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18 - Gouverner par la dette, résister par l'échange?

By: Jacques Favier —

J’ai mis Ă  profit la fĂȘte du Travail et son agrĂ©able pont pour lire un livre essentiel dont l’intĂ©rĂȘt excĂšde trĂšs largement les points que je relĂšve ici


gouverner par la dette

Les livres du sociologue et philosophe italien Maurizio Lazzarato ne bĂ©nĂ©ficient pas de la couverture de presse tapageuse rĂ©servĂ©e aux ouvrages qui instrumentalisent la dette pour promouvoir les lendemains qui dĂ©chantent. La fabrique de l’homme endettĂ© avançait en 2011 l’idĂ©e que, loin d’ĂȘtre la menace mortelle dĂ©noncĂ©e partout contre l’économie capitaliste et les Etats libĂ©raux qui vont avec, la dette tant publique que privĂ©e se situait au cƓur mĂȘme du projet politique des « libĂ©raux ».

l homme endettĂ©Ă€ l’époque, je l’avoue humblement, je n’avais point Bitcoin en tĂȘte, et j’avais lu ce petit opuscule d’une grosse centaine de pages en adhĂ©rant Ă  sa conclusion : omniprĂ©sente et fondamentalement impossible Ă  rembourser, la dette n’a pas d’issue technique simple. C’est donc au niveau philosophique mĂȘme qu’il faut dĂ©noncer le rapport social fondamental qui structure le capitalisme, le systĂšme de la dette.

Vive la BanquerouteFacile à dire ? Je renvoie à un petit livre publié deux ans plus tard par FAKIR, un éditeur anarchiste d'Amiens, Vive la Banqueroute : on y trouve de savoureux petits récits historiques montrant comment nos rois (de vilains souverains "souverainistes" !) avaient su, quand il le fallait, dénoncer le systÚme de la dette.

Je retrouve Lazzarato en 2014 avec Gouverner par la dette, que je ne puis plus lire autrement qu’à l’aune des nouvelles perspectives qu’offre la blockchain.

Or Gouverner par la dette traite d’abord de la dette, de la subversion du vieux rapport capitalistes/prolĂ©taires par un nouveau rapport crĂ©anciers/dĂ©biteurs instaurĂ© par la monnaie de dette, et dĂ©bouche sur la critique des formes nouvelles de gouvernementalitĂ© qui dĂ©coulent de l’axiomatique du capitalisme financier. Les derniĂšres parties du livre, qui ne seront guĂšre citĂ©es ici, auraient pu apporter bien des Ă©lĂ©ments utiles Ă  mes prĂ©cĂ©dents billets qui tournaient autour du « contrĂŽle ».

Le mot "bitcoin" n’apparaĂźt qu’une fois (page 164) de loin et de façon dĂ©sabusĂ©e quoique comprĂ©hensible pour rappeler que chaque nouveautĂ© (web, algorithmes, bitcoins, big data, smart city, etc) se voit investie d’espoirs utopiques de libĂ©ration ou d’angoisses apocalyptiques de domination.

Pourtant, en ce qu’il touche Ă  la monnaie et Ă  la dette, le livre de Lazzarato se lit avec profit en songeant au bitcoin, mĂȘme si c’est en quelque sorte une lecture non autorisĂ©e. A ce propos, il va de soi que les illustrations de mon article sont, de mĂȘme, une fantaisie personnelle et n’engagent ni de prĂšs ni de loin l’auteur du livre !

DĂšs les premiĂšres phrases, il attaque par un point qui me paraĂźt clivant, entre le bitcoin et le systĂšme fiat : l’impĂŽt. L’arme principale du gouvernement de l’homme endettĂ© est l’impĂŽt. Il ne s’agit pas d’un instrument de redistribution qui viendrait aprĂšs la production. Comme la monnaie, l’impĂŽt n’a pas une origine marchande, mais directement politique.

les taxes

Ainsi, dĂ©noncer le bitcoin, au motif qu’il ne bĂ©nĂ©ficie pas de l’apparat (rĂ©gulation/garantie) d’une autoritĂ© centrale, c’est d’abord dissimuler que, ni monnaie-fiat, ni monnaie dette, le bitcoins constitue la premiĂšre tentative de monnaie non consubstantielle Ă  une appareil fiscal quelqu’il soit.

La monnaie dette en prend pour son compte : l’énorme quantitĂ© d’argent injectĂ© chaque mois par la Fed ne fait qu’augmenter trĂšs faiblement le volume d’emploi (
) elle reproduit les causes de la crise (elle) continue Ă  financer et renforcer la finance. (
) MalgrĂ© la croissance anĂ©mique des autres secteurs de l’économie, les marchĂ©s financiers ont atteint un niveau record.

picsounomics

Mieux dĂ©veloppĂ©, le constat s’énonce ainsi : la monnaie et l’impĂŽt dĂ©pendent toujours d’un dispositif de pouvoir, ils sont Ă  la fois des dispositifs qui initient les rapports de pouvoir Ă©conomiques en distribuant les fonctions de chacun dans la division sociale du travail, et des appareils de capture dĂ©finissant les droits de propriĂ©tĂ©.

Ici je voudrais glisser une remarque personnelle (et narquoise) : les dĂ©fenseurs du bitcoin s’arc-boutent sur les 3 fonctions aristotĂ©liciennes de la monnaie pour en parer la cryptodevise (qui sert quand mĂȘme rarement d’étalon), tandis que ses pourfendeurs ministres et banquiers lui dĂ©nient cette qualitĂ© par dĂ©faut de rĂ©gulation, sans prĂ©ciser la nature des bienfaits de celle-ci ni la raison qui les conduit Ă  en enrichir la liste d’Aristote. Mais nul ne parle d’impĂŽt. Les libertariens parce qu’ils savent que leur allergie fiscale doit avancer masquĂ©e, les seconds parce qu’ils ne vont pas rĂ©vĂ©ler le « Grand Secret » alors qu'ils en sont encore Ă  cacher le petit.

Le petit secret

L'illusion financiĂšreCe ne sont pas, en banque, les crĂ©dits qui naissent des dĂ©pĂŽts, mais trĂšs largement l’inverse. Ça c’est le petit secret. MĂȘme si les banquiers s'Ă©vertuent Ă  prĂ©tendre le contraire, comme le patron de la SociĂ©tĂ© GĂ©nĂ©rale l'a fait sans pudeur en dĂ©clarant devant la commission des affaires Ă©conomiques du 14 juin 2011 : Nous ne pouvons crĂ©er de l’argent. Il nous faut le collecter Ă  travers les dĂ©pĂŽts des particuliers et des entreprises ainsi que par des Ă©missions sur les marchĂ©s. Ce qui lui vaut d'ĂȘtre citĂ© dans le remarquable petit livre l'Illusion financiĂšre par le jĂ©suite et brillant Ă©conomiste GaĂ«l Giraud qui considĂšre cette dĂ©claration comme Ă©tant de mauvaise foi émanant de gens qui ont un intĂ©rĂȘt personnel Ă  prĂ©tendre que les banques ne peuvent pas crĂ©er de monnaie. Deux analystes de la BoE viennent cependant de publier une belle Ă©tude pour affirmer que les banques ne sont pas des intermĂ©diaires transformant les dĂ©pĂŽts, ou multipliant les dĂ©pĂŽts pour crĂ©er des crĂ©dits.

Le grand secret

Le grand, il Ă©tait dĂ©jĂ  dans le livre de Deleuze et Guattari (1980) Mille Plateaux : « c’est l’impĂŽt qui crĂ©e la monnaie et c’est l’impĂŽt qui monĂ©tise l’économie » en faisant de l’argent l’équivalent-gĂ©nĂ©ral. Aujourd’hui, on voit bien comment l’impĂŽt agit subjectivement dans la transformation de tout un chacun en « individu endettĂ© », endettĂ© d’une dette qu’il n’a jamais contractĂ©e. En sorte, dit Lazzarato, qu’en temps de crise, l’appareil de capture ce n’est plus le profit ou la rente, c’est l’impĂŽt.

Voyez au passage M. Sapin, tout bouffi de bonnes intentions anti-terroristes, annonçant une lutte Ă  mort contre
 les paiements en liquide. Que l'un de ses collĂšgues ait eu de l'argent Ă  Singapour le gĂȘne moins que le petit exode fiscal que constitue le paiement cash et hors TVA de nos belles campagnes françaises.

Le percepteur par Van Reymerswaele

Voici pour le constat.

Lazzarato introduit ici un concept de Guattari : l’économie des possibles, de ces possibles que le capitalisme libĂ©ral entend contrĂŽler (There is no alternative, comme disait la mĂ©gĂšre).

Le bitcoin (que Lazzarato ne cite pas comme tel) c’est pour nous « un possible », pour parler comme Guattari, « la possibilitĂ© d’une monnaie », pour parler comme Houellebecq. Le dĂ©sir est toujours repĂ©rable par l’impossible qu’il lĂšve et par les nouveaux possibles qu’il crĂ©e. Le dĂ©sir, c’est le fait que lĂ  oĂč le monde Ă©tait fermĂ©, surgit un processus secrĂ©tant d’autres systĂšmes de rĂ©fĂ©rence.

C’est que dit dans une interview au CoinTelegraph Chris Mountford
Bitcoin shows us that there are a class of things we previously all assumed could simply not be made with software. Money was one of those things. Now we have no idea where our new limits are. C'est ce que dit Erik Voorhees sur LTB (210) : Something can exist that is physically not possible without cryptocurrency. Donc oui, un "possible" est apparu.

Mais Lazzarato met aussi en garde: La machine sociale capitaliste laisse les "savants", les "artistes" (et tout un chacun) inventer et crĂ©er, elle les y incite mĂȘme. Mais c'est toujours l'axiomatique, c'est Ă  dire une politique, qui sĂ©lectionne, choisit , hiĂ©rarchise, agence les inventions scientifiques et technologiques. C'est en page 166, cela englobe donc le bitcoin citĂ© deux pages plus haut. Voici ses promoteurs prĂ©venus!

Lazzarato rappelle donc une formule de Gilles Deleuze, bien avant le bitcoin (c’était en 1990, dans Post-scriptum sur les sociĂ©tĂ©s de contrĂŽle, chef-d’Ɠuvre d’anticipation et de vision du prĂ©sent !) : il n’y a pas lieu de craindre ou d’espĂ©rer, mais de chercher de nouvelles armes.

Mais Lazzarto livre aussi un distinguo fĂ©cond, entre la monnaie de l’échange et la monnaie de la dette. Avec l’ùre moderne s’est dĂ©veloppĂ©e l’idĂ©e que le « doux commerce » libĂ©rait l’homme, le marchĂ© s’avĂ©rant plus efficace et moins tyrannique que l’Etat et la monnaie Ă©vinçant la violence de la dette. Tout cela est peut-ĂȘtre vrai, mais seulement si l’on restreint l’argent Ă  l’argent de l’échange (paiement, mesure et thĂ©saurisation, les trois fonctions d’Aristote). La monnaie-Ă©change prĂ©suppose et rĂ©alise un rapport symĂ©trique (et contractuel) entre producteurs/Ă©changeurs. Telle est bien la philosophie du bitcoin, argent de l’échange comme aucun autre avant lui.

avant la rĂ©volutionEn regard la monnaie capital instaure un rapport asymĂ©trique : d’exploitation, de diffĂ©rentiation de classe, d’appropriation, de privatisation. Ceux qui poussent les hauts cris en dĂ©nonçant la spĂ©culation sur le bitcoin savent fort bien gagner leur vie avec l’argent de la dette. Le capitalisme ne nous libĂšre pas de la dette, il nous y enchaĂźne. Ils confessent aussi, imprudemment, que Deleuze et Guattari avaient raison : le capitalisme n’a jamais Ă©tĂ© libĂ©ral, il a toujours Ă©tĂ© un capitalisme d’Etat. Les « plans de sauvetage » successifs depuis 2007 le montrent assez, puisqu'ils ont refait de l'impĂŽt ce qu'il Ă©tait avant 1789, une machine Ă  prendre aux pauvres pour payer les dettes de jeux des seigneurs.

Bitcoin apparaßt du coup comme un possible « secours contre le sauvetage ».

GraeberIl n’est Ă©videmment pas politiquement anodin de parler de dette (et le titre de l’ouvrage de Lazzarato est assez explicite). D’autres l’ont fait, comme David Graeber, qui pense cependant que la dette est seulement un Ă©change qui n’est pas encore terminĂ© alors que Nietzsche pointait dĂ©jĂ  (dans sa GĂ©nĂ©alogie de la Morale) la nature infinie et proprement impayable de la dette, ce qui correspond exactement au point oĂč nous en sommes.

On songe Ă©videmment « en creux » au bitcoin, monnaie non rĂ©gulĂ©e et non propulsĂ©e par l’impĂŽt, quand on lit chez Lazzarato que si les deux fonctions Ă©tatiques – rĂ©guler la monnaie et collecter les impĂŽts – restent gĂ©rĂ©es par l’Etat, elles ne constituent plus l’expression de son pouvoir en tant que reprĂ©sentant de l’intĂ©rĂȘt gĂ©nĂ©ral, en tant que garant de l’unitĂ© de la nation, mais l’expression des articulations du gouvernement supra-national et du capital.

A ce point on trouve chez Lazzarato une vraie dĂ©finition de l’euro comme monnaie allemande, c’est Ă  dire ordolibĂ©rale et expression d’un nouveau capitalisme d’Etat oĂč il est impossible de sĂ©parer « Ă©conomie » et « politique ». Et, au terme d’une description de la crise, il conclut que l’Etat n’a pas dĂ©fendu la « sociĂ©tĂ© », au contraire, il lui a imposĂ© de payer par l’entremise de la fiscalitĂ© et de l’austĂ©ritĂ© la « rationalitĂ© irrationnelle » du marchĂ©.

L’institution monĂ©taire ne peut donc se prĂ©valoir, opĂ©rant Ă  la jonction des dettes privĂ©es et des dettes sociales, d’assurer cohĂ©rence et unitĂ© sur un territoire donnĂ© ( ce qui est en gros la thĂšse d’Aglietta et OrlĂ©an). C’est de nouveau du cĂŽtĂ© de Deleuze et Guattari que penche l’auteur, avec une dualitĂ© non pas entre une monnaie Ă©conomique, privĂ©e, impartiale, purement instrumentale et une monnaie centrale Ă©tatique reprĂ©sentant la sociĂ©tĂ© comme totalitĂ©, mais entre la premiĂšre et la monnaie comme capital. La premiĂšre exprime le pouvoir d’achat, la seconde le pouvoir sur la sociĂ©tĂ©.

A noter que cette distinction est peu ou prou celle que trace Graeber. Comment ne pas songer au bitcoin (monnaie conçue pour l’échange) lorsque l’on examine la premiĂšre, et les rapports que pourrait avoir, dans un avenir proche le bitcoin et les monnaies fiat des banques centrales ?

OĂč l’on retrouve le bitcoin, monnaie finie s’il en est, c’est lorsqu’on lit que la monnaie de crĂ©dit, en tant que monnaie capital incarne la logique de la production pour la production, c’est Ă  dire l’introduction de l’infini dans l’univers capitaliste.

Tant décrié comme simple spéculation, le bitcoin est une monnaie de la "finitude", dont on découvre peu à peu qu'elle est notre horizon écologique.

Les Ă©cologistes n’y ont point songĂ© et sont gĂ©nĂ©ralement critiques Ă  son sujet. Il est vrai que leur rĂ©flexion est courte et ne dĂ©passe pas le rĂȘve de voir les monnaies locales (des euros portant faux nez et grosses moustaches) promouvoir le "manger local".

D'autre part, en lisant Lazzarato, on songe soudain à un autre paradoxe : quand la monnaie-dette, abstraite, détruit les relations sociales et déconstruit les territoires, le bitcoin apparaßt par contraste infiniment plus « territorial » : il ne sort jamais de son territoire, le Net, et il le structure ! D'autre part, démuni à la fois du cours forcé et d'un usage fiscal, il ne peut compter que sur sa nature communautaire.

Bitcoin m’apparaĂźt alors comme un dĂ©fi au nouvel ordre libĂ©ral, non sans paradoxe lĂ  aussi quand on connaĂźt les opinions incroyablement libertaires de bien des supporters de la nouvelle monnaie, qui pourraient entrer dans la description que fait l’auteur des talibans du marchĂ© comme Hayek, qui souhaite l’effacement de la monnaie souveraine pour lui substituer une multitude concurrentielle de monnaies privĂ©es.

Nous voyons se multiplier les robinsonades, États libres proclamĂ©s par des milliardaires sur des plateformes en haute mer ou par des libertaires sur des berges incertaines du Danube. Toutes Ă©voquent le bitcoin comme une monnaie « libre ».

un futur grand pays

Or Bitcoin n’a pas vocation Ă  s’en-terrer, et surtout pas sur si peu de terre, ou les pieds dans l’eau. Il n’a pas vocation non plus Ă  ĂȘtre l’une des monnaies privĂ©es dĂ©crites par Hayek, mĂȘme si celui-ci est le maĂźtre Ă  penser de nombre de ses supporters. Qu'il tienne encore dix ans et Bitcoin va changer les esprits, bien plus que dans les rĂȘves de boy-scouts ou les complots des geeks.

Bitcoin est richement disruptif. Ainsi, mĂȘme s’il se classe Ă©videmment, selon moi, du cĂŽtĂ© de la monnaie de paiement, c’est avec un caractĂšre d’extrĂȘme liquiditĂ© (fluiditĂ©) que n’ont pas les billets de banque de nos vies quotidiennes. C’est la premiĂšre fois que l’on voit effectivement la monnaie de paiement dotĂ©e de la mobilitĂ© de la monnaie-dette. A l’aune du bitcoin le systĂšme SEPA s’avĂšre risible, et grotesque la volontĂ© de tous les Sapins de la planĂšte de traquer les transferts et paiements en cash. A travers Bitcoin, c'est tout Ă  la fois la nature de la dette, la lĂ©gitimitĂ© de sa centralisation mais aussi (et c'est ce que j'ai voulu faire ici) son lien Ă  l'impĂŽt et sa responsabilitĂ© dans la gouvernance post-dĂ©mocratique qui sont potentiellement mis en examen.

Pour aller plus loin

les discours officiels

d'autres analyses sur la dette

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8 - Une monnaie de Fantasy ?

By: Jacques Favier —


Un rien de Fantasy ne nuit pas à la réflexion financiÚre.

Monnayé Tous les adolescents adorent cela et l'avenir leur appartient.

Il y a, dans les cultissimes Annales du Disque Monde, un épisode qui aborde de loin la chose: Monnayé, dont le titre est plus explicite en langue anglaise.

Au moment d'ĂȘtre pendu (ou quelque chose comme ça) l'ancien escroc Moite von Lipwig, a dĂ» accepter l'offre du seigneur VĂ©tĂ©rini, tyran d’Ankh-Morpork, de devenir ministre des Postes. Puis il plait au tyran de lui proposer un nouveau mĂ©tier. Comment refuser? D'ailleurs, qui ne voudrait diriger l’HĂŽtel des monnaies et la Banque voisine ?

Et mĂȘme dans un monde enchantĂ©, l'invention du papier monnaie gagĂ© sur de la dette (la monnaie IOU) ne se fait pas sans laisser un vieux fonds de doute Ă  certains, comme on le voit dans l'Ă©pisode que je cite parce que je le trouve amusant, avant de tenter une ouverture plus sĂ©rieuse vers Bitcoin.


         *   *   *   *


On examina les billets avec grand soin et on en discuta sérieusement.

- C’est juste une reconnaissance de dette, comme un pense-bĂȘte, en fait.

- D’accord, seulement
 et si on a besoin de l’argent ?

- Mais, corrige-moi si je me trompe, est-ce qu’une reconnaissance de dette ce n’est pas de l’argent ?

- D’accord, alors qui te le doit ?

- Euh
Jean, là, parce 
 Non, minute,
 c’est ça l’argent, d’accord ?


Moite souriait tandis que la discussion allait et venait tant bien que mal. De nouvelles théories financiÚres poussaient là comme des champignons, dans le noir et sur des foutaises en guise de crottin.


Mais c’étaient des hommes qui comptaient le moindre sous et dormaient la nuit avec sur caisse sous le lit. Ils pesaient farine, raisins secs et vermicelle, les yeux fixĂ©s d’un air fĂ©roce sur l’index de la balance, parce que c’étaient des hommes qui vivaient de petites marges. S’il parvenait Ă  leur faire admettre l’idĂ©e du papier-monnaie, alors il serait pour ainsi dire sauvĂ© des eaux, peut-ĂȘtre pas complĂštement sec, mais au moins seulement Moite.


- Vous croyez donc que ces billets pourraient marcher ? demanda-t-il durant une accalmie.
Le consensus fut que, oui, ils pourraient marcher, mais qu’ils devraient avoir plus d’ allure, comme le dĂ©clara Chicos Pigouille : « Vous savez, avec davantage de lettres chic, tout ça ».


Moitte en convint et tendit un billet à chacun en souvenir. Ça le valait bien.

- Et si ça tourne en eau de youplĂ , dit monsieur Proust, vous avez toujours l’or, pas vrai ? enfermĂ© en bas dans la cave ?

- Ah oui, il faut que vous ayez l’or, confirma monsieur Binard.


Un chƓur de murmures approbateurs suivit, et Moite sentit son moral s’effondrer.

- Mais on avait tous admis que vous n’aviez pas besoin de l’or, il me semble, non ? dit-il. En rĂ©alitĂ©, ils n’avaient rien admis de tel, mais ça valait le coup d’essayer.

- Ah oui, mais il faut qu’il soit quelque part, rĂ©pliqua monsieur Binard. - Comme ça la banque reste honnĂȘte » assĂ©na monsieur Pigouille du ton assurĂ© qui est la marque de fabrique de l’ĂȘtre le mieux informĂ© qui soit, le client du CafĂ© du Commerce.


Ă©dition française - Mais je croyais que vous aviez compris, s’étonna Moite. Vous n’avez pas besoin de l’or !

- D’accord, monsieur, d’accord, fit Pigouille d’un ton apaisant. Tant qu’il est là.

- Euh
 est-ce que vous sauriez par hasard pourquoi il faut qu’il soit là ?

- Comme ça la banque reste honnĂȘte, rĂ©pliqua Pigouille en partant du principe qu’on arrive Ă  la vĂ©ritĂ© par la rĂ©pĂ©tition.


Et c’était le sentiment de la rue du DixiĂšme-ƒuf, que confirmĂšrent les hochements de tĂȘte des commerçants assemblĂ©s. Tant que l’or se trouvait quelque part, la banque restait honnĂȘte et tout allait bien.


Moite avait honte de lui devant une telle confiance. Si l’or se trouvait quelque part, les hĂ©rons ne mangeraient pas les grenouilles non plus. Mais il n’existe en rĂ©alitĂ© aucun pouvoir au monde capable d’assurer l’honnĂȘtetĂ© d’une banque qui ne tient pas Ă  rester honnĂȘte.


        *   *   *   *

Quel enseignement dans ce petit texte, pour notre belle jeunesse?


Cela paraßt trivial, mais ce roman, écrit trente ans aprÚs les accords de la Jamaïque et pour une génération qui n'a pas la moindre idée d'un étalon or, montre que l'abandon de toute référence à un actif tangible reste un gros problÚme intellectuel, mùtiné de scandale moral.


Ă©dition estonienne


À la gĂ©nĂ©ration des digital natives, le systĂšme des changes flottants pourrait bien n'apparaĂźtre que comme une foutaise de papier, simplet et finalement... assez permissif. Le bitcoin n'est ni plus ni moins cotĂ© en dollar que l'euro. So, wtf comme ils disent ?


Mais il ya autre chose : Ă  ceux qui frĂ©quentent des adolescents, il arrive parfois de.. ne pas comprendre les raisonnements des amateurs de Fantasy. C'est un indice ! Ailleurs dans le roman, c'est le tyran lui-mĂȘme qui nous donne Ă  rĂ©flĂ©chir, dans la liaison parfaitement lĂ©gitime pour lui qu'il Ă©tablit entre diriger la Ville et diriger sa Banque :


« Ceux qui comprennent la banque l’ont amenĂ©e Ă  sa situation actuelle. dit VĂ©tĂ©rini. Et moi, je ne suis pas devenu le dirigeant d’Ankh-Morpok en comprenant la ville. Comme la banque, la ville est facile Ă  comprendre, c’en est dĂ©primant. Je suis restĂ© dirigeant en amenant la ville Ă  me comprendre, moi. »


Bitcoin est mentalement Ă©tranger Ă  la gĂ©nĂ©ration des dirigeants bons Ă©lĂšves (ceux qui attendaient leur bonne note de l'autoritĂ© d'un maĂźtre qualifiĂ©) mais adĂ©quat Ă  celle du like sur Facebook et du scoring communautaire. Avec Bitcoin, cette gĂ©nĂ©ration qui n'est plus Y mais àžż pourrait bien prendre le pouvoir non en comprenant le vieux monde mais en lui imposant plus qu'une monnaie : sa logique.


C'est bien la caractĂ©ristique de Bitcoin : forcer tout le monde (utilisateurs, intermĂ©diaires financiers, autoritĂ© de rĂ©gulation) Ă  repenser la valeur, l'Ă©change, le paiement, la richesse peut-ĂȘtre.

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7 - Bitcoin secret Ă  Guernesey

By: Jacques Favier —



Guernesey
On parle un peu de bitcoin, cette monnaie sans État, dans diverses Ăźles qui ne forment pas tout Ă  fait des États et n'ont point de monnaie, mĂȘme si l'on y brasse beaucoup d'argent.

Ce n'est pourtant pas cela qui m'amenait, durant mes vacances, sur les Ăźles de la Manche, ces petits morceaux de France jetĂ©s Ă  la mer et ramassĂ©s par l’Angleterre comme l'Ă©crivit Victor Hugo, mais la visite d'un petit morceau redevenu français : sa maison, propre Ă  exalter le romantisme de ma fille. C'est Ă  vrai dire un lieu magique mais un peu oppressant, dans lequel le gĂ©nie a tournĂ© en rond prĂšs de quinze ans, Ă©crivant, peignant, dĂ©corant, sculptant, imaginant des mondes occultes, parlant aux Esprits, au Futur et Ă  Dieu.
Au rez-de-chaussĂ©e, dans le salon dit « des tapisseries», Hugo a composĂ© Ă  partir de divers Ă©lĂ©ments une monumentale cheminĂ©e de chĂȘne qui occupe presque tout le mur et monte jusqu'au plafond. SurchargĂ©e de sculptures, vraie « cathĂ©drale de chĂȘne », elle constitue l’oeuvre maĂźtresse du poĂšte architecte.


la cheminée
saint jeanC'est en regardant de prÚs que j'ai eu la révélation.


De part et d'autre, deux petites statues : saint Jean, les mains tournées vers le ciel et saint Paul, le regard tourné non vers la terre mais vers un livre.


J'ai immĂ©diatement repensĂ© Ă  mon prĂ©cĂ©dent billet sur Platon et Aristote, oĂč une semblable rhĂ©torique gestuelle m'avait conduit de RaphaĂ«l Ă  Vinci, revisitĂ© par les concepts de Bitcoin !


Hugo a surchargé sa demeure d'inscriptions, pour la plupart latines, et parfois énigmatiques. Ici pourtant rien de mystérieux en apparence, et je n'ai guÚre besoin de traduire ce que le poÚte a gravé sous les deux sculptures.
Le sens en paraĂźt presque trop simple. Pourtant la traduction m'est venue Ă  l'esprit en anglais.



dans le livre


vers le ciel

On the blockchain and to the Cloud ? Sur la blockchain et jusqu'aux extrémités du cyber-espace? Il y a de toutes façons l'idée d'une chose écrite qui est plus grande, plus immatérielle, plus libre qu'un simple écrit...


Fantasme personnel ? Sans nul doute... Et pourtant voici ce que je découvre quelques instants plus tard, et qui fait comme un écho à mon interprétation précédente :


alias? une Ă©trange devise


Ici rien ; ailleurs quelque chose pour transcrire au plus prÚs la langue latine toujours plus concise que la française.


le Fauteuil des AncĂȘtresNous sommes dans une autre piĂšce du rez-de-chaussĂ©e, dans la salle Ă  manger. La devise est gravĂ©e sur le baldaquin d'un monumental trĂŽne que Victor Hugo avait fait fabriquer Ă  Guernesey dans le style gothique des chaires du XVĂšme siĂšcle. Le guide comme toute la littĂ©rature trouvĂ©e ensuite sur Internet, assure que cette devise proclame la foi en l'immortalitĂ© de l'Ăąme des chers disparus. C'est bien possible, et l'autre devise gravĂ©e sur le mĂȘme trĂŽne, absentes adsunt (les absents sont prĂ©sents) va bien dans ce sens. On songe naturellement Ă  LĂ©opoldine, sa fille noyĂ©e. Sauf que ...c'est un peu court.


Hugo savait son latin. Nihil et aliquid sont des mots du genre neutre. Il est bien question de choses, non de personnes...


Quant au fauteuil, il est placĂ© sous l'inscription Cella Patrum Defunctorum (le sanctuaire des ancĂȘtres morts) ce qui fait donc rĂ©fĂ©rence aux pĂšres absents/prĂ©sents, non aux enfants morts. Nul hĂŽte ne devait s'y asseoir. C'est pourquoi, dit le guide, Hugo a placĂ© entre les accoudoirs... une chaine.


chaine


Cette chaĂźne est-elle lĂ  seulement pour signifier cela? Hugo a Ă©crit dans Booz endormi un vers qui fait signe vers un autre sens du mot, peut-ĂȘtre pertinent ici : Une race y montait comme une longue chaĂźne. Il y a donc une chaĂźne horizontale (qui entrave le fauteuil, comme les jambes de Valjean au bagne) et une chaĂźne verticale qui relie Ă  autre part, ailleurs, alias.


un pÚre de l'euro?On ne manque jamais de clamer qu'Hugo a inventé les Etats-Unis d'Europe et la monnaie unique. Cela fait un soutien de taille quand le projet européen en manque chaque jour davantage..


Vais-je créditer l'exilé de Guernesey de l'invention de Bitcoin ? Cela aurait peu de sens. Mais on peut se demander ce qu'il en aurait pensé, puisqu'il est déjà invoqué en matiÚre monétaire.


Cet homme qui faisait parler les morts parlait aussi aux vivants, et aimait la liberté. Aux chaßnes qui entravent il voulait substituer celles qui unissent. Voyons donc ce qu'il écrivit sur la monnaie :


Une monnaie continentale, Ă  double base mĂ©tallique et fiduciaire, ayant pour point d’appui le capital Europe tout entier et pour moteur l’activitĂ© libre de deux cents millions d’hommes, cette monnaie, une, remplacerait et rĂ©sorberait toutes les absurdes variĂ©tĂ©s monĂ©taires d’aujourd’hui, effigies de princes, figures des misĂšres, variĂ©tĂ©s qui sont autant de causes d’appauvrissement ; car dans le va-et-vient monĂ©taire, multiplier la variĂ©tĂ©, c’est multiplier le frottement ; multiplier le frottement, c’est diminuer la circulation. En monnaie, comme en toute chose, circulation, c’est unitĂ©.
DerriĂšre cette prophĂ©tie, qui date de 1855, le souffle politique d'un homme qui ne s'arrĂȘtait certainement pas au cadre de l'Europe et pensait en terme d'HumanitĂ© toute entiĂšre, mais aussi les tracas d'un exilĂ© qui constate que livres et shillings ne valaient pas le mĂȘme prix sur les deux minuscules Ăźles de son exil.
Qu'aurait-il pensé du bitcoin? N'aurait-il pas apprécié sa double base, fiduciaire certainement, mais aussi réelle, métaphoriquement métallique du fait de son extraction par le mining ?


sur base métalliquesur base fiduciaire






N'aurait-il pas apprécié l'absence de frottements dans les paiements en bitcoin ? On peut faire le pari que le métal orange et idéal du bitcoin l'aurait séduit...

En tout cas la belle devise Hic Nihil Alias Aliquid pourra toujours ĂȘtre gravĂ©e sur les wallets quand on leur donnera une forme Ă©lĂ©gante !

☐ ☆ ✇ La voie du àžżITCOIN

6 - En marge des mystÚres sacrés

By: Jacques Favier —




le voleur Il y a quelque temps que je tournais dans mon esprit autour de concepts d'origine thĂ©ologique. Comme souvent, une image fortuite a catalysĂ© mon intention et je prends le risque, en formant le vƓu de ne pas choquer les uns ni rebuter les autres.


Il y a quelque intĂ©rĂȘt Ă  Ă©couter les personnes les plus simples car elles posent les vraies questions : c'est quoi en fait le bitcoin ? il est conservĂ© oĂč ? demande la maman Ă  son fils geek. Celui-ci peut rĂ©pondre qu'il est Ă©crit dans un livre, et ajouter que l'argent du Livret A aussi est une Ă©criture dans un livre. OĂč il est ce livre? Celui du Livret A, il est tenu par la Caisse d'Epargne, dont tout l'argent est Ă©crit dans un livre Ă  la Banque Centrale, qui ne conserve plus d'or depuis longtemps.

Le livre des bitcoins, qui est un peu partout dans la nature, devrait apparaĂźtre plus sĂ»r. Seulement le livre de la Caisse d'Épargne comptabilise des unitĂ©s qui peuvent exister rĂ©ellement, et qu'on appelle des espĂšces. Les Ă©conomistes nĂ©gligent presque les espĂšces, les banquiers les considĂšrent comme un fardeau, imposĂ© par les rĂ©sistances des simples, leur matĂ©rialisme. Mais la reprĂ©sentation des espĂšces, l'argot du fric et le bruit des picaillons sont bien utiles ; voyez les romans, les films, les publicitĂ©s...


reprĂ©sentation matĂ©rielle Le bitcoin, lui, n'existe pas sous la forme matĂ©rielle d'un bout de quelque chose. On persiste Ă  le reprĂ©senter comme une piĂšce d'or, un peu parce que mĂȘme les geeks restent matĂ©rialistes, et aussi peut-ĂȘtre parce qu'ils donnent Ă  leur nouveau dieu le visage de l'ancienne idole, ce qui s'est dĂ©jĂ  vu. Et enfin parce que l'on n'a rien trouvĂ© d'autre. Hors de lĂ , comment reprĂ©senter un bitcoin?

Bitcoin n'ex-iste pas, au sens du latin ex(s)istere « sortir de, se manifester, se montrer ». MĂȘme les innombrables wallets, cartes ou clĂ©s commercialisĂ©s pour lui donner support matĂ©riel ne contiennent en rien Bitcoin, ni le moindre bitcoin.

Cela faisait donc quelque temps que je me disais qu'au fond, il y avait dĂ©jĂ  eu une circonstance oĂč les esprits des hommes (non mathĂ©maticiens), limitĂ©s par leurs sens, s'Ă©taient affrontĂ©s Ă  ce type de difficultĂ© : c'Ă©tait face au mystĂšre de la PrĂ©sence sacramentelle dans les espĂšces consacrĂ©es. Pour les chrĂ©tiens, l'hostie consacrĂ©e possĂšde une caractĂ©ristique non tangible qui la distingue radicalement de l'hostie non consacrĂ©e : il y a en elle, pour ceux qui communient, la prĂ©sence d'un insaisissable. Sa nature en est changĂ©e entiĂšrement, mais cela est impossible Ă  montrer, et difficile Ă  exprimer par ceux-lĂ  mĂȘme qui adhĂšrent Ă  cet article de foi.

Quand les premiers PÚres de l'Eglise se partagÚrent sur la vaste question de la réalité de la présence physique, dans le pain et le vin consacrés à la messe, du corps et du sang du Christ, ils furent bien forcés de convoquer à ce débat quelques grosses pointures philosophiques.

Le prestige immense d'un saint Augustin (influencĂ© lui-mĂȘme par les nĂ©o-platoniciens) fit reprendre par les uns son idĂ©e selon laquelle une prĂ©sence intellectuelle s'ajoute Ă  la rĂ©alitĂ© du pain et du vin, mais sans s'y substituer. Mais ce pain, en mĂȘme temps, Augustin reprend l'idĂ©e de saint Paul (1Co 12,27), c'est l'Ă©glise (du grec ጐÎșÎșÎ»Î·ÏƒÎŻÎ± , assemblĂ©e) elle-mĂȘme. Donc, explique Augustin, si c'est vous qui ĂȘtes le corps du Christ et ses membres, c'est le symbole de ce que vous ĂȘtes qui se trouve sur la table du Seigneur (Sermon 272).

Mais le dogme rĂ©aliste fut forgĂ© par des thĂ©ologiens bien davantage inspirĂ©s d'Aristote et dont le 13Ăšme siĂšcle vit le triomphe. La pratique d’élever l’hostie et le calice pour les montrer aux fidĂšles durant l'Offertoire se gĂ©nĂ©ralisa. Les simples ne voyaient certes que du pain, mais le prĂȘtre leur assurait qu'il s'agissait en vĂ©ritĂ© et uniquement du Corps du Christ.

Platon et Aristote C'est aussi que l'aristotĂ©lisme mĂ©diĂ©val permettait de concilier perception (les accidents en vocabulaire aristotĂ©licien) et la rĂ©alitĂ© de la substance. Avec l'humanisme de la Renaissance, revint l'idĂ©alisme platonisant. Quelques annĂ©es Ă  peine avant le premier coup de tonnerre de la RĂ©forme protestante, RaphaĂ«l peignit de 1508 Ă  1512 l'École d'AthĂšnes pour la chambre du pape Jules II. On y reconnait Platon, le doigt pointĂ© vers le Ciel des IdĂ©es, et Aristote qui Ă©tend la main vers la terre. Je vais revenir sur le sens des jeux de mains.

Raphaël a donné à Platon le visage de Léonard de Vinci. Or une décennie plus tÎt, celui-ci avait peint, pour un couvent de dominicains de Milan, l'Ultima Cena, le dernier repas du Christ. Pour les historiens de l'art c'est l'un des plus grands chefs d'oeuvre de tous les temps. Il n'est pas interdit d'y voir aussi le premier signe des débats dogmatiques qui vont couper durablement l'Europe et la Chrétienté en morceaux. Et l'on y retrouve aussi maint jeux de mains...


La CĂšne de Vinci


C'est en découvrant la toile d'un artiste français, Youl, qui s'est inspiré de cette fresque pour illustrer le protocole Bitcoin que j'ai entrepris de rédiger ce billet.

L’historien d’art LĂ©o Steinberg prĂ©sente l'Ultima Cena comme l’image narrative la plus copiĂ©e, adaptĂ©e, dĂ©tournĂ©e et satirisĂ©e qui ait jamais existĂ©. Elle a inspirĂ© les plus grands artistes, de Philippe de Champaigne Ă  Salvador Dali. Elle a aussi Ă©tĂ© prostituĂ©e par quelques publicitaires vulgaires. Enfin sa profondeur mystĂ©rieuse, peut-ĂȘte Ă©sotĂ©rique, a suscitĂ© des centaines de thĂšses (universitaires ou romanesques) et presqu'autant de dĂ©tournements, parfois fĂ©conds.
Tel m'a semblĂ© ĂȘtre le cas de la toile de Youl, rĂ©cemment vendue sur Internet.


La CĂšne de Youl


Comme celle de Vinci, cette oeuvre avait été commandée, en l'occurrence par l'anonyme fondateur du Project Bitcoin à Santa Monica, qui l'a revendue à un trader de Ripple en Andorre. Ceci a suscité un peu de buzz sur l'exploit d'avoir pu contourner les rÚgles de ebay en y faisant un deal en bitcoin, et aussi sur le fait que cette toile serait la plus chÚre des oeuvres d'art inspirées par Bitcoin.

L'Ɠuvre de Youl mĂ©rite mieux que cela. Avant de savoir si l'artiste (avec qui je suis entrĂ© en contact ensuite) avait suivi, de Bitcoin au Saint-Sacrement, le mĂȘme chemin mental que moi, j'ai voulu poser quelques jalons Ă  partir de la fresque de Vinci, Ă  laquelle je n'avais pas songĂ©, en m'attachant d'abord aux jeux des mains.

le JĂ©sus de VinciDans la fresque de Vinci, on doit bien saisir la posture de JĂ©sus. Du plat de sa main droite JĂ©sus s'adresse au traitre Judas. La parole en vĂ©ritĂ©, je vous le dis, l’un de vous me livrera permet ainsi au peintre de mettre en Ɠuvre, sur 12 visages, sa thĂ©orie des mouvements de l'Ăąme. Mais de sa main gauche tournĂ©e vers le Ciel, JĂ©sus institue dans le mĂȘme instant (et c'est une des clĂ©s de l'oeuvre) le sacrement de ce qui sera la communion, alors mĂȘme que le pain et le vin ne sont pas placĂ©s devant lui.

Quand Judas touche de la main droite la bourse qui contient la modeste cagnotte de la communautĂ© qu'il va trahir toute entiĂšre, les mains de JĂ©sus ne touchent point, elles dĂ©signent. À droite de la toile, pratiquement toutes les mains sont tendues vers lui (sauf celle de l'incrĂ©dule Thomas, dans la posture exacte de l'idiot qui regarde le doigt). Ainsi, parmi bien d'autres schĂ©mas, l'oeuvre de Vinci distingue ce que l'on touche, ce que l'on montre, et ce que l'on Ă©voque.

Mais avant mĂȘme d'aborder son dĂ©tournement notons ceci : tandis que le MaĂźtre institue par sa seule parole un processus d'actualisation perpĂ©tuelle et communautaire d'une opĂ©ration prĂ©sentĂ©e comme un rachat, il annonce Ă©galement Ă  la communautĂ© concernĂ©e par ce rachat qu'elle sera menacĂ©e par l'incomprĂ©hension des uns, la passivitĂ© des autres, la trahison enfin de qui reste attachĂ© aux prestiges du passĂ©, la monnaie du vieux monde en l'occurrence. Pas de pain devant JĂ©sus, mais des pains un peu partout sur la table de l'AssemblĂ©e : malgrĂ© ses faiblesses humaines, cette assemblĂ©e est, selon le mot de saint Paul repris par Augustin, le vrai Corps.

Sa premiĂšre esquisse montre que Youl a progressivement extrait du sens tant de l'oeuvre de Vinci que de sa propre comprĂ©hension de Bitcoin. À ce stade, il y a deux intuitions chez Youl : JĂ©sus et le QR Code. Le personnage central conserve le visage de JĂ©sus. C'est probablement inadĂ©quat car sa reprĂ©sentation est trop puissante pour signifier quoi que ce soit d'autre. En mĂȘme temps, il tient en main un bitcoin de mĂ©tal, symbole maladroit et redondant puisque le Code QR placĂ© devant lui suffit. Il faut aussi noter que Judas n'est pas formellement identifiable, sauf peut-ĂȘtre par le caricatural haut-de-forme du grand capital.

premiĂšre esquisse de Youl


La réflexion s'affine sur une mise en couleur digitale, dont la palette est restreinte. L'étrange personnage central est Bitcoin anthropomorphisé, le symbole doré devient un simple bijou. Judas n'a toujours pas la main sur la bourse. Un Mac apparaßt, placé de l'autre cÎté de Jésus.


esquisse couleur

Puis une seconde esquisse est rĂ©alisĂ©e, oĂč Juddas est en position non plus de capitaliste mais de tricheur aux mains baladeuses. Le Code QR est mieux visible au mur mais il a disparu du centre de la toile, remplacĂ© par une assiette, vide, comme toutes les autres depuis la premiĂšre esquisse.

seconde esquisse


Enfin sur l'oeuvre finale, le Code QR est prĂ©sent deux fois (clĂ© privĂ©e, clĂ© publique?), sur le mur et au centre de la table. Relisons maintenant l'extrait du sermon d'Augustin: si c'est vous qui ĂȘtes le corps du Christ et ses membres, c'est le symbole de ce que vous ĂȘtes qui se trouve sur la table du Seigneur

La CĂšne de Youl

le voleurJudas touche la cagnotte et tend la main vers le Mac, placé de son cÎté. Sa figure s'éloigne de la caricature. Sa trahison est comprise par la grand-mÚre placée à sa gauche : elle vient de découvrir que le portefeuille est vide.Ici, c'est évidemment Mark Karpeles (Mt.Gox) qui figure Judas, celui par qui le scandale arrive.

Chaque personnage Ă©voque un aspect rĂ©el ou mythologique de la communautĂ©. Ainsi Ă  cotĂ© de Judas, avec des cheveux gris, Dorian Nakamoto le retraitĂ© harcelĂ© par la presse comme Ă©tant l'inventeur du bitcoin. Il a jurĂ© ne pas l'ĂȘtre; il figure ici Ă  la place de Pierre... L'apiculteur fait rĂ©fĂ©rence aux Bee Brothers, qui ont fait fortune en vendant leurs pots de miel en bitcoin au tout dĂ©but. Le personnage masquĂ© est un Anonymous, un pirate informatique dĂ©fendant la libre circulation des donnĂ©es, il porte un T-shirt au logo des The Pirate Bay, ces autres pirates informatiques qui font aussi partie Ă  leur façon de la communautĂ© bitcoin. Quelques autres figures aussi, que le lecteur essaiera d'identifier...

Il est difficile de trancher la question: comment est figuré ici Bitcoin? Est-ce le personnage central, inhumain et sans visage ? Est-ce le symbole métallique devenu simple médaille ? Est-ce le Code QR ? Est-ce la communauté, traßtre compris ?

Sans doute est-il temps ici de se demander ce que Youl a voulu faire. C'est un ami qui a fait dĂ©couvrir Ă  l'artiste le bitcoin, puis "Bitcoincito", le fondateur du Bitcoin Project. Voici comment Youl m'a racontĂ© leur rencontre : Nous avons longuement bavardĂ© et trouvĂ© de nombreuses idĂ©es avant de se dĂ©cider sur le "Last Supper" de LĂ©onard. Étonnamment la plupart de nos idĂ©es tournaient autour du Christ et de peintures anciennes, alors qu'aucun de nous deux n'est croyant. Le "Last supper" nous permettait de faire figurer une reprĂ©sentation du bitcoin mais surtour de sa communautĂ© Ă  travers les 12 apĂŽtres et leurs personnalitĂ©s et rĂŽles variĂ©s. C'est ce qui nous a paru intĂ©ressant.

De son cĂŽtĂ©, Bitcoincito prĂ©sente ainsi leur dĂ©marche commune : Avec Youl ce fut magique. Ce type a tellement de cƓur, et comme moi, il voulait vraiment aller au coeur de l'histoire du bitcoin. Quand nous avons commencĂ© Ă  jeter des idĂ©es sur la table, j'ai Ă©tĂ© frappĂ© de ce que tous deux nous Ă©tions tombĂ©s sur la mĂȘme idĂ©e de base: reprĂ©senter le bitcoin comme JĂ©sus. Nous considĂ©rions ici JĂ©sus comme une figure messianique qui a fondamentalement changĂ© le monde, et qui pour cela fut Ă  la fois louĂ© et mĂ©prisĂ©. Il nous semblait que le bitcoin assumait un rĂŽle similaire, changer le monde avec peine, en Ă©tant louĂ© par les uns et mĂ©prisĂ© par les autres.

Youl et Bitcoincito ne sont pas croyants, certes, mais ils sont de culture chrĂ©tienne, dans une version contemporaine marquĂ©e Ă  la fois par un accent mis plus fortement sur l'intensitĂ© de la dimension communautaire (la galerie de portraits) que sur la solennitĂ© de la liturgie et la perfection du rite de la communion (les assiettes vides). Dans la CĂšne de Vinci, c'est la dimension horizontale (traversĂ©e par la trahison, le reniement etc) qui a attirĂ© leur attention davantage que les dĂ©bats sur la prĂ©sence rĂ©elle qui n'appartient pas Ă  leur culture. Est-ce Ă  dire qu'elle est absente de la toile de Youl ? Ou qu'elle est sans intĂ©rĂȘt pour conceptualiser Bitcoin?

Que mon lecteur (courageux) me permette encore un retour en arriĂšre. CommencĂ©e sur le problĂšme trivial du trafic des indulgences par le pape, la RĂ©forme va changer la face de l'Europe, instituer de nouvelles Ă©glises, et provoquer avec le Concile de Trente (1545-1563) l'indispensable redĂ©finition de ses propres dogmes par l'Eglise de Rome. En ce qui concerne l'eucharistie, les positions sont tranchĂ©es, inconciliables, et pourtant toutes deux bien ancrĂ©es dans l'Ecriture qui fait autoritĂ©. On va voir que ce n'est pas sans intĂ©rĂȘt pour qui cherche Ă  reprĂ©senter ou Ă  se reprĂ©senter Bitcoin.

Paroles de la ConsĂ©cration des espĂšces À Rome on s'en tient Ă  la rĂ©alitĂ© de la prĂ©sence. JĂ©sus a dit ce que l'on rĂ©pĂšte en latin Ă  chaque messe, Hoc est enim corpus meus, ceci est mon corps. Et l'hostie devient rĂ©ellement le corps du Christ ex opere operato c'est Ă  dire du fait que le travail est fait. Si un prĂȘtre dĂ»ment ordonnĂ© par un Ă©vĂȘque hĂ©ritier d'une succession ininterrompue depuis les ApĂŽtres, prononce les paroles exactes en suivant le rite canonique, alors, et Ă  compter de ce moment, la transsubstantiation est rĂ©alisĂ©e et elle est irrĂ©versible. L'hostie peut ĂȘtre conservĂ©e, adorĂ©e comme telle, distribuĂ©e comme sacrement plus tard.

Pour Calvin, Ă  GenĂšve, la prĂ©sence est bien rĂ©elle. Mais c'est celle de JĂ©sus dans son Église (assemblĂ©e) Ă  qui il a fait cette promesse : Quand deux ou trois sont rĂ©unis en mon nom, je suis lĂ , au milieu d'eux (Mt 18,20) et Ă  qui il a ordonnĂ© "vous ferez ceci en mĂ©moire de moi". Le Corps du Christ n'est prĂ©sent dans le pain que d'une maniĂšre pneumatique (du grec Ï€ÎœÎ”áżŠÎŒÎ± le souffle, l'esprit) et seulement au cours de l'assemblĂ©e.

Voici, de part et d'autre, des concepts que l'on retrouve avec Bitcoin : la tradition de chaque opération se rattachant à toutes les opérations antérieures depuis l'origine, l'irréversibilité de la chose faite ex opere operato et donc indépendamment des circonstances, mais aussi la validation par la présence d'une communauté de gens qui acceptent cette opération comme l'instrument d'un rachat.

Dans la toile de Youl, Bitcoin est réellement présent par la magie du Code QR, qui n'emmÚnera pas le promeneur vers un quelconque site marchand comme sur une publicité affichée dans le métro, mais vers le site d'un don en bitcoin à la fondation. Ce qui lui permet d'entrer immédiatement dans la toile, c'est à dire... dans la communauté.
la poireNous terminerons sur deux questions concernant ce qui figure ou ne figure pas sur la table de la CĂšne.

La premiĂšre question a trait Ă  la disparition de la pomme. Sur le Mac, la pomme croquĂ©e par Blanche Neige et Allan Turing est remplacĂ©e par une poire. Youl m'a avouĂ© avoir fait la substitution en s'inspirant d'un gag (la pomme c'est Apple, la poire c'est vous) fameux chez les partisans de l'open source. Mais, puisque l'influence augustinienne a dĂ©jĂ  Ă©tĂ© mentionnĂ©e ici, on ne m'empĂȘchera pas de songer au pĂ©chĂ© commis par le jeune chenapan, quand il n'Ă©tait pas encore un vieux saint : le vol des poires (rapportĂ© dans ses Confessions, livre II, ch. 4).

Écoutons-le: ce n’est pas de l’objet convoitĂ© par mon larcin, mais du larcin mĂȘme et du pĂ©chĂ© que je voulais jouir. Dans le voisinage de nos vignes Ă©tait un poirier chargĂ© de fruits qui n’avaient aucun attrait de saveur ou de beautĂ©. Notre troupe de jeunes vauriens s'en alla secouer et dĂ©pouiller cet arbre, vers le milieu de la nuit, ayant prolongĂ© nos jeux jusqu’à cette heure, selon notre dĂ©testable habitude, et nous en rapportĂąmes de grandes charges, non pour nous en rĂ©galer, si mĂȘme nous y goĂ»tĂąmes, mais pour les jeter aux pourceaux : simple plaisir de faire ce qui Ă©tait dĂ©fendu. On ne peut s'empĂȘcher de songer que le jeune lettrĂ© d'Afrique du Nord, l'un des plus brillants esprits de son siĂšcle, aurait fait dans le nĂŽtre un excellent hacker.

NLa seconde question a trait à... la disparition chez Youl de tous les fruits comestibles, qui font l'objet pour la CÚne de Vinci d'identifications diverses et d'exégÚses infinies: pommes-grenades, figues, poires et enfin oranges, sur lesquelles je souhaite m'attarder.

L'oranger porte ses fruits en automne, reste vert toute l'annĂ©e et fleurit Ă  PĂąques. Il a donc toute sa place sur la table de la CĂšne. Mais il donne aussi son nom Ă  la couleur qui procĂšde de l’union entre l’or cĂ©leste et le rouge sang de la vie. Pour cela, il symbolise parfois la rĂ©vĂ©lation de l’amour divin Ă  l’ñme humaine. Il est aussi dans plusieurs civilisations le symbole de l’indissolubilitĂ© du mariage. Autant dire que la notion d'irrĂ©versibilitĂ© de la transaction pourrait se glisser dans ce symbole, qui offrirait aussi une mĂ©taphore de fonction asymĂ©trique, Ă  l'image de ce qui se passe au plus secret des algorithmes de la cryptologie, oĂč le message codĂ© par l'un peut ĂȘtre lu par l'autre mais sans livrer son secret.

logo orangeAlors? Maladresse de Youl, qui Ă©vacue de la table un symbole aussi appropriĂ© Ă  Bitcoin ? Peut-ĂȘtre... sauf Ă  dĂ©couvrir que tout l'orange qui a dĂ©sertĂ© la table a fui chez Youl vers le plafond et l'embrasure des fenĂȘtres, c'est Ă  dire vers le ciel, mais aussi vers le personnage de Bitcoincito, le commanditaire de la toile,situĂ© Ă  la place de Jean... le disciple que JĂ©sus aimait. Ce qui donne une vision derechef platonisante de Bitcoin, venant expliciter son logo orange oĂč le symbole est (presque...) orientĂ© vers le ciel... Revoyez le Platon de RaphaĂ«l : il est vĂȘtu d'orange...

La CĂšne de Youl
Finalement il ne sera probablement jamais possible de reprĂ©senter Bitcoin. Mais les Ă©lĂ©ments glanĂ©s ici offrent du moins certaines pistes pour se le reprĂ©senter. Gardons le mĂ©tal si l'on veut puisqu'il est mĂ©taphoriquement minĂ©. Cependant il ne sort pas de la terre ocre, mais de la puissance de calcul d'une communautĂ© consciente d'elle-mĂȘme, et de sa volontĂ© de s'affirmer. C'est un mĂ©tal dont la couleur orange mĂȘle l'Ă©clat de l'or au rouge de la vie.

Il y a, aprĂšs tout, des mĂ©taux de toutes sortes : le sodium est mou, le mercure est liquide, l'uranium est radioactif et d'autres mĂ©taux plus lourds que lui n'existent mĂȘme pas Ă  l'Ă©tat naturel ce qui explique entre autre leur prix incroyablement Ă©levĂ©. ReprĂ©sentons-nous le prĂ©cieux mĂ©tal orange, notre bitcoin, comme un mĂ©tal mental, dont le pĂŽle magnĂ©tique est dans le ciel de Platon, que l'on ne touche pas de la main, mais qui est rĂ©ellement prĂ©sent dans la pensĂ©e, non d'une personne isolĂ©e mais d'une communautĂ© dont il mesure et exprime la richesse.



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5 tokens qui pourraient défier la capitalisation boursiÚre de Solana en 2024

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Bitcoin en 2023 : Ordinals, BRC-20, frais et censure

By: Ludovic Lars —

L'année 2023 dans Bitcoin a été marquée par l'émergence et le succÚs des métaprotocoles Ordinals et BRC-20. Ce ne sont en effet pas les demandes d'ETF qui ont animé le plus les discussions au cours de cette année, mais la création et l'échange de jetons fongibles et non fongibles (NFT) par l'intermédiaire de ces standards. Cela s'explique par la vague spéculative ayant eu lieu à propos de ces jetons, et par l'encombrement de l'espace de bloc qu'elle a entraßné, menant à une hausse des frais de transaction considérable. Une certaine tension s'est installée et fait ressurgir des questions comme celle de l'utilisation légitime du protocole ou celle de la censure. C'est ce dont nous parlerons ici, en guise de rétrospective.

Ordinals, le protocole d'inscription et de transfert de NFT

Le protocole Ordinals a Ă©tĂ© conçu par Casey Rodarmor, dĂ©veloppeur reconnu dans la communautĂ© de Bitcoin. Ce protocole permet l'Ă©mission et le transfert de jetons non fongibles, aussi appelĂ©s NFT pour non-fungible tokens. La particularitĂ© de ces « artĂ©facts numĂ©riques » est que toutes leurs donnĂ©es sont inscrites sur la chaĂźne de blocs et qu'ils sont suivis et transfĂ©rĂ©s via une numĂ©rotation des satoshis par nombres ordinaux, d'oĂč le nom du protocole. CrĂ©er des NFT sur la chaĂźne de BTC Ă©tait dĂ©jĂ  possible depuis 2014 par le biais du mĂ©taprotocole Counterparty, mais le contenu liĂ© n'Ă©tait pas conservĂ© sur la chaĂźne.

Cette possibilitĂ© d'inscription, mĂȘme si elle existait antĂ©rieurement sous une forme plus indirecte, a Ă©tĂ© largement facilitĂ©e par la mise Ă  niveau Schnorr-Taproot qui s'est produite le 14 novembre 2021. En effet, les inscriptions Ordinals sont rĂ©alisĂ©es au sein d'un script de dĂ©verouillage placĂ© dans le tĂ©moin de la transaction et Ă©crit Ă  l'aide de Tapscript. Les inscriptions sont identifiĂ©es Ă  l'aide de la structure particuliĂšre du script et en particulier par l'indicateur ord.

Elles bĂ©nĂ©ficient du calcul des frais liĂ© Ă  SegWit qui pondĂšre les donnĂ©es du tĂ©moin de façon quatre fois moins importante que les autres donnĂ©es de la transaction. Cette caractĂ©ristique donne a cette mĂ©thode un avantage par rapport au schĂ©ma d'inscription de donnĂ©es NULLDATA, qui utilise l'opĂ©rateur OP_RETURN pour stocker des donnĂ©es dans des sorties « classiques » indĂ©pensables. De plus, le fait de passer par Tapscript permettent Ă  ces inscriptions de ne pas ĂȘtre limitĂ©es en taille par les restrictions des scripts classiques : celle des 3,6 ko standards, dont le respect est nĂ©cessaire Ă  la bonne diffusion de la transaction sur le rĂ©seau (rĂšgle de mempool), et celle des 10 ko obligatoires, qui doit ĂȘtre respectĂ©e pour l'inclusion dans un bloc (rĂšgle de consensus). La taille d'une inscription Ordinals est donc plafonnĂ©e uniquement par la taille limite des blocs.

Le protocole Ordinals a été lancé officiellement le 20 janvier 2023 (UTC). Il a provoqué immédiatement le débat, comme en témoigne l'article de Pourtreaux publié le 25. Le 2 février, une image de prÚs de 4 Mo a été incluse dans le bloc 774 628, suscitant l'émoi dans la communauté. Il s'agissait d'une image des « Taproot Wizards », détournement du mÚme de la Magic Internet Money contenant notamment les lunettes de soleil usuellement arborées par Udi Wertheimer, l'un des instigateurs de cette tendance. Le bloc était le plus gros bloc jamais miné sur BTC et l'est toujours aujourd'hui.

Ordinals a connu un succÚs fulgurant. Présenté comme une nouveauté, ce modÚle a tout de suite plu aux artistes et aux spéculateurs en tous genres. Son succÚs a été tel que le sujet a été abordé par la presse généraliste, particuliÚrement friande de ce genre de phénomÚne. Mais il a vite été remplacé par un protocole autrement plus viral : la norme BRC-20.

BRC-20 : des jetons fongibles basés sur les inscriptions Ordinals

Le succĂšs d'Ordinals a donnĂ© des idĂ©es aux gens. Ç'a Ă©tĂ© le cas du dĂ©veloppeur et analyste domo qui a dĂ©voilĂ© le standard BRC-20 le 9 mars 2023 (UTC). Les jetons BRC-20, appelĂ©s comme tels en rĂ©fĂ©rence Ă  la norme ERC-20 prĂ©sente sur Ethereum, sont des jetons fongibles, c'est-Ă -dire que chaque unitĂ© du jeton est interchangeable avec une autre.

Le principe du standard BRC-20 est d'inscrire des fichiers JSON sur la chaĂźne afin d'effectuer des opĂ©rations sur les unitĂ©s de compte. Trois fonctions existent : deploy, qui permet de crĂ©er un nouveau jeton sur le rĂ©seau, mint, qui permet de forger de nouvelles unitĂ©s, et transfer, qui permet de transfĂ©rer les unitĂ©s en notre possession. Chaque jeton a son sigle boursier, son plafond d'unitĂ©s en circulation et sa limite d'Ă©mission par transaction. À titre d'illustration, voici le fichier de dĂ©ploiement du jeton ordi (le premier jeton crĂ©Ă© par domo lui-mĂȘme et leader actuel du marchĂ© des BRC-20) inscrit le 8 mars dans le bloc 779 832 :

{ 
  "p": "brc-20",
  "op": "deploy",
  "tick": "ordi",
  "max": "21000000",
  "lim": "1000"
}

Là encore, les jetons fongibles sur Bitcoin ne forment pas quelque chose d'entiÚrement nouveau. En 2013-2014, on pouvait déjà émettre et utiliser des piÚces colorées, qui ont d'ailleurs eu leur petit succÚs à l'époque, à l'instar des Open Assets de Coinprism, des CoinSpark assets de Coin Sciences, et des Colored Coins de Colu. Les BRC-20 nous rappellent aussi les user currencies qu'il était possible de créer sur le protocole Mastercoin (aujourd'hui appelé Omni), dont faisait partie notamment le stablecoin Tether USD (émis initialement sous le nom de Realcoin en 2014).

L'avantage de la norme BRC-20 est qu'elle est trĂšs simple et qu'elle se fonde sur un protocole existant trĂšs Ă  la mode. Cependant, elle constitue aussi une piĂštre implĂ©mentation de jetons, non optimisĂ©e. Par exemple, les transferts nĂ©cessitent deux transactions : l'une pour autoriser le transfert par le biais d'un nouveau fichier JSON et l'autre pour effectuer le dĂ©placement des satoshis Ă  l'adresse souhaitĂ©e. Il est donc nĂ©cessaire de rĂ©Ă©crire Ă  chaque fois toutes les donnĂ©es liĂ©es au jeton (l'indicateur ord, le format du fichier, et le fichier lui-mĂȘme) sur la chaĂźne. De plus, des clients d'indexation doivent ĂȘtre dĂ©ployĂ©s pour suivre la distribution des jetons, ce qui est une charge non nĂ©gligeable.

DĂšs le dĂ©but, domo lui-mĂȘme expliquait dans un avertissement prĂ©cĂ©dant la description technique de son protocole :

« Il s'agit uniquement d'une norme expĂ©rimentale amusante dĂ©montrant qu'il est possible de crĂ©er des Ă©tats de solde en dehors de la chaĂźne Ă  l'aide d'inscriptions. Elle ne doit en aucun cas ĂȘtre considĂ©rĂ©e comme LA norme pour la fongibilitĂ© sur Bitcoin avec Ordinals, car je pense qu'il est trĂšs certainement possible de faire des meilleurs choix de conception et des optimisations. Par consĂ©quent, il s'agit d'une expĂ©rience extrĂȘmement Ă©volutive, et je dĂ©conseille fortement de prendre des dĂ©cisions financiĂšres Ă  partir de ce modĂšle. »

domo, brc-20 experiment, 10 mars 2023

La rĂ©elle particularitĂ© des BRC-20 est leur procĂ©dĂ© d'Ă©mission. En effet, les jetons sont forgĂ©s par des transactions Bitcoin, contenant l'inscription liĂ©e Ă  l'instruction mint. Une limite d'Ă©mission par transaction est dĂ©terminĂ©e dĂšs le dĂ©but (pour l'ordi il s'agit de 1000 unitĂ©s) ainsi qu'un plafond total (21 millions pour l'ordi). N'importe qui peut donc participer Ă  la crĂ©ation initiale des jetons. Une fois qu'ils ont tous Ă©tĂ© forgĂ©s, il n'est plus possible d'en crĂ©er de nouveaux, Ă  moins de modifier la norme BRC-20 elle-mĂȘme.

Cette particularitĂ© donne une certaine raretĂ© aux unitĂ©s et c'est ce qui semble plaire. À ma connaissance, aucun BRC-20 n'a de cas d'utilisation revendiquĂ©. Il s'agit essentiellement de memecoins servant de support Ă  la spĂ©culation.

L'envolée des frais de transaction

Comme on le sait, la taille des blocs de BTC est limitĂ©e par un paramĂštre appelĂ© la limite de poids. Le poids d'une transaction est dĂ©fini comme Ă©tant la moyenne pondĂ©rĂ©e de la taille des donnĂ©es de base et de la taille du tĂ©moin contenant les signatures, cette derniĂšre impactant quatre fois moins la mĂ©trique. Le poids d'un bloc est la somme du poids des transactions qu'il contient. Le total est limitĂ© Ă  4 millions d'unitĂ©s, ce qui correspond Ă  environ 1,8 Mo pour un bloc contenant des transactions « normales » et qui peut aller jusqu'Ă  4 Mo pour un bloc incluant des transactions « atypiques ». MĂȘme si cette limite est complexe Ă  apprĂ©hender, elle rend l'espace de bloc rare, ce qui peut soumettre les utilisateurs Ă  une rude concurrence pour la confirmation de leurs transactions et conduire Ă  une hausse significative des frais.

Le succĂšs des Ordinals, et a fortiori des BRC-20, a eu pour effet de remplir l'espace de bloc disponible. DĂšs fĂ©vrier, les inscriptions ont abreuvĂ© les mempools des nƓuds et ont commencĂ© Ă  prendre la place des transactions financiĂšres dans les blocs de la chaĂźne. Puis les jetons BRC-20 ont progressivement supplantĂ© les artĂ©facts numĂ©riques au sein des blocs, faisant monter les frais en flĂšche au dĂ©but du mois de mai.

Cette tendance s'explique par le fonctionnement particulier de ces jetons, décrit ci-dessus. Ces derniers sont forgés par les utilisateurs qui publient des transactions : quand leur prix monte sur le marché, il est rentable de publier de nouvelles transactions pour s'en procurer, ce qui mÚne in fine à un encombrement de l'espace de bloc.

Ainsi, c'est la spĂ©culation autour de ces jetons qui est responsable de la montĂ©e record des frais qui a suivi. Cette spĂ©culation a Ă©tĂ© nourrie par le dĂ©ploiement de places de marchĂ©. DĂšs avril, des services d'Ă©change ont commencĂ© Ă  Ă©merger, comme Ordswap OTC ou UniSat Marketplace. RelayX, un service de swap fonctionnant sur Bitcoin SV, s'est vite adaptĂ© pour prendre en charge les principaux BRC-20. Puis des plateformes de change reconnues sont rentrĂ©es dans la dance : Gate.io a commencer Ă  intĂ©grer les BRC-20 Ă  son offre avec l'ordi le 8 mai, BitMart l'a fait le 9 mai, OKX le 20 mai et KuCoin le 1er juin. À l'automne, aprĂšs quelques mois d'accalmie, la tendance est revenue. C'est alors que Binance a listĂ© l'ordi le 7 novembre 2023, ce qui a lancĂ© une nouvelle vague spĂ©culative. Le cours du jeton ordi est passĂ© de 0,10 $ en avril Ă  prĂšs de 20 $ en mai, puis est redescendu et est remontĂ© pour atteindre 75 $ le 26 dĂ©cembre.

Les frais de transaction sont montés en conséquence. Ils ont connu un premier pic en mai, mois durant lequel les frais médians ont pu atteindre 20 $ par transaction au maximum. Puis une nouvelle hausse à eu lieu durant l'automne, bien plus importante et durable que la précédente, et les frais médians ont ainsi effleuré les 25 $ le 16 décembre !

Évolution des frais mĂ©dias sur BTC en 2023 (cliquer pour agrandir). Source : BitInfoCharts.

Ces épisodes de hausse de frais ont posé des problÚmes fondamentaux, non pas en raison de leur niveau mais de leur volatilité. AprÚs tout, les frais médians gravitaient autour des 50 centimes pendant toute l'année, et personne ne s'attendait à ce qu'ils descendent. C'est leur variation brutale qui vient perturber le bon fonctionnement du systÚme : du jour au lendemain, certains cas d'usage sont anéantis et certaines piÚces (UTXO) deviennent « indépensables ».

Ces périodes de congestion du réseau ont également montré les limites des solutions de seconde couche ayant pour but de résoudre le problÚme du passage à l'échelle. En effet, les hausses des frais ont perturbé l'usage du réseau Lightning, en décuplant parfois le coût d'ouverture et de fermeture des canaux. Les soldes trop petits et les canaux à la capacité trop faible perdaient leur caractéristique de minimisation de la confiance, ceux-ci étant à la merci d'une fermeture non coopérative par un tiers.

La tentation de la censure

Le succĂšs des NFT Ordinals et des jetons BRC-20 a dĂ©clenchĂ© un fort rejet, qui a Ă©tĂ© exprimĂ© sous sa forme la plus extrĂȘme par le dĂ©veloppeur luke-jr, contributeur de longue date Ă  Bitcoin Core et mainteneur de l'implĂ©mentation alternative Bitcoin Knots. En effet, en limitant l'espace de blocs et en faisant augmenter les frais, ces Ă©pisodes ont rĂ©duit l'utilitĂ© de Bitcoin en tant que monnaie, ce qui n'a pas manquĂ© d'attiser les tensions. En raison de leur caractĂšre principalement spĂ©culatif, ces jetons ont Ă©tĂ© qualifiĂ©s de « spam », de « dĂ©ni de service » ou d'« attaque ». La possibilitĂ© d'inscription a Ă©tĂ© elle appelĂ©e un « bug » et une « vulnĂ©rabilitĂ© ».

Ce rejet a fait naĂźtre la tentation de procĂ©der Ă  des actions concrĂštes pour limiter voire supprimer cette activitĂ© jugĂ©e indĂ©sirable. Ces actions prĂ©conisĂ©es ont Ă©tĂ© communĂ©ment appelĂ©es de la censure, mĂȘme si chacune d'entre elles s'appliquait Ă  un niveau diffĂ©rent.

La premiĂšre action proposĂ©e Ă©tait le non-relai des transactions contenant des inscriptions Ordinals dans les mempools des nƓuds. Cette proposition s'est matĂ©rialisĂ©e par un « correctif » appelĂ© Ordirespector, publiĂ© par luke-jr le 1er fĂ©vrier pour Bitcoin Core et adaptĂ© pour Umbrel et Citadel deux semaines plus tard. NĂ©anmoins, la mesure s'arrĂȘtait au relai de ces transactions : il s'agissait d'une rĂšgle de gestion pratique, un filtrage au niveau de la mempool du nƓud, et les blocs contenant des inscriptions Ordinals continuaient Ă  ĂȘtre acceptĂ©s. Une utilisation gĂ©nĂ©ralisĂ©e de ce « correctif » aurait permis de gĂȘner la diffusion des inscriptions jusqu'aux mineurs, sans pour autant l'empĂȘcher totalement : on peut parfaitement imaginer que les mineurs, ayant intĂ©rĂȘt Ă  miner ces transactions en raison de leurs frais, auraient pu mettre en place un nƓud public spĂ©cial pour les recevoir.

La deuxiĂšme action prĂ©conisĂ©e et appliquĂ©e a Ă©tĂ© le dĂ©ploiement de ce rejet au sein d'une coopĂ©rative miniĂšre, menant Ă  la production de blocs ne contenant pas d'inscription Ordinals. Le dĂ©ploiement a Ă©tĂ© rĂ©alisĂ© au sein de la coopĂ©rative Ocean, lancĂ©e le 28 novembre 2023 par luke-jr et Jack Dorsey (ancien PDG de Twitter), qui se voulait ĂȘtre l'hĂ©ritiĂšre de l'ancienne coopĂ©rative Eligius, gĂ©rĂ©e par le mĂȘme luke-jr entre 2011 et 2017. Ocean se basait initialement sur Bitcoin Knots, qui rejetait les inscriptions Ordinals : cela fait que les quelques blocs qu'elle a produit en 2023 ne contenaient pas ces inscriptions mais uniquement des « transactions financiĂšres rĂ©elles » (ce qui impliquait tout de mĂȘme les transferts de NFT). De plus, l'implĂ©mentation limitait aussi les sorties NULLDATA Ă  40 octets de donnĂ©es utiles, de sorte qu'elle ignorait aussi d'autres transactions comme les transactions de rĂ©partition (« tx0 ») du service de mĂ©lange Whirlpool de Samourai Wallet. Il s'agit ici d'une censure passive, qui consiste Ă  confirmer des transactions selon une logique non strictement Ă©conomique. Depuis le 21 dĂ©cembre cependant, Ocean est revenu sur cette mesure et les hacheurs de la coopĂ©rative peuvent dĂ©sormais choisir la politique qu'ils appliquent Ă  leurs blocs entre trois possibilitĂ©s (Knots, Core + Ordisrespector, Core par dĂ©faut).

Enfin, la troisiĂšme proposition d'action a Ă©tĂ© celle de procĂ©der Ă  un soft fork pour remĂ©dier au problĂšme d'Ordinals, partiellement ou totalement. Ce soft fork aurait Ă©tĂ© appliquĂ© par les mineurs (vraisemblablement) suite Ă  la demande d'une partie de l'Ă©conomie. Il s'agissait ni plus ni moins de rĂ©aliser une censure active des transactions contenant des inscriptions, en invalidant les blocs incluant de telles transactions. Ce soft fork aurait pu conduire Ă  une scission dans le cas oĂč il n'aurait pas Ă©tĂ© appliquĂ© par la puissance de calcul majoritaire.

Heureusement, un tel soft fork n'a pas eu lieu et il est peu probable qu'on en arrive lĂ . Cependant, si cette solution peut paraĂźtre drastique et contraire aux principes de Bitcoin, elle n'est pas impossible et il est toujours enrichissant de voir comment elle peut Ă©merger, y compris au sein de la communautĂ© de Bitcoin elle-mĂȘme. Les gens trouvent toujours des raisons pour vouloir censurer l'autre. À titre d'illustration, en janvier 2012, luke-jr avait rĂ©alisĂ© une attaque de censure complĂšte avec sa coopĂ©rative Eligius contre le systĂšme Coiledcoin, qui Ă©tait minĂ© en combinaison avec Bitcoin ; il n'est pas exclus qu'il recommence un jour si le besoin s'en fait ressentir.

Désapprouver et décourager, mais ne pas rejeter

Les protocoles Ordinals et BRC-20 ont donc marqué l'année 2023. Ils ont fait augmenter les frais de maniÚre drastique et fait surgir des discussions qui ne manqueront pas de réapparaßtre dans les années à venir. La censure a probablement été le sujet central, celle-ci trouvant des partisans plus ou moins zélés au sein de la communauté.

Rappelons que l'essence de Bitcoin est la rĂ©sistance Ă  la censure. Se proposer de juger quelles transactions sont lĂ©gitimes ou pas en commençant Ă  appliquer des mesures, c'est s'engager sur une pente savonneuse. MĂȘme si l'entrave de la diffusion sur le rĂ©seau et le filtrage des transactions au sein des blocs ne forment un problĂšme grave, ces actions prĂ©parent le terrain pour une forme de censure autrement plus menaçante : la censure active imposĂ©e par le rĂ©gulateur financier aux diffĂ©rentes coopĂ©ratives conformistes.

Cela Ă©tant dit, ne pas prĂŽner la censure des inscriptions ne veut pas dire qu'elles ne doivent pas ĂȘtre critiquĂ©es. Les jetons BRC-20 par exemple sont des objets spĂ©culatifs illustrant la dĂ©gĂ©nĂ©rescence du monde de la cryptomonnaie, dĂ©gĂ©nĂ©rescence qui a pour effet de perturber l'adoption durable et pĂ©renne des commerçants. Ne pas les empĂȘcher ne signifie pas les approuver : tout ce qu'un bitcoineur peut faire (si tant est qu'il doive faire quelque chose), c'est dĂ©courager cette tendance, en l'ignorant en premier lieu, puis en expliquant calmement Ă  quel point elle est superficielle et sans fondement, et qu'elle a vocation Ă  tomber dans l'oubli comme tous les autres engouements futiles avant elle. Bitcoin, de son cĂŽtĂ©, survivra.

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Bitcoin : PlanB révÚle deux modÚles de prévision incontournables

By: Ariela R. —
Analyse Bitcoin

Découvrez dans cet article deux modÚles qui permettent de prévoir et de détecter les tendances de prix du Bitcoin selon Plan B.

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Pourquoi les baleines Solana comparent-elles ce token Ă  0,08 $ au SOL ? Atteindra-t-il 21 $ en 2024 ?

By: La RĂ©daction C. —
Une baleine crypto

Dans le domaine de l'investissement en cryptomonnaies, de nouveaux projets émergent avec des promesses d'innovation et de croissance. Un token en particulier a attiré l'attention des baleines Solana : Retik Finance. Avec un prix modeste de 0,08 $, Retik Finance a suscité des comparaisons avec Sol (SOL), la formidable blockchain qui a connu une ascension fulgurante ces derniers temps. Cet examen minutieux n'est pas infondé, car Retik Finance a montré des utilités uniques et un potentiel important, conduisant à des projections pour atteindre 21 $ d'ici 2024. Dans cet article, nous examinons les facteurs qui ont incité les baleines de Solana à établir des parallÚles entre Retik Finance et SOL.

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Crypto XRP : Les banques américaines embarquées dans un tourbillon inédit !

By: Mikaia A. —
Un tourbillon se préparant à entrer dans une grande ville, logo du XRP

Les banques US s'immergent dans la magie du XRP de Ripple, accélérant les paiements internationaux pour un avenir financier enchanteur.

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143 - Préfaces (réflexions masquées et à peine philosophiques)

By: Jacques Favier —

Je poursuis ce que j'ai écrit sur l'aventure de la Préface à l'Acéphale par quelques réflexions sur le sens que les bitcoineurs pourraient attribuer à cette pratique parfois mondaine, au-delà de ce que Frédéric Lordon dénonçait non sans raison comme  une pratique sociale tout à fait hétérogÚne à la logique de la chose intellectuelle.

Et d'abord, pour ceux qui n'ont point fait de latin, dissipons un possible malentendu. La pré-face n'est point ce que l'on mettrait devant sa face, du bas latin facia (« portrait »).

Trouver un prĂ©facier n'est donc pas une pratique qui consisterait Ă  cacher son vrai visage derriĂšre un masque (celui dessinĂ© par David Lloyd et dont tout le monde se sert sans licence) – ce qui serait dĂ©licieusement bitcoinesque – ni mĂȘme Ă  cacher l'anonymat relatif de qui n'est pas encore auteur derriĂšre un visage plus cĂ©lĂšbre – ce qui pourrait bien relever de cette vanitĂ© sociale qu'un intellectuel exigeant comme Lordon dĂ©nonce Ă  bon droit.

Le mot prĂ©face vient du latin praefatio et dĂ©signe l'action de parler d'abord ou en premier, et ce qui se dit ainsi. Le mot dĂ©rive du verbe praefor dans lequel on retrouve la racine qui donne aussi bien la fonction phatique du langage que le forum oĂč s'Ă©nonce la parole.

Plus de masque donc ? Pas si sûr.

Parce, que, dans le thĂ©Ăątre antique, le masque Ă©tait tout sauf un accessoire neutre ou stĂ©rĂ©otypĂ©. Il en existait une trĂšs grande variĂ©tĂ©, selon le rĂŽle, les circonstances, ce que l'on voulait faire du personnage ou en laisser paraĂźtre. Pourrait-on dire que l'acteur choisissait son masque comme l'auteur choisit aujourd'hui son prĂ©facier ? Peut-ĂȘtre. D'ailleurs certains masques (souvent pour rire, il est vrai) reproduisaient les traits de personnalitĂ©s bien connues.

Un autre fait est plus douteux : ces masques – dont Aristote qu'il faut Ă  tout prix citer pour paraĂźtre sĂ©rieux avouait ignorer l'origine – auraient selon certains auteurs anciens modifiĂ© la voix, la rendant plus grave, voire auraient servi de porte-voix. Aucune expĂ©rience moderne n'a pu confirmer cette idĂ©e, qui repose peut-ĂȘtre sur une (autre) fausse Ă©tymologie, qui ferait dĂ©river le nom latin du masque (personna) de personare qui signifiait  retentir . La voix du prĂ©facier, donc, et pas seulement son nom (inscrit sur la couverture) porterait le message du livre, le rendant plus grave, plus puissant.

Pour un bitcoineur, va-t-on dire, tout ceci est absurde. Satoshi n'a pas eu besoin de préfacier et il m'est arrivé de songer que, quitte à sacrifier à des usages de lettrés (celui de la préface a ses historiens et ses anthologies : écoutez cette savoureuse chronique) sans doute conviendrait-il plutÎt que nous fassions débuter nos livres par une Dédicace à l'égard du grand anonyme.

Il n'y aurait aucune flagornerie à cela et pour ma part, modeste historien du Bitcoin, je me verrais bien comme l'illustre Froissart faisant hommage de ses Chroniques au roi d'Angleterre (oui, parce que né à Valenciennes, l'homme était du Hainaut, comme Philippine, la bonne reine qui fit gracier les bourgeois de Calais ; mais ceci est une autre histoire, juste un clin d'oeil à mon ami belge André) et donc genou à terre devant Satoshi (qui pour le coup pourrait rester masqué). Mais mon ami suisse Lionel va encore dire que je suis monarchiste au moins de coeur.

Revenons Ă  Bitcoin : il y a tout de mĂȘme un mot Ă  considĂ©rer, celui de validation. Si CNRS Éditions nous avait demandĂ© une prĂ©face, c'est Ă  dire un prĂ©facier, ce ne pouvait ĂȘtre que pour cela. Non pas l'obligation d'obtenir le Nihil obstat de quelque censeur (car les Ă©conomistes sont de modernes ecclĂ©siastiques) chargĂ© de vĂ©rifier la conformitĂ© de notre ouvrage au dogme, mais de trouver un penseur quelqu'il soit mais qui accepte de risquer sa propre rĂ©putation en nous donnant une sorte d'Imprimatur. Cette validation-lĂ  pouvait ĂȘtre donnĂ©e par l'Ă©vĂȘque mais aussi par un universitaire ; elle n'indiquait pas que le signataire fĂ»t en accord avec le contenu, ni que celui-ci fĂ»t exact ou mĂȘme impartial.

Alors, dira-t-on, et pour rester conséquent : chez nous la validation est distribuée. En regard, ce que je décris est plutÎt du genre PoA. Certes !

Il y a une grande question, qui a fait l'objet le 18 octobre dernier, d'un live sur Radio Chad. Le titre de l'émission était  la décentralisation nous rend-elle plus intelligents ?  Je cite les mots de l'animateur, Anthony :  Nous les crypto bros, évoluons dans un environnement qui nous demande d'agir de maniÚre responsable. Et pourtant, nous n'avons pas l'air beaucoup plus aguerris que les normies lorsqu'il s'agit de produire ou traiter de l'information. Quels avantages nous procurent notre sensibilisation aux réseaux décentralisés ? Quels inconvénients ? Sommes-nous suffisamment équipés face à la désinformation ?. J'y renvoie (c'est ici, notamment à partir de la 11Úme minute).

Ma rĂ©ponse Ă©tait qu'en matiĂšre de circulation de la chose intellectuelle, l'optimum Ă©tait sans doute ni la dĂ©centralisation (le dĂ©sordre de X) ni la centralisation (la langue de bois de toutes les Pravda) mais la distribution. La circulation de l'information, de la rĂ©flexion, de l'opinion, comme l'Ă©change de la parole doivent se faire avec un mix d'accĂšs de tous, de visas par un certain nombre de validateurs (pas forcĂ©ment des institutions : cela peut ĂȘtre sur une base rĂ©putationnelle) mais aussi de normes : de nous-mĂȘmes nous devons accepter que toute parole n'est pas, du seul fait qu'elle a Ă©tĂ© Ă©noncĂ©e, forcĂ©ment vraie, respectable, exacte, informĂ©e, performative. Chacun de nous doit rĂ©flĂ©chir Ă  ce qui norme un discours.

MalgrĂ© ou Ă  cause d'Internet, le forum de l'information dĂ©centralisĂ©e en temps rĂ©el et 7/7 (oĂč les acteurs centralisĂ©s ou officiels sont massivement prĂ©sents, on ne le dira jamais assez) ce sont concrĂštement : de fausses nouvelles (produites pour une trĂšs bonne part par les gouvernements) et de fausses images, de fausses agences et de faux think tank, de fausses Ă©coles et de fausses acadĂ©mies, de faux experts et de vrais voleurs (clin d'oeil Ă  mon ami Émilien).

Dans ces conditions, qu'une entreprise qui publie un auteur (surtout inconnu) demande la caution d'un universitaire ne me parait pas aussi  hĂ©tĂ©rogĂšne Ă  la logique de la chose intellectuelle  que le pensait Lordon. Qu'un docteur en philosophie, professeur d'UniversitĂ©, comme Jean-Joseph Goux mette son nom sur la couverture de l'AcĂ©phale, qu'un savant reconnu par Satoshi lui-mĂȘme comme Jean-Jacques Quisquater mette le sien sur un livre suivant m'a semblĂ© honorable pour moi et intĂ©ressant pour mon lecteur.

Inversement, mettre mon propre nom comme préfacier sur un livre, qu'il ait été écrit par un ami comme Alexis Roussel ou par quelqu'un que je n'avais pas encore rencontré in the real life comme son co-auteur Grégoire Barbey ou plus récemment par Ludovic Lars, représente à mes yeux un redoutable honneur.

Inutile de dire que, quoique conscient du grand respect que ces personnes suscitaient dans la communauté, j'ai lu leurs manuscrits ligne par ligne et le sourcil froncé : exactement ce que ne semblent pas faire tous les people signataires de tribunes et de contre-tribunes, ou des intellectuels diva comme Nassim Taleb retirant sa préface à Saifedean Ammous aprÚs avoir changé d'avis comme le vent change de sens. La signature du préfacier n'est pas le poinçon légal attestant que vous avez entre les mains du métal fin : c'est plutÎt à mes yeux un poinçon de maßtre. Il en est de meilleurs que d'autres, comme pour les auteurs.

Un dernier mot, tout personnel, sur ma façon de concevoir une préface quand j'ai achevé la lecture du manuscrit.

Je dirais qu'elle est harmonique. Si le livre ne m'évoquait rien, mieux vaudrait le dire gentiment à l'auteur. S'il fait résonner quelque chose en moi, n'est-ce pas dans cette résonance qu'il faut que j'aille chercher de quoi apporter les quelques lignes qu'il attend de moi ? En me les demandant à moi, Alexis ou Ludovic savaient qui j'étais : un homme qui vit un pied dans le passé et un autre dans le présent, les yeux dans tous les sens. J'ai donc évoqué Rousseau et Spinoza, Neufchùtel et Amsterdam aprÚs avoir lu Notre si précieuse intégrité numérique, d'Alembert et l'esprit élégant du Paris des LumiÚres aprÚs avoir lu L'élégance de Bitcoin.

C'est aussi une maniÚre de garder à l'esprit l'antique métaphore attribuée à Bernard de Chartres, utilisée par Guillaume de Conche puis par des savants précurseurs comme Isaac Newton et Blaise Pascal, puis par la NASA pour donner son nom à la mission Apollo 17, la derniÚre à emmener des hommes sur la lune au 20Úme siÚcle et enfin par Google Scholar au nÎtre.

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142 - Préfaces (quelques échanges avec des philosophes)

By: Jacques Favier —

Lors d'un rĂ©cent live consacrĂ© Ă  mon ami et co-auteur Adli Takkal Bataille, ont ressurgi, sur la chaĂźne du Faune, quelques questions classiques (comment nous nous sommes rencontrĂ©s, pourquoi nous obstinons-nous Ă  nous voussoyer, comment avons-nous trouvĂ©, si tĂŽt, un Ă©diteur prĂȘt Ă  mettre un gros ₿ sur une couverture ?) et une plus rare : pourquoi avons-nous fait prĂ©cĂ©der le texte de l'AcĂ©phale d'une prĂ©face ?

Dans le cours mĂȘme de l'Ă©mission, j'ai pu retrouver et lire en direct une correspondance Ă©changĂ©e avec FrĂ©dĂ©ric Lordon, oĂč celui-ci s'excusait fort courtoisement de n'avoir pas le temps d'Ă©crire la chose, mais en soulignait aussi l'inutilitĂ© Ă  ses yeux.

C'est là une pratique sociale tout à fait hétérogÚne à la logique de la chose intellectuelle, laquelle, totalement autosuffisante, n'a besoin d'aucun rehaussement préfacier 

Il se trouve que je partageais pour une bonne part son argumentation. Mais je dois avouer que (non binaire Ă  ma façon) je comprenais aussi la requĂȘte de notre Ă©diteur.

Il m'a semblĂ© que, quelques annĂ©es plus tard, et comme en avant-propos Ă  la nouvelle annĂ©e, je pourrais tenter de retracer l'historique de mes Ă©changes avec les uns et les autres jusqu'Ă  notre rencontre avec Jean-Joseph Goux, qui accepta avec simplicitĂ© et gentillesse de nous prĂ©facer. Je reviendrai dans un prochain billet sur le sens que, finalement, j'accorde Ă  cette  pratique sociale  Ă  laquelle j'ai moi-mĂȘme sacrifiĂ© dans les deux sens.

La prestigieuse maison CNRS Éditions Ă  qui nous avions proposĂ© le projet en dĂ©cembre 2015 avait Ă©tĂ© formelle : oui Ă  Bitcoin sur la couverture (alors mĂȘme que les Ă©diteurs cette annĂ©e-lĂ  n'entendaient publier que sur la blockchain) et mĂȘme oui Ă  la monnaie acĂ©phale (excellent suggestion d'Adli). Mais Ă  la condition que nous nous trouvions un prĂ©facier.

DĂšs lors, il s'agissait moins pour moi de discuter ou d'analyser la pertinence de la requĂȘte que de m'exĂ©cuter. L'accord s'Ă©tait vite fait avec Adli sur le fait qu'il revenait au grey hair de mener les dĂ©marches ; de mĂȘme nous Ă©tions convenus qu'il Ă©tait impossible de solliciter un banquier ou un Ă©conomiste et qu'il aurait Ă©tĂ© peu pertinent de demander cela Ă  un ami historien. Restaient les philosophes, qui semblent conçus pour prĂ©facer Ă©lĂ©gamment les ouvrages en quĂȘte de respectabilitĂ©.

Deux Ă©vĂ©nements avaient nourri mon carnet d'adresses de gens que je pouvais dĂ©marcher : la Nuit Sciences et Lettres Ă  l'École normale supĂ©rieure (le 3 juin 2016: voir ici pour le rĂ©cit et l'enregistrement hĂ©roĂŻque de cette confĂ©rence fort bien accueillie pour le reste) et la confĂ©rence Bitcoin Pluribus Impar tenue dans le mĂȘme lieu presque un an plus tard.

Autant le premier Ă©vĂ©nement, organisĂ© par l'École, avait Ă©tĂ© assez simple Ă  concevoir pour moi, dans le dĂ©lai imparti de deux mois environ, autant le second, dont le Cercle du Coin devait ĂȘtre maĂźtre d'Ɠuvre, s'avĂ©ra complexe et me tint sur le pont plus d'un an.

Mais compte-tenu de l'ambition qui était la nÎtre, celle de proposer des regards croisés, j'avais pu contacter et échanger avec des nombreuses pointures, philosophes compris.

DĂšs avril 2016 je tentais ma chance auprĂšs de Michel Serres, Ă  qui j'adressais une belle lettre dactylographiĂ©e. Il y rĂ©pondit quelques jours plus tard par ces mots touchants  Cher camarade, merci beaucoup de votre lettre et bravo pour votre projet. Merci aussi de votre demande. Malheureusement, mon grand Ăąge et mon Ă©tat de santĂ© m’interdisent d’ajouter une obligation Ă  un emploi du temps dĂ©jĂ  impossible Ă  tenir. Je suis au bout du rouleau !! AmitiĂ©s Michel Serres .

Les semaines puis les mois suivants, nous donnĂšrent, Ă  Adli et moi, plusieurs occasions d'entendre Ă  la radio ou de voir sur les Ă©crans notre grand malade, qui se portait assez bien. C'Ă©tait devenu un running gag entre nous que de nous signaler ses Ă©piphanies. Et Ă  ce jeu Adli dĂ©crocha au bout d'un an le pompon en dĂ©couvrant en premier l'Express 3431 du 5 avril 2017. Entre temps une Ăąme charitable m'avait indiquĂ© le type de fortifiant dont le maĂźtre aurait eu besoin pour satisfaire Ă  ma supplique (et mĂȘme la posologie). Nous ne pouvions pas suivre. Je le croisai finalement Ă  Blois, six mois plus tard. Il semblait un peu fatiguĂ© Ă  l'arrivĂ©e, mais capable de tenir une heure de confĂ©rence que je sĂ©chai pour faire le tour des libraires prĂ©sents avant de participer Ă  la table ronde rĂ©unie sur un sujet bien mal libellĂ© : du bitcoin Ă  la blockchain : peut-on avoir confiance dans une monnaie virtuelle ?.

Avant mĂȘme l'Ă©mouvant dĂ©faussement du pĂšre de Petite Poucette, j'avais contactĂ© FrĂ©dĂ©ric Lordon, avec un argumentaire ajustĂ©. J'avais en effet assistĂ© en septembre 2015 Ă  la prĂ©sentation de son Imperium Ă  la Librairie de Paris oĂč sa prĂ©sence avait rassemblĂ© une vĂ©ritable foule et cela m'avait donnĂ© quelques accroches.

Il me répondit négativement mais avec beaucoup de gentillesse et d'élégance. C'est cette réponse que j'ai rapidement lue durant le live déjà mentionné. Je l'attache ici in extenso :

Comme je l'ai dit, je partageais sa rĂ©serve. Sur le fonds, ce qui est bien plus intĂ©ressant, sa franchise me plut. Nous Ă©changeĂąmes un peu, sans invectives et je conclus cela en m'abritant derriĂšre Karl Marx, qui s’enthousiasmait pour le dĂ©veloppement des chemins de fer sans que cela vaille approbation de l’enrichissement des Rothschild.

L'échange avec Paul Jorion, en août 2016, fut bien moins plaisant. Ce n'était pas un philosophe, mais cet anthropologue, expert financier, essayiste, avait annoncé dÚs 2005 la crise financiÚre mondiale à venir, ce qui lui avait assuré une certaine notoriété en 2008. Et puis nous avions des connaissances communes, je suivais son blog, je savais ses doutes sur Bitcoin mais je pensais qu'une préface intelligemment critique était une option sensée et je me voyais conduit à élargir le cercle des proies possibles. Mal m'en prit !

Il me répondit du tac au tac : Merci de m'avoir contacté. Comme vous le savez sans doute, je suis violemment opposé au Bitcoin et à la blockchain dont je considÚre qu'ils font partie d'un projet libertarien d'enracinement irréversible de l'ordre inégalitaire présent. En participant à un colloque patronné par un organisme favorable à ces deux choses, je contribuerais à leur donner une certaine légitimité, ce que je refuse absolument.

Les procédés récemment employés par D. Cayla ou N. Hadjadji n'ont rien présenté de follement nouveau à mes yeux !

Je tentai d'argumenter :  L’affirmation selon laquelle le bitcoin participe d’un projet d’enracinement de l’ordre inĂ©galitaire mĂ©riterait selon moi d’ĂȘtre nuancĂ©e. Sauf Ă  verser dans les utopies sans monnaie, ou les expĂ©riences de papier (c’est le cas de le dire) de monnaies locales, fondantes etc. lesquelles n’ont jamais eu de succĂšs que dans les journaux (et encore, en aoĂ»t) toute monnaie est inĂ©galitaire. L’amusant, avec le bitcoin, est qu’il s’agit d’une autre inĂ©galitĂ©. L’aventure a fait apparaĂźtre une richesse nouvelle. Si le bitcoin vaut un jour 10 ou 100.000 euros, des jeunes que je connais pourront enfin se payer l’appartement que j’avais acquis Ă  leur Ăąge, moyennant une dette de 7 ans de mon salaire, et qui vaudrait aujourd’hui 30 ans du salaire qu’on ne leur offrira sans doute pas. 

Ceci ne me valut qu'un nouveau dĂ©boire :  Merci pour vos explications. J'ajouterai celle oĂč vous prĂ©sentez le Bitcoin comme une dĂ©merde individuelle permettant Ă  quelques chanceux de s'acheter un appartement Ă  ma liste Ă  charge.  Je ne cherchais pas Ă  aller plus loin. Je suis toujours le blog de ce sympathique boomer (de 11 ans mon aĂźnĂ©, la photo a bien plus de 10 ans).

Aux derniÚres nouvelles il ne réside pas dans un habitat participatif éco-construit ou dans une banlieue prolétaire mais dans une maison individuelle à la lisiÚre de l'une des villes les plus agréables de France, vue campagne, 3 kilomÚtres to the beach. Pas de quoi figurer dans le classement Forbes, mais selon l'appli DVF, grosso modo la valeur des appartements parisiens dont je parlais.

AprĂšs cela, l'Ă©change avec Bernard Stiegler me parut badin. Il me rĂ©pondit lui aussi nĂ©gativement en avril 2017 :  La premiĂšre raison est que je suis surchargĂ© de travail et n’ai pas une minute Ă  moi avant bien longtemps, l’autre est que mon point de vue sur le bitcoin n’est pas suffisamment Ă©tayĂ©, et j’essaie de ne jamais prendre une position Ă  la lĂ©gĂšre - ce qui est plus facile Ă  dire qu’à faire. Or Ă©crire une prĂ©face est prendre une position. La question de la monnaie est par elle-mĂȘme d’une extrĂȘme complexitĂ©, et l’avĂšnement du bitcoin s’inscrit dans cette complexitĂ© et y ajoute de nouveaux Ă©lĂ©ments, mais il faut avoir une idĂ©e claire de ce qu’est la monnaie pour parler sĂ©rieusement du bitcoin. En outre la question de la block chain qui se tient en amont de cela doit ĂȘtre traitĂ©e d’abord pour elle–mĂȘme. Avec toutes mes excuses, et bien cordialement. 

Bref, son point de vue était déjà assez étayé pour mettre la blockchain en amont, métaphore hydraulique dont je n'aurai jamais le fin mot.

Le philosophe dépressif nous quitta en août 2000, un an aprÚs Michel Serres, mais avec 20 ans de moins que l'immortel, lequel fut le seul de mes réfractaires dont j'aie forcé la main. Il me devait une préface et pour Objective Thune nous partßmes de ses écrits tintinesques pour nous parer de quelques phrases qui, dans le cadre du droit de citation et avec un hommage appuyé, ne nous auront rien coûté. Philippe Ratte inventa avec esprit le mot posthune.

Il est temps de parler de Jean-Joseph Goux

Je commençais à désespérer des philosophes quand sa piste me fut suggérée sans le savoir par un ami professeur de lettres classiques qui se trouvait occupé à écrire un manuel de classes Terminales pour l'année suivante. Le programme portait sur Les Faux Monnayeurs de Gide et mon camarade eut la bonne idée de me signaler Les monnayeurs du langage (Galilée, 1984) dans lequel, m'écrivait-il,  l'auteur analyse la place centrale de cette sombre histoire de monnaie, en bref l'abandon de la monnaie or comme paradigme de la remise en cause des valeurs par abandon du référent réel...

Le temps de me procurer le livre (fort mal distribuĂ©) chez l'Ă©diteur, derriĂšre la MosquĂ©e de Paris, d'en achever trĂšs vite la lecture, de commander aussi ceux que je lirais plus tard et je sus que ce philosophe, moins connu en France qu'aux États-Unis notamment pour son apport au post-structuralisme, promoteur du courant economic criticism qui y a eu un grand dĂ©veloppement, Ă©tait celui qui nous convenait. Ne pensais-je pas, comme lui, que la monnaie est parole, mais que cette parole doit valoir de l'or ?

Je lui Ă©crivis Ă  la Rice University de Houston, oĂč il enseignait encore rĂ©cemment, en ne lui parlant d'abord que du colloque rue d'Ulm, a priori un meilleur appĂąt que l'obligation d'Ă©crire une prĂ©face. Il rĂ©pondit au bout de quelques jours :

Je vous remercie de votre message et de votre intĂ©rĂȘt pour mes monnayeurs du langage. En ce qui concerne le bitcoin, c'est un sujet qui, bien entendu, m'intĂ©resse, qui est dans le fil des prĂ©occupations qui sont les miennes. Cependant, je ne peux pas dire que je maitrise encore toutes les arcanes de cette pratique monĂ©taire qui est Ă  la fois passionnante et souvent Ă©nigmatique et pleine de problĂšmes. Je suis sĂ»r cependant que les arriĂšres plans Ă  la fois financiers, politiques, symboliques, sĂ©miotiques, philosophiques, de la pratique du bitcoin sont considĂ©rables et mĂ©ritent d'ĂȘtre pris en compte et explicitĂ©s. Un colloque sur le sujet me semblerait une belle et prometteuse initiative .

Encore un Ă©change, aussi engageant, et je m'enhardis Ă  lui parler de notre ouvrage.

En juillet il nous apprit qu'il s'Ă©tait installĂ© Ă  Dijon et rĂ©pondit de nouveau fort obligeamment Ă  la prĂ©sentation de la maquette du livre :  Merci pour la maquette du livre dont vous prĂ©parez la publication. J'aurais voulu vous donner plus vite mon impression, mais j'ai Ă©tĂ© un peu bousculĂ© ces derniĂšres semaines. Tout ce dĂ©but est interessant, bien menĂ©, vivant, et donne envie d'aller plus loin. Votre parti pris de rejeter un peu plus loin ce qui pourrait ĂȘtre le plus ardu et le plus indigeste me semble bon. La curiositĂ© est piquĂ©e et le lecteur est prĂȘt a un effort plus grand. Bonne chance pour votre projet .

Le 29 septembre, Adli et moi faisions d'une pierre deux coups et prenions le train pour Dijon, pour le rencontrer avant de participer Ă  la session des  Villes Internet  qui s'y tenait et oĂč le Conseil GĂ©nĂ©ral de la CĂŽte d'Or nous servit de l'eau (locale, mais sans le charme des grands crus voisins qui nous auraient mieux disposĂ©s) interrompant notre participation Ă  ces Ă©vĂ©nements.

La rencontre matinale avec Jean-Joseph Goux dans le bistrot devant la gare, avait au contraire été trÚs enrichissante, et le long échange entre nous trois s'était déroulé de façon sympathique, respectueuse, érudite.

Le 9 décembre nous lui envoyions le manuscrit puis... il nous fallut attendre.

Durant ce temps je poursuivis mes contacts pour trouver de quoi garnir l'événement Bitcoin Pluribus Impar d'un peu de philosophie. Cela me donna le plaisir de faire la connaissance de Pierre Cassou-NogÚs, matheux devenu philosophe, qui accepta aprÚs une intéressante entrevue dans un bistrot prÚs de l'Odéon et délivra une intervention sur le Bitcoin vampire doté d'aura qui me plut énormément ne serait-ce que par l'humour dont il fit preuve pour répondre à la grande question :  qui exploite-t-on, au sens marxien, quand on s'enrichit avec le bitcoin ?  Mais je n'osai pas lui demander de préface, pour ne pas avoir à froisser l'un de mes deux seuls philosophes!

Fin janvier nouveau message de Dijon :  Veuillez m'excuser pour mon long silence. Je ne vous oublie pas, mais j'ai Ă©tĂ© extrĂȘmement bousculĂ© par des engagements prĂ©alables, des obligations familiales et amicales , des dĂ©placements divers. Je lis votre ouvrage avec Ă©normĂ©ment d'intĂ©rĂȘt. C'est une belle contribution Ă  la comprĂ©hension du bitcoin. Ne soyez pas trop impatients. Je n'ose pas fixer une date prĂ©cise pour l'envoi de la prĂ©face, mais je pense qu'il est raisonnable de compter encore quelques semaines. Merci pour votre lettre de voeux. A mon tour je vous adresse mes meilleurs voeux pour l'annĂ©e nouvelle .

La préface nous arriva finalement le 24 février 2017. Nous avons suggéré un ou deux petits changements de vocabulaire technique ; pour le reste nous étions enchantés.

Jean-Joseph Goux participa ensuite Ă  l'Ă©vĂ©nement rue d'Ulm en mai (revoyez sa passionnante intervention ici) et au Repas du Coin qui se tint Ă  Dijon en septembre de la mĂȘme annĂ©e.

Je lui redis ici toute notre sincĂšre reconnaissance.

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Le rĂ©seau social X vouĂ© Ă  remplacer les banques ? Elon Musk prĂ©sente les plans de sa super app

By: Vincent Maire —

La semaine derniĂšre, Elon Musk a adressĂ© ses plans aux employĂ©s de X pour faire du rĂ©seau social une super application capable de remplacer les banques. Faisons le point sur ce projet ambitieux, dont le dĂ©lai a Ă©tĂ© fixĂ© pour la fin de l’annĂ©e 2024.

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Bitcoin (BTC) : Quelle probabilité d'un piÚge haussier ?

By: Vincent Ganne —

Le marchĂ© crypto dĂ©veloppe un comportement Ă©tonnant ce mois d’octobre, en particulier le cours du Bitcoin (BTC) qui s’apprĂ©cie maintenant de plus de 100% depuis le dĂ©but de l’annĂ©e. Cette tendance haussiĂšre interroge car elle repose davantage sur des perspectives que des faits concrets. Quels sont les risques de piĂšge haussier ?

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La droite, la gauche et Bitcoin

By: Ludovic Lars —

Bitcoin proviendrait de l'extrĂȘme-droite. C'est en tout cas la thĂšse exposĂ©e par Nastasia Hadjadji dans son livre No Crypto, paru le 26 mai 2023, et dans une entrevue accordĂ©e Ă  Numerama Ă  cette occasion. Elle rejoint en cela le chercheur amĂ©ricain David Golumbia qui postulait dĂ©jĂ  en 2016 que Bitcoin s'inscrivait dans un mouvement de droite radicale.

Cette prise de position n'a pas manquĂ© de faire rĂ©agir les bitcoineurs de tous bords. Certains se sont amusĂ©s de ce point de vue qui, il faut bien le dire, est caricatural. D'autres se sont empressĂ©s de dĂ©montrer la faussetĂ© de cette affirmation, prĂ©cisant que non, Bitcoin n'Ă©tait pas bornĂ© Ă  l'extrĂȘme-droite, voire qu'il n'avait rien Ă  voir avec cette sensibilitĂ© politique.

Il s'agit évidemment d'une attaque sordide contre la réputation de la cryptomonnaie, par association avec une part du spectre politique largement conspuée par le grand public, ce qui en rhétorique s'appelle un empoisonnement du puits. Toutefois, l'idée de Nastasia Hadjadji porte en elle un peu de vérité, ce qui explique les réactions. En outre, elle a le mérite de remettre sur la table le sujet du clivage politique, et en particulier de celui qui existe au sein des personnes qui s'intéressent à Bitcoin, le sujet qui va nous intéresser dans cet article.

Que sont la droite et la gauche ?

Il existe une grande confusion en ce qui concerne les concepts politiques de droite et de gauche, et a fortiori d'extrĂȘme-droite et de d'extrĂȘme-gauche. Il arrive souvent qu'on les associe respectivement Ă  la libertĂ© et Ă  l'Ă©galitĂ©, ou plus prĂ©cisĂ©ment au libĂ©ralisme et au socialisme. On peut aussi leur attribuer des valeurs comme le rigorisme et la hiĂ©rarchie d'un cĂŽtĂ© et le laxisme et le dĂ©sordre de l'autre. On peut Ă©galement imaginer que l'extrĂȘme-droite doive nĂ©cessairement ĂȘtre fasciste et que l'extrĂȘme-gauche doive obligatoirement ĂȘtre communiste. Tous ces prĂ©supposĂ©s empĂȘchent une comprĂ©hension claire de la chose, Ă  tel point que beaucoup disent aujourd'hui que ces concepts n'ont aucun sens et les rejettent en bloc.

Cependant, il existe une mĂ©thode pour interprĂ©ter correctement ces concepts de droite et de gauche : c'est le modĂšle de l'historien Philippe Fabry donnant une dĂ©finition universelle et intemporelle du clivage politique. Ce modĂšle (comme tous les modĂšles) est faux : les gens sont complexes, ils ne sont pas de droite ou de gauche de maniĂšre absolue, peuvent changer de camp, peuvent s'extraire momentanĂ©ment du clivage par la rĂ©flexion, etc. Mais il a l'avantage de s'approcher suffisamment de l'observation pour nous ĂȘtre utile.

Ce qu'il faut comprendre c'est que le clivage entre la droite et la gauche n'est pas issu des idĂ©es des gens qui en font partie, mais de leur sensibilitĂ© politique. Le positionnement dans le spectre politique est liĂ© Ă  la sensibilitĂ© face Ă  la lente Ă©volution de l'ordre Ă©tabli, c'est-Ă -dire au progrĂšs. La droite est ainsi conservatrice, hostile au progrĂšs. La gauche est progressiste, favorable au changement politique. L'extrĂȘme-droite est rĂ©actionnaire, ayant tendance Ă  considĂ©rer que « c'Ă©tait mieux avant » et qu'il faudrait revenir Ă  un ordre Ă©tabli antĂ©rieur. L'extrĂȘme-gauche est rĂ©volutionnaire, et prĂŽne l'instauration d'un modĂšle de sociĂ©tĂ© complĂštement nouveau. Les gauches et droites modĂ©rĂ©es sont par essence rĂ©formistes et adhĂšrent au systĂšme en place tandis que les extrĂȘmes partagent une volontĂ© de bouleversement.1

Les sensibilitĂ©s politiques peuvent ĂȘtre dues Ă  de multiples facteurs, dont notamment la personnalitĂ© individuelle, mais leur importance statistique dĂ©pend de la position Ă©conomique et sociale des individus. Ceux qui sont satisfaits de l'ordre actuel ont tendance Ă  vouloir le conserver et Ă  se rapprocher de la droite, ceux qui sont insatisfaits ont tendance Ă  vouloir le changer et Ă  s'allier avec la gauche. Ceux qui ont Ă©tĂ© dĂ©classĂ©s par une Ă©volution politique, tels que les nobles français au XIXĂšme siĂšcle ou les bourgeois au XXĂšme siĂšcle, ont une affinitĂ© naturelle de l'extrĂȘme-droite. Les nouveaux exclus Ă  l'inverse, comme les bourgeois du XVIIIĂšme siĂšcle ou les ouvriers du XIXĂšme siĂšcle, ont tendance Ă  graviter autour de l'extrĂȘme-gauche.

De plus, les idĂ©es au sein de ce clivage ont tendance Ă  Ă©voluer au cours du temps, dans un mouvement sinistrogyre (« tournant Ă  gauche ») qui remplace les anciennes idĂ©es par de nouvelles provenant de l'extrĂȘme-gauche. Ce mouvement est parfaitement identifiable dans le cas de France post-rĂ©volutionnaire. Par exemple, le rĂ©publicanisme classique, plutĂŽt libĂ©ral et soutenu par la bourgeoisie, Ă©tait d'extrĂȘme-gauche du temps de la Restauration, a migrĂ© vers la gauche modĂ©rĂ©e au moment de la monarchie de Juillet, est devenu de droite durant la TroisiĂšme RĂ©publique, pour finir sa vie Ă  l'extrĂȘme-droite aprĂšs la Seconde Guerre mondiale, notamment au travers de la rĂ©action poujadiste.

La partie intĂ©ressante du modĂšle de Fabry est qu'il scinde le clivage en trois sous-catĂ©gories : une part rĂ©formiste, une portion autoritaire et une partie dite anarchiste. La premiĂšre se retrouve plus au centre tandis que les deux autres se retrouvent naturellement davantage aux extrĂȘmes. Les extrĂȘmes autoritaires considĂšrent que c'est une trop grande libertĂ© qui nuit Ă  leur idĂ©al politique (le stalinisme et l'hitlĂ©risme en sont l'incarnation) tandis que les extrĂȘmes libertaires croient que c'est le manque de libertĂ© qui les empĂȘche Ă  leur ordre politique d'Ă©merger. La France du XXĂšme siĂšcle ainsi connu son lot de libertaires de gauche, comme Albert Camus, et d'anarchistes de droite, comme Louis-Ferdinand CĂ©line. Un exemple plus ancien de rĂ©actionnaire anarchisant est celui d'Étienne de la BoĂ©tie qui, dans son Discours de la servitude volontaire Ă©crit en 1549, se dĂ©solait de la centralisation du pouvoir entre les mains du roi au dĂ©triment de la noblesse fĂ©odale dont il faisait partie.

Centrisme, populisme et libertarianisme

De par leur attachement Ă  l'ordre Ă©tabli et par leur rejet des extrĂȘmes, les progressistes et les conservateurs les plus modĂ©rĂ©s peuvent ĂȘtre amenĂ©s Ă  s'allier dans un Ă©litisme centriste. Ce phĂ©nomĂšne de crispation s'accompagne alors d'un refus d'Ă©couter (et de relayer) les idĂ©es provenant des extrĂȘmes. C'est prĂ©cisĂ©ment la position politique de l'« extrĂȘme-centre » d'Emmanuel Macron, qu'il a mĂȘme revendiquĂ©e en 2022.

En rĂ©action, les extrĂȘmes peuvent ĂȘtre amenĂ©s Ă  s'allier dans un populisme bilatĂ©ral, malgrĂ© leurs positions divergentes sur certaines questions. En effet, l'absence d'influence politique crĂ©Ă©e par la crispation des Ă©lites centristes pousse les extrĂȘmes Ă  rejeter l'ordre Ă©tabli et Ă  vouloir « faire sans ». RĂ©cemment, le mouvement des Gilets Jaunes en 2018 et l'opposition au passe sanitaire en 2020 nous ont Ă©tĂ© des illustrations claires d'un tel populisme.

Ce type de mouvement populiste n'est pas nouveau et a existĂ© par le passĂ©. C'Ă©tait par exemple le cas du boulangisme, un mouvement s'Ă©tant formĂ© autour de la figure du gĂ©nĂ©ral Boulanger Ă  la fin des annĂ©es 1880, qui recueillait Ă  la fois le soutien de socialistes et de radicaux Ă  gauche, et de bonapartistes et de royalistes Ă  droite. On peut aussi citer l'exemple de William Jennings Bryan aux États-Unis, dont l'action explique en partie comment le parti dĂ©mocrate a pu passer de droite Ă  gauche au dĂ©but du XXĂšme siĂšcle.

Le libertarianisme amĂ©ricain formĂ© au dĂ©but des annĂ©es 1970 Ă©tait lui-mĂȘme une mouvement populiste jouant sur les deux tableaux. Il a en effet Ă©tĂ© fondĂ© comme une doctrine rejetant l'ordre Ă©tabli et rĂ©unissant le laissez-faire Ă©conomique de l'ancienne droite (la droite qui s'opposait au New Deal de Franklin Roosevelt en son temps) et la libertĂ© des mƓurs dĂ©fendue par la nouvelle gauche (une gauche se distinguant de l'ancienne gauche marxisante par son attachement aux causes sociĂ©tales). En somme, il faut comprendre le libertarianisme comme une tentative d'union des franges anarchistes de l'extrĂȘme-droite et de l'extrĂȘme-gauche Ă©tasuniennes.

Depuis, le mouvement s'est partiellement dĂ©sagrĂ©gĂ© du fait de la montĂ©e de la tension politique. À droite, le mouvement a par exemple permis l'Ă©mergence du Tea Party en 2008 et l'Ă©lection de Donald Trump en 2016. À gauche, la libertĂ© des mƓurs a Ă©tĂ© rĂ©cupĂ©rĂ© par les groupuscules intersectionnels (parfois dits « woke » mĂȘme si le terme est vague) dĂ©sirant utiliser la violence politique pour dĂ©fendre ou venger les victimes de discriminations, comme par exemple le mouvement LGBTQI+ et Black Lives Matter.

Les sensibilités politiques des bitcoineurs

Venons-en maintenant à Bitcoin. Bitcoin est, par conception, une forme de monnaie qui s'inscrit en opposition à l'ordre établi. Il permet de posséder sa richesse de maniÚre souveraine, sans censure ni inflation, de faire sécession et de rompre les liens avec le pouvoir politique en conquérant « un nouveau territoire de liberté ».

Il est normal d'y retrouver des personnes un tant soit peu hostiles Ă  l'ordre Ă©tabli, parce qu'elles le considĂšrent trop progressiste ou, Ă  l'inverse, trop conservateur. Bitcoin est Ă©galement d'inspiration anarchiste : les bitcoineurs ne prĂŽnent pas le recours Ă  l'autoritĂ© pour arriver Ă  leur modĂšle de sociĂ©tĂ©, mais au contraire l'utilisation de la libertĂ©. C'est pourquoi Bitcoin est gĂ©nĂ©ralement soutenu par les franges libertaires de la population, qui sont nĂ©cessairement plus nombreuses aux extrĂȘmes.

C'est aussi pourquoi il ne peut pas y avoir de réel bitcoineur convaincu au centre, l'invention de Satoshi Nakamoto impliquant nécessairement un désaccord avec la lente évolution de l'ordre établi. Les centristes français utilisent l'euro et se satisfont des décisions de Christine Lagarde.

Les mouvements qui ont menĂ© Ă  Bitcoin recoupent Ă©galement les franges extrĂȘmes de la sociĂ©tĂ©. On a vu que le libertarianisme impliquait des sensibilitĂ©s d'extrĂȘme-gauche et d'extrĂȘme-droite. De mĂȘme, ces sensibilitĂ©s se retrouvent dans le crypto-anarchisme et l'Ă©cole autrichienne d'Ă©conomie, mĂȘme si les proportions ne sont pas les mĂȘmes.

On peut ainsi retrouver une sensibilitĂ© plus rĂ©volutionnaire chez les cypherpunks, notamment Ă  cause de leur attachement aux nouvelles technologies, ce qui fait que beaucoup d'entre eux Ă©taient Ă©galement transhumanistes. De l'autre cĂŽtĂ©, on retrouve une sensibilitĂ© rĂ©actionnaire plus prononcĂ©e chez les partisans de l'Ă©cole autrichienne d'Ă©conomie, ce qui peut se constater par exemple par une certaine nostalgie de l'Ă©talon-or classique. On peut mĂȘme observer une certaine nostalgie de la monarchie chez Hoppe (qui n'est pas pour autant une adhĂ©sion, Hoppe reste entiĂšrement libertarien), et en particulier de l'Empire austro-hongrois d'avant la PremiĂšre Guerre mondiale, rĂ©gime dans lequel l'Ă©cole autrichienne s'est dĂ©veloppĂ©. Cela ne veut pas dire pour autant que ces deux mouvement doivent ĂȘtre catĂ©gorisĂ©s comme d'extrĂȘme-gauche ou d'extrĂȘme-droite : il existe des Ă©lĂ©ments rĂ©actionnaires chez les cypherpunks, comme la vigilance face Ă  la dystopie hĂ©ritĂ©e du cyberpunk, et des Ă©lĂ©ments rĂ©volutionnaires au sein l'Ă©cole autrichienne d'Ă©conomie, comme l'avis favorable Ă  propos du bitcoin. Mais la tendance est lĂ , et explique les tensions qui peuvent exister dans la communautĂ©.

Le clivage parmi les bitcoineurs existe donc. À l'international, l'opposition se manifeste notamment sur des questions comme le changement climatique, la crise sanitaire de 2020, la consommation de viande, la pratique de la musculation ou la piĂ©tĂ© religieuse. On peut retrouver cette sĂ©paration au sein des personnalitĂ©s de l'Ă©cosystĂšme : Ă  gauche, se trouvent par exemple l'Ă©ducateur Andreas Antonopoulos et le dĂ©veloppeur Matt Corrallo ; Ă  droite, l'Ă©conomiste Saifedean Ammous et le maximaliste Aleksandar Svetski.

En France, le clivage existe Ă©galement, mĂȘme s'il est plus local et teintĂ© d'idĂ©al social marxiste. D'un cĂŽtĂ©, nous avons des bitcoineurs plutĂŽt de droite attachĂ©s aux valeurs dites traditionnelles, qui dĂ©plorent les politiques monĂ©taires des banques centrales qui financent les projets progressistes, qui s'opposent Ă  la « grande rĂ©initialisation » de Klaus Schwab et qui instaurerait notamment une monnaie numĂ©rique de banque centrale et qui ferait disparaĂźtre l'argent liquide. De l'autre, nous avons des bitcoineurs plutĂŽt de gauche attachĂ©s au progrĂšs, qui souhaitent numĂ©riser la monnaie, dĂ©velopper l'identitĂ© numĂ©rique et toutes sortes d'innovations dans le cyberespace, qui voient Bitcoin comme un « commun numĂ©rique sans frontiĂšre », une meilleure maniĂšre d'organiser la sociĂ©tĂ© et un outil inclusif permettant de lutter contre la censure des opprimĂ©s et des « pas comme il faut ».

Ce clivage se constate par les tentatives de communication qui ont pu ĂȘtre faites avec des personnalitĂ©s politiques françaises. D'un cĂŽtĂ©, on a pu voir le collectif Sortie de Banque passer sur la chaĂźne de Florian Philippot en dĂ©cembre 2022 pour montrer comment Bitcoin pouvait aider le mouvement souverainiste opposĂ© aux projets de l'UE. On a Ă©galement vu un Zemmour donner une opinion assez favorable des cryptomonnaies et visiter les locaux de Ledger en fĂ©vrier 2022. De l'autre, on a pu voir l'historien et auteur Jacques Favier aller prĂ©senter Bitcoin devant des militants de la France Insoumise en 2018. Notons aussi les liens d'Alexis Roussel, crĂ©ateur de Fastcoin et de Nym, avec le Parti Pirate.

Toutefois, cette tension est loin d'ĂȘtre catastrophique. Dans l'ensemble, les deux camps partagent leur dĂ©testation commune du contrĂŽle de l'État sur la monnaie et leur volontĂ© de vivre une vie libĂ©rĂ©e des manipulations rĂ©alisĂ©es sur la monnaie. C'est sur ce plan-lĂ  que l'accord est possible.

Tout comme chacun possÚde une personnalité, tout le monde a sa sensibilité politique et sa maniÚre de voir l'évolution du monde. Chacun va mettre en valeur un aspect différent de Bitcoin de son cÎté : certains vont insister sur le cÎté international et faire la part belle aux pays du tiers monde injustement coupés du systÚme financier mondial, d'autres vont parler de la censure financiÚre qui sévit en Occident, d'autres encore de la création monétaire massive par les banques centrales. Et on ne saurait que profiter de cette richesse des points de vue.

Notes

  1. Le sens politique de droite et de gauche, liĂ© notamment Ă  la position dans l'AssemblĂ©e nationale en 1789, est probablement issu de son sens religieux, qui provient lui-mĂȘme de la prĂ©fĂ©rence manuelle des ĂȘtres humains. Comme chacun le sait, la population est trĂšs largement droitiĂšre, de sorte que la droite est gĂ©nĂ©ralement associĂ©e Ă  l'habiletĂ© et Ă  la probitĂ©, et la gauche Ă  la maladresse et Ă  la dĂ©viance, et c'est sur ces conceptions que la classification s'est bĂątie. En politique, la droite est ainsi respectueuse de l'ordre Ă©tabli, qu'il s'agisse de l'ordre actuel (droite modĂ©rĂ©e) ou d'un ordre antĂ©rieur parfois fantasmĂ© (extrĂȘme-droite), tandis que la gauche souhaite le faire Ă©voluer progressivement (gauche modĂ©rĂ©e) ou brusquement (extrĂȘme-gauche).
☐ ☆ ✇ La voie du àžżITCOIN

138 - Le « Petit Livre orange » ?

By: Jacques Favier —

Une initiative récente et bien intentionnée, visant à donner la célÚbre pilule orange aux parlementaires européens que l'on suppose (non sans quelques indices) plus prompts à réglementer ou à condamner Bitcoin qu'à le comprendre, a mis en ligne une levée de fonds de 40 millions de satoshis pour offrir à chacun un exemplaire d'un livre réputé capable de les déniaiser, les éclairer et les séduire.

En l'occurence le choix des promoteurs de cette initiative s'est portĂ© sur L'Ă©talon Bitcoin, ouvrage de M. Saifedean Ammous dont j'ai dĂ©jĂ  rendu compte ici et qui offre, Ă  leurs yeux, le double avantage d'avoir Ă©tĂ© traduit dans 18 des 24 langues de l'UE et d'ĂȘtre  considĂ©rĂ© comme la rĂ©fĂ©rence .

L'argumentation m'a provoquĂ© et je me suis risquĂ© Ă  avouer mes rĂ©serves par un message sur Twitter :  Je vais ĂȘtre honnĂȘte. Si je n'avais pas Ă©voluĂ© moi-mĂȘme antĂ©rieurement (lectures, rencontres, expĂ©riences diverses et rĂ©flexion personnelle) et que j'avais dĂ©couvert Bitcoin par le livre de S. Ammous, il m'en aurait Ă©loignĂ©. Vraiment .

Comme cela arrive fatalement sur les réseaux sociaux, le débat a rapidement tourné au vinaigre.

Un ami, Sébastien Gouspillou, patron du groupe de mining BBGS, tout en comprenant le choix du livre de S. Ammous, a eu la gentillesse de suggérer que celui qu'Adli Takkal Bataille et moi avions commis (La monnaie acéphale) aurait été un choix plus approprié.

Ceci m'oblige Ă  rĂ©pondre : je pense qu'offrir l'AcĂ©phale (mais aussi le livre de Claire Balva et Alexandre Stachtchenko, par exemple) aurait peut-ĂȘtre Ă©tĂ© moins mauvais mais qu'il conviendra de s'interroger sur la dĂ©marche, indĂ©pendamment du choix du livre offert. L'ouvrage L'Ă©talon Bitcoin tend Ă  acquĂ©rir un statut spĂ©cifique, celui d'un livre canonique sinon saint aux yeux de beaucoup. Je pressentais qu'il devenait difficile de le critiquer et, tout en dĂ©couvrant que j'Ă©tais loin d'ĂȘtre le seul sur la rĂ©serve, je n'ai pas Ă©tĂ© dĂ©trompĂ©.

Pourtant, sans dire (comme cela a été écrit sur Twitter) que ce livre est chiant je pense qu'il critique bien davantage le systÚme de la monnaie fiat qu'il ne présente Bitcoin, qu'il flatte ceux des bitcoineurs qui ont besoin de réassurance et hérisse les autres au lieu de susciter réellement la curiosité.

J'ai écrit que ce livre (qui a ses ardents défenseurs!) a évidemment de réelles qualités, que je suis assez séduit par son modÚle  stock sur flux  (en lui reprochant principalement de ne pas l'appliquer avec rigueur et notamment de ne souffler un seul mot de l'arrivée d'or et d'argent des Amériques) et que je suis d'accord avec plusieurs de ses thÚses.

Mais j'ai critiqué aussi, dans mon CR comme dans La Monnaie à Pétales (ch 7, que les moins courageux peuvent écouter ici) :

  • l'usage dĂ©sinvolte que cet Ă©conomiste (tout comme ceux du camp d'en face, d'ailleurs !) fait de l'histoire,
  • bien des traits forcĂ©s et un esprit de systĂšme poussĂ© jusqu'au ridicule,
  • une psychologie sous-jacente dĂ©crite comme pratiquement universelle alors que je ne m'y reconnais point et ne dois pas ĂȘtre le seul,
  • un ton (et parfois un argumentaire) complotistes,
  • et enfin, malheureusement, des procĂ©dĂ©s d'attaque ad hominem indignes.

Les rĂ©actions que j'ai suscitĂ©es sur Twitter laisseraient croire que ceux qui n’aiment pas ce livre prouvent seulement qu'ils ne savent pas lire ou, pire encore, qu'ils ne sont pas assez autrichiens.

Comme le notait S. Gouspillou  on dirait des proustiens face à un non fan de La Recherche .

Quelqu'un qui refusait de comprendre  comment on peut trouver ça chiant  , ce qui je le rĂ©pĂšte n'Ă©tait pas mon mot, soulignait que cette apprĂ©ciation nĂ©gative  semble surtout ĂȘtre le grief de gauchos romantiques aimant Bitcoin mais ne supportant pas la perspective autrichienne . Et un autre s'interrogeait sur la position de SĂ©bastien ou de moi-mĂȘme vis-Ă -vis de ladite Ă©cole :  j’imagine bien les deux bien Ă  gauche Ă©tant jeunes et se rendant compte sur le tard via Bitcoin et les autrichiens qu’il ont eu tort toute leur vie et mal le vivre un peu, et le discours ultra direct voire cru d’Ammous peut dĂ©ranger les Ăąmes sensibles .

Tout cela m'a valu ainsi quelques critiques (certaines pertinentes, Ă©videmment) et un sentiment de grande lassitude. En gros, donc, si je ne suis pas autrichien, c'est soit parce que je suis de mauvaise foi, soit parce que je ne comprends pas cette Ă©cole (dont la premiĂšre chose Ă  dire c'est qu'elle n'est guĂšre unie, d'ailleurs) et si je ne comprends pas c'est que je n'ai pas lu ce livre, et puis celui-ci, et puis encore...

Donc quand mon ami Yorick de Mombynes ou d'autres me demandent publiquement ce que j'ai lu (en travers ? sur Wikipedia ? en v.o. ? avec les notes de bas de pages dans les ƒuvres complĂštes ?) de leurs Ă©vangiles, je ne m'estime pas tenu de rĂ©pondre parce que :

  • reprochant aux Ă©conomistes de jouer aux historiens, mon intention n'est Ă©videmment pas de jouer Ă  l'Ă©conomiste (d'autant plus que lire des livres ne remplace pas Ă  mes yeux un cursus cohĂ©rent) ;
  • je reconnais un faible niveau de considĂ©ration (toutes Ă©coles confondues) pour l'Ă©conomie, qui me paraĂźt souvent une sorte de demi-science molle toujours proche de glisser vers la religion ;
  • je serais deux fois plus intĂ©ressĂ© par les autrichiens s'ils Ă©taient deux fois moins convaincus : je peux me tromper... mais eux aussi. Toute rĂ©serve voire toute critique n'est pas une erreur ou une ignorance, cela peut ĂȘtre un choix politique ou sociĂ©tal qui (faut-il le rappeler Ă  des libĂ©raux ?) relĂšve de ma libertĂ© de penser ;
  • ainsi donc, si je confesse mon accord avec les autrichiens sur certains points (comme  le temps est rare ce qui d'ailleurs peut expliquer certains trous dans ma culture) je revendique aussi de mettre certaines prĂ©occupations (notamment environnementales) au-dessus ou hors des lois du marchĂ© ;
  • j'assume mon allergie aux ronchonneries rĂ©actionnaires contre la musique des jeunes (mĂȘme si moi-aussi je prĂ©fĂšre Bach, mais cela n'a rien Ă  voir) ou l'insignifiance de l'art abstrait et je dis mon effroi Ă  voir que tout ceci est censĂ© faire partie de la dĂ©monstration de M. Ammous en faveur de Bitcoin,
  • enfin je ne peux admettre Ă  titre d'arguments des calomnies recuites (qui ont dĂ©jĂ  conduit l'historien Niall Ferguson a publier des excuses).

Mais surtout et plus que tout : je ne suis pas venu lĂ  pour Ă©tudier l'Ă©cole autrichienne ; je suis venu lĂ  parce que Bitcoin m'a paru intĂ©ressant par lui-mĂȘme.

S'il faut (comme certains le font) scruter les efforts intellectuels consentis par les uns ou par les autres, je crois que la premiĂšre voie aurait Ă©tĂ© moins dure. Mais disons-le tout net : ce que j'ai lu chez les Ă©vangĂ©listes autrichiens n'a pas suscitĂ© en moi la mĂȘme Ă©motion ou la mĂȘme excitation que le white paper de Satoshi (ou que certaines pages de la litterature cypherpunk, ou que le « Cyberpunk Manifesto » si vous voulez tout savoir...)

Ceci mis de cĂŽtĂ©, ce que je reproche en l'occurrence Ă  ces auteurs et plus encore Ă  leurs thurifĂ©raires, ce n'est certainement pas leurs convictions, mĂȘme celles que je ne partage pas, c'est l'envahissement parfois parasitaire de l'espace d'Ă©tudes et d'informations dĂ©volu Ă  Bitcoin par leurs idĂ©es, leurs questionnements, leurs grilles d'analyses. Cela me paraĂźt inefficace (parce que cela aplatit Bitcoin sur une seule dimension qui est politiquement et donc inutilement clivante) et indu.

Aucun Ă©conomiste, autrichien ou non d'ailleurs et mĂȘme en remontant Ă  Oresme, n'a pour moi inventĂ© Bitcoin. Au mieux ils ont dĂ©crit des problĂšmes que Bitcoin peut (plus ou moins) rĂ©soudre et ils ont espĂ©rĂ© que surgirait quelque chose comme ça. Que les cypherpunks se soient Ă  certains Ă©gards inscrits dans la perspective hayekienne d'ordre spontanĂ© ne fait pas d'eux (tous) des disciples du maĂźtre de Chicago. Quant Ă  la cĂ©lĂšbre prophĂ©tie du monĂ©tariste Friedman, elle annonçait quelque chose de beaucoup plus anonyme que ne l'est rĂ©ellement Bitcoin. C'est peut-ĂȘtre un dĂ©tail pour vous, mais...

Et donc il serait à mes yeux plus fructueux de voir ce que Bitcoin apporte à leurs théories (pour les conforter, les modifier ou en invalider certains points) que de s'étendre interminablement sur que ce que ces théories religieusement brandies permettraient de comprendre à Bitcoin, ce qui est la voie de Saifedean Ammous. Je crois que s'il est trÚs difficile de le contester, tant il est devenu une idole pour tant de bitcoineurs, c'est parce qu'il leur a dit exactement ce qu'ils voulaient entendre et leur a donné des certitudes à opposer à l'arrogant discours du systÚme officiel.

AprĂšs tout, pourquoi pas ? Chacun peut bien lire ce qu'il veut : il en reste toujours un bĂ©nĂ©fice. Mais chacun doit-il pour autant considĂ©rer que son livre de chevet est le livre de rĂ©fĂ©rence, qui par une sorte de vertu intrinsĂšque ferait le mĂȘme effet Ă  tout lecteur ?

On a ici le type mĂȘme de l'illusion des religieux fanatiques :

Elle consiste à penser qu'il y a, dans le livre sacré (Petit Livre rouge compris) une efficience surnaturelle (sur-rationnelle ?) qui va provoquer la foi par la seule lecture. Comme de ceux qui viennent inlassablement proposer leur littérature, sur un coin du marché ou par du porte-à-porte, un sourire désarmant aux lÚvres et la certitude chevillée au corps, il est parfois bien difficile de s'en débarrasser en demeurant courtois.

Je conclus quant au livre de S. Ammous

Que ce soit pour des raisons de forme ou de fonds, son livre n'emporte pas d'adhĂ©sion universelle mĂȘme au sein des bitcoineurs et le choix de ce livre comme instrument de propagande n'emporte pas non plus l'adhĂ©sion universelle, mĂȘme parmi ceux qui le considĂšrent comme le meilleur livre !

Il est peu probable que ces réserves ne se manifestent pas parmi ceux que nous entendons convertir. Comme l'a confié David St-Onge :  mon pÚre, ouvert sur le sujet avec un diplÎme universitaire en administration, en a abandonné la lecture. Jamais ma mÚre, pourtant avide lectrice, n'en fera la lecture. C'est d'ailleurs pour cette raison que j'ai écrit mon livre .

En revanche il est presque certain que le propos  ultra direct voire cru  de S. Ammous permettra à nos adversaires de faire des gorges chaudes en citant (j'imagine bien quelques vedettes parlementaires européennes dans le rÎle) les pires pages de la  Bible de la secte  que lui aura envoyée  le lobby . Que le livre ait été traduit dans 36 langues peut s'interpréter de bien des façons ; la visite du site saifedean.com ne dissipe pas forcément le malaise.

Venons-en alors Ă  l'idĂ©e mĂȘme d'offrir un livre

Nous devrions regarder les choses de façon pragmatique : nous n'aurons jamais d'autre Petit Livre orange que le Livre blanc de Satoshi Nakamoto. Il faut partir de Satoshi, pas d'Aristote ou des Ă©conomistes, pour en arriver Ă  l'idĂ©e que Satoshi a bien compris ceci ou cela. Mais - tout le monde en conviendra - c'est un Ă©crit Ă©sotĂ©rique, derriĂšre son apparente simplicitĂ©. Comme nous l'Ă©crivions dans l'AcĂ©phale (p.18) Bitcoin exige un effort conceptuel, une capacitĂ© rĂ©elle d’abstraction mais aussi et surtout de remise en cause.

Pourquoi, ayant moi-mĂȘme commis seul ou Ă  plusieurs quelques petits pavĂ©s qui n'ont pas reçu de trop mauvais accueil, mais qui ont Ă©galement pu susciter des critiques (voir ici pour la plus rĂ©cente) puis-je dire qu'envoyer un livre par la poste n'est pas forcĂ©ment la bonne idĂ©e ?

Parce que, indĂ©pendamment du choix critiquable d'un ouvrage (choix discutable comme tout autre choix et comme le serait le choix de l'un de mes propres ouvrages) on ne peut tout au plus espĂ©rer que l'opĂ©ration projetĂ©e soit efficace en termes de com’, avec peut-ĂȘtre un minibuzz.

La fameuse pilule orange, dit Sébastien Gouspillou,  doit se prendre sans douleur, par inadvertance presque, et celle-ci est beaucoup trop grosse et indigeste .

Or Sébastien a une expérience non négligeable du travail de persuasion, qui n'est pas seulement pédagogique (si tant est que fourguer un livre par la poste soit pédagogique) mais aussi psychologique.

Quand il Ă©crit que  les dĂ©putĂ©s ne liront pas ce pavé  chaque mot compte. Les dĂ©putĂ©s ne liraient sans doute rien qui dĂ©passe le rĂ©sumĂ© des Ă©tudes produites par leurs propres commissions. Donc la cible est peut-ĂȘtre aussi mal choisie que le vecteur !

Il me semble aussi que, à placer autoritairement (et il entre toujours un peu d'autoritarisme dans la démarche) un livre entre les mains de quelqu'un qu'on ne connait pas et qui ne s'est pas expressément enquis de nos conseils, on oublie l'une des dimensions essentielles de Bitcoin.

Si j'ai Ă©crit sur Tintin, si je me sers encore de lui ici, ce n'est pas par manie (encore que...) ou par coquetterie. Le petit reporter lit peu de gros ouvrages et sa bibliothĂšque semble un peu dĂ©corative. Lui et son chien prennent plutĂŽt les livres sur la tĂȘte !

Mais cet infatigable enquĂȘteur m'offre une belle figure de l'historien dont j'ai Ă©crit, citant Carlo Ginzburg, que sa connaissance est indirecte, indiciaire et conjecturale.

Une remarque que j'ai maintes fois entendues chez des bitcoineurs pratiques, c'est que lorsqu'on croit avoir compris quelque chose, on découvre un détail qui montre que c'est plus complexe, plus profond, plus rusé. Et c'est à partir de là (dans ce que mon ami Adli assimile au  creux de l'humilité  décrit par Dunning et Kruger) que la lecture peut devenir excitante, indépendamment du fait de savoir si ce que vous lisez conforte ou non votre attachement à la propriété privée ou votre allergie à l'impÎt.

Je crois que la Voie du Bitcoin est une voie de rencontres plus que d'exclusives, d'échanges plus que d'invectives, d'expérimentations plus que de théorisations, d'inquiétudes plus que de certitudes. Avec des surprises pour... tout le monde !

Nous avons bien raison de nous moquer des rĂ©gulateurs qui veulent astreindre l'automobile aux rĂšgles du temps des diligences ; mais les premiers constructeurs d'automobile ont-ils jadis perdu autant de temps que nous Ă  refaire l'histoire, Ă  critiquer le systĂšme antĂ©rieur, voire Ă  disserter sur les mƓurs et la sexualitĂ© des maĂźtres de poste ? N'ont-ils pas surtout amĂ©liorĂ© moteurs, freins, directions, pneus et carrosseries jusqu'Ă  ce que l'expĂ©rience de l'utilisateur cesse d'ĂȘtre un exploit sportif dangereux pour devenir un moment de plaisir et de distinction ?

Aucun livre ne fera jamais autant de bien qu'une amĂ©lioration mĂȘme infime de l'expĂ©rience des utilisateurs (clients mais aussi commerçants!) et de la scalabilitĂ© on-chain ou par des solutions de layer2, que l'utilisation des centres de minage au bĂ©nĂ©fice tangible d'implantations d'alternatives Ă©nergĂ©tiques, que la mise en place d'enseignements dĂ©diĂ©s, et Ă  mon humble avis que la mise en place d'actions concrĂštes de solidaritĂ©.

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Bitcoin (BTC): la clef fondamentale, c’est l’inflation US !

By: Vincent Ganne —

Les marchĂ©s financiers ont dĂ©marrĂ© l’annĂ©e 2023 sur les chapeaux de roue avec une performance positive Ă©tonnante sur les actions des secteurs les plus offensifs en bourse. Quant au marchĂ© crypto, il s’est offert un petit rebond, dans un volume en revanche rĂ©duit. Le risque dĂ©sormais est que tous ces mouvements soient pris Ă  revers par une dĂ©ception sur les chiffres de l’inflation US.

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Vol de cryptomonnaies : MetaMask alerte sur la technique de « l’address poisoning »

By: Vincent Maire —

MetaMask a signalĂ© une croissance des attaques par « address poisoning ». Faisons le point sur cette fraude qui mise tout sur l’inattention, ainsi que les moyens de s’en protĂ©ger.

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