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La correspondance entre Martti Malmi et Satoshi Nakamoto

By: Ludovic Lars —

Le 23 février 2024, alors que se tenait le procÚs qui opposait Craig Steven Wright à la COPA (Crypto Open Patent Alliance), un évÚnement concomitant a marqué tous les passionnés de l'histoire de Bitcoin. Martti Malmi, ancien développeur du logiciel principal et bras droit de Satoshi Nakamoto entre 2009 et 2010, a publié la correspondance privée par courrier électronique qu'il entretenait avec le créateur de Bitcoin. Dans ces courriels, on retrouvait une multitude de détails intéressants qui permettaient d'éclaircir ce qui s'était passé à cette époque-là et de confirmer quelques aspects de la personnalité de Satoshi.

Martti Malmi a publié cette correspondance sur son site personnel. Il s'agit d'une archive incomplÚte, constituée de 260 courriels, couvrant la période entre mai 2009 et février 2011. On sait en effet que ses échanges avec Satoshi ont eu lieu jusqu'en mai 2011, mais qu'il avait changé d'adresse entretemps. Comme raison expliquant cette publication tardive, il a indiqué :

« Je ne me sentais pas à l'aise de partager des échanges de correspondance privée par le passé, mais j'ai décidé de le faire pour un procÚs important au Royaume-Uni en 2024, dans lequel j'étais témoin. De plus, il s'est écoulé beaucoup de temps depuis que ces courriels ont été envoyés. »

Ces courriels ne sont pas entiĂšrement nouveaux dans le sens oĂč le journaliste Nathaniel Popper avait dĂ©jĂ  eu l'occasion de les consulter en 2015 lors de l'Ă©criture de son livre Digital Gold, qui retraçait les dĂ©buts de l'histoire de Bitcoin. Il avait en effet pu interroger Martti Malmi, qui lui avait fourni ces courriels, et des extraits de ces Ă©changes Ă©taient abondamment citĂ©s dans le livre.

La prise de contact

Martti Malmi est un personnage important dans l'histoire de Bitcoin. Finlandais, il a été actif dans Bitcoin entre 2009 et 2011, avant de prendre un emploi à plein temps et de s'éloigner progressivement de Bitcoin. Il utilisait le pseudonyme sirius-m sur SourceForge, un pseudonyme qu'il a conservé lors de de son implication dans Bitcoin.

En 2009, Martti Malmi est un jeune Ă©tudiant en informatique Ă  l'UniversitĂ© technologique d'Helsinki situĂ©e Ă  Espoo Ă  l'Ouest de la capitale. Il dĂ©couvre Bitcoin en avril grĂące Ă  son intĂ©rĂȘt passager pour le crypto-anarchisme de Tim May. Le 9, il teste le systĂšme et mine ses premiers bitcoins avec son ordinateur portable (bloc 10 351). Dans la soirĂ©e il rĂ©dige un court texte de prĂ©sentation de Bitcoin, qu'il publie sur le forum anti-state.com et celui de Freedomain Radio. Ces deux forums ont pour point commun de promouvoir largement la libertĂ© de l'individu face Ă  l'État, mais ils diffĂšrent dans leur sensibilitĂ© : le premier est de tendance libertarienne de gauche, prĂŽnant un anarchisme de marchĂ© anti-capitaliste, tandis que le second appartient Ă  la droite anarcho-capitaliste rothbardienne, Ă©tant rattachĂ© Ă  la personne de Stefan Molyneux.

Dans son texte au ton résolument agoriste, intitulé P2P Currency could make the government extinct?, Martti Malmi écrit :

« Comme le Liberty Dollar et certaines monnaies locales nous l'ont montrĂ©, nous ne pouvons pas nous fier Ă  une monnaie Ă©mise de maniĂšre centralisĂ©e qui peut ĂȘtre facilement arrĂȘtĂ©e par l'État. À la place, nous pourrions avoir un systĂšme monĂ©taire alternatif basĂ© sur un rĂ©seau p2p dĂ©centralisĂ©. En faisant quelques recherches sur Google, j'ai dĂ©couvert qu'un systĂšme de ce type a rĂ©cemment Ă©tĂ© proposĂ©, et il s'appelle Bitcoin.

[...]

Le systĂšme est anonyme, et aucun État ne pourrait possiblement taxer ou empĂȘcher les transactions. Il n'y a pas de banque centrale qui puisse dĂ©prĂ©cier la devise avec la crĂ©ation illimitĂ©e de nouvelle monnaie. L'adoption gĂ©nĂ©ralisĂ©e d'un tel systĂšme ressemblerait Ă  quelque chose qui pourrait avoir un effet dĂ©vastateur sur la capacitĂ© de l'État Ă  se nourrir Ă  partir de son bĂ©tail. Qu'en pensez-vous ? Je suis trĂšs enthousiaste Ă  l'idĂ©e d'un systĂšme pratique qui pourrait vraiment nous rapprocher de la libertĂ© au cours de notre vie. »

AprĂšs avoir publiĂ© ce texte, Martti Malmi envoie un courriel Ă  Satoshi Nakamoto dans lequel il dĂ©clare ĂȘtre « Trickstern du forum anti-state.com » (son autre pseudonyme) et qu'il « aimerait aider avec Bitcoin ». On ignore Ă  quelle date il a expĂ©diĂ© ce message, mais probablement peu de temps aprĂšs la publication du texte. Satoshi lui rĂ©pond le 2 mai 2009 (#1). Il va droit au but en Ă©crivant directement : « Merci d'avoir lancĂ© ce sujet sur ASC, ta comprĂ©hension de bitcoin est en plein dans le mille. »

Le crĂ©ateur de Bitcoin poursuit en commentant, Ă  propos des rĂ©ponses sur le forum provenant probablement de gold bugs : « Certaines de leurs rĂ©ponses Ă©taient plutĂŽt rĂ©actionnaires, mais je suppose qu'ils sont tellement habituĂ©s Ă  s'opposer Ă  la monnaie fiat qu'ils estiment que tout ce qui n'est pas l'or n'est pas assez bon. Ils admettent qu'une chose est inflammable, mais affirment qu'elle ne brĂ»lera jamais parce qu'il n'y aura jamais d'Ă©tincelle. » Ici, il fait rĂ©fĂ©rence (peut-ĂȘtre malgrĂ© lui) au thĂ©orĂšme de rĂ©gression de Mises, qui postule qu'un bien doit nĂ©cessairement possĂ©der une valeur d'usage non monĂ©taire avant de pouvoir devenir une monnaie et que les amateurs d'or aiment invoquer pour dĂ©fendre leur point de vue. Dans son analogie, l'utilisation non monĂ©taire est cette « Ă©tincelle » et la combustion correspond au phĂ©nomĂšne monĂ©taire qui, une fois lancĂ©, peut continuer de lui-mĂȘme Ă  condition de disposer de suffisamment de combustible.

Présenter Bitcoin

Satoshi se prĂ©sente comme meilleur programmeur qu'Ă©crivain, une Ă©valuation pour le moins contestable quand on compare la qualitĂ© de ses interventions avec celle de son code, qui est mĂ©diocre. Dans le premier courriel (#1), il dĂ©clare : « Mon style d'Ă©criture n'est pas trĂšs bon, je suis un bien meilleur codeur. » Cet Ă©lĂ©ment fait Ă©cho Ă  une rĂ©ponse faite Ă  Hal Finney quelques mois plus tĂŽt oĂč il disait qu'il Ă©tait « meilleur pour la programmation que pour l'Ă©criture ». Il dira aussi en 2010 qu'« Ă©crire une description de ce truc pour le grand public est sacrĂ©ment difficile ».

Ainsi, mĂȘme si Martti prend part au dĂ©veloppement durant l'annĂ©e 2009 (il sera crĂ©ditĂ© dans les remerciements de la version 0.2), Satoshi le met plutĂŽt Ă  contribution pour remplir la page web sur SourceForge (bitcoin.sourceforge.net), la plateforme oĂč est hĂ©bergĂ© le code du logiciel, notamment en Ă©crivant une foire aux questions (FAQ). Pour ce faire, Satoshi lui fournit (#3) une compilation des explications qu'il a pu fournir çà et lĂ , en privĂ© et en public. On y retrouve des rĂ©ponses donnĂ©es Ă  Hal Finney, Ray Dillinger, Dustin Trammell, Jonathan Thornburg, John Gilmore, Martien van Steenbergen, Michel Bauwens et Mike Hearn. (Notons que certaines d'entre elles n'avaient pas encore Ă©tĂ© publiĂ©es Ă  ce jour.)

AidĂ© par ces courriels riches en informations, Martti rĂ©dige alors la FAQ (#4), qui est approuvĂ©e par Satoshi (#5). Elle contient des Ă©lĂ©ments de langage constitutifs de ce qui fera Bitcoin par la suite. Bitcoin y est prĂ©sentĂ© comme une « monnaie numĂ©rique anonyme basĂ©e sur un rĂ©seau pair Ă  pair » qui « utilise la cryptographie Ă  clĂ©s publique et privĂ©e », qui « est valorisĂ©e pour les choses contre lesquelles elle peut ĂȘtre Ă©changĂ©e, tout comme le sont toutes les monnaies papier traditionnelles » et dont les nouvelles unitĂ©s « sont gĂ©nĂ©rĂ©es par un nƓud du rĂ©seau chaque fois qu'il trouve la solution Ă  un certain problĂšme calculatoire ». Martti Ă©voque Ă©galement quelques-uns des avantages apportĂ©s par Bitcoin : le transfert de fonds sur Internet, l'absence de contrĂŽle des transactions par un tiers de confiance, la protection vis-Ă -vis des politiques monĂ©taires inflationnistes des banques centrales et le potentiel de hausse de la valeur dĂ©coulant de l'accroissement de la taille de l'Ă©conomie.

La page est mise en place le 6 mai (#9). Martti y installe Ă©galement un forum et un wiki le 9 juin (#17). La page, le wiki et le forum seront annoncĂ©s par Martti Malmi lui-mĂȘme sur la liste de diffusion de Bitcoin le 13 juin.

Le 11 juin, Satoshi contacte Ă  nouveau Martti Malmi et lui propose le mot « cryptomonnaie » (cryptocurrency en anglais) pour dĂ©crire Bitcoin (#19). Il Ă©crit : « Quelqu'un a proposĂ© le mot "cryptomonnaie"
 c'est peut-ĂȘtre un mot que nous devrions utiliser pour dĂ©crire Bitcoin, ça te plaĂźt ? » Le Finlandais approuve et avance que « The P2P Cryptocurrency » pourrait ĂȘtre le slogan de Bitcoin. Cette suggestion sera mise en Ɠuvre : le titre de la page web deviendra « Bitcoin P2P Cryptocurrency » et l'annonce de la version 0.3 en juillet 2010 dĂ©crira le projet comme « Bitcoin, the P2P cryptocurrency » (#198).

Toutefois, tout ne convient pas Ă  Satoshi. Par exemple, dans le mĂȘme courriel du 11 juin, il dit Ă  Martti qu'il n'est « pas Ă  l'aise » avec le fait de dĂ©clarer que Bitcoin est un « investissement » (#19). Plus tard, en juillet 2010, il reviendra Ă©galement sur la mise en avant de l'anonymat, pour deux raisons : le danger pour l'utilisateur et la perception du grand public. Quelques heures aprĂšs sa dĂ©claration sur le forum ne pas vouloir « mettre l’aspect "anonyme" au premier plan », il Ă©crira ainsi Ă  Martti (#197) :

« Je pense que nous devrions mettre moins l'accent sur l'aspect anonyme. Avec la popularitĂ© des adresses bitcoin au lieu de l'envoi par IP, nous ne pouvons pas donner l'impression que tout est automatiquement anonyme. Il est possible d'ĂȘtre pseudonyme, mais il faut ĂȘtre prudent. [...] De plus, "anonyme" sonne un peu suspect. Je pense que les gens qui veulent de l'anonymat le dĂ©couvriront sans que nous en fassions la promotion. »

L'obsession de l'amorçage

Les courriels publiĂ©s par Martti Malmi rĂ©vĂšlent aussi l'obsession de Satoshi Nakamoto Ă  propos de l'amorçage de Bitcoin. Le 21 juillet 2009, il Ă©crit Ă  celui qui est devenu son bras droit (#24) : « Cela aiderait si les gens pouvaient l'utiliser pour quelque chose. Nous avons besoin d'une application pour l'amorcer. Des idĂ©es ? » Un mois plus tard, le 24 aoĂ»t, il lui partage ses idĂ©es et il Ă©crit (#28) : « Ce serait plus efficace s'il existait Ă©galement une niche de produits pour laquelle il pourrait ĂȘtre utilisĂ©. Certaines monnaies virtuelles, comme le Q coin de Tencent, ont percĂ© dans le domaine des biens virtuels. » Le 28, Martti rĂ©pond (#30) : « Bitcoin pourrait ĂȘtre promu auprĂšs des utilisateurs de communautĂ©s virtuelles comme World of Warcraft et Second Life, qui comptent toutes deux des millions d'utilisateurs. » Tout ceci rappelle la rĂ©ponse de Satoshi Ă  Dustin Trammell du 15 janvier 2009 oĂč il expliquait que Bitcoin pourrait servir de « points de rĂ©compense », de « jetons de don », de « monnaie pour un jeu », aux « micropaiements pour des sites pour adultes » ou encore au paiement pour un site web ou pour envoyer un courriel.

Il y a nĂ©anmoins un problĂšme qui hante cet amorçage : celui de la premiĂšre valorisation. Bitcoin est en effet le projet d'une nouvelle monnaie qui a besoin d'une « Ă©tincelle ». Pour cela, la mĂ©thode historique la plus simple est l'adossement Ă  une autre monnaie dĂ©jĂ  adoptĂ©e : c'est de cette maniĂšre que les États ont pu faire accepter le papier-monnaie Ă  leurs populations. C'est pourquoi Satoshi l'envisage et dĂ©clare Ă  plusieurs reprises dans ses Ă©changes avec Martti que Bitcoin sera « garanti par du liquide » (#1) ou « par de la monnaie fiat » (#3). Si cela peut paraĂźtre Ă©nigmatique de prime abord, il prĂ©cise sa pensĂ©e quelques mois plus tard (#28) : « Offrir de la monnaie pour garantir les bitcoins attirerait les chasseurs de gratuitĂ©, ce qui aurait l'avantage de gĂ©nĂ©rer beaucoup de publicitĂ©. »

Pour mettre en place ces idées, Satoshi est en contact avec plusieurs donateurs éventuels. Dans le courriel du 21 juillet (#24), il écrit ainsi à Martti : « Il y a des donateurs que je peux solliciter si nous trouvons quelque chose qui nécessite un financement, mais ils souhaitent rester anonymes. » L'un d'entre eux sera sollicité plus tard pour payer les diverses dépenses de Martti : le Finlandais recevra 3 600 $ par la poste tout juste un an plus tard ! (#210)

Les idées de Satoshi pour l'amorçage inspirent Malmi, qui tente de mettre en application la garantie du bitcoin par le biais d'une plateforme de change. Le 22 juillet 2009, il décrit son concept à Satoshi (#25) :

« J'ai pensĂ© Ă  un service de change qui vendrait et achĂšterait des bitcoins contre des euros et d'autres devises. La possibilitĂ© d'Ă©changer directement des bitcoins contre une monnaie existante donnerait au bitcoin la meilleure liquiditĂ© initiale possible et donc une meilleure facilitĂ© d'adoption pour les nouveaux utilisateurs. Tout le monde accepte d'ĂȘtre payĂ© avec des piĂšces facilement Ă©changeables contre de la monnaie commune, mais tout le monde n'accepte pas d'ĂȘtre payĂ© avec des piĂšces qui ne sont garanties que pour l'achat d'un type spĂ©cifique de produit.

À titre pĂ©dagogique, la formule permettant de fixer un prix stable en euros serait quelque chose comme : (Le montant d'euros qu'on est prĂȘt Ă  Ă©changer contre des bc + la valeur en euros des biens que d'autres personnes vendent contre des bc) / (Le nombre total de bc en circulation - les actifs propres en bc). »

La plateforme de Martti consiste Ă  jauger l'offre et la demande d'une maniĂšre diffĂ©rente que la bourse traditionnelle, en prenant en compte les euros et les bitcoins dĂ©posĂ©s par les usagers. Il finit par mettre en Ɠuvre son idĂ©e en mars 2010 au travers du site Bitcoinexchange.com (#133) et rĂ©alise quelques ventes au fil des mois (#191, #214), mais le systĂšme n'est pas avantageux pour les utilisateurs. La plateforme fermera en 2011.

La garantie de la valeur du bitcoin provient en réalité de l'action d'un autre utilisateur, bien connu par ceux qui s'intéressent à l'histoire de Bitcoin : NewLibertyStandard (NLS). Celui-ci s'inscrit sur le forum hébergé sur SourceForge durant l'automne 2009. Le 8 octobre, il annonce qu'il échange des bitcoins contre des dollars sur son site web, newlibertystandard.wetpaint.com, à un taux de change basé sur son propre coût de production. Martti en informe Satoshi (#34), qui lui répond une semaine plus tard (#35) :

« Il est encourageant de voir que davantage de personnes s'intéressent au projet, comme ce site NewLibertyStandard. J'aime son approche de l'estimation de la valeur basée sur l'électricité. Il est instructif de voir quelles explications les gens adoptent. Elles peuvent aider à découvrir une maniÚre simplifiée de comprendre [Bitcoin] qui puisse le rendre plus accessible aux masses. De nombreux concepts complexes dans le monde ont une explication simpliste qui satisfait 80 % des gens, et une explication complÚte qui satisfait les 20 % restants, ceux qui voient les défauts de l'explication simpliste. »

De son cÎté, Martti contacte NLS (#34) et effectue un échange avec lui le 12 octobre : 5 050 bitcoins contre 5,02 $ sur PayPal. Cela donne au bitcoin un prix d'échange pour la premiÚre fois de son histoire : 0,001 $ environ ! Par la suite, NLS continue à contribuer au projet, par l'intermédiaire de son service de change et par ses tests réalisés pour le portage du logiciel sur Linux (#66). Quant à Satoshi, son obsession à propos de l'amorçage ne le quittera que lorsque le projet prendra réellement de l'ampleur, aprÚs le slashdotting de juillet 2010.

La méfiance de Satoshi

Ce qui ressort enfin de ces courriels est la méfiance de Satoshi Nakamoto vis-à-vis du pouvoir. Celui-ci en effet met tout en place pour éviter d'avoir affaire aux autorités, ayant l'intuition qu'il est en train de construire un systÚme monétaire révolutionnaire et que cela ne plaira pas aux élites installées.

Le crĂ©ateur de Bitcoin dĂ©montre une connaissance pointue des systĂšmes de paiements et de monnaies centralisĂ©es alternatives comme les devises en or numĂ©riques telles que Pecunix et e-Bullion, le systĂšme Liberty Reserve, ou encore le service russe WebMoney. Lorsque Martti lui parle de l'avancement du prototype de sa plateforme d'Ă©change en fĂ©vrier 2010, il lui conseille ainsi d'accepter les virements entrants de Liberty Reserve, qui permet de faire des Ă©changes « sans poser de question et en toute confidentialité » (#141). Il Ă©voque aussi l'existence des cartes-cadeaux (« paysafecards ») qui peuvent rendre service pour rĂ©aliser certaines opĂ©rations financiĂšres. Le mĂȘme jour, il suggĂšre Ă  Martti de ne pas « se prĂ©cipiter » et de ne pas « se faire rejeter par toutes les solutions de paiement » (#142), ce qui indique qu'il connaĂźt trĂšs bien la censure bancaire qui rĂšgne dans le milieu. Il a Ă©galement conscience du problĂšme de la rĂ©trofacturation comme l'atteste un courriel adressĂ© Ă  Martti quelques jours plus tard (#151) :

« Toutes les méthodes de paiement conventionnelles ont recours à la réfutabilité pour pallier l'absence de mots de passe et de crypto. Le systÚme est largement ouvert à la copie des numéros de carte de crédit et des numéros de compte en clair, et ils y remédient en inversant la transaction aprÚs coup. »

Satoshi sait donc trĂšs bien oĂč il met les pieds et est conscient que ce qu'il fait remet en cause l'autoritĂ© financiĂšre sur le transfert monĂ©taire sur Internet. Il a probablement entendu parler de la fermeture du systĂšme de devise en or numĂ©rique e-gold a fermĂ© en 2007 et de l'arrestation de ses fondateurs, qui ont Ă©tĂ© condamnĂ©s pour facilitation de blanchiment d'argent et activitĂ© de transfert d'argent sans licence. Il a connaissance de la censure financiĂšre grandissante perpĂ©trĂ©e par les banques pour se conformer aux rĂ©glementations Ă©tatiques.

Il donne quelques indices dans sa façon de dire les choses. Par exemple, lorsqu'il s'oppose au fait de déclarer explicitement de considérer Bitcoin « comme un investissement » en juin 2009, il écrit à Martti que « c'est quelque chose de dangereux à dire » et qu'il devrait « supprimer ce point » (#19), craignant probablement les lois qui réglementent le conseil en investissement. Plus tard, en février 2010, lorsque Martti lui évoque la volonté de traduire le site web en finnois, Satoshi répond la chose suivante (#158) :

« Il serait peut-ĂȘtre prĂ©fĂ©rable de ne pas le traduire dans ta propre langue. Souvent, la rĂ©ponse habituelle en matiĂšre de lĂ©galitĂ© est que le contenu n'est destinĂ© qu'aux ressortissants d'autres pays. Le fait de le traduire dans ta langue maternelle affaiblit cet argument. »

Ainsi, la préoccupation de Satoshi vis-à-vis du pouvoir politique atteint un niveau quasi paranoïaque, ce qui montre qu'il a conscience du caractÚre profondément transgressif de sa découverte. C'est probablement pourquoi il déclarera dans l'un de ses derniers messages publics en décembre 2010 que « WikiLeaks a donné un coup de pied dans la fourmiliÚre » et que « la colonie se dirige maintenant vers nous », avant de disparaßtre à jamais.

Le succĂšs de Bitcoin et la disparition

À partir de la fin de l'annĂ©e 2009, les choses commencent Ă  s'arranger pour Bitcoin. Le mois de novembre est consacrĂ© Ă  la migration de la page SourceForge vers Bitcoin.org (#102) : la description de Martti Malmi se retrouve donc sur le site officiel (#124). C'est aussi l'occasion de lancer un nouveau forum, celui hĂ©bergĂ© sur SourceForge n'Ă©tant pas assez Ă©voluĂ©. Satoshi Ă©crit ainsi (#59) : « Maintenant que le forum sur bitcoin.sourceforge.net gagne en popularitĂ©, nous devrions vraiment chercher un endroit qui hĂ©berge gratuitement la gestion d'un forum complet. » AprĂšs des hĂ©sitations au sujet du moteur logiciel Ă  utiliser, c'est Simple Machines Forum qui est choisi par Satoshi (#99). Le nouveau forum est mis en ligne le 26 novembre Ă  l'adresse bitcoin.org/smf (#110).

Quelques mois plus tard, ce forum commence à attirer beaucoup de monde et devient le centre névralgique de la communication autour de Bitcoin. Le 7 février 2010, Satoshi s'étonne ainsi de son succÚs (#153) : « Le forum est en train de décoller. Je ne m'attendais pas à ce qu'il y ait autant d'activité aussi rapidement. » En mai, Martti devra ajouter plusieurs sections pour organiser les nombreuses discussions (#191).

Certaines personnes contactent Ă©galement Satoshi en privĂ©. C'est notamment le cas de Jon Matonis, un Ă©conomiste qui tient le blog The Monetary Future oĂč il traite de sujets liĂ©s aux monnaies numĂ©riques, Ă  la banque libre et Ă  la cryptographie, et qui « souhaite Ă©crire un article sur Bitcoin » (#189). Le 4 mars, Satoshi lui rĂ©pond en le complimentant sur son blog en disant qu'il « aurait aimĂ© qu'il y ait quelque chose comme ça » quand il avait fait ses premiĂšres recherches trois ans auparavant. Le 6, il envoie un courriel Ă  Martti en lui demandant de l'aide, car il n'a « pas le temps de rĂ©pondre Ă  ses questions », chose que le Finlandais accepte le lendemain (#190). NĂ©anmoins, il semble que Satoshi ne le met finalement pas en relation avec Jon Matonis, ce dernier publiant un trĂšs succinct article sur Bitcoin le 13 mars (UTC).

Le 11 juillet 2010, il se produit un évÚnement qui bouleverse l'histoire de Bitcoin : suite à la sortie de la version 0.3 du logiciel, une courte présentation de Bitcoin rédigée par un utilisateur est publiée sur Slashdot, un site d'actualité trÚs populaire auprÚs des passionnés d'informatiques et d'autres sujets. Cet évÚnement provoque un afflux massif de visiteurs sur le site et sur le forum de Bitcoin, une augmentation du nombre d'utilisateurs et de mineurs sur le réseau. En particulier, le prix du BTC connaßt la premiÚre hausse majeure de son histoire, en passant de 0,008 $ à 0,08 $ en une semaine.

Mais cela veut dire aussi que le travail de Satoshi et des développeurs s'accroßt considérablement. Le 18 juillet (#210), le créateur de Bitcoin écrit ainsi à Martti, en réponse à sa suggestion de changer de service d'hébergement pour le site et le forum :

« S'il te plaĂźt, promets-moi de ne pas faire de basculement maintenant. La derniĂšre chose dont nous avons besoin, c'est de problĂšmes de basculement qui s'ajoutent Ă  l'afflux de travail que nous recevons actuellement de slashdot. Je perds la tĂȘte tellement il y a de choses Ă  faire. »

Ce sentiment de surcharge se confirme dÚs l'été avec plusieurs problÚmes techniques qui sont découverts, comme le 1 RETURN bug ou le dépassement de mémoire qui provoque le Value Overflow Incident.

Tout ceci montre cependant que le projet a pris. La communauté est désormais suffisamment grande et enthousiaste pour que Bitcoin ne faiblisse pas. Satoshi sent qu'il peut prendre du recul et donner plus de responsabilités à ses premiers auxiliaires, Martti Malmi et Gavin Andresen. Le rÎle de Gavin est notamment prépondérant. Le 3 décembre, lorsque Martti lui demande à qui il pourrait donner un rÎle d'administrateur serveur supplémentaire pour le site, Satoshi répond (#241) :

« Ce devrait ĂȘtre Gavin. J'ai confiance en lui, il est responsable, professionnel, et techniquement bien plus compĂ©tent que moi avec linux. »

C'est probablement en dĂ©cembre 2010 que le crĂ©ateur dĂ©cide de disparaĂźtre, alors que des utilisateurs du forum suggĂšrent que WikiLeaks devrait accepter le bitcoin, l'ONG de Julian Assange Ă©tant soumise Ă  un blocus financier des acteurs traditionnels et ne pouvant donc pas recevoir de dons. Le 5 dĂ©cembre, Satoshi s'y oppose publiquement en dĂ©clarant que « le projet a besoin de grandir progressivement pour que le logiciel puisse se renforcer en cours de route » et que « Bitcoin est une petite communautĂ© expĂ©rimentale encore naissante ». Le 7 dĂ©cembre, il envoie un courriel Ă  Martti lui demandant s'il peut l'« ajouter Ă  la liste de dĂ©veloppeurs du projet sur la page de contact ». Son intention est de retirer ses propres informations de contact. Cela corrobore les propos que Gavin Andresen tiendra quelques annĂ©es plus tard, Satoshi ayant procĂ©dĂ© exactement de la mĂȘme façon avec lui : « [Satoshi] a fini par me rouler dans la farine en me demandant s'il pouvait mettre mon adresse de courrier Ă©lectronique sur la page d'accueil de bitcoin, et j'ai dit oui, sans me rendre compte que, lorsqu'il mettrait mon adresse, il enlĂšverait la sienne. »

Le 12 dĂ©cembre, Satoshi poste son dernier message public sur le forum, mais continue d'interagir en privĂ© avec les personnes en lesquelles il a confiance. Il cherche Ă  se faire le plus discret possible et ne souhaite pas s'exposer en se chargeant de la communication du projet. Ainsi, le 6 janvier 2011, lorsque Gavin lui dit qu'il ferait mieux de parler Ă  la presse Ă  l'occasion d'un contact avec Rainey Reitman de l'Electronic Frontier Foundation, il rĂ©pond que ce dernier est « la meilleure personne pour le faire » (#254). Ce n'est pas par manque d'intĂ©rĂȘt, car il poursuit en ajoutant :

« L'EFF est trÚs importante. Nous voulons entretenir de bonnes relations avec elle. Nous sommes le type de projet qu'ils apprécient ; ils ont aidé le projet TOR et ont fait beaucoup pour protéger le partage de fichiers en P2P. »

Il disparaĂźt dĂ©finitivement en mai 2011, deux ans aprĂšs la premiĂšre prise de contact avec Martti Malmi. À celui-ci il Ă©crit : « Je suis passĂ© Ă  autre chose et je ne serai probablement plus lĂ  Ă  l'avenir. » Il a peut-ĂȘtre choisi de se consacrer Ă  son activitĂ© professionnelle, mentionnĂ©e dans l'un des courriel pour expliquer son absence d'aoĂ»t 2009 (#24). On ne le saura probablement jamais.

Suite à la disparition du créateur de Bitcoin, le site et le forum seront confiés à Cobra (un autre Finlandais) et Theymos. Le forum sera ensuite déplacé à l'adresse forum.bitcoin.org en mai 2011 puis vers bitcointalk.org en août. Martti Malmi, lui, vendra ses bitcoins durement minés pour s'acheter un appartement à Helsinki. Et Bitcoin continuera de fonctionner, bloc aprÚs bloc.

Des nouveaux éléments dans l'énigme Nakamoto

La publication de la correspondance entre Martti Malmi et Satoshi Nakamoto constitue ainsi un évÚnement important, qui a marqué la communauté de Bitcoin. Ces courriels nous racontent la relation qui unissait le créateur de Bitcoin et le jeune Finlandais lorsqu'ils ont développé ce qui est aujourd'hui une cryptomonnaie utilisée par des millions de personnes, notamment en forgeant un discours qui a depuis été repris par beaucoup. Nous remercions ainsi Martti Malmi de les avoir mis en ligne, malgré sa réticence compréhensible à rendre public des échanges privés sans l'accord de l'autre personne.

Ces courriels sont fondamentaux dans la comprĂ©hension que l'on a de Satoshi. MĂȘme s'ils ne nous apprennent rien de rĂ©ellement crucial, ils ont le mĂ©rite d'Ă©claircir certains points sur la façon dont se sont dĂ©roulĂ©es les choses, tant du point de vue de la communication que de la technique. Certains traits de personnalitĂ© du crĂ©ateur de Bitcoin nous sont aussi confirmĂ©s comme son obsession de l'amorçage ou sa mĂ©fiance des autoritĂ©s.

En outre, ses relations avec d'autres personnages clés de l'histoire de Bitcoin transparaissent un peu plus clairement. Le 21 juillet 2009, Satoshi a ainsi mentionné Hal Finney disant qu'il avait « ouvert la voie » des années auparavant avec « sa Reusable Proof of Work (RPOW) » (#24), ce qui nous confirme qu'il avait bien connaissance de ce systÚme datant de 2004. Martti et Satoshi parlent aussi d'un certain David (#23), qui n'est nul autre que David Parrish ou dmp1ce et qui semble avoir un peu contribué au développement en 2009. On distingue aussi l'importance de NewLibertyStandard qui a tout simplement lancé Bitcoin économiquement en étant le premier commerçant et en garantissant une sorte de plancher de valeur. Enfin, Gavin Andresen apparaßt clairement dans ces e-mails comme celui qui pris la place de Martti Malmi en tant que bras droit de Satoshi au cours de l'année 2010, le Finlandais ayant été assez occupé à partir de ce moment.

En complĂ©ment de cet article, vous pouvez retrouver l'Ă©pisode d'Enigma Nakamoto consacrĂ© Ă  ce sujet : Épisode 11 : les mails de Martti Malmi.

Vous pouvez Ă©galement en apprendre plus sur Bitcoin dans mon livre, L'ÉlĂ©gance de Bitcoin, qui regorge de dĂ©tails croustillants et dont les deux premiers chapitres sont dĂ©diĂ©s Ă  raconter son histoire. Disponible sur le site de l'Ă©diteur en format brochĂ© et ebook, ainsi que sur Amazon.

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La prophétie auto-réalisatrice : comment le bitcoin a acquis une valeur

By: Ludovic Lars —

Comme nous l'avons vu au sein d'un précédent article, la création de Bitcoin a invalidé le théorÚme de régression de Ludwig von Mises, en prouvant qu'une monnaie pouvait émerger du marché sans posséder de valeur d'usage antérieure à son utilisation comme intermédiaire d'échange. Lors de son amorçage, le bitcoin n'avait en effet aucune utilité individuelle, n'était adossé à aucun autre bien, et ne bénéficiait de la promesse de personne ni d'une quelconque mémoire d'une monnaie passée. La valeur du bitcoin semble avoir surgi de nulle part, remettant en cause les conceptions erronées qu'on pouvait avoir de la monnaie.

Bitcoin ne constitue pas la premiĂšre tentative de crĂ©er un « argent liquide numĂ©rique » et fait suite Ă  de nombreuses expĂ©riences infructueuses, qui se sont notamment dĂ©roulĂ©es lors des annĂ©es 1990. Bitcoin a ainsi rĂ©ussi lĂ  oĂč de nombreux autres projets avaient Ă©chouĂ© : persister dans le temps en tant que systĂšme de monnaie entiĂšrement numĂ©rique. AprĂšs plus de 12 ans d'existence, il est toujours lĂ  et continuera probablement de fonctionner pendant des annĂ©es et des annĂ©es.

Dans cet article nous allons voir comment la prouesse de la premiÚre valorisation du bitcoin a été possible.

 

La valeur de la monnaie

Comme l'a montré l'école autrichienne d'économie, la valeur est subjective et dépend de ce fait du point de vue individuel. Cette conception s'oppose en particulier à la théorie de la valeur-travail qui postule que le travail donne sa valeur à un bien. Tel que l'écrivait Carl Menger dans ses Principes d'économie politique, « la valeur n'existe pas en dehors de la conscience des hommes ».

La monnaie ne fait pas exception à cette rÚgle : les gens valorisent un bien servant de monnaie selon l'évaluation subjective qu'ils font du bien, évaluation qui peut varier d'un individu à un autre. Néanmoins, il est possible de dégager quelques considérations qui s'appliquent spécifiquement à ce bien.

PremiĂšrement, il faut prĂ©ciser que la monnaie est un phĂ©nomĂšne intersubjectif : bien qu'elle puisse ĂȘtre acquise pour ses qualitĂ©s intrinsĂšques, elle est gĂ©nĂ©ralement valorisĂ©e sur la base sur sa capacitĂ© Ă  acheter d'autres biens, donc sur ce que va penser autrui. Les gens vont accepter une monnaie dans le commerce s'ils pensent qu'ils peuvent la dĂ©penser ailleurs. Cela fait qu'on peut mettre en Ă©vidence une valeur d'Ă©change objective, le pouvoir d'achat basĂ© sur les taux des Ă©changes du marchĂ©, qui sert d'Ă©talon pour l'individu pour valoriser subjectivement le bien. Puisque la monnaie lui sert Ă  se procurer d'autres biens, l'individu ne peut en effet l'Ă©valuer en tant que monnaie que par rapport aux prix pratiquĂ©s sur le marchĂ©.

DeuxiÚmement, comme on l'a déjà suggéré, il est possible de décomposer la valeur de la monnaie en deux parties mutuellement exclusives :

  • Sa valeur non monĂ©taire, qui fait qu'un individu va valoriser le bien pour l'utilitĂ© industrielle, esthĂ©tique, etc. qu'il peut en retirer. Cette valeur est spĂ©cifique au consommateur final.
  • Sa valeur monĂ©taire, qui dĂ©coule de l'avantage qu'un individu va retirer de l'utilisation du bien comme intermĂ©diaire d'Ă©change. Cette valeur dĂ©pend du nombre de personnes qui l'utilisent comme intermĂ©diaire d'Ă©change et Ă©volue de maniĂšre superlinĂ©aire.

Pour les monnaies-marchandises, on peut ainsi distinguer la demande intrinsÚque de la demande monétaire : l'or ne tire pas sa valeur uniquement de sa demande esthétique (bijoux) et industrielle (microprocesseurs), mais aussi de sa demande en tant qu'intermédiaire d'échange, demande venant notamment des banques centrales.

TroisiĂšmement, une monnaie peut ĂȘtre exclusivement valorisĂ©e pour ses fonctions monĂ©taires, comme le montre l'existence des monnaies fiat. L'euro, par exemple, tire sa valeur de son adoption comme intermĂ©diaire d'Ă©change, et n'a pas d'utilitĂ© intrinsĂšque en dehors de celle des matĂ©riaux constituant les piĂšces et les billets. La valeur non monĂ©taire d'une monnaie peut donc ĂȘtre nĂ©gligeable voire nulle.

Pour que ceci soit possible, il faut juste obtenir un effet de réseau suffisant pour que les gens aient confiance dans son utilisation comme monnaie. Dans le cas de l'euro, l'usage comme argent repose sur le décret étatique qui contraint les commerçants à l'accepter (cours légal) et qui oblige les citoyens à payer l'impÎt et à rÚgler leurs dettes avec. Dans le cas du bitcoin, cet usage est volontaire et ne repose sur aucune contrainte de ce type : rien n'oblige personne à l'utiliser.

Il s'agit donc d'une question de coordination. Dans le cas des monnaies-marchandises, le fait que le bien utilisé ait valeur d'usage initiale aide énormément à l'amorçage : puisque les gens dégagent déjà une utilité du bien, ils auront moins de mal à l'accepter comme moyen d'échange. Mais dans le cas du bitcoin, cela est plus compliqué : comment des individus ont-ils pu se coordonner pour faire émerger la valeur de cette monnaie numérique ?

 

Le regroupement autour d'un idéal

Comme on l'a dit, Bitcoin fait suite Ă  de nombreuses tentatives infructueuses de crĂ©er une monnaie entiĂšrement numĂ©rique, comme le Haxthorne Exchange, Magic Money ou encore eCash. Cette sĂ©rie d'Ă©checs a amenĂ© progressivement les membres de la communautĂ© cypherpunk Ă  renoncer Ă  ce rĂȘve. Tel que le disait Satoshi Nakamoto dans un courriel du 13 janvier 2009 adressĂ© Ă  Dustin Trammell :

Vous savez, je pense qu'il y avait beaucoup plus de gens qui étaient intéressés [par la monnaie électronique] dans les années 90, mais aprÚs plus d'une décennie d'échecs de systÚmes basés sur des tiers de confiance (Digicash, etc.), ils voient cela comme une cause perdue. J'espÚre qu'ils sauront distinguer que c'est la premiÚre fois, à ma connaissance, que nous essayons un systÚme qui n'est pas fondé sur la confiance.

Bitcoin a donc innovĂ© par rapport Ă  ces projets par son fonctionnement dĂ©centralisĂ© ne nĂ©cessitant pas d'autoritĂ© centrale, qui faisait qu'il ne pouvait pas ĂȘtre arrĂȘtĂ© par la fermeture d'un simple serveur. Et c'est sur cette base qu'il a pu acquĂ©rir la valeur qu'il a aujourd'hui.

Ross Ulbricht, le célÚbre opérateur de la place de marché Silk Road entre 2011 et 2013, expliquait dans un essai rédigé en 2019 :

C'est comme par magie que le bitcoin a pu en quelque sorte provenir de rien et, sans valeur prĂ©alable ni dĂ©cret autoritaire, devenir une monnaie. Mais Bitcoin n'a pas Ă©mergĂ© du vide. C'Ă©tait la solution d'un problĂšme sur lequel les cryptographes buttaient depuis de nombreuses annĂ©es : Comment crĂ©er une monnaie numĂ©rique sans autoritĂ© centrale qui ne puisse pas ĂȘtre contrefaite et qui soit digne de confiance.

Ce problĂšme a persistĂ© si longtemps que certains ont laissĂ© la solution Ă  d'autres et ont rĂȘvĂ© Ă  la place de ce que serait notre avenir si la monnaie numĂ©rique dĂ©centralisĂ©e devenait rĂ©alitĂ© d'une maniĂšre ou d'une autre. Ils rĂȘvaient d'un avenir oĂč le pouvoir Ă©conomique du monde est accessible Ă  tous, oĂč la valeur peut ĂȘtre transfĂ©rĂ©e n'importe oĂč en appuyant sur un bouton. Ils rĂȘvaient de prospĂ©ritĂ© et de libertĂ©, qui ne dĂ©pendraient uniquement que des mathĂ©matiques du chiffrement fort.

C'est donc sur le rĂȘve d'une monnaie numĂ©rique libre que s'est fondĂ©e la valorisation initiale du bitcoin. L'objectif Ă©tait, dĂšs le dĂ©but, de crĂ©er une monnaie, et le bitcoin a Ă©tĂ© valorisĂ© pour sa propension Ă  devenir un intermĂ©diaire d'Ă©change.

En novembre 2008, sur la liste de diffusion dĂ©diĂ©e Ă  la cryptographie oĂč Satoshi Nakamoto a originellement publiĂ© le livre blanc, les participants Ă©taient loin d'ĂȘtre Ă©tonnĂ©s par l'idĂ©e de Bitcoin. En effet, la liste regroupaient des gens comme James A. Donald, Hal Finney, Perry Metzger et Zooko Wilcox-O’Hearn, qui avaient assistĂ© aux expĂ©riences des cypherpunks et qui avaient constatĂ© qu'un systĂšme de monnaie numĂ©rique pouvait ĂȘtre effectivement amorcĂ© sans valeur intrinsĂšque. Leurs prĂ©occupations concernaient plutĂŽt la pĂ©rennitĂ© d'un tel systĂšme : Ă©tait-il fiable ? passait-il Ă  l'Ă©chelle ?

Seul Dustin Trammell, alors ingénieur en sécurité informatique du Texas, semblait s'inquiéter de cette question de la premiÚre valorisation. Dans un courriel du 14 janvier 2009 adressé à Satoshi, il disait :

Le vrai truc sera d'amener les gens à valoriser réellement les BitCoins afin qu'ils deviennent une monnaie. Actuellement, ce ne sont que des collections de bits...

Satoshi, bien conscient que cela pouvait poser problÚme conceptuels pour certaines personnes, lui a répondu le 15 janvier en évoquant les cas d'usage que Bitcoin permettrait s'il acquérait une valeur :

MĂȘme s'il ne dĂ©colle pas tout de suite, il sera dĂ©sormais disponible pour le prochain gars qui imaginera un projet nĂ©cessitant une sorte de jeton ou de monnaie Ă©lectronique. Cela pourrait commencer comme un systĂšme fermĂ© ou comme une niche restreinte comme des points de rĂ©compense, des jetons de don, de la monnaie pour un jeu ou des micropaiements pour des sites pour adultes. Une fois le systĂšme amorcĂ©, il y a un certain nombre d'applications si vous pouvez facilement payer quelques centimes Ă  un site web aussi facilement que vous dĂ©posez des piĂšces dans un distributeur automatique.

Ici, Satoshi ne parlait pas de l'usage (alors inexistant) de Bitcoin, mais des possibilités qu'il laissait entrevoir.

Ainsi, c'est le potentiel de Bitcoin qui a poussĂ© les gens Ă  valoriser son unitĂ© de compte en premier lieu et qui leur a permis de se coordonner. Les individus intĂ©ressĂ©s par Bitcoin se regroupaient autour d'un idĂ©al de monnaie numĂ©rique Ă©chappant au contrĂŽle des banques et des États, qui ne puisse pas ĂȘtre censurĂ©e ou contrĂŽlĂ©e, et c'est sur cela que le projet a pu connaĂźtre le succĂšs.

Tel que le disait un dénommé Tyler Gillies le 15 août 2009 dans la liste de diffusion officielle :

je viens de télécharger bitcoin, un logiciel épique. l'Úre de l'argent liquide numérique est arrivée

 

La rareté infalsifiable du bitcoin

Lors de son apparition, Bitcoin a ainsi ravivĂ© l'idĂ©e chĂšre aux cypherpunks d'une monnaie numĂ©rique fonctionnant de maniĂšre indĂ©pendante sur internet. Mais cela allait mĂȘme plus loin, et Bitcoin proposait quelque chose que personne n'avait vu jusqu'alors pour une unitĂ© de compte numĂ©rique : une raretĂ© que l'on ne puisse pas altĂ©rer. Bitcoin se passait en effet de tiers de confiance et pouvait par consĂ©quent maintenir une politique monĂ©taire fixe, sans qu'il soit possible pour une entreprise ou un État d'arrĂȘter le systĂšme.

Lors de la sortie de la premiÚre version du logiciel le 8 janvier 2009, Satoshi Nakamoto décrivait l'émission monétaire du bitcoin comme suit :

La circulation totale sera de 21 000 000 de piĂšces. Elle sera distribuĂ© aux nƓuds du rĂ©seau lorsqu'ils crĂ©eront des blocs, le montant Ă©tant divisĂ© par deux tous les 4 ans.

les 4 premiÚres années: 10 500 000 piÚces
les 4 années suivantes : 5 250 000 piÚces
les 4 années suivantes : 2 625 000 piÚces
les 4 années suivantes : 1 312 500 piÚces
etc...

Lorsque cela est épuisé, le systÚme peut prendre en charge des frais de transaction si nécessaire.

Le bitcoin devait donc tendre à devenir au fil du temps une monnaie à quantité fixe. Cette caractéristique unique a bouleversé l'imagination des gens : s'il y avait un nombre limité de bitcoins et que l'utilité monétaire du réseau augmentait, alors leur prix unitaire subirait une forte hausse.

Hal Finney a été le premier à évoquer cette idée, et a initié par là ce qui deviendrait par la suite un élément central (et vital) de Bitcoin, qui est la spéculation autour du prix. Dans un courriel du 11 janvier, il écrivait :

Il est intĂ©ressant de noter que le systĂšme peut ĂȘtre configurĂ© pour n'autoriser qu'un nombre maximum certain de piĂšces Ă  gĂ©nĂ©rer. Je suppose que l'idĂ©e est que le travail nĂ©cessaire pour gĂ©nĂ©rer une nouvelle piĂšce deviendra plus difficile avec le temps.

Un des problĂšmes immĂ©diats avec n’importe quelle nouvelle devise est de savoir comment la valoriser. MĂȘme en ignorant le problĂšme pratique liĂ© au fait que quasiment personne ne l’acceptera au dĂ©but, il est toujours difficile de trouver un argument raisonnable en faveur d’une valeur particuliĂšre non nulle pour les piĂšces.

Comme expĂ©rience de pensĂ©e amusante, imaginez que Bitcoin rĂ©ussisse et devienne le systĂšme de paiement dominant utilisĂ© dans le monde entier. Alors, la valeur totale de la devise devrait ĂȘtre Ă©gale Ă  la valeur totale de toutes les richesses du monde. Les estimations actuelles que j'ai trouvĂ©es de la richesse totale des mĂ©nages dans le monde varient de 100 Ă  300 milliards de dollars. Avec 20 millions de piĂšces, cela donne Ă  chaque piĂšce une valeur d'environ 10 millions.

Ainsi, la possibilitĂ© de gĂ©nĂ©rer des piĂšces aujourd'hui avec l'Ă©quivalent de quelques centimes de temps de calcul peut ĂȘtre un bon pari.

Le calcul était plus que constestable (la monnaie n'est pas censée représenter toute la richesse du monde), mais cette idée a joué un rÎle non négligeable dans l'adoption de bitcoin comme monnaie. Ainsi, dÚs le 15 janvier, la théorie de Finney est intervenue dans la correspondance entre Satoshi Nakamoto et Dustin Trammell, lorsque le créateur de Bitcoin a déclaré :

Hal a en quelque sorte fait allusion Ă  la possibilitĂ© qu'il puisse ĂȘtre considĂ©rĂ© comme un investissement Ă  long terme. Je serais surpris que dans 10 ans nous n'utilisions pas la monnaie Ă©lectronique d'une maniĂšre ou d'une autre, maintenant que nous connaissons un moyen de faire qui ne sera pas inĂ©vitablement nivelĂ© par le bas lorsque le [tiers de confiance] se dĂ©gonflera.

Suite à cela, Dustin Trammell a répondu :

Oui, j'ai vu ce message et c'est l'une des raisons pour lesquelles j'ai dĂ©marrĂ© un nƓud si rapidement. Mes systĂšmes ne font pas grand-chose d'autre lorsqu'ils sont inactifs, alors pourquoi ne pas crĂ©er des BitCoins ? Et s'ils valent quelque chose un jour ... ? Ce sera un bonus !

Cela ne s'est pas arrĂȘtĂ© lĂ . Le lendemain, Satoshi a publiĂ© une version arrangĂ©e de son courriel Ă  Dustin Trammell, approuvant ainsi publiquement cette façon de voir les choses :

Il pourrait ĂȘtre judicieux d’en avoir au cas oĂč cela prendrait. Si suffisamment de gens pensent la mĂȘme chose, cela devient une prophĂ©tie auto-rĂ©alisatrice.

Et, un mois plus tard, sur le forum de la P2P Foundation, il a réitéré cette conception dans un commentaire sous sa présentation de Bitcoin :

À mesure que le nombre d'utilisateurs augmente, la valeur par piĂšce augmente. Cela a le potentiel de devenir une boucle de rĂ©troaction positive ; Ă  mesure que les utilisateurs augmentent en nombre, la valeur augmente, ce qui pourrait attirer davantage d'utilisateurs dĂ©sireux de profiter de la valeur croissante.

Enfin, cet élément narratif est apparu sur l'une des premiÚres version de la page Sourceforge (bitcoin.sourceforge.net), dans une présentation écrite par Martti Malmi, un jeune développeur finlandais qui aidait Satoshi depuis mai :

La valeur du bitcoin est susceptible d'augmenter Ă  mesure que la croissance de l'Ă©conomie utilisant Bitcoin dĂ©passe le taux d'inflation [monĂ©taire] - considĂ©rez le bitcoin comme un investissement et commencez Ă  faire tourner un nƓud dĂšs aujourd'hui !

Le bitcoin était donc vendu dÚs ses débuts comme un moyen opportuniste de gagner de l'argent, ce qui a contribué à sa premiÚre valorisation mais aussi à son succÚs comme on le sait. Cela préfigurait les bulles spéculatives qui se produiraient des années plus tard, attireraient les foules mais aussi les individus authentiquement intéressés par Bitcoin.

 

L'Ă©mergence de la valeur du bitcoin

Tous ces Ă©lĂ©ments (le caractĂšre subjectif de la valeur, le rĂȘve d'une monnaie numĂ©rique indĂ©pendante, la raretĂ© infalsifiable) ont fait que le bitcoin a pu Ă©merger du marchĂ© en tant que monnaie, et en vertu de sa fonction de monnaie. Ses utilisateurs se sont coordonnĂ©s par le biais de courriels, de listes de diffusions, de forums et de messages directs, dans le but de construire la monnaie numĂ©rique qu'on connaĂźt aujourd'hui. Il n'Ă©taient pas trĂšs nombreux mais formaient un cercle restreint autour duquel pouvaient par la suite se greffer les nouveaux arrivants. L'important c'Ă©tait qu'ils contribuaient Ă  faire de Bitcoin une rĂ©alitĂ©.

Hal Finney a jouĂ© un rĂŽle prĂ©pondĂ©rant dans l'Ă©mergence de Bitcoin. En effet, celui-ci occupait une place centrale dans l'histoire des monnaies numĂ©riques, ce qui faisait qu'il disposait de l'expĂ©rience nĂ©cessaire pour lancer le systĂšme. Comme on l'a vu, il avait participĂ© Ă  la plupart des expĂ©riences des monnaies numĂ©riques des annĂ©es 1990. Par la suite, il s'Ă©tait intĂ©ressĂ© aux idĂ©es de b-money et de bit gold dĂ©veloppĂ©es respectivement par Wei Dai et Nick Szabo. Et en 2004, il avait mĂȘme tentĂ© de crĂ©er son propre modĂšle d'unitĂ© monĂ©taire numĂ©rique : le systĂšme preuves de travail rĂ©utilisables (RPOW).

En 2008, il Ă©tait donc tout Ă  fait en mesure de reconnaĂźtre l'innovation qu'apportait Bitcoin lorsque Satoshi Nakamoto a publiĂ© le livre blanc sur la Cryptography Mailing List de metzdowd.com. Tou d'abord, Hal Finney, qui Ă©tait actif sur cette liste de diffusion, a Ă©tĂ© l'un des premiers Ă  rĂ©pondre Ă  Satoshi. Puis, il a Ă©tĂ© Ă  l'origine de la thĂ©orie spĂ©culative qui permettrait Ă  la valeur du bitcoin d'Ă©merger. Ensuite, il l'a aidĂ© Ă  amĂ©liorer le code de Bitcoin avant et aprĂšs son lancement. Et enfin, il a Ă©tĂ© l'un des premiers Ă  faire fonctionner un nƓud, a minĂ© le bloc 78 le 11 janvier 2009 et a reçu 10 bitcoins de la part de Satoshi Nakamoto au sein de la premiĂšre transaction effective du rĂ©seau le 12 janvier.

Malgré son omniprésence, Hal Finney n'a heureusement pas été le seul à participer à cet amorçage. On peut par exemple noter l'engagement de Dustin Trammell, qui a également miné des blocs trÚs tÎt, et qui a, lui aussi, reçu une transaction de la part de Satoshi Nakamoto le 14 janvier.

Pendant 9 mois, le bitcoin n'a Ă©tĂ© Ă©changĂ© contre rien, et n'avait par consĂ©quent aucun prix. Cependant, en octobre 2009, un utilisateur dĂ©sireux de monter un service d'Ă©change, se faisant appeler NewLibertyStandard, a eu l'idĂ©e d'estimer la valeur des bitcoins selon le coĂ»t Ă©nergĂ©tique nĂ©cessaire pour en obtenir. À l'Ă©poque la difficultĂ© Ă©tait de 1, ce qui imposait Ă  tous les nƓuds du rĂ©seau de rĂ©aliser environ 4,3 millions de calculs pour miner un bloc, ce qui n'Ă©tait pas rien pour un processeur. Ainsi, sur son site personnel, il publiait ses taux dĂ©pendant du coĂ»t de l'Ă©lectricitĂ© Ă  son emplacement ainsi que de la frĂ©quence de sa production personnelle. Il proposait d'acheter et de vendre du bitcoin Ă  ces taux via PayPal, moyennant des frais d'Ă©change.

 

Bitcoin NewLibertyStandard exchange rates 2009

 

C'est Martti Malmi qui, le 12 octobre 2009, a scellĂ© le premier Ă©change rĂ©alisĂ© avec le bitcoin en vendant 5050 bitcoins Ă  NewLibertyStandard pour 5,02 $ virĂ©s sur son compte PayPal. Cela Ă©tablissait le premier prix Ă  environ 0,1 centime de dollar. Les Ă©changes se sont par la suite intensifiĂ©s avec la crĂ©ation du service d'Ă©change Bitcoin Market en mars 2010 et surtout de Mt. Gox en juillet de la mĂȘme annĂ©e.

Le premier échange de bitcoins contre une marchandise physique a eu lieu en mai 2010. Le 18 mai, Laszlo Hanecz, un développeur américain d'origine hongroise de 28 ans, a publié un message sur le forum annonçant qu'il souhaitait se procurer de la pizza avec du bitcoin :

Je paierai 10 000 bitcoins pour deux ou trois pizzas... genre peut-ĂȘtre 2 grandes pour qu'il m'en reste le lendemain. J'aime avoir des restes de pizza Ă  grignoter pour plus tard. Vous pouvez faire la pizza vous-mĂȘme et l'amener jusqu'Ă  chez moi ou la commander pour moi dans un service de livraison, mais mon objectif c'est de me faire livrer de la nourriture en l'Ă©change de bitcoins que je n'ai pas Ă  commander ou Ă  prĂ©parer moi-mĂȘme.

AprÚs quelques jours sans réponse, il a réitéré sa demande et, le 22 mai, Jeremy Sturdivant (jercos sur IRC) a accepté son offre et lui a fait livrer 2 pizzas à son domicile contre 10 000 bitcoins (représentant environ 41 $ au moment de l'échange).

 

Pizzas bitcoin 2010 Laszlo Hanecz Jeremy Sturdivant

 

Le soir mĂȘme, Martti Malmi a rĂ©agi Ă  cet Ă©change fructueux par un commentaire enthousiaste :

FĂ©licitations Laszlo, une grande Ă©tape atteinte 😁

C'était en effet une étape cruciale dans l'amorçage et cet échange commercial montrait qu'il était possible de se procurer des biens dans le monde réel grùce à cette unité numérique.

Ainsi, la valeur du bitcoin provient d'une prophétie auto-réalisatrice : des individus ont décidé que le bitcoin serait une monnaie et en ont fait une monnaie par leurs pensées, par leurs paroles et par leurs actes. Sans ces individus, le bitcoin n'aurait jamais pu acquérir une valeur pérenne.

Le 27 août 2010, Satoshi Nakamoto décrivait ce qui était déjà en train de se produire avec le bitcoin :

Peut-ĂȘtre qu'il pourrait obtenir une valeur initiale circulaire [...], par le biais de personnes prĂ©voyant son utilitĂ© potentielle pour l'Ă©change. (J'en voudrais certainement) Peut-ĂȘtre que les collectionneurs, ou n'importe quelle raison arbitraire, pourraient le lancer.

La suite est connue. Bitcoin a rĂ©ellement dĂ©collĂ© en 2011, avec la mise en ligne de la plateforme Silk Road en janvier (qui montrait au monde pourquoi Bitcoin Ă©tait unique) et la paritĂ© avec le dollar atteinte par le prix en fĂ©vrier (qui tĂ©moignait d'un attrait spĂ©culatif). À ce moment-lĂ , il Ă©tait impossible de revenir en arriĂšre. La machine Ă©tait lancĂ©e.

 


Sources

Nathaniel Popper, Digital Gold: Bitcoin and the Inside Story of the Misfits and Millionaires Trying to Reinvent Money, 2016.
William J. Luther, Getting Off the Ground: The Case of Bitcoin, 8 août 2017.
Ross Ulbricht, Bitcoin Equals Freedom, 25 septembre 2019.

☐ ☆ ✇ Comprendre la cryptomonnaie

Pay to Script Hash (P2SH) pleinement expliqué

By: Ludovic Lars —

Bitcoin est un systĂšme de monnaie programmable et constitue la premiĂšre implĂ©mentation de ce qu’on appelle les smart contracts ou contrats autonomes. À chaque transaction, des scripts sont exĂ©cutĂ©s pour vĂ©rifier que les fonds dĂ©pensĂ©s remplissent les conditions voulues par l’utilisateur prĂ©cĂ©dent. De nombreuses conditions sont peuvent ĂȘtre mises en place (divulgation d’un secret, verrou temporel, multisignature), mĂȘme si le plus souvent les fonds sont simplement dĂ©pensĂ©s grĂące Ă  la signature d’un utilisateur unique.

Bitcoin repose sur un modĂšle de piĂšces (UTXO), oĂč chaque piĂšce est verrouillĂ©e par un script incomplet Ă©crit sur la chaĂźne. Lors d’une transaction, les piĂšces de bitcoin en entrĂ©e sont dĂ©verrouillĂ©es par un script complĂ©mentaire. Puis, de nouvelles piĂšces sont crĂ©Ă©es Ă  partir des anciennes grĂące Ă  de naouveaux scripts de verrouillage, ce qui perpĂ©tue le caractĂšre programmable du systĂšme.

Transaction : UTXO et scripts

Lorsque j’ai dĂ©couvert comment les transactions fonctionnaient et ce qu’elles permettaient, j’ai Ă©tĂ© fascinĂ© par l’élĂ©gance de cette solution. NĂ©anmoins, en approfondissant ma recherche, j’ai Ă©tĂ© perturbĂ© par l’existence d’une chose qui diffĂ©rait des autres, une exception : le schĂ©ma Pay to Script Hash, qu’on abrĂšge couramment en P2SH.

 

Les différents schémas : P2PK, P2PKH, P2MS et P2SH

Des scripts sont impliquĂ©s dans chaque transaction du rĂ©seau Bitcoin. Le langage de script est constituĂ© de plus d’une centaine de codes opĂ©ration, de sorte qu’un large Ă©ventail de possibilitĂ©s s’offre Ă  nous vis-Ă -vis des conditions qu’on souhaite imposer.

Cependant, dans le but d’amĂ©liorer la communication entre les diffĂ©rentes applications et de limiter le risque de perte, certains standards de scripts, ou schĂ©mas, ont Ă©mergĂ©.

 

P2PK : Pay to Public Key

Le premier schĂ©ma s’appelle Pay to Public Key (P2PK), qu’on peut traduire littĂ©ralement en français par « payer Ă  la clĂ© publique ». Il s’agit d’envoyer des fonds vers la clĂ© publique (public key) d’un utilisateur, que lui seul pourrait dĂ©penser en signant avec sa clĂ© privĂ©e. Le script de verrouillage (parfois appelĂ© scriptPubKey) permettant ce type d’envoi est :

<clé publique> CHECKSIG

Au moment de la dĂ©pense, l’utilisateur doit utiliser un script de dĂ©verrouillage (parfois appelĂ© scriptSig) contenant simplement sa signature :

<signature>

Pour l’expliquer en français, l’exĂ©cution successive de ces deux scripts permet de vĂ©rifier que la signature fournie par l’utilisateur correspond Ă  sa clĂ© publique, auquel cas elle est valide.

Si le schĂ©ma P2PK Ă©tait utilisĂ© dans les premiers jours de Bitcoin, notamment pour recevoir les gains de minage, il est aujourd’hui tombĂ© en dĂ©suĂ©tude au profit d’un schĂ©ma rival : P2PKH.

 

P2PKH : Pay to Public Key Hash

Pay to Public Key Hash (P2PKH), littĂ©ralement « payer Ă  l’empreinte de la clĂ© publique », est le deuxiĂšme type de schĂ©ma apparu dans Bitcoin dĂšs le dĂ©but, grĂące Ă  la conception de Satoshi Nakamoto. Ce schĂ©ma permet non pas de rĂ©aliser un paiement vers une clĂ© publique, mais vers l’empreinte d’une clĂ© publique, et de faire en sorte que le systĂšme de script de Bitcoin vĂ©rifie quand mĂȘme que la signature correspond Ă  la clĂ© publique lors de la dĂ©pense des fonds. L’empreinte de la clĂ© publique est alors considĂ©rĂ©e comme la donnĂ©e essentielle de l’adresse, qui dans ce cas commence toujours par un 1, comme par exemple 1DzxhUphLFq8FZPGbFgLF8Ssz3hMX9EuMp.

Le script de verrouillage ici est :

DUP HASH160 <empreinte de la clé publique> EQUALVERIFY CHECKSIG

Et le script de déverrouillage est :

<signature> <clé publique>

Pour le dire en français, l’exĂ©cution des deux scripts permet de :

  • VĂ©rifier que le passage de la clĂ© publique fournie par la fonction de hachage HASH160 (l’empreinte) est Ă©gale Ă  l’empreinte qui est spĂ©cifiĂ©e dans le script ;
  • VĂ©rifier la signature fournie correspond Ă  la clĂ© publique fournie.

L’avantage de ce schĂ©ma est qu’il permet d’avoir des adresses plus courtes (l’information Ă  encoder n’est que de 20 octets au lieu de 65 octets pour une clĂ© publique), chose pour laquelle Satoshi Nakamoto l’a implĂ©mentĂ©. De plus, en ne rĂ©vĂ©lant la clĂ© publique qu’au moment de la dĂ©pense, ce schĂ©ma accroĂźt aussi la sĂ©curitĂ© contre la menace (trĂšs hypothĂ©tique) de l’ordinateur quantique.

 

P2MS : Pay To MultiSig

Le schĂ©ma Pay To MultiSig (P2SH), littĂ©ralement « payer Ă  la multisignature », s’est popularisĂ© dĂ©but 2012. Il s’agit essentiellement d’un schĂ©ma qui permet d’exiger la signature de M personnes faisant partie d’un groupe de N participants, via le script de verrouillage :

M <clé publique 1> ... <clé publique N> N CHECKMULTISIG

Le script de déverrouillage correspondant est :

<leurre (0)> <signature 1> ... <signature M>

Pour plus d’informations sur la multisignature, je vous invite à lire mon article sur les adresses multisignatures.

C’est ce schĂ©ma, particuliĂšrement exigeant au niveau de la mise en place, qui a motivĂ© la crĂ©ation du schĂ©ma P2SH.

 

P2SH

Pay to Script Hash (P2SH), littĂ©ralement « payer Ă  l’empreinte du script ». Ce schĂ©ma reprend l’idĂ©e derriĂšre P2PKH, Ă  la seule diffĂ©rence que la donnĂ©e hachĂ©e ici n’est pas une clĂ© publique, mais le script lui-mĂȘme ! Le script en question est alors appelĂ© script de rĂšglement (redeem script) et son empreinte est la donnĂ©e constituante de l’adresse, cette derniĂšre commençant toujours par un 3 Ă  l’instar de 3DyDCGSC59yYY46dnRH7Vw1iKbV8zeW36q.

Ce type de schĂ©ma a pour avantage de permettre Ă  un utilisateur d’y inclure n’importe quel script et de pouvoir recevoir des fonds de la quasi-totalitĂ© des portefeuilles existants. Le fardeau de la construction et du dĂ©verrouillage du script revient donc au dĂ©tenteur de l’adresse, non Ă  celui qui envoie les fonds, ce qui simplifie grandement la communication.

Le script de verrouillage pour le schéma P2SH est :

HASH160 <empreinte du script de rĂšglement> EQUAL

Et le script de déverrouillage est un script de la forme :

[éléments de déverrouillage] <script de rÚglement>

En français, cela veut dire que le systĂšme de script originel de Bitcoin va vĂ©rifier que le hachage du script de rĂšglement est Ă©gal Ă  l’empreinte inscrite dans le script. Et c’est tout.

Comment ça, « c’est tout » ? Le script de rĂšglement n’est pas exĂ©cutĂ© ? N’importe qui connaissant le script pourrait dĂ©penser les bitcoins ?

Comme on va le voir, ce n’est pas le cas et le script de rĂšglement est bien exĂ©cutĂ©, bien que ce ne soit pas indiquĂ© explicitement.

 

RĂšgles et exceptions : OP_EVAL et P2SH

Dans la vie, il y a souvent une maniĂšre Ă©lĂ©gante de faire les choses, qui demande parfois plus d’efforts initiaux mais qui prĂ©serve l’ordre et la simplicitĂ©, et une maniĂšre grossiĂšre, plus facile Ă  implĂ©menter mais qui complique les choses et crĂ©e le dĂ©sordre.

Ainsi, dans le systĂšme lĂ©gislatif d’un pays, il est plus facile de crĂ©er et de faire voter de nouvelles lois execeptionnelles que de rĂ©former en profondeur le systĂšme. Cette tendance Ă  l’inflation lĂ©gislative fait qu’on se retrouve avec des pays comme la France, qui cumule 73 codes juridiques en vigueur et qui vit de 214 taxes et impĂŽts ainsi que d’une myriade de cotisations sociales.

En informatique comme en droit, l’ajout de nouvelles exceptions crĂ©e de la dette technique, rendant le systĂšme plus complexe Ă  apprĂ©hender, plus difficile Ă  maintenir et plus susceptible de ne pas fonctionner comme attendu. P2SH fait partie de ces exceptions.

 

Le code opération mort-né : OP_EVAL

L’idĂ©e d’implĂ©menter un schĂ©ma de script qui utilise l’empreinte d’un autre script comme identifiant est nĂ©e en 2011, afin de reproduire ce qui est rĂ©alisĂ© dans la schĂ©ma P2PKH. Toutefois, cette idĂ©e n’a pas Ă©tĂ© dĂ©veloppĂ©e initialement comme P2SH, mais Ă  travers OP_EVAL, un nouveau code opĂ©ration permettant l’exĂ©cution rĂ©cursive d’un script Ă  l’intĂ©rieur d’un autre script.

L’ajout de ce code opĂ©ration, proposĂ© le 18 octobre 2011 par Gavin Andresen, devait ĂȘtre implĂ©mentĂ© comme un soft fork, via le remplacement de l’instruction nulle OP_NOP1.

Un schéma standard aurait également été ajouté. Le script de verrouillage imaginé pour ce schéma était :

DUP HASH160 <empreinte du script de rĂšglement> EQUALVERIFY EVAL

Le script de déverrouillage correspondant était :

[éléments de déverrouillage] <script de rÚglement>

Pour le dire en français, l’exĂ©cution des deux scripts cĂŽte Ă  cĂŽte aurait permis de :

  • VĂ©rifier que le hachage du script de rĂšglement soit Ă©gal Ă  l’empreinte spĂ©cifiĂ©e dans le script de verrouillage ;
  • VĂ©rifier que l’exĂ©cution du script de rĂšglement combinĂ© aux Ă©lĂ©ments de dĂ©verrouillage soit bien valide.

NĂ©anmoins cette solution n’a pas Ă©tĂ© acceptĂ©e, celle-ci ayant Ă©tĂ© jugĂ©e trop dangereuse au niveau du pouvoir de rĂ©cursion. À la place c’est un autre modĂšle, plus restrictif, qui a prĂ©valu : le schĂ©ma P2SH.

 

Comment fonctionne P2SH ?

P2SH a Ă©tĂ© proposĂ© le 3 janvier 2012 comme alternative Ă  OP_EVAL et Ă  d’autres propositions. Il a Ă©tĂ© intĂ©grĂ© au protocole Bitcoin le 1er avril sous la forme d’un soft fork activĂ© par les mineurs.

L’exĂ©cution de ce type de script fonctionne exactement comme le schĂ©ma liĂ© Ă  OP_EVAL, Ă  l’exception qu’une partie du script n’est pas explicitement indiquĂ©e. D’une part, la vĂ©rification de la correspondance entre l’empreinte indiquĂ©e et le script de rĂšglement est bien rĂ©alisĂ©e par le script de verrouillage. En effet, celui-ci devient (comme on l’a vu) :

DUP HASH160 <empreinte du script de rĂšglement> EQUALVERIFY EVAL

D’autre part, l’évaluation du script de rĂšglement est effectuĂ©e implicitement grĂące Ă  une exception ajoutĂ©e au code source. DĂšs que les nƓuds du rĂ©seau reconnaissent le schĂ©ma, ils l’interprĂštent diffĂ©remment. Ainsi dans Bitcoin Core, on peut observer la condition suivante au sein de la fonction VerifyScript de l’interprĂ©teur :

// Additional validation for spend-to-script-hash transactions:
if ((flags & SCRIPT_VERIFY_P2SH) && scriptPubKey.IsPayToScriptHash())
{
    ...
}

Cette exception permet l’exĂ©cution du script de rĂšglement aprĂšs l’exĂ©cution des deux scripts (dĂ©verrouillage et verrouillage). D’oĂč le fait qu’on indique les Ă©lĂ©ments de dĂ©verrouillage avant de pousser le script de rĂšglement dans le script de dĂ©verrouillage :

[éléments de déverrouillage] <script de rÚglement>

Si cette solution est pratique, elle crĂ©e une complexitĂ© et n’est pas trĂšs Ă©lĂ©gante. Comme l’a dit Gavin Andresen dans l’explication du BIP-16 :

ReconnaĂźtre une forme « spĂ©ciale » de scriptPubKey et rĂ©aliser une validation supplĂ©mentaire quand elle est dĂ©tectĂ©e, c’est laid. Cependant, l’avis gĂ©nĂ©ral est que les alternatives sont soit encore plus laides, soit plus complexes Ă  implĂ©menter, et/ou Ă©tendent le pouvoir du langage d’expression de maniĂšre dangereuse.

L’implĂ©mentation initiale de P2SH a donc compliquĂ© les choses. Mais cela ne s’est pas arrĂȘtĂ© pas lĂ , car l’activation de SegWit en 2017 a ajoutĂ© de la complexitĂ© au modĂšle.

 

SegWit, P2SH-P2WPKH et P2SH-P2WSH

En aoĂ»t 2017, la mise Ă  niveau SegWit a Ă©tĂ© intĂ©grĂ©e Ă  Bitcoin (BTC) sous la forme d’un soft fork. Celle-ci avait pour objectif de corriger la mallĂ©abilitĂ© des transactions, d’augmenter la capacitĂ© transactionnelle, d’amĂ©liorer la vĂ©rification des signatures et de faciliter les modifications futures du protocole.

Pour ce faire, SegWit implĂ©mentait un nouveau modĂšle de transaction, oĂč les signatures sont situĂ©es dans une partie sĂ©parĂ©e de la transaction appelĂ©e le tĂ©moin (d’oĂč le nom de Segregated Witness). Afin d’implĂ©menter ce changement comme un soft fork, il a Ă©tĂ© nĂ©cessaire d’introduire un moyen d’accĂ©der au nouveau type de transaction sans briser la compatibilitĂ© avec les anciennes adresses.

C’est ainsi que 4 nouveaux types d’adresse ont vu le jour : deux nouveaux types « natifs », P2WPKH (Pay to Witness Public Key Hash) et P2WSH (Pay to Witness Script Hash), incompatibles avec portefeuilles ne supportant pas SegWit ; et deux types « imbriquĂ©s » associĂ©s, P2SH-P2WPKH et P2SH-P2WSH, qui permettent la transition grĂące Ă  l’emploi de P2SH.

Pour ces deux derniers types d’adresse, le schĂ©ma utilisĂ© est P2SH avec un script de rĂšglement de la forme :

<version SegWit> <empreinte>

Dans la version 0 de SegWit (la seule qui existe pour le moment), l’empreinte est affectĂ©e Ă  une clĂ© publique ou Ă  un script selon sa longueur : si elle est de 20 octets, elle est interprĂ©tĂ©e comme une empreinte de clĂ© publique ; si elle est de 32 octets, elle est interprĂ©tĂ©e comme une empreinte de script. Cette empreinte est aussi appelĂ©e « programme ».

Ce script est anyone-can-spend puisque le script de rÚglement suffit à déverrouiller la piÚce :

<script de rĂšglement>

Comme pour P2SH, la connaissance du script de rÚglement ne suffit pourtant pas à dépenser les fonds, car une nouvelle exception est ajoutée au code de façon à ce que les éléments de déverrouillage soient transférées dans le témoin. Dans Bitcoin Core, cette exception se traduit par :

// P2SH witness program
if (flags & SCRIPT_VERIFY_WITNESS) {
    ...
}

SegWit a ainsi apportĂ© un nouveau lot de complexitĂ©, et notamment un deuxiĂšme niveau de rĂ©cursion. Dans le cas du schĂ©ma P2SH-P2WSH, on a en effet une sĂ©rie de 3 scripts imbriquĂ©s. Le premier script est le script de dĂ©verrouillage que l’on a prĂ©sentĂ© au dĂ©but de cet article :

HASH160 <empreinte du script de rĂšglement> EQUAL

Le deuxiÚme script est le script de rÚglement spécifique à P2SH :

<version SegWit> <empreinte du script SegWit>

Le troisiĂšme est le script SegWit, indiquĂ© dans le tĂ©moin avec les Ă©lĂ©ments de dĂ©verrouillage au moment de la dĂ©pense des fonds. Par exemple, il peut s’agir d’un script de multisignature comme vu prĂ©cĂ©demment :

2 <clé publique 1> <clé publique 2> 2 CHECKMULTISIG

qu’on complĂšte avec les Ă©lĂ©ments :

0 <signature 1> <signature 2>

 

Conclusion

Pay to Script Hash (P2SH) est donc une maniĂšre imparfaite mais trĂšs pratique de permettre aux utilisateurs de payer Ă  l’empreinte d’un script, c’est-Ă -dire Ă  une adresse simple qui correspond Ă  un script. La rĂ©cursion qui intervient dans l’exĂ©cution du script aurait pu ĂȘtre implĂ©mentĂ©e de maniĂšre plus Ă©lĂ©gante grĂące au code opĂ©ration OP_EVAL, mais ce dernier a Ă©tĂ© jugĂ© trop dangereux par la communautĂ© pour voir le jour.

En ajoutant une nouvelle exception au protocole pour ĂȘtre exĂ©cutĂ©, le schĂ©ma P2SH reprĂ©sente un vecteur de complexitĂ©. De plus, cette complexitĂ© est dĂ©multipliĂ©e par l’incorporation de SegWit, qui ajoute de nouvelles exceptions rigides Ă  P2SH et qui finit de dĂ©tourner complĂštement le fonctionnement originel du systĂšme de script de Bitcoin.

NĂ©anmoins, ce qui est fait est fait, et aujourd’hui ces changements commencent Ă  ĂȘtre connus dans l’écosystĂšme, et on peut donc espĂ©rer que cette complexitĂ© n’impacte pas trop les nouveaux dĂ©veloppeurs. En particulier, le schĂ©ma P2SH est rĂ©pandu dans tout l’écosystĂšme, par les protocoles associĂ©s Ă  Bitcoin tel que Bitcoin Cash, Litecoin ou Dash. Seuls les dĂ©veloppeurs de Bitcoin SV ont se sont opposĂ©s Ă  cette particularitĂ© de maniĂšre catĂ©gorique et ont choisi de dĂ©sactiver P2SH en fĂ©vrier 2020.

Ce qu’il faut retenir de tout ceci, c’est que Bitcoin, au-delĂ  de son aspect technique, est un systĂšme Ă©conomique et social. Il Ă©volue selon les exigences de ses utilisateurs, si bien qu’il est impossible de le comprendre sans apprĂ©hender les dynamiques sous-jacentes qui ont Ă©tĂ© Ă  l’Ɠuvre dans le passĂ©.

 


Sources

Gavin Andresen, BIP-11 (M-of-N Standard Transactions), 18 octobre 2011.
Gavin Andresen, BIP-12 (OP_EVAL), 18 octobre 2011.
Gavin Andresen, BIP-16 (Pay to Script Hash), 3 janvier 2012.
Mike Hearn, On consensus and forks, 12 août 2015.
Eric Lombrozo, Johnson Lau et Pieter Wuille, BIP-141 (Segregated Witness), 21 décembre 2015.

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