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L’ÉlĂ©gance de Bitcoin : un ouvrage singulier

By: Ludovic Lars —

En mars 2022 j'ai dĂ©cidĂ© d'Ă©crire un livre sur Bitcoin. Cela faisait quelques temps que l'idĂ©e me trottait dans la tĂȘte, ayant accumulĂ© un certain nombre de connaissances sur le sujet et voulant exposer clairement ce que j'avais compris. Vingt-et-un mois plus tard, non sans difficultĂ©, celui-ci Ă©tait terminĂ©. Il est sorti officiellement le 31 janvier 2024 et connaĂźt depuis un lancement encourageant !

Cet article est une présentation de cet ouvrage. Il en retrace sa longue conception, en expose le contenu général et dévoile quelques-uns des sujets abordés. J'espÚre ici convaincre les quelques personnes qui hésiteraient à se le procurer.

Un projet de longue haleine

L'idée de ce projet de livre m'est venue progressivement, mais elle s'est imposée dans mon esprit au cours de l'hiver 2021. La France était alors en proie à la dure restriction du passe vaccinal, ce qui m'avait un peu ouvert les yeux sur les possibilités d'évolution de notre société. Bitcoin représentait pour moi une sorte d'espoir, un outil de liberté sur lequel focaliser mon attention, et je voulais partager cette vision de maniÚre claire et complÚte. Ayant écrit plus d'une centaine d'articles sur le sujet et ayant traduit l'ouvrage Cryptoeconomics d'Eric Voskuil, j'estimais avoir la légitimité pour écrire ce livre. J'ai annoncé ma décision début mars, quelques semaines à peine aprÚs l'invasion de l'Ukraine par la Russie et l'application de sanctions économiques drastiques contre les résidents russes.

J'ai mis au point une campagne de financement participatif en bitcoins qui permettrait de payer pour le lancement du livre et de me rĂ©munĂ©rer pour quelques mois d'Ă©criture. Celle-ci a Ă©tĂ© mise en place sur mon propre nƓud grĂące Ă  Umbrel et BTCPay Server, et relayĂ©e via un VPS louĂ© (en BTC) chez BitLaunch. La campagne a Ă©tĂ© financĂ©e principalement en BTC, mais quelques contributions ont Ă©tĂ© aussi faites en XMR et en BCH, cryptomonnaies que j'acceptais manuellement. Diverses contreparties ont Ă©tĂ© promises aux contributeurs et ont depuis Ă  peu prĂšs toutes Ă©tĂ© honorĂ©es.

Le plan de l'ouvrage Ă©tait dĂ©jĂ  cohĂ©rent et il ne changerait pas significativement tout au long de la rĂ©daction. L'idĂ©e Ă©tait de dĂ©crire l'origine avant la destination, le pourquoi avant le comment, le gĂ©nĂ©ral avant le particulier, pour former un ensemble clair et complet. Le contenu n'Ă©tait pas destinĂ© aux nouveaux venus, mais devait tout de mĂȘme rester comprĂ©hensible pour le lecteur intĂ©ressĂ©. Le propos devait se diffĂ©rencier du contenu produit par les « influenceurs » qui, en gĂ©nĂ©ral, reste souvent Ă  la surface et se limite parfois au prix et Ă  l'investissement... Il Ă©tait ainsi nĂ©cessaire que les sujets soient traitĂ©s en profondeur, y compris d'un point de vue technique.

J'ai mis toute mon Ăąme dans ce livre. J'y ai placĂ© tout ce qui avait de l'importance pour moi, tout ce qui m'avait fascinĂ© dans Bitcoin, mĂȘme si certains sujets pouvaient ĂȘtre controversĂ©s ou complexes. J'ai essayĂ© d'ĂȘtre le plus sincĂšre dans ma dĂ©marche, en indiquant d'oĂč venait ce que j'avançais : l'ouvrage contient ainsi une multitude de rĂ©fĂ©rences dissĂ©minĂ©es au sein de centaines de notes (Ă  tel point que des notes supplĂ©mentaires ont dĂ» ĂȘtre extraites et ĂȘtre hĂ©bergĂ©es en ligne). Cet ouvrage est aussi un tĂ©moignage de ma relation avec Bitcoin, notamment dans la conclusion (chapitre 15) oĂč je donne un avis plus personnel et oĂč j'Ă©mets quelques prospectives sur Bitcoin.

Au cours de la rĂ©daction, le contenu a pu ĂȘtre amĂ©liorĂ© grĂące aux diverses relectures bĂ©nĂ©voles. Je remercie grandement ceux qui ont acceptĂ© de relire un chapitre ou deux pour me signaler ce qui n'allait pas, au niveau de la forme ou du fond. Ils sont citĂ©s au dĂ©but du livre. Cet aspect m'a fait prendre conscience que l'Ă©criture d'un livre n'Ă©tait pas une tĂąche strictement individuelle : c'est un travail menĂ© par une personne unique, certes ; mais celui-ci dĂ©pend du retour et du soutien d'autres personnes. Je n'aurais jamais pu Ă©crire ce livre seul.

Assez rapidement, j'ai eu quelques contacts avec des Ă©diteurs. J'ai finalement choisi la maison d'Ă©dition spĂ©cialisĂ©e Konsensus Network pour m'aider Ă  publier l'ouvrage. Elle Ă©tait constituĂ©e de bitcoineurs passionnĂ©s et proposait le paiement en bitcoins directement dans sa boutique, deux choses essentielles de mon point de vue. J'ai notamment Ă©tĂ© en communication avec Édouard Gallego qui m'a grandement aidĂ© dans le processus (et que je remercie infiniment).

Enfin, il m'a Ă©tĂ© conseillĂ© de trouver quelqu'un qui pourrait Ă©crire une prĂ©face, car (on ne va pas se mentir) cet Ă©lĂ©ment peut faciliter les ventes. La prĂ©face sert en effet de caution intellectuelle, garantissant une certaine qualitĂ© du propos auprĂšs du public, une sorte de validation par un pair utile au discernement individuel. J'ai ainsi dĂ» chercher un prĂ©facier. C'Ă©tait une chose dĂ©licate car, de mon point de vue, la personne devait Ă  la fois m'avoir appris quelque chose (je devais lui ĂȘtre redevable) et apprĂ©cier le livre, au moins partiellement. Mon choix s'est portĂ© vers Jacques Favier, historien et co-fondateur du Cercle du Coin, que j'avais dĂ©couvert en 2017 par l'intermĂ©diaire d'une vidĂ©o de Raj de la chaĂźne Autodisciple, et dont j'avais lu l'ouvrage La Monnaie acĂ©phale co-Ă©crit avec Adli Takkal-Bataille. Jacques est quelqu'un que j'estime et dont j'apprĂ©cie les interventions orales comme Ă©crites, ainsi que les multiples livres. Il a une culture historique que je n'aurais probablement jamais et est d'une finesse remarquable quand il s'agit de parler de Bitcoin.

En octobre 2023, je lui ai formulĂ© ma demande, escomptant qu'il serait ouvert Ă  la chose, et il a acceptĂ© de relire mon manuscrit. Je savais qu'il n'apprĂ©cierait pas tout le contenu du livre, et notamment ses penchants les plus « libĂ©raux » et « autrichiens », mais j'espĂ©rais qu'il y trouverait des points qui lui plairaient. Il a finalement acceptĂ©. Il a rĂ©digĂ© une superbe prĂ©face, avec le talent d'Ă©criture que ses lecteurs lui connaissent. Le fait que nous ayons des points de vue diffĂ©rents n'est Ă  mon avis pas un dĂ©faut, d'autant plus que j'ai voulu m'adresser Ă  tout le monde. MĂȘme s'il existe Ă©videmment des opinions erronĂ©es au sujet de Bitcoin, la diversitĂ© des points de vue est une richesse qu'il convient de cultiver. Tout comme dans la cĂ©lĂšbre fable indienne oĂč des aveugles touchent chacun une partie diffĂ©rente d'un Ă©lĂ©phant et dĂ©crivent l'animal d'une façon diffĂ©rente, nous avons tous notre perspective de Bitcoin qui peut ĂȘtre valable et complĂ©mentaire par rapport aux autres, Ă  condition d'ĂȘtre de bonne foi.

Un contenu riche

Le livre a pour objectif de donner une vue d'ensemble de Bitcoin, à la fois sous des perspectives technique, historique, économique et politique. Tout d'abord, j'aborde l'histoire de Bitcoin de ses origines en 2008 à aujourd'hui (chapitres 1 et 2). Puis, j'évoque ses racines proprement dites en explorant ses fondements monétaires, politiques et techniques et en retraçant comment il s'inscrit dans une évolution déterminée (chapitres 3, 4, 5 et 6). Ensuite, je présente son modÚle de fonctionnement général, qui est plutÎt simple quand on y pense mais terriblement efficace, en décrivant tour à tour la signature numérique, le minage et la détermination du protocole (chapitres 7, 8, 9, 10, 11). Enfin, je rentre dans les détails plus techniques en m'attardant sur les rouages de Bitcoin et en abordant des thÚmes tels que la confidentialité, la programmabilité et la scalabilité (chapitres 12, 13, 14).

Table des matiÚres élégance de Bitcoin
Table des matiĂšres (cliquer pour agrandir)

Le contenu est donc trĂšs riche et saura contenter les plus curieux. Les sujets abordĂ©s dans le livre sont des sujets rĂ©els, profonds, et parfois complexes, qui sont rarement abordĂ©s dans les mĂ©dias gĂ©nĂ©ralistes. On alterne entre les idĂ©ologies politiques, les solutions techniques, l'utilitĂ© du systĂšme, la censure des transactions, l'altĂ©ration des rĂšgles de consensus ou les frais de transaction. Il ne s'agit pas de convaincre le lecteur d'« investir » dans le bitcoin, mais de lui faire prendre conscience des enjeux qui s'incarnent au sein mĂȘme de Bitcoin et de la bataille de la monnaie numĂ©rique qui se joue aujourd'hui mĂȘme.

Le titre de l'ouvrage – qui Ă©tait Ă  l'origine provisoire, mais qui s'est imposĂ© comme dĂ©finitif avec le temps – reflĂšte l'Ă©lĂ©gance rare qui caractĂ©rise la conception de base de Bitcoin. Dans le propos, cette Ă©lĂ©gance est en filigrane : vous ne trouverez pas de grand discours philosophique sur la beautĂ© ou de rĂ©cit grandiloquent Ă  propos d'une expĂ©rience mystique, mais vous pourrez ressentir cette Ă©lĂ©gance Ă  travers la façon dont Bitcoin est agencĂ©. Bitcoin tire sa force de cet aspect. Sa simplicitĂ© est Ă  la base de sa robustesse : comme l'Ă©crivait Satoshi Nakamoto dans le livre blanc, « le rĂ©seau est robuste du fait de sa simplicitĂ© non structurĂ©e ».

L'image de couverture (conçue par le talentueux ImTechnicolor) reprĂ©sente Bitcoin en tant qu'arbre dont les branches sont des pistes de circuit imprimĂ© et dont les feuilles sont des pastilles. Elle combine ainsi la nature informatique du systĂšme, qu'on retrouve dans le rĂ©seau qui le supporte, et son aspect organique, liĂ© aux ĂȘtres humains et Ă  leurs interactions Ă©conomiques et culturelles. De plus, cette illustration rĂ©sumĂ© particuliĂšrement bien les diffĂ©rents thĂšmes abordĂ©s dans l'ouvrage : les racines techno-idĂ©ologiques de Bitcoin retraçant ce qui a pu mener Ă  sa dĂ©couverte ; son caractĂšre essentiellement pluriel, qui se transcrit dans les diffĂ©rentes scissions et les versions alternatives du protocole ; sa chaĂźne de blocs, que Satoshi dĂ©crivait comme « une structure en forme d’arbre qui a pour racine le bloc de genĂšse, chaque bloc pouvant avoir plusieurs candidats Ă  sa suite » ; et enfin les arbres de Merkle, qui interviennent dans les blocs pour agencer les transactions. J'en suis particuliĂšrement satisfait.

Une perspective différente

Beaucoup de contenu sur Bitcoin se concentre sur les choses qui plaisent au grand public. Le nerf de la guerre numérique étant l'attention, il faut aborder les sujets de maniÚre péremptoire et simpliste, qui parle au plus grand nombre sans trop le bousculer. Il convient ainsi bien souvent d'évoquer le pouvoir d'achat de nos monnaies qui s'érode et le prix du bitcoin qui monte en conséquence, dans une vision schématique du phénomÚne. En général, on ne cherche pas trop à revenir sur les racines cypherpunks de Bitcoin, ni à mettre en avant qu'il permet de contrevenir à la loi positive ou de s'adonner à certains vices. On évite également de parler de ses faiblesses et de ses limites, voulant convaincre autrui d'en acheter un peu.

Étant anticonformiste, je m'oppose Ă  cette vision des choses, qui a ses mĂ©rites (je le concĂšde) mais qui ne cadre pas avec ce que Bitcoin vĂ©hicule. Je pense qu'il est profitable de dire ce qui nous semble ĂȘtre la vĂ©ritĂ© de maniĂšre crue et directe, quitte Ă  dĂ©plaire aux plus modĂ©rĂ©s. Cet ouvrage a Ă©tĂ© Ă©crit dans cette optique et de multiples sujets polĂ©miques sont abordĂ©s. En voici quelques-uns.

Bitcoin possĂšde des racines idĂ©ologiques profondes. Bitcoin n'est pas un assemblage technique neutre, mais possĂšde des valeurs qui sont inscrites dans le code du logiciel, qui peuvent ĂȘtre identifiĂ©es dans les Ă©crits de son fondateur et qui se retrouvent au sein de sa communautĂ©. La valeur principale est bien entendu la libertĂ©, le but de Bitcoin Ă©tant, comme l'Ă©crivait Satoshi, de « conquĂ©rir un nouveau territoire de libertĂ© pour plusieurs annĂ©es ». Parmi les mouvements qui ont influencĂ© la dĂ©couverte de Bitcoin, on peut citer le libertarianisme amĂ©ricain moderne initiĂ© par Murray Rothbard dans les annĂ©es 60, l'agorisme de Samuel Konkin III, le mouvement libriste dĂ©butĂ© par Richard Stallman dans les annĂ©es 80, l'extropianisme transhumaniste de Max More, et le mouvement cypherpunk des annĂ©es 90 reprĂ©sentĂ© par Tim May. Les expĂ©riences de monnaies numĂ©riques forment aussi une indication de la longue quĂȘte qui a menĂ© Ă  la cryptomonnaie. Je ne suis Ă©videmment pas le premier Ă  parler de cette « prĂ©histoire » de Bitcoin : des livres ont Ă©tĂ© Ă©crits Ă  ce sujet – dont notamment Digital Cash de Finn Brunton et The Genesis Book d'Aaron van Wirdum, sorti trĂšs rĂ©cemment – et des Ă©pisodes de podcast y ont Ă©tĂ© consacrĂ©s – et en particulier les premiers Ă©pisodes de celui d'Urbantech.

L'argent liquide physique va disparaßtre. Tout comme la monnaie a transitionné de la monnaie métallique au papier-monnaie, celle-ci subit une transformation similaire en devenant peu à peu une monnaie entiÚrement numérique. Cette évolution est aujourd'hui en cours en Occident et devrait se finaliser dans les décennies à venir, sauf dans le cas d'une prise de conscience massive. Nous nous retrouverons dans un monde utilisant principalement de la monnaie numérique de banque centrale et ses dérivés privés, dans lequel le rÎle de l'argent liquide papier aura été rendu obsolÚte et négligeable. La surveillance et la censure financiÚres pourront se déployer comme jamais auparavant. Dans ce monde aux aspects dystopiques, Bitcoin formera une alternative cruciale pour la liberté.

Bitcoin est une monnaie de dĂ©sobĂ©issance. Bitcoin n'a d'utilitĂ© propre par rapport au dollar et Ă  l'euro que dans la mesure oĂč il existe en dehors des lois et de l'intervention des banques. Par sa rĂ©sistance Ă  la censure (aspect largement mis en valeur dans le livre), cet outil est fait pour dĂ©sobĂ©ir aux autoritĂ©s en charge, chose qui peut ĂȘtre jugĂ©e lĂ©gitime ou non. Il garantit la libertĂ© de transaction pour des activitĂ©s sensibles comme la libertĂ© d'expression, l'opposition politique dans les pays, l'envoi de fonds Ă  l'Ă©tranger, et plus gĂ©nĂ©ralement l'Ă©conomie parallĂšle.

L'adoption de masse n'aura pas lieu. L'adoption de masse du bitcoin est dĂ©sirable dans la mesure oĂč elle permettrait Ă  tous de disposer d'une monnaie libre, et empĂȘcherait les diverses manipulations monĂ©taires rĂ©alisĂ©es par les États et par les banques. C'est pour cela qu'elle est souvent prĂ©sentĂ©e comme un objectif Ă  atteindre, comme si les monnaies fiat pouvaient disparaĂźtre dans une hyperbitcoinisation fulgurante. Cependant, il est illusoire de croire qu'une telle adoption pourrait survenir du jour au lendemain, et tous ceux qui ont travaillĂ© sur le terrain peuvent en tĂ©moigner. L'utilisation de Bitcoin suppose des contraintes variĂ©es (comme la volatilitĂ© du pouvoir d'achat, les frais de transaction, le manque de scalabilitĂ© et la rĂ©glementation dissuasive), ce qui crĂ©e une barriĂšre Ă  l'entrĂ©e que tout le monde n'est pas prĂȘt Ă  franchir. La sobriĂ©tĂ© du discours pourrait ainsi ĂȘtre bĂ©nĂ©fique.

Le passage Ă  l'Ă©chelle se fera (aussi) par le recours aux mises en Ɠuvre alternatives de Bitcoin. Comme tout le monde le sait, Bitcoin ne passe pas Ă  l'Ă©chelle en tant que systĂšme unique : le nombre de transactions pouvant ĂȘtre incluses dans un bloc est restreint par une limite de poids de blocs, et les solutions de seconde couche censĂ©es amĂ©liorer cette capacitĂ© de traitement, comme le Lightning Network, sont par essence imparfaites, puisque reposant sur le rĂšglement des litiges sur la chaĂźne. Toutefois, il existe une troisiĂšme voie pour accroĂźtre le nombre de transferts : c'est l'utilisation de monnaies de substitution, c'est-Ă -dire de cryptomonnaies alternatives libres et dĂ©centralisĂ©es possĂ©dant des caractĂ©ristiques proches de BTC (propriĂ©tĂ© entiĂšre, rĂ©sistance Ă  la censure, rĂ©sistance Ă  l'inflation) mais n'offrant pas la mĂȘme sĂ©curitĂ©. Cet effet peut dĂ©jĂ  ĂȘtre observĂ© lors de la hausse de frais sur le rĂ©seau lorsque les utilisateurs ont recours Ă  d'autres cryptomonnaies (2023 en a Ă©tĂ© un bel exemple avec Ordinals). En parallĂšle, certaines boutiques en ligne focalisĂ©es sur Bitcoin ont compris le phĂ©nomĂšne Ă  l'instar de Bitrefill, qui accepte le litecoin (LTC) et d'autres cryptomonnaies, et de ShopInBit, qui accepte le monero (XMR). De maniĂšre gĂ©nĂ©rale, cette solution pourrait s'imposer Ă  long terme de la mĂȘme maniĂšre que l'argent a pu ĂȘtre le complĂ©ment de l'or pendant des siĂšcles avant d'ĂȘtre dĂ©monĂ©tisĂ© en 1873, Ă  condition bien sĂ»r que la demande pour Bitcoin ne soit pas trop faible et qu'une solution de scalabilitĂ© rĂ©volutionnaire ne soit pas dĂ©couverte entretemps.

OĂč se procurer l'ouvrage

Vous retrouverez ainsi, dans cet ouvrage qui présente une vision profonde et cohérente de Bitcoin, du contenu qui n'a pas forcément été abordé dans la langue de MoliÚre. Ce sera, je l'espÚre, une lecture qui saura se démarquer des autres.

Vous pouvez vous procurer l'ouvrage sur la boutique de Konsensus Network, oĂč il est possible de payer en BTC et en euros. Il est aussi disponible Ă  la vente sur Amazon Ă  un prix plus Ă©levĂ© et dans un format lĂ©gĂšrement diffĂ©rent : l'objet est plus grand et plus lourd, et le papier un peu plus blanc. Les Ă©valuations positives sont bien Ă©videmment les bienvenues si vous avez effectuĂ© un achat sur la plateforme rĂ©cemment ; cela aidera Ă  amĂ©liorer la visibilitĂ© du livre. Le livre peut Ă©galement ĂȘtre retrouvĂ© sur le site de la FNAC. Un format numĂ©rique (epub) devrait ĂȘtre proposĂ© prochainement, sur toutes les plateformes.

Enfin, prĂ©cisons que vingt-et-un jetons non fongibles (NFT) liĂ©s au livre ont Ă©tĂ© forgĂ©s via le protocole Ordinals, dont la liste des identifiants a Ă©tĂ© incluse dans le livre. Ils sont en voie d'ĂȘtre distribuĂ©s aux contributeurs et aux relecteurs.

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Qu’est-ce qui sĂ©curise Bitcoin ?

By: Ludovic Lars —

Bitcoin est un concept de monnaie numĂ©rique fonctionnant sur Internet qui a Ă©tĂ© crĂ©Ă© en 2008 par Satoshi Nakamoto. Mis en application Ă  partir du 3 janvier 2009, il a parcouru un long chemin qui l’a menĂ© Ă  devenir ce qu’il est aujourd’hui, Ă  la fois d’un point de vue technique, Ă©conomique et social. NĂ©anmoins, il existe toujours des incomprĂ©hensions Ă  son Ă©gard, y compris chez ceux qui pensent avoir saisi ses principes de base. C’est en particulier le cas de son modĂšle de sĂ©curitĂ© qui reste flou pour beaucoup de personens.

Dans Bitcoin, une foule de notions interviennent. Le systĂšme est fondĂ© sur un rĂ©seau public et dĂ©centralisĂ© de nƓuds qui font tourner un logiciel open source. Ces nƓuds vĂ©rifient des opĂ©rations cryptographiques et entretiennent un registre distribuĂ© et horodatĂ© appelĂ© la chaĂźne de blocs, registre oĂč sont enregistrĂ©es toutes les transactions d’une unitĂ© de compte, le bitcoin. Au sein de ce rĂ©seau, un certain nombre d’acteurs, appelĂ©s des mineurs, utilisent la puissance de calcul de leurs machines afin de valider les transactions effectuĂ©es par le rĂ©seau, et reçoivent en Ă©change une rĂ©munĂ©ration en bitcoins. Tout cela forme un tout harmonique qui permet Ă  Bitcoin d’exister depuis quasiment douze ans.

Cependant, ce qui sĂ©curise Bitcoin, ce n’est pas la cryptographie, la chaĂźne de blocs, le logiciel libre, la dĂ©centralisation ou la puissance de calcul. Ce qui sĂ©curise Bitcoin, c’est l’action combinĂ©e d’individus, de personnes de chair et d’os mues par leurs intĂ©rĂȘts, de gens qui prennent des dĂ©cisions et qui s’exposent Ă  des risques personnels. Bitcoin est en effet un systĂšme Ă©conomique et, en tant que tel, base sa sĂ©curitĂ© sur le comportement intĂ©ressĂ© des ĂȘtres humains1.

 

Qu’est-ce qui prĂ©serve la qualitĂ© de l’infrastructure logicielle ?

Bitcoin est un protocole de communication qui permet l’existence et la circulation d’une unitĂ© de compte numĂ©rique, le bitcoin. Ce protocole est un ensemble de rĂšgles et ne peut donc pas directement ĂȘtre utilisĂ© par un individu : il faut pour cela qu’il existe une implĂ©mentation logicielle, Ă  savoir un programme qui respecte et vĂ©rifie ces rĂšgles.

L’écosystĂšme autour de Bitcoin repose donc sur ces implĂ©mentations logicielles, qui peuvent ĂȘtre complĂštes (nƓuds du rĂ©seau) ou partielles (portefeuilles lĂ©gers). Bien Ă©videmment, les implĂ©mentations complĂštes sont les plus essentielles Ă  la sĂ©curitĂ© de Bitcoin, puisque ce sont elles qui servent Ă  valider les transactions et Ă  miner les blocs. En particulier, Bitcoin Core, l’implĂ©mentation de rĂ©fĂ©rence de Bitcoin (BTC), joue un rĂŽle central dans l’infrastructure du rĂ©seau.

Comme tous les programmes informatiques complexes, Bitcoin Core n’est pas exempt de faiblesses, ce qui au cours de son histoire s’est matĂ©rialisĂ© par deux incidents majeurs :

  • En aoĂ»t 2010, une faille dans le systĂšme des transactions (value overflow) avait permis Ă  une personne de crĂ©er plus de 184 milliards de bitcoins Ă  partir de rien ! Cet incident avait heureusement pu ĂȘtre corrigĂ© dans les heures qui avaient suivi grĂące Ă  la mobilisation des mineurs qui avaient appliquĂ© un patch correctif. À l’époque, cela n’avait pas Ă©tĂ© dommageable pour Bitcoin, qui ne gĂ©rait que peu de valeur.
  • En mars 2013, un dĂ©faut contenu dans la mise Ă  jour du code avait provoquĂ© la sĂ©paration accidentelle du rĂ©seau pendant plusieurs heures. Bitcoin Ă©tait alors beaucoup plus utilisĂ© et cette sĂ©paration momentanĂ©e avait notamment entraĂźnĂ© la rĂ©alisation d’une double dĂ©pense par un utilisateur.

C’est pour cela qu’il est crucial que le logiciel derriĂšre Bitcoin soit bien maintenu, optimisĂ©, amĂ©liorĂ©. Bitcoin reprĂ©sente aujourd’hui prĂšs de 300 milliards de dollars et dĂ©place des dizaines de milliards de dollars chaque jour, et par consĂ©quent il serait dĂ©sastreux qu’un dysfonctionnement majeur survienne.

Pour assurer la sĂ©curitĂ© du logiciel, il existe donc des dizaines de personnes, identifiĂ©es ou anonymes, qui s’attellent Ă  scruter et Ă  perfectionner le code, Ă  temps plein ou Ă  temps partiel. Puisque Bitcoin Core est un logiciel libre disponible en source ouverte sur Internet, n’importe qui peut consulter le code, vĂ©rifier qu’il est conforme au rĂ©sultat attendu ou mĂȘme proposer de le modifier pour l’amĂ©liorer ! Tel que l’expliquait Satoshi Nakamoto en dĂ©cembre 2009 :

Être accessible en source ouverte signifie que n’importe qui peut examiner le code de maniĂšre indĂ©pendante. S’il s’agissait d’une source fermĂ©e, personne ne pourrait vĂ©rifier la sĂ©curitĂ©. Je pense qu’il est essentiel pour un programme de cette nature d’ĂȘtre open source.

Cette ouverture, couplĂ©e Ă  une dette technique limitĂ©e, donne Ă  Bitcoin une sĂ»retĂ© plus grande que de nombreux systĂšmes informatiques. En effet, au vu des sommes en jeu, la rĂ©compense pour l’exploitation rĂ©ussie d’une faille dans le code serait Ă©norme, ce qui renforce la confiance qu’on peut avoir dans le logiciel au cours du temps (effet Lindy).

De plus, les failles dans le code sont, outre leur raretĂ©, le plus souvent trĂšs subtiles, ce qui fait que ce sont les dĂ©veloppeurs bienveillants qui les dĂ©couvrent et qui les rapportent. On peut par exemple citer le bogue d’inflation trouvĂ© et rĂ©vĂ©lĂ© en septembre 2018 par Awemany, dĂ©veloppeur pour Bitcoin Unlimited, ou la faille permettant des attaques par dĂ©ni de service rapportĂ©e en juin 2018 par Braydon Fuller, dĂ©veloppeur pour Bcoin, et rĂ©vĂ©lĂ©e publiquement plus deux ans plus tard, en septembre 2020.

Enfin, il faut spĂ©cifier que l’infrastructure logicielle n’est pas maintenue gratuitement et qu’elle est soutenue financiĂšrement par les organisations et les individus dont l’activitĂ© dĂ©pend de la qualitĂ© du fonctionnement du rĂ©seau. C’est ainsi que des entreprises impliquĂ©es dans Bitcoin acceptent de rĂ©munĂ©rer les principaux dĂ©veloppeurs de Bitcoin Core, pas par charitĂ©, mais parce qu’elles ont quelque chose Ă  gagner.

Tout ceci fait que la sĂ©cuitĂ© du logiciel s’amĂ©liore au cours du temps, que les vulnĂ©rabilitĂ©s sont dĂ©tectĂ©es et maĂźtrisĂ©es et que, en presque douze ans d’existence, seules deux d’entre elles ont provoquĂ© un incident majeur. Bitcoin ne repose donc pas sur des logiciels magiques qui fonctionneraient parfaitement bien, mais sur l’action des dĂ©veloppeurs qui maintiennent des implĂ©mentations faillibles et sur l’aide des mĂ©cĂšnes qui financent ce dĂ©veloppement.

 

Qu’est-ce qui assure le bon traitement des transactions ?

Bitcoin permet Ă  quiconque d’envoyer des fonds Ă  n’importe qui d’autre, quel que soit le moment, oĂč que se trouve le destinataire dans le monde pourvu qu’il dispose d’un accĂšs Ă  Internet. Il est ainsi rĂ©sistant Ă  la censure, c’est-Ă -dire qu’il est trĂšs difficile pour une entitĂ© d’empĂȘcher arbitrairement une transaction d’ĂȘtre rĂ©alisĂ©e.

La rĂ©sistance Ă  la censure est trĂšs importante car si Bitcoin n’avait pas cette propriĂ©tĂ©, il ne pourrait tout simplement pas survivre. Il deviendrait en effet un systĂšme bancaire comme un autre, soumis aux rĂ©glementations invasives des États : il devrait s’adapter Ă  l’instar de PayPal, ou mourir sous les coups des interventions Ă©tatiques, destin funeste qu’ont connu e-gold ou Liberty Reserve en leur temps.

Le bon traitement des transactions dans Bitcoin implique donc deux garanties qui le distinguent des systĂšmes bancaires traditionnels :

  • Toute transaction qui paie un montant correct de frais ne peut pas ĂȘtre dĂ©laissĂ©e (sĂ©curitĂ© a priori) ;
  • Toute transaction qui a Ă©tĂ© confirmĂ©e doit demeurer dans le registre et ne peut pas faire l’objet d’une double dĂ©pense (sĂ©curitĂ© a posteriori).

Ce bon traitement est assurĂ© par ce qu’on appelle le minage. Les mineurs, qui font partie du rĂ©seau, reçoivent les transactions des utilisateurs et les incluent dans des blocs. Ils rattachent ces blocs Ă  la chaĂźne par la rĂ©solution d’un problĂšme mathĂ©matique nĂ©cessitant une dĂ©pense d’énergie Ă©lectrique (preuve de travail) et sont en Ă©change rĂ©compensĂ©s par les bitcoins nouvellement crĂ©Ă©s (6,25 bitcoins par bloc actuellement) et par les frais payĂ©s par les transactions. Pour dĂ©terminer la chaĂźne valide les nƓuds suivent le principe de la chaĂźne la plus longue, c’est-Ă -dire qu’ils considĂšrent que la chaĂźne contenant le plus de preuve de travail (grosso modo celle avec le plus de blocs) est la chaĂźne valide. Cela permet au rĂ©seau d’arriver Ă  un consensus sur l’état du systĂšme.

Bitcoin repose donc sur la dĂ©pense d’énergie pour fonctionner, car c’est elle qui dĂ©termine le caractĂšre infalsifiable de la chaĂźne et des bitcoins crĂ©Ă©s. Le taux de hachage, qui dĂ©signe le nombre de calculs par seconde rĂ©alisĂ©s par le rĂ©seau, atteint aujourd’hui les 130 EH/s, Ă  savoir 130 milliards de milliards de calculs par seconde. Cette considĂ©rable force de calcul consomme aujourd’hui, selon certaines estimations, plus de 82 TWh par an, soit une dĂ©pense Ă©nergĂ©tique Ă©galant la consommation d’électricitĂ© de pays comme la Belgique ou la Finlande.

 

Taux de hachage Bitcoin BTC 2010 2020
Évolution du taux de hachage de Bitcoin entre 2010 et 2020 (Bitcoin.com Charts)

 

NĂ©anmoins, en dĂ©pit de son rĂŽle central, ce n’est pas sur cette Ă©nergie que se fonde la sĂ©curitĂ© du minage. En effet, la sĂ©curitĂ© vient de la concurrence entre les mineurs, et pas de l’énergie totale dĂ©pensĂ©e. Comme l’écrivait Satoshi Nakamoto dans le livre blanc de Bitcoin en 2008 :

Le systĂšme est sĂ©curisĂ© tant que les nƓuds honnĂȘtes contrĂŽlent collectivement plus de puissance de calcul qu’un groupe de nƓuds qui coopĂ©reraient pour rĂ©aliser une attaque.

L’important ce n’est pas que le taux de hachage de Bitcoin soit le plus haut possible, c’est que les mineurs disposant d’une puissance de calcul non nĂ©gligeable soient « honnĂȘtes », c’est-Ă -dire qui soient prĂȘts Ă  miner systĂ©matiquement toutes les transactions payant un montant correct de frais (pas de censure a priori) et Ă  toujours construire leurs blocs Ă  partir de la plus longue chaĂźne (pas de rĂ©organisation de chaĂźne).

Imaginons (cas pessimiste) que les États membres de l’ONU se mettent d’accord sur la dangerositĂ© de Bitcoin et dĂ©crĂštent l’interdiction de certaines transactions sur Bitcoin, les transactions de mĂ©lange de piĂšces au nom de la lutte contre le blanchiment d’argent par exemple. Dans ce cas, les mineurs pourraient ĂȘtre soumis Ă  de fortes pressions de la part de leurs autoritĂ©s respectives, et devraient faire le choix de continuer Ă  ĂȘtre honnĂȘtes en se dĂ©plaçant dans un pays non concernĂ© ou en minant illĂ©galement, ce qui constitue dans les deux cas un risque, ou de devenir des attaquants en suivant la loi. Cette rĂ©glementation des mineurs par les États permettrait, si leur matĂ©riel reprĂ©sentaient plus de la moitiĂ© de la puissance de calcul du rĂ©seau, d’empĂȘcher toute confirmation d’une transaction illĂ©gale par le biais d’une attaque des 51 % mondiale.

La solution au problĂšme proviendrait des individus et des groupes d’individus qui seraient prĂȘts Ă  miner des transactions dĂ©clarĂ©es comme illĂ©gales, et qui resteraient donc honnĂȘtes du point de vue de Bitcoin. Le risque pris par ces mineurs pourrait alors ĂȘtre compensĂ© par les frais des transactions censurĂ©es, qui pourraient s’avĂ©rer ĂȘtre trĂšs Ă©levĂ©s, surtout si des montants astronomiques Ă©taient en jeu.

C’est pour cela que la bon fonctionnement des transactions vient du comportement des mineurs, pas uniquement de la puissance de calcul du rĂ©seau. Pour que Bitcoin soit correctement sĂ©curisĂ©, il faut donc que les mineurs soient nombreux (partage du risque) et se trouvent Ă  des endroits diffĂ©rents du monde (dĂ©centralisation).

 

Carte de localisation des mineurs avril 2020
Répartition géographique des mineurs utilisant les coopératives BTC.com, Poolin et ViaBTC en avril 2020 (Cambridge Center for Alternative Finance)

 

 

Qu’est-ce qui garantit la limite des 21 millions de bitcoins ?

Lorsqu’on entend parler du bitcoin, il ne faut pas attendre longtemps avant que sa politique monĂ©taire singuliĂšre soit Ă©voquĂ©e. Le bitcoin suit en effet un processus d’émission trĂšs prĂ©cis qui limite sa quantitĂ© d’unitĂ©s en circulation Ă  21 000 000 : les fameux 21 millions de bitcoins.

Bien que le principe soit briĂšvement dĂ©crit dans le livre blanc, cette politique monĂ©taire n’a Ă©tĂ© dĂ©finie rigoureusement par Satoshi Nakamoto que le 8 janvier 2009 dans son annonce du lancement de Bitcoin :

La circulation totale sera de 21 000 000 de piĂšces. Elle sera distribuĂ© aux nƓuds du rĂ©seau lorsqu’ils crĂ©eront des blocs, le montant Ă©tant divisĂ© par deux tous les 4 ans.

les 4 premiÚres années : 10 500 000 piÚces
les 4 années suivantes : 5 250 000 piÚces
les 4 années suivantes : 2 625 000 piÚces
les 4 années suivantes : 1 312 500 piÚces
etc


Cela fait du bitcoin une monnaie dure Ă  produire Ă  l’inverse des monnaies fiat imposĂ©es par les États, comme l’euro ou le dollar, dont la gestion de la masse monĂ©taire est dĂ©lĂ©guĂ©e Ă  des banques centrales. Bitcoin donne ainsi aux individus la possibilitĂ© d’épargner une monnaie qui ne perd pas en valeur au cours du temps, et qui empĂȘche au passage les acteurs financiers proches du pouvoir de profiter de l’effet Cantillon.

La politique monĂ©taire du bitcoin constitue donc une propriĂ©tĂ© rĂ©volutionnaire qui n’a mĂȘme pas Ă©tĂ© appliquĂ©e par le passĂ© et beaucoup la mettent en valeur comme une propriĂ©tĂ© gravĂ©e dans le marbre qui ne pourrait absolument pas ĂȘtre modifiĂ©e. NĂ©anmoins ce n’est pas le cas, et cette « rĂ©sistance Ă  l’inflation » doit ĂȘtre, tout comme la rĂ©sistance Ă  la censure, sĂ©curisĂ©e par des individus qui agissent en ce sens.

Bitcoin est un protocole de communication, un ensemble de rĂšgles qui permettent Ă  des gens de transfĂ©rer de la valeur entre eux, et en cela il peut Ă©voluer. Les rĂšgles de consensus qui dĂ©finissent Bitcoin ne sont en effet pas figĂ©es et peuvent faire l’objet de changements, comme l’ont montrĂ© les diffĂ©rentes amĂ©liorations qui ont jalonnĂ© l’existence de Bitcoin telles que P2SH, les verrous temporels ou SegWit.

De plus, l’évolution du protocole peut se faire dans un sens non prĂ©vu originellement, ce qui a eu lieu Ă  de multiples reprises dans l’histoire des cryptomonnaies.

En juin 2016, Ethereum a ainsi violĂ© l’immuabilitĂ© de sa propre chaĂźne en annulant le piratage d’un contrat autonome (TheDAO) oĂč 3,6 millions d’éthers, qui reprĂ©sentaient plus de 45 millions d’euros. Cette somme dĂ©robĂ©e reprĂ©sentait 4,4 % de la quantitĂ© totale d’éthers en circulation, et une majoritĂ© Ă©conomique (Ă  commencer par Vitalik Buterin) a donc dĂ©cidĂ© de revenir sur ce transfert le 20 juin. Un groupe dissident a refusĂ©, ce qui a crĂ©Ă© une autre chaĂźne oĂč le piratage Ă©tait toujours prĂ©sent, qui s’appelle aujourd’hui Ethereum Classic.

De mĂȘme, Bitcoin a changĂ© depuis ses dĂ©buts et n’est plus le mĂȘme qu’en 2011. Le principal changement n’est pas un modification du protocole en soi, mais un changement de vision : les visions d’une monnaie d’échange et d’un moyen de transfert anonyme, qui Ă©taient prĂ©dominantes aux dĂ©buts de Bitcoin, se sont estompĂ©es au profit de la vision d’un or numĂ©rique qui servirait de monnaie de rĂ©serve. MĂȘme si les premiĂšres visions subsistent au travers du projet Lightning et des logiciels dĂ©diĂ©s Ă  la confidentialitĂ© (Wasabi, Samourai, JoinMarket), elles sont devenues nĂ©anmoins minoritaires dans la communautĂ© de Bitcoin. En effet, les gens s’enthousiasment plus aujourd’hui pour les investissements de grandes entreprises comme MicroStrategy et Square, ou pour l’intĂ©gration 100 % custodiale du bitcoin dans PayPal, que pour l’échange commercial ou pour l’usage rĂ©alisĂ© sur le dark web.

 

Visions de Bitcoin Nic Carter Hasu
Visions de Bitcoin (Nic Carter et Hasu).

 

Ce changement de narration s’est accompagnĂ© d’un maintien conservateur du protocole, notamment par le biais d’une restriction de sa capacitĂ© transactionnelle. Cette restriction a pour effet de prĂ©server la dĂ©centralisation du minage donc la sĂ©curitĂ© de la chaĂźne, mais aussi d’accroĂźtre considĂ©rablement les frais de transaction payĂ©s par les utilisateurs, qui peuvent actuellement ĂȘtre de plusieurs euros en moyenne pour un traitement rapide par le rĂ©seau2.

Face Ă  ces changements, nous sommes donc en droit de nous demander quelle est la force qui empĂȘche la politique monĂ©taire de Bitcoin d’ĂȘtre modifiĂ©e, ce qui nous amĂšne naturellement Ă  la question plus gĂ©nĂ©rale de la gouvernance de Bitcoin, c’est-Ă -dire la maniĂšre dont il est dirigĂ©. Qui dĂ©cide de l’avenir du protocole ?

D’une part, certains pensent que la gouvernance est la prĂ©rogative des dĂ©veloppeurs du protocole, que ceux-ci sont en charge de ce qui doit ou non ĂȘtre intĂ©grĂ©. Pour Bitcoin, ce serait le cas de l’implĂ©mentation de rĂ©fĂ©rence, Bitcoin Core, et de son mainteneur principal, Wladimir van der Laan, qui possĂšdent les droits sur le dĂ©pĂŽt GitHub. Il est en effet vrai que les dĂ©veloppeurs ont une certaine influence sur le protocole en acceptant ou en refusant d’inclure une modification : par effet d’inertie, ils ont un poids dans les choix qui vont ĂȘtre faits, car tout changement non consenti par eux devrait ĂȘtre implĂ©mentĂ© par une nouvelle Ă©quipe peut-ĂȘtre moins expĂ©rimentĂ©e et moins bien financĂ©e. NĂ©anmoins, si un changement majeur et controversĂ© en venait Ă  ĂȘtre proposĂ© (comme le serait probablement une violation de la politique monĂ©taire du bitcoin), les dĂ©veloppeurs n’auraient aucune chance de voir leur modification ĂȘtre acceptĂ©e. C’est notamment ce qui s’est passĂ© pour Bitcoin ABC, l’implĂ©mentation principale du protocole Bitcoin Cash, qui se voit aujourd’hui ĂȘtre exclue pour avoir tentĂ© de rediriger 8 % de la rĂ©compense de bloc Ă  ses fins.

D’autre part, une opinion assez rĂ©pandue suppose que ce sont les mineurs qui doivent dĂ©cider de l’évolution du protocole, notamment par le biais de votes proportionnĂ©s Ă  leur puissance de calcul. Ces mineurs sont en effet garants de l’intĂ©gritĂ© de la chaĂźne de blocs et possĂšdent un rĂŽle majeur dans Bitcoin. Il est donc Ă©vident qu’une version de Bitcoin privilĂ©giĂ©e par les mineurs a plus de chances de prospĂ©rer qu’une version concurrente qui serait plus sensible Ă  la censure. Cependant, ce ne sont pas les mineurs qui possĂšdent le rĂ©el pouvoir sur le protocole, pour la simple et bonne raison que ce ne sont pas eux qui contribuent Ă  valoriser l’unitĂ© de compte. En raisonnant par l’absurde, on pourrait dire que si les mineurs Ă©taient rĂ©ellement en charge du protocole, le systĂšme Ă©conomique de Bitcoin serait vouĂ© Ă  l’échec : ils seraient en effet incitĂ©s Ă  augmenter leurs revenus par la crĂ©ation monĂ©taire Ă  l’instar des banques centrales.

Tout ceci nous amĂšne Ă  la troisiĂšme catĂ©gorie d’acteurs impliquĂ©s dans Bitcoin : les utilisateurs, ou plutĂŽt les marchands, c’est-Ă -dire les personnes qui acceptent le bitcoin comme moyen de paiement pour un bien ou un service. Cette catĂ©gorie des marchands est Ă  prendre au sens large et inclut, outre les commerçants classiques, les Ă©pargnants et les spĂ©culateurs qui Ă©changent de l’euro contre du bitcoin. Le fait est que ce sont ces utilisateurs qui, par l’usage direct ou indirect d’un nƓud complet, dĂ©cident rĂ©ellement de la direction dans laquelle Bitcoin doit aller, car ce sont eux qui apportent de la valeur au bitcoin.

Lorsqu’en novembre 2017 il a Ă©tĂ© question de doubler la capacitĂ© transactionnelle de Bitcoin par le biais d’une mise Ă  niveau appelĂ©e SegWit2X, les utilisateurs ont refusĂ©. Cette proposition, soutenue par la majoritĂ© des mineurs et par une grande part des entreprises du milieu, a Ă©tĂ© annulĂ©e avant son activation au vu de l’impopularitĂ© de celle-ci. Ainsi, c’est le sectarisme des utilisateurs et des dĂ©tenteurs de bitcoins, attisĂ© par un certain nombre d’influenceurs, qui a prĂ©valu dans l’affaire, chose que pressentait Satoshi Nakamoto dĂšs dĂ©cembre 2010 :

Les utilisateurs de Bitcoin pourraient devenir de plus en plus sectaires à propos de la limitation de la taille de la chaüne pour que son accùs reste facile pour beaucoup d’utilisateurs et pour les petits appareils.

Le modĂšle Ă©conomique de Bitcoin est ainsi protĂ©gĂ© par ces marchands qui, par le biais d’une conservation plus ou moins longue, sont incitĂ©s Ă  faire en sorte que la valeur du bitcoin ne baisse pas, et mĂȘme qu’elle augmente. Il est donc dans leur intĂ©rĂȘt de ne pas modifier la politique monĂ©taire dĂ©flationniste du bitcoin. De plus, la limite des 21 millions de bitcoins est un point de Schelling fort qui dĂ©vantagerait toute tentative de changement.

NĂ©anmoins, ce modĂšle n’est pas magique et, tout comme le minage, repose essentiellement sur la rĂ©sistance individuelle des marchands aux pressions, qu’elles soient intĂ©rieures (la proposition d’une Ă©mission monĂ©taire pour protĂ©ger la chaĂźne par exemple) ou extĂ©rieures.

Le cas d’une pression extĂ©rieure est le plus parlant. De maniĂšre pessimiste, on pourrait imaginer qu’un dĂ©cret appliquĂ© par les États membres de l’ONU impose par la loi une crĂ©ation monĂ©taire qui reviendrait Ă  une banque centrale mondiale, et qui rendrait illĂ©gale la version dĂ©flationniste de Bitcoin. Dans ce dernier cas, le destin de Bitcoin serait entre les mains aux marchands, qui devraient faire preuve de courage en refusant ce dĂ©cret et en acceptant le bitcoin interdit, soit en toute illĂ©galitĂ© dans leur pays, soit dans un pays non concernĂ©.

Ainsi, Ă  l’instar du bon traitement des transactions qui est garanti par les mineurs et renforcĂ© par la dĂ©centralisation du minage, la dĂ©fense de la politique monĂ©taire est assurĂ©e par les marchands et affermie grĂące Ă  leur degrĂ© d’indĂ©pendance : moins il y a de marchands capables de continuer leur activitĂ© dans l’illĂ©galitĂ© ou depuis des lieux non rĂ©glementĂ©s, notamment par la gestion de leur propre nƓud complet, moins le bitcoin est rĂ©sistant Ă  l’inflation.

 

Conclusion

Bitcoin est un systĂšme Ă©conomique basĂ© sur l’action d’individus libres. Sa sĂ©curitĂ© ne provient donc pas des concepts sous-jacents Ă  son fonctionnement comme la cryptographie, la chaĂźne de blocs, le logiciel libre, la dĂ©centralisation ou la puissance de calcul, mais de la volontĂ© humaine des personnes qui Ɠuvrent chaque jour Ă  sa survie. Bitcoin ne serait pas lĂ  sans ses dĂ©veloppeurs bienveillants, ses mineurs soucieux de la rĂ©sistance de la chaĂźne et ses marchands prĂȘts Ă  tout pour conserver un protocole sain.

Bitcoin peut ainsi ĂȘtre dĂ©nigrĂ©, rĂ©glementĂ©, interdit, attaquĂ©, combattu, mais il ne pourra pas ĂȘtre dĂ©truit dans son principe tant qu’il y aura des gens derriĂšre lui. C’est pourquoi sa communautĂ© est si cruciale : mĂȘme dans les pires moments de doute, il y aura toujours des personnes prĂȘtes Ă  programmer, Ă  miner et Ă  valoriser le bitcoin. Ainsi, malgrĂ© les restrictions imposĂ©es par les États et les efforts des banques centrales pour le singer, Bitcoin est lĂ  pour rester. Et c’est tant mieux.

 


Notes

1. ↑ Je tire cette rĂ©flexion de la thĂ©orie d’Eric Voskuil et en particulier de son texte sur le principe du partage du risque dans lequel il observe que le risque individuel d’accepter ou de miner le bitcoin dĂ©pend du nombre de gens qui le prennent.

2. ↑ Ces deux changements, relatifs Ă  Bitcoin et Ă  Ethereum, ne sont pas forcĂ©ment de mauvaises Ă©volutions : le monde a probablement besoin d’une rĂ©serve de valeur Ă  hauts frais trĂšs sĂ©curisĂ©e et trĂšs stable (surtout lorsqu’on constate les derniers agissements des États et des banques centrales) et d’une plateforme de contrats autonomes qui puisse ĂȘtre modifiĂ©e socialement dans le cas oĂč 5 % des fonds sont concernĂ©s. NĂ©anmoins, ces changements indiquent que certains principes peuvent s’éroder et que les protocoles peuvent effectivement Ă©voluer dans un sens non prĂ©vu originellement.

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