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41 - Questions philosophiques rue du Caire

By: Jacques Favier —

La Maison du bitcoin organise rĂ©guliĂšrement des petites sĂ©ances d’initiation au bitcoin, aimablement ouvertes Ă  tous. Je m’y suis rendu mercredi 27 janvier avec ma petite idĂ©e, qui consistait Ă  Ă©couter moins l’orateur ( Manuel Valente, trĂšs clair) que les questions de la salle.

En rĂ©alitĂ©, les gens qui viennent rue du Caire ont dĂ©jĂ  de l’intĂ©rĂȘt, voire de la sympathie, pour cette expĂ©rience fascinante, tant d’un point de vue monĂ©taire que d’un point de vue que je dirais
 philosophique.

Et justement, trĂšs vite je me suis aperçu ce mercredi, que sous le masque des visiteurs, s’étaient fort probablement glissĂ© de grands philosophes. Qu’on en juge Ă  l’examen (dans l’ordre) des questions posĂ©es par la salle. On y retrouve les Anciens...

les Anciens

... et les Modernes !

les Modernes

Qui les fabrique, les bitcoins ? Il faut comprendre quel type d’hommes, en accomplissant quel travail, en dĂ©ployant quels efforts. Karl (Marx, pas ChappĂ© !) on t’a reconnu.

Et moi est-ce que je peux en fabriquer ? Adli Takkal Bataille, avec qui j’ai partagĂ© mes idĂ©es et mes doutes, suggĂšre que Friedrich Hayek avait pu se glisser sous la peau de celui qui a posĂ© cette question. Mais j’incline Ă  y voir un retour de SĂžren Kierkegaard, prĂ©curseur des existentialistes pour qui une philosophie que le penseur lui-mĂȘme n’habite pas n’est qu’un palais vide.

Comment ça se fait que ça ait marchĂ© ? Question leibnizienne, rudement tĂ©lĂ©ologique : le bitcoin marche parce qu’il est la meilleur monnaie possible, dans le meilleur des cyber-espaces possibles. Variante Bossuet : le bitcoin participe au plan providentiel.

Combien y a t-il de mineurs? La question pourrait paraĂźtre sans grand enjeu philosophique, sauf Ă  un positiviste, genre Auguste Comte qui pensait que nous ne connaissons ni l'essence, ni le mode rĂ©el de production, d'aucun fait : nous ne connaissons que les rapports de succession ou de similitude des faits les uns avec les autres. Ce genre de pensĂ©e ne m’a jamais passionné 

Donc ce n’est pas Ă©cologique A cet ergo, on reconnaĂźt tout de suite le cartĂ©sien. Qui d’ailleurs se soucie peu de la nature puisque Dieu et Satoshi en ont rendu le bitcoineur maĂźtre et possesseur


Le systĂšme a-t-il dĂ©jĂ  Ă©tĂ© bloquĂ© ? Un disciple du mathĂ©maticien Kurt Gödel, si ce n’est le maĂźtre lui-mĂȘme, venu vĂ©rifier que, selon son cĂ©lĂšbre thĂ©orĂšme, il y a toujours un truc incomplet ou foireux Ă  dĂ©nicher partout (je rĂ©sume).

Comment est organisĂ©e la gouvernance ? On peut penser ici Ă  Rousseau, qui expliquait doctement que quelque part au nĂ©olithique les gars avaient posĂ© la massue dans un coin de la caverne et passĂ© un pacte entre eux au nom duquel on peut aujourd’hui supprimer l’état de droit. Il aurait aussi bien pu imaginer une gouvernance pour le bitcoin. Mais trĂȘve de cynisme potache : c’est plutĂŽt du cĂŽtĂ© de Machiavel qu’une gouvernance du bitcoin trouvera un jour sa description.

Comment on fait concrĂštement pour acheter ? FatiguĂ© du ciel des idĂ©es, c’est ici Aristote qui parle.

les livres jadis se rangeaient

On n’a pas de recours? Non. C’est bien embĂȘtant pour un humain, sujet Ă  l’erreur et au pĂ©chĂ©. On remercie quand mĂȘme saint Thomas d’Aquin, pour qui l'acte humain n’est volontaire que s'il est rationnel et libre, d’avoir soulevĂ© la question.

Qu’est-ce qu’on peut acheter avec ça? Rien, bien sĂ»r, diront les cyniques qui ne le sont jamais autant que leur maĂźtre, DiogĂšne, qui lui voulait abolir la monnaie


autres temps, autres moeurs

Pourquoi la valeur est hyper fluctuante? Parce que tout change, qu’on ne se baigne jamais dans le mĂȘme fleuve. HĂ©raclite d’EphĂšse Ă©tait lĂ , lui aussi.

Pourquoi les banques disent de s’en mĂ©fier? Avec une question aussi naĂŻve, le choix est simple. Soit l’interlocuteur se fiche de vous, soit c’est Socrate redivivus qui va vous prendre par la main et vous faire accoucher de la vĂ©ritĂ© qu’en rĂ©alitĂ© vous connaissez dĂ©jĂ .

Quand est-ce qu’elles font leur propre monnaie? Nicolas Oresme, impatient d’en finir.

Comment est-ce que vous gagniez votre vie? Saint Paul l’écrit (2Th3,10) : celui qui ne travaille pas, qu’il ne mange pas non plus. L’ancien sĂ©minariste Joseph Staline (un philosophe gĂ©orgien) aimait bien cette citation qui rappelle opportunĂ©ment qu’il faut quand mĂȘme faire bouillir la marmite.

Comment la clé sait-elle quelle valeur il y a sur une adresse? Selon mon ami Adli, la question indiquerait sinon la présence directe de Heidegger, du moins son influence sensible.

A noter que personne dans la salle n’a demandĂ© si le bitcoin servait Ă  acheter de la drogue :Herbert Marcuse ne court plus les rues. Personne non plus n'a demandĂ© si le bitcoin finançait l’état islamique : les gens ne lisent donc plus le journal et font davantage confiance au rapport d’Interpol, qui dit que non.

Hathor place du Caire

Comprenne qui pourra.

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39 - Du Kraken et de l'imaginaire Bitcoin

By: Jacques Favier —

le kraken mangeL’une des principales plateformes de bitcoin, la premiĂšre en euros, s’appelle Kraken. Elle vient de croquer deux plateformes amĂ©ricaines, Coinsetter et Cavirtex. Pour illustrer la brĂšve qui annonçait la nouvelle, le site bitcoin.fr n'a pas choisi le logo Ă©purĂ© de Kraken, mais une reprĂ©sentation Ă  l'ancienne figurant sur l'Ă©tiquette d' une marque de rhum.

C’est que le Kraken Ă©voque un parfum d'aventures, de piraterie, de terreur, une longue tradition de textes lĂ©gendaires ou romanesques, de gravures Ă©tranges et de scĂšnes cinĂ©matographiques impressionnantes ! Commençons par le choix de ce nom par les crĂ©ateurs de la plateforme qui Ă©tait une allusion Ă  une rĂ©plique culte d’un film dĂ©jĂ  ancien (1981) mais ayant connu un remake en 3D en 2010, Le clash des Titans.

L'emphase un peu ridicule de Zeus lorsqu'il déclame Release the Kraken en avait fait, involontairement, un sujet de plaisanteries diverses sur Internet.

un Kraken à 4 tentaculesDans ce film, le monstre n'a curieusement que quatre tentacules, ce qui explique aussi le logo de la plateforme, alors que la plupart des innombrables krakens se promenant en liberté sur le net, comme logos de dizaines de sociétés, en ont au moins 8 comme l'animal nommé ocotpussy par les anglo-saxons, si ce n'est plus encore.

J'ai cherchĂ© un peu partout, et d'abord dans Le chant du Kraken, petite Ă©tude passionnante publiĂ©e en septembre par l'historien de l'art Pierre Pigot, ce que le Kraken pouvait venir faire ici, ou du moins ce qu'il pouvait signifier. Et d'abord d’oĂč vient-il ?

De loin! Les Grecs se mĂ©fiaient de la pieuvre qu'ils savaient intelligente et rusĂ©e. Elle figure pourtant entre -525 et -490 sur une piĂšce de la citĂ© d'ÉrĂ©trie, dans l'Ăźle d'EubĂ©e. Les historiens voient dans ce symbole une affirmation d'indĂ©pendance insulaire dans un contexte de rĂ©volte contre les Perses.

Eretrie

En apparence elle n'est pas encore le monstre effrayant qui lance ses tentacules Ă  l'assaut des vaisseaux. Mais HomĂšre ne parlait-il pas dĂ©jĂ  du Kraken, sous le nom de Scylla, un monstre affreux
 six cous gĂ©ants, six tĂȘtes effroyables ont chacune en sa gueule trois rangs de dents serrĂ©es ? Ne parlait-il pas du Kraken sous le nom de MĂ©duse, cette fille des mers qui, pour avoir profanĂ© un temple d’AthĂ©na se vit gratifiĂ©e de serpents se tordant autour de sa tĂȘte ?

Ces monstres invisibles, pourquoi leur donnait-on dĂ©jĂ  la forme d’un poulpe (du grec poly-pous, qui a plusieurs pieds) ? Parce qu’il y a des poulpes monstrueux : au premier siĂšcle, Pline l’Ancien Ă©voque un polypus qui logeait prĂšs de Gibraltar. Sa tĂȘte aurait eu un volume de 600 litres et ses bras mesuraient prĂšs de 9 mĂštres. Monstrueux, ils sont puissants : le polype de Pline ne put ĂȘtre mis Ă  mort que par plusieurs hommes armĂ©s de harpons.

Docteur PopaulMais il y a autre chose, que Pline savait dĂ©jĂ  : les poulpes sont des chasseurs intelligents. Nous savons aujourd’hui qu’ils peuvent faire usage d’outil, et sans doute mĂ©moriser voire apprendre.

Le célÚbre Paul en savait apparemment assez long sur le foot, à défaut de pouvoir deviner l'évolution des crypto-devises.

Monstrueux, puissant, intelligent, suis-je en train de suggérer une comparaison avec le bitcoin?

Une mosaĂŻque de PompeĂŻ rĂ©sume tout ce que nos anciens savaient de la mer riche en poissons et des deux terreurs qui y rĂšgnent : le crustacĂ© dont la carapace ne peut qu’évoquer la cuirasse des lĂ©gionnaires, et le tentaculaire en quoi peut-ĂȘtre voyaient-ils les dĂ©sordres et les ruses de la barbarie. Quelque chose de non-romain, dit Pigot.

au musée de Naples

DĂ©jĂ , c’est le cĂ©phalopode monstrueux qui l’emporte, et il n’a pas encore atteint la taille d’un monstre ou d’un dĂ©mon.

le Kraken de 1558Si l’existence du Kraken n’est pas un article de science, ce n’est pas non plus un dogme. Pourtant les premiĂšres mentions s’en trouvent sous des plumes d’hommes de Dieu. OlaĂŒs Magnus, un archevĂȘque suĂ©dois du dĂ©but du 14Ăšme siĂšcle, semble avoir rencontrĂ© des tĂ©moins qui avaient assez vu le monstre pour en faire des descriptions qui inspireront Konrad Gesner dans cette plus ancienne image (1558). Que dit Olaus ? Les hommes en Ă©prouvent une trĂšs grande crainte et, s’ils les fixent un moment, ils en demeurent stupides de frayeur
un seul de ces monstres marins peut aisĂ©ment faire sombrer plusieurs grands navires


Puis un Ă©vĂȘque norvĂ©gien, Erik Pontoppidan, en 1753 dans son Histoire naturelle de la NorvĂšge rapporta surtout des histoires de pĂȘcheurs : le Kraken se tient dans l’eau Ă  150 mĂštres du rivage vers lequel il remonte en cas de pĂȘche surabondante. Il cite aussi un mĂ©decin, OlaĂŒs Wormius qui serait le premier Ă  avoir parlĂ© d'une ressemblance avec une petite Ăźle. On aperçoit, dit Pontoppidan, comme de petites Ăźles ici et lĂ  puis le dos entier apparaĂźt, d’une circonfĂ©rence de l’ordre de 2.400 mĂštres. Le seul que l'on ait trouvĂ©, en 1680, sur un rivage norvĂ©gien, n'avait en vĂ©ritĂ© frappĂ© les esprits que par la puanteur de sa dĂ©composition. Mais Pontoppidan est le premier Ă  manier une comparaison fĂ©conde: celles des tentacules qui se dĂ©ploient et se dressent levĂ©es du monstre semblables Ă  des mĂąts armĂ©s de leurs vergues.

En 1802 le français Pierre DĂ©nys de Montford lui consacra une belle part de son livre sur les mollusques. Il passa pour un fantaisiste et nul savant n’en parla plus durant un demi-siĂšcle. Mais c'est sa gravure qui allait fixer les traits du Kraken pour prĂšs de deux siĂšcles auprĂšs des poĂštes et des rĂȘveurs, au premier rang desquels il faut citer Tennyson et Hugo. La voici dans une version amusante, animĂ©e. Elle a vraiment eu un destin extraordinaire.

Montfort

Alfred, baron Tennyson (1809-1892) écrit en 1830 ''The Kraken'', dont voici le début de la magnifique traduction de Lionel-Edouard Martin :



Au dessous des remous des gouffres supérieurs,
Loin, loin, parmi les fonds, dans la mer abyssale,
Dort de son vieux sommeil, sans rĂȘve ni veilleur,
Le Kraken ...

La pieuvre de HugoHugo ne le nomme pas Kraken, mais ses Travailleurs de la Mer, Ă©crits en exil Ă  Guernesey, popularisent un vieux mots de patois anglo-normand qui va passer en français: la pieuvre ... Ă©tant entendu que la sienne est comme toute idĂ©e sortant de sa tĂȘte: gĂ©ante.

Dans la longue description de Hugo, qui mĂȘle fascination et dĂ©goĂ»t, une phrase ramasse en 5 mots tout l'effroi: chose Ă©pouvantable, c'est mou.

Hugo introduit donc le thĂšme du combat. Jules Verne le reprend en 1870. Son Capitaine Nemo toise le monstre, l'affronte, le massacre. Il a beau ĂȘtre prince indien, il agit bel et bien en occidental du siĂšcle scientifique.

A la fin du siĂšcle, la pieuvre gĂ©ante a tellement envahi les imaginations qu'elle est devenue comme un symbole de l'Ocean lui mĂȘme. Voyez cela rue Saint-Jacques. la pieuvre de la rue saint Jacques

Mais pratiquement au mĂȘme moment, un tout jeune homme qui signe LautrĂ©amont entame, avec ses chants de Maldoror, un voyage poĂ©tique oĂč ce n'est plus le poulpe qui prend l'homme mais l'homme qui se glisse dans le poulpe au regard de soie.

Pierre Pigot voit au travers de ces variations littéraires un mécanisme de compensation : tout ce que notre imaginaire actuel charrie sur les divers écrans , comme monstre et comme désastre croit avec ce qu'il nomme la pétrification scientifique du monde. Alors que la froide lumiÚre de la science veut régner, les forces souterraines comprimées, étouffées sous le poids de cette transparence atroce bandent leurs pinces et leurs tentacules.

Quand le bitcoin est si fier d'une confiance entiÚrement mathématique, l'image du Kraken n'évoque-t-il pas ce qui reste en nous de défiance?

Revenons donc au bitcoin. Cette fausse monnaie n'inspire-t-elle pas (aux élites 1.0 figées sur leurs lourds vaisseaux) la crainte qu'inspirait le Kraken avec ses tentacules dressées comme des mùts? Insaisissable, presqu'invisible dans les eaux financiÚres... chose épouvantable, c'est mou et pourtant puissant...

Les sceptiques, les détracteurs du bitcoin, ne sont-ils pas comme Ned Land, le harponneur trivial du roman de Verne qui dans le mot Kraken, entend surtout "craque" , le mensonge, le mythe.

Changeons de registre. Tandis qu'Hugo, Melville, Verne, voyaient les tentacules sortir du fond des mers, à l'autre bout du monde, le poulpe entamait une toute autre exploration. En 1814 Hokusai, le vieux fou de dessin, avait illustré la légende de la princesse Tamori, qui avait plongé au fond des eaux pour rechercher une perle magique et qui, pourchassée par les monstres marins, s'était ouverte la poitrine pour y cacher la perle et remonter à la surface. Cette estampe, plus encore que celle de Monford, a fait le tour du monde.

Hokusai

Presque toujours intitulĂ©e, Ă  tort, le rĂȘve de la femme du pĂȘcheur, cette estampe a excitĂ© les fantasmes les plus divers, que l'on sĂ»t ou non que la femme est ici ... morte. C'est sans doute la reconnaissance d'un moment de l'humanitĂ© oĂč celle-ci est sous la menace d'un dieu qui jouit de sa dĂ©voration pour reprendre les mots de Pierre Pigot qui voit aussi dans le plaisir du monstre une puissance parallĂšle de l'obscur, de l'insondable refus de toute forme fixe et assignable.

une interprétation d'hokusai

Des interprétations, parfois bien libres, de Hokusai naitront une immense tradition qu'illustrent un roman de Patrick Grancille, le Baiser de la pieuvre (2010) ou les photographies de Mario Sinistaj, mais aussi une spécialité pornographique typiquement japonaise, le shokushu (tentacle porn...) qui balaie toute la gamme du sordide au sublime, comme avec Edo Porn (Hokusaï Manga) de Kaneto ShindÎ en 1981.

HokusaĂŻ Manga

Nous y voilĂ  : au sexe ! Non, je ne m'en vais pas voir le poulpe de Pigalle, qui (lui) reste de marbre. Je parle de la pieuvre doucereuse qui se glisse dans les replis les plus intimes de la femme et qui « pompe » la pointe de ses seins, pour reprendre l’expression de Huysmans. Elle correspondrait Ă©troitement Ă  l’idĂ©e que les hommes du 19Ăšme siĂšcle se faisaient des relations lesbiennes. En France, un sculpteur sur bois et Ă©bĂ©niste comme François-Rupert Carabin se fit une spĂ©cialitĂ© des amours tentaculaires. S'il faut en croire la revue LGBTQI Miroir/Miroirs, la « pieuvre » serait un suceur mou, fĂ©minin, redoutable, qui suscite l’horreur, la peur ou le dĂ©goĂ»t.

Que peut-on extrapoler de sa réapparition contemporaine? de Hokusai au tentacle porn, un fil court. Rien n'indique qu'il ne passe pas par l'imaginaire bitcoin, dans un milieu dramatiquement masculin.

Davy JonesUn autre fil court Ă  travers la rĂ©apparition pĂ©riodique du Kraken dans les films de piraterie. Dans le second Ă©pisode de Pirates des CaraĂŻbes (2006) le kraken qui va dĂ©truire le navire obĂ©it Ă  un Davy Jones dont le visage, pour ainsi dire dĂ©virilisĂ© lui-mĂȘme, tient fortement de la pieuvre. La scĂšne culte de l'attaque du vaisseau par le Kraken n'ajoute pas grand chose Ă  la lĂ©gende.

Pour finir par lĂ  oĂč j'ai commencĂ©, il faut citer le rhum "Kraken" qui s'est dotĂ© d'une Ă©tiquette un peu intemporelle, inspirĂ©e de la gravure de Montfort, et due au talent de Steven Noble. De ses gravures, Steven Noble dit ceci, qui pourrait s'appliquer au Kraken lui-mĂȘme : a good logo will transcend time. La marque a mis en ligne une sĂ©rie de films tout Ă  fait Ă©tonnants dont celui-ci, avec une attaque en noir et blanc trĂšs esthĂ©tisante.

Tel est finalement le Kraken de la prĂ©sente dĂ©cennie: pirate, esthĂ©tique, puissance encore sous-jacente, potentialitĂ©, Ă©ventualitĂ©... il est comme une petite Ăźle et l'on sait que des libertariens rĂȘvent d'iles off-shore, nouvelles ÉrĂ©trie ; il ressemble, avec ses tentacules en Ă©rection aux vaisseaux qu'il va dĂ©truire, mais il reste insaisissable parce que chose Ă©pouvantable, c'est mou.





Pour aller plus loin :

Pigot* la lecture du Chant du Kraken de Pierre Pigot (aux Ă©ditions Puf)


sculpture de F-R Carabin* sur la pieuvre comme fantasme masculin de la lesbienne, un article dans Miroir Miroir

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37 - Bitcoin, une monnaie en chocolat ?

By: Jacques Favier —

Je voudrais en ce temps de fĂȘte parler de chocolat et de monnaie. Non pour de longues et savantes considĂ©rations sur l'usage monĂ©taire de cacao par les Mayas et les AztĂšques, ou pour ironiser sur la piĂšce en chocolat vĂ©nĂ©zuĂ©lienne qui vaut plus cher que la "vraie", mais en me demandant simplement d'oĂč vient l'usage de faire des (fausses) piĂšces de monnaie en chocolat, et pourquoi en chocolat plutĂŽt qu'en sucre candi, en rĂ©glisse ou en chewing-gum.

une monnaie de chocolat

On verra que le choix d'une "piÚce bitcoin" par les artisans chocolatiers serait particuliÚrement approprié !

D'oĂč vient cet usage ? La chose n'est pas claire.

saint nicolasUne tradition le rapporte Ă  la lĂ©gende du bon saint Nicolas. Celui-ci, de son vivant, Ă©tait Ă©vĂȘque de Myre en Anatolie. Sa vie et sa lĂ©gende sont extrĂȘmement riches l'une et l'autre. Cet homme charitable faisait l'aumĂŽne en toute discrĂ©tion, et pour cela, donnait volontiers aux enfants.

Bien avant le PĂšre NoĂ«l, il aurait grimpĂ© sur un toit pour lancer des piĂ©cettes par la cheminĂ©e, lesquelles seraient tombĂ©es dans une chaussure mise Ă  sĂ©cher. Ayant, comme on sait, sauvĂ© trois petits enfants destinĂ©s au saloir, ou les ayant ressuscitĂ©s selon les rĂ©cits, il devint le protecteur des enfants qui, dans certaines contrĂ©es, reçoivent des cadeaux au matin de sa fĂȘte, le 6 dĂ©cembre. La Belgique et son chocolat comptant parmi les pays qui entretiennent cette tradition, je me suis dit que tout se tenait.

Sauf ...que les piĂšces apparaissent aussi dans la tradition juive, pour la fĂȘte de Hanukkah ! La tradition remonterait ici au judaĂŻsme polonais du 17 Ăšme siĂšcle. On donnait en effet des petites piĂšces aux enfants, Ă  charge pour eux d'en redonner (tout? partie?) Ă  leurs professeurs. On a lĂ  une forme de charitĂ© discrĂšte, de nouveau : les jeunes juifs pauvres demandaient ces piĂ©cettes Ă  leurs bienfaiteurs, et les apportaient au maĂźtre qu'ils auraient difficilement pu payer sans cela.

monnaies de Hanoukkah

La monnaie (gelt en yiddish) de Hanukkah, comme celle de saint Nicolas, fut un jour transformĂ©e en chocolat. Mais les hommes pieux aiment Ă  trouver des raisons sublimes Ă  leur charitĂ© comme Ă  leur gourmandise. On se souvint donc que les MaccabĂ©es ou leurs descendants avaient fĂȘtĂ© leur victoire sur les Grecs par une Ă©mission monĂ©taire. Cela attestait nettement du caractĂšre juif de la piĂšce en chocolat...

loftsMais pourquoi en chocolat ? C'est en Amérique que les piÚces d'Hanukkah se seraient, dans les années 1920 réinventées en gourmandise à l'initiative de la maison Loft's. Mais là... on retourne chez les chrétiens. Car Rabbi Debbie Prinz (qui semble avoir fait des recherches plus pointues que les miennes) pense que le chocolatier aurait puisé son inspiration chez... les chocolatiers belges. Nous y revoilà !

Quant à Loft's, la marque devait fusionner quelques années plus tard avec... Pepsi, le grand rival de Coca-Cola qui avait quant à lui, comme on sait, réinventé le PÚre Noël !

Il doit quand mĂȘme y avoir un mystĂ©rieux rapport entre l'or et le chocolat : les piĂšces en chocolat pourraient ĂȘtre argentĂ©es, or elles sont presque toujours dorĂ©es. On pense tout de suite Ă  la Suisse. A NeuchĂątel, oĂč Philippe Suchard, le premier chocolatier industriel, dĂ©veloppa Ă  partir de 1826 son impressionnante usine, se trouve aussi la principale fonderie d'or du pays, Metalor, implantĂ©e lĂ  une vingtaine d'annĂ©e plus tard.

Qu'est-ce que ces histoires nous apprennent ?

L'expression de monnaie en chocolat dĂ©signe parfois, bien Ă  tort, la monnaie de singe. Bref, quelque chose qui n'aurait pas de valeur et permettrait plus ou moins de contourner l'obligation de payer. En rĂ©alitĂ© cette douceur en forme de monnaie rappelle que la monnaie peut ĂȘtre donnĂ©e avec douceur. Avec tact, avec dĂ©licatesse.

Alors que nos gouvernants n'envisagent plus notre sĂ©curitĂ© qu'Ă  travers une surveillance pathĂ©tiquement inefficace de nos petites dĂ©penses, que le marketing de la terre entiĂšre veut analyser notre panier Ă  provisions, que les ONG elles-mĂȘmes fichent leurs donateurs pour les importuner par tĂ©lĂ©phone ensuite... la pĂ©riode des fĂȘtes nous invite Ă  rĂ©flĂ©chir sur une forme d'anonymat qui est celle non de la fraude ou du crime mais de la pudeur et de la dĂ©licatesse.

Dire à un petit enfant que c'est Saint Nicolas ou le PÚre Noël qui lui apporte ses cadeaux, c'est le dispenser d'avoir à en remercier quiconque. C'est donner sans se glorifier et c'est donner sans rien attendre en retour. A cÎté de l'échange marchand classique, et différent du cycle du don décrit par Marcel Mauss (donner, recevoir, rendre) il y a le don par la cheminée, le don en liquide dans la main d'un enfant.

bititMonnaie pseudonyme, le bitcoin est le moyen idéal de donner avec délicatesse. De donner à une ONG, à un ami proche ou lointain, à quelqu'un qui afficherait sa détresse, à un adolescent un peu rebelle. Je sais bien, tout cela est marginal. Mais cela permet d'ouvrir les yeux sur certains aspects de ce qu'est le secret, l'anonymat...

En ce sens le bitcoin mĂ©rite d'ĂȘtre cĂ©lĂ©brĂ© en pĂ©riode de NoĂ«l. Nombre d'entrepreneurs, comme ceux de Bitit, proposent d'ailleurs des solutions pour offrir des bitcoins Ă  ses proches.

Le bitcoin, comme l'or, entretiendra-t-il un rapport mystĂ©rieux avec le chocolat ? Il est Ă©videmment bien trop tĂŽt pour le dire. Mais il y a un indice, pour ceux qui ne croient pas aux coĂŻncidences fortuites. À NeuchĂątel, la principale plateforme suisse de nĂ©goce de bitcoin s'est implantĂ©e, juste sur l'aqueduc de SerriĂšres, dans une ancienne annexe de Suchard rĂ©cemment rĂ©habilitĂ©e... C'est troublant, non ?

du chocolat au bitcoin

Plusieurs chocolatiers ont déjà, en tout cas, flairé la nature profondément enfantine du bitcoin et sauté avec finesse sur cette nouvelle opportunité de contrefaçon monétaire !

un bitcoin en chocolat

JOYEUX NOÊL À TOUS !

Pour aller plus loin :

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26 - Bitcoin : des espĂšces qui ne montent pas au nez

By: Jacques Favier —

La piste des sardines

J'ai Ă©crit dans un papier sur le Bitcoin, le Grexit et les faiseurs de systĂšmes qu' en dernier ressort bien des objets standards et fongibles peuvent servir d’étalon voire d’instrument de paiement . Je faisais profiter mon lecteur du conseil que m'avait jadis donnĂ© un vieil homme avisĂ© :  en cas de guerre, mon petit, les boites de sardines se bonifient . Il ajoutait, superbe mais pratique:  et ça s’empile facilement . Il faut en parler aux Grecs.

sardines grecques

L'argot est comme une mémoire vivante de ces situations de précarité collective. Que l'on travaille pour des clous, pour des clopes, ou pour des peaux de lapins, c'est toujours pour des objets ayant une utilité intrinsÚque, relativement standards et fongibles que l'on travaille. La langue anglaise a d'autres références dont to earn peanuts.

On peut certes payer avec des cacahuÚtes comme monnaie de singe. Reste un problÚme que la nature de l'objet ne résout jamais. C'est celui de la confiance non en la cacahuÚte échangée mais dans le singe partenaire de l'échange...

Les cacahuĂštes et autres produits d'Ă©picerie

L'autre jour la présidente de l'association des banques grecques, par ailleurs ancienne professeur d'économie aux universités de Yale et de Londres, a lancé un appel aux clients pour qu'ils rapportent leur argent en banque - Banks are absolutely trustworthy - appel qui a fait rire tout le pays.

cacahuetes grecquesParmi les réactions rapportées par la presse, l'une évoque ainsi la chose : les banques ne reverront jamais mon argent, je préfÚre acheter des tonnes de cacahuÚtes avec ! La solution (illégale selon Monsieur Sapin) est un peu rudimentaire si on la prend au pied de la lettre. Car la cacahuÚte, si elle peut servir de moyen de "petit paiement" (bien que non divisible, elle est utile et fongible), ne se conserve pas forcément plus de quelques semaines. Il faudrait prévenir les Grecs.

L'Ă©tude de la "grande famine monĂ©taire" qui rĂ©gna au XVĂšme siĂšcle, et que j'ai dĂ©jĂ  abordĂ©e ici, est une mine d'idĂ©es sur ce qui peut servir de monnaie quand on n'a plus de monnaie. Pratiquement aucune des idĂ©es exhumĂ©es pour la GrĂšce n'a pas dĂ©jĂ  servi Ă  cette Ă©poque. Les tax scrips existent dĂ©jĂ  sous le nom de scuxe Ă  GĂȘnes ou de note debiti communis Ă  Milan. La cacahuĂšte n'est pas encore arrivĂ©e de son AmĂ©rique tropicale... mais le poivre sert couramment, et mĂȘme dans les contrats qui prĂ©cisent ou l'Ă©quivalent en poivre. Le poivre, lui, se conserve en grains plusieurs annĂ©es. Il faut le suggĂ©rer aux Grecs.

le poivre

En gros sacs ou en sachets, les épices ont la fluidité (la liquidité pourrait-on dire) et l'anonymat des métaux précieux. Certaines, comme le safran, valent leur poids d'or.

Il reste quelque chose du paiement en poivre et en Ă©pices dans notre vocabulaire : payer en espĂšces, c'est en effet proprement payer en Ă©pices.

Est-ce à dire que l'on pourrait ainsi se passer de banque? J'échangeais récemment avec un de mes nouveaux lecteurs, qui m'écrivait : Que l'on ait accepté "durant quelques heures" de la pyrite comme moyen de paiement en lieu et place de l'or nous rappelle bien que, en des temps d'impecuniosité comme d'hyperinflation, la monnaie, au-delà de sa valeur intrinsÚque, reste une convention. Et de ce fait, comme il me le signale, il y avait déjà eu, depuis des années, des citoyens grecs développant des monnaies "alternatives", souvent appuyés sur des SEL (SystÚmes d'échanges locaux). Notamment une expérience à Volos. Mon lecteur ajoutait que ce systÚme, plus proche il est vrai du troc que d'une monnaie, partage cependant avec le bitcoin la faculté de "désintermédier" les échanges économiques.

Le SEL (une pincée, pas davantage)

C'est là que le bùt blesse. Un troc, un SEL, une monnaie locale, tout cela est difficilement scalable comme on dit de nos jours. De telles expériences de désintermédiation sont éphémÚres, car elles se heurtent à une dure réalité. Cette réalité, c'est la difficulté d'étendre la confiance au delà d'un cercle étroit et de faire respecter les obligations sans contrainte légale.

L'open source permet certes d'imaginer des solutions. Ainsi le systĂšme TEM crĂ©Ă© en 2012 Ă  Volos devait permettre aux utilisateurs de la monnaie locale d’accĂ©der Ă  la liste complĂšte des acheteurs et des vendeurs ainsi que de noter les autres membres aprĂšs chaque transaction. Les transactions avaient lieu sous forme de virements d’un compte utilisateur Ă  un autre, comme par chĂšques, mais pour Ă©viter la fraude et assurer la transparence, les soldes de chaque utilisateur Ă©taient archivĂ©s dans une base de donnĂ©es accessible Ă  tous.

TEM de Volos

La technique a encore progressĂ© depuis 2012. Elle peut considĂ©rablement aider le commerce en monnaies locales : il suffit d'implĂ©menter ces monnaies sur des plateformes de paiement avec des applications mobiles. La technique peut aider le commerce en poivre en dĂ©finissant toute chose durable et fongible comme une quasi-monnaie. Elle peut mĂȘme aider le troc du poivre contre les sardines par des mĂ©canismes issus des sites de rencontres, couplĂ©s Ă  des systĂšmes de virement et de compensation. Les participants peuvent acquĂ©rir une rĂ©putation et une crĂ©dibilitĂ© comme sur les sites de vente en ligne. Mais il faut se rappeler que mĂȘme les plus puissants de ces sites ont du mal Ă  gĂ©rer les conflits, dans lesquels la bonne foi n'est pas toujours Ă©vidente. Or ces sites gĂšrent des montants individuels limitĂ©s, et ne font pas de crĂ©dit.

Aujourd'hui des Grecs rĂȘvent de changer non de monnaie (s'ils le pouvaient ils conserveraient le plus d'euros possible !) mais de banque ou plutĂŽt de systĂšme bancaire.

Payervices on Greek TV

Une plateforme comme Payservices fait parler d'elle sur la télévision grecque car elle prétend permettre non seulement de faire des échanges à la fois en devise officielle et complémentaire, mais de payer de mobile à mobile, ou avec une carte indépendante des réseaux Visa ou Mastercard, tout en permettant un systÚme global et cohérent (et donc le paiement de la TVA). Au passage elle prétend se substituer avec ses tokens dénommés "eurodrachmes" à la BCE comme à la Banque Nationale. Pourquoi pas, dans une logique de collapsus total?

Les paramĂštres politiques restent cependant bien difficiles Ă  dĂ©finir : l'État grec aurait-il un rĂŽle, voire un compte administrateur ? accepterait-il en paiement des impĂŽts une monnaie complĂ©mentaire "nationale" dont la crĂ©ation lui Ă©chapperait ou dont les tokens seraient des tax anticipation scrips ? Cette monnaie serait-elle distribuĂ©e per capita ou bien Ă  concurrence des soldes en euros dans les banques qui seraient dĂ©faillantes ?

Le chemin est semé d'embûches. L'expérience de Volos date de 2012, et le site internet du TEM paraßt abandonné malgré les circonstances récentes. La coopération a été de courte durée. Les tensions internes, les conflits humains l'ont emporté. Les tentatives actuelles auront-elles plus de pérennité ? Il est assez intuitif de comprendre que la force coercitive d'un systÚme doit croßtre en proportion du niveau des risques. Or il est également intuitif de saisir que la GrÚce n'a pas atteint son niveau de déréliction sans une certaine impéritie des pouvoirs publics. Compter sur eux maintenant pour créer une forme d'ordre, c'est blesser les sentiments d'un peuple abandonné, mais aussi nier la simple réalité.

La discorde

En regard, le bitcoin n'a qu'un dĂ©faut, me semble-t-il. Il ne peut ĂȘtre donnĂ©, distribuĂ© comme des jetons en dĂ©but de partie. Pour la plupart des utilisateurs, les bitcoins utilisĂ©s sont des bitcoins acquis. Pour une adoption plus large qu'aujourd'hui, les nouveaux venus devront l'acquĂ©rir, et sans doute pour plus cher qu'il ne vaut aujourd'hui. Ce n'est pas un token pour rire (ou pour pleurer).



Mais il a un avantage non négligeable: c'est un systÚme qui fait régner un ordre intrinsÚque indépendant de l'ordre politique. Il y a au Musée d'Anvers un magnifique Rubens, qui représente Minerve détruisant la discorde.

Rubens

Or Minerve (Athéna !) c'est cette forme grecque de Sagesse, ce miracle grec, qui fit dire à Pythagore que tout est nombre. Bitcoin, dont la devise latine est vires in numeris ne rend pas les hommes meilleurs ou plus zélés à tenir leurs engagements.

Bitcoin fait régner l'ordre sans police. Il établit une confiance en lui ( il est pérenne et utile comme le poivre) mais surtout en l'autre. La confiance qu'on lui fait ne vient pas à ce jour de sa valeur (comme pour l'or l'or) mais de la confiance qu'il inspire comme moyen de transaction. Point de discorde en bitcoinie...

Ce qui permet de se passer de César, de sa monnaie (et de ses impÎts). Car ce que César pense de la population, tout le monde le sait. Elle est bien gentille la populace, mais les épices lui montent vite au nez. Qu'elle a moins joli que Cléopùtre, laquelle était une princesse grecque...

CĂ©sar

Pour aller plus loin :

  • Mon billet sur l'impossible adoption du bitcoin par l'Etat grec (Monnaie de siĂšge) et ses liens en bas de page.
  • Mon billet sur le Cercle des Echos le Bitcoin, le Grexit et les faiseurs de systĂšmes n'a malheureusement pas Ă©tĂ© maintenu sur leur site. COnclusion: il ne faut pondre que dans son propre nid !
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24 - Les Anges, de Byzance Ă  Bitcoin

By: Jacques Favier —

C'est Byzance !

piĂšce d'or de Jean II ComnĂšneJadis les voyageurs dĂ©couvraient avec Ă©merveillement Byzance, l'opulence de ses marchĂ©s, le luxe de ses Ă©glises oĂč les saints rĂšgnaient sur l'or des mosaĂŻques, et ses belles piĂšces d'or ou d'electrum, sur lesquelles le Christ lui-mĂȘme apportait sa caution Ă  l'empereur.

Ils rapportĂšrent en France l'expression "c'est Byzance". Une autre expression, valoir son pesant d'or, oĂč l'on trouve le vieux mot bezant, tĂ©moigne de cette antique fascination...

Dans le monde du bitcoin, on fait aujourd'hui plutÎt référence à cette "seconde Rome" pour ses fameux généraux byzantins, qui doivent se concerter tout en supposant l'existence d'un certain nombre de traitres parmi eux.

attaque byzantine en sicile, 1038

La solution du problĂšme mathĂ©matique n'Ă©tant guĂšre inconnue de mes lecteurs, je pose la question historique Ă  laquelle pour ma part je n'ai hĂ©las pas trouvĂ© la rĂ©ponse : pourquoi des byzantins ? Dans leur Ă©tude, Lamport, Shostak et Pease ne s'expliquent pas sur ce point. Les commentateurs se contentent d'affirmer que cela fait rĂ©fĂ©rence Ă  un fait historique. Ce pourrait bien ĂȘtre le siĂšge d'Alexandrie en 641, au cours duquel en rĂ©alitĂ© les gĂ©nĂ©raux byzantins se montrĂšrent en dessous de tout, mais l'histoire byzantine est bien longue et riche en Ă©popĂ©e... Le plus probable que l'un des trois auteurs a eu quelque rĂ©miniscence cinĂ©matographique, et qu'il a songĂ© par exemple au Dernier des Romains (1967) ou au pĂ©plum de Riccardo Freda (1954) Theodora impĂ©ratrice de Byzance. Si un de mes lecteurs peut m'aider, il est le bienvenu!

Byzance, une seconde fois vaincue dans nos programmes scolaires, mal valorisée au Musée du Louvre, disparait lentement de notre mémoire collective. Il en demeure l'idée d'une civilisation brillante mais incapable de se défendre, et une histoire, sans doute fausse, sur ce dont les responsables de la ville auraient disputé durant l'assaut final des Turcs : l'épineuse question du sexe des anges.

Un ange de TiepoloElle prĂȘte aujourd'hui Ă  rire. Mais si les angelots des peintres ont des petits sexes de sacripants qui les situent entre les Amours et les Lutins, les Anges n'ont point ce genre d'organes. La question historique qui s'est posĂ©e (et en fait bien des siĂšcles avant la chute de Byzance en 1453) c'est celle de leur corporĂ©itĂ©, de leur forme matĂ©rielle, de la nature de leur dĂ©placement dans l'espace.

Ce n'est pas sans intĂ©rĂȘt pour ceux qui rĂ©flĂ©chissent aujourd'hui sur la nature du bitcoin.

Comme je l'ai expliquĂ© sans trop de dĂ©tail sur le Cercle des Échos, les Anges sont, dans la pensĂ©e des Anciens, des messagers de l'au-delĂ . Ils ont donc une nature non matĂ©rielle et ils se situent dans un espace qui n'est pas celui "de ce monde". Deux points qui peuvent nous interpeller. Comment nos ancĂȘtres ont-ils surmontĂ© les difficultĂ©s diverses que cette double altĂ©ritĂ© suscitait pour eux?

ange byzantinLes artistes les reprĂ©sentĂšrent comme de gracieux jeunes ĂȘtres, parfois un peu androgynes, souvent dotĂ©s d'ailes dĂ©signant la provenance (les "cieux"), la fonction (apporter des messages Ă  tir d'aile) et la diffĂ©rence avec les humains. Une aurĂ©ole complĂštait la reprĂ©sentation en suggĂ©rant une nature meilleure que celle de notre chair.

Au total les artistes de jadis se donnÚrent donc plus de mal que les infographistes d'aujourd'hui qui ne trouvent guÚre de représentation du bitcoin autre qu'une sorte de piÚce d'or sans ornement.

Signalons donc au passage que l'une des plus belles piÚces du temps de nos rois fut justement un ange, l'Ange d'or battu en 1341 par Philippe VI. C'était rappeler ce que tout le monde savait: que les fleurs de lys avaient été jadis apportées directement par un Ange. Le roi de France était le seul à faire "porter" son blason par des Anges.

un ange d'or

Et ajoutons que la République française émit aussi une piÚce de 20 francs ornée d'un Ange, évidemment laïcisé sous le nom de "Génie de la Liberté". La persistance de cette symbolique n'en n'est pas moins frappante. Comme si l'on avait toujours su que la monnaie était aussi une forme de message...

ange moderne

Venons-en Ă  ce que les penseurs de jadis peuvent nous apporter.

On doit à saint Augustin (354-430), le plus grand philosophe de l'Antiquité tardive, cette définition : Les anges sont des esprits, mais ce n'est pas parce qu'ils sont des esprits qu'ils sont des anges. Ils deviennent des anges quand ils sont envoyés en mission. En effet, le nom d'ange fait référence à leur fonction et non à leur nature. Si vous voulez savoir le nom de leur nature, ce sont des esprits ; si vous voulez savoir le nom de leur fonction, ce sont des anges, ce qui signifie messager. Il y a là un effort conceptuel que l'on pourrait mettre en parallÚle avec certaines distinctions toujours utiles à rappeler dans le monde du bitcoin, comme celle que l'on fait entre le protocole et la devise.

Entre Platon et Aristote, le triomphe de Thomas d'Aquin, dĂ©tail du tableau par Gozzoli au MusĂ©e du LouvreMais c'est surtout chez saint Thomas d'Aquin (1225-1274) que l'on va trouver l'exposĂ© le plus complet, avec un incroyable souci du dĂ©tail, sur toutes les questions que peut poser Ă  l'esprit philosophique l'existence d'un objet sans corps se manifestant par sa seule efficience : est-il composĂ© de matiĂšre ou de forme ? est-il dans un lieu ? dans plusieurs lieux en mĂȘme temps? Ă  plusieurs dans le mĂȘme lieu ? passe-t-il d’un lieu Ă  un autre en traversant l’espace intermĂ©diaire ?

Sans grand effort de transposition, ce sont des questions que peuvent se poser les hommes d'aujourd'hui, et je pense notamment aux rĂ©gulateurs et aux juristes, quand ils rĂ©flĂ©chissent sur les monnaies dĂ©centralisĂ©es. Du fait de ces similaritĂ©s, je pense que la mĂ©thode philosophique de Thomas d'Aquin a peut-ĂȘtre quelque chose Ă  nous apporter.

CrivelliIl y a autre chose, dans sa dĂ©marche qui me paraĂźt devoir ĂȘtre suggĂ©rĂ© Ă  ceux qui rĂ©flĂ©chissent aujourd'hui autour de la monnaie virtuelle. C'est son constant souci de rĂ©concilier les Ecritures saintes et les enseignements philosophiques, essentiellement ceux d'Aristote. Non ce qui est tenu pour vrai par les uns ou par les autres, mais ce qui Ă©tait tenu alors pour vrai par les uns et par les autres. Concilier et unir les deux approches intellectuelles de l'Ă©poque. C'est ce que symbolise bien le retable de Crivelli (1494).

Aujourd'hui il est, par exemple, insuffisant de ne s'interroger sur la nature des nouvelles monnaies qu'en termes purement techniques.

Non pas bien sûr que la technique soit inadaptée, incompréhensible ou trompeuse. La connaissance technique est irremplaçable. Mais parce que c'est de la confluence de plusieurs approches que naßtra une large acceptation de cette nouveauté radicale dans une plus vaste communauté.

Pour aller plus loin :

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13 - ComplÚtement timbré

By: Jacques Favier —

La grande critique des milieux mal informés contre le bitcoin est qu'il viole un monopole régalien. Depuis le coup d'éclat de la BNS on hésite à vanter la régulation d'une banque centrale, comme depuis l'affaire de Chypre on hésite à louer la protection européenne.

Il est pourtant un autre monopole régalien que l'on a fait passer à la trappe sans larmes de crocodiles, c'est celui des Postes. Et il n'est pas inutile de réfléchir au sujet de la Poste. En fait, ce monopole n'avait évidemment rien d'immuable. Sous l'empereur Auguste, il y avait certes eu un cursus publicus. Parce que l'empire de Rome ce sont des routes bien droites, que l'on reconnaßt encore dans le paysage, et protégées par des légions bien équipées. Qui tient le réseau (de routes) tient la poste et a priori la puissance politique est bien placée pour cela. Mais pas forcément.

1477Au Moyen ùge, on voit ainsi l'Université de Paris créer sa propre poste (1150) et en France c'est seulement en 1477 qu'un monopole royal est affirmé. Mais ailleurs on trouve une puissante Poste qui doit tout à une famille dont elle va fonder la puissance : les Thurn und Taxis. Une histoire édifiante.

timbre de 1852 À partir du 13e siĂšcle la famille lombarde des Tassi, dĂ©veloppe une poste qui s'Ă©tend jusqu'Ă  recouvrir au 15e siĂšcle presque tous les territoires des Habsbourgs. Au 16e siĂšcle, anoblis, ils germanisent leur nom en Von Taxis, au 17e ils revendiquent une filiation prestigieuse avec la famille della Torre, au 18e siĂšcle le chef de famille est Prince Von Thurn und Taxis. Ils Ă©mettent des timbres jusqu'Ă  la nationalisation des postes par la Prusse, en 1867. Le 12e prince, champion d'Allemagne automobile (2010) pĂšserait 1,5 milliard et serait le premier propriĂ©taire immobilier du pays

Avec ou sans État, la Poste est toujours une puissance. Comme la Banque avec les MĂ©dicis, elle a conduit les descendants des lombards Tassi au premier rang de la noblesse europĂ©enne, Ă  deux doigts de la souverainetĂ©.

Dans nombre de pays existe une banque postale. La banque et la poste ont un rapport au transport d'une information et la lettre de change est un hybride. On reverra, avec le systÚme de Samuel Morse (1832) l'apparition en quelques décennies seulement, d'une énorme puissance financiÚre : la Western Union, celle qui a tout à perdre à l'essor du bitcoin... Il semble que chaque mutation dans le transfert d'information privée crée une puissance financiÚre.

Au fond... Poste et Banque, n'est-ce pas un peu la mĂȘme chose ? En cas de pĂ©nurie monĂ©taire, on a vu servir des timbres comme monnaie d'appoint. Et sur les sites de vente en ligne entre particuliers ils ont beaucoup servi avant Paypal, pour les micro-transactions.

Est-ce que la Poste n'imprime pas tout simplement de l'argent? C'est ce que suggÚre l'amusant dialogue, tiré du roman Timbré dans les Annales du Disque Monde (déjà cité sur ce blog) entre Moite von Lipwig, escroc pendable chargé par le tyran de revitaliser le rudimentaire service de la poste et l'un de ses complices. Moite vient de découvrir que, plutÎt que de faire payer la lettre à l'arrivée, on peut tamponner des timbres standards :

timbré -Ils sont drÎlement jolis, monsieur Lipwig, dit Yves. Tous ces détails. Comme de petits tableaux. Comment on appelle ces petites lignes ?
-Des hachures croisĂ©es. Ça les rend difficile Ă  contrefaire. Et quand la lettre portant le timbre arrive Ă  la poste, tu vois, on prend un des vieux tampons en caoutchouc et on oblitĂšre le timbre pour qu'on ne puisse pas le rĂ©utiliser, et le ...
-Oui, parce que c'est comme de l'argent, en fait, le coupa joyeusement Yves.
-Pardon? fit Moite, son thé à mi-chemin des lÚvres.
-Comme de l'argent. Ces timbres, ce sera comme de l'argent. Pasqu'un timbre d'un sou, c'est un sou, quand on y réfléchit. Vous allez bien, monsieur Lipwig? C'est que vous avez l'air tout drÎle, Monsieur Lipwig?
-Euh... quoi? fit Moite qui fixait le mur en souriant curieusement d'un air absent.

Petit billet de banque, mais billet quand mĂȘme : exactement ce que pensait Carlo Ponzi quand il mit au point son premier petit traffic... avant de tenter sans grande sagesse de sortir de sa condition de gagne-petit.

les coupons de Ponzi

Mais celui qui aurait accumulé des timbres postes avant le 1er janvier (et l'incroyable hausse de 15% du tarif) et celui qui aurait acheté des billets de banque suisses avant le coup d'éclat de la BNS auraient-ils fait des plus values d'essences différentes ? Dans le second cas, l'euro s'est dévalorisé par rapport au franc (ironie!). Et dans le premier? C'est tout simple: l'euro s'est dévalorisé par rapport au gramme.



les timbres Ă  20 grammes

Sur la vignette ne figurent qu'un poids, et l'indication (non contractuelle, Î combien !) d'une vitesse. Le prix est fixé à ce jour par la Poste, demain par la concurrence, aprÚs-demain il le sera par des marchés en continu sur internet, bref il sera coté.

Depuis le temps que les meilleurs connaisseurs du bitcoin nous assurent que son usage monétaire, balbutiant et incertain, devrait moins occuper les pensées que les fantastiques promesses d'un protocole de transmission d'information sécurisé et authentifié (une lettre recommandée, si j'osais...) je m'étonne que si peu de réflexions aient été développées sur la comparaison avec le petit timbre poste. Je propose donc d'oublier un peu le billet de banque qui focalise l'attention sur la valeur du bitcoin et de songer un instant au timbre poste qui permet de réfléchir sur son utilité...

Il est évident que la capacité de transporter 20 grammes jusque dans un village de Haute Corse ou une banlieue de Seine-Saint-Denis, cela a une réelle valeur.

Surtout avec date certaine (le cachet de la poste faisant foi) et avec une sécurité qui nous valut jadis une tirade d'anthologie de Michel Audiard (dans un film traitant d'une sombre affaire d'atteinte au monopole régalien sur la monnaie...)


JEAN GABIN CONTRE LA PRIVATISATION DE LA POSTE par edouardo26

Soit direz-vous, on vous voit venir : le bitcoin ne vaudrait guÚre plus qu'un timbre poste? C'est cela. Sauf que... des timbres américains

Si j'ai bien compris les mirobolantes idĂ©es de colored coin, de side chains et d'internet des objets, notre monde va avoir grandement besoin de ce genre de timbre. Beaucoup plus que de timbres-poste, infiniment plus. Si nous les humains nous envoyons 200 milliards d'e-mails par jour (dont 90% de spams, ce qui ferait tout de mĂȘme 20 milliards de messages rĂ©els), songez Ă  ce que cela va ĂȘtre quand les rĂ©frigĂ©rateurs, les essuie-glaces, les ascenseurs, les camĂ©ras de surveillance et les distributeurs de prĂ©servatifs vont se mettre Ă  Ă©changer des informations ! Il y a 10 milliards d'objets connectĂ©s Ă  ce jour, il y en aura 100 en 2050.

Il y a tout de mĂȘme un dĂ©tail Ă  prendre en compte : point n'est besoin d'user d'un bitcoin tout entier pour envoyer un titre, une garantie, un certificat d'authenticitĂ©, une hypothĂšque, un manuscrit ou la formule d'une molĂ©cule tout en disposant d'une date certaine, d'une confidentialitĂ© apprĂ©ciable, d'un temps de transport de l'ordre de 10 secondes. Une nano-particule du "mĂ©tal orange" suffit. Il est assez idiot de parler du prix du bitcoin, si un petit bout suffit.

C'est dĂ©jĂ  la vĂ©ritĂ© du bitcoin: 96,6 % des adresses (au niveau du block 330.000) correspondaient Ă  des sommes infĂ©rieures Ă  1 màžż. En regard, il n'y a guĂšre plus de 220.000 adresses correspondant Ă  un pied de compte en banque ( 1 Ă  10 àžż) et 120.000 adresses qui correspondent au niveau d'une petite Ă©pargne (10 Ă  100 àžż). Ceci confirme l'hypothĂšse selon laquelle le bitcoin sert plus Ă  Ă©changer (de l'information) qu'Ă  conserver (de la valeur).

Le bitcoin est divisible en 100.000.000 petits bouts (des satoshis). Comme il faut tout de mĂȘme ajouter un TIP Ă  chaque transaction, je pose l'hypothĂšse que du moins en l'Ă©tat prĂ©visible du protocole on ne se servira jamais de moins que d'un millioniĂšme de bitcoin, soit 21x10 puissance 12 d'unitĂ©s en question.Si je divise par les 100 milliards d'utilisateurs (humains, transhumains et mĂ©caniques) de 2050, cela fait l'usage de 210 transactions quotidiennes par utilisateurs, pas plus de huit ou neuf par heure, sachant qu'une transaction immobilise la particule de bitcoin durant dix minutes. En bref... rien de trop!

un timbre polonaisChacun de ces millioniĂšmes de àžż aura-t-il la valeur d'un timbre poste ? et quel timbre-poste devrait servir de rĂ©fĂ©rence? Le prix du timbre international (impliquant un service dans au moins deux pays, parfois fort Ă©loignĂ©s Ă©conomiquement) devrait ĂȘtre assez unifiĂ© : il n'en est curieusement rien comme le rĂ©vĂšlent certaines statistiques. Comme toujours le prix amĂ©ricain devrait servir de rĂ©fĂ©rence : 1,10$ pour une once (28 grammes) vers le monde entier. Cela paraĂźt cher ? Pourtant il faudrait plutĂŽt prendre en compte le prix d'un courrier recommandĂ©, soit environ 4 fois plus... sans compter que la particule peut resservir (on peut toujours faire diverger un colored coin de sa chaĂźne) ce qui n'est pas le cas des affranchissements.

MĂȘme Ă  un centime le millioniĂšme, le bitcoin vaudrait 10.000 euros, Techniquement le centime d'euro ou de dollar n'est certes pas un prix plancher. Mais Ă  ce prix, la capitalisation totale du bitcoin serait de 210 milliards. Soit environ 2 fois celle d'UPS, 4 fois celle de concurrents comme Fedex ou DHL ( donc 1 fois la capitalisation de ces 3 seules entreprises) ou en terme de chiffre d'affaires 5 fois celui d'UPS ou 10 fois celui de Fedex. Bref un prix de 10.000 euros pour ce carnet de timbres qu'est un bitcoin apparaĂźt soudain extrĂȘmement plausible Ă  terme sinon immĂ©diatement raisonnable...

A 4 euros du millioniÚme (soit le prix moyen d'un recommandé) le bitcoin vaudrait 4 millions. Les entreprises payent cependant bien plus cher encore la sécurité de leurs colis: environ 10 dollars en moyenne si on divise le chiffre d'affaires d'UPS par le nombre de simples plis (25% en nombre) et de colis transportés.

Le jeune bitcoin s'attaque, on le voit, à de vieilles puissances. Bien plus que d'anarchie, il est coupable de lÚse-majesté ! La Poste (publique et privée) reste une puissance quasi-souveraine. Jadis la voiture jaune et bleue des Thurns et Taxis (notez les couleurs...) sillonnaient l'Europe, aujourd'hui les flottes aériennes des postes privées sillonnent les cieux.

des flottes privées

Au total le prix du bitcoin dépendra du nombre de messages (valeurs, smart contracts etc) échangés en 2050 par les humains et les objets et du prix que chaque nouvel entrant acceptera de payer son stock de timbre. J'attends avec impatience les avis d'experts en la matiÚre !

Mais sur le fond, la réflexion s'appuyant sur le timbre poste conduit bel et bien à envisager une valeur (élevée) et surtout à revisiter la distinction déjà éculée entre le bitcoin devise et le bitcoin technologie. Distinction qui suscite (voir lien ci dessous) l'ironie d'Andreas Antonopoulos parce qu'elle relÚve d'une bien courte vue des choses.

Il a raison, le personnage de Terry Pratchett : Ces timbres, ce sera comme de l'argent. Pasqu'un timbre d'un sou, c'est un sou, quand on y réfléchit.

bitcoin jaune et bleu

Pour aller plus loin :

et

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12 - Le diamant, l'art des choses idéales

By: Jacques Favier —

Le premier trĂ©sor que j’ai vu miner n'Ă©tait ni d’or ni de monnaies crypto : c’était celui des sept nains, qui trouvaient miraculeusement des gemmes dĂ©jĂ  taillĂ©es.

Trouvaille gĂ©niale de Walt Disney ! Car les nains des Grimm ne minaient que fer et or, et il est bien possible que les « « vrais nains », qu’ils aient vĂ©cu Ă  Osterwald dans le massif des sept-monts (Basse Saxe) ou dans le petit village de Langenbach im Taunus, dans le centre de la Hesse, n’aient jamais minĂ© que du charbon pour le porter Ă  des vitreries.

Mais les nains de Disney sont tous simplets. Ils ne savent mĂȘme pas la valeur de la chose : We dig up diamonds by the score / A thousand rubies, sometimes more / But we don't know what we dig 'em for.

S’ils sont dans l’ignorance, c'est selon Bruno Bettelheim parce qu'ils sont incapables d'atteindre une virilitĂ© adulte, (ils) sont dĂ©finitivement fixĂ©s Ă  un niveau prĂ©-Ɠdipien. J'y reviendrai... Mais pour moi, c’est de la faute de Prof. Car celui-ci ne leur a pas enseignĂ© la vĂ©ritĂ© : le diamant brut c’est du charbon dans un miracle gĂ©ologique. Mais l'Ă©tincelant diamant taillĂ© c'est le miraculeux rĂ©sultat d'un travail mathĂ©matique !

profsimplet

Je voudrais explorer ici ce que cette gemme mathĂ©matique peut nous apprendre aujourd’hui.

Dans l'antiquitĂ©, ce qui lui donnait l’essentiel de son prix et la premiĂšre vertu du diamant venait de son indestructibilitĂ©.

Boyle Or on se trompait. On a mĂȘme compris sa vraie nature justement en faisant des expĂ©riences sur sa destruction. C’est un chimiste anglais, Robert Boyle (1627-1691) qui dĂ©couvrit ce scandale : le prĂ©cieux caillou, Ă  trĂšs haute tempĂ©rature disparaissait sans laisser de trace. Vers 1760, l’empereur François de Lorraine donna une fortune en diamants et rubis pour mener Ă  bien des expĂ©riences. Le rubis rĂ©sistait, la diamant point. Ce n’est en 1797 qu’un autre chimiste anglais, Smithson Tennant, trouva le fin mot de l’affaire. A vrai dire, le grand Newton s'en Ă©tait doutĂ©, comme le rappelaient Mentelle et Malte-Brun dans les §231 et 232 de leur GĂ©ographie MathĂ©matique publiĂ©e au dĂ©but du 19 Ăšme siĂšcle. Le diamant n’est pas (tout Ă  fait) Ă©ternel, et sa nature est vile !

Du moins le croyait-on encore rare Et il l'était, et les gros plus encore que les petits. Les souverains de jadis, notamment en Inde, ne les taillaient donc guÚre, se contentant de les polir. Or la vraie nature du diamant ne se révÚle, dans tous son éclat, que par la taille.

De quand date la taille ? Du tournant du 15Ăšme siĂšcle seulement. Il n’y a pas de diamants taillĂ©s dans l’inventaire des bijoux du roi Charles V, en 1380, mais en 1413, dans celui de son frĂšre, le fastueux duc de Berry s'il y a encore de nombreux diamants pointus non faits (ligne 1, en français) on trouve aussi des diamants rĂ©putĂ©s faits c'est Ă  dire taillĂ©s


le manuscrit de 1413 Ă  la BibliothĂšque Sainte GeneviĂšve

C’est sans doute en Italie que la taille s'est dĂ©veloppĂ©e. Pourquoi ? Parce que c’est dans ce pays que les tailleurs sont allĂ©s chercher des idĂ©es de formes optimales chez Pythagore ou chez Euclide, qui fournit la solution de problĂšmes mathĂ©matiquement complexes comme certaines dĂ©terminations d’angles.

Luca Pacioli A la fin du mĂȘme 15 Ăšme siĂšcle, c’est aussi en Italie que le franciscain Luca Pacioli (1445-1517) le "moine ivre de beautĂ©" s’illustre en rĂ©digeant Ă  la fois les principes de la comptabilitĂ© en partie double et... des ouvrages remarquables de gĂ©omĂ©trie comme l'Ă©dition des principes d'Euclide, la Summa de Arithmetica ou le De divina proportione (qu’illustre son ami LĂ©onard de Vinci). Luca Pacioli dĂ©taille des dizaines de type de polyĂšdres qui sont Ă  la base du travail de la joaillerie moderne.

  Les ÉlĂ©ments d'Euclide Ă©ditĂ©s par Parioli Summa (dĂ©tails)) Summa de Pacioli

On retrouve une fois encore l'idéalisme pythagoricien et platonisant, via l'Italie de Léonard, dans nos investigations...

Leonardo da Vinci

Ainsi, 500 ans avant le bitcoin, le diamant tirait-t-il dĂ©jĂ  le fondement principal de sa valeur d’un travail mathĂ©matique et non seulement de ses caractĂšres rare, indestructible ou infalsifiable qui rĂ©pondent si bien en apparence (comme dans le cas de l’or) aux vertus nĂ©cessaires pour conserver la valeur dans le temps.

Il est un peu dommage que les premiers bitcoiners, tels des petits nains, n'aient perçu leur travail que comme minage et non comme taille, polissage. Sans doute la mĂ©taphore triviale de l'or (omniprĂ©sente dans l'univers Bitcoin, mais aussi plus gĂ©nĂ©ralement dans l'inconscient californien de la Silicon Valley) a-t-elle conduit Ă  cette simplification. Ou bien alors, il faut en revenir Ă  Bettelheim : un petit blocage prĂ©-Ɠdipien quelque part ? Avec ce satanĂ© Satoshi, un pĂšre absent, comment s'en Ă©tonner?

Revenons au diamant : est-il si rare ?

EurekaCertes, il faut concasser plus de 100 tonnes de kimberlite pour en tirer quelques carats et depuis la plus haute antiquitĂ© on a produit quelques 500 tonnes de diamants
 Mais un millĂ©naire de l’antique production indienne Ă©voquĂ©e dans son Livre des Merveilles par Marco Polo reprĂ©sente une annĂ©e de production actuelle, grĂące aux mines de l’Afrique, dont – faut-il le rappeler ? – la premiĂšre dĂ©couverte se fit un bel aprĂšs-midi d’étĂ© par les enfants d’un fermier Boer trop pauvre pour leur acheter des billes : ils avaient jouĂ© avec le premier diamant africain, qui pesait plus de 20 carats : taillĂ© il n’en pĂšsera plus que 10 et sera baptisĂ© EurĂȘka. Ce n'Ă©tait ni la premiĂšre ni la derniĂšre fois qu'un jeu se trouvait Ă  l'origine d'un business ! Du fait de l’abondance, les prix s’effondrĂšrent. Pas pour toujours...

Le diamant est-il infalsifiable ? inimitable ?

Evidemment le diamant eut ses faussaires : que tant de valeur ne soit en fait que du carbone mit le feu aux cervelles de quelques savants fous, non sans risque car l’expĂ©rience implique trĂšs hautes tempĂ©ratures et trĂšs hautes pressions. Il y eut aussi des escrocs... et des prestidigitateurs : un ingĂ©nieur Ă©lectricien, Lemoine, voulait faire effondrer les cours de la De Beers pour racheter ses titres Ă  vil prix. Il fit donc apparaĂźtre des diamants comme jadis Cagliostro faisait de l'or, avec du vrai. Et ceci dans une "usine" plus proche de la chaumiĂšre des nains que de l'univers de Jules Verne.

une usine Ă  diamants?

L'opinion trouva l'affaire amusante ; Marcel Proust, qui avait eu peur pour ses actions De Beers, fut finalement séduit par le cÎté balzacien de la chose et y consacra quelques amusants pastiches. On ne jurerait pas que semblable mystification ne puisse pas arriver un jour autour du bitcoin : combien de fois a-t-on déjà annoncé telle ou telle faille? tel ou tel "coup"? Lemoine, lui, ne fut condamné à six ans de prison que pour extorsion de fonds, et non pour escroquerie, car il avait simplement affirmé qu'il était théoriquement possible de fabriquer du diamant.

la machine GED'ailleurs, plus tard, avec des moyens industriels colossaux la General Electric y parviendra. Mais, comme le rubis industriel, comme aussi les isotopes artificiels de l’or, ces ersatz trop onĂ©reux et jamais parfaits ne sont guĂšre vendables ou Ă©conomiquement viables.

La bijouterie supporte mieux la fantaisie que la tromperie : topazes, zircons, mĂȘme le quartz et le cristal de roche furent longtemps en grande faveur. Puis l’industrie, aprĂšs le strass, dĂ©veloppa aussi son lot de solutions de remplacement, corindon, spinelle, puis le rutile synthĂ©tique aprĂšs la derniĂšre guerre et enfin la moissanite.

moissanite

On retrouvera sans doute ce genre de relation entre le bitcoin et les innombrables fantaisies mises chaque jour sur le marchĂ©. Seul le diamant est une valeur. Sans ĂȘtre dotĂ© d'un statut quasi-monĂ©taire (il est astreint partout Ă  la TVA), sans avoir toutes les qualitĂ©s de la monnaie (sa division lui fait perdre sa valeur de façon exponentielle) il a tout de mĂȘme une courbe de valeur dans le temps (on retrouvera cela dans l'utile Global Diamond Report Ă©tabli par Bain & Company) trĂšs apprĂ©ciable et solide.

Il reste aussi que le marchĂ©, et le prix du diamant, tiennent largement par l’explosion de la demande mondiale et 
 l’universalisation du rite de la bague de fiançailles dans les classes moyennes. Voici un enseignement que je ne me lasse pas de rĂ©pĂ©ter : le bitcoin doit sortir de chez les geeks, et – d’une façon ou d’une autre – devenir glamour !

La mĂ©taphore du laborieux minage est Ă  cet Ă©gard peut-ĂȘtre moins suggestive que celle du travail mathĂ©matique qui rĂ©vĂšle la puretĂ© et l'Ă©clat du diamant... Bitcoin are for ever Du bitcoin, dont Grincheux rappelle toujours d'un air mauvais le "poids carbone", je dirais volontiers que c'est un diamant puisque, comme le chantait Vigny "le diamant, c'est l'art des choses idĂ©ales".

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8 - Une monnaie de Fantasy ?

By: Jacques Favier —


Un rien de Fantasy ne nuit pas à la réflexion financiÚre.

Monnayé Tous les adolescents adorent cela et l'avenir leur appartient.

Il y a, dans les cultissimes Annales du Disque Monde, un épisode qui aborde de loin la chose: Monnayé, dont le titre est plus explicite en langue anglaise.

Au moment d'ĂȘtre pendu (ou quelque chose comme ça) l'ancien escroc Moite von Lipwig, a dĂ» accepter l'offre du seigneur VĂ©tĂ©rini, tyran d’Ankh-Morpork, de devenir ministre des Postes. Puis il plait au tyran de lui proposer un nouveau mĂ©tier. Comment refuser? D'ailleurs, qui ne voudrait diriger l’HĂŽtel des monnaies et la Banque voisine ?

Et mĂȘme dans un monde enchantĂ©, l'invention du papier monnaie gagĂ© sur de la dette (la monnaie IOU) ne se fait pas sans laisser un vieux fonds de doute Ă  certains, comme on le voit dans l'Ă©pisode que je cite parce que je le trouve amusant, avant de tenter une ouverture plus sĂ©rieuse vers Bitcoin.


         *   *   *   *


On examina les billets avec grand soin et on en discuta sérieusement.

- C’est juste une reconnaissance de dette, comme un pense-bĂȘte, en fait.

- D’accord, seulement
 et si on a besoin de l’argent ?

- Mais, corrige-moi si je me trompe, est-ce qu’une reconnaissance de dette ce n’est pas de l’argent ?

- D’accord, alors qui te le doit ?

- Euh
Jean, là, parce 
 Non, minute,
 c’est ça l’argent, d’accord ?


Moite souriait tandis que la discussion allait et venait tant bien que mal. De nouvelles théories financiÚres poussaient là comme des champignons, dans le noir et sur des foutaises en guise de crottin.


Mais c’étaient des hommes qui comptaient le moindre sous et dormaient la nuit avec sur caisse sous le lit. Ils pesaient farine, raisins secs et vermicelle, les yeux fixĂ©s d’un air fĂ©roce sur l’index de la balance, parce que c’étaient des hommes qui vivaient de petites marges. S’il parvenait Ă  leur faire admettre l’idĂ©e du papier-monnaie, alors il serait pour ainsi dire sauvĂ© des eaux, peut-ĂȘtre pas complĂštement sec, mais au moins seulement Moite.


- Vous croyez donc que ces billets pourraient marcher ? demanda-t-il durant une accalmie.
Le consensus fut que, oui, ils pourraient marcher, mais qu’ils devraient avoir plus d’ allure, comme le dĂ©clara Chicos Pigouille : « Vous savez, avec davantage de lettres chic, tout ça ».


Moitte en convint et tendit un billet à chacun en souvenir. Ça le valait bien.

- Et si ça tourne en eau de youplĂ , dit monsieur Proust, vous avez toujours l’or, pas vrai ? enfermĂ© en bas dans la cave ?

- Ah oui, il faut que vous ayez l’or, confirma monsieur Binard.


Un chƓur de murmures approbateurs suivit, et Moite sentit son moral s’effondrer.

- Mais on avait tous admis que vous n’aviez pas besoin de l’or, il me semble, non ? dit-il. En rĂ©alitĂ©, ils n’avaient rien admis de tel, mais ça valait le coup d’essayer.

- Ah oui, mais il faut qu’il soit quelque part, rĂ©pliqua monsieur Binard. - Comme ça la banque reste honnĂȘte » assĂ©na monsieur Pigouille du ton assurĂ© qui est la marque de fabrique de l’ĂȘtre le mieux informĂ© qui soit, le client du CafĂ© du Commerce.


Ă©dition française - Mais je croyais que vous aviez compris, s’étonna Moite. Vous n’avez pas besoin de l’or !

- D’accord, monsieur, d’accord, fit Pigouille d’un ton apaisant. Tant qu’il est là.

- Euh
 est-ce que vous sauriez par hasard pourquoi il faut qu’il soit là ?

- Comme ça la banque reste honnĂȘte, rĂ©pliqua Pigouille en partant du principe qu’on arrive Ă  la vĂ©ritĂ© par la rĂ©pĂ©tition.


Et c’était le sentiment de la rue du DixiĂšme-ƒuf, que confirmĂšrent les hochements de tĂȘte des commerçants assemblĂ©s. Tant que l’or se trouvait quelque part, la banque restait honnĂȘte et tout allait bien.


Moite avait honte de lui devant une telle confiance. Si l’or se trouvait quelque part, les hĂ©rons ne mangeraient pas les grenouilles non plus. Mais il n’existe en rĂ©alitĂ© aucun pouvoir au monde capable d’assurer l’honnĂȘtetĂ© d’une banque qui ne tient pas Ă  rester honnĂȘte.


        *   *   *   *

Quel enseignement dans ce petit texte, pour notre belle jeunesse?


Cela paraßt trivial, mais ce roman, écrit trente ans aprÚs les accords de la Jamaïque et pour une génération qui n'a pas la moindre idée d'un étalon or, montre que l'abandon de toute référence à un actif tangible reste un gros problÚme intellectuel, mùtiné de scandale moral.


Ă©dition estonienne


À la gĂ©nĂ©ration des digital natives, le systĂšme des changes flottants pourrait bien n'apparaĂźtre que comme une foutaise de papier, simplet et finalement... assez permissif. Le bitcoin n'est ni plus ni moins cotĂ© en dollar que l'euro. So, wtf comme ils disent ?


Mais il ya autre chose : Ă  ceux qui frĂ©quentent des adolescents, il arrive parfois de.. ne pas comprendre les raisonnements des amateurs de Fantasy. C'est un indice ! Ailleurs dans le roman, c'est le tyran lui-mĂȘme qui nous donne Ă  rĂ©flĂ©chir, dans la liaison parfaitement lĂ©gitime pour lui qu'il Ă©tablit entre diriger la Ville et diriger sa Banque :


« Ceux qui comprennent la banque l’ont amenĂ©e Ă  sa situation actuelle. dit VĂ©tĂ©rini. Et moi, je ne suis pas devenu le dirigeant d’Ankh-Morpok en comprenant la ville. Comme la banque, la ville est facile Ă  comprendre, c’en est dĂ©primant. Je suis restĂ© dirigeant en amenant la ville Ă  me comprendre, moi. »


Bitcoin est mentalement Ă©tranger Ă  la gĂ©nĂ©ration des dirigeants bons Ă©lĂšves (ceux qui attendaient leur bonne note de l'autoritĂ© d'un maĂźtre qualifiĂ©) mais adĂ©quat Ă  celle du like sur Facebook et du scoring communautaire. Avec Bitcoin, cette gĂ©nĂ©ration qui n'est plus Y mais àžż pourrait bien prendre le pouvoir non en comprenant le vieux monde mais en lui imposant plus qu'une monnaie : sa logique.


C'est bien la caractĂ©ristique de Bitcoin : forcer tout le monde (utilisateurs, intermĂ©diaires financiers, autoritĂ© de rĂ©gulation) Ă  repenser la valeur, l'Ă©change, le paiement, la richesse peut-ĂȘtre.

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7 - Bitcoin secret Ă  Guernesey

By: Jacques Favier —



Guernesey
On parle un peu de bitcoin, cette monnaie sans État, dans diverses Ăźles qui ne forment pas tout Ă  fait des États et n'ont point de monnaie, mĂȘme si l'on y brasse beaucoup d'argent.

Ce n'est pourtant pas cela qui m'amenait, durant mes vacances, sur les Ăźles de la Manche, ces petits morceaux de France jetĂ©s Ă  la mer et ramassĂ©s par l’Angleterre comme l'Ă©crivit Victor Hugo, mais la visite d'un petit morceau redevenu français : sa maison, propre Ă  exalter le romantisme de ma fille. C'est Ă  vrai dire un lieu magique mais un peu oppressant, dans lequel le gĂ©nie a tournĂ© en rond prĂšs de quinze ans, Ă©crivant, peignant, dĂ©corant, sculptant, imaginant des mondes occultes, parlant aux Esprits, au Futur et Ă  Dieu.
Au rez-de-chaussĂ©e, dans le salon dit « des tapisseries», Hugo a composĂ© Ă  partir de divers Ă©lĂ©ments une monumentale cheminĂ©e de chĂȘne qui occupe presque tout le mur et monte jusqu'au plafond. SurchargĂ©e de sculptures, vraie « cathĂ©drale de chĂȘne », elle constitue l’oeuvre maĂźtresse du poĂšte architecte.


la cheminée
saint jeanC'est en regardant de prÚs que j'ai eu la révélation.


De part et d'autre, deux petites statues : saint Jean, les mains tournées vers le ciel et saint Paul, le regard tourné non vers la terre mais vers un livre.


J'ai immĂ©diatement repensĂ© Ă  mon prĂ©cĂ©dent billet sur Platon et Aristote, oĂč une semblable rhĂ©torique gestuelle m'avait conduit de RaphaĂ«l Ă  Vinci, revisitĂ© par les concepts de Bitcoin !


Hugo a surchargé sa demeure d'inscriptions, pour la plupart latines, et parfois énigmatiques. Ici pourtant rien de mystérieux en apparence, et je n'ai guÚre besoin de traduire ce que le poÚte a gravé sous les deux sculptures.
Le sens en paraĂźt presque trop simple. Pourtant la traduction m'est venue Ă  l'esprit en anglais.



dans le livre


vers le ciel

On the blockchain and to the Cloud ? Sur la blockchain et jusqu'aux extrémités du cyber-espace? Il y a de toutes façons l'idée d'une chose écrite qui est plus grande, plus immatérielle, plus libre qu'un simple écrit...


Fantasme personnel ? Sans nul doute... Et pourtant voici ce que je découvre quelques instants plus tard, et qui fait comme un écho à mon interprétation précédente :


alias? une Ă©trange devise


Ici rien ; ailleurs quelque chose pour transcrire au plus prÚs la langue latine toujours plus concise que la française.


le Fauteuil des AncĂȘtresNous sommes dans une autre piĂšce du rez-de-chaussĂ©e, dans la salle Ă  manger. La devise est gravĂ©e sur le baldaquin d'un monumental trĂŽne que Victor Hugo avait fait fabriquer Ă  Guernesey dans le style gothique des chaires du XVĂšme siĂšcle. Le guide comme toute la littĂ©rature trouvĂ©e ensuite sur Internet, assure que cette devise proclame la foi en l'immortalitĂ© de l'Ăąme des chers disparus. C'est bien possible, et l'autre devise gravĂ©e sur le mĂȘme trĂŽne, absentes adsunt (les absents sont prĂ©sents) va bien dans ce sens. On songe naturellement Ă  LĂ©opoldine, sa fille noyĂ©e. Sauf que ...c'est un peu court.


Hugo savait son latin. Nihil et aliquid sont des mots du genre neutre. Il est bien question de choses, non de personnes...


Quant au fauteuil, il est placĂ© sous l'inscription Cella Patrum Defunctorum (le sanctuaire des ancĂȘtres morts) ce qui fait donc rĂ©fĂ©rence aux pĂšres absents/prĂ©sents, non aux enfants morts. Nul hĂŽte ne devait s'y asseoir. C'est pourquoi, dit le guide, Hugo a placĂ© entre les accoudoirs... une chaine.


chaine


Cette chaĂźne est-elle lĂ  seulement pour signifier cela? Hugo a Ă©crit dans Booz endormi un vers qui fait signe vers un autre sens du mot, peut-ĂȘtre pertinent ici : Une race y montait comme une longue chaĂźne. Il y a donc une chaĂźne horizontale (qui entrave le fauteuil, comme les jambes de Valjean au bagne) et une chaĂźne verticale qui relie Ă  autre part, ailleurs, alias.


un pÚre de l'euro?On ne manque jamais de clamer qu'Hugo a inventé les Etats-Unis d'Europe et la monnaie unique. Cela fait un soutien de taille quand le projet européen en manque chaque jour davantage..


Vais-je créditer l'exilé de Guernesey de l'invention de Bitcoin ? Cela aurait peu de sens. Mais on peut se demander ce qu'il en aurait pensé, puisqu'il est déjà invoqué en matiÚre monétaire.


Cet homme qui faisait parler les morts parlait aussi aux vivants, et aimait la liberté. Aux chaßnes qui entravent il voulait substituer celles qui unissent. Voyons donc ce qu'il écrivit sur la monnaie :


Une monnaie continentale, Ă  double base mĂ©tallique et fiduciaire, ayant pour point d’appui le capital Europe tout entier et pour moteur l’activitĂ© libre de deux cents millions d’hommes, cette monnaie, une, remplacerait et rĂ©sorberait toutes les absurdes variĂ©tĂ©s monĂ©taires d’aujourd’hui, effigies de princes, figures des misĂšres, variĂ©tĂ©s qui sont autant de causes d’appauvrissement ; car dans le va-et-vient monĂ©taire, multiplier la variĂ©tĂ©, c’est multiplier le frottement ; multiplier le frottement, c’est diminuer la circulation. En monnaie, comme en toute chose, circulation, c’est unitĂ©.
DerriĂšre cette prophĂ©tie, qui date de 1855, le souffle politique d'un homme qui ne s'arrĂȘtait certainement pas au cadre de l'Europe et pensait en terme d'HumanitĂ© toute entiĂšre, mais aussi les tracas d'un exilĂ© qui constate que livres et shillings ne valaient pas le mĂȘme prix sur les deux minuscules Ăźles de son exil.
Qu'aurait-il pensé du bitcoin? N'aurait-il pas apprécié sa double base, fiduciaire certainement, mais aussi réelle, métaphoriquement métallique du fait de son extraction par le mining ?


sur base métalliquesur base fiduciaire






N'aurait-il pas apprécié l'absence de frottements dans les paiements en bitcoin ? On peut faire le pari que le métal orange et idéal du bitcoin l'aurait séduit...

En tout cas la belle devise Hic Nihil Alias Aliquid pourra toujours ĂȘtre gravĂ©e sur les wallets quand on leur donnera une forme Ă©lĂ©gante !

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6 - En marge des mystÚres sacrés

By: Jacques Favier —




le voleur Il y a quelque temps que je tournais dans mon esprit autour de concepts d'origine thĂ©ologique. Comme souvent, une image fortuite a catalysĂ© mon intention et je prends le risque, en formant le vƓu de ne pas choquer les uns ni rebuter les autres.


Il y a quelque intĂ©rĂȘt Ă  Ă©couter les personnes les plus simples car elles posent les vraies questions : c'est quoi en fait le bitcoin ? il est conservĂ© oĂč ? demande la maman Ă  son fils geek. Celui-ci peut rĂ©pondre qu'il est Ă©crit dans un livre, et ajouter que l'argent du Livret A aussi est une Ă©criture dans un livre. OĂč il est ce livre? Celui du Livret A, il est tenu par la Caisse d'Epargne, dont tout l'argent est Ă©crit dans un livre Ă  la Banque Centrale, qui ne conserve plus d'or depuis longtemps.

Le livre des bitcoins, qui est un peu partout dans la nature, devrait apparaĂźtre plus sĂ»r. Seulement le livre de la Caisse d'Épargne comptabilise des unitĂ©s qui peuvent exister rĂ©ellement, et qu'on appelle des espĂšces. Les Ă©conomistes nĂ©gligent presque les espĂšces, les banquiers les considĂšrent comme un fardeau, imposĂ© par les rĂ©sistances des simples, leur matĂ©rialisme. Mais la reprĂ©sentation des espĂšces, l'argot du fric et le bruit des picaillons sont bien utiles ; voyez les romans, les films, les publicitĂ©s...


reprĂ©sentation matĂ©rielle Le bitcoin, lui, n'existe pas sous la forme matĂ©rielle d'un bout de quelque chose. On persiste Ă  le reprĂ©senter comme une piĂšce d'or, un peu parce que mĂȘme les geeks restent matĂ©rialistes, et aussi peut-ĂȘtre parce qu'ils donnent Ă  leur nouveau dieu le visage de l'ancienne idole, ce qui s'est dĂ©jĂ  vu. Et enfin parce que l'on n'a rien trouvĂ© d'autre. Hors de lĂ , comment reprĂ©senter un bitcoin?

Bitcoin n'ex-iste pas, au sens du latin ex(s)istere « sortir de, se manifester, se montrer ». MĂȘme les innombrables wallets, cartes ou clĂ©s commercialisĂ©s pour lui donner support matĂ©riel ne contiennent en rien Bitcoin, ni le moindre bitcoin.

Cela faisait donc quelque temps que je me disais qu'au fond, il y avait dĂ©jĂ  eu une circonstance oĂč les esprits des hommes (non mathĂ©maticiens), limitĂ©s par leurs sens, s'Ă©taient affrontĂ©s Ă  ce type de difficultĂ© : c'Ă©tait face au mystĂšre de la PrĂ©sence sacramentelle dans les espĂšces consacrĂ©es. Pour les chrĂ©tiens, l'hostie consacrĂ©e possĂšde une caractĂ©ristique non tangible qui la distingue radicalement de l'hostie non consacrĂ©e : il y a en elle, pour ceux qui communient, la prĂ©sence d'un insaisissable. Sa nature en est changĂ©e entiĂšrement, mais cela est impossible Ă  montrer, et difficile Ă  exprimer par ceux-lĂ  mĂȘme qui adhĂšrent Ă  cet article de foi.

Quand les premiers PÚres de l'Eglise se partagÚrent sur la vaste question de la réalité de la présence physique, dans le pain et le vin consacrés à la messe, du corps et du sang du Christ, ils furent bien forcés de convoquer à ce débat quelques grosses pointures philosophiques.

Le prestige immense d'un saint Augustin (influencĂ© lui-mĂȘme par les nĂ©o-platoniciens) fit reprendre par les uns son idĂ©e selon laquelle une prĂ©sence intellectuelle s'ajoute Ă  la rĂ©alitĂ© du pain et du vin, mais sans s'y substituer. Mais ce pain, en mĂȘme temps, Augustin reprend l'idĂ©e de saint Paul (1Co 12,27), c'est l'Ă©glise (du grec ጐÎșÎșÎ»Î·ÏƒÎŻÎ± , assemblĂ©e) elle-mĂȘme. Donc, explique Augustin, si c'est vous qui ĂȘtes le corps du Christ et ses membres, c'est le symbole de ce que vous ĂȘtes qui se trouve sur la table du Seigneur (Sermon 272).

Mais le dogme rĂ©aliste fut forgĂ© par des thĂ©ologiens bien davantage inspirĂ©s d'Aristote et dont le 13Ăšme siĂšcle vit le triomphe. La pratique d’élever l’hostie et le calice pour les montrer aux fidĂšles durant l'Offertoire se gĂ©nĂ©ralisa. Les simples ne voyaient certes que du pain, mais le prĂȘtre leur assurait qu'il s'agissait en vĂ©ritĂ© et uniquement du Corps du Christ.

Platon et Aristote C'est aussi que l'aristotĂ©lisme mĂ©diĂ©val permettait de concilier perception (les accidents en vocabulaire aristotĂ©licien) et la rĂ©alitĂ© de la substance. Avec l'humanisme de la Renaissance, revint l'idĂ©alisme platonisant. Quelques annĂ©es Ă  peine avant le premier coup de tonnerre de la RĂ©forme protestante, RaphaĂ«l peignit de 1508 Ă  1512 l'École d'AthĂšnes pour la chambre du pape Jules II. On y reconnait Platon, le doigt pointĂ© vers le Ciel des IdĂ©es, et Aristote qui Ă©tend la main vers la terre. Je vais revenir sur le sens des jeux de mains.

Raphaël a donné à Platon le visage de Léonard de Vinci. Or une décennie plus tÎt, celui-ci avait peint, pour un couvent de dominicains de Milan, l'Ultima Cena, le dernier repas du Christ. Pour les historiens de l'art c'est l'un des plus grands chefs d'oeuvre de tous les temps. Il n'est pas interdit d'y voir aussi le premier signe des débats dogmatiques qui vont couper durablement l'Europe et la Chrétienté en morceaux. Et l'on y retrouve aussi maint jeux de mains...


La CĂšne de Vinci


C'est en découvrant la toile d'un artiste français, Youl, qui s'est inspiré de cette fresque pour illustrer le protocole Bitcoin que j'ai entrepris de rédiger ce billet.

L’historien d’art LĂ©o Steinberg prĂ©sente l'Ultima Cena comme l’image narrative la plus copiĂ©e, adaptĂ©e, dĂ©tournĂ©e et satirisĂ©e qui ait jamais existĂ©. Elle a inspirĂ© les plus grands artistes, de Philippe de Champaigne Ă  Salvador Dali. Elle a aussi Ă©tĂ© prostituĂ©e par quelques publicitaires vulgaires. Enfin sa profondeur mystĂ©rieuse, peut-ĂȘte Ă©sotĂ©rique, a suscitĂ© des centaines de thĂšses (universitaires ou romanesques) et presqu'autant de dĂ©tournements, parfois fĂ©conds.
Tel m'a semblĂ© ĂȘtre le cas de la toile de Youl, rĂ©cemment vendue sur Internet.


La CĂšne de Youl


Comme celle de Vinci, cette oeuvre avait été commandée, en l'occurrence par l'anonyme fondateur du Project Bitcoin à Santa Monica, qui l'a revendue à un trader de Ripple en Andorre. Ceci a suscité un peu de buzz sur l'exploit d'avoir pu contourner les rÚgles de ebay en y faisant un deal en bitcoin, et aussi sur le fait que cette toile serait la plus chÚre des oeuvres d'art inspirées par Bitcoin.

L'Ɠuvre de Youl mĂ©rite mieux que cela. Avant de savoir si l'artiste (avec qui je suis entrĂ© en contact ensuite) avait suivi, de Bitcoin au Saint-Sacrement, le mĂȘme chemin mental que moi, j'ai voulu poser quelques jalons Ă  partir de la fresque de Vinci, Ă  laquelle je n'avais pas songĂ©, en m'attachant d'abord aux jeux des mains.

le JĂ©sus de VinciDans la fresque de Vinci, on doit bien saisir la posture de JĂ©sus. Du plat de sa main droite JĂ©sus s'adresse au traitre Judas. La parole en vĂ©ritĂ©, je vous le dis, l’un de vous me livrera permet ainsi au peintre de mettre en Ɠuvre, sur 12 visages, sa thĂ©orie des mouvements de l'Ăąme. Mais de sa main gauche tournĂ©e vers le Ciel, JĂ©sus institue dans le mĂȘme instant (et c'est une des clĂ©s de l'oeuvre) le sacrement de ce qui sera la communion, alors mĂȘme que le pain et le vin ne sont pas placĂ©s devant lui.

Quand Judas touche de la main droite la bourse qui contient la modeste cagnotte de la communautĂ© qu'il va trahir toute entiĂšre, les mains de JĂ©sus ne touchent point, elles dĂ©signent. À droite de la toile, pratiquement toutes les mains sont tendues vers lui (sauf celle de l'incrĂ©dule Thomas, dans la posture exacte de l'idiot qui regarde le doigt). Ainsi, parmi bien d'autres schĂ©mas, l'oeuvre de Vinci distingue ce que l'on touche, ce que l'on montre, et ce que l'on Ă©voque.

Mais avant mĂȘme d'aborder son dĂ©tournement notons ceci : tandis que le MaĂźtre institue par sa seule parole un processus d'actualisation perpĂ©tuelle et communautaire d'une opĂ©ration prĂ©sentĂ©e comme un rachat, il annonce Ă©galement Ă  la communautĂ© concernĂ©e par ce rachat qu'elle sera menacĂ©e par l'incomprĂ©hension des uns, la passivitĂ© des autres, la trahison enfin de qui reste attachĂ© aux prestiges du passĂ©, la monnaie du vieux monde en l'occurrence. Pas de pain devant JĂ©sus, mais des pains un peu partout sur la table de l'AssemblĂ©e : malgrĂ© ses faiblesses humaines, cette assemblĂ©e est, selon le mot de saint Paul repris par Augustin, le vrai Corps.

Sa premiĂšre esquisse montre que Youl a progressivement extrait du sens tant de l'oeuvre de Vinci que de sa propre comprĂ©hension de Bitcoin. À ce stade, il y a deux intuitions chez Youl : JĂ©sus et le QR Code. Le personnage central conserve le visage de JĂ©sus. C'est probablement inadĂ©quat car sa reprĂ©sentation est trop puissante pour signifier quoi que ce soit d'autre. En mĂȘme temps, il tient en main un bitcoin de mĂ©tal, symbole maladroit et redondant puisque le Code QR placĂ© devant lui suffit. Il faut aussi noter que Judas n'est pas formellement identifiable, sauf peut-ĂȘtre par le caricatural haut-de-forme du grand capital.

premiĂšre esquisse de Youl


La réflexion s'affine sur une mise en couleur digitale, dont la palette est restreinte. L'étrange personnage central est Bitcoin anthropomorphisé, le symbole doré devient un simple bijou. Judas n'a toujours pas la main sur la bourse. Un Mac apparaßt, placé de l'autre cÎté de Jésus.


esquisse couleur

Puis une seconde esquisse est rĂ©alisĂ©e, oĂč Juddas est en position non plus de capitaliste mais de tricheur aux mains baladeuses. Le Code QR est mieux visible au mur mais il a disparu du centre de la toile, remplacĂ© par une assiette, vide, comme toutes les autres depuis la premiĂšre esquisse.

seconde esquisse


Enfin sur l'oeuvre finale, le Code QR est prĂ©sent deux fois (clĂ© privĂ©e, clĂ© publique?), sur le mur et au centre de la table. Relisons maintenant l'extrait du sermon d'Augustin: si c'est vous qui ĂȘtes le corps du Christ et ses membres, c'est le symbole de ce que vous ĂȘtes qui se trouve sur la table du Seigneur

La CĂšne de Youl

le voleurJudas touche la cagnotte et tend la main vers le Mac, placé de son cÎté. Sa figure s'éloigne de la caricature. Sa trahison est comprise par la grand-mÚre placée à sa gauche : elle vient de découvrir que le portefeuille est vide.Ici, c'est évidemment Mark Karpeles (Mt.Gox) qui figure Judas, celui par qui le scandale arrive.

Chaque personnage Ă©voque un aspect rĂ©el ou mythologique de la communautĂ©. Ainsi Ă  cotĂ© de Judas, avec des cheveux gris, Dorian Nakamoto le retraitĂ© harcelĂ© par la presse comme Ă©tant l'inventeur du bitcoin. Il a jurĂ© ne pas l'ĂȘtre; il figure ici Ă  la place de Pierre... L'apiculteur fait rĂ©fĂ©rence aux Bee Brothers, qui ont fait fortune en vendant leurs pots de miel en bitcoin au tout dĂ©but. Le personnage masquĂ© est un Anonymous, un pirate informatique dĂ©fendant la libre circulation des donnĂ©es, il porte un T-shirt au logo des The Pirate Bay, ces autres pirates informatiques qui font aussi partie Ă  leur façon de la communautĂ© bitcoin. Quelques autres figures aussi, que le lecteur essaiera d'identifier...

Il est difficile de trancher la question: comment est figuré ici Bitcoin? Est-ce le personnage central, inhumain et sans visage ? Est-ce le symbole métallique devenu simple médaille ? Est-ce le Code QR ? Est-ce la communauté, traßtre compris ?

Sans doute est-il temps ici de se demander ce que Youl a voulu faire. C'est un ami qui a fait dĂ©couvrir Ă  l'artiste le bitcoin, puis "Bitcoincito", le fondateur du Bitcoin Project. Voici comment Youl m'a racontĂ© leur rencontre : Nous avons longuement bavardĂ© et trouvĂ© de nombreuses idĂ©es avant de se dĂ©cider sur le "Last Supper" de LĂ©onard. Étonnamment la plupart de nos idĂ©es tournaient autour du Christ et de peintures anciennes, alors qu'aucun de nous deux n'est croyant. Le "Last supper" nous permettait de faire figurer une reprĂ©sentation du bitcoin mais surtour de sa communautĂ© Ă  travers les 12 apĂŽtres et leurs personnalitĂ©s et rĂŽles variĂ©s. C'est ce qui nous a paru intĂ©ressant.

De son cĂŽtĂ©, Bitcoincito prĂ©sente ainsi leur dĂ©marche commune : Avec Youl ce fut magique. Ce type a tellement de cƓur, et comme moi, il voulait vraiment aller au coeur de l'histoire du bitcoin. Quand nous avons commencĂ© Ă  jeter des idĂ©es sur la table, j'ai Ă©tĂ© frappĂ© de ce que tous deux nous Ă©tions tombĂ©s sur la mĂȘme idĂ©e de base: reprĂ©senter le bitcoin comme JĂ©sus. Nous considĂ©rions ici JĂ©sus comme une figure messianique qui a fondamentalement changĂ© le monde, et qui pour cela fut Ă  la fois louĂ© et mĂ©prisĂ©. Il nous semblait que le bitcoin assumait un rĂŽle similaire, changer le monde avec peine, en Ă©tant louĂ© par les uns et mĂ©prisĂ© par les autres.

Youl et Bitcoincito ne sont pas croyants, certes, mais ils sont de culture chrĂ©tienne, dans une version contemporaine marquĂ©e Ă  la fois par un accent mis plus fortement sur l'intensitĂ© de la dimension communautaire (la galerie de portraits) que sur la solennitĂ© de la liturgie et la perfection du rite de la communion (les assiettes vides). Dans la CĂšne de Vinci, c'est la dimension horizontale (traversĂ©e par la trahison, le reniement etc) qui a attirĂ© leur attention davantage que les dĂ©bats sur la prĂ©sence rĂ©elle qui n'appartient pas Ă  leur culture. Est-ce Ă  dire qu'elle est absente de la toile de Youl ? Ou qu'elle est sans intĂ©rĂȘt pour conceptualiser Bitcoin?

Que mon lecteur (courageux) me permette encore un retour en arriĂšre. CommencĂ©e sur le problĂšme trivial du trafic des indulgences par le pape, la RĂ©forme va changer la face de l'Europe, instituer de nouvelles Ă©glises, et provoquer avec le Concile de Trente (1545-1563) l'indispensable redĂ©finition de ses propres dogmes par l'Eglise de Rome. En ce qui concerne l'eucharistie, les positions sont tranchĂ©es, inconciliables, et pourtant toutes deux bien ancrĂ©es dans l'Ecriture qui fait autoritĂ©. On va voir que ce n'est pas sans intĂ©rĂȘt pour qui cherche Ă  reprĂ©senter ou Ă  se reprĂ©senter Bitcoin.

Paroles de la ConsĂ©cration des espĂšces À Rome on s'en tient Ă  la rĂ©alitĂ© de la prĂ©sence. JĂ©sus a dit ce que l'on rĂ©pĂšte en latin Ă  chaque messe, Hoc est enim corpus meus, ceci est mon corps. Et l'hostie devient rĂ©ellement le corps du Christ ex opere operato c'est Ă  dire du fait que le travail est fait. Si un prĂȘtre dĂ»ment ordonnĂ© par un Ă©vĂȘque hĂ©ritier d'une succession ininterrompue depuis les ApĂŽtres, prononce les paroles exactes en suivant le rite canonique, alors, et Ă  compter de ce moment, la transsubstantiation est rĂ©alisĂ©e et elle est irrĂ©versible. L'hostie peut ĂȘtre conservĂ©e, adorĂ©e comme telle, distribuĂ©e comme sacrement plus tard.

Pour Calvin, Ă  GenĂšve, la prĂ©sence est bien rĂ©elle. Mais c'est celle de JĂ©sus dans son Église (assemblĂ©e) Ă  qui il a fait cette promesse : Quand deux ou trois sont rĂ©unis en mon nom, je suis lĂ , au milieu d'eux (Mt 18,20) et Ă  qui il a ordonnĂ© "vous ferez ceci en mĂ©moire de moi". Le Corps du Christ n'est prĂ©sent dans le pain que d'une maniĂšre pneumatique (du grec Ï€ÎœÎ”áżŠÎŒÎ± le souffle, l'esprit) et seulement au cours de l'assemblĂ©e.

Voici, de part et d'autre, des concepts que l'on retrouve avec Bitcoin : la tradition de chaque opération se rattachant à toutes les opérations antérieures depuis l'origine, l'irréversibilité de la chose faite ex opere operato et donc indépendamment des circonstances, mais aussi la validation par la présence d'une communauté de gens qui acceptent cette opération comme l'instrument d'un rachat.

Dans la toile de Youl, Bitcoin est réellement présent par la magie du Code QR, qui n'emmÚnera pas le promeneur vers un quelconque site marchand comme sur une publicité affichée dans le métro, mais vers le site d'un don en bitcoin à la fondation. Ce qui lui permet d'entrer immédiatement dans la toile, c'est à dire... dans la communauté.
la poireNous terminerons sur deux questions concernant ce qui figure ou ne figure pas sur la table de la CĂšne.

La premiĂšre question a trait Ă  la disparition de la pomme. Sur le Mac, la pomme croquĂ©e par Blanche Neige et Allan Turing est remplacĂ©e par une poire. Youl m'a avouĂ© avoir fait la substitution en s'inspirant d'un gag (la pomme c'est Apple, la poire c'est vous) fameux chez les partisans de l'open source. Mais, puisque l'influence augustinienne a dĂ©jĂ  Ă©tĂ© mentionnĂ©e ici, on ne m'empĂȘchera pas de songer au pĂ©chĂ© commis par le jeune chenapan, quand il n'Ă©tait pas encore un vieux saint : le vol des poires (rapportĂ© dans ses Confessions, livre II, ch. 4).

Écoutons-le: ce n’est pas de l’objet convoitĂ© par mon larcin, mais du larcin mĂȘme et du pĂ©chĂ© que je voulais jouir. Dans le voisinage de nos vignes Ă©tait un poirier chargĂ© de fruits qui n’avaient aucun attrait de saveur ou de beautĂ©. Notre troupe de jeunes vauriens s'en alla secouer et dĂ©pouiller cet arbre, vers le milieu de la nuit, ayant prolongĂ© nos jeux jusqu’à cette heure, selon notre dĂ©testable habitude, et nous en rapportĂąmes de grandes charges, non pour nous en rĂ©galer, si mĂȘme nous y goĂ»tĂąmes, mais pour les jeter aux pourceaux : simple plaisir de faire ce qui Ă©tait dĂ©fendu. On ne peut s'empĂȘcher de songer que le jeune lettrĂ© d'Afrique du Nord, l'un des plus brillants esprits de son siĂšcle, aurait fait dans le nĂŽtre un excellent hacker.

NLa seconde question a trait à... la disparition chez Youl de tous les fruits comestibles, qui font l'objet pour la CÚne de Vinci d'identifications diverses et d'exégÚses infinies: pommes-grenades, figues, poires et enfin oranges, sur lesquelles je souhaite m'attarder.

L'oranger porte ses fruits en automne, reste vert toute l'annĂ©e et fleurit Ă  PĂąques. Il a donc toute sa place sur la table de la CĂšne. Mais il donne aussi son nom Ă  la couleur qui procĂšde de l’union entre l’or cĂ©leste et le rouge sang de la vie. Pour cela, il symbolise parfois la rĂ©vĂ©lation de l’amour divin Ă  l’ñme humaine. Il est aussi dans plusieurs civilisations le symbole de l’indissolubilitĂ© du mariage. Autant dire que la notion d'irrĂ©versibilitĂ© de la transaction pourrait se glisser dans ce symbole, qui offrirait aussi une mĂ©taphore de fonction asymĂ©trique, Ă  l'image de ce qui se passe au plus secret des algorithmes de la cryptologie, oĂč le message codĂ© par l'un peut ĂȘtre lu par l'autre mais sans livrer son secret.

logo orangeAlors? Maladresse de Youl, qui Ă©vacue de la table un symbole aussi appropriĂ© Ă  Bitcoin ? Peut-ĂȘtre... sauf Ă  dĂ©couvrir que tout l'orange qui a dĂ©sertĂ© la table a fui chez Youl vers le plafond et l'embrasure des fenĂȘtres, c'est Ă  dire vers le ciel, mais aussi vers le personnage de Bitcoincito, le commanditaire de la toile,situĂ© Ă  la place de Jean... le disciple que JĂ©sus aimait. Ce qui donne une vision derechef platonisante de Bitcoin, venant expliciter son logo orange oĂč le symbole est (presque...) orientĂ© vers le ciel... Revoyez le Platon de RaphaĂ«l : il est vĂȘtu d'orange...

La CĂšne de Youl
Finalement il ne sera probablement jamais possible de reprĂ©senter Bitcoin. Mais les Ă©lĂ©ments glanĂ©s ici offrent du moins certaines pistes pour se le reprĂ©senter. Gardons le mĂ©tal si l'on veut puisqu'il est mĂ©taphoriquement minĂ©. Cependant il ne sort pas de la terre ocre, mais de la puissance de calcul d'une communautĂ© consciente d'elle-mĂȘme, et de sa volontĂ© de s'affirmer. C'est un mĂ©tal dont la couleur orange mĂȘle l'Ă©clat de l'or au rouge de la vie.

Il y a, aprĂšs tout, des mĂ©taux de toutes sortes : le sodium est mou, le mercure est liquide, l'uranium est radioactif et d'autres mĂ©taux plus lourds que lui n'existent mĂȘme pas Ă  l'Ă©tat naturel ce qui explique entre autre leur prix incroyablement Ă©levĂ©. ReprĂ©sentons-nous le prĂ©cieux mĂ©tal orange, notre bitcoin, comme un mĂ©tal mental, dont le pĂŽle magnĂ©tique est dans le ciel de Platon, que l'on ne touche pas de la main, mais qui est rĂ©ellement prĂ©sent dans la pensĂ©e, non d'une personne isolĂ©e mais d'une communautĂ© dont il mesure et exprime la richesse.



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