendre Ă  la station F sans gousse d'ail. Le caractĂšre « dĂ©construit » de ce lieu emblĂ©matique cache mal, d'ailleurs, sa nature de joujou de milliardaire. Un lieu de prestige moins guindĂ© que le chĂąteau Yquem mais oĂč l'on peut aussi accueillir stars et ministres. Une simple mue du capitalisme de connivence...

Entre tout ce beau monde, d'audition en rencontre, on a construit un cadre rĂ©glementaire qui devait assurer Ă  la France une position non pas convenable, mais de premier plan, exceptionnelle, dans l'Ă©conomie qui Ă©mergeait Ă  partir de 2014. La France, comme on sait, n'est vraiment elle-mĂȘme que dans la grandeur...

J'ai commencĂ© Ă  avoir des doutes fin 2018. Toute l'agitation de la loi PACTE n'accouchait que d'un cadre rĂ©glementaire pour les ICO, aprĂšs la vague et avec un label AMF qui ne permettait mĂȘme pas aux heureux bĂ©nĂ©ficiaires d'obtenir, comme quelques dĂ©putĂ©s de la majoritĂ© l'avaient proposĂ©, un compte en banque Ă  la Caisse des DĂ©pĂŽts. La reculade d'octobre 2018, le porte-parole de la Caisse assurant que ses 6000 employĂ©s n'Ă©taient « pas Ă©quipĂ©s pour gĂ©rer ce type de compte » tandis qu'une autre dĂ©putĂ©e, issue du mĂȘme groupe que les auteurs de l’amendement n°2728, se chargeait de dĂ©biter les sottises d'usage est un cas d'Ă©cole. C'est ici.

Ce début d'année 2021 voit sans doute la coque de la « Blockchain Nation » définitivement atteinte si l'on en juge par le nombre de craquements :

CÎté institutions et pouvoirs publics

  1. L'entrĂ©e en vigueur de l'obligation pour les prestataires fournissant un service de conservation d'actifs numĂ©riques d'obtenir un statut officiel de « PSAN » qui rĂ©pond largement Ă  la question posĂ©e par Charlie Perreau dans le Journal du Net : comment la France a mis Ă  l'arrĂȘt ses start-up cryptos. L'article souligne l'une de nos failles fatales : l'incroyable arrogance des autoritĂ©s, que n'oseront pas incriminer publiquement les demandeurs du statut ni leurs intermĂ©diaires. Quand l'AMF rĂ©pond : « la plupart des dossiers prĂ©sentĂ©s aux autoritĂ©s sont incomplets, tant sur la forme que sur le fond. Sur la forme, la plupart des dossiers remis aux autoritĂ©s ne comportent pas toutes les piĂšces requises par la rĂ©glementation. Sur le fond, les Ă©lĂ©ments communiquĂ©s ou dispositifs du PSAN prĂ©sentent rĂ©guliĂšrement des lacunes » il ne vient Ă  l'idĂ©e de personne dans ce kakfaland que les torts sont au minimum partagĂ©s ?
  2. L'attitude de la FBF qui, aprÚs avoir participé à un groupe de travail réuni par l'ACPR (avec du bitcoineur de profession) trouve le moyen de se dégager de l'accord final. C'est ici avec en page 25 la liste des participants et en page 26 les protestations de ladite fédération.
  3. L'attitude de la Banque Postale, seule banque publique du classement publiĂ© par Bitcoin.fr quant Ă  l'attitude des banques vis Ă  vis des cryptos, qui en occupe dĂ©sormais l’avant-derniĂšre place. L'attitude grotesque de la CDC en octobre 2018 n'Ă©tait donc en rien liĂ©e aux pitoyables excuses mises alors en avant.
  4. Le décret n° 2021-387 du 2 avril 2021 relatif à la lutte contre l'anonymat des actifs virtuels et renforçant le dispositif national de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme (comme c'est engageant ! pourquoi ne l'ont-ils pas daté de la veille ? ) qui vient rajouter un supplément de sable dans des rouages déjà sérieusement bloqués.

CÎté business (si l'on peut dire)

  1. Fleuron de la modernitĂ© bancaire, la fameuse « Banque d'en face » dont les petites saynĂštes publicitaires moquent la navrante stupiditĂ© et l’absence de compĂ©tences crasses des conseillers de la banque Ă  la papa, trouve le moyen de clĂŽturer le compte d'une des derniĂšres entreprises françaises de vente de cryptoactifs alors mĂȘme qu'elle vient de rĂ©ussir Ă  obtenir le statut de PSAN. C'est ici avec un PS pour laisser entendre que grĂące Ă  un peu de barouf et Ă  l'intervention du dĂ©putĂ© Pierre Person, la SociĂ©tĂ© GĂ©nĂ©rale Ă©tudierait le dossier...
  2. La triste fin de Bitit, aprĂšs six ans d'activitĂ©. Depuis dĂ©cembre elle attendait son statut PSAN, et n'avait donc pas le droit d'accueillir de nouveaux clients. Fin de partie, aprĂšs avoir en 6 ans et avec 5 000 € de capital initial et moins de 215 000 € levĂ©s servi environ 500 000 clients de plus de 50 pays et traitĂ© plus de 230 millions de dollars de transactions... au moment mĂȘme oĂč l'introduction en bourse de Coinbase montre Ă  quel point la France a ratĂ© le coche et signĂ© pour une nouvelle forme de vassalitĂ© C'est ici.

Je crois que moi-mĂȘme, comme plusieurs amis, membres de notre association Le Cercle du Coin, entrepreneurs, blogueurs, auteurs, lobbyistes, juristes, nous aurons fait (le plus souvent bĂ©nĂ©volement, face Ă  des mamamouchis bien payĂ©s) tout ce qui Ă©tait possible. Les rencontres, les missions, les rapports n'ont pas servi Ă  grand chose. Les agrĂ©ments, les statuts, la rĂ©gulation ont nourri bien des gens mais pas les entreprises, et n'ont servi l'intĂ©rĂȘt de la France que dans l'idĂ©e que s'en font des fonctionnaires-rentiers-de-la-paperasse Ă  qui leur presse favorite fournit rĂ©guliĂšrement de bons arguments pour douter de l'innovation et du rabĂąchage des thĂ©ories d'Aglietta et OrlĂ©an sur la monnaie comme « fait social total » au pays merveilleux des principes rĂ©publicains. Je ne veux pas en faire des tĂȘtes de turcs, ni me rĂ©pĂ©ter : j'ai dĂ©jĂ  dit ce que j'en pensais dans mon billet prĂ©cĂ©dent.

J'ai tĂŽt manifestĂ© un rien de pessimisme (celui qui n'empĂȘche pas de continuer Ă  se battre). Mais je crois maintenant que c'est cause perdue. Comme d'autres (voir ici ce qu'en dit Philippe Honigman, avec le Radeau de la MĂ©duse original en illustration...) je crois que cela renvoie aux prĂ©cĂ©dents Ă©checs français, profondĂ©ment, sous l'Ă©piderme (dont l'ENA ou ce qui en tiendra lieu demain pourrait ĂȘtre le symbole), sous le derme, dans la viande et dans la moelle.

Il est clair enfin que les pouvoirs publics ont aujourd'hui d'autres prioritĂ©s, sur lesquelles ils s'estiment prodigieusement efficaces mĂȘme contre certaines Ă©vidences, mais c'est presque tant mieux pour nous.

110 - Manger la grenouille ?

April 24th 2021 at 11:10

Pour Anthony

Un ami qui, sans ĂȘtre une « baleine » crypto ni un « pigeon » Ă©bloui par les nouvelles technologies, me lit tout de mĂȘme Ă  l'occasion, a rĂ©agi Ă  l'image du passe-boule turc qui ornait mon prĂ©cĂ©dent article en me demandant comment on pourrait bien jouer avec un bitcoin au jeu trĂšs populaire dans sa Picardie et que l'on nomme « le jeu de la grenouille ».

Voyant dans cette question pratique un signe tangible de basculement de l'opinion (enfin des questions concrÚtes, appelant des réponses ELI5 comme dirait un autre ami, militaire celui-là) je me suis mis immédiatement à penser à la grenouille.

Il semble que le jeu de la grenouille soit né dans les guinguettes parisiennes avant la révolution. Il se serait ensuite répandu notamment dans le Nord (mon ami est chti donc il dit que c'est un jeu picard) et un peu partout dans le monde, dans sa forme originale, ou sous la forme de « jeu du tonneau » qui est un bricolage pour ceux qui ne disposent pas du matériel canonique.

Au fond c'est une variante sophistiquĂ©e du jeu de « passe boule » (dont le nom doit dater d'une pĂ©riode oĂč le mot boule n'avait point dĂ©viĂ© vers d'autres jeux) car l'idĂ©e de base reste de viser avec adresse pour faire passer la chose, boule, palet ou parfois piĂšce de monnaie. Une tĂȘte de turc ou de clown fait l'affaire, mais n'importe quelle gueule ouverte aussi.

La question importante c'est « pourquoi une grenouille ? »

La réponse est évidemment à chercher du cÎté de l'expression « manger la grenouille » dont ma grand mÚre usait encore pour dire que quelqu'un mangeait ses économies ou qu'un commerçant travaillait à perte. Le lecteur note que j'oblique lentement mais surement vers les questions d'argent : c'est ma vraie nature ...

Il faut donc lĂ  aussi revenir un peu avant la RĂ©volution. Avant d'opter pour la forme cochon (cf. mon sous-entendu graveleux prĂ©cĂ©dent) les tire-lires avaient la forme de ces petits batraciens, qui, telles vos Ă©conomies, prĂ©fĂšrent se cacher, mais auxquels vous ne pouvez vous empĂȘchez de songer la nuit en les entendant coasser dans vos rĂȘves...

On introduisait la piÚce destinée à la thésaurisation par la bouche, ici à peine entrouverte, car l'épargne n'est pas un jeu d'adresse. On trouve des modÚles en fonte, en barbotine ou en porcelaine. La piÚce se glisse parfois dans le dos de l'animal, qui n'apparait à l'occasion qu'à titre de décor sur des tire-lires aux formes les plus diverses.

Que peut bien Ă©voquer la grenouille de ces tire-lires ?

La grenouille est prĂ©sente dans de nombreuses traditions, gĂ©nĂ©ralement associĂ©e Ă  l’élĂ©ment liquide. Son cycle naturel offre aussi une dimension symbolique liĂ©e aux changements d'Ă©tats, aux transformations, mais aussi au caractĂšre transitoire des choses et de la vie. Toutes choses que (nos ancĂȘtres y pensaient-ils ?) l'on retrouve autour de la notion d'Ă©quivalent gĂ©nĂ©ral du cash.

Mais la capacité du petit amphibien à passer de l'élément terrestre à l'élément liquide me parait également riche d'enseignements et je laisse chacun y songer en pensant à son petit pécule.

Si le mot tire-lire semble attestĂ© dĂšs le moyen-Ăąge, la chose, sous une forme ou sous une autre, existait du temps des romains mais aussi en Chine, oĂč du temps des Song on l'appelait « pĆ«mǎn », mot chinois s'Ă©crivant æ‰‘æ»Ą et signifiant littĂ©ralement « frapper-plein » ce qui suggĂšre un fonctionnement universel : on remplit la chose progressivement, et quand elle est pleine, on la casse. Ce qui permet de comprendre l'arrivĂ©e du cochon, qui bouffe un peu de tout (l'argent n'ayant point d'odeur) et que l'on engraisse ainsi jusqu'au moment oĂč on le bouffe lui-mĂȘme.

Et Bitcoin : to the moon ou to the pond ?

La logique rituellement invoquĂ©e dans la communautĂ© Ă  l'aide du hashtag #StackSats (voir ici un intĂ©ressant fil de discussion sur sa difficile traduction en langue française) est un peu diffĂ©rente de la tire-lire Ă  bouche de grenouille dans sa version ancestrale. Jadis, quand on incitait les petits enfants Ă  Ă©pargner, la valeur de la piĂšce de monnaie n'Ă©tait pas censĂ©e fondre. Les enfants nĂ©s Ă  partir de la grande guerre ont trouvĂ© leurs grenouilles dĂ©cevantes ! En revanche ceux qui auraient reçu leur argent de poche en bitcoin au commencement de la premiĂšre dĂ©cennie de notre siĂšcle pourraient trouver la grenouille devenue enfin aussi grosse que le bƓuf.

La vraie question reste donc, encore plus que du temps jadis, de savoir quand il convient de manger la grenouille ou de casser la tire-lire.

Bien sĂ»r le solutionniste qui sommeille en chaque geek bondit ici en assurant que Bitcoin offre le moyen miraculeux de s'offrir les fameuses « jouissances de Sardanapale » dont parle le Philosophe, sans pour autant avoir Ă  passer le batracien Ă  la poĂȘle avec la dose d'ail prĂ©vue. La « collatĂ©ralisation » apparait dans bien des conversations comme la recette miracle : je mets en dĂ©pĂŽt ma grenouille pleine de bitcoins, on me prĂȘte 80% de sa valeur en euros, et quand je rembourse, on me rend intacte ma grenouille qui, suivant gentiment la courbe de rĂ©gression logarithmique vaut bien plus qu'au dĂ©but de l'opĂ©ration. J'ai joui, je n'ai rien perdu, miracle.

Sauf bien Ă©videmment que si Bitcoin a baissĂ©, fĂ»t-ce quelques heures, le prĂȘteur (qu'il s'agisse d'un prĂȘt sur gage ou d'un crĂ©dit lombard...) aura fait un appel de marge, ou liquidĂ© une part de votre cagnotte : la grenouille pourrait donc ĂȘtre rendue sans cuisses, voire en bouillie. Parce que l'Ă©quilibre final de l'opĂ©ration magique tient sur la hausse du collatĂ©ral, bref de Bitcoin. Et c'est quand mĂȘme un peu ce qui s'est passĂ© jadis avec les petites maisons dans la prairies amĂ©ricaines, dont la valeur devait monter, monter, monter...

On voit bien que les Pythies bancaires n'osent plus trop entonner l'air des N'y touchez pas. Ceux qui auraient « un peu de lettres et d'esprit » devraient-ils ici citer le roi des rabats-joie ? Bitcoin est-il la « chĂ©tive pĂ©core » et ses adeptes de sales petits batraciens coassants ? Je ne le crois pas et Ă  tout prendre c'est plutĂŽt le systĂšme lĂ©gal qui ressemble au bƓuf anabolisĂ©. Mais il y a les risques Ă  prendre et ceux Ă  Ă©viter. Transformer ses Ă©conomies quand elles sont situĂ©es dans une autre dimension de l'espace impose sans doute un sacrifice. Manger la grenouille reste effectivement la grande question.

J'arrĂȘte ici avec ma morale d'Ă©pargnant old school, parce que je sens bien que je vais me faire traiter de vieux crapaud, voire pire. Il n'est pas facile Ă  tenir, le rĂŽle de Tonton Crypto !

D'ailleurs un de mes amis a dit un jour plaisamment que je savais « tout ; sauf les sciences naturelles ».

Je n'ai donc pas les moyens d'apporter ici des réponses, mais seulement de suggérer quelques questions. Celles que soulÚve ma fable animaliÚre rejoignent d'ailleurs celles qui avaient été tracées dans un billet platonisant, intitulé « céleste monnaie? » et inspiré par la lecture d'un livre de Mark Alizart, philosophe bitcoin-hétérodoxe.

Si l'on poursuit l'hypothÚse que, vivant à la charniÚre de deux milieux, Bitcoin serait une sorte d'amphibien, née sous forme de larve informatique, et progressivement mais partiellement seulement acclimatée dans le monde organique, alors :

  • serait-il un animal Ă  sang froid ? de ceux qui doivent passer la saison d'hiver (et les pĂ©riodes trop chaudes !) en vie ralentie, dans un terrier, dans la boue ou sous un caillou ? ou dans une caverne ?
  • aurait-il non pas deux mais trois respirations ?
  • connaitrait-il des pĂ©riodes de mue? La cryptomonnaie serait alors moins une sorte de grenouille qu'une sorte de salamandre. Flippening or not flippening that is the creepy question...
  • possĂšderait-t-il des glandes Ă  venin ?

Cette derniĂšre question m'amuse beaucoup.

111 - Napoléon et « nous »

May 9th 2021 at 10:41

Je ne vais pas aborder ici le napolĂ©on (petit n) qui reste encore aujourd'hui un honnĂȘte refuge contre l'inflation pour bourgeois boomers, mais un peu l'autre legs financier de NapolĂ©on Bonaparte, la Banque de France, et un peu aussi l'incapacitĂ© de penser par manque de toute « culture » historique qui caractĂ©rise tragiquement tout ce qui aujourd'hui « fait l'opinion ».

Pour qui a bĂ©nĂ©ficiĂ© d'une formation historique un tant soit peu sĂ©rieuse, l'Ă©pisode napolĂ©onien que nous venons de traverser a Ă©tĂ© Ă©prouvant mais instructif. J'ai dĂ©jĂ  dĂ©noncĂ© dans un billet consacrĂ© aux histoires des Ă©conomistes les impostures d'une profession qui se croit habilitĂ©e Ă  nous raconter, Ă  travers l'histoire, ce que nous sommes, ce que nous devons ĂȘtre, ce qui a toujours Ă©tĂ© et doit continuer d'ĂȘtre.

Que dire quand s'y mettent aussi des politiciens formĂ©s aux fiches de culture gĂ©nĂ©rale de leur prĂ©pa Ă  l'ENA, des Ă©ditorialistes ivres de parlote, des blogueurs recopiant de fausses citations trouvĂ©es en ligne et des copains informĂ©s par les controverses elles-mĂȘmes plus que par des lectures universitaires ?

Au-delĂ  de toute opinion (ou information) personnelle sur un homme qui, parce qu'il Ă©tait un ĂȘtre d'exception placĂ© dans des conditions exceptionnelles il y a 200 ans, ne peut par dĂ©finition pas nous enseigner quoi faire ou quoi penser au jour le jour, j'avoue m'ĂȘtre souvent amusĂ© de voir combien ce qui se disait de lui parlait en rĂ©alitĂ© de nous : de notre rĂ©publique qui serait miraculeusement Ă©trangĂšre Ă  toutes les vilenies de jadis, de notre pays oĂč des gouvernants bien moins exceptionnels qu'ils ne le croient continuent de justifier par notre histoire le plaisir qu'ils prennent Ă  coucher dans son lit.

RĂ©vĂ©lateurs du faible niveau d'information historique autant que de cette confusion des plans, deux procĂ©dĂ©s rhĂ©toriques doivent ĂȘtre mĂ©ditĂ©s, voire appliquĂ©s entre nous Ă  l'histoire de la monnaie :

  1. « et ça a durĂ© jusqu’en
 ».
  2. « on ne nous l’a jamais dit, mais ».

Le scandale de la durée

Bonaparte a rĂ©tabli l'esclavage et je ne dirai rien de ce scandale qui a quand mĂȘme « durĂ© jusqu’en 1848 ». D'autres choix, moins rĂ©voltants, ont pesĂ© plus longtemps encore. Ainsi le mĂȘme homme a dans la pratique supprimĂ© la libertĂ© de divorce par consentement instaurĂ© par la RĂ©publique. On peut pinailler Ă  la marge, mais quand on dit que ce scandale « a durĂ© jusqu’en 1975 » ne voit-on pas ce que cela signifie : que huit rĂ©gimes successifs (dont trois rĂ©publiques) ont vĂ©cu avec, alors que ni le despotisme napolĂ©onien, ni son machisme mĂ©diterranĂ©en, ni le prestige de ses victoires ne pesaient plus sur les dĂ©cisions des petits hommes qui lui avaient succĂ©dĂ©. De mĂȘme si les dames ne votaient point Ă  la Belle Époque, ce n'est pas la faute Ă  NapolĂ©on.

Est-ce qu'incriminer Napoléon du malheur des femmes (et des couples) durant 175 ans n'est pas une façon paresseuse et complaisante de ne rien dire de notre façon de nous (laisser) gouverner ?

Que Napoléon ait exercé en son temps une forme de dictature ne nous exonÚre pas, pour le dire plus crument, de nos dégoutantes et persistantes servitudes volontaires.

Le scandale du secret

Certes l'histoire progresse comme savoir accumulé et elle épouse pour cela le cours sinueux des problématiques propres à chaque époque. La polémique aussi, qui prétend juger l'histoire depuis une sorte d'Olympe morale, évolue et mute avec le temps :  bien peu de gens reprochaient à Napoléon le rétablissement de l'esclavage il y a 200 ans, et c'est un progrÚs de le faire, mais nul ne semble plus lui reprocher en 2021 l'enlÚvement et l'exécution du duc d'Enghien alors que cela a traumatisé une partie de l'opinion et rempli des pages et des pages de critique dans toute l'Europe jadis.

Mais qu'un fait soit mis en exergue ou au contraire placĂ© sous le boisseau, il reste quand mĂȘme assez peu de secrets sur cet homme-lĂ , sauf ceux que l'on invente pour faire vendre ou pour faire frĂ©mir. On s'Ă©tonnera donc de voir un homme que par ailleurs j'estime plutĂŽt, comme Daniel Schneidermann, Ă©crire sur son blog de pareilles bĂȘtises :

Des pans entiers de l'histoire napoléonienne sont encore en quasi-friche. Ainsi de cet autre "grand monument" des années du Consulat : la Banque de France. En voilà, une création magnifique, indispensable instrument de la souveraineté monétaire, qui a survécu aux siÚcles ! Mais qui sait que l'institution, créée en 1800, est à l'origine une banque privée, dont Bonaparte et sa famille (sa mÚre Letizia, sa femme Joséphine, son frÚre JérÎme, etc) étaient les principaux actionnaires, et qui semble avoir été un investissement trÚs fructueux ?

Franchement, s'il l'ignorait, j'ai un peu de peine pour lui. Il aurait pu lire un des nombreux ouvrages consacrés à Napoléon et à l'argent (l'édition du Napoléon de Jean Tulard donne de nombreuses références utiles).

Lui-mĂȘme cite un rĂ©sumĂ© de la question, publiĂ© il y a... 6 ans sur le fort libĂ©ral site Contrepoints et qui mentionne la chose.

Si jamais la chose fut secrĂšte, elle ne l'est plus depuis les sorties fracassantes de Daladier en 1934 sur les 200 familles. Il est vrai que parler des « 200 familles » vous ferait tout de suite ranger dans la rubrique populisme voire complotisme. La presse, comme on sait, est en France aussi indĂ©pendante des intĂ©rĂȘts Ă©conomiques que tout le reste : il y a donc les controverses qui lui vont et celles qu'elle contourne.

Oui, la Banque de France est née comme une banque privée, mais que peut-on en dire aujourd'hui ?

Les autres banques centrales qui pouvaient servir de modĂšle, celle de SuĂšde ou celle d'Angleterre, Ă©taient nĂ©es privĂ©es elles-aussi ! Et « ça a durĂ© jusqu’en » 1936 en France, Ă  une Ă©poque oĂč l'autoritarisme napolĂ©onien avait quelque peu faibli.

Abeilles sur le manteau ou pas, aigles sur les drapeaux ou pas, les Banquiers Centraux ont-ils jamais Ă©tĂ© autre chose que les rĂ©gulateurs, et parfois les parrains, d'intĂ©rĂȘts privĂ©s ? C'est donc toujours avec un petit hoquet que j'entends dĂ©noncer Bitcoin comme « monnaie privĂ©e ».

La BCE d'aujourd'hui est bien plus indĂ©pendante des pouvoirs politiques que ne l'Ă©taient les rĂ©gents de la Banque de France, l'empereur lui-mĂȘme et sa famille n'en ayant jamais Ă©tĂ©s actionnaires majoritaires, mais, actionnariat privĂ© ou pas, est-elle plus indĂ©pendante des intĂ©rĂȘts privĂ©s ? L'indĂ©pendance des banques centrales, qui est un pur dogme religieux, ne s'entend pas forcĂ©ment de tous les pouvoirs et n'assure en rien leur dĂ©vouement au bien commun.

Et que dire de la FED, quand la plus puissante des 12 banques centrales régionales, celle de New York, est détenue en majorité par Citigroup (42,8 %) et JP Morgan (29,5 %) ?

Pas une parlote sur la monnaie qui ne rappelle sa dimension presque mystique, souveraine, rĂ©galienne... un peu de in God we trust par-ci, un peu de pacte rĂ©publicain par-lĂ . On rappelle bien moins souvent qu'il ne s'agit parfois que d'un vernis, mĂȘme si Morgan elle-mĂȘme a jadis battu monnaie. Si la BoE est entiĂšrement dĂ©tenue par le TrĂ©sor, le capital de la BNS est largement privĂ©.

Quand Barak Obama écrit « inutile de se dissimuler l'évidence : les premiers responsables des malheurs économiques du pays sont restés fabuleusement riches » et ajoute qu'il ne pouvait rien faire parce que les banquiers tenaient l'économie en otage et s'étaient munis de ceinture d'explosifs ; quand on voit qui, chez nous, rédige les rapports sur la réforme des banques, et comment se fait la circulation des dirigeants entre banques privées, banques centrales et organes gouvernementaux... est-il bien raisonnable de chercher des poux dans les lauriers de Napoléon ?

Et donc...

Un jour ou l'autre je parlerai de la façon dont le créateur de la Banque de France fabriquait (aussi) de la vraie fausse monnaie, par millions. Mais pour le moment, l'enseignement le plus réjouissant de tout cela, c'est que la perméabilité des banques centrales (en commençant la FED) aux desiderata des banques commerciales ne joue pas forcément... contre Bitcoin.

Normalement un article sur l'empereur commence par une fausse citation, venant au mieux de Balzac, au pire de libelles royalistes, et parfois de romans américains. Je vais inverser le procédé et finir par une citation connue (mais fausse, bien sûr) sourcée en page 48 du célÚbre Manuscrit venu de Sainte-HélÚne.

Satoshi demandant à Napoléon ce qu'il pensait de la preuve de travail, celui-ci la déclara bien plus crédible que toutes les alternatives, car il n'y a dans la force ni erreur , ni illusion ; c'est le vrai mis à nu.

54Ăšme Repas, dans le parc de Vincennes

October 4th 2021 at 09:52

C’est lĂ  oĂč s’était tenu le dernier que, symboliquement, a Ă©tĂ© tenu le 15 septembre 2021 soit 19 mois plus tard ce premier repas de l’ùre Covid.

Vraie et grande joie de retrouver, autour des 3 « co-fondateurs » plus de 40 amis : anars, pas anars, dĂ©veloppeurs, traders, chercheurs, un artiste cĂ©lĂšbre dans la communautĂ©, ou un militaire fĂ©ru de blockchain
 des gens venus de Paris, Bordeaux, Nantes, Strasbourg et NeuchĂątel. Bien sĂ»r ce fut fort arrosĂ© (Ă  l’eau de pluie autant qu’à la tisane de houblon ou au jus de treille). Et comme toujours, des nouveaux venus, certains tout juste adhĂ©rents au Cercle du Coin qui se sont joints aux « piliers » de ces repas et ont exprimĂ© le plaisir qu’ils avaient pris Ă  cette rencontre originale.

Les conversations ont Ă©videmment portĂ© sur le temps qui a passĂ©, mais aussi sur l’actualitĂ© marquĂ©e par tant de polĂ©miques autour des libertĂ©s publiques, et de maniĂšre plus spĂ©cifique sur l’actualitĂ© de la crypto: bilan de l’évĂ©nement Surfin Bitcoin , soubresauts marquĂ©s de certains jetons, actualitĂ© douteuse autour de certains stablecoins avec notamment l’ombre inquiĂ©tante d’un dĂ©faut du promoteur immobilier chinois Evergrande dans lequel l’un de ces coins dits stables serait inconsidĂ©rĂ©ment exposĂ©. On a parlĂ© NFT, bien sĂ»r.

Les plus acharnĂ©s ont, selon l’usage, poursuivi au Sof’s bar, tandis que l’ami Lionel, dans son train de retour, tirait l’enseignement des rencontres de Biarritz et Vincennes en postant un intĂ©ressant article sur Les divisions idĂ©ologiques de la RĂ©volution Bitcoin.

Cet article 54Ăšme Repas, dans le parc de Vincennes est issue du site Le Coin Coin.

112 - Salvador, « to the moon »?

July 25th 2021 at 10:00

(pour Emmanuel)

Bitcoin est-il un objet religieux ?

Telle Ă©tait la question qui m'Ă©tait posĂ©e dans le rĂ©cent podcast que j'ai enregistrĂ© avec mon ami Emmanuel dans Parlons Bitcoin. On le trouvera en ligne en deux Ă©pisodes (* liens en bas de billet) et je ne vais pas le reprendre intĂ©gralement ici, mais seulement citer une ou deux idĂ©es, aprĂšs avoir rĂ©vĂ©lĂ© ce qui m'est venu Ă  l'esprit depuis. Car oui  l'esprit souffle oĂč il veut (Jean 8, 8) mais chez moi surtout quand il veut c'est Ă  dire souvent... aprĂšs-coup.

Or donc, voici ce que j'ai trouvé en ligne : une image qui m'a paru véritablement prodigieuse.

Pourquoi cette image si simple m'a-t-elle interpelé ?

Parce que le minuscule point orange, dont on ne distingue pas mĂȘme la couleur, mais seulement l'Ă©clat dans la nuit, m'a fait instantanĂ©ment songer Ă  la prophĂ©tie poĂ©tique du 9Ăšme chapitre du livre d'IsaĂŻe :

Le peuple qui marchait dans les tĂ©nĂšbres a vu se lever une grande lumiĂšre ; et sur les habitants du pays de l’ombre, une lumiĂšre a resplendi.

L'ensemble de ce poÚme biblique célÚbre la fin de Babylone, figure de l'oppression, et la naissance d'un prince libérateur. Il ressemble à un chant de couronnement royal, dans la ligne du Psaume 2, mais aussi d'une importante littérature pharaonique, ce qui ne saurait me laisser indifférent. Pour les chrétiens, dont l'iconographie préfÚre d'ailleurs une petite lumiÚre, comme celle de la crÚche, il a clairement été interprété comme l'annonce du Sauveur.

Et c'est Ă  ce point prĂ©cis que l'arc s'est formĂ© dans mon esprit : le Sauveur, Salvador : il est prophĂ©tique que ce petit pays, gĂ©nĂ©ralement peu exposĂ© Ă  l'attention de la foule, soit le premier Ă  tenter (non sans mal) d'adopter Bitcoin. DĂ©cidĂ©ment, oui, on a affaire Ă  quelque chose de religieux, peut-ĂȘtre de mystique.

J'ai repensé alors à certaines choses que j'avais dites lors de cette conversation enregistrée avec cet ami qui, signe du Ciel ou non, s'appelle... Emmanuel !

Nous avions parlé d'abord de ce qui donne à la révélation de Bitcoin un aspect religieux (rites, vocabulaire, mantras, traditions) voire sectaire. Mon ami Yorick de Mombynes s'était déjà exprimé sur cet aspect (**).

Mais il y a au-delĂ , lui disais-je, des choses plus profondes qui font qu'il est effectivement de nature religieuse. Et je distinguais ce qui fait que Bitcoin intĂšgre une dimension affective forte, et ce qui fait de lui un ferment de renaissance, l'annonce d'un monde nouveau.

Bitcoin emmĂšne to the moon, il rend heureux.

Quand bien mĂȘme ce serait une monnaie inutile dans le temps prĂ©sent, comme les officiels tentent pĂ©niblement de nous en convaincre, elle est peut-ĂȘtre utile aprĂšs les royaumes de ce monde, ou sur Mars ?

Or l'expression latine Salvator Mundi dĂ©signe une reprĂ©sentation iconographique prĂ©cise du Christ, celle oĂč il tient dans sa main l'orbe, ce globe surmontĂ© d'une croix qui figure non pas la terre mais la voĂ»te cĂ©leste. La fameuse expression urbi et orbi que l'on traduit par  à la Ville et au Monde  devrait plutĂŽt me semble-t-il ĂȘtre traduite par  à la CitĂ© terrestre et Ă  l'Univers .

L'un des monuments emblématiques de la capitale du Salvador est la statue du Divino Salvador del Mundo dont la photographie les nuits de pleine lune révÚle le sens cosmique. Le Sauveur, pieds en terre pointe alors to the moon, faisant ainsi le lien avec la sphÚre céleste et l'au-delà.

To the moon semble de prime abord un slogan technologique, le cri que l'on peut prĂȘter au professeur Tournesol comme aux Richard Branson, Jeff Bezos et Elon Musk du jour. Mais comme je l'ai dĂ©jĂ  notĂ© dans un billet consacrĂ© Ă  l'Immortel, l'irruption de la cryptographie, de ses monnaies et de ses Ă©changes dĂ©centralisĂ©s s'inscrit autant dans cet impetus technologique un peu promĂ©thĂ©en que dans un bouillonnement moral, politique et parfois religieux qu'il est plus difficile de cerner.

Il y a aussi une dimension de Renaissance dans Bitcoin.

Cette dimension pourrait conduire à l'inscrire entiÚrement dans le courant qui va depuis l'Humanisme renaissant jusqu'aux LumiÚres, puis à la Révolution et à une modernité fondamentalement a-religieuse. C'est évident et je ne nie pas que de nombreux bitcoineurs soient comme le célÚbre Laplace qui, interrogé sur la place de Dieu dans son systÚme, assurait ne pas avoir besoin de cette hypothÚse . Mais ceci ne contredit pas l'existence d'une autre sensibilité et surtout d'une autre grille de lecture.

To the moon Ă©voque pour moi la phrase de Michel-Ange, prĂ©venant que Il piĂč grande pericolo per noi non Ăš che miriamo troppo in alto e non riusciamo a raggiungere il nostro obiettivo ma che miriamo troppo in basso e lo raggiungiamo . Le plus grand danger pour nous n’est pas que notre but soit trop Ă©levĂ© et que nous le manquions, mais qu’il soit trop bas et que nous l’atteignons. Je ne cite Ă©videmment pas Michel-Ange (si cette phrase est bien de lui !) par hasard, et je ne pense pas non plus que ce soit par le seul hasard de la dĂ©couverte d'un livre dans les dĂ©barras d'une ancienne fonderie d'or que l'artiste Pascal Boyart ait eu la rĂ©vĂ©lation de ce qu'il devait y peindre.

Que dit sa Sixtine, joliment baptisée « des bas-fonds » ? Qu'il y a un Jugement au moment de la fin d'un monde. Il suffit d'admirer les détails par lesquels - toujours avec tact et respect - il renouvÚle, subvertit et actualise l'oeuvre originale pour voir ce qui est jugé et condamné.

Le Jugement n'est pas l'expression d'une opinion (la fameuse intime conviction des Assises) c'est le tri de ce que l'on peut nommer le bien et le mal, le tri de ce qui est vrai et de ce qui est faux. L'artiste a donnĂ© au  charlatan  un visage qui Ă©voque furieusement un chef d'État considĂ©rĂ© comme le plus menteur de son temps, inventeur d'une forme de monnaie dont le rapport Ă  la vĂ©ritĂ© reste toujours problĂ©matique. Monnaie que sa prĂ©cĂ©dente fresque, consacrĂ©e au dĂ©sastre de la MĂ©duse, Ă©voquait dĂ©jĂ  crument.


Il y a un monde nouveau.

Le Christ dĂ©voilĂ© le 1er novembre 1541 Ă©tait beau comme un dieu mais fort comme un lutteur. L'ensemble de l'Ɠuvre scandalisa les uns (n'aurait-elle pas sa place dans un bordel mieux que dans une Ă©glise ?) et apparut Ă  d'autres comme ce que l'historien contemporain Paul Ardenne appelle  une machine de guerre contre la tiĂ©deur de la foi .

Avec ses corps majoritairement masculins et intégralement dénudés, auxquels Pascal Boyart a d'ailleurs restitué leurs attributs virils d'origine, la fresque de Michel-Ange marquait un retour platonicien : beauté, force et bonté comme reflets du vrai. Or qu'il le sache ou non, le bitcoineur est platonicien, et en tout cas il est fatigué de la pénible scolastique  aristotélicienne sur la monnaie et ses fonctions que lui infligent les banquiers et leurs économistes.

La prophĂ©tie d'IsaĂŻe, que l'image du Salvador brillant dans la nuit m'a remise Ă  l'esprit, dĂ©crit par ailleurs ce qu'est une force de libĂ©ration. C'est ce qu'Ă©nonce son verset 4 : le joug qui pesait sur lui, le bĂąton qui frappait son dos, la verge de celui qui l'opprimait, Tu les brises . Bitcoin est lui-aussi annoncĂ© comme un facteur de libĂ©ration et mĂȘme de salut par ses adeptes.

C'est pour moi - et je crois que c'est un point essentiel - cette dimension dite sotériologique et non pas sa prétendue complexité qui rend Bitcoin incompréhensible à ceux qui pensent que  c'est une folie complÚte, ce truc .

Car Bitcoin est comme un scandale pour les grands-prĂȘtres bancaires et une folie pour les philosophes de la monnaie lĂ©gale (voyez 1 Corinthiens 1:23). Et la bronca contre le petit Salvador de tous les patrons de la Banque Mondiale ou du FMI qui tonnent, menacent ou insinuent, n'est-ce pas ce qu'on trouve dans le Psaume 2 : Pourquoi les rois de la terre se soulĂšvent-ils ?

Je songeais à tout cela quand j'ai vu le président Bukele expliquer sa loi lors d'une longue présentation à la télévision nationale (***). Séquence plutÎt impressionnante. Et devant qui s'exprime-t-il ? Devant le portrait de Monseigneur Romero, récemment canonisé. Pourquoi ? je vous le demande ...

Il faut toutefois se montrer trĂšs prudent. Comme je le disais vers la fin du podcast, quand on a dit que Bitcoin intĂ©grait une dimension religieuse, on n'a pas encore dit quel pouvait bien ĂȘtre son dieu. DĂ©miurgique et promĂ©thĂ©en dans son ambition initiale, Bitcoin est guettĂ© par des dangers eux-aussi religieux : l'adoration du Veau d'or, bien sĂ»r, mais aussi le pacte constantinien. Comme au dĂ©but du quatriĂšme siĂšcle, quand le christianisme, longtemps combattu par l'empire, en devient la religion officielle.

L'aventure au Salvador n'est pas sans péril, pour tout le monde. Autant prévenir, urbi et orbi.

Podcasts et vidéos

(*) Mon podcast avec Emmanuel a été diffusé en deux épisodes, le premier pour passer en revue ce qui donne à Bitcoin une allure religieuse, le second pour chercher ce qui dans Bitcoin a une réelle dimension religieuse.
(**) L'interview de Yorick sur la dimension religieuse de Bitcoin.
(***) Le discours du président du Salvador.
(****) Je cite in fine pour ne pas interrompre la lecture, mais ce film mérite vraiment l'attention :

113 - La rengaine

August 27th 2021 at 09:45

Article de ALL.jpg, aoĂ»t 2021La tribune publiĂ©e par Monsieur AndrĂ© LĂ©vy-Lang dans les Échos le 26 aoĂ»t ne se distingue, hĂ©las, que par l'Ă©minente qualitĂ© de son rĂ©dacteur. Pour le reste, du poncif de Ponzi Ă  la responsabilitĂ© environnementale de Bitcoin, c'est un navrant pot-pourri de ce que n'importe qui de mal informĂ© pourrait Ă©crire.

C'est je crois ce décalage, plus que la réfutation des  arguments  qui devrait nous occuper, aprÚs lecture de ladite tribune.

Commençons par dire que Monsieur Levy-Lang, qui a prĂ©sidĂ© Ă  partir de 1990 la Banque Paribas dans laquelle j'Ă©tais un modeste cadre jusqu'en 1989, est un homme trĂšs respectĂ© et gĂ©nĂ©ralement apprĂ©ciĂ© de ses collaborateurs pour les confidences que j'en ai recueillies. J'ai eu l'honneur d'ĂȘtre assis Ă  sa droite, un jour qu'il dirigeait, comme prĂ©sident du Conseil du Directoire, l'AssemblĂ©e GĂ©nĂ©rale de la Compagnie Bancaire, et oĂč je dĂ©tenais le bulletin de vote de Paribas (48%) parce qu'aucun de nos grands patrons ne dĂ©sirait ce jour-lĂ  participer Ă  une cĂ©rĂ©monie oĂč figurerait notre ancien prĂ©sident, logĂ© alors dans le placard dorĂ© d'une prĂ©sidence de Conseil de Surveillance de ladite Compagnie bancaire avant d'aller exercer ses talents l'annĂ©e suivante au CrĂ©dit Lyonnais avec le succĂšs que l'on sait.

A la différence de ce qui se fait sur les réseaux sociaux, je ne me livrerai donc ici à aucune attaque ad hominem et en resterai au sujet : la publication d'informations creuses par un grand patron.

La pyramide de Ponzi est un schĂ©ma qu'il est toujours assez facile d'invoquer. Dans l'affaire Madoff, qui reste l'exemple rĂ©cent le plus stupĂ©fiant d'une authentique mise Ɠuvre de ce schĂ©ma, des petits comiques n'ont pas manquĂ© de suggĂ©rer que le brillant financier avait dĂ» s'inspirer de la SĂ©curitĂ© Sociale. Ce qui n'est pas entiĂšrement faux.

On peut aussi pousser la clameur de Ponzi dĂšs qu'un actif n'est liquide qu'Ă  la condition de trouver un acheteur pour en dĂ©coller le dĂ©tenteur prĂ©cĂ©dent. Bref conforme Ă  une cĂ©lĂšbre dĂ©finition donnĂ©e par Coluche dans son sketch L'Autostoppeur. A ce niveau, sauf la dĂ©tention de monnaie liquide, tout devient suspect. Tout marchĂ© secondaire peut plus moins ĂȘtre caractĂ©risĂ© comme un Ponzi, et le progrĂšs intellectuel rĂ©alisĂ© est bien mince !

Entre deux tulipes (que Monsieur Lévy-Lang a eu le mérite d'éviter jusque-là) la clameur de Ponzi a donc retenti tellement souvent pour Bitcoin que l'on doit aborder les choses frontalement : Bitcoin est-il, ou non, un schéma de Ponzi ?

En 2018, à l'occasion d'un meet-up du Cercle du Coin, nous avions entrepris de poser la question, non à un imprécateur ou à un polémiste, mais à un mathématicien qui avait justement travaillé sur la question : Monsieur Marc Artzrouni, de l'Université de Pau, référencé sur l'article Ponzi de Wikipediaet auteur d'une étude universitaire publiée en 2009, The mathematics of Ponzi schemes.

Il se trouve que le professeur Artzrouni n'Ă©tait guĂšre un fanatique de Bitcoin. Mais au Cercle du Coin ce genre de dĂ©tail n'a jamais empĂȘchĂ© ni l'Ă©change, ni le moment convivial qui s'ensuit. Sa confĂ©rence n'en fut donc que plus stimulante et instructive Mais sa conclusion Ă©tait nette : Bitcoin a peut-ĂȘtre tous les torts du monde, dont selon lui de permettre la mise en oeuvre de certains schĂ©mas de Ponzi, mais ce n'est pas lui-mĂȘme intrinsĂšquement un schĂ©ma de Ponzi.


Au fait, M. Lévy-Lang le sait fort bien. Il restreint donc la ponzitude de Bitcoin à son absence supposée de toute réalité économique ce qui entre nous soit dit s'appliquerait assez bien au marché de l'art, puis il se lance dans des explications tellement grossiÚrement erronées sur l'explication de la hausse du cours que, chez un homme aussi sérieux, il faut bien admettre qu'il se moque parfaitement d'avoir raison ou non, d'autant que sa position sociale le dispense d'avoir à se justifier.

Ce n'est pas son niveau de compréhension qui est en cause, mais seulement son niveau d'information.

Mais comme son explication semble conduire à l'idée que la chose pourrait perdurer, il lui faut bien trouver un horizon catastrophique. C'est là que le bùt blesse. Les Ponzi ne meurent qu'une fois; Bitcoin meurt tout le temps mais ses plus bas s'établissent, d'année en année, toujours plus haut.

On pourrait dire, aprÚs un apéritif entre adeptes de la cryptomonnaie, que Bitcoin montera jusqu'à la fin du minage, graphique stf à l'appui. Ou jusqu'à son adoption universelle, dans une perspective millénariste. Ou bien encore jusqu'à la colonisation de la Lune. Le choix est vaste. Mais l'auteur a décidé de frapper fort : l'Apocalypse et ses cavaliers...

Ce qui est amusant, ici, c'est le retournement dialectique. Jusqu'à présent on nous a dit que Bitcoin, qui fait bouillir un lac américain et va consommer toute l'électricité produite (en 2020, du moins Newsweek l'avait-il annoncé en 2017), sera responsable de la fin du monde. M. Lévy-Lang retourne le schéma pour trouver sa chute : la fin du monde provoquera la baisse du cours de Bitcoin. Non point parce qu'on aura d'autres soucis (croûter, se planquer etc) mais parce que le temps de validation augmentera ! Derechef, le médiocre niveau d'information de l'auteur est emblématique ; il est en soi l'information contenue dans sa tribune.

Notez que l'ordinateur quantique est lui-aussi rĂ©guliĂšrement annoncĂ© comme devant ĂȘtre fatal Ă  Bitcoin, comme si son avĂšnement ne devait pas mettre bien d'autres choses Ă  genoux. Bref Bitcoin ne rĂ©sistant ni au Covid ni Ă  l'hiver nuclĂ©aire, mieux vaut placer son argent sur un livret bancaire, qui lui, rĂ©siste Ă  tout sauf au ridicule.

merci Alexis !

Alors que le cours du jeton de Bitcoin dĂ©passe celui du lingot d'or, il demeure socialement permis (M. LĂ©vy-Lang Ă©tant par ailleurs prĂ©sident du Conseil de Surveillance du journal dans lequel il s'exprime, la chose doit mĂȘme lui ĂȘtre particuliĂšrement aisĂ©e) de profĂ©rer au sujet de Bitcoin des approximations dĂ©sinvoltes et de livrer au public ce qui ne devrait ĂȘtre que des propos de bistrot.

Quousque tandem ? Je crains qu'il ne soit plus aisé de prévoir l'évolution du cours que celle de l'opinion de nos élites. Sauf à remarquer que le swing a probablement commencé outre Atlantique, et que nous sommes en France, une fois encore, derriÚre une ligne Maginot de petits papiers et de bons mots.

114 - Avec Snowden

October 10th 2021 at 12:24

Je ne publie ici qu'une traduction, celle d'un article publié le 9 octobre sur son blog par Edward Snowden sous le titre Votre argent ET votre vie, Les monnaies numériques de banques centrales vont rançonner notre avenir.

Nul besoin de souligner qu'il est un homme dont la parole compte.

Compte tenu de la longueur de son texte, bien peu de gens feront rĂ©ellement l'effort de le lire en anglais mĂȘme si chacun jurera le contraire, comme on jure n'avoir aucun problĂšme Ă  tenir une rĂ©union de travail en anglais, en plein Paris, dĂšs qu'on a cru devoir inviter un nĂ©o-irlandais, et avant que chacun ne bredouille lamentablement.

D'autre part comme la Banque de France ne communique pratiquement plus qu'en anglais, autant en prendre lĂ -aussi le contrepied !

C'est tout ce que j'ai à dire ; la suite (que l'on peut aussi entendre en lecture sur Grand Angle Crypto) est la traduction de son article, avec ses illustrations, sans commentaires de ma part. J'en aurais bien faits quelques-uns, mais marginaux, notamment sur des points de chronologie. D'autre part certains liens sont restés pointés vers des sources en langue anglaise. Tout cela parce que mes journées n'ont que 24 heures.

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Les nouvelles, ou nouvelles, de cette semaine concernant la capacité du Trésor américain, ou sa volonté, ou simplement sa tentation d'essayer un troll : frapper une piÚce de monnaie en platine d'un trillion de dollars (1 000 000 000 000 $) afin de repousser la limite de la dette du pays m'ont rappelé d'autres lectures monétaires que j'ai faites cet été sous le dÎme de chaleur, lorsqu'il est devenu évident pour beaucoup que le plus grand obstacle à tout nouveau projet de loi sur les infrastructures américaines ne serait pas le plafond de la dette, mais le plancher du CongrÚs.

Cette lecture, que j'ai effectuĂ©e tout en prĂ©parant le dĂ©jeuner Ă  l'aide de mon infrastructure prĂ©fĂ©rĂ©e, savoir l'Ă©lectricitĂ©, Ă©tait la transcription d'un discours prononcĂ© par un certain Christopher J. Waller, gouverneur fraĂźchement nommĂ© du 51Ăšme et plus puissant État des États-Unis, la RĂ©serve fĂ©dĂ©rale.

Le sujet de ce discours ? Les CBDC - qui ne sont malheureusement pas une nouvelle forme de cannabinoïde qui vous aurait échappé, mais plutÎt l'acronyme de Central Bank Digital Currencies - le tout dernier danger qui se profile à l'horizon public.

Avant d'aller plus loin, permettez-moi de dire qu'il m'a été difficile de déterminer ce qu'est exactement ce discours - s'il s'agit d'un  minority report  ou simplement d'une tentative de plaire à ses hÎtes, l'American Enterprise Institute.

Mais étant donné que Waller, un économiste nommé à la derniÚre minute par Trump à la Fed, exercera son mandat jusqu'en janvier 2030, nous, lecteurs de midi, pourrions y voir une tentative d'influencer la politique future, et plus précisément d'influencer le  document de discussion de la Fed , tant attendu et toujours à venir - un texte rédigé par un groupe - sur le thÚme des coûts et des avantages de la création d'une CBDC.

Précisons : sur les coûts et les avantages de la création d'une CBDC américaine, car la Chine en a déjà annoncée une, tout comme une douzaine d'autres pays, dont récemment le Nigeria, qui lancera début octobre l'eNaira.

À ce stade, le lecteur qui n'est pas encore abonnĂ© Ă  ce Substack peut se demander ce qu'est une monnaie numĂ©rique de banque centrale.

Lecteur, je vais vous le dire ou plutÎt je vais vous dire ce qu'une CBDC n'est PAS. Ce n'est PAS, comme Wikipedia pourrait vous le dire, un dollar numérique. AprÚs tout, la plupart des dollars sont déjà numériques, n'existant pas sous la forme d'un objet plié dans votre portefeuille, mais sous la forme d'une entrée dans la base de données d'une banque, interrogée puis restituée fidÚlement sur l'écran de votre smartphone.

(notez que dans tous ces exemples, l'argent ne peut vivre autrement que sous la surveillance de la Banque centrale.)

Une monnaie numĂ©rique de banque centrale n'est pas davantage une adoption de la cryptomonnaie au niveau de l'État - du moins pas de la cryptomonnaie telle que la comprennent actuellement la plupart des personnes qui l'utilisent dans le monde.

Au lieu de cela, une CBDC est plus proche d'une perversion de la cryptomonnaie, ou du moins des principes et des protocoles fondateurs de la cryptomonnaie : une monnaie cryptofasciste, un jumeau malĂ©fique entrĂ© dans les registres le jour opposĂ©, expressĂ©ment conçu pour refuser Ă  ses utilisateurs la propriĂ©tĂ© fondamentale de leur argent et pour installer l'État au centre d'intermĂ©diation de chaque transaction.

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Pendant les milliers d'annĂ©es qui ont prĂ©cĂ©dĂ© l'avĂšnement des CBDC, l'argent - l'unitĂ© de compte conceptuelle que nous reprĂ©sentons par des objets gĂ©nĂ©ralement physiques et tangibles que nous appelons monnaie - a Ă©tĂ© principalement incarnĂ© sous la forme de piĂšces frappĂ©es dans des mĂ©taux prĂ©cieux. L'adjectif  prĂ©cieux  - qui fait rĂ©fĂ©rence Ă  la limite fondamentale de la disponibilitĂ© Ă©tablie par la difficultĂ© de trouver et d'extraire du sol la marchandise intrinsĂšquement rare - Ă©tait important, car tout le monde peut triche : l'acheteur sur le marchĂ© peut rogner sa piĂšce de mĂ©tal et en remiser les restes, le vendeur sur un marchĂ© peut peser la piĂšce de mĂ©tal sur des balances dĂ©loyales, et le monnayeur de la piĂšce, qui est gĂ©nĂ©ralement le roi, ou l'État, peut abaisser l'aloi du mĂ©tal de la piĂšce en y mĂȘlant des matĂ©riaux de moindre qualitĂ©, sans parler d'autres mĂ©thodes comme le seigneuriage.

(Contemplez la loi dans toute sa gloire !)

L'histoire de la banque est, Ă  bien des Ă©gards, l'histoire de cette dilution. En effet, les gouvernements ont rapidement dĂ©couvert que, par le biais d'une simple lĂ©gislation, ils pouvaient dĂ©clarer que tout le monde sur leur territoire devait accepter que les piĂšces de cette annĂ©e soient Ă©gales Ă  celles de l'annĂ©e prĂ©cĂ©dente, mĂȘme si les nouvelles piĂšces contenaient moins d'argent et plus de plomb. Dans de nombreux pays, les peines encourues pour avoir mis en doute ce systĂšme, voire pour avoir signalĂ© la falsification, Ă©taient au mieux la saisie des biens, au pire la pendaison, la dĂ©capitation ou la mort par le feu.

Dans la Rome impĂ©riale, cette dĂ©gradation de la monnaie, que l'on pourrait dĂ©crire aujourd'hui comme une  innovation financiĂšre , allait servir Ă  financer des politiques auparavant inabordables et des guerres Ă©ternelles, pour aboutir finalement Ă  la crise du IIIĂšme siĂšcle et Ă  l'Édit de DioclĂ©tien sur le maximum, qui a survĂ©cu Ă  l'effondrement de l'Ă©conomie romaine et de l'empire lui-mĂȘme d'une maniĂšre tout Ă  fait mĂ©morable :

FatiguĂ©s de transporter de lourds sacs de dinars et de deniers, les marchands aprĂšs la crise du troisiĂšme siĂšcle, et en particulier les marchands voyageurs, ont imaginĂ© des formes plus symboliques de monnaie, et ont ainsi crĂ©Ă© la banque commerciale - la version plĂ©bĂ©ienne des trĂ©sors royaux - dont les premiers instruments et les plus importants furent les billets Ă  ordre institutionnels, qui n'avaient pas de valeur intrinsĂšque propre mais Ă©taient garantis par une marchandise : il s'agissait de morceaux de parchemin ou de papier qui reprĂ©sentaient le droit d'ĂȘtre Ă©changĂ© contre une certaine quantitĂ© d'une monnaie ayant plus ou moins de valeur intrinsĂšque.

Les rĂ©gimes qui ont Ă©mergĂ© des incendies de Rome ont Ă©tendu ce concept pour Ă©tablir leurs propres monnaies convertibles, et de petits bouts de chiffon ont circulĂ© dans l'Ă©conomie aux cĂŽtĂ©s de leurs Ă©quivalents en piĂšces de monnaie de valeur symbolique identique, mais de valeur intrinsĂšque distincte. En commençant par l'augmentation de l'impression de billets de banque, en continuant par l'annulation du droit de les Ă©changer contre de la monnaie, et en culminant avec la dĂ©prĂ©ciation de la monnaie elle-mĂȘme par le zinc et le cuivre, les villes-États et plus tard les États-nations entreprenants ont finalement obtenu ce que notre vieil ami Waller et ses copains de la Fed dĂ©criraient gĂ©nĂ©reusement comme une monnaie souveraine  : une belle serviette de table.

(La monnaie souveraine, telle qu'on peut la rencontrer dans l'histoire)

Une fois que la monnaie est comprise de cette maniĂšre, il n'y a qu'un pas Ă  franchir entre la serviette de table et le rĂ©seau internet. Le principe est le mĂȘme : le nouveau jeton numĂ©rique circule aux cĂŽtĂ©s de l'ancien jeton physique de plus en plus absent. Au dĂ©but.

Tout comme le vieux certificat d'argent amĂ©ricain en papier pouvait ĂȘtre Ă©changĂ© contre un dollar d'argent brillant d'une once, le solde de dollars numĂ©riques affichĂ© sur l'application bancaire de votre tĂ©lĂ©phone peut encore ĂȘtre Ă©changĂ© dans une banque commerciale contre une serviette verte imprimĂ©e, tant que cette banque reste solvable ou conserve son assurance-dĂ©pĂŽt.

Si cette promesse de rachat vous semble un maigre rĂ©confort, vous feriez bien de vous rappeler que la serviette en papier dans votre portefeuille vaut toujours mieux que ce contre quoi vous l'avez Ă©changĂ©e : une simple crĂ©ance sur une serviette en papier pour votre portefeuille. De plus, une fois que cette serviette en papier est bien rangĂ©e dans votre sac Ă  main ou votre porte-monnaie, la banque n'a plus le droit de dĂ©cider, ni mĂȘme de savoir, comment et oĂč vous l'utilisez. Enfin, la serviette en papier fonctionnera toujours en cas de panne du rĂ©seau Ă©lectrique.

C'est finalement l'accessoire idéal pour le déjeuner de tout lecteur.

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Les partisans des CBDC affirment que ces monnaies strictement centralisĂ©es reprĂ©sentent la rĂ©alisation d'un Ă©talon nouveau et audacieux - pas un Ă©talon d'or, ni un Ă©talon d'argent, ni mĂȘme un Ă©talon fondĂ© sur une blockchain, mais quelque chose comme un Ă©talon de feuille de calcul, oĂč chaque dollar Ă©mis par une banque centrale est dĂ©tenu par un compte gĂ©rĂ© par une banque centrale, enregistrĂ© dans un vaste registre d'État qui peut ĂȘtre continuellement examinĂ© et Ă©ternellement rĂ©visĂ©.

Les partisans de la CBDC affirment que cela rendra les transactions quotidiennes à la fois plus sûres (en éliminant le risque de contrepartie) et plus faciles à taxer (en rendant presque impossible de cacher de l'argent au gouvernement).

Les opposants Ă  la CBDC, cependant, citent ces mĂȘmes prĂ©tendues  sĂ©curité  et  facilité  pour affirmer qu'un e-dollar, par exemple, n'est qu'une extension ou une manifestation financiĂšre de l'État de surveillance qui ne cesse de s'Ă©tendre. Pour ces critiques, la mĂ©thode par laquelle cette proposition Ă©radique tant les risques de la faillite que les fraudeurs fiscaux dessine une ligne rouge vif autour son dĂ©faut mortel : cela ne se fait qu'au prix de l'installation de l'État, dĂ©sormais au courant de l'utilisation et de la dĂ©tention de chaque dollar, au centre de toute interaction monĂ©taire. C'est le modĂšle chinois, s'Ă©crient les chantres de la serviette en papier. Or en Chine, la nouvelle interdiction du bitcoin ainsi que la mise en circulation du yuan numĂ©rique, ont clairement pour but d'accroĂźtre la capacitĂ© de l'État Ă  servir d'intermĂ©diaire - Ă  s'imposer au milieu de la moindre transaction.

L'intermĂ©diation et son contraire, la dĂ©sintermĂ©diation, constituent le cƓur du sujet, et il est remarquable de constater Ă  quel point le discours de Waller s'appuie sur ces termes, dont les origines ne se trouvent pas dans la politique capitaliste mais, ironiquement, dans la critique marxiste. Ce qu'ils signifient, c'est le point de savoir qui ou quoi se tient entre votre argent et vos intentions Ă  son Ă©gard.

Ce que certains Ă©conomistes ont rĂ©cemment pris l'habitude d'appeler, avec une emphase pĂ©jorative suspecte, les  cryptomonnaies dĂ©centralisĂ©es  - c'est-Ă -dire Bitcoin, Ethereum et autres - sont considĂ©rĂ©es par les banques centrales et commerciales comme de dangereux dĂ©sintermĂ©diateurs, prĂ©cisĂ©ment parce qu'elles ont Ă©tĂ© conçues pour assurer une protection Ă©gale Ă  tous les utilisateurs, sans privilĂšges spĂ©ciaux accordĂ©s Ă  l'État.

Cette crypto - dont la technologie mĂȘme a Ă©tĂ© crĂ©Ă©e principalement pour corriger la centralisation qui la menace aujourd'hui - Ă©tait, est gĂ©nĂ©ralement, et devrait ĂȘtre constitutionnellement indiffĂ©rente Ă  qui la possĂšde et pour quoi faire on l'utilise. Pour les banques traditionnelles, cependant, sans parler des États dotĂ©s de monnaies souveraines, c'est inacceptable : ces concurrents cryptographiques reprĂ©sentent une perturbation historique, promettant la possibilitĂ© de stocker et de dĂ©placer une valeur vĂ©rifiable indĂ©pendamment de l'approbation de l'État, et plaçant ainsi leurs utilisateurs hors de portĂ©e de Rome. L'opposition Ă  un tel libre-Ă©change est trop souvent dissimulĂ©e sous un vernis de prĂ©occupation paternaliste, l'État affirmant qu'en l'absence de sa propre intermĂ©diation affectueuse, le marchĂ© se transformera inĂ©vitablement en tripots illĂ©gaux et en repaires de chair oĂč rĂšgnent la fraude fiscale, le trafic de drogue et le trafic d'armes.

Il est toutefois difficile de soutenir cette affirmation lorsque, selon nul autre que le Bureau du financement du terrorisme et des crimes financiers du Département du Trésor américain,  bien que les monnaies virtuelles soient utilisées pour des transactions illicites, le volume est faible par rapport au volume d'activités illicites réalisées par le biais des services financiers traditionnels .

Les services financiers traditionnels, bien sĂ»r, Ă©tant le visage et la dĂ©finition mĂȘme de l'intermĂ©diation - des services qui cherchent Ă  extraire pour eux-mĂȘmes une partie de chacun de nos Ă©changes.

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Ce qui nous ramÚne à Waller, que l'on pourrait qualifier d'anti-désintermédiateur, de défenseur du systÚme bancaire commercial et de ses services qui stockent et investissent (et souvent perdent) l'argent que le systÚme bancaire central américain, la Fed, décide d'imprimer (souvent au milieu de la nuit).

(Vous seriez surpris de savoir combien de faiseurs d'opinion sont prĂȘts Ă  admettre publiquement qu'ils ne peuvent pas faire la diffĂ©rence entre un tour de passe-passe comptable et l'impression de monnaie.)

Et pourtant, j'admets que je trouve toujours ses remarques fascinantes, principalement parce que je rejette son raisonnement mais que je suis d'accord avec ses conclusions.

L'opinion de Waller, ainsi que la mienne, est que les États-Unis n'ont pas besoin de dĂ©velopper leur propre CBDC. Pourtant, si Waller pense que les États-Unis n'ont pas besoin d'une CBDC parce que leur secteur bancaire commercial est dĂ©jĂ  robuste, je pense que les États-Unis n'ont pas besoin d'une CBDC malgrĂ© les banques, dont les activitĂ©s sont, Ă  mon avis, presque toutes mieux et plus Ă©quitablement accomplies de nos jours par l'Ă©cosystĂšme robuste, diversifiĂ© et durable des crypto-monnaies non Ă©tatiques (traduction : crypto ordinaire).

Je risque de perdre fort peu de lecteurs en affirmant que le secteur bancaire commercial n'est pas, comme l'affirme Waller, la solution, mais en fait le problÚme - une industrie parasite et totalement inefficace qui s'est attaquée à ses clients en toute impunité, soutenue par des renflouements réguliers de la Fed, grùce à la fiction douteuse qu'elle est  trop grosse pour faire faillite .

Mais mĂȘme si le complexe industriel bancaire s'est agrandi, son utilitĂ© a diminuĂ©, surtout par rapport Ă  la cryptomonnaie. Autrefois, les banques commerciales Ă©taient les seules Ă  sĂ©curiser les transactions risquĂ©es, en assurant le dĂ©pĂŽt fiduciaire et la rĂ©versibilitĂ©. De mĂȘme, le crĂ©dit et l'investissement n'Ă©taient pas disponibles, et peut-ĂȘtre mĂȘme inimaginables, sans elle. Aujourd'hui, vous pouvez profiter de tout cela en trois clics.

Pourtant, les banques ont un rÎle plus ancien. Depuis la création de la banque commerciale, ou du moins depuis sa capitalisation par la banque centrale, la fonction la plus importante du secteur a été le mouvement de l'argent, remplissant la promesse de ces anciens billets à ordre en permettant leur remboursement dans différentes villes ou dans différents pays, et en permettant tant aux détenteurs qu'aux payeurs de ces billets d'effectuer des transactions en leur nom et au nom d'autres personnes sur des distances similaires.

Pendant la majeure partie de l'histoire, le déplacement de l'argent de cette maniÚre nécessitait son stockage en grande quantité - ce qui nécessitait la sécurité concrÚte des coffres et des gardes. Mais à mesure que l'argent intrinsÚquement précieux a cédé la place à nos petites serviettes de table, et que les serviettes de table cÚdent la place à leurs équivalents numériques intangibles, cela a changé.

Aujourd'hui, cependant, il n'y a pas grand-chose dans les coffres. Si vous entrez dans une banque, mĂȘme sans masque sur le visage, et que vous tentez un retrait important, on vous dira presque toujours de revenir mercredi prochain, car la monnaie physique que vous demandez doit ĂȘtre commandĂ©e auprĂšs de la rare succursale ou rĂ©serve qui en dispose. Quant au gardien, malgrĂ© la place mythologique qu'il occupe dans vos reprĂ©sentations avec le granit et le marbre qu'il arpente, ce n'est plus qu'un vieil homme aux pieds fatiguĂ©s, trop peu payĂ© pour utiliser l'arme qu'il porte.

Voilà à quoi les banques commerciales ont été réduites : des services intermédiaires de commande d'argent qui profitent des pénalités et des frais, sous la protection de votre grand-pÚre.

En somme, dans une société de plus en plus numérique, il n'y a pratiquement rien qu'une banque puisse faire pour donner accÚs à vos actifs et les protéger qu'un algorithme ne puisse reproduire et améliorer, si ce n'est qu'à l'approche de Noël, les cryptomonnaies ne distribuent pas des petits calendriers de bureau.

Mais revenons à l'agent de sécurité de la banque, qui, aprÚs avoir aidé à fermer la banque pour la journée, va probablement exercer un deuxiÚme emploi, pour joindre les deux bouts - dans une station-service, par exemple.

Une CBDC lui sera-t-elle utile ? Un e-dollar amĂ©liorera-t-il sa vie, plus qu'un dollar en espĂšces, ou qu'un Ă©quivalent en bitcoin, ou en un stablecoin, ou mĂȘme en un stablecoin assurĂ© par la Federal Deposit Insurance Corp ?

Disons que son mĂ©decin lui a dit que la nature sĂ©dentaire de son travail Ă  la banque a eu un impact sur sa santĂ© et a contribuĂ© Ă  une dangereuse prise de poids. Notre gardien doit rĂ©duire sa consommation de sucre, et sa compagnie d'assurance privĂ©e - avec laquelle il a Ă©tĂ© publiquement mandatĂ© pour traiter - commence maintenant Ă  suivre son Ă©tat prĂ©diabĂ©tique et transmet des donnĂ©es sur cet Ă©tat aux systĂšmes qui contrĂŽlent son portefeuille CBDC, de sorte que la prochaine fois qu'il va Ă  l'Ă©picerie et essaie d'acheter des bonbons, il est rejetĂ© - il ne peut pas - son portefeuille refuse tout simplement de payer, mĂȘme si son intention Ă©tait d'acheter ces bonbons pour sa petite-fille.

Ou bien, disons que l'un de ses e-dollars, qu'il a reçu en guise de pourboire Ă  son travail dans une station-service, est ensuite enregistrĂ© par une autoritĂ© centrale comme ayant Ă©tĂ© utilisĂ©, par son prĂ©cĂ©dent dĂ©tenteur, pour effectuer une transaction suspecte, qu'il s'agisse d'un trafic de drogue ou d'un don Ă  une organisation caritative totalement innocente et, en fait, totalement favorable Ă  la vie, opĂ©rant dans un pays Ă©tranger jugĂ© hostile Ă  la politique Ă©trangĂšre des États-Unis, et qu'il est donc gelĂ© et doit mĂȘme ĂȘtre confisquĂ© Ă  titre de  geste citoyen . Comment notre gardien assiĂ©gĂ© pourra-t-il le rĂ©cupĂ©rer ? Sera-t-il un jour en mesure de prouver que cet e-dollar lui appartient lĂ©gitimement et d'en reprendre possession, et combien cette preuve lui coĂ»tera-t-elle en fin de compte ?

Notre gardien gagne sa vie avec son travail, il la gagne avec son corps, et pourtant, lorsque ce corps tombera inĂ©vitablement en panne, aura-t-il amassĂ© suffisamment d'argent pour prendre une retraite confortable ? Et si ce n'est pas le cas, pourra-t-il jamais espĂ©rer compter sur la bienveillance de l'État, ou mĂȘme sur des dispositions adĂ©quates, pour son bien-ĂȘtre, ses soins, sa guĂ©rison ?

C'est la question à laquelle j'aimerais que Waller, que la Fed, le Trésor et le reste du gouvernement américain répondent :

De toutes les choses qui pourraient ĂȘtre centralisĂ©es et nationalisĂ©es dans la vie de ce pauvre homme, est-ce que ce devrait ĂȘtre son argent ?

115 - Le vide

November 15th 2021 at 09:29

Mes lecteurs ne regardent pas trop la télévision, et sans doute moins encore sa publicité commerciale que sa réclame politique. Malgré cela je veux parler ici d'un spot qui m'avait amusé jadis et qu'une récente expérience m'a remis en mémoire.

Les publicitĂ©s des banques est un genre Ă  part, avec ses mots pompeux, sa  digitalisation  en toc et ses clients santons, tantĂŽt roublards tantĂŽt Ă©bahis. Pouvoir de dire oui, monde qui change, truc qui bouge. On tourne en rond et mĂȘme en traversant la rue pour gagner la banque d'en face cela reste Kik-kif et Cie. Les pubs du CrĂ©dit Mutuel tablent sur l'originalitĂ© supposĂ©e de leur structure capitalistique mĂȘme s'il est probable que l'usager s'en soucie peu et ne la soupçonne gĂ©nĂ©ralement mĂȘme pas. Dans cet Ă©tablissement, pour 24 euros par an, le client n'a ni chĂ©quier ni carte de paiement. On fait mieux, en gros, et mieux vaut donc parler d'autre chose. Voici le clip en question, datant d'une dizaine d'annĂ©es.

On se fiche tellement de leur structure coopérative (qui n'est pas unique dans le paysage bancaire, loin s'en faut) que clip avait plutÎt été remarqué pour son racisme inconscient ou supposé. Mais moi il m'avait frappé parce que l'agence filmée n'est guÚre éloignée de chez moi. Et que s'il y a souvent foule devant le bistrot (devenu depuis lors un commerce de hamburger) on ne voit guÚre devant la banque que des gens retirant leur argent de l'automate ou laissant leur chien pisser sur la devanture.

Or l'autre jour, pour rendre service Ă  l'un de mes proches, j'ai dĂ» pousser la porte de cette agence...

Un grand vide.

Cela doit bien faire prÚs de 200 mÚtres carrés, avec 20 mÚtres de façade sur rue, autant que le Carrefour voisin, qui presque jour et nuit rend service à une foule nombreuse. Bien davantage que le fruitier berbÚre en face, le petit restaurant chinois japonais, le boucher casher, le couscous halal, le charcutier italien, le serrurier portugais, le réparateur de mac, le pressing et tous ceux qui rendent des services vraiment utiles et autrement que 35:00 heures par semaine sur 4 jours et demi (source Google).

Dans cet espace immense et aseptisĂ©, je ne vois qu'un homme seul, Ă  la borne d'accueil. ExtrĂȘmement courtois je m'empresse de le dire, des fois que son supervisor ou son N+1 comme on dit maintenant ne me lise ici.

Je lui pose ma question, qui concerne donc un particulier. Mais ce monsieur est  responsable entreprises . Il a dû percevoir un peu d'étonnement dans mes yeux. Il me précise donc que tous les  responsables  doivent faire  au moins une journée et demi de guichet . C'est beau la flexibilité. Du coup, toujours obligeant, il se saisit de son téléphone, et appelle la responsable particuliers  qui à cette heure a le droit de travailler dans un (son?) bureau. Voix lointaine, dans le fond du décor vide.

Mais ma question concerne un mĂ©tier spĂ©cifique - celui d'enseignant - pour lequel le CrĂ©dit Mutuel a crĂ©Ă© des Agences dĂ©diĂ©es. Sont-elles, celles-lĂ , pleines de clients-actionnaires-administrateurs bourdonnant et industrieux ? Je l'ignore. L'agence de quartier dans laquelle je me trouve ne dispose mĂȘme pas du flyer ad hoc.

Il faudrait voir sur Internet . Je n'y aurais pas pensé. Mais sur Internet on vous demande juste votre téléphone, pour qu'un responsable spécialisé vous rappelle, au moment qui l'arrangera lui, ou pas.


Bref l'Agence vide occupée par deux responsables ivres de solitude et d'ennui ne sert à rien. Comment et pourquoi la Banque paye-t-elle son injustifiable loyer ? Mais le site Internet non plus ne sert à rien. A quoi sert la Banque, finalement ?


Du cÎté de Bitcoin, on dénonce souvent les Banques pour leur monopole, leur puissance, leur effrayante collusion avec les pouvoirs, leur rÎle dans le traçage et le contrÎle de nos vies. Et tout cela est vrai. Mais je ne crois pas moins vrai de souligner ce vide, ce creux, ce toc.

D'ailleurs, lorsque l'on fréquente amicalement les seigneurs de la Banque, ceux qui sont dispensés de guichet, ce creux finit toujours par ressortir. Heures perdues en parlotte, en formations sur la compliance, en séances de sensibilisation sur le droit de telle ou telle minorité durant lesquelles chacun roupille. Mais aussi réorganisations absurdes (tantÎt par métiers, tantÎt par secteurs, vieux débat stérile et jamais tranché) objectifs absurdes, slogans absurdes.

Les banquiers sentent cela comme vous.

Leur publicitĂ© le trahit, avec sa fausse auto-dĂ©rision, ou la vilĂ©nie de se moquer d'un concurrent, ce qu'un industriel honnĂȘte ne fait pas.

Leur marketing le trahit avec des filiales supposées hipe que les lois si sourcilleuses quant à la transparence de toutes choses dispensent curieusement de la mention groupe banque ceci ou cela mais qui toutes mettent en abyme le creux et le vieux de leur propre monde.

Et comme chacun sait, leur argumentation le trahit, avec son mixte inimitable de bon sens prudhomesque et d'arguments d'autorité.

Et Bitcoin ? Eh bien le CrĂ©dit Mutuel se classe pratiquement en tĂȘte des banques les plus obtuses, dans tous les classements Ă©tablis, que ce soit par Capital ou par les lecteurs de bitcoin.fr. Et son prĂ©sident, Nicolas ThĂ©ry, par ailleurs prĂ©sident de la FFB (et ça, ça change tout a-t-on envie d'ajouter en parodiant la publicitĂ©) ne s'illustre pas par une bienveillance technologique particuliĂšre mais plutĂŽt par sa dĂ©fense du prĂ©-carrĂ© des banques, mutualistes ou pas.

J'ai eu une idée : La Nature a horreur du vide. Avec mes amis du Cercle du Coin, on va tous s'acheter deux ou trois de leurs parts sociales et venir  voter  en faveur de Bitcoin à leur prochaine assemblée croupion de sociétaires potiches.

116 - Une piĂšce de 21

December 5th 2021 at 09:59

Le nombre 21 (généralement suivi de millions) joue un rÎle essentiel, tant concrÚtement que symboliquement, pour la  meute sectaire et insultante  qui agace les gentils universitaires et les utiles haut-fonctionnaires avec lesquels certains d'entre nous s'aventurent à polémiquer en pure perte de temps.

Pourquoi 21 ? Vieille question qui marque au fer rouge le prétendu expert débarquant sur un plateau télévisé avec sa supposée candeur. Passons.

Est-ce qu'il a existé une piÚce de 21 quoi que ce soit ? Voilà en revanche une question vraiment utile à débattre durant un week-end pluvieux  à l'heure du thé fumant et des livres fermés .

Parce qu'en apparence, depuis la restauration d'un semblant de finance par Bonaparte et jusqu'à l'effondrement des monnaies au 20Úme siÚcle, la plupart des pays civilisés c'est à dire, let's be serious, francophones ont battu en or des piÚces de 20 francs, pas de 21.

Le chiffre 20 a d'ailleurs une antiquité respectable en matiÚre monétaire. Il y avait 20 sous dans un franc, comme il y avait 20 solidus dans une livre depuis Charlemagne et comme il y eut 20 shillings dans une livre sterling.

AprĂšs leur courte expĂ©rience rĂ©publicaine, les Anglais battirent entre 1663 et 1814 une piĂšce d'or qui contenait environ un quart d'once d'or, et Ă  laquelle on donna de GuinĂ©e, terme qui dĂ©signait toute la cĂŽte mĂ©ridionale de l'Afrique occidentale d'oĂč provenait une grande partie de l'or utilisĂ© pour fabriquer ces piĂšces. À l'origine la guinĂ©e valait une livre sterling (soit 20 shillings d'argent) mais la hausse du prix de l'or par rapport Ă  celui de l'argent finit par entraĂźner une augmentation de la guinĂ©e, qui a parfois atteint 30 shillings.

Alors, de 1717 à 1816, la valeur de la guinée fut officiellement fixée chez nos amis anglais, qui peuvent parfois se singulariser comme par plaisir, à 21 shillings. On trouve des poids monétaires en laiton qui pouvaient servir à réglementer la parité entre banquiers, changeurs et commerçants, ainsi qu'à valider aisément sur une balance, que l'argent sur le plateau valait bien une de ces fameuses guinées !

Mais fixer la paritĂ© entre deux mĂ©taux est une folie de rĂ©gulateur, un fantasme rĂ©galien. La guinĂ©e Ă©tait cependant devenue un terme familier ou spĂ©cialisĂ©, et l'est restĂ©e longtemps mĂȘme sans piĂšce tangible. Bien que la piĂšce de ce nom ne circule plus depuis le 19Ăšme siĂšcle, le terme  guinĂ©e  a survĂ©cu jusqu'au 20Ăšme siĂšcle comme unitĂ© de compte dans certains domaines, au cours de 21 shillings. Parmi les usages notables, les honoraires professionnels (mĂ©dicaux, juridiques, etc.) Ă©taient souvent facturĂ©s en guinĂ©es, ainsi que les paris aux courses de chevaux et de lĂ©vriers, ou la vente de bĂ©liers.

Tant et si bien que la livre égyptienne s'appelle toujours officiellement pound en anglais et guineh en arabe, établissant si l'on peut dire l'équivalence 20=21, digne des mystÚres dont l'histoire de ce pays était déjà si riche.

Il y a tout de mĂȘme eu un exemple de piĂšce avec une valeur faciale de 21 unitĂ©s monĂ©taires

Elle fut Ă©mise par des autoritĂ©s lĂ©gales, lĂ©gitimes, rĂ©galiennes et tout ce qu'on voudra. Et bien sĂ»r ça s'est passĂ© chez mes amis neuchĂątelois, oĂč fut bel et bien frappĂ©e une piĂšce de 21... batzen.

Le batz Ă©tait Ă  l'origine, au 15Ăšme siĂšcle, la monnaie de Berne. La piĂšce montrait alors sur son avers un ours qui est l'emblĂšme de la ville et tirait mĂȘme son nom, comme la ville qui l'avait crĂ©Ă©e, de l'ancien haut-allemand BĂ€tz qui signifiait Ours. Le Batz se divisait en 4 Kreutzer, chose commune Ă  toutes les villes oĂč l'on battit ensuite des batzen. Mais hĂ©las, d'une ville Ă  l'autre, la valeur du batzen local variait sensiblement de Berne Ă  Fribourg, Lausanne et autres villes Ă  atelier monĂ©taire.

Arrivent les Français (en 1798, donc avant Bonaparte, soit dit en passant : il n'a pas tous les torts et toute cette affaire est bien complexe) : le batz devient la valeur d'un dixiĂšme de la  livre suisse , nouvelle monnaie officielle que l'on va bientĂŽt appeler  franc  mĂȘme si en attendant Germinal, il n'a pas exactement la mĂȘme valeur que de l'autre cĂŽtĂ© de la montagne. Il faut harmoniser : 21 batzen de Fribourg sont comptĂ©s pour 20 batzen suisses.

Et Neuchùtel dans tout cela ? Depuis 1709, la principauté qui était jadis à la famille de Fribourg, puis aux Orléans-Longueville, s'est choisie comme souverain le roi de Prusse, parce qu'il est loin, qu'il est protestant et qu'il semble pouvoir la protéger des appétits français. La principauté use à l'occasion de son indépendance pour fabriquer un peu de fausse monnaie (française) mais elle a sa propre monnaie, à l'effigie du roi de Prusse. Son batz, comme celui de Fribourg, est un peu plus faible que celui dit suisse. Un bon moyen de rester fidÚle à sa vieille unité de compte tout en commerçant avec les Suisses est donc... d'émettre des piÚces de 21 batzen, qui seront comptées pour 20 ailleurs.

Comme l'indique la légende : Suum cuique, à chacun le sien !

La légende en latin abrégé se lit Frédéric-Guillaume III roi de Prusse Prince Souverain de Neuchùtel et Valangin

La ville de GenĂšve avait procĂ©dĂ© de mĂȘme, avec sa piĂšce de 21 sous, valeur d'usage depuis 1710 (quoique non inscrite comme valeur faciale) Ă©mise de la mĂȘme façon pour faciliter les Ă©changes avec la Savoie ou la Suisse.

À son retrait lors de la loi monĂ©taire de 1850 la piĂšce de 21 batzen qui avait circulĂ© depuis FrĂ©dĂ©ric III, puis Alexandre Berthier, puis sous rĂ©gime prussien et cantonal aprĂšs 1814, valait 2fr75, et non 2fr10, ce qui laisse penser qu'elle s'Ă©tait apprĂ©ciĂ©e le temps passant.

Notons le pragmatisme de la dĂ©marche : les politiciens français qui voudraient  revenir au franc  n'ont Ă  ma connaissance jamais songĂ© Ă  battre des piĂšces de 6, 55957 francs français, alors mĂȘme que la Monnaie de Paris l'avait fait, non seulement pour des mĂ©dailles (au dessus), mais pour diverses Ă©missions en argent, numismatiques, donc parfaitement lĂ©gales, lĂ©gitimes, rĂ©galiennes etc !

Donc, pour finir sur une note crypto (que l'on n'aille pas me reprocher de perdre la foi et de faire perdre leur temps à mes rares lecteurs) : pourquoi ne pas émettre un stablecoin en franc ? Il me semble qu'il faudrait réunir un groupe de travail, mener des expérimentations, écrire des rapports et naturellement trouver un algorithme de consensus fondé sur l'utilité sociale et le respect de tout ce qui peut venir à l'esprit. Mais la Banque de France a déjà une vieille expérience du minage !

117 - Ligne de partage ou ligne front ?

January 1st 2022 at 10:57

(Bonnes résolutions?)

Certaines personnes ne s'intĂ©resseront jamais Ă  Bitcoin. D'autres ne s'y intĂ©resseront jamais que pour en dĂ©noncer ce qu'il n'est pas ou ce qu'il ne devrait pas ĂȘtre, voire pour en rĂ©clamer l'interdiction. Il y a des cas dĂ©sespĂ©rĂ©s.

Seulement il faut bien avouer que ceux qui s'intĂ©ressent aujourd'hui Ă  Bitcoin ne l'ont fait ni depuis leur propre naissance, ni depuis la sienne, ni mĂȘme en gĂ©nĂ©ral depuis leur premiĂšre rencontre.

Il y a, Ă  un moment donnĂ©, une rencontre dĂ©cisive, parfois gĂȘnante, toujours enthousiasmante. Un moment oĂč l'on choit du haut de ses certitudes et oĂč l'on doit reconstruire sa vision, revenir d'une forme d'aveuglement, comme Paul sur le chemin de Damas, oĂč il se rendait pour combattre ceux qu'ils considĂ©raient comme des hĂ©rĂ©tiques, des dissidents et des dangereux sectaires.

(merci au pape Paul VI pour cette piĂšce originale)

Comment devons-nous, de notre cÎté, comprendre et traiter toutes les déclarations des no-coiners exhibant sans fard leur faible connaissance d'une chose qu'ils prétendent condamner ?

Ce billet incite à prendre quelques bonnes résolutions  : s'indigner, aboyer et troller ne suffit pas à provoquer la chute du païen, et moins encore à lui ouvrir les yeux.

OK Boomer

Clamée comme une sorte de Montjoie, cette interjection témoignait à l'origine (il y a plus de trois ans maintenant) d'une compréhensible fatigue des plus jeunes devant les admonestations grand-paternelles. Elle a fini par devenir un argument en soi, qui ne me semble guÚre ni honorable (notamment au regard d'une morale commune qui ne cesse de dénoncer les stéréotypes) ni pertinent si l'idée n'est pas de dénoncer mais d'expliquer. Pourtant, à chaque fois que j'ai tenté d'en suggérer la portée limitée, je me suis fait renvoyer dans les cordes avec une forme de méchanceté.

Or s'il est incontestable que l'apprĂ©hension de la nouveautĂ© technologique (mais aussi artistique, musicale, etc.) rĂ©vĂšle un biais d'identitĂ© et qu'ĂȘtre sexagĂ©naire, porter une cravate ou avoir fait carriĂšre dans la haute administration ne sont pas des critĂšres qui prĂ©disposent Ă  frĂ©quenter des jeunes geeks, il est non moins Ă©vident qu'il y a des boomers crypto - dont Satoshi lui-mĂȘme selon toute vraisemblance chronologique - des hauts fonctionnaires crypto-adeptes (ou apologistes) et comme toujours des contre-exemples dans tous les sens.

Laisser entendre qu'on peut ou qu'on ne peut pas  comprendre générationnellement Bitcoin, comme on me l'a écrit récemment dans un français douteux, reste une fainéantise intellectuelle. Que le facteur d'ùge soit plus clivant que le type d'études, le positionnement social, la place dans le cocotier ou Dieu sait quoi, c'est ce qui m'apparait incertain. L'argument, quand il n'est pas sérieusement étayé, me semble relever d'une sorte de maoïsme, comme lorsque (dans ma jeunesse !) les  origines petit-bourgeoises  de l'adversaire expliquaient tout et n'importe quoi.

Surtout, cet argument instaure une  ligne de partage des eaux  qui, selon la seule date de naissance, condamnerait l'un à l'ignorance arrogante des boomers et l'autre à la vertueuse hardiesse intellectuelle des millennials. C'est beau comme Jésus au milieu des docteurs.

Albrecht-Durer-.jpeg, déc. 2021

Non seulement cela blesse et bute le boomer mais cela n'incite guĂšre le jeune qu'Ă  la raillerie, voire Ă  l'amertume, sans autre espoir que dans le temps qui passe. Or jouer le cadavre est un jeu usant. La gĂ©nĂ©ration aux commandes peut se maintenir longtemps. Elle a le droit, les institutions, la force et pas mal d'autres choses pour elle. Le jeune sera vieux avant que le vieux ne soit mort. D'autant que le dernier jeune qui m'a titillĂ© avait, Ă  l'examen, des enfants dĂ©jĂ  ĂągĂ©s eux-mĂȘmes de 20 ans, ce qui m'a fait sourire mais que j'ai Ă©lĂ©gamment gardĂ© pour moi.

La vraie ligne de partage

Si elle ne correspond pas Ă  celle que tracerait la seule naissance, voire l'inscription dans les forteresses et les rĂ©seaux de la domination sociale, par oĂč passe donc la ligne sĂ©parant ceux qui vont en rester lĂ  et ceux qui vont faire le pas vers la crypto ?

Selon moi, elle court entre deux qualités essentielles de l'esprit : la liberté et la curiosité.

La libertĂ© n'est pas forcĂ©ment Ă  la portĂ©e de tous. Celui dont la position (professionnelle et donc matĂ©rielle) passe par l'allĂ©geance au systĂšme financier construit depuis le dĂ©basement des monnaies et la libĂ©ralisation des marchĂ©s financiers ne peut pas (sauf paradoxalement Ă  l'Ăąge de la retraite, peut-ĂȘtre !) faire le moindre pas. Mais ne nous y trompons pas : il y a des gens fainĂ©ants (jeunes ou vieux, d'ailleurs) qui rĂ©pĂšteront toute leur vie ce qu'ils ont appris en premiĂšre annĂ©e de facultĂ©, sans mĂȘme que le systĂšme n'ait Ă  exercer de grande contrainte sur eux.

La curiositĂ© est ce qui me semble commun Ă  toutes les personnes, de tous Ăąges, origines et conditions que j'ai rencontrĂ©es dans la crypto. Quelqu'un de curieux (et de cultivĂ©, ce qui va toujours de pair, mĂȘme si des jeunes gens incultes vont certainement me soutenir le contraire) finit toujours par comprendre Bitcoin.

À cet Ă©gard on peut donner l'exemple de ce magnifique boomer qu'est RaphaĂ«l Rossello, Managing Partner d'Invest Securities (et laurĂ©at du Prix Tulipe...). En mars 2021, il avait dĂ©clarĂ© chez Thinkerview que le jeton de Bitcoin ne serait jamais autre chose qu'un billet de monopoly aux usages douteux.

Il faut réécouter attentivement cette premiÚre séquence : on y voit bien que cet homme intelligent traite de l'inconnu non pas de façon sotte, mais au travers de son expérience qui est vaste et de la sagesse qu'il en a retirée. Mais en mars 2021 il n'avait aucune connaissance de Bitcoin et celle (au demeurant approximative) qu'il avait de l'épisode des tulipes ne lui permettait pas alors d'expliquer Bitcoin, mais seulement de suppléer à son ignorance par un mixte de comparaison et d'extrapolation.

En novembre, huit mois plus tard seulement, il a eu le mĂ©rite, le courage et l'honnĂȘtetĂ© d'analyser publiquement son  chemin de Damas .

Phénoménologie de l'expérience Bitcoin ?

RaphaĂ«l Rossello venait, nous dit-il, d'un monde oĂč l'univers crypto n'existe pas. J'ai dĂ©jĂ  dit moi-mĂȘme que c'Ă©tait exactement ce que rĂ©vĂšle l'argument cĂ©lĂšbre  ça ne marche pas dans la vraie vie . Il ne sert donc Ă  rien, fĂ»t-on maximaliste, de montrer Bitcoin seul, au risque de l'exhiber comme la solution Ă  un problĂšme qui n'existe pas dans l'esprit d'autrui.

À le voir sur ces deux sĂ©quences diffĂ©rentes, il est Ă©vident que RaphaĂ«l Rossello n'a pas Ă©tĂ© vaincu par les cris ou les trolls suscitĂ©s par sa premiĂšre intervention. Il a Ă©tĂ© convaincu par des arguments, mais surtout par l'expĂ©rience de cas d'usage.

Or n'importe qui de sérieux ( fût-il un boomer) voit en quelques semaines d'étude que les laborieuses expériences menées par les banques centrales sur leurs blockchains privées sont mille fois moins excitantes que ce qui se passe dans la Defi.

Laissons donc faire.

La violence est contre-productive

N'entretenons pas la violence inutile qui se dĂ©chaĂźne mĂȘme sur des rĂ©seaux professionnels de type LinkedIn, pour ne rien dire de Twiter. Celle des adversaires de Bitcoin est souvent inconsciente, car faite de pas mal de pharisaĂŻsme : ne sont-ils pas les honnĂȘtes gens justement chargĂ©s du bien commun ? Elle est aussi, parfois, pĂ©trie d'arrogance, de mĂ©pris, de mensonges impunĂ©ment rĂ©pĂ©tĂ©s.

chroniqueurs.jpg, dĂ©c. 2021Ainsi un  haut fonctionnaire et Ă©conomiste  que chacun reconnaitra aisĂ©ment multiplie les  Mon bon monsieur  et les  Mon pauvre ami , parle des braves gens  et n'hĂ©site pas devant des arguments comme vous ĂȘtes gentil mais vous ne connaissez strictement rien Ă  la rĂ©gulation des marchĂ©s financiers , cette derniĂšre pique apparemment adressĂ©e Ă  quelqu’un possĂ©dant, justement, la certification AMF 
 AprĂšs quoi le mĂȘme bloque ceux qui osent lui rĂ©pondre. Donc, en fait, lui rĂ©pondre, poliment ou non, me paraĂźt relever du jeton mis dans une machine dont le bruit qui nous casse dĂ©jĂ  les oreilles. Voyez son prĂ©dĂ©cesseur  ancien prĂ©sident de banque  qui au bout de quelques mois semble avoir renoncĂ© Ă  ses polĂ©miques insensĂ©es.

Mais la violence des bitcoineurs ne doit pas ĂȘtre sous-estimĂ©e ou absoute : elle peut ĂȘtre mĂ©chante, assaisonnant en outre ses attaques ad hominem de fautes d'orthographe qui discrĂ©ditent encore davantage le propos aux yeux de ceux qui sont visĂ©s. Au-delĂ  de ces vices de forme, on y passe trop vite du refus de l'archĂš Ă©tatique Ă  celui de l'auctoritas acadĂ©mique et de l'anarchie Ă  la vulgaritĂ©. Dire d'un professeur d'universitĂ© qu'il est  payĂ© par nos impĂŽts  devrait ĂȘtre proscrit : or c'est commun et pour certains c'est mĂȘme l'ultima ratio.

Bref chaque camp s'installe sottement dans la caricature que l'autre en trace.

Une part de dĂ©nonciation m'apparait lĂ©gitime : on peut et on doit souligner les intĂ©rĂȘts objectivement servis, rappeler que tel qui se prĂ©sente comme  professeur  fait l'essentiel de sa carriĂšre dans telle ou telle banque, mettre le projecteur sur les extrapolations imprudentes, les suppositions toujours hasardeuses selon lesquelles le contexte, le marchĂ©, la technique ou les besoins des hommes ne changeront jamais.

La dénonciation des biais identitaires doit en revanche se faire avec tact. Tel qui est responsable de ses jugements erronés ne l'est pas de son ùge et celui auquel on pourra légitimement reprocher une carence de culture technologique ne sera pas exécuté simplement pour avoir fait l'ENA trente ou quarante ans plus tÎt.

vatican-20-lires-1988.jpg, déc. 2021La part d'énergie consacrée à l'invective serait dans tous les cas mieux employée à susciter la curiosité.

 N'y touchez pas  dit la Banque ? PlutÎt que de vous époumoner contre la Banque, rendez donc le fruit Bitcoin appétissant.

(Merci au pape Jean-Paul II. Heureusement que les papes battent monnaie, sinon je serais Ă  court d'illustrations numismatiques)

Je vais maintenant entrer dans une zone Ă  risque.

Au-delĂ  des violences verbales qui brouillent le message et des lĂ©gitimes requĂȘtes pour bĂ©nĂ©ficier d'une fiscalitĂ© honnĂȘte et loyale, quel sens doit-on donner Ă  Bitcoin lorsque nous en parlons ?

R. Rossello nous rappelle au dĂ©tour d'une phrase qu'on peut venir Ă  Bitcoin sans aimer le nĂ©o-libĂ©ralisme. Tout bitcoineur a le droit d'ĂȘtre (ou de ne pas ĂȘtre) nĂ©o-libĂ©ral, ou autrichien. Le problĂšme, selon moi, vient d'une forme de hold-up que certains font sur Bitcoin. Que Hayek ait en 1976 appelĂ© Ă  une mise en concurrence des monnaies en dehors du contrĂŽle de l'Etat n'en fait pas l'inventeur de Bitcoin. Qu'en 1999 Friedman, parlant de la façon dont Internet serait une force importante pour rĂ©duire le rĂŽle du gouvernement ait ajoutĂ© dans un apartĂ© de moins de 60 secondes que  la seule chose qui manque, mais qui sera bientĂŽt dĂ©veloppĂ©e, c'est une monnaie Ă©lectronique fiable, une mĂ©thode par laquelle, sur Internet, on peut transfĂ©rer des fonds de A Ă  B sans qu'ils se connaissent  n'en fait pas l'inventeur de Bitcoin.

Entendons-nous bien : leurs diagnostics prouvent effectivement que Bitcoin n'est pas nĂ© par hasard. Mais il n'est pas nĂ© dans une fac d'Ă©co, ni Ă  Chicago. D'autres qu'eux, dans d'autres courants de pensĂ©e, ont aussi posĂ© des diagnostics prophĂ©tiques. A tout prendre, l'idĂ©e formulĂ©e par Henry Ford en 1921 d'une monnaie Ă©nergĂ©tique (la seule dont j'avais entendu parler avant ma rencontre avec Bitcoin, entre nous soit dit) me paraĂźt susciter un rapprochement tout aussi convainquant. Et comme nous l'avons Ă©crit Philippe Ratte et moi dans un ouvrage qui, poussant avec malice le mĂȘme bouchon encore plus loin, suggĂ©rait que Tintin avait dĂ©couvert Bitcoin avant Satoshi :  tous les angles d'attaque sont bons, et en Ă©clairant un mĂȘme objet obscur, c'est leur rapprochement qui le met en Ă©vidence. Ainsi l’interfĂ©rence entre des ondes lĂ©gĂšrement dĂ©calĂ©es d’un laser frappant un mĂȘme objet permet-elle d’en tirer l’hologramme .

La mass adoption ne viendra pas de la lecture de resucĂ©es d'Ă©conomistes morts par leurs adeptes pour qui Bitcoin a Ă©tĂ©, parfois, une divine mais tardive surprise. L'envol de son cours est, disons-le platement, bien plus convainquant. Les signes d'une Ă©trange normalisation ne manquent pas, que ce soit les anciens Ă©tudiants de Blockchain Partners qui redeviennent bitcoineurs mais sous pavillon KPMG ou bien la sociĂ©tĂ© Coinhouse, spin-off de la dĂ©funte Maison du Bitcoin, qui s’installe dans l’ancien CrĂ©dit Lyonnais. La multiplication du nombre de mĂ©dias, podcasts et chaĂźnes Youtube, l'arrivĂ©e de Satoshi sur Arte avec le documentaire de RĂ©mi Forte Ɠuvre de grande qualitĂ© non exempte d'ailleurs d'une certaine dose d'inquiĂ©tude... tout cela annonce la sortie du ghetto. Raison de plus de ne pas en inventer de nouveaux ni idĂ©ologiques, ni moraux.

Car il n'est pas interdit de craindre que le changement ne s'accompagne aussi, maintenant du cĂŽtĂ© des bitcoineurs, d'une forme de condescendance ou d'arrogance peut-ĂȘtre prĂ©maturĂ©e, surement dĂ©placĂ©e. Certains pronostics d'hyperbitcoinisation ne sont pas utiles. Certaines photographies (de vacances, de fĂȘtes, de festins) sont peu de nature Ă  conforter l'idĂ©e que  Bitcoin n'a pas Ă©tĂ© inventĂ© pour vous rendre riches mais pour vous rendre libres .

On peut rire entre nous de tous les banquiers et économistes old-timers qui viennent avec une sincérité de crocodile nous dire que Bitcoin a trahi les promesses de sa jeunesse. Il n'est pas interdit de nous poser, entre nous, des questions morales.

Il y a en effet une attitude possible (short the world, en gros...) et une autre, souhaitable. Améliorer un peu le monde.

118 - Bitcoin mis en biĂšre

January 4th 2022 at 19:53

(pour Sofiane)

Commençons par un aveu de faiblesse : cet article serait difficile à traduire.

Il y avait jadis, m'a-t-on dit, dans mon village de Picardie un menuisier qui faisait aussi  café  et ne se refusait pas le plaisir d'accueillir à l'occasion le client par une plaisanterie trÚs fine :  vous venez pour une biÚre ? .

Bref, je ne vais pas parler de Bitcoin mis pour une 440Úme fois (à ce jour)  en biÚre  (du vieux bas-francique bëra pour civiÚre) mais d'une certaine chope de biÚre (du moyen-néerlandais bier) qui me semble avoir largement échappé à la fureur du mÚme qui rÚgne dans notre sonnante et trinquante communauté.

Ce 3 janvier, donc, un banquier d'affaires crypto de longue date (il se reconnaitra) poste, comme quelques centaines d'autres j'imagine, l'iconique page du Times de Londres. Quelle élégance, ce Satoshi, on dirait un personnage de Jules Verne. On sent le boomer et ça me ravit à chaque fois.

Comme chacun sait, Satoshi, dans son premier bloc de validation, le 3 janvier 2009, a en effet rajouté ces quelques mots :  Chancellor on brink of second bailout for banks . Et là, le fin banquier d'ajouter :  Certains diront que c'est un message subliminal pour réfléchir sur notre économie monétaire, d'autres qu'il s'agissait simplement d'une preuve de date... le mystÚre subsiste .

Au moment prĂ©cis oĂč j'ai lu le mot subliminal mes yeux se sont ouverts et, pour la premiĂšre fois je le confesse (mais j'ai eu beau interroger autour de moi, je ne semble pas plus borgne qu'un autre) j'ai VU :

pinte.jpg, janv. 2022

Bon dieu... mais c'est bien sûr !  me dis-je comme le célÚbre commissaire : le vrai message subliminal, c'est la pinte. Ce message s'adressait clairement à plusieurs personnes qui ne le savaient pas ce jour-là, il y a 13 ans, mais qui allaient devenir, d'un bout du monde à l'autre, les piliers d'innombrables social-meetups.

Mais ce qui est vraiment magnifique c'est ce que dit le minuscule chapeau : que le prix de l'indispensable pinte allait baisser !!!

Or au cours de ces réunions savantes et conviviales, de pinte en pinte, on allait assister à une baisse vertigineuse du prix de la biÚre... exprimé dans la monnaie de Satoshi.

Mes amitiés aux buveurs de biÚre francophones qui se reconnaßtront eux-aussi aisément et aux bars qui ont eu l'intelligence de vendre la biÚre en bitcoin !

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