Avec le sous-titre Comment les techno-fascistes ont pris le pouvoir Nastasia Hadjadji revient sur ses propres pas, chez le même éditeur, même format, mais en duo. Ayant écrit 4 livres de cette manière (voire en trio) j'y vois plutôt – a priori – un gage de qualité : il est, en confidence, très difficile de se relire, et trop facile de se convaincre soi-même de ce que l'on écrit.
No Crypto crispa les cryptos, ''No Facho" fâchera les fascistes. La cible a bougé, même s'il faut bien admettre que certains se trouveront à chaque fois dans la zone de tir.
J'ajoute que, comme dans le dernier opus, les exemples, les situations, les discours sont essentiellement américains. Cela me fait une raison de plus de lire le livre l'âme en paix et de façon assez détachée. J'ai certainement bien des travers, mais je ne suis ni américanisé ni américanoïde et je n'ai jamais été déçu
ni même franchement surpris par ce qui se passe là-bas. Pour le dire crument : j'étais déjà épouvanté sous Bush Père, même si ce temps-là ferait presque figure d'Eden maintenant.
L'ouvrage a déjà fait l'objet de courtes recensions :
- par Le Monde (qui fonde sa conclusion sur une citation de 2009) et
- par le blog En attendant Nadeau, qui décrit plus sérieusement comment l'une des forces d’Apocalypse Nerds est sa capacité à décrire la façon dont la production théorique des tech bros est toujours accomplie dans l’objectif de conquérir le pouvoir, mais qui déplore que l’essai pèche un peu dans les voies de sortie qu’il propose.
Il a aussi suscité une interview de O. Tesquet par PhiloMag.
Ce qui suit est donc une lecture plus personnelle, où je développe plus particulièrement les points (religion, Bitcoin...) qui m'intéressent. Vous êtes prévenus !
Commençons par prendre au sérieux ce mot d'Apocalypse. Il n'est pas là simplement dans le sens que lui donne le langage courant, avec beaucoup de napalm et un peu de Coppola, et qui fournit le thème central d'une introduction qui fera tourner les pages aux plus pressés, donnera le tournis aux autres, et en incitera quelques-uns à de longues ballades en ligne.
L'un des traits du nouvel american nightmare, derrière ses premiers rôles de super-héros vieillis, de Jokers botoxisés ou de grands patrons pré-cryogénisés, derrière son armée de nerds, de geeks et sa plèbe de devs, c'est bien, en effet, que ce projet oligarchique de prise de pouvoir par la technique (et la finance) s'énonce dans un délire religieux très particulier.
Hadjadji et Tesquet ne peuvent être critiqués d'avoir choisi cet angle d'analyse et de combat. Encore faut-il rester à bonne distance, se rappeler qu'une forme de religiosité polémique ne rongeait pas moins l'Amérique maccarthyste et qu'en revanche le fascisme dans sa version européenne vintage ne s'embarrassait guère de Jésus et de son gênant message de fraternité, de miséricorde et de douceur. Je ne veux pas suggérer que notre Occident oriental n'ait pas connu jadis de sévères délires apocalyptiques ou millénaristes, mais les ferments en ont été exportés de longue date par divers pilgrims vers l'Occident occidental. C'est de là-bas, où le délire a sévèrement muté, qu'il continue de magnétiser (et d'américaniser) les cervelles les plus réceptives du vieux continent.
Le catholicisme lui-même, aujourd'hui lourdement revendiqué par des gens comme Vance ou Thiel et bien surligné par les auteurs, n'a pas moins (quoi que plus récemment) muté et ne ressemble à rien de connu en Occident oriental : ni aux divers catholicismes politiques post-révolutionnaires (ordre moral, Pétain, Franco) ni aux bricolages vaticans (democristiana etc), ni a ce que vivent dans leur foi les catholiques pratiquants désormais minoritaires, ni à ce que bricolent avec leurs souvenirs les catholiques culturels.
La plupart des catho-braillards américains sont en outre des convertis qui ont encore sous les rangers la boue de leurs terrains de chasse précédents. Ce point n'est pas un détail : il y a des gens (et les fachos en font évidemment partie) qui ont tout intérêt à avancer masqués. De même que certains ont découvert Bitcoin comme une divine surprise
, certains et parfois les mêmes ont trouvé dans des écrits religieux de quoi entretenir le feu de leur enfer mental.
Le lecteur européen pourra être étonné de voir la dimension apocalyptique attribuée dans ce livre non à une lecture de saint Jean mais à une (re)lecture de saint Paul (*). Car il s'agit d'un Paul juif, messianique et eschatologique, tel que réinterprété notamment par Jacob Taubes (**) un esprit fort compliqué, lecteur de Carl Schmitt et dont l'objectif ultime était le dépassement (impossible) de la scission entre le judaïsme et le christianisme, en vue de l’explosion de la société existante : un délire (et une impasse) que l'on retrouve aisément aujourd'hui chez les millénaristes américains.
Entrons dans le sujet. Les auteurs décrivent bien comment dans la Silicon Valley la croyance en une hiérarchie naturelle des intelligences, doublée d'une morale entrepreneuriale viriliste
a progressivement structuré les esprits, les discours, puis les entreprises elles-mêmes. Tout le monde y adhère plus ou moins à la phrase de Peter Thiel en 2009 : je ne crois plus que la liberté et la démocratie soient compatibles
. Comme on sait, cette idée (débarrassée du fatras religieux) s'exporte désormais fort bien chez nous, d'autant qu'elle jouit de la bénédiction de F. Hayek.
Plus original, le chapitre placé sous la référence au Béhémoth (qui est dans la Bible une force animale mutante, que l'homme ne peut domestiquer) présente le projet de gouvernance par le désordre, le prétendu art du deal qui n'est qu'un trial and error. L'évaporation des mots, le gel brouillon des budgets ne seraient pas l'effet de l'incohérence du techno-fascisme mais seraient à la fois sa nourriture et son fonctionnement organique. Dans le grand buffet dinatoire
où les techno-fascistes picorent sans ordre ni mesure, les auteurs distinguent à la suite de Timnit Gebru et Émile Torres, la convergence des 7 familles : transhumanisme, extropianisme, singularitisme, cosmisme, rationalisme, altruisme efficace et. longtermisme. L'avant-dernière permet de faire surgir la figure de Sam Bankman-Fried tandis que le rationalisme permet d'évoquer Peter Thiel ou David Sacks. Pour autant le lecteur ne verra pas citer directement Bitcoin parmi les amulettes, les méfaits ou les trésors du Béhémoth. Il ne perd rien pour attendre.
Coup d'état graduel
, préviennent les auteurs : ceci ne concerne toujours pas particulièrement la crypto. Est-ce spécifique à l'Amérique du Joker, quand on voit notre Président (que nul ne regarde en coin lorsqu'il traite les autres d'illibéraux) démanteler les corps de l'État et nommer à peu près son cheval consul, premier ministre, préfet, recteur ou ce qui lui plait. Pareillement pour le travail de sape des fondations. Je suis de ceux qui pensent (comme Galilée) que là-bas c'est comme ici
non pas hélas par un relativisme moqueur mais parce qu'aucune comparaison ne me rassure sur ce qui se passe dans mon pays.
Donnons cependant ce crédit à la perspicacité des auteurs que là-bas le travail de destruction est confié à des jeunes hommes, pour certains à peine majeur
mais souvent gros QI, quand chez nous des ministères sont confiés à des jeunes femmes demi-instruites dont le Général De Gaulle n'aurait peut-être pas voulu comme secrétaires : cela ira donc moins vite chez nous. Et que la figure d'un Vance prétendument hillbilly
et adepte de Girard tout à la fois, mais dont le catholicisme est réfuté par le Vatican tandis que son autoritarisme fait trembler, incarne peut-être l'après Trump. Et que les élites à venir seront là-bas bien peu universitaires et instruites au sens académique du terme.
Le rêve de la monarchie distribuée
n'a malgré les mots employés (et divers fantasmes féodaux déjà abordés ici) rien de traditionnelle : c'est un césarisme de CEO, un remake d'idées anciennes que Curtis Yarvin est allé piocher chez Taine, avec la conviction que Trump était de la trempe
de Bonaparte, capable de canaliser les colères et les fiertés pour exercer sa tâche : subvertir le système sans le renverser et installer une infrastructure invisible, logicielle capable de se propager comme un virus
. La technologie est la gouvernance elle-même.
A ce détour, retrouve-t-on Bitcoin ? Rien n'est moins sûr, pour moi. La presse malveillante peut associer autant qu'elle le veut Bitcoin aux Trump père et fils, rien n'empêchera Bitcoin de servir aussi leurs ennemis comme ceux de l'Amérique et du monde libre. Il y a dans le protocole Bitcoin quelque chose qui résistera largement à tout agenda idéologique.
Mais il y a aussi, dans les si nombreux agendas idéologiques évoqués par les auteurs, de façon un peu étourdissante pour le lecteur, un côté foutaise. Je ne parle pas des hommes (Musk déjà en retrait et bougon, Milei un peu tronçonné, Bukele dictateur cool et maton as a service) mais des systèmes de pensée eux-mêmes (miniarchie autoritaire, haut modernisme d'un monde entièrement modélisable) dont il est peu probable que les hypostases durent mille ans.
Il ne me semble pas davantage probable qu'elles s'exportent sur un vieux continent dont les vieux réacs ont eux-mêmes des vieilles traditions trop différentes et dont les jeunes fachos sont loin d'être tous des nerds. Bien sûr, la lecture de X montre combien les jeunes entrepreneurs
peuvent adorer Musk et Trump, et Netanyahu en prime. Mais même dans son sommeil M. Bolloré ne voit pas Jésus accueillir Charlie dans son ciel sucré ; même munie d'une hache en place de tronçonneuse Mme. Pécresse ne participe guère que de la ladrerie bourgeoise ; et même le patron de l'AfD doit bien comparer le nazisme à une fiente d'oiseau en comparaison avec mille ans d'histoire allemande glorieuse
. M. Stérin peut bien admirer Musk, il le fait comme celui-ci admire Napoléon, à sa façon. La sienne tient surtout du Puy du Fou et je doute qu'il le fasse, comme le craignent les auteurs from scratch
.
En Europe, nous savons que Mabuse était fou et que la bande de Gaza, si elle ne reste pas pour toujours un enfer, ne sera jamais un Paradise, ni une sovcorp, ni une enclave façon Prospera, ni une plateforme de Thiel, quelles que soient les combinaisons de Rubik's cube de ce que les auteurs décrivent fort justement comme des idéologues nihilistes.
Cela ne nous met pas forcément du bon côté
car il entre autant de mollesse que de résilience dans notre résistance aux délires. A toutes les références très savantes des auteurs, j'ajouterais (ou j'opposerais) volontiers le Domaine des Dieux, publié par Uderzo et Goscinny un an avant le rapport du Club de Rome.
Tel ne sera pas le sort de Praxis, qui risque fort de ne jamais exister qu'à l'état de modèle ou de fantasme, parce que décidément la cabane au Liberland apparait tout juste passable pour les boys scouts, mais qui ne viendra jamais concurrencer Dubaï IRL. Et il est bien inutile (de la part des fondateurs comme de celle des auteurs) d'imaginer Praxis fonctionnant grâce à une cryptomonnaie : ce serait au mieux une monnaie locale numérique dont la valeur serait problématique, soit Bitcoin dont je rappelle (au risque de chagriner mes amis) que la souveraineté est celle de l'algorithme, pas du détenteur de la clé. Tout cela est bâti avec du vent, les auteurs le montrent eux-mêmes quelques pages plus loin.
Dans la réalité des choses, la sécession des geeks se fait (même en Amérique) comme celle des riches : dans les beaux quartiers, dans les bonnes écoles, avec pour les 1% le yacht battant pavillon souvent de complaisance mais qui rappelle qu'il faut toujours un État, même pour bronzer sur le pont arrière et avec pour les 1% des 1% une île, volcanique, atoll ou artificielle, où ils se feront vite suer quand ils auront fini d'y équiper leur bunker.
Que M. Srinivasan ou M. Zuckerberg croient qu'une entreprise-réseau captant l'attention de milliards d'êtres serait plus proche d'un État que d'une firme et plus puissant qu'une nation ne nous obligent pas à épouser sans examen cette croyance comme peuvent le faire les 30 ou 40 millions (pas plus) de digital nomads. Certes l'ordre westphalien est ébranlé –je l'ai écrit moi-même, pensant surtoutaux États de culture continentale ; certes l'évitement fiscal s'affiche ; et certes (les auteurs en parlent étonnamment peu !) les convictions démocratiques s'effondrent chez les dirigeants comme chez les gouvernés des pays mêmes qui se définissent encore comme démocratiques, et cela pour cent raisons dans lesquelles la tech n'intervient pas forcément. C'est de cela, me semble-t-il, qu'il faudrait se soucier sans se laisser abuser par des discours libertaires qui parfois ne sont guère plus qu'un jeu de rôles pour enfants malins ou riches.
Et Bitcoin ? Il est présenté comme le fétiche ultime des individus souverains, une technologie de pouvoir à même de faire advenir (la) constellation de juridictions autonomes
ce qui suppose un peu que les cités sovcorp et autres îles de Titus Gebel mèneront leurs transactions surtout entre elles, ce dont on peut douter. Surtout si, comme cela a été supposé, chacune a financé son développement par sa crypto. Mais cela permet de placer Bitcoin dans le paysage de l'Apocalypse nerd. Je trouve comique, au passage, d'accuser Bitcoin de priver les États de leurs recettes fiscales
: après plus de 10 ans à entendre lesdits États marteler n'y touchez pas
en affirmant qu'il s'agissait ni plus ni moins que d'un bout de crotte, les voir en croquer 30% avec gourmandise a de quoi faire rire. Il reste bien d'autres gâteaux qui leur échappent : est-ce propre – ou particulièrement significatif – avec la crypto ? Le cum-cum qui a privé l'État de 33 milliards d'euros sur 20 ans est un scandale bien bourgeois, pratiquement soutenu par les occupants successifs de Bercy où cela représente un manque à gagner largement supérieur aux petites tromperies des cryptobros.
Dans ce livre, qui fait mine de s'effrayer de tout un tas de foutaises que les auteurs mettent entre guillemets, Bitcoin se voit assigner une place étrange, bien ambigüe : la preuve (unique) de ce que malgré tout une fiction financière
pourrait marcher. On a envie de leur dire : d'accord avec vous
. Bitcoin marche et il est pratiquement unique. Vous êtes des maxis. Mais le succès de l'objectivation du White paper de Satoshi ne permet pas d'extrapoler un succès comparable du ''Network State" de Srninivasan (résumé) qui n'est en rien comparable, ni comme projet, ni comme architecture, ni comme logique, ni comme rigueur, ni comme utilisation de la théorie des jeux. Si j'étais pervers, je noterais qu'il est tout de même plus facile de fonder une monnaie qu'une nation dotée de puissance. Un exemple ? L'Europe.
Là où les auteurs ont en revanche raison, c'est sur le capitalisme de perforation, celui des plus de 5000 ZES qui parsèment la carte des États westphaliens, même si cela tient plus du capitalisme anglais à Hong-Kong, ou de Tanger à l'époque coloniale que du rêve des nerds(***). Mais bien des gâteries consenties aux groupes étrangers investissant chez nous relèvent aussi de cela. Sans compter les arrangements juridiques inclus dans les traités de commerce. Tout cela n'est pas forcément très geek et ne permet pas d'aller chercher des poux dans la tignasse de Satoshi. Si presque tous les exiteurs sont bitcoineurs, l'immense majorité des bitcoineurs ne sont pas des exiteurs. Et les auteurs le savent fort bien.
Que dire des développements sur la SF ? Que ceux qui imaginent un autre avenir, quelqu'il soit, consomment voire produisent de la SF me paraît dans l'ordre des choses. Est-ce que le fantasme d'une humanité à deux vitesses irrigue la science fiction d'obédience cyberlibertarienne
? Est-ce que ça lui est propre ? On trouve cela chez Aldous Huxley, ou dans les BD de Bilal. Et la Bible elle-même ne commence-t-elle pas avec cette promesse diabolique : Vous serez comme des dieux
?
L'avenir aussi à une histoire : chacun connait les diverses prédictions, illustrées de façon fort amusante, sur le Paris de l'an 2000. Aucune, malgré quelques anticipations saisissantes ne s'approche de ce que nous avons connu il y a déjà un quart de siècle. Pour des raisons évidentes : erreurs toutes choses égales par ailleurs
; erreurs d'extrapolation ; erreurs surtout sur les usages sociaux. La SF est d'ailleurs un univers auto-référentiel et Asimov par exemple s'intéressait aux prédictions passées. Les délires SF des nerds, tout politiques qu'ils soient, doivent être réinscrits dans cette optique.
Les auteurs sont particulièrement intéressants dans leur exposé sur le futur post humain
dont ils font une généalogie assez exhaustive. S'ils suivaient ce blog, ils l'auraient même fait remonter au bouillonnement précédant la Révolution, quand, dans un désordre comparable à l'actuel, certains hommes rêvaient parfois en même temps d'abattre la vieille société, de faire de l'or et de se rendre immortels.
Mon opinion personnelle est que, voyant aujourd'hui Bryan Johnson comme jadis Cagliostro, la plupart des gens considèrent cela comme un folklore initiatique douteux. Et que les auteurs sont bien hardis de dire que le courant extropien a rendu crédible la quête utopique d'immortalité
et un peu confus quand ils concluent que la longévité comme parabole du franchissement des limites corporelles et cognitives ne racontent au fond qu'une histoire millénaire, celle de la recherche de la transcendance
. Pour moi on est ici beaucoup plus proche de fantasmes à la Dracula ; j'avais d'ailleurs déjà réfléchi ici sur le sang.
J'en arrive aux obsessions natalistes des magnats de la Silicon Valley. Faut-il préciser que le père de famille que je suis a lu ce chapitre comme mon grand-père devait lire la littérature des explorateurs sur les sorciers ? Je note que les fantasmes décrits frappent aussi (tiens donc) une élite qui n'a rien à voir avec le rigorisme mormon et la ferveur catholique
. Je n'en suis pas étonné pour ma part. L'altruisme efficace est tout sauf chrétien, quoi qu'en pensent ceux qui ont reçu leur culture chrétienne comme de l'eau bénite jetée sur la foule au goupillon. Il est aussi tout sauf moderne : l'eugénisme radin n'est pas une nouveauté.
Bitcoin or not Bitcoin? À ce niveau, le lecteur aimerait sans doute en savoir davantage sur l'historien Q. Slobodian qui a tracé
un trait d'union entre le retour des théories explicitement racistes et eugénistes et le réinvestissement de la hard money, c'est à dire de l'or (...) dont le pendant numérique serait, selon ses promoteurs, Bitcoin
. À défaut d'une traduction française de cet ouvrage paru en 2025 on lira cet interview et surtout l'extrait ci-dessous, où il est bien dit qu'il ne traite pas de Bitcoin et qu'il considère le sujet comme accessoire. Les auteurs français auraient-ils, alors, réintroduit en loucedé leur fixette personnelle ?
Que puis-je dire pour conclure ?
Comme dans No Crypto je ne suis pas en opposition frontale (tant pis pour les amis que je perdrai éventuellement en écrivant ceci) ni en désaccord point par point avec tout. Mais j'éprouve le même sentiment de brouillon mêlant un peu tout, avec des condamnations implicites en tous sens. Par exemple catholique fervent
ne signifie ici que trop catho à mon goût
et bien sûr le mot Bitcoin fonctionne comme Satan, il porte en lui sa condamnation et celle de tout ce qui y conduit, selon l'expression liturgique consacrée.
Comme la plupart des autres lecteurs qui se sont exprimés, je termine en pensant (comme les célèbres vautours de Disney) : What are we gonna do ?
.
S'en prendre à tout ce qui est numérique, que ce soit avec des rhétoriques anciennes ou renouvelées, consiste à faire non le vautour mais l'autruche en oubliant ce que l'on sait depuis que Galilée l'a écrit en 1623, que la nature est écrite en langage mathématique et ce qu'avait dessiné Léonard de Vinci environ 130 ans plus tôt, que l'homme n'en est pas si différent.
Dénoncer des propos odieux, nihilistes, parfois antechristiques, souvent clownesques ne les réfute pas forcément, ne leur oppose pas de vision alternative convaincante et peut laisser penser que l'on préfère ne pas approfondir les failles et faiblesses du système que l'on souhaite sauver de leurs assauts. Les prendre au pied de la lettre est une autre faiblesse. L'accélérationnisme peut être vu comme un procédé sadique
; il peut aussi être décrit comme une pensée de bulle.
A cet égard, je vois une sorte d'aveu dans les mots suivants : Ce sont eux, ces grands oligarques, ces codeurs renégats transformés en Raspoutine, ces théoriciens de la néo-réaction et des Lumières sombres, qui capturent aujourd'hui la fabrique des utopies, en subtilisant à une certaine gauche des idées – révolutionnaire, communaliste, anarchiste, socialiste libertaire, écosocialiste, féministre – son magistère en matière de poésie révolutionnaire, et surtout sa capacité à construire des utipies concrètes
.
Pas mieux. La faute à qui ? On fait quoi ?
Pourtant (et sans doute est-ce la forme de relativisme propre aux historiens) il me semble qu'une bonne part de ce que décrivent les auteurs, n'est, sous des oripeaux technofascites, qu'une forme très ancienne de la pensée de l'inégalité, avec sa force (faut pas se gêner) et sa faiblesse (des gens de la première classe du Titanic sont morts aussi).
Même la nécropolitique
citée à l'antépénultième page (j'ai fait mon boulot sérieusement) et définie comme la capacité de dire qui pourra vivre et qui doit mourir
m'a fait immédiatement penser à ce passage glaçant du Dr Folamour, datant de 1964, soit sans doute de trop d'années avant la naissance des auteurs pour qu'ils y aient songé.
On doit pouvoir divulgacher un film vieux de 60 ans : d'une part il y a un personnage qui envoie son coeur
et d'autre part... ça finit mal !
Quant au livre de Hadjadji et Tesquet, s'il a le mérite de dénoncer le chaos et ce qui conduit au chaos, il s'achève pratiquement sur un pont de bambou tendu au-dessus du chaos promis, avec un mix usé de luttes féministes et de refus de l'IA, mélange dont le plus complaisant des lecteurs pourra douter.
Pour ma part (j'ai prévenu que je jouerais perso) j'aurais imaginé la lutte finale de cette Apocalypse conduite sous l'égide de quelqu'un(e) inspiré(e) de John le Sauvage, le romantique et shakespearien personnage de Brave New World (1932), ou bien du Juwna de Noir Prophète (2004).
Ou pourquoi pas d'un dynamiteur comme Satoshi (2008) ?
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(*) La pensée de l’Apôtre est largement fondée sur l'idée de réconciliation avec Dieu par la Croix et sur l’inauguration d’une humanité nouvelle dans la résurrection du Christ. À ceux qui attendent les ascensions célestes promises par la littérature apocalyptique, Paul répond qu’ils possèdent déjà leur être ressuscité avec le Christ, qui trône bien au-dessus de tous les être célestes
(**) lire ici Les nombreuses vies de Jacob Taubes. On peut lire aussi cette note critique dans la Revue des Etudes juives en 1999
(***) À noter, puisque les auteurs (qui citent L'Île à hélices) ne l'ont pas fait, que le capitaine Nemo (1870) offre le modèle parfait de l'exiteur techno !