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Bitcoin (BTC) Ă  200 000 dollars Ă  l’étĂ© 2025 : l’analyste Peter Brandt y croit

By: Marine Debelloir —

Le Bitcoin (BTC) est Ă  la fĂȘte cette semaine avec un bond inattendu. L’analyste Peter Brandt a donc revu ses estimations Ă  la hausse : il envisage un prix de 200 000 dollars l’annĂ©e prochaine. À quoi peut-on s’attendre ?

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Au plus haut depuis 2021, le Bitcoin va-t-il regagner les 60 000 $ dans les prochains jours ? - Analyse du BTC du 27 février 2024

By: Tagado —

De retour sur des niveaux qu'il n'avait plus revisités depuis novembre 2021, le Bitcoin va-t-il parvenir à regagner les 60 000 $ dans les prochains jours ? Le point dans cette analyse BTC du mardi 27 février 2024.

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Les tokens des layers 2 de Bitcoin explosent dans le sillage du BTC

By: Marine Debelloir —

Alors que le Bitcoin (BTC) a enregistré une hausse nette hier, les cryptomonnaies qui lui sont liées profitent elle aussi du contexte favorable. Les layers 2 (L2) basés sur Bitcoin sont en effet en forte hausse cette semaine.

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69 000 dollars en vue ? Le Bitcoin (BTC) n’est plus qu'à 20 % de son ATH

By: Vincent Maire —

GrĂące Ă  ses bonnes performances depuis le dĂ©but de l’annĂ©e, le Bitcoin (BTC) est maintenant Ă  moins de 20 % de son dernier plus haut historique (ATH). La hausse va-t-elle continuer ? ÉlĂ©ments de rĂ©ponse.

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MicroStrategy acquiert 3 000 Bitcoins : l'entreprise détient désormais plus de 10 milliards de dollars de BTC

By: Maximilien PruĂ© —

MicroStrategy, sous la direction de Michael Saylor, continue d'élargir sa position dominante dans le monde du Bitcoin en acquérant 3 000 BTC supplémentaires. Avec ce nouvel investissement, l'entreprise dépasse désormais les 10 milliards de dollars de BTC en réserve, confirmant sa position leader dans l'écosystÚme des entreprises ayant acheté du Bitcoin.

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Emails inĂ©dits de Satoshi Nakamoto – 5 rĂ©vĂ©lations sur le crĂ©ateur de Bitcoin (BTC)

By: Marine Debelloir —

Une correspondance de Satoshi Nakamoto, jusque lĂ  cachĂ©e, vient d’émerger. Qu’apprend-on dans les 120 pages d’emails, et quels indices cela nous donne-t-il sur la personnalitĂ© du crĂ©ateur du rĂ©seau Bitcoin (BTC) ?

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Donald Trump tient des propos favorables au Bitcoin (BTC) lors de sa campagne prĂ©sidentielle — Que dit-il ?

By: Vincent Maire —

Lors d’une interview accordĂ©e Ă  Fox News, Donald Trump s’est montrĂ© favorable au Bitcoin, allant mĂȘme jusqu’à dire qu’il pouvait « vivre avec d’une maniĂšre ou d’une autre ». L’ancien prĂ©sident des États-Unis est-il rĂ©ellement devenu favorable aux cryptomonnaies ? Nous faisons le point sur ses propos.

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74 - Blockchain, un passé monumental

By: Jacques Favier —

Pour Laurent

Il en a été le premier émerveillé, le chercheur qui un soir de ce début d'année a posté sur la messagerie privée de notre Cercle du Coin les mots suivants « Je ne m'attendais pas vraiment à ça, mais là je ne vois pas d'autre moyen que de dédier à Jacques Favier la dataviz que je suis en train de faire sur le PoW de Bitcoin ».

Guizeh, ce paysage qui m'est évidemment si cher, surgissant ainsi dans une nuit d'études sur la preuve de travail et la cryptographie. Une merveille du monde numérique !

gizeh

le mining shield original en Ă©chelle linĂ©aireIl y a Ă©videmment un effet artistique dans cette prĂ©sentation Ă©gyptienne. Le graphique original est carrĂ©. On lui a fait faire une rotation de 45°. L'axe des abscisses commençant en janvier 2009 et s'achevant en dĂ©cembre 2017 est donc sur la pente gauche, l'axe des ordonnĂ©es remontant le temps entre ces mĂȘmes bornes se retrouve sur la pente droite.

temps en secondes pour miner un bloc passé

La couleur indique le temps en secondes correspondant pour miner l'ancien bloc. Plus la couleur est chaude plus cela prend de temps: ainsi le jaune correspond aux 10 minutes traditionnelles de bitcoin.

Je cite les explications de Laurent Salat : « Cette visualisation essaie de répondre à la question : combien de temps cela prendrait-il à un mineur possédant 100% du hashrate à une date donnée (identifiée sur le cÎté gauche) pour reminer un block créé dans le passé (identifié sur le cÎté droit) ? » Question toute orwellienne, en somme...

Le chercheur nous fait visiter son graphe comme un vrai guide touristique : les petites pyramides vertes, qui Ă©voquent si bien les pyramides des reines, correspondent dit-il « Ă  des pĂ©riodes oĂč la croissance du hasrate a stagnĂ© avant de brutalement augmenter. Le point rouge n'est pas la chambre mortuaire cachĂ©e de Pharaon mais une rare pĂ©riode oĂč le hashrate a diminuĂ© (les blocks passĂ©s avaient reçus plus de PoW que les blocks plus rĂ©cents). On voit aussi sur la gauche un point oĂč le bleu nuit atteint quasiment la base. Cela correspond Ă  un autre Ă©vĂšnement de l'histoire de Bitcoin, Ă  savoir la publication le 11 juillet 2010 d'un article qui a entrainĂ© un influx massif de nouveaux utilisateurs, multipliant le hashrate par 4 et augmentant le nombre de blocks minĂ©s durant quelques jours, et c'est cette augmentation brutale du hashrate qui explique la baisse soudaine du niveau de sĂ©curitĂ© des blocks prĂ©cĂ©dents ».

Evidemment, l'effet pyramide provient aussi d'une seconde option graphique : la forme triangulaire elle-mĂȘme tient Ă  ce que la question de dĂ©part portait sur la sĂ©curitĂ© de la blockchain, sur l'impossibilitĂ© de rĂ©Ă©crire les blocks passĂ©s. Cela Ă©tant, note le chercheur, il pourrait ĂȘtre amusant de faire le calcul inverse et de chercher Ă  connaĂźtre le temps nĂ©cessaire pour rĂ©Ă©crire des blocs dans le futur.

« En gros, ce que dit ce graphe, c'est que dans un mode de croissance continue du hashrate, la sécurité de bitcoin repose principalement sur la Preuve de Travail des blocks les plus récents. Une fois cette couche percée, les blocks plus anciens offrent peu de résistance».

Tout en remerciant le chercheur de la dĂ©dicace qu'il me faisait de son Ă©trange paysage, je l'interrogeai pour savoir si ma comprĂ©hension Ă©tait exacte : la plupart du temps, en effet, on prĂ©sente la connaissance du passĂ© comme utile pour comprendre le prĂ©sent et prĂ©parer le futur. Avec citation de Churchill Ă  l'appui. Or il prĂ©sentait ici, me semblait-il, un modĂšle oĂč c'est le prĂ©sent qui dĂ©fend l'intĂ©gritĂ© du passĂ©.

Et c'était exactement cela. Dans un mode de croissance ininterrompu du hashrate, la preuve de travail du présent sert de bouclier aux blocks du passé. Un bloc miné en 2009 présenterait individuellement peu de résistance à un ASIC de 2017. Rien de vraiment nouveau dans cette constatation, si ce n'est que l'image en donne une illustration concrÚte.

Tandis que je commençais de rĂȘver aprĂšs ce test de Rorschach imprĂ©vu, d'autres membres du Cercle prĂ©sents Ă  ce moment sur la messagerie notaient que si la conclusion suggĂ©rait des fondations « fragiles », la reprĂ©sentation en pyramide donnait l’impression d’une base solide ; que l'image montrait aussi clairement que la prĂ©sence de nombreux full nodes Ă©tait effectivement la seule protection contre une rĂ©ecriture profonde de l’histoire ; et aussi que, malgrĂ© tout, Ă  terme, le passĂ© finirait bien par devenir plus fort que le prĂ©sent, parce que sans doute il y aurait un jour le moment historique oĂč pĂąlirait la loi de Moore avec les 20% de hashrate supplĂ©mentaires par mois... ce qui faisait Ă©videmment polĂ©mique.

Ce que Laurent Salat avait fait surgir par accident, Pierre Noizat l'avait dĂ©jĂ  Ă©voquĂ© explicitement : l'idĂ©e que les grands monuments du passĂ© avaient pu constituer en leur temps des formes de preuve de travail : « Le rĂ©seau Bitcoin hĂ©berge une preuve de travail monumentale dont la fonction de salle des coffres numĂ©rique justifie le coĂ»t de construction. Avant elle, beaucoup d’institutions politiques ou religieuses ont utilisĂ© des preuves de travail physiques, parfois inutiles, souvent majestueuses, comme les pyramides des Pharaons ou les cathĂ©drales, pour tĂ©moigner de leur capacitĂ© phĂ©nomĂ©nale Ă  mobiliser les Ă©nergies des sujets et des croyants ». La comparaison a d'ailleurs Ă©tĂ© reprise par Andreas Antonopouos : « Les pyramides se dressent aujourd’hui comme un tĂ©moignage de la preuve de travail de la civilisation Ă©gyptienne. Bitcoin est le premier monument digital de preuve de travail de dimension planĂ©taire ».

La Blockchain est trop souvent présentée comme une sorte de grand livre de comptes ou d'enregistrement. Cette présentation un peu plate est particuliÚrement en usage chez ceux qui ne veulent ni de bitcoin ni d'aucun jeton précieux, et doivent donc s'épargner la coûteuse dépense du hash. Mais en vérité rapporter la dépense énergétique aux transactions, comme cela est fait de façon polémique, est un non-sens. En vérité la Blockchain n'est ni une technologie, ni un registre. C'est un monument.

La Blockchain est un monument numérique, non matériel. J'avais montré, à partir d'une promenade dans la cathédrale d'Amiens, comment un labyrinthe tracé au sol pouvait aussi avoir fonctionné, jadis, comme preuve de travail spirituel autant que physique et comment, ironie du sort, c'était aujourd'hui un monument virtuel (le labyrinthe de Reims) qui fournissait le logo de tous les monuments historiques de France.

La Blockchain est un monument que l'on visite, en dataviz, en imagerie 3D, et mĂȘme en imagerie musicale. Un monument, c'est quoi ?

virtuel

En latin monumentum vient de monere. On trouve cela dans les dictionnaires étymologiques qui précisent aussitÎt que le verbe monere signifie d'abord remémorer. Le monument par excellent c'est le tombeau, la pyramide de Guizeh, le mausolée d'Halicarnasse... mais aussi le monument aux morts d'un village, aussi humble soit-il. Le monument est tourné vers le passé.

MonetaCe qu'il y a d'amusant c'est que le mĂȘme verbe monere signifie aussi (c'est son second sens dans l'ordre donnĂ© par Felix Gaffiot) avertir. Sens qui donne le nom de Moneta, la dĂ©esse qui a pour symbole l'oie et dont le temple abritait les volailles qui sauvĂšrent Rome en caquetant pour prĂ©venir de l'approche du danger. C'est dans ce temple que furent frappĂ©es les premiĂšres piĂšces qui en prirent le nom de monnaie. La Monnaie, par ce passĂ© enfoui, est tournĂ©e vers le prĂ©sent immĂ©diat, celui du danger qui rode. Lien Ă©trange : le trĂ©sor du prĂ©sent est toujours conservĂ© enfoui sous un monument : temple de Moneta Ă  Rome, HĂŽtel de Toulouse (Banque de France) Ă  Paris. Et quand on veut reprĂ©senter la force de la Blockchain, surgit soudain une pyramide !

Ce monument est à la fois historique (du passé) et dynamique (du présent).

Deux chercheurs du Laboratoire d'HumanitĂ©s numĂ©riques de l'EPFL, FrĂ©dĂ©ric Kaplan et Isabella di Lenardo, viennent de publier un article sur le nĂ©goce des ancĂȘtres. La passion gĂ©nĂ©alogique est aussi vieille que l'histoire. Mais la mise en rĂ©seau des rameaux que chaque gĂ©nĂ©alogiste peut reconstituer a fait surgir une forĂȘt. Dans les Archives, gĂ©nĂ©ralement publiques et pratiquement gratuites, certains minent bĂ©nĂ©volement, par passion de l'histoire familiale, ou par passion religieuse comme le font les Mormons. Mais des entreprises ont vite saisi l'Ă©mergence d'une nouvelle forme de capital, que les deux chercheurs dĂ©signent comme capital gĂ©nĂ©alogique et dont ils expliquent que sa spĂ©cificitĂ© vient de ce que « la valeur de chaque arbre est d'autant plus grande qu'il peut ĂȘtre mis en relation avec d'autres arbres ». Ainsi le groupe MyHeritage, en rachetant des entreprises qui possĂ©daient chacune des petites bases de donnĂ©es en a construit une dont la valeur excĂšde de beaucoup le total des bases achetĂ©es. Jolie illustration de la loi de Metcalfe ! Le « grand arbre de l'humanitĂ© » se retrouve appropriĂ© par quelques entreprises, qui peuvent tout aussi bien l'exploiter auprĂšs des gĂ©nĂ©alogistes... que de le revendre (cela s'est vu) Ă  des laboratoires pharmaceutiques.

Gideon Kiefer. – « Reconstructing a Memory » (Reconstruire un souvenir), 2014

Voici qui recoupe bien des rĂ©alitĂ©s que nous connaissons, mais aussi bien des interrogations que nous avons. Notez que cette Ɠuvre illustrant l'article de Kaplan et Lenardo aurait pu servir Ă  illustrer un article sur « la technologie Blockchain » ! Bien sĂ»r il s'agit ici de centraliser une information dissĂ©minĂ©e, mais on y voit aussi le travail prĂ©sent augmenter la valeur du patrimoine passĂ©. À partir de bouts d'informations Ă©parses dans des centaines de milliers de registres (rien que pour la France) on a construit un monument, « l'arbre de l'humanitĂ© ». Comment aurait-on su en un instant, sans cet Ă©norme travail du temps prĂ©sent protĂ©geant le passĂ©, que Jean d'Ormesson et Jean-Philippe Smet descendaient tous deux de Jean de La Malaize et de son Ă©pouse Marie Smaele de Broesberghe, qui vivaient quelque part vers Namur au 15Ăšme siĂšcle ? Voici nos ancĂȘtres infiniment traçables dĂ©sormais dans ce grand livre de l'humanitĂ©. Naturellement, ils sont faux, et quelques tests ADN amĂšneraient Ă  relativiser la chose, mais juridiquement ils sont parfaits. De toute façon, quelle valeur auraient ces pauvres morts sans notre vivant dĂ©sir ? LĂ  aussi le prĂ©sent dĂ©fend le passĂ©.

C'est peut-ĂȘtre la raison qui a provoquĂ© un rĂ©cent et quelque peu dĂ©risoire scandale en Allemagne. La radio a rĂ©pĂ©tĂ© en boucle durant 2 jours qu'une Ă©glise romane venait d'ĂȘtre dĂ©truite Ă  pour permettre Ă  RWE, propriĂ©taire du plus gros parc de centrales Ă  charbon d'Europe, d'extraire plus de lignite et Ă  Madame Merkle de continuer Ă  crever ses quotas en maintenant l'emploi d'un bassin minier oĂč sont ses Ă©lecteurs. Un drame du minage, en somme ! On pense bien que la chose m'a inquiĂ©tĂ©...

Erkelenz-Immerath

Or l'église d' Erkelenz-Immerath était un monument sans grande valeur, datant du 19Úme siÚcle et déconsacré selon les formes requises par l'église catholique. Que, dans un temps aussi laïque que le nÎtre, la destruction d'une banale église de village suscite des commentaires horrifiés jusque hors des frontiÚres, que des jounraux français, anglais, italiens aient rivalisé d'erreurs de style, passant du néo-roman au roman, évocant une église historic pour un journal anglais, voire antica dans Il Messagero, et confondent finalement le 19Úme siÚcle avec le 12Úme (soit la reine Victoria et Richard Coeur de Lion, pour faire simple...) me suggÚre que c'est moins la destruction d'un lieu saint que celle d'un monument chargé de sens, quelqu'il soit, qui suscite la réprobation.

Il y a en réalité une relation milénaire entre les monuments, le sacré et l'argent.
Les premiers trĂ©sors sont logĂ©s dans les temples des dieux (dont celui de Moneta) et les temples sont une garantie monumentale. Est-ce pour cela que le subtil mais pessimiste Bilal a fait Ă©voluer ses propres Immortels dans une pyramide oĂč, se laissant corrompre par le goĂ»t tout humain du jeu, ils se livrent Ă  de sordides transactions ?

la Pyramide des Immortels de Bilal

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73 - Genre Venus

By: Jacques Favier —

L'épisode suscité par la célÚbre Nabilla Benattia met en perspective divers enjeux qui sont apparus, avec un air de plaisanterie, dans une lumiÚre finalement assez déplaisante.

Au départ, un petit film, que tout le monde a vu et dont je transcris quelques phrases.

Danae par Chantron 1891« Les chĂ©ris, je sais pas si vous avez entendu parler du bitcoin, genre cette sorte de nouvelle monnaie virtuelle
 Et en fait je connais l'une des filles qui travaillent avec un trader qui sont Ă  fond dans le bitcoin. C'est un peu la nouvelle monnaie, genre la monnaie du futur. Et donc en fait je trouve que c'est assez bien. Et comme en ce moment genre c'est grave en train de se dĂ©velopper, ils ont crĂ©Ă© un site (..) ça vous permet d'apprendre Ă  utiliser le bitcoin. VoilĂ , je crois que c'est le bon moment, ça commence Ă  peine Ă  se dĂ©velopper, et je pense que c'est le moment de s'y intĂ©resser un petit peu. En fait, mĂȘme si vous y connaissez rien ça vous permet de gagner de l'argent, sans y investir beaucoup, genre vous y investissez des petites sommes, genre moi j'ai dĂ» mettre Ă  peu prĂšs 1000 euros j'ai dĂ©jĂ  gagnĂ© 800 euros, mais vous pouvez faire beaucoup moins ».

Y avait-il vraiment de quoi faire entrer en ébullition la cryptosphÚre, l'Internet, puis l'AMF, maladroitement relayée par Libération, le journal des jeunes de 77 ans?
On a un peu envie de remarquer qu'elle dit plutĂŽt moins de sottises que bien des journalistes spĂ©cialisĂ©s, et que son incitation Ă  un investissement pĂ©dagogique est assez prudent. Comme l'a courageusement notĂ© le directeur de l’hebdomadaire du Point, jeudi sur France Inter, cela signifie que le phĂ©nomĂšne commence Ă  toucher le grand public et qu'on doit se rĂ©jouir que quelq'un porte enfin la chose sur la place publique. « En revanche, vous entendez souvent des politiques en parler, du bitcoin ? Jamais, ou presque. Est-ce qu'ils comprennent ? Ă  mon avis, pas souvent (...) Eh bien celle qui porte le sujet sur la place publique, c’est Nabilla Benattia. Puissent les politiques l’écouter, et se saisir enfin, de ce phĂ©nomĂšne tout sauf anecdotique ».

Alors d'oĂč vient le scandale ?

Parlons d'abord de la forme : une publicité à peine déguisée sur une cible douteuse?

Certes Nabilla Benattia s'exprime ici sur un rĂ©seau social ouvert aux tout jeunes adolescents qui ne sont pas une cible appropriĂ©e pour des placements risquĂ©s ou non, mĂȘme si les enfants peuvent voir les publicitĂ©s automobiles diffusĂ©es par la tĂ©lĂ©vision sans prĂ©caution particuliĂšre Ă  l'Ă©gard de ceux qui n'ont pas l'Ăąge de rouler.

Certes elle fait la promotion d'un site Internet qui vend une formation pour les personnes intĂ©ressĂ©es par la cryptomonnaie, formation qui nĂ©cessite de souscrire un abonnement alors qu'elle assure que « c'est gratuit ». Mais si l'on doit compter tous les liens prĂ©tendant mener vers des tĂ©lĂ©chargements gratuits et qui en trois clics amĂšnent l'internaute Ă  la page payante, on va remplir un Bottin. Les internautes, mĂȘme jeunes, connaissent la vie...

Certes, la justice pourrait entamer une procédure pour publicité déguisée contre celle qui, dans sa vidéo, ne mentionne pas explicitement le caractÚre publicitaire de son message. Là encore, il y aurait un fort risque de paraßtre vouloir « faire un exemple » quand des centaines d'autres « influenceurs » oublient allÚgrement les recommandations de l'ARPP sur la communication publicitaire numérique malgré les foudres brandies depuis longtemps par la Répression des Fraudes. Est-ce propre au numérique ou à Nabilla ? Je n'ai jamais entendu un journaliste rappeler que tel ou tel grand expert économiste présenté à l'antenne comme professeur à Paris I ou à Paris II siÚge aussi, en toute indépendance et pour rendre service, sans doute, chez David de Rothschild ou chez son cousin Edmond,

Maintenant, redescendons sur terre. Quand Nabilla Benattia s'enlise dans ses explications (« Ils ont un site qui est sĂ»r (...) honnĂȘtement ils ont plus de 85% de taux de rĂ©ussite, donc en gros, ils ne se trompent pas, quoi ») quel est l'adolescent d'aujourd'hui, mĂȘme benĂȘt, qui n'a pas compris qu'elle fait de la pub ? MĂȘme les prĂ©-ados savent bien que si Norman et Cyprien gravitent aujourd'hui dans l'orbite de Webedia (Monsieur Ladreit de LacharriĂšre, qui ne possĂšde pas que la Revue des Deux Mondes et qui s'y connait en « relations ») cela n'est pas Ă©tranger Ă  des considĂ©rations de monĂ©tisation de l'influence qu'ils exercent. Je ne dis pas qu'ils approuvent. L'opĂ©ration de rachat de Mixicom par Wabadia avait au printemps 2016 suscitĂ© de vifs dĂ©bats. Mais ils savent !

Genre ?

Il y a dans La VĂ©nus Ă  la fourrure de Polanski (oui, je sais...) une scĂšne oĂč le metteur en scĂšne (Mathieu Amalric) qui n'en peut plus d'entendre Wanda ( Emmanuelle Seigner) balancer de maniĂšre compulsive le mot « genre » pris fautivement ici comme un adverbe Ă  chaque phrase, se fait moquer par elle. Parce que, lui, il Ă©grĂšne des « pour ainsi dire » lĂ©gĂšrement dĂ©suets. Il s'enquiert donc de ce qu'il faut dire aujourd'hui Ă  la place de « pour ainsi dire ».

Personne ne s'est gĂȘnĂ© pour signifier Ă  Nabilla qu'elle n'Ă©tait pas Ă  sa place. L'opinion de dizaines d'experts qui n'ont pas lu le quart de l'article Bitcoin sur Wikipedia, les rires de ceux qui pouffent sur les plateaux en assurant que l'on n'y comprend rien, coupant au besoin la parole de celui qui semblent savoir avec des « oh lĂ  lĂ  on n'y comprend rien! », l'arrogante paresse de ceux qui tranchent que « c'est une folie complĂšte ce truc », les comparaisons absurdes, les invectives, les bidouillages de ceux qui ne savent plus s'ils dĂ©tachent Bitcoin de la Blockchain ou la Blockchain du Schmilblick ... tout est lĂ©gitime, tout Ă  droit Ă  l'antenne. Mais pas la parole de Nabilla assurant que c'est genre la monnaie du futur.

Si elle le dit, c'est forcĂ©ment du grand n'importe quoi nous assure (dans un français, Ă  tout prendre, guĂšre diffĂ©rent de celui de la jeune personne) un vieux briscard de syndicat bancaire. « La vulgaritĂ© et la bĂȘtise en cadeaux additionnels » relance un banquier pourtant populaire. Ces gens lĂ  ne peuvent rien dire quand Bill Gates, Richard Branson, Marc Andreesen ou Al Gore leur expliquent que Bitcoin c’est rĂ©volutionnaire, et que c'est beaucoup mieux qu’une monnaie. En gĂ©nĂ©ral ils n'en sont pas informĂ©s, parce que les propos positifs ne sont pas relayĂ©s. Et si par hasard ils le sont, ça ne les convainc en rien. Mais un vieux fonds de servilitĂ© les maintient dans leur bouderie. Alors que si une jeune femme si diffĂ©rente des critĂšres de leur monde Ă  eux dit Ă  peu prĂšs la mĂȘme chose dans sa langue Ă  elle, ils peuvent se lĂącher.

Et l'illĂ©gitimitĂ© de cette jeune personne rebondit immĂ©diatement sur Bitcoin. Comme il s'agit de coller Ă  la phase ultime de la bulle, qui serait celle de l'arrivĂ©e des idiots (alors mĂȘme que tout annonce l'arrivĂ©e des fonds d'investissemens) Nabilla devient la preuve vivante de l'effondrement conceptuel et financier de « ce truc ». C'est dĂ©finitivement le moment de vendre. Qu'elle conseille d'acheter permet Ă  tout un tas de couillons de conseiller de vendre. A croire que des cartes de CIF ont Ă©tĂ© distribuĂ©es au petit matin dans leurs boites aux lettres. Nabilla c'est mieux que le cireur de chaussure de Rockefeller (ou de Joe Kennedy plus personne ne sait), mieux que le chauffeur de Joe Kennedy (ou de Rockefeller, tout le monde s'en fiche) mieux que le barbier (cette version existe aussi), mieux que toutes les petites gens qui, en se contenant au fond de rĂ©pĂ©ter ce qu'ont dit la veille les demi-instruits, offrent Ă  ces derniers l'occasion de rire un bon coup Ă  la santĂ© des travailleurs manuels et des classes populaires.

Tous les journaux se sont crus obligĂ©s de citer le twitte de l'AMF. Nabilla vivement critiquĂ©e, recadrĂ©e, taclĂ©e, j'en passe. Notez bien que le message de l'AMF n'Ă©tant pas destinĂ©e @nabilla (elle a un compte public) et ne faisant que citer #nabilla (j'imagine que celui qui a la main sur le compte twitter de l'institution comprend la diffĂ©rence) doit ĂȘtre destinĂ© aux ados accros Ă  Snapschat. Ils sont certainement trĂšs nombreux Ă  suivre l'AMF.

Venus au miroir Ă  Anvers, Rubens d apres TitienAu demeurant, au « Y'a pas besoin de s’y connaĂźtre » de Nabilla, l'AMF en rĂ©pondant par un « restez Ă  l’écart » aussi puissamment argumentĂ©, se met Ă  peu prĂšs au mĂȘme niveau, celui de gens qui usent de l'argument d'autoritĂ© que confĂšre notoriĂ©tĂ© ou position sociale mais qui n'ont pas le courage d'approfondir la question.

Depuis Monsieur Valls, on sait que nos Ă©lites ne souhaitent pas trop que les gens essayent de comprendre.

Venus

Sur les réseaux et messageries, la goujaterie vient renforcer le mépris de classe. En pleines séquelles de l'affaire Weinstein, on reste confondu de ce que l'on peut lire sur LinkedIn, dans le déluge d'articles et de commentaires que des responsables encravatés ont consacrés à ces 3 minutes de Snapschat. Il y en a qui comprennent certaines choses tellement lentement qu'ils feraient mieux de ne pas moquer Melle Benattia. Les riches assonances du mot bitcoin font merveille chez des consultants informatiques dignes de personnages de Houellebecq. Les plus délicats des cadres outragés par cette jeune femme sont ceux qui se contentent de demander si elle se croit dans un cabaret.

La VĂ©nus Ă  la fourrure

On sent quand mĂȘme vite une sourde saloperie de mĂąles rancuniers derriĂšre tout cela. Bien sĂ»r, on a compris que Nabilla, cette femme sans Ă©ducation, annonçait le jugement dernier d'un Bitcoin « qui n'en finit pas de mourir » (j'ai lu ça tel quel). Cela n'en fait pas la femme perdue du 17Ăšme chapitre de l'Apocalypse. Ce que rĂ©vĂšlent les rĂ©fĂ©rences plus ou moins discrĂštes aux usages que cette jeune femme pourrait faire de son corps, c'est, au-delĂ  d'une frustration charnelle un peu pathĂ©tique, la risible frustration du monsieur qui se dit qu'il est trop tard pour profiter de l'aventure. Il n'y a que ceux qui n'ont pas achetĂ© un bitcoin en 2014 ou 2015 pour calculer sordidement ce qu'ils auraient dans leurs poches s'ils en avaient achetĂ© mille en 2012. Comme s'ils avaient l'once de courage pour cela !

Pour ainsi dire

En conseillant Ă  ses fans l'achat de 1000 euros de bitcoin, elle mettrait donc la sociĂ©tĂ© française au bord du gouffre. C'est la moitiĂ© de la mise moyenne annuelle d'un français sur deux dans des jeux de hasard qui ne font pas honneur Ă  l'esprit humain, mĂȘme s'ils sont sous la coupe de l'Inspection des Finances. Est-ce qu'il n'y a ni drame social liĂ© au jeu d'argent, ni publicitĂ© pour y inciter ? C'est ce que semble soutenir un rapport d'enquĂȘte parlementaire (de 2005) : « votre rapporteur est parvenu Ă  la conclusion que jamais l'Etat ne pousse Ă  dĂ©velopper le jeu pour alimenter ses caisses, au terme de ses recherches et de ses recoupements dans ce domaine qui relĂšve de l'Ă©thique. L'Etat semble tenir, au moins dans ce secteur, un langage assez pondĂ©rĂ© et se placer en promoteur sincĂšre d'un dĂ©veloppement compĂ©titif, certes, mais responsable ». Rien Ă  voir, donc, avec le grossier tapinage (le mot n'est jamais employĂ© innocemment) de Melle Benattia.

Celle-ci n'aurait aucune capacité intellectuelle ? Est-on bien sûr que la personne qui débite des conseils dans les agences bancaires de quartier s'exprime dans une langue plus recherchée ou avec des arguments mieux étayés ? Aucune importance me dira-t-on,puisque c'est pour placer des produits maison, offrant toute garantie.

Quand il s'agit de séduire les petits bourgeois, la grande finance se prive-t-elle d'user du charme plus que du raisonnement ? Ceux qui ont vécu la fin des années 1980 se souviendront des procédés utilisés pour draguer « l'actionnariat populaire». Paribas exhibait l'Orangerie de la rue d'Antin sur fond de prouesses vocales de Barbara Hendricks : toutes choses mieux assorties aux goûts de la classe dirigeante que le peignoir rose de Nabilla, mais sans guÚre plus de rapport avec l'étude d'une opportunité d'investissement. Suez voulut alors montrer qu'il s'agissait de réfléchir. En faisant appel à une vraie star, pas à une starlette:

En quoi, mais en quoi, ce message est-il différent de celui de Melle Benattia?

Les actionnaires de Suez ont bu le bouillon. Un bide devenu un cas d'école. Le slogan « réfléchissez » revint comme un boomerang sur les stratÚges de l'argent et de la communication. Madame Deneuve, elle, alla jusqu'à se dire « choquée par la méchanceté des journaux, et surprise que les dirigeants de Suez ne réagissent pas pour la protéger ».

En 1993 (seconde vague de privatisation) les sociĂ©tĂ©s en quĂȘte de pigeons corrigeaient le tir, les experts en communication ayant le cuisant souvenir des dĂ©rapages antĂ©rieurs, comme le notait le journal les Echos eux-mĂȘmes. On n'avait pas encore songĂ© Ă  parler de « Blue Chips Nation », mais on n'allait pas tarder Ă  inventer le « placement de pĂšre de famille ». Aider les grands patrons, ça c'est du bon risque ! Financer les dĂ©couverts de fin de mois de l'Etat en collaboration avec des banquiers «SpĂ©cialistes en Valeur du TrĂ©sor », ça ce sont des choses nobles auxquelles on peut penser en se rĂ©veillant le matin.

Les propos de la classe dirigeante sur Bitcoin ne constituent pas un apport Ă  un dĂ©bat d'idĂ©es mais des sarcasmes de concurrents auxquels il convient peut-ĂȘtre parfois de rĂ©pondre comme tel. Genre VĂ©nus...

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70 - In excelsis (les lauriers et les tulipes)

By: Jacques Favier —

Aujourd'hui un bitcoin vaut un peu moins de 200 grammes d'or. Quels grammes d'or, alors, peuvent bien valoir prĂšs de 8 bitcoins chacun ?

La derniĂšre feuille de laurier de 1804

Les derniers jours ont été riches (c'est le mot) en révélations de trésors.

A Cluny, la dĂ©couverte de 2.300 deniers et oboles en argent, en majoritĂ© Ă©mises par l'abbaye de Cluny, mais aussi de 21 dinars musulmans en or, rappelle opportunĂ©ment quelques faits qui viennent rogner les Ă©ternelles prĂ©tentions rĂ©galiennes : l'abbĂ© de Cluny bat monnaie dans une premiĂšre moitiĂ© du XIIĂšme qui est pourtant celle de Philipe Auguste, non du roi Dagobert. Et les moines thĂ©sauriseurs ne dĂ©daignent point l'or que les Almoravides frappent bien avant que saint Louis ne puisse reprendre la frappe de l'or, interrompue en Occident durant plus de 2 siĂšcles. MĂȘme si ces dinars proclament que Muhammad est le ProphĂšte de Dieu, ce qui n'Ă©tait pas spĂ©cifiquement dans ce qu'on appellerait aujourd'hui "nos valeurs".

le dinar et l'Ă©cu

En revanche c'est la figure du Christ, Sauveur du Monde, qui vient de pulvĂ©riser toutes les estimations et toutes les enchĂšres antĂ©rieures. Un thĂšme assez commun en ce dĂ©but du XVIĂšme siĂšcle, et que Van Eyck et DĂŒrer ont dĂ©jĂ  exploitĂ©. Mais c'est le seul tableau du maĂźtre de Florence encore en mains privĂ©es. Qui peut jurer que ce petit tiers de mĂštre-carrĂ© peint il y a un peu plus d'un demi millĂ©naire ne vaut pas le double?

JĂ©sus devant ses juges ?

Enfin le dernier laurier rescapé de la couronne d'un demi-dieu vaut donc depuis ce dimanche 1500 fois son poids d'or, et je n'en suis pas étonné encore que l'objet ait dépassé 3 fois la fourche haute de l'estimation. No limit...

On connait l'Ă©pisode. Essayant le chef d'oeuvre de l'orfĂšvre Biennais, le jeune empereur la trouve trop lourde. " C'est le poids des victoires de votre MajestĂ©" lui rĂ©pond l'habile homme, qui enlĂšvera tout de mĂȘme quelques feuilles, les sauvant ainsi, au passage, de la destruction par les autoritĂ©s officielles, quelques annĂ©es plus tard.

Que nous disent ces anecdotes, sur la raretĂ©, la beautĂ©, la valeur... mais aussi sur la valeur des expertises ? Depuis qu'au mois de mai l'envol des cours de Bitcoin a pris un nouvel essor, on a fort naturellement assistĂ© Ă  de nouvelles imprĂ©cations d'experts. Cela va de Monsieur Trichet qui estime dans Le Temps qu'une monnaie doit porter sa signature ("J’ai signĂ© tous les billets de banque en euros, j’ai tendance Ă  considĂ©rer que cela veut dire quelque chose de garantir la crĂ©dibilitĂ© d’une monnaie") Ă  tous ceux qui ont mĂ©ritĂ© un "prix Tulipe" pour avoir brandi ce lieu commun de l'histoire financiĂšre sans la moindre compĂ©tence historique ni le moindre scrupule financier : d'autres princes d'Ancien-RĂ©gime comme Jamie Dimon ou Cyril de Mont-Marin (Rothschild & Cie) sur Les Echos, et puis leurs mousquetaires comme Marc Rousset sur Boulevard Voltaire oĂč il estime que Bitcoin est "un exemple type de la folie spĂ©culative contemporaine", Marc Touati qui tranche sur acdefi.com qu'on "nage en plein dĂ©lire", Jean-François Faure sur Challenges,... Sans compter le fĂ©cond Pascal Ordonneau qui rĂ©pĂšte tous les 8 jours et dans tous les sens ses trois ou quatre lazzi.

"Ça ne repose sur rien": tout est dit. MĂȘme si cela se rĂ©sume vite Ă  : "ce n'est pas mon systĂšme, je ne l'ai pas signĂ©, il n'y a pas de gens comme nous derriĂšre tout cela, vous n'avez mĂȘme pas la LĂ©gion d'Honneur". On peut imaginer que ce sont les mĂȘmes, des hommes d'Ancien RĂ©gime, qui ont fondu de rage la couronne de l'enfant prodigue de la gloire.

Et si Bitcoin devenait un objet de collection ? J'ai déjà écrit que l'art est dans la nature de Bitcoin... Celui qui aurait 21 bitcoins ( un peu moins que le prix du laurier napoléonien!) possÚderait un millioniÚme d'une chose qu'il peut (dans un régime de liberté d'opinion) considérer comme un trésor inestimable né de l'esprit d'un demi-dieu.

C'est cher ? Oui. C'est le poids des victoires...

la racine de 2Victoires sur qui? Sur les généraux byzantins, la nature réplicable des objets numériques, les centralisateurs, les puissants...

Victoire de qui ? D'un inconnu, certes.

Mais... Qui a calculé la racine de 2 ? Qui a écrit a Bible? Qui a fondé Rome ?

Le Louvre n'est-il pas rempli de trésors anonymes : qui a sculpté la Vénus de Milo ? qui a peint vers 1350 le portrait de Jean II (créateur du "franc")? Qui a peint un siÚcle plus tard la Crucifixion du Parlement de Paris ? Et encore 150 ans plus tard, qui a peint la troublante Gabrielle d'Estrées ?

Quand les descendants de Trichet, Dimon & Cie auront accumulĂ© des bitcoins, peut-ĂȘtre la valeur de ceux encore "en mains privĂ©es (et pseudonymes)" sera-t-elle propulsĂ©e Ă  des sommets ? La petite peinture de Vinci a vu son cours multipliĂ© par 3,5 en 4 ans, et par plus de 1300 en 17 ans. Qui peut jurer que le petit laurier s'il repasse en vente ne vaudra pas un million ?

Quel "expert" veut Ă©crire encore une bĂȘtise ? Il reste certainement des prix Ă  attribuer Ă  ceux qui confondront les tulipes et les lauriers...

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69 - Une soupe de 0 et de 1 ?

By: Jacques Favier —

Pour Laurent
Ce billet est inspiré par plusieurs échanges entre mon ami Laurent Benichou et moi. Je l'en remercie grandement.

Au dĂ©but, il y a eu un grand Ă©clat de rire. L'un des plus obstinĂ©s contempteurs du bitcoin venait de se livrer Ă  l'une des saillies dont il a le secret en Ă©crivant que le bitcoin « ne doit son existence qu'Ă  une soupe informatique de 0 et de 1 ». A vrai dire, comme l'individu rĂ©pĂšte en moyenne tous les 15 jours depuis deux ans le mĂȘme article, nous savions fort bien qu'il nous avait dĂ©jĂ  infligĂ© trois ou quatre fois cette image. Pourquoi avons-nous songĂ© cette fois-ci qu'il convenait de l'encadrer ?

Ce Monsieur n'aime pas Bitcoin, soit ! On avait compris. Mais je réalisais que la vraie question, que je posai immédiatement à divers amis, c'était : « est-ce qu'il déteste davantage la soupe ou l'informatique? ». Un fin connaisseur du bitcoin m'a immédiatement répondu. Comme moi, la "soupe" inspirait Laurent Benichou. Nous avons donc réfléchi ensemble...

la e-Sopa de Goya

Nous pensons tous deux que c'est en explorant les images que l'on découvre ce que cachent les raisonnements.

Disons d'abord quelques mots de l'informatique, parce que c'est ici la partie émergée, triviale, de sa haine. Comme toutes les inventions avant elle, la révolution dans l'art de numériser l'information pour la traiter de façon automatisée a laissé sur le bas-cÎté des visionnaires qui ne l'avaient pas vu venir, des concurrents qui n'ont pu lutter, des rentiers ruinés, des experts dépossédés du prestige que leur valaient leurs savoir-faire antiques. On nous dira que c'est vieux ? Pas pour ceux qui ont commencé une carriÚre bancaire dans les années 70... En 1984, celui qui entrait à l'Inspection d'une grande banque n'avait pas d'ordinateur personnel ; on auditait les comptes à fin de mois sur des microfiches photographiques. Les PC ne sont pas apparus dans les bureaux pour les patrons, mais d'abord pour les petites mains, ou dans les services techniques, pour faire des moyennes, non pour aider à réfléchir.

Vint Internet. LĂ  aussi, les plus ĂągĂ©s s'en souviennent, il est arrivĂ© dans les bureaux des jeunes avant de parvenir au sommet des hiĂ©rarchies. Et encore, en rusant, sous prĂ©texte d'intranet, cernĂ© de firewalls. MĂȘme aujourd'hui, des amis banquiers avouent ne pas avoir accĂšs Ă  telle ou telle information parce qu'elle circule sur un rĂ©seau social. Et lĂ  aussi, il y a eu des cadavres. Des banquiers d'affaires qui tiraient leurs connaissances d'un voyage annuel Ă  New-York, leur aura de trois ou quatre secrets Ă©changĂ©s Ă  la chasse ou au golf, leurs inspirations de quelques dĂźners... Sans compter la rancune devant les fortunes inouĂŻes que se sont construites les vainqueurs.

La meilleure description de ces révolutions profondes, sans lesquelles il n'y aurait jamais eu de Bitcoin, date en fait de ... 1848.

Tout ce qui avait solidité et permanence s'en va en fumée texto : « Tous les rapports sociaux, figés et couverts de rouille, avec leur cortÚge de conceptions et d'idées antiques et vénérables, se dissolvent; ceux qui les remplacent vieillissent avant d'avoir pu s'ossifier. Tout ce qui avait solidité et permanence s'en va en fumée, tout ce qui était sacré est profané, et les hommes sont forcés enfin d'envisager leurs conditions d'existence et leurs rapports réciproques avec des yeux désabusés. »

C'est dire si la haine des 0 et des 1 vient de loin !

Maintenant, qu'est ce que la soupe nous apprend ?
(de quoi est-elle le nom ? comme diraient les penseurs-poseurs).

l'enfance« Mange ta soupe ! » Cette injonction, le Contempteur du bitcoin l'a entendue, comme vous et nous, et elle est restĂ©e enfouie dans les terreurs de l'enfance. Le lait maternel a cessĂ© de couler tout seul, et son premier substitut, la bouillie, s'est vite muĂ©e en une chose dont ni l'aspect ni le goĂ»t ne sont bien rĂ©jouissants pour le tout-petit. Avant l'Ă©cole ou le service militaire, la soupe est la premiĂšre Ă©preuve de l'entrĂ©e dans l'Ăąge adulte. La plupart l'ont dignement surmontĂ©e. Mais pour le Contempteur, la Banque Ă©tait une mĂšre : elle l'a nourrie de l'argent qu'elle fabriquait elle-mĂȘme, et qui lui paraissait si naturel que tout changement de rĂ©gime le dĂ©goĂ»te. Bref notre homme est comme le vieux de la publicitĂ© qui dit « je n aime pas la soupe et ce n est pas Ă  mon Ăąge que cela va changer ».

On aurait ici un cas navrant de blocage au stade oral, au sein d'une profession financiÚre dont la majorité des membres ne restent pourtant bloqués qu'au stade suivant. Pardon de cette soupe-osition, c'est le billet 69 !

Soupe d'hiver Ă  Paris, Robert GoeneutteExplorons toutefois une autre piste. La soupe est populaire, on le sait. Les personnes bien nĂ©es ne trempent pas leur soupe (qui est Ă  l'origine le nom du bout de pain) dans le bouillon, le consommĂ© ou le potage. Elles y vont avec l'argenterie de famille. En outre, le potage c'est ce qui a cuit dans un pot, dans lequel il entre idĂ©alement autant de viande que financiĂšrement possible, selon le principe de la la poule au pot que le bon roi Henri IV nous souhaitait Ă  tous, gueux que nous sommes. La soupe c'est donc le veloute des pauvres, des non-bancarisĂ©s, de ceux que la Banque Hervet ou le groupe HSBC laissaient sur la touche... D'ailleurs que vendait-il jadis aux gens du tout-venant, le Contempteur du bitcoin, sinon la soupe bancaire habituelle, celle qui ne change jamais, servie identique Ă  elle-mĂȘme par les Ă©ternels dĂ©fenseurs de la banque de dĂ©tail Ă  la grand-papa, ces grosses lĂ©gumes ?

La « soupe de 0 et de 1 » pour ce bel esprit, c'est du rata pour codeurs, une sous-humanitĂ© Ă  la Houellebecq, des gens qui ignorent les beautĂ©s d'Aristote et n'ont peut-ĂȘtre lu ni Minc ni Attali, deux penseurs qui pourtant savent bien servir la soupe.

Au vrai, le spectacle de tous les spéculateurs encore plus ignorants que lui de Bitcoin et qui se ruent maintenant à la soupe est trop commun pour cet homme élégant, qui fait mine de les mettre en garde mais doit leur souhaiter secrÚtement de boire le bouillon. Ce n'est pas un mauvais homme, mais Bitcoin l'énerve, et cette histoire le rend un peu soupe-au-lait.

Mais s'il avait raison, néanmoins ?
Si Bitcoin Ă©tait effectivement une soupe de 0 et de 1 ?

Sur les 0 et les 1, cela va sans dire, c'est là notre univers. On a déjà commenté sur "La Voie du Bitcoin" ce que dit Mark Alizart sur le caractÚre philosophique de l'informatique.

Mais sur la soupe ? A ce niveau d'Ă©lĂ©vation, on ne peut que songer Ă  la soupe primitive, la soupe primordiale de l'expĂ©rience rĂ©alisĂ©e en 1953 par Stanley Miller qui, en mĂ©langeant gaz, rĂ©actions chimiques et dĂ©charges Ă©lectriques, se rendit compte qu'il avait fait apparaĂźtre des acides aminĂ©s primitifs. Autrement dit, une forme de vie ! De la mĂȘme façon, Satoshi Nakamoto assembla un peu de hashcash, un soupçon de SHA-256, un arbre de Merkle et une gĂ©nĂ©reuse rasade de proof-of-work et vit apparaĂźtre un nouveau systĂšme de paiement, la pulsation d'un coeur battant toutes les dix minutes...

Prosaïquement, la soupe montre comment un mélange bien dosé peut transformer de nobles saveurs individuelles en délice culinaire. La soupe est un assemblage, en somme, plus qu'une technologie. De sorte que serait immédiatement jugé ballot le premier qui parlerait d'une technologie légume derriÚre la soupe, ou prétendrait que l'idée géniale c'est seulement l'assiette creuse.

De plus, la soupe est un plat dont seuls les créateurs et les initiés peuvent détecter tous les éléments. Celui qui songe à cela éprouve une illumination en se souvenant des métaphores sur les fonctions mathématiques irréversibles, illustrées par le mélange (réitéré) des couleurs.

Le mélange des saveurs nous indique clairement que le hashage est un potage ! Rappelez-vous : dans notre enfance, la seule soupe amusante, c'était celle à l'alphabet, avec ses messages si riches en entropie ! Et, à la suite d'Andy Warhol, les artistes du bitcoin ne s'y sont pas trompés...

Andy Crypto Soup

Au total, en explorant un mot stupide, nous trouvons bien des choses en somme. Il faut fouiller. On ne trouve pas la vĂ©ritĂ© en restant Ă  la surface. Le Contempteur qui se rĂ©pand de billet en billet en rĂ©pĂ©tant invariablement les mĂȘmes imprĂ©cations n'est pas forcĂ©ment dĂ©muni d'esprit, mais il manque terriblement d'humilitĂ©. C'est ce qui le fait denigrer sans vraiment essayer de comprendre. On trouve dans les dĂ©bats des dĂ©veloppeurs et des usagers cent critiques plus pertinentes que ses moqueries. Et cela permet Ă  tous d'avancer.

Quelques jugements hautains et pompeux, égayés de boutades éculées, ne remplacent pas un peu de savoir-faire. C'est ce que dit Chrysale aux Femmes Savantes de MoliÚre :

« Je vis de bonne soupe, et non de beau langage.
Vaugelas n'apprend point Ă  bien faire un potage,
Et Malherbe et Balzac, si savants en beaux mots,
En cuisine peut-ĂȘtre auraient Ă©tĂ© des sots. »

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65 - L' Immortel

By: Jacques Favier —

Pour Karl, qui voit l'avenir et fait de l'or



B comme... C'Ă©tait une de ces pĂ©riodes oĂč les esprits, amenĂ©s par les philosophes vers le vrai, c'est Ă  dire vers le dĂ©senchantement, se lassent de cette limpiditĂ© du possible qui laisse voir le fond de toutes choses, et, par un pas en avant, essaient de franchir les bornes du monde rĂ©el pour entrer dans le monde des rĂȘves et des fictions. 

S'agit-il de notre époque, désenchantée pour les uns, pleine de promesses pour les autres ?

Non, ces lignes ne sont ni de Max Weber, ni de Marcel Gauchet mais... d'Alexandre Dumas, dans Le Collier de la reine.

AprĂšs une sĂ©ance consacrĂ©e Ă  l'imaginaire de la blockchain dans les locaux de France StratĂ©gies, organisme dĂ©pendant du Premier Ministre, un participant me confiait « je ne pensais pas que l'on allait passer deux heures dans une instance publique Ă  imaginer ou rĂȘver des bienfaits pour le bon peuple de la blockchain ». De mon cĂŽtĂ© j'y avais surtout entendu les Ă©ternelles promesses de disruption. J'aurais donc, au contraire, voulu aller plus loin : non pas imaginer ce qu'une blockchain ou une autre pourra changer dans nos organisations, mais voir ce qui est en train de changer en nous pour que nous imaginions de tels changements.

Pour bien placer l'enjeu au plan de l'imagination, j'avais d'ailleurs proposĂ© de traiter aussi de l'imaginaire du camp d'en face. Car faire l'impasse dessus c'est accepter le postulat que nous qui Ɠuvrons Ă  concevoir des Ă©changes dĂ©centralisĂ©s sommes des idĂ©ologues poursuivant rĂȘves ou chimĂšres, tandis que ceux qui gĂšrent les Ă©changes centralisĂ©s et les contrĂŽles autoritaires sont juste mus par un pragmatisme de bon aloi et une paternelle bienveillance. Or le vocabulaire de bien des confĂ©rences, Ă©tudes ou livres blancs trahit clairement une condamnation morale parfois viscĂ©rale d'une dĂ©marche hors institution, immĂ©diatement cataloguĂ©e comme libertaire, anarchiste et propice aux trafics et aux rĂ©voltes. La figure inavouĂ©e de Satoshi Nakamoto est perçue comme inavouable, signant la dimension complotiste de son invention. Quant aux instruments de nos Ă©changes, fondĂ©s sur rien et ne bĂ©nĂ©ficiant d'aucune garantie, ils seraient Ă  classer quelque part entre la fausse monnaie, l'or des fous et l'or du diable.

Je me surprends parfois à reconnaßtre, dans certains fantasmes sur les monnaies virtuelles, de grandes similarités avec les discours qui faisaient jadis de la révolution française le résultat d'un complot maçonnique ourdi par des sociétés secrÚtes. C'est en suivant cette comparaison que je me suis replongé dans le cycle romanesque qu'Alexandre Dumas tira de cette antique "théorie du complot", en faisant du magicien Joseph Balsamo le grand maniganceur de l'effondrement moral de la monarchie française.

les couvertures de Nelson ou de Calman-Levy ont marqué des générations

Bien sĂ»r Joseph Balsamo, qui se faisait appeler comte de Cagliostro, n'a pas provoquĂ© la rĂ©volution. Mais le personnage, ses rĂȘves et ceux qu'il flattait dans le public - fabriquer de l'or, prĂ©voir l'avenir, se rendre immortel - tĂ©moignent d'une fermentation des esprits.

1 rue Saint Claude, ParisNous, nous savons que Joseph Balsamo ne faisait point d'or et surtout qu'il ne pouvait pas en faire. Et Alexandre Dumas, 170 ans avant nous, 60 ans aprĂšs les aventures de son hĂ©ros, s'en doutait. L'important est que les contemporains aient Ă©tĂ© Ă©branlĂ©s, mĂȘme si au fond du creuset de la rue Saint-Claude, ne luisait sans doute que l'or de la piĂšce que Cagliostro y avait d'abord cachĂ©e. Mais faire de l'or avec de l'or, est-ce une escroquerie? ou est-ce faire rĂȘver ?

le buste de Cagliostro par HoudonChacun sent bien que l'irruption de la cryptographie, de ses monnaies et de ses échanges décentralisés s'inscrit autant dans un impetus technologique un peu prométhéen que dans un bouillonnement moral, politique et parfois religieux qu'il est plus difficile de cerner.

Davantage que dans la bimbloterie des use cases "trÚs au-delà du paiement" avec leur charme de vitrine de Noël, c'est dans ce bouillonnement d'idées qu'il faut percevoir les premiers signes d'une révolution à venir.

Il y a deux marqueurs révolutionnaires d'autrefois que l'on retrouve dans notre époque : la volonté de créer un or numérique et un élan renouvelé vers l'immortalité. Imputrescible comme l'or, Bitcoin est une monnaie immortelle dans le cybermonde. A cÎté de l'aspect prométhéen que j'ai déjà abordé, il ne faut pas ignorer l'aspect faustien de certaines recherches actuelles.

Si la falsification de la monnaie est une crapulerie (souvent symĂ©trique Ă  la dĂ©sinvolture des pouvoirs publics) la transmutation du plomb en or est un "grand Ɠuvre" qui historiquement cĂŽtoie fort souvent la recherche d'immortalitĂ©. La poudre de projection, la pierre philosophale et l'Ă©lixir de longue vie participent d'une mĂȘme recherche. Celle d'un monde plus jeune, plus vrai, plus beau. Aujourd'hui, la transformation du bit en or et les recherches du transhumanisme participent de ce rĂȘve sĂ©culaire.

En suivant sur divers forums les conversations de mes amis bitcoineurs, je suis frappĂ© par la rĂ©currence de thĂšmes liĂ©s Ă  la jeunesse (voire Ă  la vie) Ă©ternelle. C'est souvent savant (la tĂ©lomĂ©rase) parfois philosophique (quel sera le sens d'une mort violente quand l'homme syntĂ©thisera la tĂ©lomĂ©rase ?) mais toujours symptomatique. L'homme pourrait rester mortel (et sujet Ă  l'inflation monĂ©taire) en ce monde, mais atteindre via ses avatars du cyberespace une forme d'immortalitĂ©. L'irrĂ©versibilitĂ© des Ă©critures dans la blockchain est bien plus chevillĂ©e Ă  ce rĂȘve qu'Ă  la rĂ©alitĂ©.

d'aprÚs le portrait du comte de Saint Germain  peint par Jean Joseph Taillasson, en 1777Si Balsamo hésita le plus souvent à se dire immortel, Paris avait déjà accueilli, une génération plus tÎt, un homme qu'on présentait bien comme tel, le comte de Saint-Germain. Né à une date inconnue dans une famille inconnue (mais bien sûr princiÚre), polyglotte, cultivé, menant grand train et naturellement à l'aise avec les grands, il arrive en France en 1758, se fait présenter à la Pompadour puis à Louis XV à qui il promet contre sa protection "la plus riche et la plus rare découverte qu'on ait faite".

L'homme est certainement un savant chimiste. Il est aussi musicien (admirĂ© par Rameau) et peintre (louĂ© par Latour). Il prĂ©dit l'avenir Ă  plusieurs occasions, et peut-ĂȘtre Ă  Marie-Antoinette.

Mais annoncer que la monarchie allait Ă  sa perte n'Ă©tait peut-ĂȘtre pas sorcier ! Cagliostro, juste avant la rĂ©volution, refit les mĂȘmes prophĂ©ties, en se servant d'un vase empli d'eau et sans doute d'une certaine dose de sens politique. PrĂ©voir l'avenir peut tenir de la divination ou de la luciditĂ©, de l'escroquerie ou de la spĂ©culation, c'est selon...

On laissa entendre que son train de vie provenait de ce que Saint-Germain faisait de l'or. Mais Ă  la diffĂ©rence de Cagliostro qui fut ou se prĂ©senta comme son Ă©lĂšve, il ne semble pas avoir usĂ© de prestidigitation pour le laisser croire. Les sources qui en parlent sont tardives, apocryphes et romancĂ©es. La rencontre en 1763 Ă  Tournai avec Casanova, au cours de la quelle il aurait changĂ© une piĂšce de cuivre en or, est elle-mĂȘme trĂšs douteuse.

On le dit immortel. Il laissait dire. Il mourut officiellement le 27 février 1784 à Eckernförde, dans le Schleswig. Mais des témoins (pas tous idiots) le croiseront encore durant des décennies...
le temps qui passe

le vrai (?) portraitIl est temps, pour finir, de confesser un petit péché. Le portrait plus haut n'est pas celui de l'Immortel, mais d'un homonyme, Claude-Louis-Robert, comte de Saint-Germain (1707-1778) qui fut maréchal de camp et ministre de la Guerre. Ce portrait, conservé au Musée de Versailles, est pourtant largement utilisé, sur Internet pour illustrer ce qui a trait à l'Immortel, y compris sur des sites de médias reconnus qui ne se donnent pas le mal de vérifier leurs sources. Pour moi, le large cordon bleu m'avait immédiatement paru suspect sur la poitrine d'un aventurier.

De toute façon il n'y a pas de portrait certain de l'Immortel, sinon une gravure allemande postérieure et inspirée d'un tableau désormais introuvable !

Alors pourquoi publier l'autre ? Parce que, ayant récemment reconnu l'Immortel, j'ai mes raisons de trouver ce portrait-là plus crédible...

Pour ailler plus loin :

  • Un article un peu "premier degrĂ©", mais avec d'intĂ©ressantes citations, sur le comte de Saint-Germain. Le tĂ©moignage de Casanova est sans doute apocryphe.
  • Un autre article recensant de nombreux tĂ©moignages postĂ©rieurs Ă  1784, sans vraiment trier les ragots des faits avĂ©rĂ©s, ni les faux tĂ©moignages (par exemple tout ce qui vient des "faiseurs de mĂ©moires" du 19Ăšme siĂšcle, comme le cĂ©lĂšbre faussaire Lamothe-Langon) de ce qui peut ĂȘtre rĂ©putĂ© sinon vrai du moins de bonne foi.

Quelques jugements amusants sur les personnages cités :

  • NapolĂ©on (en 1806) : " Je ne vois pas dans la religion le mystĂšre de l’incarnation, mais le mystĂšre de l’ordre social (...) La religion est encore une sorte d’inoculation ou de vaccine qui, en satisfaisant notre amour du merveilleux, nous garantit des charlatans et des sorciers ; les prĂȘtres valent mieux que les Cagliostro, les Kant et tous les rĂȘveurs de l’Allemagne". DĂ©tail amusant, et qui prouve que la confusion dans l'art des citations ne date point d'Internet, la plupart des sources placent ce mot savoureux en 1800 ou 1801, peu avant ou peu aprĂšs le Concordat, tout en renvoyant aux mĂ©moires de Pelet de la LozĂšre, qui lui place ces mots Ă  la sĂ©ance du Conseil d'État du 4 mars 1806 pendant une discussion sur les sĂ©pultures... NapolĂ©on est rĂ©guliĂšrement invoquĂ© quand on parle du philosophe Hegel, plus rarement pour son raccourci au sujet de Kant !
  • MĂ©rimĂ©e, (4 mars 1857) : "Si l'on compare les farceurs du siĂšcle dernier, le comte de Saint-Germain et Cagliostro avec ce M. Hume, il y a la mĂȘme diffĂ©rence qu'entre le XVIIIe siĂšcle et le nĂŽtre. Cagliostro faisait de l'or, Ă  ce qu'il disait, prĂȘchait la philosophie et la rĂ©volution, devinait les secrets d'Etat. M. Hume fait tourner les tables. HĂ©las ! Les esprits de notre temps sont bien mĂ©diocres."
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58 - Sacré labyrinthe

By: Jacques Favier —

Avec quelques membres du Cercle, visite au Labyrinthe d'AmiensJ'avais Ă©tĂ© amusĂ©, en octobre 2016, en lisant un papier oĂč Pierre Noizat comparait les pyramides (elles ne me laissent jamais indiffĂ©rentes) et les cathĂ©drales Ă  des preuves de travail monumentales destinĂ©es, pour le citer, Ă  tĂ©moigner d'une capacitĂ© phĂ©nomĂ©nale Ă  mobiliser les Ă©nergies des sujets et des croyants. Sans la moindre concertation, j'avais publiĂ© la veille un papier sur la preuve de travail de Penelope qui m'a, depuis, valu quelques allusions caustiques que je ne pouvais pas imaginer alors.

Je n'avais Ă©videmment rien de cela en tĂȘte quand il fut dĂ©cidĂ© en janvier que notre prochain repas du Coin aurait lieu Ă  Amiens, occasion de nouer des liens avec la Tech AmiĂ©noise. Mais je ne me projette jamais dans l'avenir qu'avec un oeil vers ce que le passĂ© nous lĂšgue de beau, de grand ou d'instructif.

La cathédrale d'Amiens n'est pas seulement la plus vaste de France (dût l'orgueil des parisiens en souffrir) c'est aussi... celle qui m'impressionne le plus. En songeant à retourner y faire visite, j'ai eu une illumination : le "labyrinthe" tracé sur le dallage de la nef, parce qu'il a rapport à quelque chose de compliqué, contient un message qui nous concerne.

J'ai invité quelques amis à venir le voir, avant de livrer ici mes réflexions.

Le labyrinthe d'Amiens surveillé par un ange

Le sujet du labyrinthe est immense. D'abord parce que cette figure, prĂ©sente dĂšs le palĂ©olithique, date de bien avant que les Grecs ou les CrĂ©tois ne lui aient donnĂ© son nom de laburinthos (λαÎČύρÎčÎœÎžÎżÏ‚), terme dont l'Ă©tymologie est d'ailleurs un peu mystĂ©rieuse.

Logo MH, le labyrinthe de Reims stylisĂ©Notons juste que la racine du mot se retrouvant dans la labrus (Î»ÎŹÏÏÏ…Ï‚), sorte de double-hache utilisĂ©e dans les cultes minoens, mais aussi dans le mot anatolien pour roi (labarna) le labyrinthe a sans doute affaire dĂšs l'origine avec le monument, la puissance et la force.

Est-ce pour cela que l'on a adopté le tracé de celui de la cathédrale de Reims comme logo des Monuments historiques ? Je l'ignore, mais cela me parait significatif.

Je ne vais donc pas reprendre tout ce qui a été écrit à ce sujet, notamment par l'ineffable Jacques Attali pour qui le labyrinthe apparaßt entre autres comme un langage avant l'écriture, chose que j'ai tendance à penser de la monnaie. Je veux, pour moi, me concentrer ici sur les seuls "labyrinthes de cathédrales" en mettant en perspective le "travail" qu'ils induisent avec le "travail" qui intéresse Bitcoin.

Le thÚme du labyrinthe n'est pas biblique, et la culture chrétienne ne s'en est saisi que tardivement pour s'imposer véritablement au 12Úme et surtout au 13Úme qui est le grand siÚcle des cathédrales. Des labyrinthes sont figurés sur le dallage de nombreuses cathédrales, particuliÚrement en France, à Amiens ou comme ici à Chartres.

À Chartres, un labyrinthe du 12ùme siùcle

Parcourir, à genoux bien sur, cet ultime trajet était proposé comme un travail physique et spirituel à ceux qui arrivaient à pieds, parfois d'assez loin, et pour qui la cathédrale était le but d'un petit pÚlerinage. PÚlerinage modeste certes, le seul cependant que les gens les plus simples pouvaient accomplir et auquel il convenait que l'Eglise donnùt du sens.

Si le labyrinthe des cathédrales s'appelait parfois chemin de Jérusalem voire chemin du Paradis c'est qu'en le parcourant ainsi dans un réel effort, ceux qui n'iraient jamais en Terre Sainte pouvaient arriver au centre de la figure, symbole de la Jérusalem céleste.

de ht en bas : Ravenne, Bayeux, Cologne, Saint-Quentin, Reims, Amiens et Saint-Omer

Ces étranges figures, qui ont parfois des petits airs de circuit imprimé ou de QR Code, sont riches d'enseignement.

Un premier dĂ©tail me frappe. Ces "labyrinthes" ne sont que de simples anneaux ou octogones concentriques (thĂ©matique religieuse sur laquelle je ne m'Ă©tendrai pas ici) et jamais des "dĂ©dales", mĂȘme si le motif central de celui de Chartres, dĂ©truit en 1792, semble avoir reprĂ©sentĂ© l'architecte DĂ©dale, le hĂ©ros ThĂ©sĂ©e et le terrible Minotaure.

Si le labyrinthe antique amenait Ă  combattre un monstre, ceux des cathĂ©drales sont faits pour se prouver quelque chose Ă  soi-mĂȘme. Du premier il Ă©tait difficile de ressortir, dans ceux-ci inversement, il est difficile de pĂ©nĂ©trer. Bref, voici peut-ĂȘtre une image du paradigme hard to find, easy to check...

D'autant, second dĂ©tail, que dans presque tous les labyrinthes, on se retrouve fort vite prĂšs du but. Comme si l'oeuvre Ă  accomplir Ă©tait en soi assez simple. À Amiens, le pĂšlerin qui se tient Ă  l'entrĂ©e de la figure n'est qu'Ă  6 mĂštres seulement du Paradis. L'essentiel est de valider ce court voyage par un travail bien plus long.

TroisiÚme détail : avec 234 mÚtres à parcourir, le labyrinthe d'Amiens est relativement court : celui de la basilique de Saint-Quentin, dans l'Aisne voisine, représente un trajet de 260 mÚtres et celui de la cathédrale de Chartres atteint les 261,55 mÚtres. On note cependant que l'ordre de grandeur est constant. Pourquoi ?

Parce que le labyrinthe est moins affaire d'espace que de temps, ou que les deux notions sont ici rĂ©unies. On trouve parfois l'expression de chemin d'une lieue. Le trajet Ă  genoux sur le labyrinthe est censĂ© prendre le mĂȘme temps qu'un trajet d'une lieue Ă  pieds. Or la lieue, cette vieille mesure dont l'Ă©tymologie est peut-ĂȘte gauloise et dont la mesure exacte variait jadis d'une province Ă  l'autre (en tournant toujours autour de 4 de nos kilomĂštres) reprĂ©sentait pour nos anciens... la distance qu'un homme parcourt Ă  pied en une heure.

Autrement dit l'effort est sensiblement le mĂȘme pour tous, d'un labyrinthe Ă  l'autre, et il se mesure en temps.

Enfin, dernier dĂ©tail, plus subtil : les labyrinthes ont toujours leur entrĂ©e vers l'Ouest, cĂŽtĂ© du soleil couchant et de la mort, cĂŽtĂ© par lequel risquent de pĂ©nĂ©trer fantĂŽmes et dĂ©mons. Leur imposer l'Ă©preuve du labyrinthe est donc d'abord une mesure renforçant la sĂ©curitĂ© du saint monument ! Le diable reste piĂ©gĂ© dans un tel parcours soit parce que sa nature (ÎŽÎčÎŹÎČÎżÎ»ÎżÏ‚, dia-bolos, celui qui s'insinue, qui passe par une faille) le lui interdit soit encore parce que, dit-on, il ne se dĂ©place qu'en ligne droite. Il n'a pas la capacitĂ© d'effort du pĂšlerin.

Par cet effort, que gagnait, justement, le pÚlerin ? L'erreur serait ici de projeter au 13Úme siÚcle les abus les plus criants du 16Úme siÚcle et d'oublier que par définition ceux qui effectuaient ce pÚlerinage un peu dérisoire n'avaient guÚre d'argent à donner, mais seulement de la valeur à créer par leur travail et leurs efforts.

Ce qu'on gagnait ici n'avait pas de valeur intrinsÚque, n'était pas gagé par la monnaie légale, n'avait pas la garantie de l'Etat. Mais aux yeux des pÚlerins du labyrinthe, que cela diminuùt la dette de leurs péchés ou que cela augmentùt à l'actif leurs richesses dans un autre monde, c'était précieux !

L'institution, qui avait d'abord tolĂ©rĂ© cet instrument de foi naĂŻve trouvait sans doute que ce moyen de gagner le Ciel manquait de rĂ©gulation. Au 17Ăšme siĂšcle un chanoine de Chartres rĂąlait contre un amuse-foi auquel ceux qui n'ont guĂšre Ă  faire perdent leur temps Ă  courir et tourner. Au 18Ăšme siĂšcle, on les effaça ou on les dĂ©truisit un peu partout, Ă  Sens, Poitiers, Arras. MĂȘme celui d'Amiens fut sacrifiĂ© : celui que nous admirons aujourd'hui n'est plus celui de 1288, dĂ©posĂ© en 1825, mais celui que l'on reconstitua quelques annĂ©es plus tard.

À Reims il avait Ă©tĂ© enlevĂ© dĂšs 1775, parce que les rires des chenapans sautant Ă  pieds joints sur le dallage oĂč l'on sacrait nos rois gĂȘnaient les chanoines. Le symbolisme et le graphisme de ces monuments parlent sans doute davantage Ă  notre Ă©poque. Le labyrinthe de Reims fut recrĂ©Ă©, depuis 2009, par un jeu d'Ă©clairage.

virtuel

De sorte que tous les monuments historiques de France ont comme emblĂšme ... un monument virtuel !

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51 - Des météores ?

By: Jacques Favier —

(Questions impériales sur Satoshi - II)

Le colonel Chabert dĂ©jĂ  Ă©voquĂ© ici pour Ă©voquer l'impossible retour de Satoshi fait lui-mĂȘme signe vers un autre revenant, d'un tout autre poids historique : Quand je pense que NapolĂ©on est Ă  Sainte- HĂ©lĂšne, tout ici-bas m’est indiffĂ©rent dit-il.

un retour

Or l'Empereur, lui, avait déjà réussi un premier retour : le 1er mars 1815, il débarqua à Golfe Juan, revenant de l'ile d'Elbe aprÚs 10 mois d'absence et il fut "reconnu" immédiatement. Balzac, encore, fait dire à son Médecin de campagne : Avant lui, jamais un homme avait-il pris d'empire rien qu'en montrant son chapeau ? Bonne question... Ce vol de l'Aigle fit longtemps espérer par ses partisans un nouveau prodige.

LeysCe miracle d'un nouveau retour aprĂšs une Ă©vasion rocambolesque de Sainte-HĂ©lĂšne Ă  laquelle NapolĂ©on semble s'ĂȘtre toujours refusĂ© (*), certains romanciers l'ont imaginĂ©. Simon Leys (1986), tout en supposant que l'empereur revient vivant en France, s'intitule tout de mĂȘme le sien "La mort de NapolĂ©on" et il n'est pas sans rapport avec ce qui peut ĂȘtre la situation d'un gĂ©nie inconnu comme Satoshi : l'impossibilitĂ© non seulement de "revenir", mais plus radicalement d'ĂȘtre soi-mĂȘme.

Comme il ressemblait vaguement Ă  l’Empereur, les matelots l’avaient surnommĂ© NapolĂ©on. Aussi, pour la commoditĂ© du rĂ©cit, ne l’appellerons-nous pas autrement. Et d’ailleurs, c’était NapolĂ©on. (...) Seul le maĂźtre d'Ă©quipage dĂ©sapprouvait cette appellation. Que l'on associĂąt le nom de son dieu Ă  ce petit homme laid avec son ventre enflĂ© et ses jambes grĂȘles, lui paraissait sacrilĂšge.

en 1820Il est vrai que le portrait fait de lui par un anglais en 1820 laisse envisager combien peu reconnaissable aurait pu ĂȘtre l'enfant prodigue de la gloire aprĂšs quelques annĂ©es de pourissoir tropical.

Mais l'auteur vise au coeur, prĂ©sentant NapolĂ©on Ă©tranger Ă  lui-mĂȘme sur le bateau de son Ă©vasion : Entre le personnage qu'il avait dĂ©pouillĂ© et celui qu'il n'avait pas encore crĂ©Ă©, il n'Ă©tait temporairement personne. DĂ©barquĂ© Ă  Anvers il ne reconnut pas mĂȘme le bassin NapolĂ©on qu'il avait inaugurĂ© en personne dix ans plus tĂŽt. À Waterloo il a le sentiment d'ĂȘtre lĂ  pour la premiĂšre fois. À Paris le voici errant, recueilli comme vieux soldat par de vieux soldats, tous nostalgiques de l'empire. Et un jour la terrible nouvelle arrive. Sur la petite Ăźle lointaine, l'empereur (son sosie, donc) vient de mourir. Tout le monde pleure autour de lui. Lui est foudroyĂ©, sa destinĂ©e devenait posthume.

Voici maintenant qu'un obscur sous-officier, rtien qu'en mourant sottement sur un rocher dĂ©sert Ă  l'autre bout du monde, avait rĂ©ussi Ă  dresser sur son chemin le rival le plus formidable et le plus inattendu qu'on puisse concevoir : lui-mĂȘme !

S'il revenait Satoshi n'aurait-il pas Ă  se battre contre Satoshi lui-mĂȘme?

Le NapolĂ©on de Leys est vrai, extrĂȘmement crĂ©dible. Et pourtant il "se reconstruit" (ce mot que Jean-Paul Kauffmann dĂ©teste) ... comme marchand de melons. Le personnage de l'empereur est dĂ©sormais largement occupĂ© par les fous. Une visite Ă  l'asile l'en convainc : une malheureuse Ă©pave prĂ©sentait une image mille fois plus fidĂšle, plus digne et plus convaincante de son modĂšle que l'improbable fruitier chauve qui, assis Ă  ses cĂŽtĂ©s, l'examinait avec stupeur.

James Sant 1900Napoléon vieillit : chaque fois qu'il se rendait chez le barbier, il mesurait dans le double miroir avec une fascination hypnotisée l'effacement progressif de ses traits originaux, petit à petit supplantés par ceux d'un inconnu qu'il méprisait, qu'il haïssait - et qui lui inspirait une horreur grandissante. C'est ce que peut suggérer la toile de James Sant La derniÚre phase (1900) récemment présentée au public lors de l'exposition Napoléon à Sainte-HélÚne au Musée de l'Armée.

Jusqu'oĂč peut-on comparer Satoshi Nakamoto Ă  NapolĂ©on Bonaparte ? Au plan psychologique, nul n'en sait rien. Quant Ă  l'amour des mathĂ©matiques, il est patent chez les deux hommes (*). C'est au regard d'une forme particuliĂšre de gĂ©nie, qu'il y a, me semble-t-il, chez l'inconnu de 2008 une suretĂ© du regard, une capacitĂ© d'agencer de maniĂšre proprement lumineuse des facteurs de nouveautĂ© rĂ©volutionnaires avec des Ă©lĂ©ments prĂ©-existants (d'ancien rĂ©gime) que l'on retrouve chez le Premier Consul. Enfin c'est surtout dans l'optique d'un Hegel ou d'un Marx qu'il me paraĂźt que la comparaison est permise.

hegel

Pour Hegel(*), NapolĂ©on est l'instrument de l'Absolu sur le thĂ©Ăątre du monde, NapolĂ©on, en entrant Ă  IĂ©na l'Ă©pĂ©e en main le jour oĂč le philosophe achĂšve sa PhĂ©nomĂ©nologie de l'Esprit, devient le hĂ©ros de l'histoire moderne. Je ne crois pas forcer le trait en le retrouvant chez Satoshi. Il s'empare d'une citadelle, celle de la monnaie, achevant un mouvement multisĂ©culaire de libĂ©ration de l'homme des corps intermĂ©diaires, des liens et des autoritĂ©s. Le P2P, c'est l'Absolu du 21Ăšme siĂšcle.

Renversant l'idĂ©alisme hĂ©gĂ©lien tout en conservant sa dialectique historique, Karl Marx ne voit en NapolĂ©on ni l'empereur romain du sacre ni le dieu de la guerre mais le gĂ©nie qui va permettre l'Ă©closion de la sociĂ©tĂ© bourgeoise moderne en France et sur une bonne part du continent. Il reviendra Ă  d'autres de dire, de mĂȘme, ce qu'aura Ă©tĂ© rĂ©ellement le travail historique de Satoshi Nakamoto.

Mais quand le travail est accompli, l'histoire se passe assez bien des grands hommes. En 1791, le lieutenant corse de 22 ans l'avait déjà noté : les hommes de génie sont des météores destinés à brûler pour éclairer leur siÚcle. PlutÎt que de pourrir en victime de ses ennemis, autant faire comme Satoshi et move on to other things.

vieux




Pour aller plus loin :

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50 - Il prit la résolution de rester mort ?

By: Jacques Favier —

( Questions impériales sur Satoshi - I)

Satoshi Nakamoto est une Ă©nigme et le demeurera peut-ĂȘtre. Je n'ai pas l'intention d'ajouter ici mes hypothĂšses personnelles Ă  la longue suite de celles qui ont dĂ©jĂ  Ă©tĂ© formulĂ©es (voir sur le site bitcoin.fr). Pour moi, son mystĂšre qui anime bien des conversations dans la communautĂ© (qui est-il, ou qui sont-ils ? que pense-t-il de tel ou tel problĂšme ? que va devenir son magot ? ) est consubstantiel au bitcoin, si du moins comme l'Ă©crit quelque part Hegel, la vĂ©ritĂ© n'est pas comme une monnaie qui, telle qu'elle est frappĂ©e, est prĂȘte Ă  ĂȘtre dĂ©pensĂ©e et encaissĂ©e. La vĂ©ritĂ© contient de la vie, da la souffrance et de la mort.

le mort d'Eylau

Je ne peux donc partager entiĂšrement le point de vue purement technicien de Peter Todd selon lequel l’identitĂ© de Satoshi est simplement une curiositĂ© historique.

L'apparition épisodique d'un prétendant est une chose qui ne peut qu'amuser l'historien comme elle stimule le romancier et intéresse le psychologue.

Des quatre faux tsars Dimitri successifs à la bonne dizaine de faux Dauphins du Temple, on ne manque pas de références en la matiÚre. Chacune de ces histoires témoigne de la conjonction de trois facteurs : un événement historique mystérieux, inouï ou scandaleux, l'existence d'un désordre mental individuel et une situation d'incertitude politique collective. Il n'est pas question de les rappeler ici, mais seulement de souligner la ressemblance frappante avec ce que nous voyons autour des "prétendants" Satoshi et de leur interférence dans les problÚmes de gouvernance du bitcoin.

Une chose, nĂ©anmoins m'Ă©tonne toujours. Pour soutenir (rarement) comme pour rĂ©futer (le plus souvent) tel ou tel prĂ©tendant, la plupart de mes amis se forgent implicitement l'image parachronique d'un Satoshi qui serait aujourd'hui le mĂȘme qu'en 2008. On compare la langue, le style, la dĂ©marche du prĂ©tendant aux traces, bien rares de surcroĂźt, laissĂ©es par le disparu. Comme si le temps n'avait pas passĂ© sur lui autant que sur nous.

chabertIl y a un héros de roman qui est l'archétype de cette situation, c'est le Colonel Chabert de Balzac. Cet enfant trouvé dont une révolution a fait un soldat, un héros, Grand Officier de la Légion d'Honneur, disparaßt de l'histoire dans le tumulte d'une bataille terrible (Eylau, 8 février 1807) et réapparaßt à Paris deux ans aprÚs Waterloo, alors qu'il est officiellement mort.

C'est un hĂ©ros dĂ©possĂ©dĂ©, Ă©mouvant, mais assez lucide. Un roi goutteux a remplacĂ© son empereur, un aristocrate l'a remplacĂ© dans le lit de sa femme, la sociĂ©tĂ© a changĂ©, il ne la reconnait pas davantage qu'elle ne le reconnait lui-mĂȘme.

Au terme de ses efforts, il prend, dit Balzac, la résolution de rester mort. Le roman de Balzac nous donne finalement des clés pour tenter de comprendre la situation, que Satoshi soit l'un des prétendants connus, ou bien qu'il soit tout autre et reste caché.

Tant qu'il prĂ©tend Ă  ĂȘtre reconnu, Chabert est traitĂ© de fou. On voit bien qu'une partie des critiques contre les prĂ©tendants Satoshi vise la qualitĂ© de leur Ă©tat mental. Comme si un hĂ©ros (de guerre ou de science) Ă©tait un homme ordinaire et comme si pareille situation ne devait pas le rendre plus Ă©trange encore qu'il ne l'Ă©tait de nature!

craigh– J’irai, s’écria-t-il, au pied de la colonne de la place VendĂŽme, je crierai lĂ  : « Je suis le colonel Chabert qui a enfoncĂ© le grand carrĂ© des Russes Ă  Eylau ! » Le bronze, lui ! me reconnaĂźtra.
– Et l’on vous mettra sans doute Ă  Charenton lui rĂ©pond l'un des rares personnages honnĂȘte et qui croit en ses dires.

Chabert finalement renonce. A vrai dire, il a renoncĂ© depuis longtemps, il n'a cessĂ© de renoncer depuis dix ans : je fus convaincu de l’impossibilitĂ© de ma propre aventure, je devins triste, rĂ©signĂ©, tranquille, et renonçai. On me dira que certains prĂ©tendants ne sont ni rĂ©signĂ©s ni tranquilles ? Mais Ă©coutons Craig Wright, et convenons, au moins, qu'il parle comme un hĂ©ros balzacien (bien sĂ»r il y a aussi des escrocs chez Balzac) : Je suis dĂ©solĂ©. Je croyais que je pouvais le faire. Je croyais que je pouvais mettre les annĂ©es d’anonymat et de dissimulation derriĂšre moi. Mais, Ă  mesure que les Ă©vĂ©nements de la semaine se sont dĂ©roulĂ©s et alors que je me prĂ©parais Ă  publier la preuve que j’avais accĂšs aux premiĂšres clĂ©s, j’ai flanchĂ©. Je n’ai pas le courage. Je ne peux pas. C'est Ă  peu prĂšs le trajet de Chabert !

Le temps change tout ; ce qui est intime, ce qui est social, ce qui est politique. Le colonel avait connu la comtesse de l’Empire, il revoyait une comtesse de la Restauration dit Balzac pour Ă©voquer l'Ă©pouse de Chabert.

Que doit penser Satoshi ? Huit ans aprÚs la grande crise, les banques n'ont jamais été aussi puissantes. Goldman Sachs, qui peut aussi facilement mettre à genoux un peuple que recruter un commissaire européen, développe sa blockchain sans bitcoin, dépose des brevets. Le monde ne bruisse que d'une forme précise de "technologie blockchain", celle qu'il sera possible de transformer en jeu de société.

Un point central du roman est que Chabert semble pourtant tenir davantage Ă  sa femme et Ă  son honneur qu'Ă  son trĂ©sor. Il vaut mieux avoir du luxe dans ses sentiments que sur ses habits. Ce qui ramĂšne au million de bitcoins de Satoshi Nakamoto, trĂ©sor interdit ou abandonnĂ©, peut-ĂȘtre perdu, et qui alimente tant de spĂ©culations.

Il y a un homme qui se passionne pour Chabert, c'est Jean-Paul Kauffmann. Glissons, puisqu'il dĂ©teste que l'on en parle, sur son statut d'otage (durant 3 ans, au Liban) et disons que, selon JĂ©rĂŽme Garcin, sa singuliĂšre bibliographie ressemble dĂ©sormais Ă  un long traitĂ© de la fuite, Ă  un prĂ©cis de disparition dans des lieux sinistres et carcĂ©raux oĂč le temps s’est arrĂȘtĂ© et les portables ne passent plus. Lui-mĂȘme, dans son dernier livre, Ă©crit : je ne suis pas devenu meilleur, simplement plus vivant et plus loin je ne me suis pas reconstruit Ă  l'identique.

kauffmann

Dans ce livre, Outre-terre, il se promĂšne sur le champ de bataille d'Eylau en songeant Ă  Chabert. Il est plus facile de s'identifier Ă  lui qu'au PĂšre Goriot ou Ă  EugĂ©nie Grandet. Chacun peut y chercher, Ă  travers son histoire personnelle, des traces de ses propres heurts, de ses arrachements, de ses phobies. Chabert est la figure de l'absent, du disparu, du gĂȘneur.

De mĂȘme Satoshi disparu, fantomatique, ne devient-il pas, peu Ă  peu, lui aussi une forme de menace ?

Pour aller plus loin :

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45 - Une perle, chez Escher

By: Jacques Favier —

Bien souvent, le bitcoin est implicitement ou explicitement comparé à une forme d'or numérique. J'avais déjà évoqué ce que nous apporte une comparaison avec le diamant, qu'il faut tailler à l'aide des mathématiques pour en extraire la valeur.

Il m'est venu soudain Ă  l'esprit (je vais dire comment) une autre comparaison avec ce trĂ©sor trĂšs particulier qu'est la perle, une autre merveille d'agencement puisque sa nature chimique est, comme celle du diamant, extrĂȘmement commune. Et l'agencement n'est-il pas le vrai miracle de Satoshi ? perle

Or donc, j'étais durant quelques jours sur la cÎte normande, séjour propice aux plateaux de fruits de mer. Cette circonstance toute contingente est sans aucun rapport avec ce qui suit, quelque soit l'apport constant que ma vie quotidienne offre à ma réflexion sur le bitcoin ! Et ce qui suit n'a du reste que partiellement rapport aux perles !

GEBEn vérité, j'étais en train de lire un ouvrage déjà ancien : le jadis célÚbre Gödel, Escher, Bach de Douglas Hofstadter. Moins pour y trouver matiÚre à réflexion sur sa guirlande éternelle, que parce que je voulais approfondir le rapport du sujet et du fond.

Depuis un petit moment je tente en effet de lister les erreurs de ceux qui veulent oublier bitcoin et ne se servir que de la technologie blockchain.

  • L'une consiste Ă  penser que le fonctionnement et la sĂ©curitĂ© de la blockchain puisse ĂȘtre assurĂ©s sans coĂ»t, sans dĂ©pense, sans dommage. C'est au fond une position un peu idĂ©aliste consistant Ă  aimer la voiture qui vous emmĂšne vers la mer mais Ă  dĂ©tester l'essence qui pollue l'air que l'on y respire.
  • Une autre consiste Ă  oublier la primautĂ© de la fonction de transfert, pour s'imaginer la blockchain comme une main courante infalsifiable et Ă©ternelle (prĂȘte Ă  accueillir toutes les informations de notre civilisation) et non comme un livre enregistrant des mouvements.
  • Une autre encore, moins grossiĂšre cependant, consiste Ă  penser que l'on pourrait faire circuler sur une blockchain autre chose que son unitĂ© de compte intrinsĂšque. Certes on peut colorer des fractions de celle-ci (c'est une piste de rĂ©flexion fĂ©conde) mais Ă  partir d'un certain moment il faut bien admettre que ne circulent en rĂ©alitĂ© que des reprĂ©sentations d'une chose (euro, obligation, action) greffĂ©es sur... quoi ? un token ! Comme l'a dit en public mon ami Adrian Sauzade, l'euro n'est pas une smart money...
  • Et soudain j'ai commencĂ© Ă  me demander si une quatriĂšme erreur ne consistait pas ici dans une mauvais aprĂ©ciation de ce qui est le sujet et de ce qui est le fond.

On pourrait dire qu'il faut oublier la Joconde ou la Vierge aux rochers parce que ce que Vinci a inventé, ce sont des technologies de composition chimique des coloris, la technologie du sfumato, une technologie de perspectives (etc!) qui ont, aprÚs lui, été mises en oeuvre par d'autres. Ce serait là simple faute de goût. On peut aussi n'étudier chez Vinci que les paysages dans le fond des tableaux, c'est un axe de recherche érudite. La conclusion en est le plus souvent que par divers procédés, en contextualisant le portrait avec le paysage, Vinci crée un véritable récit pictural.

Regular Division of the Plane IIIJe m'interrogeais cependant sur ces tableaux oĂč la dichotomie du sujet et du fond est difficile Ă  mettre en oeuvre, ce qui est le cas notoirement dans plusieurs oeuvres de Maurits Cornelis Escher (1898-1972).

Dans quelle mesure pourrait-on dire que la distinction d'un bitcoin qui serait le sujet et d'une blockchain qui serait le fond serait opérante ou non? Je n'en sais rien.

Mais j'ai l'intuition que plusieurs tableaux d'Escher donnent des réponses métaphoriques à ma question. A commencer évidement par l'un des plus célÚbres, qui a déjà été détourné pour illustrer l'apparition d'une transhumanité ou... au profit du bitcoin.

les deux mains

Il y a aussi, chez Escher, une tension entre certains tableaux (je songe Ă  Figure 1975) oĂč aucune distinction n'est possible, et d'autres oĂč le sujet qui se coule d'un cĂŽtĂ© dans le fond en ressort ailleurs, de nouveau en tant que sujet. Il me semble mĂȘme qu'il y a un dessin d'Escher ("Reptiles", 1943) qui peut illustrer assez finement comment la blockchain n'est que la vie du bitcoin, qui l'anime, et qui toutefois en sort (semant l'effroi que n'ont jamais suscitĂ© les monnaies "pour rire" ou les monnaies de jeu) et y retourne constamment.

le bitcoin chez Escher

Que le maĂźtre me pardonne...

Le livre de Douglas Hofstadter traite en fait d'une Boucle Étrange, un procĂ©dĂ© qu'il retrouve dans le canon Ă©ternellement ascendant de Bach, dans certaines gravures d'Escher, et dans la dĂ©monstration du thĂ©orĂšme (proposition VI) de Gödel. Les comparaisons ne sont pas toujours Ă©videntes. Au dĂ©tour d'une phrase, il Ă©crit au sujet de la proposition VI il est difficile de voir une Boucle Étrange dans cette perle, parce que en fait la Boucle Etrange est dans l'huitre, la dĂ©monstration.

A cet endroit j'ai refermé le livre (je n'étais pas bien loin, à la page 19 sur 884 ; je l'ai repris depuis, mais n'en suis guÚre que vers la page 120 au moment de rentrer).

Ε᜕ρηÎșα ! EurĂȘka ! La perle est dans la coquille. L'huĂźtre a certes dĂ©veloppĂ© une technologie coquille pour une raison qui est par ailleurs liĂ©e Ă  la confiance, la confiance qu'en l'occurence elle ne peut faire Ă  personne en ca bas-monde, mais ce n'est pas la coquille qui a de la valeur. Certes on peut aussi y cacher une piĂšce de monnaie. Ou comme ZĂ©zette (Ă©pouse X) s'en servir de cendrier. Mais ce n'est pas pour cela que les pĂȘcheurs de la cĂŽte d'Oman risquĂšrent leur vie durant des siĂšcles pour aller cueillir les coquilles au fond du golfe persique !

Que nous apprend la perle ? On l'a dĂ©jĂ  dit : comme le diamant, sa composition chimique n'en fait en rien un trĂ©sor. Et mĂȘme, elle a une composition fondamentalement similiare Ă  celle de la coquille car elles sont toutes deux formĂ©es d'une concrĂ©tion calcaire, l'aragonite (CaCO3). Ce qu'elle a, que la coquille n'a pas, c'est un Ă©clat, une beautĂ©.

La beauté n'est pas perceptible par tous. On ne peut parler de la perle sans se souvenir de l'injonction évangélique (Mat VII,6) : ne jetez pas la perle aux pourceaux que la sagesse populaire, un peu courte, a progressivement transformé en pas de confiture aux cochons.

perles au cochon

Mais le texte de l'Évangile est bien plus riche : Ne donnez pas les choses saintes aux chiens, et ne jetez pas vos perles devant les pourceaux, de peur qu'ils ne les foulent aux pieds, ne se retournent et ne vous dĂ©chirent. Ici, chacun comprendra ce qui lui plaira.

Revenons Ă  mes vacances.

le rat et l'huitreJ'en Ă©tais lĂ  de mes rĂȘveries quand, un beau matin, je me rends Ă  la petite brocante organisĂ©e sur la place du village. Et la premiĂšre chose que je vois, c'est Ă  croire que... c'est cela : Le rat et l'huĂźtre, fable illustrĂ©e par Firmin Bouisset (le crĂ©ateur de la cĂ©lĂšbre fille du chocolat Menier et du jeune Ă©colier des petits LU). L'image tire mon oeil : je relis le texte ( ce n'est pas la fable la plus cĂ©lĂšbre, sauf pour sa chute) :

Qu'aperçois-je ? dit-il, c'est quelque victuaille ;
Et si je ne me trompe Ă  la couleur du mets,
Je dois faire aujourd'hui bonne chĂšre, ou jamais.

N'est-ce pas ainsi qu'ont réagi les grandes institutions, suivant Blythe Masters, en "découvrant la Blockchain" avec... des années de retard ?

Mais l'hußtre se referme d'un coup sur le prédateur. La Blockchain pourrait bien en faire autant un de ces quatre matins sur certains qui entreprennent de l'examiner d'un peu trop prÚs.

Cette fable contient plus d'un enseignement:
Nous y voyons premiĂšrement
Que ceux qui n'ont du monde aucune expérience
Sont, aux moindres objets, frappés d'étonnement.
Et puis nous y pouvons apprendre
Que tel est pris qui croyait prendre.

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44 - La Liberté

By: Jacques Favier —

Lors d’un colloque Ă  l’AssemblĂ©e Nationale, on m’avait demandĂ© de rĂ©pondre Ă  la question : Pourquoi, achĂšte-t-on des bitcoins ? Est-ce la confiance qui mobilise les bitcoineurs ou plus simplement une analyse rationnelle du risque au regard des gains escomptĂ©s ?

J’avais rĂ©pondu qu’il y avait bien des raisons, au delĂ  de l’intĂ©rĂȘt, pour dĂ©sirer dĂ©tenir du bitcoin. Le bitcoin n’est pas intĂ©ressant, il est passionnant, et pour au moins trois raisons : la dimension ludique et communautaire, l'Ă©merveillement technologique et le projet politique.

Quand j’en vins au projet politique, je dus avouer qu’il Ă©tait difficile Ă  prĂ©senter simplement. Je jugeais un peu dur, dans ce temple de nos institutions nationales, d’aller clamer « no borders no banks » et me contentai donc de rappeler que le cƓur du projet d’une monnaie dĂ©centralisĂ©e c’était la libertĂ© du cyberespace, mais en prĂ©cisant «au double sens d’absence de contrĂŽle et de rĂ©pression, mais aussi de fluiditĂ©, d’instantanĂ©itĂ©, de partage et de confiance ». Façon de dire que ce n'Ă©tait pas forcĂ©ment ce que, depuis les Augustes romains, les politiques entendent volontiers par LibertĂ©.

de SevÚre Alexandre à Sempé

Or pendant ce temps, un artiste contemporain que j’ai dĂ©jĂ  Ă©voquĂ© ici abordait lui aussi la chose Ă  sa façon. Youl a dĂ©jĂ  revisitĂ©, Ă  la demande de clients bitcoineurs, la CĂšne de Vinci et les Joueurs de Carte de CĂ©zanne. A chaque fois je suis Ă©tonnĂ© de la pertinence de ses intuitions, et j’échange volontiers avec lui.

promenade au LouvreUn de ses clients venait de lui commander une toile inspirĂ©e de la cultissime LibertĂ© guidant le Peuple d’EugĂšne Delacroix que le Cercle du Coin avait, presque en mĂȘme temps, adoptĂ©e comme illustration de son communiquĂ© de presse « pas de rĂ©volution Blockchain sans Bitcoin ».

Songeant Ă  cela durant que je parlais, je me demandais si ce n'Ă©tait pas un choix trivial, voire fĂącheux. La libertĂ© figure sur des monnaies depuis le temps de Rome, et ce mĂȘme tableau, passablement sagouinĂ©, avait jadis servi Ă  illustrer un billet de 100 francs crĂ©Ă© en 1978 et qui circula jusqu’à la fin du siĂšcle. Je me gardai bien d’évoquer tout cela devant tant d’officiels et me promis d’y revenir pour mes lecteurs.

Depuis mon billet sur sa CÚne, Youl me fait l'amittié de me montrer certaines étapes de son travail.

Youl premiĂšres Ă©bauches

Disons d’abord un mot sur Delacroix : un peintre non-acadĂ©mique mais non-rĂ©volutionnaire, plutĂŽt admirateur de NapolĂ©on. Il n’a pas participĂ© Ă  l’insurrection de 1830. Et pourtant on voit partout son tableau comme illustration de cette rĂ©volte et des suivantes, voire pour illustrer « les MisĂ©rables » (avec le petit Gavroche) alors qu’en fait c’est sans doute Hugo qui s’est inspirĂ© du peintre, bien des annĂ©es plus tard, pour Ă©crire le rĂ©cit d’une insurrection rĂ©publicaine de 1832, qui fut durement rĂ©primĂ©e par le rĂ©gime Ă©tabli deux ans plus tĂŽt.

La toile de Delacroix cĂ©lĂšbre en effet les « trois glorieuses » journĂ©es du 27, 28 et 29 juillet 1830 au cours desquelles la foule de Paris (bourgeois et ouvriers rĂ©unis) renversĂšrent la monarchie « de droit divin » du dernier des frĂšres de Louis XVI. Mais la haute-bourgeoisie et sa presse ne voulaient ni de la RĂ©publique parce qu’elle Ă©tait perçue comme un facteur de dĂ©sordre social, ni du fils de NapolĂ©on, parce que l’empire aurait hĂ©rissĂ© les puissances Ă©trangĂšres. On dĂ©cida donc de placer sur le trĂŽne le cousin du roi renversĂ©, Louis-Philippe et l'on fut bien heureux d'une solution finalement dĂ©nuĂ©e de toute lĂ©gitimitĂ© : Louis-Philippe n'Ă©tait pas le successeur lĂ©gitime, son pĂšre avait votĂ© l'abolition de la monarchie et la mort du roi, et aucun suffrage populaire ne vint jamais conforter ce rĂ©gime bĂątard. On est bien loin des sentiments qu’inspire aujourd'hui l'icĂŽne de Delacroix.

Delacroix, 1830

Cette Liberté illustre ainsi une révolution confisquée. Voilà justement quelque chose que les bitcoineurs peuvent parfois ressentir lors de certaines conférences sur la révolution Blockchain...

Le peintre a peint sa toile cĂ©lĂšbre plusieurs mois plus tard, quand les « trois glorieuses » ont accouchĂ© d’un rĂ©gime d'oligarchie financiĂšre et de haute-bourgeois. Sa LibertĂ© tient un peu de la dĂ©esse antique, mais elle tient aussi de Marianne, fille du peuple Ă  peau brune. Quand les critiques virent le tableau, ils le trouvĂšrent grossier, ils protestĂšrent que Delacroix dĂ©shonorait la glorieuse rĂ©volution de juillet en la peignant avec des teintes d’ordures. Or, de la glorieuse rĂ©volution, il ne restait dĂ©jĂ  que ce qui est au sommet de la pyramide sur laquelle est construit l'agencement de ce tableau: le drapeau. Les visiteurs du Louvre le reconnaissent comme celui de la France mais en 1830 il Ă©tait encore celui de Valmy et d'Austerlitz, tout juste adoptĂ© par le nouveau rĂ©gime.

La "rĂ©volution" consista en effet Ă  changer le drapeau, tandis que le nouveau roi se couchait dans les draps de l'ancien, et que ses prĂ©fets et ses gendarmes maintenaient partout le mĂȘme ordre. Delacroix a-t-il voulu rappeler que le rĂ©gime dĂ©jĂ  embourgeoisĂ© qui Ă©tait nĂ© de l’évĂ©nement de 1830 n’avait sa lĂ©gitimitĂ© (et sa limite?) que dans la violence? Les soldats qui tirĂšrent sur les insurgĂ©s de 1830 firent la mĂȘme besogne au service du nouveau rĂ©gime.

Il y a un goût trÚs amer dans cette Liberté. Il suffit de songer que la toile reprend ostensiblement la composition du Radeau de la Méduse (1819), l'histoire d'une catastrophe..

La MĂ©duse 1819

Maintenant, qu’allait faire Youl ?

Le drapeau orange n'est pas une surprise, mĂȘme si la couleur n'apparaĂźt pas sur les premiĂšres Ă©bauches. Et autour de la LibertĂ© on s'attend Ă  voir une reprĂ©sentation mĂ©taphorique des forces et des mĂ©tiers Ă  l’oeuvre dans la rĂ©volution de la dĂ©centralisation : dĂ©veloppeurs, cryptologues, hackers, bloggers. Bien sĂ»r Youl met aux mains des Ă©meutiers des pics, symboles transparents du travail des mineurs.

La difficultĂ©, c’est que la toile de Delacroix, c’est fondamentalement (d'aprĂšs le peintre lui-mĂȘme) une barricade. Il y a eu des morts en juillet 1830. Pas des milliers, mais assez pour couvrir de leurs noms la colonne de la Bastille qui commĂ©more cela. Dieu merci, l'apparition du bitcoin n’a pas encore fait de morts (sauf des coupables : KarplelĂšs and Co), mais on peut dire que certains aujourd’hui souffrent, voire meurent, du fait des monnaies-dettes. Youl n'a pas Ă©ludĂ© cette dimension. Le sol reste jonchĂ© de corps sacrifiĂ©s.

Youl nouvelle Ă©bauche

Le « vieux monde » n'a guÚre sa place sur la toile de Delacroix. Les tours de Notre Dame, sur lesquelles flotte un minuscule drapeau tricolore, situent discrÚtement l'action dans la cité de toutes les révolutions et font sans doute une allusion au caractÚre trÚs catholique du roi renversé. La BCE prend cette place dans le fonds de la toile de Youl, décor un peu stérile et symbole d'un systÚme lointain.

Youl, Ă©bauche avec monuments

C'est le moment de regarder la mĂȘme LibertĂ© quand elle ornait un billet de banque centrale.

la liberté pour 100 francs

Les plus anciens se souviennent des rumeurs (généralement invérifiables) assurant que tel ou tel pays refusait de laisser circuler cette coupure pour son indécence supposée. Nul ne semblait s'offusquer que cette liberté n'eût point de monument à prendre d'assaut ni d'émeutier à entraßner si ce n'est un enfant unique, en quoi je pense voir une auto-célébration de la génération 68. Comme sur la piÚce romaine, c'est une Liberté sans contenu conceptuel qui guide un peuple sans remise en cause vers un avenir sans changement. On ne peut que songer, devant cette récupération d'une Liberté révolutionnaire recyclée en symbole patriotique à l'étrange transformation qui ferait de la technologie de Satoshi un instrument à alléger les charges des banques.

Au fait, qu'est-ce qui provoqua la révolution de 1830 ? Des ordonnances prétendant réduire la liberté d'expression et restreindre le droit des électeurs. Tiens, tiens...

Allez ! Voici le tableau de Youl terminé. Avec un tel drapeau il devrait conserver sa force révolutionnaire ! Bravo !

La liberté par Youl




Pour aller plus loin :

☐ ☆ ✇ La voie du àžżITCOIN

43 - Le bitcoin : d'Oresme à Galilée ?

By: Jacques Favier —

(cet article a été traduit en chinois)

À la ConfĂ©rence « Blockchain : disruption et opportunitĂ©s » tenue le 24 mars Ă  l'AssemblĂ©e nationale, on m'avait demandĂ© une brĂšve mise en perspective de la notion de confiance, notamment Ă  travers la figure de Nicolas Oresme.

Que peut encore avoir Ă  nous dire de ce que nous observons aujourd’hui, un moine normand que l'on a parfois dĂ©crit comme l'Einstein du 14 Ăšme siĂšcle et dont les financiers seuls se souviennent qu'il estimait que la monnaie est l'affaire des marchands ? De cet Ă©rudit, Ă©conomiste, mathĂ©maticien et traducteur d'Aristote, chez qui l'on trouve avec des siĂšcles d'avance des principes qui seront ceux de Gresham, de Turgot, d'Adam Smith ou de Jean-Baptiste Say, il arrive aujourd'hui que se rĂ©clament ceux qui aspirent au retour d'une "monnaie valeur" (mĂȘme si Oresme ne confondait pas la monnaie et la richesse!). J'ai donc pensĂ© que l'idĂ©e de partir d'Oresme pour introduire une rĂ©flexion autour du bitcoin Ă©tait bonne, mais pour aller oĂč ?

Voici le texte (un peu remanié et completé) de mon intervention.

Nicolas Oresme

En apparence Oresme n’a pas grand’chose Ă  nous dire. Il a vĂ©cu plus de 70 mutations monĂ©taires, qui ont fait perdre 50% de sa valeur Ă  la monnaie mĂ©tallique. Ceux qui ont moins de 50 ans, en France, n’ont rien connu de comparable et franchement ça se sent parfois un peu dans leurs commentaires.

Oresme, en bon aristotĂ©licien, rĂ©prouve l’intĂ©rĂȘt sur l’argent, qui est le dangereux fondement de nos monnaies actuelles, mais il conteste aussi le droit de l’Etat sur la monnaie, droit qui est remis en cause avec le Bitcoin.

La monnaie, nous dit Oresme, n'est pas la propriĂ©tĂ© du prince. Elle appartient Ă  ceux qui la gagnent, Ă  la collectivitĂ© de ses utilisateurs, qui seule peut en dĂ©finir le statut. Mais ne nous y trompons pas : quand Oresme dit que la monnaie est affaire de marchands il parle de bonne monnaie. Il aurait peut-ĂȘtre approuvĂ© l’indĂ©pendance de la BCE, certainement pas le Quantitative Easing car la monnaie ne se peut faire par alkemie.

Pour Oresme, la confiance est confiance dans la valeur autant que dans l’échange. Aujourd’hui on confond les deux choses, assez frauduleusement.

Je dois donc revenir sur la prĂ©sentation qui est gĂ©nĂ©ralement faite de la confiance comme naturellement suscitĂ©e et entretenue par une institution tierce et centralisĂ©e. Je crois que c’est simplement faux. Les hommes se font d’abord confiance l’un Ă  l’autre, entre frĂšres, amis, voisins. La premiĂšre forme de monnaie-dette chacun la connait : au cafĂ© on ne partage pas, on dit « je te revaudrai ça ». Je suis de ceux qui pensent que la monnaie n’a pas d’origine prĂ©cise et qu’elle est, comme le langage lui-mĂȘme, (confĂšre l’expression sur parole) un Ă©lĂ©ment constitutif de notre humanitĂ©.

Il suffit de rappeler que les mots confiance et confidence ont les mĂȘmes racines latines pour voir que la confiance est chose intime. La confiance (au delĂ  du premier cercle) est historiquement de nature ethnique ou religieuse. Voyez le rĂŽle que les liens familiaux et religieux jouent traditionnellement dans certaines communautĂ©s de marchands (lombards, juifs, ismaĂ©liens, gujaratis) et sur certains marchĂ©s comme celui du diamant.

Or la puissance publique n’est pas de nature intime, ethnique ou religieuse. L’idĂ©e qu’elle soit le fondement de la confiance dans la monnaie est, au mieux, une mythologie destinĂ©e Ă  faire de nĂ©cessitĂ© vertu.

Les pĂšres du papier

L’assignat qui annonce la terreur (laquelle avait manquĂ© au systĂšme de Law) n’a aucun fondement rĂ©publicain. Il tient bien plus du despotisme de Catherine II, qui s’inspirait d’Ivan Possochkov, un Ă©conomiste du temps de Pierre-le-Grand qui disait crument que la matiĂšre dont la piĂšce est faite importe peu et que la volontĂ© de l’empereur serait d’attribuer la mĂȘme valeur Ă  un morceau de cuir ou Ă  une feuille de papier, elle suffirait.

La confiance dans cette monnaie d'État est sans cesse invoquĂ©e. Mais du fait de son cours forcĂ© elle est parfaitement invĂ©rifiable et souvent fort mince. Toute personne qui a fait un an d’études d’histoire sait que le petit Ă©pargnant finit toujours grugĂ©. Nos concitoyens ont lu que les banques Ă©taient fragiles, ils soupçonnent que les garanties des dĂ©pĂŽts sont illusoires, et ils ont entendu un ministre plutĂŽt pondĂ©rĂ© leur dire que la France est en faillite. Les plus informĂ©s ont compris ce que chypriation et rĂ©solution bancaire veulent dire.

Chez le percepteur, Jan Massys, 1539

Ce qui donne son efficacitĂ©, sa valeur, Ă  la monnaie officielle ce n’est pas du tout ma confiance ou celle de l’épicier, comme le dit la bibliothĂšque rose de l’économie, c’est le percepteur qui exige cette monnaie et l’accepte au nominal. Le fisc (autant et plus que le commerce) est la raison d’ĂȘtre et le vrai fondement de la monnaie rĂ©galienne. Contre le moine Oresme, c’est donc JĂ©sus qui a raison quand il parle du « denier de CĂ©sar ».

un percepteur romain

Quand l’évangile Ă©crit áŒˆÏ€ÏŒÎŽÎżÏ„Î” Îżáœ–Îœ τᜰ ÎšÎ±ÎŻÏƒÎ±ÏÎżÏ‚ ÎšÎ±ÎŻÏƒÎ±ÏÎč, comprenons qu’il faut payer ses impĂŽts Ă  l’Etat mais placer sa confiance dans la sociĂ©tĂ©.

Cependant, en matiĂšre d’agencement de la sociĂ©tĂ© face aux Etats, nous sommes moins dans un « moment social » ( dans lequel Oresme nous parlerait de l’autonomisation des Ă©changes par rapport au prince) que dans un « moment mathĂ©matique », oĂč l'on dĂ©couvre comme le fit GalilĂ©e en d'autres domaines, qu'il est possible de se passer de quelques mythes.

Galileo Galilei peint par Le TintoretLe moment GalilĂ©e apporte sa part de dĂ©senchantement pour les nostalgiques, d’exaltation pour les imaginatifs.

Au delĂ  du hype ludique et communautaire, au delĂ  de l'Ă©merveillement technologique, il y a aussi ici un projet politique, difficile Ă  prĂ©senter simplement surtout Ă  des non-amĂ©ricains. Le slogan « no borders no banks » manque probablement de tact. Le cƓur du projet, c’est je crois la libertĂ© du cyberespace. LibertĂ© au double sens d’absence de contrĂŽle et de rĂ©pression, mais aussi de fluiditĂ©, d’instantanĂ©itĂ©, de partage et de confiance.

DĂ©sormais, et c’est une dĂ©flagration, la confiance est Ă©crite en langage mathĂ©matique.


Pour aller plus loin :

  • Sur Oresme : une prĂ©sentation du TraitĂ© des Monnaies (1355)
  • Étant de ceux qui pensent que les premiĂšres monnaies furent sans doute les femmes (ce que suggĂšre me semble-t-il David Graeber) je trouve particuliĂšrement succulente cette phrase d'Oresme : Si comme donc la communaultĂ© ne peult octroyer au prince qu’il ait la puissance et auctoritĂ© d’abbuser des femmes de ses cytoiens a sa vouluntĂ©, et desquelles qu’il luy plaira, pareillement elle ne luy peult donner privilleige de faire Ă  sa vouluntĂ© des monnoies.
  • TĂ©lĂ©charger une traduction du TraitĂ© des monnaies en pages 47 Ă  92 de l'ouvrage rĂ©alisĂ© par une Ă©quipe conduite par Jean-Michel Servet et mis en ligne par l'Institut de Coppet.
  • La citation complĂšte de Possochkov : Ce qui fait la valeur d'une piĂšce de monnaie, ce n'est pas l'or, l'argent, le cuivre, la matiĂšre plus ou moins prĂ©cieuse qui a Ă©tĂ© employĂ©e pour la confectionner; non, rien de tout cela ne fait que cette piĂšce de monnaie soit reçue en Ă©change d'un boisseau de blĂ© ou d'une piĂšce de drap. Ce qui fait cela, c'est l'image de l'empereur frappĂ©e sur le mĂ©tal, c'est la volontĂ© de l'emperuer exprimĂ©e par cette image, d'attribuer Ă  ce morceau de mĂ©tal une efficacitĂ© telle qu'on l'accepte sans hĂ©siter en retour des choses ayant une valeur rĂ©elle, servant aux usages rĂ©els de la vie. Et dĂšs lors, la matiĂšre dont cette piĂšce est faite importe peu. La volontĂ© de l'empereur serait d'attribuer la mĂȘme valeur Ă  un morceau de cuir , Ă  une feuille de papier, elle suffirait, et il en serait ainsi.
☐ ☆ ✇ La voie du àžżITCOIN

42 - L'Art est-il dans la nature du Bitcoin?

By: Jacques Favier —

TĂ©tradrachme de ClazonĂšmeS'il y a un art de la monnaie ce n'est pas celui des banquiers mais celui des artisans, des graveurs de monnaies.

Au commencement, les monetae figuraient le visage des dieux, des hĂ©ros et des rois. Une monnaie n'Ă©tait pas moins sacrĂ©e qu'une statue dans un temple ; le caractĂšre prĂ©cieux du mĂ©tal et la beautĂ© plastique de l'Ɠuvre se combinaient en l'une comme en l'autre.

Qu'elles soient perses, grecques ou ... gauloises, les monnaies antiques nous frappent toujours par leur hiératique beauté.

monnaies antiques

Et des siÚcles plus tard, les guerres entre rois étaient aussi des concours de beauté : sur leurs trÎnes, sur leurs nefs, sur leurs chevaux, rois de France et d'Angleterre faisaient assaut de majesté par de vraies oeuvres d'art.

guerre de cent ans

Il reste quelque chose de ce lien antique. Oscar Wilde l'avait dĂ©jĂ  remarquĂ© : «Quand les banquiers se rĂ©unissent pour dĂźner, ils parlent d’art. Quand les artistes se rĂ©unissent pour dĂźner, ils parlent d’argent».

Des étranges relations entre les gens d'argent et les gens d'art, quels enseignements pouvons-nous tirer pour Bitcoin, la plus immatérielle des monnaies ?

Les Ɠuvres d'art constituent depuis longtemps une classe d'actifs. Le goĂ»t des hommes d'affaires n'est pas forcĂ©ment mauvais. Les choix des MĂ©dicis, jadis, ceux d'un industriel de l'acier d'origine populaire comme Frick il y a un siĂšcle, ou plus rĂ©cemment ceux d'un industriel du textile troyen comme Pierre LĂ©vy rappellent que le goĂ»t, le flair, l'audace mĂȘme et l'absence de conformisme ou d'acadĂ©misme peuvent aussi faire de redoutables d'hommes d'affaires des collectionneurs avisĂ©s.

Collections Frick (supra) et LĂ©vy

L'oeuvre d'art est un "or artistique". Elle a une valeur intrinsĂšque, qui rĂ©siste Ă  l'inflation. Mais elle doit ĂȘtre "vraie". L'art comme classe d'actifs ne s'Ă©tend qu'aux seuls objets tangibles : peinture, gravure, sculpture. PassĂ© la pĂ©riode couverte par le droit de l'auteur et de ses ayants-droit, personne n'a entendu parler de possĂ©der (surtout de maniĂšre exclusive) Une petite musique de nuit ou Les Fleurs du Mal. Ce n'est pas dĂ©sintĂ©rĂȘt. Pour qu'une crĂ©ation ait valeur marchande, il faut qu'elle soit exclusive sinon unique, exactement comme une piĂšce de monnaie. Il faut qu'elle soit "vraie".

Un vrai Picasso se possĂšde, mais comment possĂšderait-on un vrai Mozart ?

Il y eut une exception : le fameux Miserere d'Allegri, composĂ© en 1683 pour le pape Urbain VIII. Sa copie et mĂȘme sa transcription durant une audition Ă©taient punies d'excommunication car cette propriĂ©tĂ© du pontife, uniquement interprĂ©tĂ©e dans sa chapelle, se devait d'ĂȘtre exclusive. Elle le resta (plus ou moins, car des transcriptions aussi fautives que furtives circulaient) jusqu'au prodige du jeune Mozart qui, Ă  l'Ăąge de 14 ans, aurait retranscrit chez lui sans une seule erreur l'intĂ©gralitĂ© du morceau (un peu moins d'un quart d'heure) aprĂšs l'avoir entendu une seule fois, en 1770.

Dirait-on aujourd'hui que le petit prodige a hackĂ© le fichier d'Allegri? Il n'a pas recopiĂ© la partition, il a pratiquement rĂ©Ă©crit le morceau, non avec ses yeux, pas mĂȘme avec ses oreilles, mais avec sa mĂ©moire !

un cave artisteOn vole trÚs au-dessus des douteux exploits des faux-monnayeurs que seule la prudence conduit à s'appliquer, ce qui fait que la fausse monnaie, pas moins que la vraie, requiert une main d'artiste, une paluche qui vaut de l'or, une main raphaëlienne comme disait le Dabe.

Or justement, de telles mains existent, et c'est bien pourquoi la fausse monnaie n'a pas attendu le scanner pour courir la rue.

Pour Ă©liminer la "fausse" monnaie, une idĂ©e monĂ©taire originale et artistique serait que tout billet soit forcĂ©ment lui-mĂȘme un original, radicalement diffĂ©rent des autres et non pas diffĂ©renciĂ© par un numĂ©ro de sĂ©rie dont nul ne se soucie et qui n'assure qu'une traçabilitĂ© fort mĂ©diocre.

Je voudrais ici parler d'une expĂ©rience peu connue en France, et qui Ă  vrai dire n'a guĂšre marchĂ© et ne pouvait pas marcher : l'Artmoney danois. Un beau jour de 1997, un peintre fauchĂ© a proposĂ© dans un cafĂ© de Copenhague de peindre lui-mĂȘme le billet. Artmoney Ă©tait nĂ©, et des milliers de billets diffĂ©rents ont Ă©tĂ© dessinĂ©s ou peints, tous de format 12x18, assortis au dos de l'Ɠuvre de mentions obligatoires et tous d'une valeur nominale de 200 couronnes. Oui, l'histoire se passe bien dans LE pays qui a dit non au merveilleux euro. Est-ce un hasard ?

Dans les premiĂšres annĂ©es de ce siĂšcle, des "billets" ont Ă©tĂ© acceptĂ©s en paiement, essentiellement pour quelques 20% des consommations dans les bars branchĂ©s de Christianshavn. L'expĂ©rience semble s'essouffler mĂȘme si les billets seraient toujours acceptĂ©s dans 150 commerces dans le monde, dont 121 au Danemark et 2 en France.

J'ai bien sûr acquis quelques "billets". Comme la trÚs grande majorité des clients, ce fut toutefois seulement pour leur valeur de collection. On peut sourire, mais j'ai toujours pensé que les fameuses "monnaies locales complémentaires" n'avaient guÚre d'autre destin dans la pratique. La valeur de collection se combine cependant, dans le cas d'Artmoney, à une valeur intrinsÚque, liée au travail du peintre: de l'or artistique, en somme...

J'ai encadré celui-ci, parce qu'il résume assez bien la philosophie du systÚme...

artmoney

Pourquoi cela n'a-t-il pas mieux marché ? Ne haussons pas les épaules : créer de la monnaie ex nihilo, les artistes de Copenhague ne furent pas les seuls à y songer, la BCE ou les banques commerciales le font aussi, et sans avoir le talent ou la courtoisie de s'imposer une création artistique pour cela...

En tout cas il y a ici un concept que nous retrouvons dans le systÚme bitcoin : l'unicité, l'originalité de chaque unité, et... beaucoup de travail !

Une autre idée, bien plus féconde, qu'eurent en premier les artistes et les collectionneurs c'est de rendre chaque oeuvre traçable.

la vente ContiLe meilleur moyen de savoir si vous avez un vrai Titien, un vrai Rembrandt... c'est de connaĂźtre son histoire depuis l'atelier.

Les catalogues de MusĂ©es (au moins 200 pour le seul MusĂ©e du Louvre depuis 1793) s'avĂšrent ici moins utiles que les catalogues des collections privĂ©es puisque leurs piĂšces sont encore susceptibles d'ĂȘtre mise en vente. Ces catalogues existent depuis le 17Ăšme siĂšcle.

Mais il faut surtout citer les catalogues des grandes ventes, des successions de collectionneurs (comme la vente à la mort du prince de Conti en 1777), les catalogues des ventes aux enchÚres conservés depuis le 18Úme siÚcle...

Tous ces catalogues forment autant de blocks validĂ©s, certifiĂ©s (les commissaires priseurs sont officiers ministĂ©riels), mĂȘme si leur chaĂźnage laisse Ă©videmment Ă  dĂ©sirer.

Souvent la "cote" d'un artiste se soutient d'autant mieux que sont disponibles ses archives et que la recension exhaustive de ses oeuvres et l'informatisation des donnĂ©es le concernant et de tout ce qui permet d'entretenir un catalogue raisonnĂ© sont avancĂ©es. Ainsi l'incapacitĂ© oĂč se trouvent les experts de savoir ce qui est vraiment de Salvador Dali (la rumeur voulant qu'il ait mĂȘme laissĂ© quantitĂ© de papier blanc dĂ©jĂ  signĂ© de sa main) affecte quand mĂȘme durement sa cote. L'auteur des montres molles a dĂ» songer aux monnaies fondantes !

De mĂȘme, pour en rester aux surrĂ©alistes, la cote de Roberto Matta souffre de l'absence d'un catalogue raisonnĂ©. Au contraire, celle de Wifredo Lam bĂ©nĂ©ficie clairement de l'important effort entrepris par son Ă©pouse et ses hĂ©ritiers qui ont Ă©tabli un catalogue raisonnĂ© de son oeuvre.

Lam, pour les réfugiés espagnols

Lam, mort en 1982, a son site; mort 20 ans plus tard, Matta n'en a pas.

A partir de 1959, un artiste dĂ©couvreur comme Hans Hartung, crĂ©ateur du mouvement de l'abstraction lyrique, tint lui-mĂȘme de son vivant un vaste catalogue de ses propres oeuvres et entreprit de les rendre traçables. Aujourd'hui, une fondation gĂšre archives, catalogues, rĂ©seaux d'experts. Elle est en mesure de dĂ©livrer des certificats d'authenticitĂ© mais aussi de faire saisir de (rares) faux. De telles entreprises, grandement facilitĂ©es par l'essor de l'informatique, font aujourd'hui rĂ©fĂ©rence.

L'apparition des registres de type blockchain donne tout naturellement une nouvelle jeunesse à de telles entreprises. Si des artistes ont été parmi les premiers à accepter le bitcoin tant comme source d'inspiration (lire dans Coindesk ) qu'en paiement (voir des sites comme art4bitcoin, cointemporary)], on voit aujourd'hui une entreprise comme la start-up berlinoise ascribe offrir des solutions nouvelles pour les artistes, qu'il s'agisse de signer des oeuvres d'art numériques, d'en éditer des certificats d'authentification, d'en maintenir un catalogue, de les tracer, de les partager ou encore de gérer des éditions en séries limitées.

Ceci me paraßt, à l'orée d'une Úre fondamentalement différente - parce que les aventures ont et auront lieu dans un espace numérique - infiniment plus prometteur que les bricolages consistant à implémenter sur la blockchain (donc dans le cyber-espace) des objets conceptuellement issus du titre-papier (en France : cadastre napoléonien ou loi sur les sociétés de la fin du 19Úme).

J'avais noté que, dans l'art des choses idéales, l'adoption par les artistes, vers la fin du 15Úme siÚcle, des mathématiques de la perspective avait été concomitante de la taille du diamant, créatrice de richesses nouvelles et fabuleuses. Il faut toujours suivre les artistes...



Pour aller plus loin :

  • le site pour investir avec Ă©motion de Michel Santi, ancien trader et amateur d'art, que je remercie par ailleurs vivement de son accueil et de ses utiles indications.
  • un article de l'Usine digitale sur l'apport de la blockchain Ă  l'authentification
  • Une vidĂ©o sur l'histoire d'Artmoney qui insiste sur la dimension communautaire de la monnaie
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