Il y a quelque temps que je tournais dans mon esprit autour de concepts d'origine thĂ©ologique. Comme souvent, une image fortuite a catalysĂ© mon intention et je prends le risque, en formant le vĆu de ne pas choquer les uns ni rebuter les autres.
Il y a quelque intĂ©rĂȘt Ă Ă©couter les personnes les plus simples car elles posent les vraies questions : c'est quoi en fait le bitcoin ? il est conservĂ© oĂč ? demande la maman Ă son fils geek. Celui-ci peut rĂ©pondre qu'il est Ă©crit dans un livre, et ajouter que l'argent du Livret A aussi est une Ă©criture dans un livre. OĂč il est ce livre? Celui du Livret A, il est tenu par la Caisse d'Epargne, dont tout l'argent est Ă©crit dans un livre Ă la Banque Centrale, qui ne conserve plus d'or depuis longtemps.
Le livre des bitcoins, qui est un peu partout dans la nature, devrait apparaĂźtre plus sĂ»r. Seulement le livre de la Caisse d'Ăpargne comptabilise des unitĂ©s qui peuvent exister rĂ©ellement, et qu'on appelle des espĂšces. Les Ă©conomistes nĂ©gligent presque les espĂšces, les banquiers les considĂšrent comme un fardeau, imposĂ© par les rĂ©sistances des simples, leur matĂ©rialisme. Mais la reprĂ©sentation des espĂšces, l'argot du fric et le bruit des picaillons sont bien utiles ; voyez les romans, les films, les publicitĂ©s...
Le bitcoin, lui, n'existe pas sous la forme matĂ©rielle d'un bout de quelque chose. On persiste Ă le reprĂ©senter comme une piĂšce d'or, un peu parce que mĂȘme les geeks restent matĂ©rialistes, et aussi peut-ĂȘtre parce qu'ils donnent Ă leur nouveau dieu le visage de l'ancienne idole, ce qui s'est dĂ©jĂ vu. Et enfin parce que l'on n'a rien trouvĂ© d'autre. Hors de lĂ , comment reprĂ©senter un bitcoin?
Bitcoin n'ex-iste pas, au sens du latin ex(s)istere « sortir de, se manifester, se montrer ». MĂȘme les innombrables wallets, cartes ou clĂ©s commercialisĂ©s pour lui donner support matĂ©riel ne contiennent en rien Bitcoin, ni le moindre bitcoin.
Cela faisait donc quelque temps que je me disais qu'au fond, il y avait dĂ©jĂ eu une circonstance oĂč les esprits des hommes (non mathĂ©maticiens), limitĂ©s par leurs sens, s'Ă©taient affrontĂ©s Ă ce type de difficultĂ© : c'Ă©tait face au mystĂšre de la PrĂ©sence sacramentelle dans les espĂšces consacrĂ©es. Pour les chrĂ©tiens, l'hostie consacrĂ©e possĂšde une caractĂ©ristique non tangible qui la distingue radicalement de l'hostie non consacrĂ©e : il y a en elle, pour ceux qui communient, la prĂ©sence d'un insaisissable. Sa nature en est changĂ©e entiĂšrement, mais cela est impossible Ă montrer, et difficile Ă exprimer par ceux-lĂ mĂȘme qui adhĂšrent Ă cet article de foi.
Quand les premiers PÚres de l'Eglise se partagÚrent sur la vaste question de la réalité de la présence physique, dans le pain et le vin consacrés à la messe, du corps et du sang du Christ, ils furent bien forcés de convoquer à ce débat quelques grosses pointures philosophiques.
Le prestige immense d'un saint Augustin (influencĂ© lui-mĂȘme par les nĂ©o-platoniciens) fit reprendre par les uns son idĂ©e selon laquelle une prĂ©sence intellectuelle s'ajoute Ă la rĂ©alitĂ© du pain et du vin, mais sans s'y substituer. Mais ce pain, en mĂȘme temps, Augustin reprend l'idĂ©e de saint Paul (1Co 12,27), c'est l'Ă©glise (du grec áŒÎșÎșληÏία , assemblĂ©e) elle-mĂȘme. Donc, explique Augustin, si c'est vous qui ĂȘtes le corps du Christ et ses membres, c'est le symbole de ce que vous ĂȘtes qui se trouve sur la table du Seigneur (Sermon 272).
Mais le dogme rĂ©aliste fut forgĂ© par des thĂ©ologiens bien davantage inspirĂ©s d'Aristote et dont le 13Ăšme siĂšcle vit le triomphe. La pratique dâĂ©lever lâhostie et le calice pour les montrer aux fidĂšles durant l'Offertoire se gĂ©nĂ©ralisa. Les simples ne voyaient certes que du pain, mais le prĂȘtre leur assurait qu'il s'agissait en vĂ©ritĂ© et uniquement du Corps du Christ.
C'est aussi que l'aristotĂ©lisme mĂ©diĂ©val permettait de concilier perception (les accidents en vocabulaire aristotĂ©licien) et la rĂ©alitĂ© de la substance. Avec l'humanisme de la Renaissance, revint l'idĂ©alisme platonisant. Quelques annĂ©es Ă peine avant le premier coup de tonnerre de la RĂ©forme protestante, RaphaĂ«l peignit de 1508 Ă 1512 l'Ăcole d'AthĂšnes pour la chambre du pape Jules II. On y reconnait Platon, le doigt pointĂ© vers le Ciel des IdĂ©es, et Aristote qui Ă©tend la main vers la terre. Je vais revenir sur le sens des jeux de mains.
Raphaël a donné à Platon le visage de Léonard de Vinci. Or une décennie plus tÎt, celui-ci avait peint, pour un couvent de dominicains de Milan, l'Ultima Cena, le dernier repas du Christ. Pour les historiens de l'art c'est l'un des plus grands chefs d'oeuvre de tous les temps. Il n'est pas interdit d'y voir aussi le premier signe des débats dogmatiques qui vont couper durablement l'Europe et la Chrétienté en morceaux. Et l'on y retrouve aussi maint jeux de mains...
C'est en découvrant la toile d'un artiste français, Youl, qui s'est inspiré de cette fresque pour illustrer le protocole Bitcoin que j'ai entrepris de rédiger ce billet.
Lâhistorien dâart LĂ©o Steinberg prĂ©sente l'Ultima Cena comme lâimage narrative la plus copiĂ©e, adaptĂ©e, dĂ©tournĂ©e et satirisĂ©e qui ait jamais existĂ©. Elle a inspirĂ© les plus grands artistes, de Philippe de Champaigne Ă Salvador Dali. Elle a aussi Ă©tĂ© prostituĂ©e par quelques publicitaires vulgaires. Enfin sa profondeur mystĂ©rieuse, peut-ĂȘte Ă©sotĂ©rique, a suscitĂ© des centaines de thĂšses (universitaires ou romanesques) et presqu'autant de dĂ©tournements, parfois fĂ©conds.
Tel m'a semblĂ© ĂȘtre le cas de la toile de Youl, rĂ©cemment vendue sur Internet.
Comme celle de Vinci, cette oeuvre avait été commandée, en l'occurrence par l'anonyme fondateur du Project Bitcoin à Santa Monica, qui l'a revendue à un trader de Ripple en Andorre. Ceci a suscité un peu de buzz sur l'exploit d'avoir pu contourner les rÚgles de ebay en y faisant un deal en bitcoin, et aussi sur le fait que cette toile serait la plus chÚre des oeuvres d'art inspirées par Bitcoin.
L'Ćuvre de Youl mĂ©rite mieux que cela. Avant de savoir si l'artiste (avec qui je suis entrĂ© en contact ensuite) avait suivi, de Bitcoin au Saint-Sacrement, le mĂȘme chemin mental que moi, j'ai voulu poser quelques jalons Ă partir de la fresque de Vinci, Ă laquelle je n'avais pas songĂ©, en m'attachant d'abord aux jeux des mains.
Dans la fresque de Vinci, on doit bien saisir la posture de JĂ©sus. Du plat de sa main droite JĂ©sus s'adresse au traitre Judas. La parole en vĂ©ritĂ©, je vous le dis, lâun de vous me livrera permet ainsi au peintre de mettre en Ćuvre, sur 12 visages, sa thĂ©orie des mouvements de l'Ăąme. Mais de sa main gauche tournĂ©e vers le Ciel, JĂ©sus institue dans le mĂȘme instant (et c'est une des clĂ©s de l'oeuvre) le sacrement de ce qui sera la communion, alors mĂȘme que le pain et le vin ne sont pas placĂ©s devant lui.
Quand Judas touche de la main droite la bourse qui contient la modeste cagnotte de la communauté qu'il va trahir toute entiÚre, les mains de Jésus ne touchent point, elles désignent. à droite de la toile, pratiquement toutes les mains sont tendues vers lui (sauf celle de l'incrédule Thomas, dans la posture exacte de l'idiot qui regarde le doigt). Ainsi, parmi bien d'autres schémas, l'oeuvre de Vinci distingue ce que l'on touche, ce que l'on montre, et ce que l'on évoque.
Mais avant mĂȘme d'aborder son dĂ©tournement notons ceci : tandis que le MaĂźtre institue par sa seule parole un processus d'actualisation perpĂ©tuelle et communautaire d'une opĂ©ration prĂ©sentĂ©e comme un rachat, il annonce Ă©galement Ă la communautĂ© concernĂ©e par ce rachat qu'elle sera menacĂ©e par l'incomprĂ©hension des uns, la passivitĂ© des autres, la trahison enfin de qui reste attachĂ© aux prestiges du passĂ©, la monnaie du vieux monde en l'occurrence. Pas de pain devant JĂ©sus, mais des pains un peu partout sur la table de l'AssemblĂ©e : malgrĂ© ses faiblesses humaines, cette assemblĂ©e est, selon le mot de saint Paul repris par Augustin, le vrai Corps.
Sa premiĂšre esquisse montre que Youl a progressivement extrait du sens tant de l'oeuvre de Vinci que de sa propre comprĂ©hension de Bitcoin. Ă ce stade, il y a deux intuitions chez Youl : JĂ©sus et le QR Code. Le personnage central conserve le visage de JĂ©sus. C'est probablement inadĂ©quat car sa reprĂ©sentation est trop puissante pour signifier quoi que ce soit d'autre. En mĂȘme temps, il tient en main un bitcoin de mĂ©tal, symbole maladroit et redondant puisque le Code QR placĂ© devant lui suffit. Il faut aussi noter que Judas n'est pas formellement identifiable, sauf peut-ĂȘtre par le caricatural haut-de-forme du grand capital.
La réflexion s'affine sur une mise en couleur digitale, dont la palette est restreinte. L'étrange personnage central est Bitcoin anthropomorphisé, le symbole doré devient un simple bijou. Judas n'a toujours pas la main sur la bourse. Un Mac apparaßt, placé de l'autre cÎté de Jésus.
Puis une seconde esquisse est rĂ©alisĂ©e, oĂč Juddas est en position non plus de capitaliste mais de tricheur aux mains baladeuses. Le Code QR est mieux visible au mur mais il a disparu du centre de la toile, remplacĂ© par une assiette, vide, comme toutes les autres depuis la premiĂšre esquisse.
Enfin sur l'oeuvre finale, le Code QR est prĂ©sent deux fois (clĂ© privĂ©e, clĂ© publique?), sur le mur et au centre de la table. Relisons maintenant l'extrait du sermon d'Augustin: si c'est vous qui ĂȘtes le corps du Christ et ses membres, c'est le symbole de ce que vous ĂȘtes qui se trouve sur la table du Seigneur
Judas touche la cagnotte et tend la main vers le Mac, placé de son cÎté. Sa figure s'éloigne de la caricature. Sa trahison est comprise par la grand-mÚre placée à sa gauche : elle vient de découvrir que le portefeuille est vide.Ici, c'est évidemment Mark Karpeles (Mt.Gox) qui figure Judas, celui par qui le scandale arrive.
Chaque personnage Ă©voque un aspect rĂ©el ou mythologique de la communautĂ©. Ainsi Ă cotĂ© de Judas, avec des cheveux gris, Dorian Nakamoto le retraitĂ© harcelĂ© par la presse comme Ă©tant l'inventeur du bitcoin. Il a jurĂ© ne pas l'ĂȘtre; il figure ici Ă la place de Pierre... L'apiculteur fait rĂ©fĂ©rence aux Bee Brothers, qui ont fait fortune en vendant leurs pots de miel en bitcoin au tout dĂ©but. Le personnage masquĂ© est un Anonymous, un pirate informatique dĂ©fendant la libre circulation des donnĂ©es, il porte un T-shirt au logo des The Pirate Bay, ces autres pirates informatiques qui font aussi partie Ă leur façon de la communautĂ© bitcoin. Quelques autres figures aussi, que le lecteur essaiera d'identifier...
Il est difficile de trancher la question: comment est figuré ici Bitcoin? Est-ce le personnage central, inhumain et sans visage ? Est-ce le symbole métallique devenu simple médaille ? Est-ce le Code QR ? Est-ce la communauté, traßtre compris ?
Sans doute est-il temps ici de se demander ce que Youl a voulu faire. C'est un ami qui a fait dĂ©couvrir Ă l'artiste le bitcoin, puis "Bitcoincito", le fondateur du Bitcoin Project. Voici comment Youl m'a racontĂ© leur rencontre : Nous avons longuement bavardĂ© et trouvĂ© de nombreuses idĂ©es avant de se dĂ©cider sur le "Last Supper" de LĂ©onard. Ătonnamment la plupart de nos idĂ©es tournaient autour du Christ et de peintures anciennes, alors qu'aucun de nous deux n'est croyant. Le "Last supper" nous permettait de faire figurer une reprĂ©sentation du bitcoin mais surtour de sa communautĂ© Ă travers les 12 apĂŽtres et leurs personnalitĂ©s et rĂŽles variĂ©s. C'est ce qui nous a paru intĂ©ressant.
De son cĂŽtĂ©, Bitcoincito prĂ©sente ainsi leur dĂ©marche commune : Avec Youl ce fut magique. Ce type a tellement de cĆur, et comme moi, il voulait vraiment aller au coeur de l'histoire du bitcoin. Quand nous avons commencĂ© Ă jeter des idĂ©es sur la table, j'ai Ă©tĂ© frappĂ© de ce que tous deux nous Ă©tions tombĂ©s sur la mĂȘme idĂ©e de base: reprĂ©senter le bitcoin comme JĂ©sus. Nous considĂ©rions ici JĂ©sus comme une figure messianique qui a fondamentalement changĂ© le monde, et qui pour cela fut Ă la fois louĂ© et mĂ©prisĂ©. Il nous semblait que le bitcoin assumait un rĂŽle similaire, changer le monde avec peine, en Ă©tant louĂ© par les uns et mĂ©prisĂ© par les autres.
Youl et Bitcoincito ne sont pas croyants, certes, mais ils sont de culture chrĂ©tienne, dans une version contemporaine marquĂ©e Ă la fois par un accent mis plus fortement sur l'intensitĂ© de la dimension communautaire (la galerie de portraits) que sur la solennitĂ© de la liturgie et la perfection du rite de la communion (les assiettes vides). Dans la CĂšne de Vinci, c'est la dimension horizontale (traversĂ©e par la trahison, le reniement etc) qui a attirĂ© leur attention davantage que les dĂ©bats sur la prĂ©sence rĂ©elle qui n'appartient pas Ă leur culture. Est-ce Ă dire qu'elle est absente de la toile de Youl ? Ou qu'elle est sans intĂ©rĂȘt pour conceptualiser Bitcoin?
Que mon lecteur (courageux) me permette encore un retour en arriĂšre. CommencĂ©e sur le problĂšme trivial du trafic des indulgences par le pape, la RĂ©forme va changer la face de l'Europe, instituer de nouvelles Ă©glises, et provoquer avec le Concile de Trente (1545-1563) l'indispensable redĂ©finition de ses propres dogmes par l'Eglise de Rome. En ce qui concerne l'eucharistie, les positions sont tranchĂ©es, inconciliables, et pourtant toutes deux bien ancrĂ©es dans l'Ecriture qui fait autoritĂ©. On va voir que ce n'est pas sans intĂ©rĂȘt pour qui cherche Ă reprĂ©senter ou Ă se reprĂ©senter Bitcoin.
Ă Rome on s'en tient Ă la rĂ©alitĂ© de la prĂ©sence. JĂ©sus a dit ce que l'on rĂ©pĂšte en latin Ă chaque messe, Hoc est enim corpus meus, ceci est mon corps. Et l'hostie devient rĂ©ellement le corps du Christ ex opere operato c'est Ă dire du fait que le travail est fait. Si un prĂȘtre dĂ»ment ordonnĂ© par un Ă©vĂȘque hĂ©ritier d'une succession ininterrompue depuis les ApĂŽtres, prononce les paroles exactes en suivant le rite canonique, alors, et Ă compter de ce moment, la transsubstantiation est rĂ©alisĂ©e et elle est irrĂ©versible. L'hostie peut ĂȘtre conservĂ©e, adorĂ©e comme telle, distribuĂ©e comme sacrement plus tard.
Pour Calvin, Ă GenĂšve, la prĂ©sence est bien rĂ©elle. Mais c'est celle de JĂ©sus dans son Ăglise (assemblĂ©e) Ă qui il a fait cette promesse : Quand deux ou trois sont rĂ©unis en mon nom, je suis lĂ , au milieu d'eux (Mt 18,20) et Ă qui il a ordonnĂ© "vous ferez ceci en mĂ©moire de moi". Le Corps du Christ n'est prĂ©sent dans le pain que d'une maniĂšre pneumatique (du grec ÏÎœÎ”áżŠÎŒÎ± le souffle, l'esprit) et seulement au cours de l'assemblĂ©e.
Voici, de part et d'autre, des concepts que l'on retrouve avec Bitcoin : la tradition de chaque opération se rattachant à toutes les opérations antérieures depuis l'origine, l'irréversibilité de la chose faite ex opere operato et donc indépendamment des circonstances, mais aussi la validation par la présence d'une communauté de gens qui acceptent cette opération comme l'instrument d'un rachat.
Dans la toile de Youl, Bitcoin est réellement présent par la magie du Code QR, qui n'emmÚnera pas le promeneur vers un quelconque site marchand comme sur une publicité affichée dans le métro, mais vers le site d'un don en bitcoin à la fondation. Ce qui lui permet d'entrer immédiatement dans la toile, c'est à dire... dans la communauté.
Nous terminerons sur deux questions concernant ce qui figure ou ne figure pas sur la table de la CĂšne.
La premiĂšre question a trait Ă la disparition de la pomme. Sur le Mac, la pomme croquĂ©e par Blanche Neige et Allan Turing est remplacĂ©e par une poire. Youl m'a avouĂ© avoir fait la substitution en s'inspirant d'un gag (la pomme c'est Apple, la poire c'est vous) fameux chez les partisans de l'open source. Mais, puisque l'influence augustinienne a dĂ©jĂ Ă©tĂ© mentionnĂ©e ici, on ne m'empĂȘchera pas de songer au pĂ©chĂ© commis par le jeune chenapan, quand il n'Ă©tait pas encore un vieux saint : le vol des poires (rapportĂ© dans ses Confessions, livre II, ch. 4).
Ăcoutons-le: ce nâest pas de lâobjet convoitĂ© par mon larcin, mais du larcin mĂȘme et du pĂ©chĂ© que je voulais jouir. Dans le voisinage de nos vignes Ă©tait un poirier chargĂ© de fruits qui nâavaient aucun attrait de saveur ou de beautĂ©. Notre troupe de jeunes vauriens s'en alla secouer et dĂ©pouiller cet arbre, vers le milieu de la nuit, ayant prolongĂ© nos jeux jusquâĂ cette heure, selon notre dĂ©testable habitude, et nous en rapportĂąmes de grandes charges, non pour nous en rĂ©galer, si mĂȘme nous y goĂ»tĂąmes, mais pour les jeter aux pourceaux : simple plaisir de faire ce qui Ă©tait dĂ©fendu. On ne peut s'empĂȘcher de songer que le jeune lettrĂ© d'Afrique du Nord, l'un des plus brillants esprits de son siĂšcle, aurait fait dans le nĂŽtre un excellent hacker.
La seconde question a trait à ... la disparition chez Youl de tous les fruits comestibles, qui font l'objet pour la CÚne de Vinci d'identifications diverses et d'exégÚses infinies: pommes-grenades, figues, poires et enfin oranges, sur lesquelles je souhaite m'attarder.
L'oranger porte ses fruits en automne, reste vert toute l'annĂ©e et fleurit Ă PĂąques. Il a donc toute sa place sur la table de la CĂšne. Mais il donne aussi son nom Ă la couleur qui procĂšde de lâunion entre lâor cĂ©leste et le rouge sang de la vie. Pour cela, il symbolise parfois la rĂ©vĂ©lation de lâamour divin Ă lâĂąme humaine. Il est aussi dans plusieurs civilisations le symbole de lâindissolubilitĂ© du mariage. Autant dire que la notion d'irrĂ©versibilitĂ© de la transaction pourrait se glisser dans ce symbole, qui offrirait aussi une mĂ©taphore de fonction asymĂ©trique, Ă l'image de ce qui se passe au plus secret des algorithmes de la cryptologie, oĂč le message codĂ© par l'un peut ĂȘtre lu par l'autre mais sans livrer son secret.
Alors? Maladresse de Youl, qui Ă©vacue de la table un symbole aussi appropriĂ© Ă Bitcoin ? Peut-ĂȘtre... sauf Ă dĂ©couvrir que tout l'orange qui a dĂ©sertĂ© la table a fui chez Youl vers le plafond et l'embrasure des fenĂȘtres, c'est Ă dire vers le ciel, mais aussi vers le personnage de Bitcoincito, le commanditaire de la toile,situĂ© Ă la place de Jean... le disciple que JĂ©sus aimait. Ce qui donne une vision derechef platonisante de Bitcoin, venant expliciter son logo orange oĂč le symbole est (presque...) orientĂ© vers le ciel... Revoyez le Platon de RaphaĂ«l : il est vĂȘtu d'orange...
Finalement il ne sera probablement jamais possible de reprĂ©senter Bitcoin. Mais les Ă©lĂ©ments glanĂ©s ici offrent du moins certaines pistes pour se le reprĂ©senter. Gardons le mĂ©tal si l'on veut puisqu'il est mĂ©taphoriquement minĂ©. Cependant il ne sort pas de la terre ocre, mais de la puissance de calcul d'une communautĂ© consciente d'elle-mĂȘme, et de sa volontĂ© de s'affirmer. C'est un mĂ©tal dont la couleur orange mĂȘle l'Ă©clat de l'or au rouge de la vie.
Il y a, aprĂšs tout, des mĂ©taux de toutes sortes : le sodium est mou, le mercure est liquide, l'uranium est radioactif et d'autres mĂ©taux plus lourds que lui n'existent mĂȘme pas Ă l'Ă©tat naturel ce qui explique entre autre leur prix incroyablement Ă©levĂ©. ReprĂ©sentons-nous le prĂ©cieux mĂ©tal orange, notre bitcoin, comme un mĂ©tal mental, dont le pĂŽle magnĂ©tique est dans le ciel de Platon, que l'on ne touche pas de la main, mais qui est rĂ©ellement prĂ©sent dans la pensĂ©e, non d'une personne isolĂ©e mais d'une communautĂ© dont il mesure et exprime la richesse.
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