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42 - L'Art est-il dans la nature du Bitcoin?

By: Jacques Favier

Tétradrachme de ClazonèmeS'il y a un art de la monnaie ce n'est pas celui des banquiers mais celui des artisans, des graveurs de monnaies.

Au commencement, les monetae figuraient le visage des dieux, des héros et des rois. Une monnaie n'était pas moins sacrée qu'une statue dans un temple ; le caractère précieux du métal et la beauté plastique de l'œuvre se combinaient en l'une comme en l'autre.

Qu'elles soient perses, grecques ou ... gauloises, les monnaies antiques nous frappent toujours par leur hiératique beauté.

monnaies antiques

Et des siècles plus tard, les guerres entre rois étaient aussi des concours de beauté : sur leurs trônes, sur leurs nefs, sur leurs chevaux, rois de France et d'Angleterre faisaient assaut de majesté par de vraies oeuvres d'art.

guerre de cent ans

Il reste quelque chose de ce lien antique. Oscar Wilde l'avait déjà remarqué : «Quand les banquiers se réunissent pour dîner, ils parlent d’art. Quand les artistes se réunissent pour dîner, ils parlent d’argent».

Des étranges relations entre les gens d'argent et les gens d'art, quels enseignements pouvons-nous tirer pour Bitcoin, la plus immatérielle des monnaies ?

Les œuvres d'art constituent depuis longtemps une classe d'actifs. Le goût des hommes d'affaires n'est pas forcément mauvais. Les choix des Médicis, jadis, ceux d'un industriel de l'acier d'origine populaire comme Frick il y a un siècle, ou plus récemment ceux d'un industriel du textile troyen comme Pierre Lévy rappellent que le goût, le flair, l'audace même et l'absence de conformisme ou d'académisme peuvent aussi faire de redoutables d'hommes d'affaires des collectionneurs avisés.

Collections Frick (supra) et Lévy

L'oeuvre d'art est un "or artistique". Elle a une valeur intrinsèque, qui résiste à l'inflation. Mais elle doit être "vraie". L'art comme classe d'actifs ne s'étend qu'aux seuls objets tangibles : peinture, gravure, sculpture. Passé la période couverte par le droit de l'auteur et de ses ayants-droit, personne n'a entendu parler de posséder (surtout de manière exclusive) Une petite musique de nuit ou Les Fleurs du Mal. Ce n'est pas désintérêt. Pour qu'une création ait valeur marchande, il faut qu'elle soit exclusive sinon unique, exactement comme une pièce de monnaie. Il faut qu'elle soit "vraie".

Un vrai Picasso se possède, mais comment possèderait-on un vrai Mozart ?

Il y eut une exception : le fameux Miserere d'Allegri, composé en 1683 pour le pape Urbain VIII. Sa copie et même sa transcription durant une audition étaient punies d'excommunication car cette propriété du pontife, uniquement interprétée dans sa chapelle, se devait d'être exclusive. Elle le resta (plus ou moins, car des transcriptions aussi fautives que furtives circulaient) jusqu'au prodige du jeune Mozart qui, à l'âge de 14 ans, aurait retranscrit chez lui sans une seule erreur l'intégralité du morceau (un peu moins d'un quart d'heure) après l'avoir entendu une seule fois, en 1770.

Dirait-on aujourd'hui que le petit prodige a hacké le fichier d'Allegri? Il n'a pas recopié la partition, il a pratiquement réécrit le morceau, non avec ses yeux, pas même avec ses oreilles, mais avec sa mémoire !

un cave artisteOn vole très au-dessus des douteux exploits des faux-monnayeurs que seule la prudence conduit à s'appliquer, ce qui fait que la fausse monnaie, pas moins que la vraie, requiert une main d'artiste, une paluche qui vaut de l'or, une main raphaëlienne comme disait le Dabe.

Or justement, de telles mains existent, et c'est bien pourquoi la fausse monnaie n'a pas attendu le scanner pour courir la rue.

Pour éliminer la "fausse" monnaie, une idée monétaire originale et artistique serait que tout billet soit forcément lui-même un original, radicalement différent des autres et non pas différencié par un numéro de série dont nul ne se soucie et qui n'assure qu'une traçabilité fort médiocre.

Je voudrais ici parler d'une expérience peu connue en France, et qui à vrai dire n'a guère marché et ne pouvait pas marcher : l'Artmoney danois. Un beau jour de 1997, un peintre fauché a proposé dans un café de Copenhague de peindre lui-même le billet. Artmoney était né, et des milliers de billets différents ont été dessinés ou peints, tous de format 12x18, assortis au dos de l'œuvre de mentions obligatoires et tous d'une valeur nominale de 200 couronnes. Oui, l'histoire se passe bien dans LE pays qui a dit non au merveilleux euro. Est-ce un hasard ?

Dans les premières années de ce siècle, des "billets" ont été acceptés en paiement, essentiellement pour quelques 20% des consommations dans les bars branchés de Christianshavn. L'expérience semble s'essouffler même si les billets seraient toujours acceptés dans 150 commerces dans le monde, dont 121 au Danemark et 2 en France.

J'ai bien sûr acquis quelques "billets". Comme la très grande majorité des clients, ce fut toutefois seulement pour leur valeur de collection. On peut sourire, mais j'ai toujours pensé que les fameuses "monnaies locales complémentaires" n'avaient guère d'autre destin dans la pratique. La valeur de collection se combine cependant, dans le cas d'Artmoney, à une valeur intrinsèque, liée au travail du peintre: de l'or artistique, en somme...

J'ai encadré celui-ci, parce qu'il résume assez bien la philosophie du système...

artmoney

Pourquoi cela n'a-t-il pas mieux marché ? Ne haussons pas les épaules : créer de la monnaie ex nihilo, les artistes de Copenhague ne furent pas les seuls à y songer, la BCE ou les banques commerciales le font aussi, et sans avoir le talent ou la courtoisie de s'imposer une création artistique pour cela...

En tout cas il y a ici un concept que nous retrouvons dans le système bitcoin : l'unicité, l'originalité de chaque unité, et... beaucoup de travail !

Une autre idée, bien plus féconde, qu'eurent en premier les artistes et les collectionneurs c'est de rendre chaque oeuvre traçable.

la vente ContiLe meilleur moyen de savoir si vous avez un vrai Titien, un vrai Rembrandt... c'est de connaître son histoire depuis l'atelier.

Les catalogues de Musées (au moins 200 pour le seul Musée du Louvre depuis 1793) s'avèrent ici moins utiles que les catalogues des collections privées puisque leurs pièces sont encore susceptibles d'être mise en vente. Ces catalogues existent depuis le 17ème siècle.

Mais il faut surtout citer les catalogues des grandes ventes, des successions de collectionneurs (comme la vente à la mort du prince de Conti en 1777), les catalogues des ventes aux enchères conservés depuis le 18ème siècle...

Tous ces catalogues forment autant de blocks validés, certifiés (les commissaires priseurs sont officiers ministériels), même si leur chaînage laisse évidemment à désirer.

Souvent la "cote" d'un artiste se soutient d'autant mieux que sont disponibles ses archives et que la recension exhaustive de ses oeuvres et l'informatisation des données le concernant et de tout ce qui permet d'entretenir un catalogue raisonné sont avancées. Ainsi l'incapacité où se trouvent les experts de savoir ce qui est vraiment de Salvador Dali (la rumeur voulant qu'il ait même laissé quantité de papier blanc déjà signé de sa main) affecte quand même durement sa cote. L'auteur des montres molles a dû songer aux monnaies fondantes !

De même, pour en rester aux surréalistes, la cote de Roberto Matta souffre de l'absence d'un catalogue raisonné. Au contraire, celle de Wifredo Lam bénéficie clairement de l'important effort entrepris par son épouse et ses héritiers qui ont établi un catalogue raisonné de son oeuvre.

Lam, pour les réfugiés espagnols

Lam, mort en 1982, a son site; mort 20 ans plus tard, Matta n'en a pas.

A partir de 1959, un artiste découvreur comme Hans Hartung, créateur du mouvement de l'abstraction lyrique, tint lui-même de son vivant un vaste catalogue de ses propres oeuvres et entreprit de les rendre traçables. Aujourd'hui, une fondation gère archives, catalogues, réseaux d'experts. Elle est en mesure de délivrer des certificats d'authenticité mais aussi de faire saisir de (rares) faux. De telles entreprises, grandement facilitées par l'essor de l'informatique, font aujourd'hui référence.

L'apparition des registres de type blockchain donne tout naturellement une nouvelle jeunesse à de telles entreprises. Si des artistes ont été parmi les premiers à accepter le bitcoin tant comme source d'inspiration (lire dans Coindesk ) qu'en paiement (voir des sites comme art4bitcoin, cointemporary)], on voit aujourd'hui une entreprise comme la start-up berlinoise ascribe offrir des solutions nouvelles pour les artistes, qu'il s'agisse de signer des oeuvres d'art numériques, d'en éditer des certificats d'authentification, d'en maintenir un catalogue, de les tracer, de les partager ou encore de gérer des éditions en séries limitées.

Ceci me paraît, à l'orée d'une ère fondamentalement différente - parce que les aventures ont et auront lieu dans un espace numérique - infiniment plus prometteur que les bricolages consistant à implémenter sur la blockchain (donc dans le cyber-espace) des objets conceptuellement issus du titre-papier (en France : cadastre napoléonien ou loi sur les sociétés de la fin du 19ème).

J'avais noté que, dans l'art des choses idéales, l'adoption par les artistes, vers la fin du 15ème siècle, des mathématiques de la perspective avait été concomitante de la taille du diamant, créatrice de richesses nouvelles et fabuleuses. Il faut toujours suivre les artistes...



Pour aller plus loin :

  • le site pour investir avec émotion de Michel Santi, ancien trader et amateur d'art, que je remercie par ailleurs vivement de son accueil et de ses utiles indications.
  • un article de l'Usine digitale sur l'apport de la blockchain à l'authentification
  • Une vidéo sur l'histoire d'Artmoney qui insiste sur la dimension communautaire de la monnaie
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41 - Questions philosophiques rue du Caire

By: Jacques Favier

La Maison du bitcoin organise régulièrement des petites séances d’initiation au bitcoin, aimablement ouvertes à tous. Je m’y suis rendu mercredi 27 janvier avec ma petite idée, qui consistait à écouter moins l’orateur ( Manuel Valente, très clair) que les questions de la salle.

En réalité, les gens qui viennent rue du Caire ont déjà de l’intérêt, voire de la sympathie, pour cette expérience fascinante, tant d’un point de vue monétaire que d’un point de vue que je dirais… philosophique.

Et justement, très vite je me suis aperçu ce mercredi, que sous le masque des visiteurs, s’étaient fort probablement glissé de grands philosophes. Qu’on en juge à l’examen (dans l’ordre) des questions posées par la salle. On y retrouve les Anciens...

les Anciens

... et les Modernes !

les Modernes

Qui les fabrique, les bitcoins ? Il faut comprendre quel type d’hommes, en accomplissant quel travail, en déployant quels efforts. Karl (Marx, pas Chappé !) on t’a reconnu.

Et moi est-ce que je peux en fabriquer ? Adli Takkal Bataille, avec qui j’ai partagé mes idées et mes doutes, suggère que Friedrich Hayek avait pu se glisser sous la peau de celui qui a posé cette question. Mais j’incline à y voir un retour de Søren Kierkegaard, précurseur des existentialistes pour qui une philosophie que le penseur lui-même n’habite pas n’est qu’un palais vide.

Comment ça se fait que ça ait marché ? Question leibnizienne, rudement téléologique : le bitcoin marche parce qu’il est la meilleur monnaie possible, dans le meilleur des cyber-espaces possibles. Variante Bossuet : le bitcoin participe au plan providentiel.

Combien y a t-il de mineurs? La question pourrait paraître sans grand enjeu philosophique, sauf à un positiviste, genre Auguste Comte qui pensait que nous ne connaissons ni l'essence, ni le mode réel de production, d'aucun fait : nous ne connaissons que les rapports de succession ou de similitude des faits les uns avec les autres. Ce genre de pensée ne m’a jamais passionné…

Donc ce n’est pas écologique A cet ergo, on reconnaît tout de suite le cartésien. Qui d’ailleurs se soucie peu de la nature puisque Dieu et Satoshi en ont rendu le bitcoineur maître et possesseur

Le système a-t-il déjà été bloqué ? Un disciple du mathématicien Kurt Gödel, si ce n’est le maître lui-même, venu vérifier que, selon son célèbre théorème, il y a toujours un truc incomplet ou foireux à dénicher partout (je résume).

Comment est organisée la gouvernance ? On peut penser ici à Rousseau, qui expliquait doctement que quelque part au néolithique les gars avaient posé la massue dans un coin de la caverne et passé un pacte entre eux au nom duquel on peut aujourd’hui supprimer l’état de droit. Il aurait aussi bien pu imaginer une gouvernance pour le bitcoin. Mais trêve de cynisme potache : c’est plutôt du côté de Machiavel qu’une gouvernance du bitcoin trouvera un jour sa description.

Comment on fait concrètement pour acheter ? Fatigué du ciel des idées, c’est ici Aristote qui parle.

les livres jadis se rangeaient

On n’a pas de recours? Non. C’est bien embêtant pour un humain, sujet à l’erreur et au péché. On remercie quand même saint Thomas d’Aquin, pour qui l'acte humain n’est volontaire que s'il est rationnel et libre, d’avoir soulevé la question.

Qu’est-ce qu’on peut acheter avec ça? Rien, bien sûr, diront les cyniques qui ne le sont jamais autant que leur maître, Diogène, qui lui voulait abolir la monnaie…

autres temps, autres moeurs

Pourquoi la valeur est hyper fluctuante? Parce que tout change, qu’on ne se baigne jamais dans le même fleuve. Héraclite d’Ephèse était là, lui aussi.

Pourquoi les banques disent de s’en méfier? Avec une question aussi naïve, le choix est simple. Soit l’interlocuteur se fiche de vous, soit c’est Socrate redivivus qui va vous prendre par la main et vous faire accoucher de la vérité qu’en réalité vous connaissez déjà.

Quand est-ce qu’elles font leur propre monnaie? Nicolas Oresme, impatient d’en finir.

Comment est-ce que vous gagniez votre vie? Saint Paul l’écrit (2Th3,10) : celui qui ne travaille pas, qu’il ne mange pas non plus. L’ancien séminariste Joseph Staline (un philosophe géorgien) aimait bien cette citation qui rappelle opportunément qu’il faut quand même faire bouillir la marmite.

Comment la clé sait-elle quelle valeur il y a sur une adresse? Selon mon ami Adli, la question indiquerait sinon la présence directe de Heidegger, du moins son influence sensible.

A noter que personne dans la salle n’a demandé si le bitcoin servait à acheter de la drogue :Herbert Marcuse ne court plus les rues. Personne non plus n'a demandé si le bitcoin finançait l’état islamique : les gens ne lisent donc plus le journal et font davantage confiance au rapport d’Interpol, qui dit que non.

Hathor place du Caire

Comprenne qui pourra.

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40 - Tintin et l'hype"Я"texte

By: Jacques Favier

Chacun a compris ici ou sur le site ami bitcoin.fr que je fais partie, quelque part entre 7 et 77 ans (et plus près de la limite haute) d'une des nombreuses générations Tintin. Depuis plusieurs jours je méditais un nouveau billet avec l'idée de l'illustrer par de curieux détournements de cette œuvre immense. Les événements, comme on va le voir, se sont télescopés ce qui m'a paru un signe étonnant.

De quoi s'agissait-il au début ? Des liens hypertextes, qu'un amendement proposé par deux députés vise ni plus ni moins qu'à interdire.

Tintin et l'hypertexte

Depuis quelques jours en effet, ledit amendement a fait enfler un débat un peu surréaliste, tant d'un point de vue juridique puisqu'il s'agit de contourner un arrêt de la CJUE, que d'un point de vue technique puisqu'il s'agit de débattre de la nature même du lien permettant un accès pas forcément autorisé - c'est vrai - à une œuvre protégée par la loi mais exposée par la technique.

de quoi rireCe projet (qui n'est pas la première manifestation de compassion politique pour les "ayants droit") a provoqué moins d'effroi que d'hilarité de la part d'une vaste communauté qui considère le cyber-espace comme libre à tous égards, et les biens culturels comme ayant un coût/prix marginal nul.

On peut en disputer savamment, mais notons d'abord que ce qui apparaît comme légal à l'opinion tend à le devenir en bien des domaines. Notons ensuite qu'une loi qu'on ne saurait faire appliquer est une sottise. Toutes les tentatives d'interdire les liens se sont soldées par des échecs, comme le rappelle opportunément Libération...

En matière de protection bornée du droit d'auteur, fût-ce au bénéfice d'un ayant droit, il y a un mètre étalon: c'est l'entreprise Moulinsart. Il lui arrive de pousser le bouchon jusqu'à perdre ses procès. Cette entreprise est gérée d'une main avide par un monsieur dont le principal titre est d'être le second mari de la seconde femme d'Hergé et qui, bien au-delà du contrôle des décors de mugs ou de T-shirts, prétend contrôler pratiquement toute la production intellectuelle ou artistique, comique ou savante, sur une œuvre qui n'est pas la sienne, quand bien même elle lui appartiendrait financièrement.

le DUpondt sans peineParmi ses victimes figura, en 1997, l'humoriste Albert Algoud qui publiait alors un savoureux "Le Dupondt sans peine" pour lequel il se vit purement et simplement interdire la reproduction de la moindre vignette. L'ouvrage n'était en rien une attaque contre l'œuvre ou la mémoire de Hergé et ne portait nul préjudice moral ou commercial à Tintin.

Comme on sait, il ne sert à rien de contraindre les gens imaginatifs, car cela les rend plus imaginatifs encore. Si Tintin fait rêver, c'est qu'il reste des rêveurs, et que le lien entre lui et ses fans n'est pas commercial.

L'ouvrage fut donc illustré, et bien illustré. D'abord par des dessinateurs amis (ou complices ?) qui réinterprétèrent les Dupondt en dépit des foudres de leur "propriétaire".

d'autres Dupondt

Dupond et Dupont se virent transformés en véritables fétiches. Sans risque puisque ce dessin ne copie pas directement un dessin effectivement signé de Hergé.

fétichisme

Mais au-delà, quand il lui fallait copier et non détourner, Algoud inventa une forme originale de citation: la vignette blanche, ou "case fantôme", dont l'image (que chacun connaît déjà et que les vrais amateurs de Tintin peuvent se représenter par la pensée) est absente, mais assortie d'un gentil appel au crime. Comme cela :

découper2

Ou en désignant narquoisement l'enquiquineur à la vindicte populaire...

fielleux

pillageEn termes propres, il s'agissait bien de piller, au moins symboliquement. Et tout cela sans que le mot Internet ne soit énoncé. À l'époque il y avait une quarantaine de millions d'ordinateurs connectés. Trois ans plus tard ce nombre avait déjà été multiplié par dix. Il y aurait aujourd'hui plus d'un milliard de sites.

Tintin, Haddock, les Dupondt et Tournesol n'ont donc jamais pu être totalement aliénés aux intérêts financiers de la "famille", malgré la force de frappe financière (et donc juridique) qu'on peut lui supposer.

S'il lui arrive de gagner en justice, une simple intimidation suffit le plus souvent. C'est ce qui vient de se produire avec le (déjà culte) étudiant belge connu comme "Un faux graphiste". Ce tintinophile averti avait ouvert un site de détournement de Tintin avec des dizaines de planches extrêmement bien vues, largement reprises sur sa page Facebook.

Je donne ces informations pour que chacun puisse prendre ses précautions. Les dessins vont en effet être retirés suite à des menaces de "Moulinsart".

Je cite "Un faux graphiste": Mes détournements de Tintin n'ont jamais généré aucun profit, on s'est juste bien marré pendant un an. Moulinsart veut que je les supprime de la page, et n'ayant aucune ressource financière, je ne compte pas m'engager dans une bataille juridique, sans doute perdue d'avance. Ils seront supprimés dans le courant de la semaine, et ça me fait mal au coeur… Ses fans, dont je suis, partagent sa déception. mais la guérilla continue. Je parie un bitcoin qu'on trouvera toutes ses planches en ligne dans un an, dans cinq ans, dans cent ans.

Sur Internet on trouve tout et le pire. Et quant à l'honneur de Tintin, bien pire que ce que faisait le malheureux graphiste belge : comment Tintin s'y prend avec les filles (ha ! ha !) et même comment Tintin aime Milou.

Tu viens de cliquer sur ce second lien, ami lecteur, et tu es déçu : il ne s'est rien passé. Désormais La Voie du Bitcoin appliquera la loi : plus de lien hypertexte. Mais tu peux recréer toi-même un "lien Algoud" : copie les mots joliment coloriés en bleu et colle les dans la barre Google. Cela doit sûrement pouvoir s'automatiser. Il va donc falloir aussi interdire de colorier les mots en bleus. Il serait même prudent d'interdire Google s'il ne respecte pas toutes les lois françaises. Le Parlement va aussi écrire à Internet Inc. pour faire remplacer l'arobase (@) par le (à) qui est tout de même plus français. Il suffira de mettre à jour quelques milliards de pages et quelques millions de programmes.

Allez, préparons-nous pour la grande révolution numérique à la française, avec un zeste d'humour belge et un reste de compassion pour les jeunes entrepreneurs, et disons au-revoir à ... Un faux Graphiste.

les jeunes entrepreneurs (copie illégale puisqu'aucun droit n'est reversé à l'étudiant belge, que je félicite pour son fair-play autant que pour son talent! )

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39 - Du Kraken et de l'imaginaire Bitcoin

By: Jacques Favier

le kraken mangeL’une des principales plateformes de bitcoin, la première en euros, s’appelle Kraken. Elle vient de croquer deux plateformes américaines, Coinsetter et Cavirtex. Pour illustrer la brève qui annonçait la nouvelle, le site bitcoin.fr n'a pas choisi le logo épuré de Kraken, mais une représentation à l'ancienne figurant sur l'étiquette d' une marque de rhum.

C’est que le Kraken évoque un parfum d'aventures, de piraterie, de terreur, une longue tradition de textes légendaires ou romanesques, de gravures étranges et de scènes cinématographiques impressionnantes ! Commençons par le choix de ce nom par les créateurs de la plateforme qui était une allusion à une réplique culte d’un film déjà ancien (1981) mais ayant connu un remake en 3D en 2010, Le clash des Titans.

L'emphase un peu ridicule de Zeus lorsqu'il déclame Release the Kraken en avait fait, involontairement, un sujet de plaisanteries diverses sur Internet.

un Kraken à 4 tentaculesDans ce film, le monstre n'a curieusement que quatre tentacules, ce qui explique aussi le logo de la plateforme, alors que la plupart des innombrables krakens se promenant en liberté sur le net, comme logos de dizaines de sociétés, en ont au moins 8 comme l'animal nommé ocotpussy par les anglo-saxons, si ce n'est plus encore.

J'ai cherché un peu partout, et d'abord dans Le chant du Kraken, petite étude passionnante publiée en septembre par l'historien de l'art Pierre Pigot, ce que le Kraken pouvait venir faire ici, ou du moins ce qu'il pouvait signifier. Et d'abord d’où vient-il ?

De loin! Les Grecs se méfiaient de la pieuvre qu'ils savaient intelligente et rusée. Elle figure pourtant entre -525 et -490 sur une pièce de la cité d'Érétrie, dans l'île d'Eubée. Les historiens voient dans ce symbole une affirmation d'indépendance insulaire dans un contexte de révolte contre les Perses.

Eretrie

En apparence elle n'est pas encore le monstre effrayant qui lance ses tentacules à l'assaut des vaisseaux. Mais Homère ne parlait-il pas déjà du Kraken, sous le nom de Scylla, un monstre affreux… six cous géants, six têtes effroyables ont chacune en sa gueule trois rangs de dents serrées ? Ne parlait-il pas du Kraken sous le nom de Méduse, cette fille des mers qui, pour avoir profané un temple d’Athéna se vit gratifiée de serpents se tordant autour de sa tête ?

Ces monstres invisibles, pourquoi leur donnait-on déjà la forme d’un poulpe (du grec poly-pous, qui a plusieurs pieds) ? Parce qu’il y a des poulpes monstrueux : au premier siècle, Pline l’Ancien évoque un polypus qui logeait près de Gibraltar. Sa tête aurait eu un volume de 600 litres et ses bras mesuraient près de 9 mètres. Monstrueux, ils sont puissants : le polype de Pline ne put être mis à mort que par plusieurs hommes armés de harpons.

Docteur PopaulMais il y a autre chose, que Pline savait déjà : les poulpes sont des chasseurs intelligents. Nous savons aujourd’hui qu’ils peuvent faire usage d’outil, et sans doute mémoriser voire apprendre.

Le célèbre Paul en savait apparemment assez long sur le foot, à défaut de pouvoir deviner l'évolution des crypto-devises.

Monstrueux, puissant, intelligent, suis-je en train de suggérer une comparaison avec le bitcoin?

Une mosaïque de Pompeï résume tout ce que nos anciens savaient de la mer riche en poissons et des deux terreurs qui y règnent : le crustacé dont la carapace ne peut qu’évoquer la cuirasse des légionnaires, et le tentaculaire en quoi peut-être voyaient-ils les désordres et les ruses de la barbarie. Quelque chose de non-romain, dit Pigot.

au musée de Naples

Déjà, c’est le céphalopode monstrueux qui l’emporte, et il n’a pas encore atteint la taille d’un monstre ou d’un démon.

le Kraken de 1558Si l’existence du Kraken n’est pas un article de science, ce n’est pas non plus un dogme. Pourtant les premières mentions s’en trouvent sous des plumes d’hommes de Dieu. Olaüs Magnus, un archevêque suédois du début du 14ème siècle, semble avoir rencontré des témoins qui avaient assez vu le monstre pour en faire des descriptions qui inspireront Konrad Gesner dans cette plus ancienne image (1558). Que dit Olaus ? Les hommes en éprouvent une très grande crainte et, s’ils les fixent un moment, ils en demeurent stupides de frayeur…un seul de ces monstres marins peut aisément faire sombrer plusieurs grands navires…

Puis un évêque norvégien, Erik Pontoppidan, en 1753 dans son Histoire naturelle de la Norvège rapporta surtout des histoires de pêcheurs : le Kraken se tient dans l’eau à 150 mètres du rivage vers lequel il remonte en cas de pêche surabondante. Il cite aussi un médecin, Olaüs Wormius qui serait le premier à avoir parlé d'une ressemblance avec une petite île. On aperçoit, dit Pontoppidan, comme de petites îles ici et là puis le dos entier apparaît, d’une circonférence de l’ordre de 2.400 mètres. Le seul que l'on ait trouvé, en 1680, sur un rivage norvégien, n'avait en vérité frappé les esprits que par la puanteur de sa décomposition. Mais Pontoppidan est le premier à manier une comparaison féconde: celles des tentacules qui se déploient et se dressent levées du monstre semblables à des mâts armés de leurs vergues.

En 1802 le français Pierre Dénys de Montford lui consacra une belle part de son livre sur les mollusques. Il passa pour un fantaisiste et nul savant n’en parla plus durant un demi-siècle. Mais c'est sa gravure qui allait fixer les traits du Kraken pour près de deux siècles auprès des poètes et des rêveurs, au premier rang desquels il faut citer Tennyson et Hugo. La voici dans une version amusante, animée. Elle a vraiment eu un destin extraordinaire.

Montfort

Alfred, baron Tennyson (1809-1892) écrit en 1830 ''The Kraken'', dont voici le début de la magnifique traduction de Lionel-Edouard Martin :



Au dessous des remous des gouffres supérieurs,
Loin, loin, parmi les fonds, dans la mer abyssale,
Dort de son vieux sommeil, sans rêve ni veilleur,
Le Kraken ...

La pieuvre de HugoHugo ne le nomme pas Kraken, mais ses Travailleurs de la Mer, écrits en exil à Guernesey, popularisent un vieux mots de patois anglo-normand qui va passer en français: la pieuvre ... étant entendu que la sienne est comme toute idée sortant de sa tête: géante.

Dans la longue description de Hugo, qui mêle fascination et dégoût, une phrase ramasse en 5 mots tout l'effroi: chose épouvantable, c'est mou.

Hugo introduit donc le thème du combat. Jules Verne le reprend en 1870. Son Capitaine Nemo toise le monstre, l'affronte, le massacre. Il a beau être prince indien, il agit bel et bien en occidental du siècle scientifique.

A la fin du siècle, la pieuvre géante a tellement envahi les imaginations qu'elle est devenue comme un symbole de l'Ocean lui même. Voyez cela rue Saint-Jacques. la pieuvre de la rue saint Jacques

Mais pratiquement au même moment, un tout jeune homme qui signe Lautréamont entame, avec ses chants de Maldoror, un voyage poétique où ce n'est plus le poulpe qui prend l'homme mais l'homme qui se glisse dans le poulpe au regard de soie.

Pierre Pigot voit au travers de ces variations littéraires un mécanisme de compensation : tout ce que notre imaginaire actuel charrie sur les divers écrans , comme monstre et comme désastre croit avec ce qu'il nomme la pétrification scientifique du monde. Alors que la froide lumière de la science veut régner, les forces souterraines comprimées, étouffées sous le poids de cette transparence atroce bandent leurs pinces et leurs tentacules.

Quand le bitcoin est si fier d'une confiance entièrement mathématique, l'image du Kraken n'évoque-t-il pas ce qui reste en nous de défiance?

Revenons donc au bitcoin. Cette fausse monnaie n'inspire-t-elle pas (aux élites 1.0 figées sur leurs lourds vaisseaux) la crainte qu'inspirait le Kraken avec ses tentacules dressées comme des mâts? Insaisissable, presqu'invisible dans les eaux financières... chose épouvantable, c'est mou et pourtant puissant...

Les sceptiques, les détracteurs du bitcoin, ne sont-ils pas comme Ned Land, le harponneur trivial du roman de Verne qui dans le mot Kraken, entend surtout "craque" , le mensonge, le mythe.

Changeons de registre. Tandis qu'Hugo, Melville, Verne, voyaient les tentacules sortir du fond des mers, à l'autre bout du monde, le poulpe entamait une toute autre exploration. En 1814 Hokusai, le vieux fou de dessin, avait illustré la légende de la princesse Tamori, qui avait plongé au fond des eaux pour rechercher une perle magique et qui, pourchassée par les monstres marins, s'était ouverte la poitrine pour y cacher la perle et remonter à la surface. Cette estampe, plus encore que celle de Monford, a fait le tour du monde.

Hokusai

Presque toujours intitulée, à tort, le rêve de la femme du pêcheur, cette estampe a excité les fantasmes les plus divers, que l'on sût ou non que la femme est ici ... morte. C'est sans doute la reconnaissance d'un moment de l'humanité où celle-ci est sous la menace d'un dieu qui jouit de sa dévoration pour reprendre les mots de Pierre Pigot qui voit aussi dans le plaisir du monstre une puissance parallèle de l'obscur, de l'insondable refus de toute forme fixe et assignable.

une interprétation d'hokusai

Des interprétations, parfois bien libres, de Hokusai naitront une immense tradition qu'illustrent un roman de Patrick Grancille, le Baiser de la pieuvre (2010) ou les photographies de Mario Sinistaj, mais aussi une spécialité pornographique typiquement japonaise, le shokushu (tentacle porn...) qui balaie toute la gamme du sordide au sublime, comme avec Edo Porn (Hokusaï Manga) de Kaneto Shindô en 1981.

Hokusaï Manga

Nous y voilà : au sexe ! Non, je ne m'en vais pas voir le poulpe de Pigalle, qui (lui) reste de marbre. Je parle de la pieuvre doucereuse qui se glisse dans les replis les plus intimes de la femme et qui « pompe » la pointe de ses seins, pour reprendre l’expression de Huysmans. Elle correspondrait étroitement à l’idée que les hommes du 19ème siècle se faisaient des relations lesbiennes. En France, un sculpteur sur bois et ébéniste comme François-Rupert Carabin se fit une spécialité des amours tentaculaires. S'il faut en croire la revue LGBTQI Miroir/Miroirs, la « pieuvre » serait un suceur mou, féminin, redoutable, qui suscite l’horreur, la peur ou le dégoût.

Que peut-on extrapoler de sa réapparition contemporaine? de Hokusai au tentacle porn, un fil court. Rien n'indique qu'il ne passe pas par l'imaginaire bitcoin, dans un milieu dramatiquement masculin.

Davy JonesUn autre fil court à travers la réapparition périodique du Kraken dans les films de piraterie. Dans le second épisode de Pirates des Caraïbes (2006) le kraken qui va détruire le navire obéit à un Davy Jones dont le visage, pour ainsi dire dévirilisé lui-même, tient fortement de la pieuvre. La scène culte de l'attaque du vaisseau par le Kraken n'ajoute pas grand chose à la légende.

Pour finir par là où j'ai commencé, il faut citer le rhum "Kraken" qui s'est doté d'une étiquette un peu intemporelle, inspirée de la gravure de Montfort, et due au talent de Steven Noble. De ses gravures, Steven Noble dit ceci, qui pourrait s'appliquer au Kraken lui-même : a good logo will transcend time. La marque a mis en ligne une série de films tout à fait étonnants dont celui-ci, avec une attaque en noir et blanc très esthétisante.

Tel est finalement le Kraken de la présente décennie: pirate, esthétique, puissance encore sous-jacente, potentialité, éventualité... il est comme une petite île et l'on sait que des libertariens rêvent d'iles off-shore, nouvelles Érétrie ; il ressemble, avec ses tentacules en érection aux vaisseaux qu'il va détruire, mais il reste insaisissable parce que chose épouvantable, c'est mou.





Pour aller plus loin :

Pigot* la lecture du Chant du Kraken de Pierre Pigot (aux éditions Puf)


sculpture de F-R Carabin* sur la pieuvre comme fantasme masculin de la lesbienne, un article dans Miroir Miroir

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38 - Le vrai dieu de la Terre

By: Jacques Favier

la magie du bitcoin

Ceux qui lisent mon blog ont manifestement du temps à perdre. Pour leur présenter mes voeux, je vais donc leur infliger une lecture probablement sans valeur, puisqu'ils vont lire ici exactement le contraire de ce que tant de gens instruits et bienveillants leur ont dit depuis des semaines et continuent de leur suggérer.

L'année qui vient de s'achever fut, dit-on partout, l'année de la Blockchain.

En quelques semaines la blockchain, faisant irruption sur la scène du bitcoin, a même cessé d'être la révolution technologique qui se cache derrière le sulfureux bitcoin, mais dont tant d'auteurs malins avaient su dénicher le vrai potentiel. En fin d'année et dans la revue Banque la Blockchain est devenue elle-même la pierre philosophale, celle qui fait de l'or, et c'est le bitcoin qui est passé derrière puisqu'il utilise simplement la Blockchain.

On peut aborder la chose avec humour. Le site BitConseil s'était déjà amusé à lister ces entreprises de la fintech qui fuient le mot bitcoin. Le site "Bitcoin.fr", cédant à l'air du temps, a évoqué "Celui dont on ne doit pas prononcer le nom" pour désigner la devise dont la simple mention effraie les directions bancaires, les régulateurs et les services de renseignement.

Celui dont on ne doit pas prononcer le nom

Quant à Patrice Bernard, il explique que le hold-up sur la Blockchain tourne à la farce. C'est assez mon sentiment.

Je voudrais donc demander si, sous le buzz futile de la Blockchain, l'année 2015 n'a pas, en réalité, été une (nouvelle) année du bitcoin ?

Certes on a beaucoup parlé Blockchain à partir de 2015. Cela se reflète dans les graphiques fournis par Google Trends, qui ne sont d'ailleurs pas des mesures de clic mais des chiffres de part relative dans les recherches...

Blockchain on Google

Mais si on a parlé "beaucoup" de la Blockchain, ce fut seulement dans un tout petit monde (celui des banques et des consultants), si on compare le buzz Blockchain (en bleu) au buzz Bitcoin (en rouge) :

Blockchain and bitcoin

Et il y a plus troublant encore. Mis à bonne échelle, celle de l'année 2015 seule, le bruit croissant de la Blockchain accompagne assez bien, semble-t-il, la hausse... du bitcoin.

le buzz le cours du bitcoin en 2015

Le bitcoin s'inscrit parmi les meilleurs placements de l'année 2015, et, comme l'a remarqué CNBC, il a été la seule devise globale à sur-performer par rapport au dollar. Sur les 5 dernières années, il a été la devise qui a connu plus forte appréciation 4 fois sur 5.



Non seulement le bitcoin est, comme je l'ai rappelé en parlant d'Alice de l'autre côté du miroir la seule devise réelle dans le cyber-espace, mais il est la vérité de la Blockchain, la Blockchain s'échappant de sa forme grossière de base de donnée dupliquée et rejoignant son concept.

Rassurez-vous, on peut dire la chose en vocabulaire moins hégélien.

36 titres de valeurC'est ce que faisait une artiste ambulante qui avait chois comme nom de scène "La Palma" et qui chantait lors de la crise des années 30, ces années 30 auxquelles nos années actuelles s'évertuent à ressembler furieusement.

En 1931 elle entonnait la Fortune une chanson (paroles de Pierre Alberty, musique d'Alcib Mario) qui reprenait le titre d'un film de Tristan Bernard. La voici, repiquée dans une magnifique compilation dont tous les titres font ma joie.

Depuis que l'monde est monde
Sur la machine ronde
De quoi parle-ton toujours et partout ? des sous !
Le vrai dieu de la terre,
Ce n'est pas un mystère
Celui que tous adorent encore
C'est toujours le Veau d'or

A cet égard, la fameuse "une" de The Economist, en quoi l'on a vu l'accession de la Blockchain au monde des grandes personnes, n'était pas si mal conçue. A vrai dire le dessin semble fait pour illustrer la chanson d'Alberty et Mario !

the economist

Le Veau d'or, le vrai dieu de la terre, se moque bien de savoir s'il faut appeler la chose bitcoin ou blockchain. Bitcoin n'a pas de nom, pas de forme. Croire que la blockchain est devant lui, derrière lui ou dans les choux c'est s'enliser dans un univers de représentation, dans un théâtre de carton-pâte. Bitcoin est mouvement et liberté.

Que 2016 soit une nouvelle année bitcoin !



Pour aller plus loin :


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37 - Bitcoin, une monnaie en chocolat ?

By: Jacques Favier

Je voudrais en ce temps de fête parler de chocolat et de monnaie. Non pour de longues et savantes considérations sur l'usage monétaire de cacao par les Mayas et les Aztèques, ou pour ironiser sur la pièce en chocolat vénézuélienne qui vaut plus cher que la "vraie", mais en me demandant simplement d'où vient l'usage de faire des (fausses) pièces de monnaie en chocolat, et pourquoi en chocolat plutôt qu'en sucre candi, en réglisse ou en chewing-gum.

une monnaie de chocolat

On verra que le choix d'une "pièce bitcoin" par les artisans chocolatiers serait particulièrement approprié !

D'où vient cet usage ? La chose n'est pas claire.

saint nicolasUne tradition le rapporte à la légende du bon saint Nicolas. Celui-ci, de son vivant, était évêque de Myre en Anatolie. Sa vie et sa légende sont extrêmement riches l'une et l'autre. Cet homme charitable faisait l'aumône en toute discrétion, et pour cela, donnait volontiers aux enfants.

Bien avant le Père Noël, il aurait grimpé sur un toit pour lancer des piécettes par la cheminée, lesquelles seraient tombées dans une chaussure mise à sécher. Ayant, comme on sait, sauvé trois petits enfants destinés au saloir, ou les ayant ressuscités selon les récits, il devint le protecteur des enfants qui, dans certaines contrées, reçoivent des cadeaux au matin de sa fête, le 6 décembre. La Belgique et son chocolat comptant parmi les pays qui entretiennent cette tradition, je me suis dit que tout se tenait.

Sauf ...que les pièces apparaissent aussi dans la tradition juive, pour la fête de Hanukkah ! La tradition remonterait ici au judaïsme polonais du 17 ème siècle. On donnait en effet des petites pièces aux enfants, à charge pour eux d'en redonner (tout? partie?) à leurs professeurs. On a là une forme de charité discrète, de nouveau : les jeunes juifs pauvres demandaient ces piécettes à leurs bienfaiteurs, et les apportaient au maître qu'ils auraient difficilement pu payer sans cela.

monnaies de Hanoukkah

La monnaie (gelt en yiddish) de Hanukkah, comme celle de saint Nicolas, fut un jour transformée en chocolat. Mais les hommes pieux aiment à trouver des raisons sublimes à leur charité comme à leur gourmandise. On se souvint donc que les Maccabées ou leurs descendants avaient fêté leur victoire sur les Grecs par une émission monétaire. Cela attestait nettement du caractère juif de la pièce en chocolat...

loftsMais pourquoi en chocolat ? C'est en Amérique que les pièces d'Hanukkah se seraient, dans les années 1920 réinventées en gourmandise à l'initiative de la maison Loft's. Mais là... on retourne chez les chrétiens. Car Rabbi Debbie Prinz (qui semble avoir fait des recherches plus pointues que les miennes) pense que le chocolatier aurait puisé son inspiration chez... les chocolatiers belges. Nous y revoilà !

Quant à Loft's, la marque devait fusionner quelques années plus tard avec... Pepsi, le grand rival de Coca-Cola qui avait quant à lui, comme on sait, réinventé le Père Noël !

Il doit quand même y avoir un mystérieux rapport entre l'or et le chocolat : les pièces en chocolat pourraient être argentées, or elles sont presque toujours dorées. On pense tout de suite à la Suisse. A Neuchâtel, où Philippe Suchard, le premier chocolatier industriel, développa à partir de 1826 son impressionnante usine, se trouve aussi la principale fonderie d'or du pays, Metalor, implantée là une vingtaine d'année plus tard.

Qu'est-ce que ces histoires nous apprennent ?

L'expression de monnaie en chocolat désigne parfois, bien à tort, la monnaie de singe. Bref, quelque chose qui n'aurait pas de valeur et permettrait plus ou moins de contourner l'obligation de payer. En réalité cette douceur en forme de monnaie rappelle que la monnaie peut être donnée avec douceur. Avec tact, avec délicatesse.

Alors que nos gouvernants n'envisagent plus notre sécurité qu'à travers une surveillance pathétiquement inefficace de nos petites dépenses, que le marketing de la terre entière veut analyser notre panier à provisions, que les ONG elles-mêmes fichent leurs donateurs pour les importuner par téléphone ensuite... la période des fêtes nous invite à réfléchir sur une forme d'anonymat qui est celle non de la fraude ou du crime mais de la pudeur et de la délicatesse.

Dire à un petit enfant que c'est Saint Nicolas ou le Père Noël qui lui apporte ses cadeaux, c'est le dispenser d'avoir à en remercier quiconque. C'est donner sans se glorifier et c'est donner sans rien attendre en retour. A côté de l'échange marchand classique, et différent du cycle du don décrit par Marcel Mauss (donner, recevoir, rendre) il y a le don par la cheminée, le don en liquide dans la main d'un enfant.

bititMonnaie pseudonyme, le bitcoin est le moyen idéal de donner avec délicatesse. De donner à une ONG, à un ami proche ou lointain, à quelqu'un qui afficherait sa détresse, à un adolescent un peu rebelle. Je sais bien, tout cela est marginal. Mais cela permet d'ouvrir les yeux sur certains aspects de ce qu'est le secret, l'anonymat...

En ce sens le bitcoin mérite d'être célébré en période de Noël. Nombre d'entrepreneurs, comme ceux de Bitit, proposent d'ailleurs des solutions pour offrir des bitcoins à ses proches.

Le bitcoin, comme l'or, entretiendra-t-il un rapport mystérieux avec le chocolat ? Il est évidemment bien trop tôt pour le dire. Mais il y a un indice, pour ceux qui ne croient pas aux coïncidences fortuites. À Neuchâtel, la principale plateforme suisse de négoce de bitcoin s'est implantée, juste sur l'aqueduc de Serrières, dans une ancienne annexe de Suchard récemment réhabilitée... C'est troublant, non ?

du chocolat au bitcoin

Plusieurs chocolatiers ont déjà, en tout cas, flairé la nature profondément enfantine du bitcoin et sauté avec finesse sur cette nouvelle opportunité de contrefaçon monétaire !

un bitcoin en chocolat

JOYEUX NOÊL À TOUS !

Pour aller plus loin :

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36 - Alice (suite)

By: Jacques Favier

Comme on me le fait remarquer en commentaire sous mon précédent billet, il y a bien un petit côté subversif dans "Alice au pays des Merveilles" qui a tout pour faire fondre de plaisir le petit coeur endurci de tout Bitcoineur, entre deux achats spéculatifs, celà va sans dire.

J'aimais Alice bien avant de rencontrer le bitcoin, et il me semble bien que son voyage au Pays des Merveilles ait été le premier livre que j'ai lu en intégralité dans la langue qui était encore, à l'époque, de l'anglais.

Si son escapade de l'autre côté du miroir m'a permis de comprendre pourquoi le bitcoin que l'on dit virtuel in the old room était bien réel là où les devises fiat devenaient virtuelles, son odyssée dans le pays des merveilles suscite en moi une autre remarque.

Alice paye de sa personne. Elle boit la potion.

Alice boit

Comme on sait, cela n'est pas sans conséquence. Alice rétrécit. Il y a évidemment une lecture évangélique de la métaphore du Révérend Dodgson : Alice accepte de se faire toute petite car si vous ne devenez comme les petits enfants, vous n'entrerez pas dans le royaume des cieux (Mathieu, 18,3). C'est une des lignes fortes des évangiles, et Jésus lui-même en rend grâce à Dieu : Tu as caché ces choses aux sages et aux intelligents, et les as révélées aux tout-petits. ( Mathieu, 11, 25)

Mais pour Alice, au-delà de cette forme d'humilité curieuse ( de curieuse humilité?) il y a deux choses remarquables : elle accepte de boire, et elle en est transformée.

AnaxagorasAujourd'hui, il ne se passe pas de semaine sans que l'on nous apprenne que telle ou telle institution réfléchit au bitcoin, ou réfléchit sur la blockchain pour éviter les mots qui fâchent. Seulement, comme le disait un sage zen, ce n'est pas en lisant la notice de la boite mais en avalant le médicament que l'on peut espérer guérir. L'homme pense parce qu'il a une main comme le disait Anaxagore de Clazomènes cinq siècles avant le Christ. Assister à une conférence, lire un livre, c'est une chose. Acheter un paper wallet, télécharger une appli wallet, se servir d'un hardware vault, c'est utile aussi.

Alice en sort transformée : plus petite, plus souple. Est-ce exactement cela que les institutions qui réfléchissent désirent, ou justement ce qu'elles craignent ? Des organisations plus petites ? Des hiérarchies plus courtes ? Des contrats de travail plus brefs ? Des temps de réaction (beaucoup) plus courts ?

En tout cas la potion n'est pas destinée à entretenir celui qui la boit dans son état, mais bien à en changer.

Alice suit le lapin. Lui sait qu'il est en retard. Il ne réfléchit pas, il court

le lapin en retard

Pour aller plus loin : (ajouté début janvier 2016)

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35 - Alice

By: Jacques Favier

Il y a des phrases que l'on entend dix fois sans trop les écouter et puis qui vous saisisse soudain. Ainsi, lors d'une présentation des potentialités de la technologie blockchain, de l'assertion selon laquelle on pouvait y faire circuler une devise virtuelle comme le bitcoin, mais aussi des devises bien réelles comme l'euro. Je levai la main, et remarquai que sur la blockchain, c'était le bitcoin qui était la chose en soi, alors que ne circuleraient jamais que des promesses, des représentations, des contrats relatifs aux devises fiat.

une devise virtuelle

S'ensuivit une courte controverse sur le sens des mots. Soudain je réalisai que nous avions raisons tous les deux, mais chacun dans son univers.

Et alors l'image me vint à l'esprit.
Le bitcoineur, comme Alice, passe de l'autre côté du miroir.

Through the looking glass

Dans le monde des sens physiques, celui qu'Alice appelle the old room, dans ce qui est pour nous le monde des États territoriaux, l'euro est bien réel.

A défaut de tinter sur le comptoir, il peut encore se glisser dans la poche. même dématerialisé, réduit à une simple écriture comptable que l'on manipule par carte ou par téléphone, il se raccroche à cette réalité tangible primitive. Le bitcoin, lui, n'y ressort physiquement de ses wallets que via une plateforme d'échange. Entre temps, il a peut-être une valeur, mais son destin est virtuel.

Mais dans le monde d'Internet, au contraire, l'euro ne circule que sous la forme d'une représentation électronique parfaitement duplicable. Il ne retrouve sa vis operandi, sa capacité de payer ou de solder, qu'avec l'attestation d'une banque qui empêche le double usage qui le viderait de toute substance. Entre temps, il est en puissance, il est virtuel.

En revanche le bitcoin, tel qu'il est sur sa blockchain, est tout entier, l'être et le signe, bien réel dans ce monde de signes et de lois mathématiques.

De l'autre côté du miroir, Alice découvre que les livres sont écrits à l'envers, ben sûr, en dépit du bon sens pourrait-on dire et que tout est un peu crypté : it seems very pretty, but it's 'Rather' hard to understand se dit-elle pour ne pas avouer qu'elle n'en comprend pas tout.

De l'autre côté du miroir (comme le bitcoin sur la blockchain) des objets sont vivants.

Mais surtout on suit, de l'autre côté du miroir, de bien étranges règles physique. Le livre a pourtant été écrit des décennies avant les révolutions de la relativité ou de la physique quantique ! Ainsi Alice doit-elle courir vite... pour rester sur place. Ce qui paraît une métaphore très appropriée au bitcoin qui ne se déplace sur le Ledger plus vite que l'euro dans les réseaux de ses banques, que parce qu'il ne se déplace en réalité pas du tout.

Le paysage, de l'autre côté du miroir, est ordonné selon des postulats mathématiques, ceux des échecs. Au début de la partie, les pièces ne se font elles pas face comme de part et d'autre d'un miroir ? Leurs mouvements même sont régis par des règles formelles.

un paysage mathématique

un livre révolutionnaireS'il quitte l'univers de Lewis Caroll pour explorer celui du Révérend Charles Dodgson, une surprise attend l'adepte des échanges décentralisés. Les tenants de la démocratie liquide (un modèle où chacun pourrait activement contribuer à l’élaboration de la loi plutôt que de simplement voter sur des propositions, comme dans le modèle classique de la démocratie directe) savent bien que le père d'Alice avait écrit quelques années plus tard The principles of parliamentary representation, un pamphlet proposant la modélisation mathématique d'une allocation des sièges en scrutin de liste et d'une forme de démocratie où chacun puisse réellement exprimer ses préférences, car pour l'instant (et j'écris un jour de scrutin!) la politique n'est toujours jouée que more as a game of skill than a real test of the wishes of the electors.

Il est sans doute inutile de nier que l'expérience du bitcoin est liée à une sensibilité politique.

Ce qu'Alice va chercher de l'autre côté du miroir, ce sont donc des choses bien réelles. De quoi nous donner, au minimum, des clés pour questionner l'ordre du monde de ce côté-ci...

Pour en savoir plus :

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34- Les convulsionnaires

By: Jacques Favier

Ils sont quelques-uns. Puissants et impérieux, mais pourtant désemparés. Les princes de ce monde souhaiteraient plier la cryptograpie à leurs convenances. Or ce n'est pas possible.

Obama on computer

Ce n'est pas la première fois que les princes de la terre veulent commander ailleurs que dans leur domaine de compétence. Cela prête toujours un peu à rire.

Je voudrais raconter ici l'histoire des convulsionnaires, qui fut sérieuse à l'extrême et finit pourtant par un fou-rire.

Au début, il y avait en France une importante querelle religieuse (la controverse janséniste) qui portait sur des questions fort abstraites, comme la prédestination des élus et le rôle de la grâce divine dans leur salut. Pas de quoi troubler le royaume du vieux Louis XIV ? Si, car la querelle s'élargit et se démocratisa après la mort du roi (1715).

Le petit peuple de Paris prit fait et cause pour les thèses que rejetaient tant l'autorité royale que celle du pape : il avait une foi simple, assez austère, et il était porté à condamner le luxe des puissants et leurs accommodements avec le Ciel. La moitié du clergé parisien partageait les thèses dites jansénistes : Dieu aime qui il veut. Et il le fait savoir.

Or Dieu se manifestait par dessus la tête des papes et des rois par des miracles. Le peuple en était friand... et les miracles se multiplièrent à partir de 1720, presque tous liés à des prêtres appartenant au mouvement protestataire.

Le 1er mai 1727, François de Pâris, un simple diacre de la paroisse Saint-Médard rue Mouffetard, mourut en odeur de sainteté. Il avait légué tous ses biens aux pauvres. Je ne cite pas le détail pour émouvoir : la dimension économique n'est jamais loin, pour l'historien, des émotions religieuses populaires. Les miracles commencèrent le jour même de son enterrement, et se multiplièrent. On venait, on touchait la tombe on se couchait dessus la nuit, on emportait de la terre, on était secoué de saintes convulsions.

les convulsions de la demoiselle HardinEn 1731, on ne comptait plus les miracles. L'archevêque de Paris proclama qu'ils étaient faux. Les médecins du roi les déclarèrent faux. Mais le peuple n'a pas attendu le 21ème siècle pour faire fi de l'opinion des puissants et des doctes.

La police s'inquiétait de ce trouble à l'ordre public. Le cimetière de Saint-Médard était devenu un territoire perdu du Royaume, si l'on en croit ce rapport de police. Ce qu'il y a de plus scandaleux c'est d'y voir des jeunes filles assez jolies et bien faites entre les bras des hommes, qui, en les secourant, peuvent contenter certaines passions, car elles sont deux ou trois heures la gorge et les seins découverts, les jupes basses, les jambes en l'air… Effectivement !

ordonnance de 1732Le 27 janvier 1732, le pouvoir royal passa en force. Le cimetière fut fermé, gardé par un piquet.

C'est alors qu'un plaisantin (il y en a toujours eu en France) apposa un petit écriteau avec ce distique que tout le royaume allait répéter en gloussant :

De par le Roy, Défense à Dieu
de faire miracle en ce lieu...

Mais les convulsions reprirent de plus belle, et se firent désormais en cachette. Le roi dut réitérer son ordonnance : ce n'est jamais bon signe !

Nos gouvernants semblent aujourd'hui moins décidés à interdire les miracles divins qu'à ordonner des miracles mathématiques. Est-ce moins risible ?

Après les films pour les jeunes et l'Internet, ce sont en effet ces jours-ci la cryptographie et les monnaies cryptographiques qui leur paraissent responsables des maux du pays. Seulement on ne peut guère interdire l'Internet, même si M. Trump est élu, et on ne peut faire un trou dans un procédé cryptographique en en réservant l'accès à la police.

la clé des pompiersDe même que le roi ne pouvait raisonnablement commander à Dieu, M. Obama, Mme Clinton, MM Cameron, Hollande et Cie ne peuvent demander aux mathématiques un miracle particulier. Il faut qu'une porte soit ouverte ou fermée. La clé des pompiers, si elle est placée à l'extérieur, peut servir aux cambrioleurs. Le patron du FBI est sûr qu'on peut lui trouver un truc. Mais cela fait rire. Il semble qu'Obama aussi attende un miracle. Mais cela fait rire.

Monsieur Hollande n'a pas encore donné son avis. Dans son beau bureau, il n'a guère les moyens de se forger une opinion en matière informatique. Pour cela (aussi) il suivra les américains.

un joli bureau

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33 - Plus d'un tour dans la Manche

By: Jacques Favier

On me reparle souvent du billet où je comparais le bitcoin à un timbre poste. Cette métaphore m'est revenue à l'esprit lors d'une récente conversation au sujet des blockchains privées, me ramenant mentalement en un lieu où j'ai déjà dit avoir rencontré une prophétie sur le bitcoin : à Guernesey.

L'histoire postale de Guernesey est amusante, mais elle rappelle une évidence oubliée par les potomètres de certains projets de Blockchain privées.

blue mail box ... this is Guernsey

Qu'ont donc de particulières les affaires postales du Bailliwick of Guernsey, ce petit pays où les boîtes aux lettres portent bien les initiales du souverain anglais mais sont d'un bleu qui étonne le britannique en goguette, lequel ignore généralement que ces boîtes bleues sont plus anciennes que ses boites rouges à lui ?

Pendant longtemps, rien. Du temps des pêcheurs, avant les banquiers, on se servait ici des timbres anglais.

Contemn of the CrownEn 1940, vinrent les Allemands. Il y eut quelques tentatives de leurs parts de surmarquer les timbres mais ce mélange symbolique ne satisfaisait sans doute personne et de tels exemplaires sont rarissimes. Puisque de toutes façons les liens étaient coupés avec le reste du monde, il fallut organiser un service postal local. Il y eut des timbres de guerre, comme il y a parfois des monnaies de guerre. Curieusement, les occupants tolérèrent l'emblème local, les lions normands devenus anglais.

Guernsey occupation

L'ennemi reparti, on revint aux timbres anglais valides pour toutes les îles britanniques. Toutes ? Non ! On pouvait écrire de Guernsey à Jersey, à Londres, à l'île de Man ou à la plus boréales des Shetlands, voire aux deux "dépendances" du bailliage que sont les îles de Sark et Alderney (Aurigny) mais pas aux îlots voisins dont la Poste de Sa Majesté se désintéressait. Ceci suscita quelques initiatives locales et folkloriques.

A vrai dire une poste privée avait déjà fonctionné depuis 1925 sur Herm. Ce petit îlot-jardin de 2,5 km2 ( la plus petite île anglo-normande ouverte au public) était un peu désolé après l'occupation. Un homme le reprit à bail emphytéotique et s'employa à en exploiter le potentiel touristique. En 1949 il ouvrit un petit bureau de poste privé et émit des timbres qui payaient le port des lettres de la soixantaine d'habitants jusque'à Guernesey.

les timbres de l'île d'herk en 1949

Depuis Guernesey, on pouvait ensuite acheminer ce courrier de Herm vers le vaste monde, mais moyennant un timbre anglais. On trouve encore ainsi des correspondances à double timbrage, figure prophétique, à mes yeux, de la sidechain.

un double timbrage

Sur des îlots plus petits, où ne vivaient guère que de riches fantaisistes, on imagina d'en faire autant. Le propriétaire de l'îlot de Jethou (18 hectares, à 1 km au sud d'Herm) se lança dans l'émission philatélique vers 1960. Pour faire bonne mesure il imprima aussi des timbres pour ses "dépendances", deux rochers (Fauconnier et Crevichon) qui n'apparaissent guère que sur des cartes maritimes très précises !

Jethou et ses timbres de 1967

En 1967, le propriétaire de Lihou, un îlot encore plus petit (15 hectares) et pratiquement désert, de l'autre côté de Guernesey, émit des timbres dont le seul débouché devait être philatélique, même si on trouve des traces de double postage au départ de Lihou.

Double postage Lihou

En 1969 Guernesey acquit son indépendance postale, comme sa voisine Jersey. De manière significative, si le premier timbre de Jersey représentait un paysage local, à Guernesey on choisit une reproduction de carte montrant les "dépendances" du bailliage, puisque "dépendances" il y avait.

1969

Les émissions de Guernesey sonnèrent la fin de ces petits trafics et les émissions privées des îlots cessèrent.

En revanche il fallut satisfaire la Dame de Sark (car Sark est le seul endroit sur terre à conserver son régime féodal depuis le 16ème siècle) mais aussi l'orgueil d'Aurigny, dont les "Etats" (le nom du parlement local) prétendent à une ancienneté au moins aussi grande. On émit donc des timbres "Guernsey Sark" et "Guernsey Alderney".

Là, je penserais plutôt à des exemples primitifs de ''colored'' stamps...

Guernsey Sark 1962

Guernsey Alderney

On notera tout de suite que Sark avait choisi de faire figurer ses charmants paysages, tandis qu'Aurigny (dont les paysages sont plus tristes) rappelait fièrement qu'elle possédait un aéroport.

Des années plus tard, Sark n'a toujours qu'un petit bateau pour gagner Guernesey, mais la mention "Gernsey Sark" a disparu et le nom de l'île ne figure que sur la légende des images de certains timbres émis à son intention par la poste de Guernsey, comme celui-ci où figure le petit bateau :

Interislands

Tandis qu'au nord, un vent d'indépendance souffle sur Alderney. On en a parlé pour le bitcoin un temps, avant de devoir y renoncer, sous la pression de Guernesey d'ailleurs. Mais cela est vrai aussi en matière postale, avec des timbres, certes émis par les autorités postales de Guernesey, mais valables pour le monde entier au départ de la petite île. Regardez bien, sur la carte, on y voit très clairement l'aéroport, infrastructure permettant au besoin de de gagner Londres sans passer par Guernesey.

un timbre moderne d'Aurigny

Cette promenade dans la Manche suggère quelques comparaisons : une blockchain privée, conçue pour un objet spécifique, c'est le petit bateau, au mieux le petit avion.

Pour créer une monnaie, il faut avoir une communauté, d'où le bruit que font certaines alt-coins. Mais pour créer une poste, il faut avoir une infrastructure, la plus large et la plus ouverte possible sur le monde, car ce que vous vendez, finalement, c'est un droit d'accès à un réseau. Evidemment rien n'empêche d'imaginer de puissants consortiums privés : on en revient à mon billet sur la poste des Thurn und Taxis !

le trilander

Pour aller plus loin :

  • une étude bien intéressante sur Alderney : Gambling, Bitcoin, and the art of unorthodoxy par un universitaire australien, avec un long développement sur les émissions monétaires et postales des micro-Etats et des petites îles. A noter que d'autres"archipels postaux" existent dans le monde. J'ai parlé de celui de Guernsey parce que j'aime la Manche, mais aussi parce qu'Alderney a semblé un temps être un possible "territoire du bitcoin".
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32 - Brel avec les loups

By: Jacques Favier

J'avais des sujets plus légers à traiter; ils attendront. Puisque les autorités incriminent bitcoin et cryptographie au sujet des attentats, je m'autorise à parler ici de leur cérémonie de ce jour.

MM. Hollande et Sarkozy, une fois de plus réunis pour un nouveau numéro de duettistes, et dans un espace militaire, on a vite compris le message. L'union sacrée face à la guerre.

Mais était-ce cela qu'attendait cette "génération Bataclan" qui a payé un lourd tribut à une situation dont elle est moins responsable que ces dirigeants ?

MonetJ'ai passé ma matinée en voiture, revenant de province. Lorsqu'on écoutait la radio, la France était pavoisée de tricolore, et son coeur blessé battait aux Invalides.

Pourtant nul drapeau en province et très peu en banlieue. Cet après-midi j'étais à Paris. Dans les quartiers centraux et dans le quartier latin, à vue de nez il y a un drapeau pour cent fenêtres, ce qui à Paris veut dire 2 à 3% d'adhésion.

Mais le gouvernement n'avait pas distribué de drapeaux. La radio jasait sur les fabricants débordés. En fait seuls les supporters ont sorti leurs vieux drapeaux (sales) et quelques patriotes ont fait ce que firent leurs grands parents en août 44 : ils ont bricolé.

les trois couleurs

De Mulhouse j'ai reçu cette photo que je trouve savoureuse :

humour alsacien

Pendant ce temps-là, aux Invalides, on a fait chanter du Brel. Pourquoi pas ? Mais je savais d'avance que l'on hésiterait pas devant la faute de goût, et malheureusement j'ai gagné...

Quand on a que l'amour,
Pour parler aux canons
Et rien qu'une chanson
Pour convaincre un tambour

Quelle obscénité ! Les canons ils les ont, ils en vendent, ils les manient. Ils en ont vendu à Saddam Hussein et à Qadhafi, sans plus de façon qu'ils n'en mettaient à en vendre à Moubarak et Ben Ali. Ils ont armé les "rebelles syriens" sans aucun discernement. Il n'y a pas trois mois on se félicitait encore des 6 milliards d'euros d'armes vendues à l'Egypte et payées par qui vous savez. Depuis une semaine on ne parle que de cela, la guerre. Et pas avec des chansons: avec des armes, des alliés (douteux), des lois (douteuses), des mots sales et faussés. Deux familles ont refusé cet "hommage".

Puisque la cérémonie se déroulait aux Invalides, un mot me revint, prononcé au sujet d'une autre cérémonie qui s'y déroula en 1840, devant le gros Louis-Philippe : le retour des cendres de l'empereur Napoléon. Le mort entouré de quelques vieillards rescapés de sa légende était plus grand que les petits vivants, les bons vivants, les survivants. Tout paraissait trop petit, faux et mensonger. Le "roi-citoyen" d'alors, comme le "président normal" d'aujourd'hui, oublieux du peuple et ami de la bourgeoisie d'affaires, affichait le même cynisme d'opportuniste derrière un petit sourire méprisant en coin.

roi citoyen et président normal

Le prince de Joinville (fils cadet du roi) eut alors ce mot magnifique : dans cette affaire tout ce qui vient du peuple est grand, tout ce qui vient du gouvernement est ridicule. Il y avait un million et demi de personnes sur les Champs Elysées.

Aujourd'hui, le peuple n'a pas pu être grand, parce qu'il était interdit. Pas de manifestation. On ne sait si c'est parce que c'est dangereux en période d'attentats ou impensable en temps de guerre. Mais quand on sait que des militants écologistes soupçonnés de gâcher la fête sont assignés à résidence avec trois contrôles quotidiens on pressent que l'état d'urgence va offrir aux dirigeants un confort tel qu'il risque de durer longtemps.

On gouverne déjà sans le peuple, on peut bien faire des cérémonies sans lui. Il n'a qu'à mettre ses chemises aux fenêtres, puisqu'il n'a pas de drapeau, et à se tasser un peu plus lundi dans le métro qui sera gratuit mais pas plus large, parce qu'on aura besoin de plus d'espace encore pour les chefs. Il n'a qu'à pas venir bosser, on compensera en lui supprimant le jeudi de l'Ascension comme on lui a sucré le lundi de Pentecôte. Le peuple sera invité à un petit geste citoyen : fermer sa gueule.

Un dernier mot, pour en finir avec la métaphore louis-philipparde : ce roi né des promesses non tenues de 1830 est passé à la trappe en 1848 pour avoir porté atteinte à la liberté de se réunir.

Mon fils, qui appartient à la génération Bataclan, et qui est sorti ce soir (ce qui me tord le ventre) m'a dit sobrement qu'au milieu de toutes ''les phrases déjà faites qui suivront l'enterrement'' ils auraient pu choisir de faire chanter La colombe.

Bien sûr.

Moi, j'ai songé à la célèbre fenêtre de la cour des Invalides, moins pour les controverses sur sa signification (évoque-t-elle discrètement le célèbre Louvois, secrétaire d'Etat à la Guerre sous Louis XIV?) que pour le rébus manifeste : loup voit.

le loup voit

Aujourd'hui, le Grand Jacques, dans le ciel, chantait contre les loups...

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31- Tout ce qui brille...

By: Jacques Favier

Evoquant dans mon dernier billet sur le Cercle des Échos (de la Blockchain et de l'ancienne société) l’engouement bruyant des banquiers pour des blockchains fonctionnant sur invitation, j’ai osé dans ma conclusion une comparaison avec ce que j’appelais une frivolité d’ancien régime : la Cour de France s’amusant à jouer Beaumarchais.

la cour

Il m'a semblé, en y songeant ensuite, que la comparaison était peut-être assez pertinente pour être développée. Le lecteur verra qu’elle m’emmène vers l'une de mes passions : ce que les choses (un peu) fausses nous révèlent de vrai ! Quel rapport avec les blockchains privées? Le lecteur sera bien assez subtil pour y songer par lui-même.

Je précise tout de suite que je ne visais pas les spectacles donnés dans le grand Opéra situé dans le Château. Cette salle royale, due à l’architecte Gabriel, servait à jouer les opéras de Quinault, Lully ou Rameau, bref le grand répertoire du siècle du grand roi, lequel n’avait jamais dédaigné lui-même de se mettre en scène. Seulement quand Louis XIV dansait, c’était à la place du Soleil.

Les temps avaient changé (c’est leur manie, d’ailleurs). La jeune Marie-Antoinette n’aimait guère le protocole ancien. Dans son enfance viennoise, elle avait pris plaisir aux petites représentations familières dont la mode s’était installée en France aussi, dans les gentilhommières, pour s’amuser un peu entre amis à la campagne.

Dès qu’elle fut reine, elle instaura ce loisir à Versailles, dans les entresols du Château, puis dans son domaine à elle. En avril 1775, elle fit construire dans la galerie du Grand Trianon un théâtre provisoire, puis déménagea les tréteaux vers l’Orangerie du Petit Trianon.

Seulement en changeant d’époque, et de théâtre, on changea aussi de répertoire.

Le 18 juin 1777, la Cour joua le Barbier de Séville de Beaumarchais, une comédie lointainement inspirée de l’argument de l’Ecole des Femmes de Molière. Quelques répliques sentaient tout de même l’esprit nouveau, dont la fameuse Aux vertus qu'on exige dans un domestique, Votre Excellence connaît-elle beaucoup de maîtres qui fussent dignes d'être valets ? Une question que se sont posée bien des jeunes cadres par la suite, et qui sent toujours le soufre et la poudre.

l'entréeC’est en 1780, que la reine fit enfin construire par l'architecte Richard Mique le « Petit Théâtre » , bâtiment presque dissimulé entre les charmilles du Jardin français et les hauts arbres de la « Montagne » du Jardin alpin dans le domaine du petit Trianon.

L'extérieur du bâtiment, qui ne peut accueillir que quelques dizaines de personnes a presque l'apparence d'une dépendance.

Un lieu secret, en somme, où l’on était admis sur invitation.

le sein de la reineOn y jouait les auteurs à la mode, Sedaine, Rousseau, on y chantait des opéras entiers, où de l’avis de tous la reine de France, qui avait déjà les plus beaux seins du royaume, révélait une voix qui n’était pas moins louée.

A Vienne, maman Marie-Thérèse s’inquiétait de ce genre de relâchement où de grands seigneurs pouvaient jouer devant des domestiques. Quand elle mourut on interrompit les petites soirées, un temps, puis on les reprit.

En 1784 et 1785, on rejoua le Barbier, tantôt en comédie, tantôt en opéra comique. Or son auteur, entre temps, faisait jouer son Mariage de Figaro. Cette seconde pièce est beaucoup plus contestataire que la première. Le roi l’avait d’abord fait interdire mais on l’applaudit à partir de 1784 à Paris. Ainsi, tandis qu'à Trianon la reine jouait Rosine et son beau frère Artois Figaro, à Paris on remarquait que presque tous les ministres venaient applaudir les tirades rebelles du même auteur.

Tout ceci faisait jaser si l’on en croit un témoin du temps. Autrefois un simple gentilhomme eût été déshonoré, si l'on eût su qu'il s'étoit métamorphosé en comédien, même à l’intérieur d’une maison. La reine ayant détruit par son exemple, ce préjugé salutaire, le chef même de la magistrature, oubliant la gravité de sa place, apprit par cœur et joua des rôles de bouffons.

Les révolutions sont-elles précédées par une perte des repères dans la classe dominante elle-même ? Ou par l'apparition de fantasmes à son sujet ?

Le Petit Théâtre sous son extérieur discret, est d’une grande délicatesse à l’intérieur avec des harmonies de bleu, de blanc et d’or, rappellant l’opéra de Versailles. Certes la salle est de bois peint en faux marbre blanc veiné et les sculptures dorées au cuivre sont en carton-pâte. Pourtant, peut-être à cause du caractère secret du lieu, le bruit se répandit qu’il était d’un incroyable luxe, qu’il avait un décor de diamants. Dès avant la révolution, la reine dut le faire ouvrir certains dimanches, mais rien n’y fit et les bruits persistèrent.

l'intérieur

Madame Campan, première femme de chambre de la reine, raconte dans ses Mémoires que Marie-Antoinette, en 1789, fit visiter le petit Trianon aux nouveaux députés qui ne purent croire à la simplicité de cette maison et demandèrent à visiter les plus petits cabinets, persuadés que la souveraine leur dissimulait les pièces les plus somptueuses, dont celle aux colonnes torsadées couvertes de diamants. On ne leur montra qu'une toile ornée de verroterie. D'après Madame Campan, Marie-Antoinette n'en revint pas que l'on ait pu croire à de telles folies, et les députés s'en allèrent, mécontents, persuadés que la Reine les avait trompés.

Fantasme populaire ? On trouve dans les Mémoires de la Baronne d’Oberkirch publiés bien plus tard cette phrase : Le petit théâtre de Trianon est un bijou; il y a une décoration de diamants dont l'éclat éblouit les yeux. Vrai souvenir ? Petit mensonge pour satisfaire la sottise des lecteurs ? On ne trouve point de factures à la hauteur de la légende. Il semble bien que la toile vaguement scintillante que l’on montra en 1789 datait du temps de Louis XIV et qu'elle avait été rangée dans le magasin du petit théâtre de la Reine, mais n’aurait même jamais servi à ses spectacles !

Les vrais diamants étaient sans doute ailleurs : bien authentiques… mais offerts, si l'on peut dire, à une fausse reine. Alors même que Marie-Antoinette jouait pour la dernière fois Rosine en septembre 1785, éclatait l’affaire la plus incroyable de la fin de l'ancien régime, celle dite « du collier de la reine ». Une aventurière, pour soutirer de l’argent au naïf prince et cardinal de Rohan, lui avait fait acquérir un collier de diamants pour le remettre en son nom à la reine, ce qui était déjà compromettant. Pire encore, afin de le mieux berner, elle lui avait fait rencontrer, de nuit et dans un bosquet, une fille sosie de la souveraine qui avait offert une rose au crédule prélat. le collier d ela reine Ainsi, aux faux diamants du décor dans lequel une vraie reine s’amusait à jouer les soubrettes, répondent les vrais diamants payés par une escroquerie et négociés par des receleurs.

Le "décor de diamant" n'a jamais existé. Mais son mythe est bien réel, et il s'insère dans tant d'intrigues dans lesquelles les masques tournaient comme au petit théâtre de Trianon où la reine jouait la servante devant ses servantes, et où les lignes s'emmêlaient comme au grand théâtre de Paris où les ministres applaudissaient les persifleurs…

On sent, à de telles brouillages des lignes de conduite, combien ce que j’ai appelé des « frivolités de fin d’ancien régime » peuvent à la fois révéler et susciter de troubles dans l’opinion.

Pour aller plus loin

  • Une petite visite, d'abord...
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30 - Fouché, un policier sans algorithmes.

By: Jacques Favier

Un jour qu'en sortant d'un repas entre bitcoineurs nous discutions de la loi sur le Renseignement, j'opinais que la police algorithmique en saurait toujours moins que n'en savait Fouché, ministre de la Police de 1799 à 1802 puis (après une première disgrâce) de 1804 à 1810. Quel tollé...

Il ne s'agissait pourtant point d'une coquetterie d'historien. Au moment de cette conversation, j'avais en tête l'attitude de Fouché après le célèbre attentat de la rue Sainte-Nicaise mais également les efforts pathétiques de nos dirigeants pour parer les coups assez similaires des terroristes du moment.

la machine infernale

le Fouché de WaresquielJe persiste dans mon opinion, d'autant qu'entre temps je viens de lire le livre de Dominique Cardon, à quoi rêvent les algorithmes, qui donne plus encore à penser qu'à craindre, et que le hasard d'un trajet en voiture m'a donné l'occasion d'écouter l'excellente émission Concordance des Temps de Jean-Noël Jeanneney, recevant justement Emmanuel de Waresquiel auteur d'une récente biographie de Joseph Fouché, dont la lecture, à son tour m'a conduit vers une remarquable étude de l'historien Augustin Lignereux sur la dérive terroriste à l'époque.

à quoi rêvent les algorithmesJe ne sais que trop que la complexité des modèles algorithmiques mis en oeuvre dans les nouvelles infrastructures informationnelles contribue à imposer le silence à ceux qui sont soumis à leurs effets. Elles désarment aussi ceux qui entreprennent de critiquer l'avènement de la froide rationalité des calculs, sans chercher à en comprendre le fonctionnement. Je voulais pointer ce qui leur manque, et la faille de raisonnement sur laquelle se fondent non ceux qui y ont recours mais ceux qui n'ont recours qu'à ce type étroit de calcul.

Le 24 décembre 1800, une machine infernale explose dans l'étroite rue Saint-Nicaise sur le passage de la voiture de Bonaparte, au pouvoir depuis un an. Attentat destiné à priver la France de l'homme dont l'énorme popularité relègue dans les marges tant les derniers jacobins que les conspirateurs royalistes stipendiés par l'Angleterre. Mais attentat très spectaculaire (20 morts, 100 blessés sans doute) destiné aussi à frapper les esprits, si l'on en juge par les mots mêmes du chef de la division de la police secrète Pierre Louis Desmaret: «Le fracas du coup, les cris des habitants, le cliquetis des vitres, le bruit des cheminées et des tuiles pleuvant de toutes part, firent croire au général Lannes, qui était avec le Consul, que tout le quartier s'écroulait sur eux». C'est bien un attentat politique, l'un des premiers de l'ère moderne.

Bonaparte (dont l'émotion profonde que suscite le crime conforte évidemment le pouvoir) charge les jacobins. Pourquoi? Essentiellement, semble-t-il, parce que le précédent complot était de leur fait et avait eu un mode opératoire (la machine à feu du chimiste Chevalier) fort proche. C'est le vice de son raisonnement et c'est le vice central du raisonnement par la trace ou le précédent. On cherche du jacobin, on trouve du jacobin. Même l'historien peut s'y laisser piéger, s'il suit trop la police qui redécouvre des rapports antérieurs à l’attentat et qui, à sa lumière, font figure de signes annonciateurs comme l'observe finement Lignereux. Or que dit Cardon? La manière dont nous fabriquons les outils de calcul, dont ils produisent des significations, dont nous utilisons leurs résultats, trame les mondes sociaux dans lesquels nous sommes amenés à vivre, à penser et à juger.

Le ministre de la Police, Fouché, affirme au contraire que les coupables sont à chercher du côté des royalistes et non des derniers jacobins. D'abord parce que la chose lui semble avoir été mieux organisée, donc forcément payée par l'Angleterre, et ensuite par ce que la logique politique explique, comme on le verra, l'engrenage terroriste des derniers combattants de la Vendée royaliste. Les faits lui donneront raison.

Pourtant il obtempère. Des jacobins sont déportés. De façon toute moderne, le Sénat appelé à voter (sans trop de preuves...) sur leur déportation déclare la décision "constitutionnelle". Fouché continue son enquête. Comme l'attentat lui-même, l'enquête est l'une des premières modernes, incroyablement scientifique : analyse des restes du cheval et des son fer, comparaison des formes de lettres manuscrites ou imprimées, mais aussi enquête politique avec mouchards et primes. On remonte les pistes. En avril 1801, les terroristes royalistes sont guillotinés devant une foule nombreuse.

Que nous apprend cette histoire d'un temps sans algorithmes mais non sans calcul ou sans science?

Ne soyons pas condescendants avec les hommes de ce temps-là. La France vient d'inventer le système métrique. On a voulu mettre la Raison sur les autels, et donner une structure logique au calendrier. Les savants sont partout.

Bonaparte en académicienBonaparte est membre de l'Institut. Il a été élu le 25 décembre 1797, trois ans exactement avant l'attentat, à la section des arts mécaniques de la section des sciences.

Depuis l'enfance, il aime les mathématiques. Partant pour l'Egypte, il s'est entouré d'une équipe de scientifiques dont la liste laisse pantois. Le premier Grand chancelier de la Légion d'Honneur, en 1803, n'est pas (comme depuis lors) un général mais... un savant. Dès 1799 Bonaparte a nommé ministre de l'Intérieur Laplace, l'un des plus grands mathématiciens du temps, l'un de ceux qui ont l'honneur d'avoir son buste dans le jardin de l'École normale supérieure.

des savants, rue d'ilm

Et Fouché? De 1782 à 1792 le futur premier flic de France était plus modestement ... professeur de mathématiques et de physique dans les collèges tenus par l'Oratoire. Lui aussi se passionnait pour l'électricité, mais aussi pour l'aérostatique (il survola Nantes en ballon) et toutes les découvertes du temps. Principal de collège, il correspond avec de grands savants et dépense une fortune pour constituer un laboratoire de physique.

Bonaparte et les savants

Au total, les dirigeants de 1800 ne se distinguaient pas des nôtres par une moindre culture scientifique. Loin de là ! Si la Chine est aujourd'hui, comme la France d'alors, une République d'ingénieurs, la France ne l'est plus.

La nature exacte des parcours universitaires de nombre d'hommes et de femmes politiques remplit des pages sur Internet. On daube aisément sur les têtes d'oeuf. Je trouve pour moi certains parcours bien courts, et fort peu savants. Et cela se sent, moins à l'occasion de bourdes que par une réelle incapacité à comprendre le monde.

Car finalement, l'objectif affiché aujourd'hui, c'est lequel ? Si c'est de combattre le djihadisme par l'informatique, il est regrettable que nos hommes politiques ne comprennent probablement ni l'un ni l'autre.

La scène "culte" reste, pour ce qui est du niveau de renseignement sur l'ennemi, l'incertitude d'un Ministre de l'Intérieur sur le point de savoir si Al Qaïda était sunnite ou chiite. On ne lui demandait pourtant pas un cours sur la Sh'ia ni une dissertation sur les écoles hanbalite, shafiite, hannafite ou malikite! Quant à leur niveau de culture informatique, depuis la découverte par Jacques Chirac de la "souris" (en décembre 1996 ! c'est l'origine du mulot des Guignols) jusqu'au niveau des débats lors de la dernière (?) loi sur le renseignement, il amuse des millions de gens.

Il est plus que probable que bien des députés ont adopté les "algos" comme un talisman. Et par habitude de voter ce qu'on leur demande. C'est leur habitus. Les algorithmes savent déjà que les députés voteront le prochain texte liberticide !

renseignez-vous

On a un peu envie de leur dire Renseignez-vous ! La vérité c'est que les terroristes comprennent mieux qu'eux la technologie, avec des logiciels complets (en arabe) et des forks de PGP (toujours en arabe).

Revenons en 1800. Ce qui distinguait les dirigeants d'alors des nôtres, ce me semble donc être une plus profonde culture tout court, ce qui inclut la science sans s'y limiter et donne à l'intelligence les armes pour suivre, voire pour précéder l'ennemi.

Que s'est-il passé, en effet, en 1800, qui a pu guider l'analyse politique de Fouché ? Au moins trois événements :

  • le brouillon signé par Bonapartela pacification de la Vendée durant l'hiver, qui inaugure une stratégie de dépolitisation et d'intimidation ;
  • la victoire de Marengo en juin qui rend Bonaparte incontournable et augmente encore sa gloire ;
  • la fin de non recevoir adressée par Bonaparte en septembre au frère de Louis XVI qui lui proposait de faire sa fortune s'il acceptait d'être le restaurateur de l'ancienne monarchie (voir l'échange retranscrit dans les mémoires de Bourienne).

Ces trois faits éclairent d'un jour particulier l'attentat de la rue Saint-Nicaise mais aussi le raisonnement lucide d'un Fouché : ce sont des combattants royalistes (ceux qu'on appelait des chouans) qui se sont transformés en terroristes, ratant ainsi leur entrée en politique, parce qu'en vérité ils ne pouvaient pas alors la réussir. Emprunter le mode opératoire des jacobins fut de leur part une pauvre ruse de guerre. Pas de quoi tromper un Fouché qui ne pensait pas que le futur (de l'internaute) est prédit par le passé de ceux qui lui ressemblent comme les promoteurs des algos selon Cardon.

Que nous aurait appris, dans cette affaire, la surveillance algorithmique ? En gros : que les royalistes achetaient de la poudre. Et que les jacobins achetaient de la poudre. En détail : des millions de choses qui vont de pair avec le fait qu'en période de crise la violence augmente. « L’air est plein de poignards » comme le disait joliment Fouché.

Bref beaucoup de "faux positifs" comme on dit aujourd'hui pour ne pas avouer que l'on augmente la taille de la botte de foin au lieu de chercher l'aiguille par la raison.

J'ai parlé de Laplace. Son Essai philosophique sur les probabilités est une étape importante de la théorie déterministe.

Les probabilités selon Laplace

Une chose ne peut pas commencer d'être sans une cause qui la produise. Que n'applique-t-on cela quand on recherche les poseurs de bombe au lieu de croire qu'ils apparaissent par génération spontanée, qu'ils s'autoradicalisent. Les dirigeants de 1800 pensaient que la vie a un sens, ceux d'aujourd'hui pensent profondément qu'elle n'en a pas, que tout est le fruit du hasard, que l'esprit scientifique est inutile puisque les big data parlent toutes seules, par abduction. C'est aussi pour cela qu'ils se méfient de ce que Caron appellent la sagesse et la pertinence des jugements humains, qu'ils espionnent tout, ne saisissent pas grand chose et ne proposent en définitive pas de vraie réponse politique à une menace qu'ils ne comprennent pas, qu'ils font la guerre comme des sagouins et que leurs ennemis prospèrent.

Pour aller plus loin :

sur le renseignement

sur l'histoire

  • On peut aussi écouter ici l'émission Concordance des Temps sur Fouché et sa police
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Le Bitcoin et les communs

By: Jacques Favier

(Cet article a été publié d'abord sur le site Le Coin Coin, sur lequel il entend inaugurer un nouveau genre : la Reprise. L’objectif esr de reprendre un article sur les cryptomonnaies pour le mettre en face des faits et lutter contre la désinformation qui sévit lourdement sur le sujet, par méconnaissance ou vilenie).

En juillet 2015 a été publié un texte à charge, le bitcoin contre la révolution des communs, signé par Denis Dupré, Jean-François Ponsot et Jean-Michel Servet. On le trouve en ligne sur le site d’archives ouvertes pluridisciplinaires HAL, qui se présente comme destiné au dépôt et à la diffusion de documents scientifiques de niveau recherche.

Ce texte annonce assez rapidement une position frontalement hostile.

Comme souvent, ce positionnement s’avère assez peu pertinent pour juger d’une nouveauté.

Dès les premières lignes, sur un problème de comptage (la question du nombre réel de transactions authentiques en bitcoin est au demeurant parfaitement légitime et opportune) le lecteur découvre une assertion curieuse – même si reprise du Financial Times – semant le doute sur la réalité du nombre en faisant l’hypothèse  d’erreurs statistiques du fait de double prise en compte . Toute personne ayant passé une demi-journée sur le sujet tombe ici de sa chaise, tellement le problème du double spent est central dans l’architecture même du système. De là, on passe à un second doute méthodologique aussi incongru : le bitcoin ne serait qu’un exemple de crypto-monnaies parmi 500 autres substituts de monnaie de ce type .

Et les chercheurs d’avouer qu’ils ne se focalisent sur le bitcoin que parce que celui-ci est le mieux médiatisé,  par la presse notamment . Ce qui ne les empêchent pas d’estropier le nom d’un journaliste….

L’article vise ensuite à démontrer que le bitcoin n’est pas un commun.

Rien de renversant. Chacun a compris qu’il était régi sinon régulé par une sorte d’hashocratie. En théorie chacun peut miner, mais la barrière à l’entrée due au coût de l’infrastructure est bel et bien là. C’est un point réel, mais les tenants de la monnaie de banque ont-ils la moindre légitimité pour dénoncer oligopoles et barrières à l’entrée ? Reprocher ensuite aux mineurs le fait qu’ils  se sont enrichis sur le système mais ne dépensent rien pour l’améliorer et le protéger  en donnant ici la parole au promoteur d’un CoinPunk qui a tout d’une expérience vite avortée, puis, dans une envolée sentimentale conclure que  le bitcoin s’oppose ainsi à d’autres crypto-monnaies s’affichant comme coopératives ou solidaires … tout ceci est une répétition dans l’ordre des monnaies cryptographiques d’un sentimentalisme villageois déjà usé dans le monde du papier-monnaie avec les monnaies locales souvent plus folkloriques que complémentaires.

Faut-il poursuivre ? Quand on lit qu’il est  difficile ici de ne pas penser à une pyramide de type Ponzi  on est bien enclin à penser qu’avec autant de parti pris et aussi peu d’information technique, il serait presque sidérant qu’aucun des trois (!) auteurs n’ait eu soudain une idée aussi commune. Sur ce sujet et notamment sur Ponzi, on lira l’article de Jean Paul Delahaye en 2014.

Plus sérieuse est la réfutation de l’idée que le bitcoin s’inscrirait dans un schéma à la Rifkin, de gratuité des ressources informatiques.

Evidemment, le bitcoin a un coût. Que l’on réfute Rifkin si l’on veut, mais pourquoi imputer au bitcoin son manque d’une volonté politique forte de transformation solidaire des activités de production, d’échange, de financement et de consommation comme si les seules axes de transformation possibles et désirables étaient ceux que les auteurs ont en tête eux-mêmes ? D’autres qu’eux peuvent souhaiter anonymiser leurs achats de bien culturels, leurs stockages de données ou leurs échanges d’information. Cela ne rendra pas le monde plus solidaire ? Soit. Mais cela le rendra davantage respectueux de la vie privée. Chacun son combat.

Abordant la participation de « barons du bitcoin » à des affaires qui les ont conduits sous les verrous, les auteurs se lâchent :  C’est un peu comme si des gouvernements de banques centrales (pas tous évidemment) participaient à des affaires mafieuses . Oui, oui, c’est cela. La ressemblance est criante. Mais ne met-elle pas en lumière une certaine différence des traitements que les autorités, les tribunaux, la presse et les universitaires (qui lisent trop la presse) réservent aux faits et gestes des uns et des autres ? On commence à voir des patrons de banque devant les tribunaux. Lentement. Pour l’instant ils sont encore innocentés. Cela n’enlève rien au malaise qui saisit les citoyens devant l’emprise de Goldman Sachs sur le finance européenne, ou celle de l’Elysée sur le système bancaire français.

Et dans l’affaire Silk Road, pour en parler brièvement puisque les auteurs lui consacrent de longs développements, l’un des agents du FBI ne se comportait-il pas comme son gibier ?

Au total, rien de nouveau par rapport à la littérature canonique des tenants des monnaies locales, mais une énorme confusion. Nul ne dit que le bitcoin soit un « commun » en visant l’unité de compte du protocole. C’est le protocole et son registre, parfaitement reproductibles (les coins solidaires ou non sont souvent des forks ou des scams) qui sont des communs !

En revanche, « mon » bitcoin, dont l’adresse est mise au secret dans mon wallet (et non confiée stupidement à un baron douteux) est raisonnablement à moi, même si des tribunaux (japonais) ont semblé en douter : il l’est davantage en tout cas que mes euros déposés en banque et qui ne m’appartiennent pas puisque (les auteurs le savent-ils ?) l’unicité de compte de la banque, et le droit cambiaire, ne m’attribuent finalement qu’une créance fongible sur un établissement commercial doté de monopoles inouïs et désormais sans réelle contrepartie depuis la disparition de fait de la garantie des dépôts ? Que cette créance soit finalement représentée par un bout de papier aux couleurs de « ma » ville ou de « ma » région ne change rien, cet argent ne sera pas à « moi ».

On donnera acte aux auteurs de ce que le bitcoin n’est pas géré démocratiquement au sens d’un débat participatif permanent.

Mais la gestion idéalisée (et procédurière) des monnaies locales complémentaires, pour lesquelles  les décisions sont prises à chaque niveau par des collectifs représentant chacune des parties prenantes : les utilisateurs, les prestataires de biens et services acceptant ces moyens de paiement, les collectivités locales soutenant le projet et les organisations financières recevant le dépôt de garantie permettant l’émission des titres de paiement  expliquerait à elle seule le destin désespérément marginal de ces petits jeux de la marchande tant prisés des faiseurs de systèmes.

Le bitcoin ne serait pas une monnaie.

Selon les auteurs, si le bitcoin n’est même pas une monnaie  la raison n’est pas parce ce qu’il est un instrument dématérialisé, mais parce qu’il s’agit d’une monnaie privée détachée de la notion de bien public et déconnectée de toute autorité souveraine assurant sa liquidité et sa pérennité . Là tout historien ricane. De faillite en faillite, les rois puis les républiques nous ont tellement peu habitués à la pérennité des choses qu’il a paru finalement sages de leur arracher la chose des mains. Napoléon (qui venait après la déroute dite du tiers consolidé) jugeait que la Banque de France devait être dans la main de l’Etat mais… pas trop. On confie aujourd’hui la monnaie à une autorité opaque et non démocratique, et la régulation des banques à des banquiers issus du privé. Depuis le vingtième siècle, la population s’est habituée au franc de quat’sous.

Les auteurs, pourtant, ont sur la monnaie une culture manifeste. Ils récusent le fable/farce du troc primitif, mettent correctement l’accent sur le rôle de la pompe fiscale ; d’autre part les faiblesses de l’euro ne sont pas dissimulées. Dès lors, songe-t-on, pourquoi tant de haine vis à vis d’une expérience qu’ils pourraient tranquillement ignorer si elle n’est pas à leur goût ?

Le bitcoin ne serait pas non plus au service de la production et de l’économie réelle et détruirait les communs.

Voici le point central. La distinction entre économie financière et économie réelle est essentiellement moralisante.  L’hypothèse d’économie monétaire de production signifie que la monnaie doit être au service de l’économie réelle . Sur ce point, je pense que les auteurs auraient pu développer. Car le bitcoin est dans une situation aujourd’hui paradoxale. Comme saint Eloi dans la chanson, il n’est pas mort. Pour autant il n’a pas trouvé de façon clairement admise par tous son véritable use-case, hésitant selon les utilisateurs, les auteurs, les entrepreneurs entre plusieurs vocations plausibles, plus ou moins compatibles entre elles. Toute la charge des auteurs fait mine de croire que l’ambition du bitcoin vise à supplanter à la fois le dollar, l’euro, le yuan, le sol-violette de Toulouse, le miel de Libourne et le billet de Monopoly. Leur fureur est donc un peu vaine.

Le bitcoin détruirait l’État.

Pour le reste, la fin du texte est moins une étude qu’une thèse politique : les promoteurs du bitcoin veulent détruire l’Etat. On sent venir le procureur. Mais le premier exemple donné par les auteurs est on ne peut plus comique :  le bitcoin a pu permettre à certaines fortunes d’origine douteuse, notamment russes, de fuir Chypre lors du blocage des capitaux dans la crise chypriote en 2013 . Or qui a détruit quoi en l’affaire ? La principale exaction aux règles de droit a-t-elle été le recours au bitcoin, ou la ponction, sans délibération parlementaire et sur un ordre venu de l’étranger, dans des comptes en banque ouverts par des propriétaires (douteux ou non, russes ou martiens) qui croyaient avoir réalisé des dépôts bancaires dans le cadre d’un Etat de droit ?

La conclusion est hallucinée :  Sous contrôle, alors que les transactions sur le bitcoin sont en sévère recul en 2014, de "bonnes crypto" monnaies pourraient chasser la mauvaise – en étant au service de collectivités susceptibles alors de véritablement promouvoir les communs.

Les auteurs ne sont pas les seuls à penser que les transactions sont en recul (le Figaro l’a écrit, curieusement, à la même époque…) mais c’est faux. L’idée de bricoler des petites cryptos comme on a bricolé des petits bouts de papier-monnaie locaux n’est pas totalement absurde. Cela ne sauvera pas le monde. La monnaie locale permet d’afficher de bonnes intentions (manger sain, acheter local, promouvoir des circuits courts) auquel nul n’a rien à redire mais que chacun peut aisément mettre en œuvre sans monnaie locale. Elles offrent surtout l’occasion aux élus locaux de prendre la défense du terroir lors des comices agricoles, pour faire oublier qu’à Paris ou à Bruxelles ils ont (volens nolens) ouvert tout en grand les frontières, accepté les tunnels et les autoroutes, fait sauter toutes les protections, et parfois rendu illégales les clauses de préférences locales.

Quand bien même ces monnaies locales fonctionneraient sur des blockchains autres que celle du bitcoin (ce qui aurait un coût) elles auraient sans doute encore besoin d’une monnaie pivot entre elles et le bitcoin serait évidemment la mieux placée. Mais la plupart des monnaies locales ont des capitalisations qui rendent tout à fait illusoire l’entretien d’une blockchain. Il sera temps de comprendre que celle de Bitcoin est effectivement un commun, et d’en payer d’une façon ou d’une autre le coût d’entretien.

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29 - Retour à Tintin

By: Jacques Favier

on va rireJe viens de publier sur le site bitcoin.fr et à la demande de ses fondateurs un cycle de billets tournant autour de "l'identité du bitcoin". En tentant de répondre à la question de savoir pourquoi son logo usuel est de couleur orange, il y a une petite vignette de Tintin qui m'est revenue à l'esprit.

Presqu'anecdotique dans le récit où elle figure, elle m'a pourtant semblé faire le lien entre deux textes publiés ici l'an passé.

Pourquoi revenir à Tintin?

En effet, j'avais déjà abordé le monde de Tintin dans Le Secret de Nakamoto, et plusieurs aspects de la symbolique de la couleur orange dans mon billet en marge des mystères sacrés.

Le cycle de la Licorne est notoirement l'un des plus riches (un trésor!) d'un point de vue analytique. J'avais été frappé de l'abondance d'enseignements sur ce que sont un secret, un message codé, la valeur des choses, ce que signifie le lieu du trésor. La quête des origines, le père absent dans la filiation d'Hergé comme dans celle d'Haddock résonnaient aussi avec l'absence de Satoshi Nakamoto.

le dernier incaLe cycle du Temple du Soleil, qui suit immédiatement, est antithétique et complémentaire. Complémentaire parce que ce sont à chaque fois des trésors volés, le premier par le pirate puis par le chevalier, le second par les explorateurs, puis par Tournesol. Antithétique parce que le trésor du pirate était retrouvé non pas au bout du monde, mais chez soi, alors qu'une petite partie de celui de l'Inca (un simple bracelet) est finalement rapportée à l'autre bout du monde. Hergé n'a donc pas construit son récit sur le modèle du précédent, alors qu'il aurait parfaitement pu le faire : Tintin aurait pu découvrir le trésor d'Atahualpa que l'on cherche toujours et l'exposer à Moulinsart à côté de celui de Rakham...

Or ce trésor, il est admis à le contempler mais jure qu'il n'en dira aucun mot hors du temple. le trésor des incas

L’album du Temple du Soleil paraît en fait à l’époque où Hergé écrit à sa femme : Tintin voudrait devenir un homme. Il voudrait devenir humain. Tintin, même quand il semble chercher des trésors, est celui dont Michel Serres dira bien plus tard qu’il est un explorateur de la fraternité humaine. Sa première richesse est faite de rencontres.

Tintin rencontre donc Zorrino. Ce petit indien quechua est marchand d’oranges, un fruit bien présent au Pérou, mais dont la dimension symbolique ne peut être mise entre parenthèses, tellement l’œuvre d’Hergé est riche d’archétypes, de références mythologiques, alchimiques, religieuses, maçonnes ou philosophiques.

Revenons donc à l'orange, et expédions assez vite ce qui est trivial. L'orange, très actinique, est la voyante couleur du danger...

la couleur de tous les dangers

Pour ce qui est de son usage dans le monde du bitcoin, j'ai émis l'hypothèse que l'orange s'était imposé comme substitut de l'or, impossible à "rendre" par du jaune pur. Certains m'ont dit prosaïquement que l'orange rappelle que Bitcoin est un projet "en travaux". Évidemment ! Mais elle est aussi la couleur des... vêtements de prisonniers (que l'on doit pouvoir traquer en cas d'évasion) popularisés par le cinéma américain. Même si la tenue de taulard est grise au Japon où M. Karpelès pourrait séjourner un moment...

Mais, en dehors des chantiers et des geôles, l'orange qui procède de l’union entre l’or du ciel et le rouge de la chair symbolisait pour les philosophes de jadis la révélation de l’amour divin à l’âme humaine comme cela a été dit au sujet des oeuvres de Vinci ou de Raphaël. Enfin, parce que c'est une couleur mélangée, elle a symbolisé la luxure, la dissimulation, la trahison... Quelle ambivalence !

Que peut nous révéler, au delà, l'album de Tintin? La couleur orange, depuis la rencontre de Tintin avec Zorrino dont le nom signifie le petit renard, court sous maintes variantes (car il n’y a qu’un jaune et qu’un rouge, mais il y a mille nuances d'orange) et d’un bout à l’autre du récit de la lente approche par les héros du temple du Soleil et de son or. Dans ce récit - comme dans la symbolique propre au bitcoin - l'or-ange entretient un lien mystérieux avec celui que l'on appelle le métal jaune. Les héros manqueront d'ailleurs de mourir sur le bûcher, en costume orange, pour avoir commis le crime de profaner l’or sacré.

le grand décrypteurS'ils évitent la mort, c'est que Tintin, explorateur, est aussi celui qui décrypte les messages : dans cet album comme dans bien d’autres c’est pour avoir su lire un petit bout de papier qu’il garde, contre une organisation, le contrôle de la situation. En prévoyant l’éclipse (le cygne noir a-t-on envie de dire), il fait voler en éclat l’ordre rigide et hautement centralisé de la société inca.

Ainsi l’éclipse de l’astre d’or sauve les hommes en orange.

éclipse

Mais ce n’est pas tout : au début, Tintin a défendu le petit porteur d’oranges d’une brute qui le persécutait. Un indien qui le surveillait a été ému par la noblesse de l’étranger et lui a donné un talisman. Que Tintin donne à Zorrino quand celui-ci l’a mené au Temple du Soleil, et que finalement Zorrino brandit face à l’Inca.

Tout au long du récit court un objet presqu’invisible et innommé (ceci, quelque chose…) qui pend au bout d’une chaîne et qui fait chaîne lui-même.

chaîne

Le talisman qui sert à récompenser, ou à racheter, fonctionne comme une monnaie. C'en est peut-être une, marquée du signe de l'Inca. Tintin et Zorrino, en quelque sorte rendent à l'Inca ce qui est à l'Inca. Ce sont les deux fonctions régaliennes et verticales de la monnaie : solder et percevoir.

Mais il y a une autre fonction, horizontale, de la monnaie. Zorrino est lui-même un médiateur entre Tintin et l’Inca et à cet égard il n'est pas forcément anecdotique qu'il soit marchand d'oranges. Baudelaire suggère quelque part que la cuisine et la peinture ont beaucoup en commun, d'être des arts d'accommoder les matières. L'orange appartient aux deux mondes, nourriture et couleur. L'orange est la seule couleur qui se mange, se consomme.

De ce fait, elle convient bien à la monnaie. Plusieurs philosophes ont souligné que l'usage propre de l'argent, c'est aussi la disparition : je me sers de mon argent au moment où je le perds. La circulation de l'argent ne masque jamais complètement sa perte, au niveau individuel. Aristote, cité par Thomas d'Aquin, rappelle que la monnaie est faite pour l'échange et que son mode de consommation spécifique coïncide avec son retrait jusqu'à sa disparition (distractio) dans l'échange. Distraction, destruction...

Sous les yeux de l'Inca, mais librement, il y a un traffic entre Zorrino (sorte d'ange qui semble prêt à tout, fût-ce à se battre et à donner sa vie) et Tintin, qui quitte le temple mais y laisse Zorrino.

homme pour homme

Tout ceci est-il sans rapport avec la monnaie, voire le bitcoin ?

L'or est éternel, il peut rester caché des siècles. Le bitcoin aussi prétend à l'éternité et peut rester caché d'autant qu'à ce jour il n'existe pas de "pompe" fiscale. On ne rend pas à Satoshi ce qui est à Satoshi. Ses vrais défis du moment tournent, quand on les analyse, autour de l'échange, de l'usage, de la remise en jeu.

Hergé a, fondamentalement, l'intuition que le vrai trésor c'est la vie et que la première dépense c'est le sacrifice. De l'argent, ne dit-on pas qu'il faut savoir le sacrifier? ne dit-on pas qu'on ne l'emporte pas dans la tombe? L'orange, dont la couleur marie le jaune et le rouge (l'or des idoles et le sang des sacrifices? ) est éphémère, elle a une valeur d'usage qui est la consommation.

DebtLes intuitions d'Hergé recoupent, me semble-t-il, ce qu'écrit David Graeber (dont la couverture américaine est d'un rouge beaucoup plus orangé que la couverture française) : la monnaie sert à acheter des biens mais aussi à définir les relations entre les personnes.

Si Tintin s'en tire toujours et sauve ses amis, c'est qu'il réfléchit, qu'il risque et qu'il échange et enfin qu'il noue des liens...

la rancon

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28 - La boite

By: Jacques Favier

Les techniciens n'aiment pas les politiciens. La grande figure mythologique de la techno ( τέχνη ) c'est Prométhée, dont le nom signifie le Prévoyant, celui qui réfléchit avant, celui qui regarde devant. Son geste - voler le feu aux dieux pour le donner aux hommes - a inspiré une vraie geste, une abondante littérature romanesque (jusqu'à Frankenstein !) et des réflexions profondes à bien des philosophes dont Hobbes et Marx.

Prométhée

Selon le poète Eschyle, il apprit aussi aux humains la notion de temps, les mathématiques, l'écriture, l'agriculture, le dressage des chevaux, la navigation maritime, la médecine, l'art divinatoire et l'art métallurgique.... rien que cela! Dans bien des cultures, au demeurant, c'est un personnage divin qui apprend aux hommes ces choses utiles. En Égypte, le dieu Thot offre ainsi les hiéroglyphes. Sans pour cela se retrouver enchaîné à un rocher comme le malheureux Titan puni par les dieux.

L'originalité du cycle prométhéen tient aussi à l'histoire des autres membres de la famille, qui est instructive. Fils comme lui du Titan Japet et de l'Odéanide Clyméné, son frère Épiméthée porte un nom qui signifie au contraire... Celui qui regarde derrière... ou qui réfléchit après coup.

Platon rapporte comment Épiméthée décida un beau matin de se charger de répartir les qualités (force, vitesse etc) entre les animaux. Quand le tour des hommes fut venu il ne restait presque plus rien. C'est pour réparer cette lourde bourde que son frère aurait décidé de rétablir un peu d'équité en faveur des malheureux bipèdes sans plumes. Il vola le feu au dieu forgeron, et la technique à la sage déesse Athéna. Mais il ne put dérober l'art politique, qui était dans la chambre de Zeus lui-même...

Dans d'autres récits, qui ont ma préférence, c'est Épiméthée qui aurait été en charge de procurer la compétence politique aux hommes déjà dotés par son frère de la compétence technique.

De toute façon, quelque soit le récit que l'on suit, l'art de se gouverner resta sur l'Olympe. Et c'est pour cela que l'être humain peut aller sur la lune ou inventer le bitcoin, mais n'est pas capable de régler ses petites affaires sur terre et de mettre au point une gouvernance un peu sensée. A cet égard, compter sur la technique pour réinventer la politique, comme le font tant de mes amis, est sans doute une illusion.

On voit aujourd'hui des hommes comme Gavin Andresen, partir d'une proposition technique, complexe et ne suscitant pas de consensus, mais dont l'enjeu n'avait rien d'immédiat et la transformer en rupture politique dont les conséquences peuvent être beaucoup plus rapidement tangibles, tout en glissant au passage quelques autres modifications (désanonymisation, mise au ban de certains adresses IP...) dont on parle moins mais qui sont aussi controversées...

Cela illustre assez bien la chose. C'est en lisant tant de commentaires de bitcoiners qui déplorent la situation créée par l'initiative "XT" que le mythe de Prométhée et Épiméthée m'est revenu à l'esprit. Qu'ils soient frères n'est évidemment pas anecdotique.

Juppiter custosL'art magique de la monnaie, c'est Satoshi qui l'a volé aux banques Quand on voit sur des monnaies romaines "Jupiter Custos" c'est à dire gardien, protecteur, garant, on saisit intuitivement la dimension prométhéenne du crime de Satoshi. Nul ne sait s'il n'est pas aujourd'hui en train d'expier son crime sur quelque rocher. En tout cas il n'en profite guère, puisque lui-même n'a pu ou n'a voulu monétiser sa propre richesse.

Celui qui a vu loin devant, un monde sans monopole des banques, c'est Satoshi, comme Prométhée avait vu un monde où les hommes se passeraient des dieux pour cuire la soupe ou forger leurs armes.

Celui qui regarde en arrière, Epiméthée, c'est Gavin. La taille du bloc c'est un débat technique. Le nombre de transactions que cette taille détermine indirectement, c'est un enjeu qui n'est pas technique. C'est le bon vieux monde d'avant qui veut reprendre le contrôle. Ce sont les venture capitalistes qui veulent que les start-up bitcoin se développent, tournent, brassent, beaucoup, encore plus. Ils veulent une Visa 2.0.

Revenons donc à cette intéressante famille : la femme d'Epiméthée est restée plus fameuse que lui. Elle avait nom Pandore, ce qui signifie Douée de tous les dons et c'était (comme tant d'autres!) la plus belle femme du monde. Zeus avait envoyée à Épiméthée comme un cadeau empoisonné cette attrayante et pernicieuse merveille selon les mots du poète Hésiode, avec en prime une petite boîte à ne surtout pas ouvrir.

Pandore par Jean Alaux

Dans la boite, comme on sait, les dieux avaient mis toutes les catastrophes possibles. Bien sûr les catastrophes naturelles, mais aussi la maladie, la vieillesse, la folie et la mort. La liste est plus ou moins longue selon les récits. Certains y joignent donc le vice et la passion... ce qui nous ramène à l'impossibilité de nous gouverner dans laquelle le peu réfléchi Épiméthée nous a laissés, malheureux humains que nous sommes.

PandoreLe problème de la boite c'est qu'une fois ouverte, elle est ouverte. Les promoteurs de Bitcoin XT proposent de passer en force pour la taille du bloc.

Mais au delà de la taille du bloc, il y a le fait de passer en force. Pour une raison aujourd'hui, pour d'autres raisons demain. Certains n'ont pas hésité à parler de "coup d'État" (ce qui est une métaphore un peu déplacée dans notre monde sans Etat) ; d'autres plus justement parlent de comportement puéril.

Les mythes grecs sont subtils. Dans la boite, les dieux avaient aussi glissé l'espérance...

Il est donc un peu tôt pour annoncer comme le fait le journal Les Echos que l'utopie d'une monnaie décentralisée va disparaître dans cette crise existentielle. Il est un peu tôt pour désespérer d'une gouvernance communautaire, par l'usage en somme : jusqu'au début de janvier en effet, rien ne se passe. A partir de 2016, c'est une sorte de système de vote automatique qui va s'enclencher. Ceux qui auront installé la version nouvelle proposée par Andresen continueront a faire des block de 1 million. Et si plus de 75% de l'ensemble des nouveaux blocks viennent de systemes XT alors le reseau commencera a faire des blocks a 8 millions. Ce sont des choses déjà vues dans le monde de l'Open Source, et auxquelles le monde de la finance centralisée n'était pas habitué. Il y a des voies de solutions, comme celle que suggère Bitpay : une augmentation de la taille des blocs, mais intégrée à Bitcoin "Core"... et en préservant le plus possible la nature décentralisée de Bitcoin.

Prométhée a un fils, qui épouse la fille de son frère et de Pandore. Quand le déluge survient ( chez les Grecs aussi...) c'est ce couple qui survit, et repeuple la terre. Les hommes, avec ou sans les dieux, finiront bien par construire leur Commune, lui donner des règles convenables et la défendre.

Une fois que les hommes ont reçu le feu, l'Histoire ne finit pas. Elle commence.

Athènes

Pour aller plus loin :

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27 - Invisibles ?

By: Jacques Favier

Ce billet a été republié en langue chinoise sur le "blog de Sosthène" de l'érudit traducteur Alexis Gaubert, que je remercie vivement, et sur le site chinois 8BTC.

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S'il y a bien quelque chose de comique dans les arguties opposées à la potentialité du bitcoin, ce sont les postures régaliennes. Surtout dans notre espace européen soigneusement vidé de toute souveraineté et dont les vrais dirigeants se sont faits invisibles.

L'histoire avait pourtant si bien combiné chez nous le gouvernement du peuple athénien, le droit romain et la prétention d'Alexandre à une filiation divine : "le Sénat et le Peuple de Rome"s'incarnèrent durablement en une seule figure, impériale ! L'aureus d'Auguste montrait le père de la patrie avec, au revers, la figure du sphinx, celui dont l'énigme n'a qu'une réponse : l'Homme.

Auguste et le sphinx

Et ainsi de suite jusqu'à Napoléon qui fut l'Homme d'une République dont la mention perdura au revers des pièces durant de nombreuses années de son règne.

Napoléon République

Lorsque parurent les euros, parut en même temps toute une littérature pour moquer ou déplorer l'impersonnalité des nouveaux billets, avec leurs portes et fenêtres béantes et leurs ponts enjambant le vide. Bruxelles expliqua que les ponts symbolisaient l'union entre les peuples, les portes et fenêtres l'ouverture et la coopération au sein de l'Europe.

Foutaise. Le même graphiste put refiler en 2010 sa symbolique à Bachar el Assad ! Dans une version en ruine, prophétie dont je ne sais si elle était ironique.

Billets syrien de Kalina



Si même les dictateurs préfèrent aujourd'hui les architectures à leurs portraits, il doit y avoir de bonnes raisons.

à nos amisEn voici une. Dans le petit texte à nos amis, publié l'an passé aux éditions de la Fabrique, le "Comité Invisible" explique comment le pouvoir ne réside plus dans les institutions. Il n'y a là que temples désertés, forteresses désaffectées, simples décors. Et très explicitement, c'est en se fondant sur l'iconographie des billets européens que les anonymes auteurs posent leur thèse :

La vérité quant à la nature présente du pouvoir, chaque Européen en a un exemplaire imprimé dans sa poche. Elle se formule ainsi : le pouvoir réside désormais dans les infrastructures de ce monde. Le pouvoir contemporain est de nature architecturale et impersonnelle, et non représentative et personnelle.

devant les pylônesCe pouvoir, disent-ils, n'est pas nécessairement caché. Ou alors, s'il l'est, il l'est comme la Lettre volée de Poe. Nul ne le voit parce que chacun l'a, à tout moment, sous les yeux- sous la forme d'une ligne à haute tension, d'une autoroute, d'un sens giratoire, d'un supermarché ou d'un programme informatique. Et s'il est caché c'est comme un réseau d'égouts, un câble sous-marin, de la fibre optique courant le long d'une ligne de train ou un data center en pleine forêt. Le pouvoir c'est l'organisation même de ce monde, ce monde ingénié, configuré, designé. L'affiche de Mitterrand en 1965 semble emblématique d'une transition symbolique.

Les luttes d'aujourd'hui sont donc souvent, comme à Notre-Dame des Landes ou dans le Val de Suse, des luttes au sujet des infrastructures. Dont les opposants sont forcément condamnés à se voir tôt ou tard qualifiés de terroristes. De fait, dans la mouvance anarchiste, prévaut l'idée de bloquer le système. Une affiche de 2006 (lors des luttes contre le CPE) disait C'est par les flux que ce monde se maintient. Bloquons tout ! On a vu récemment que les anarchistes n'avaient plus le monopole du blocage, taxis et éleveurs ayant repris l'idée avec la bienveillance surprenante de ce qui nous tient lieu de gouvernement.

Venons-en ici au bitcoin. Je l'ai déjà abordé sous l'angle de l'infrastructure, dans mon billet "complètement timbré" où je rappelais que la Poste, avait toujours été un instrument créateur de puissance, y compris financière. Or la Blockchain est une infrastructure qui s'inscrit historiquement après la Poste des Thurn und Taxis, les lignes Morse devenues la Western Union, les messageries de Google ou de Facebook.

Mais elle ne peut être possédée par une puissance privée ni contrôlée par une puissance publique. Ni a priori bloquée par quiconque, qu'il soit tyran ou terroriste. Bitcoin et la blockchain offrent donc des perspectives politiques nouvelles. Je cite de nouveau le "Comité Invisible": Obsédés que nous sommes par une idée politique de la révolution, nous avons négligé sa dimension technique. Une perspective révolutionnaire ne porte plus sur la réorganisation institutionnelle de la société, mais sur la configuration technique des mondes. (...) il nous faudra coupler le constat diffus que ce monde ne peut plus durer avec le désir d'en bâtir un meilleur.

Il ne s'agit pas de se contenter d'utiliser Twitter dans les manifestations (ou pour les organiser) et les réseaux sociaux pour critiquer en temps réel (et le plus souvent en en restant à une dérision amère) les choses du monde comme il va.

The New Dgital AgeLes analyses de Jared Cohen et Eric Schmidt dans The new digital Age font d'Internet la plus vaste expérience impliquant l'Anarchie dans l'Histoire. Elles peuvent aussi laisser penser que Facebook est moins le modèle d'une nouvelle forme de gouvernement que sa réalité déjà en acte. Et que, comme l'annoncent Cohen et Schmidt, ceux qui n'auront pas de profil social seront fichés. Car c'est le profil Facebook qui tiendra lieu d'identité, et il sera aussi intolérable de le cacher (à l'Etat, aux banquiers...) que de dissimuler son visage.

Il est donc curieux que le "Comité Invisible" n'ait pas cité Bitcoin, même dans son analyse des "communs" (sur laquelle je reviendrai) et fût-ce négativement. Autour de cette infrastructure décentralisée, et grâce à elle, ceux qui veulent changer les choses peuvent découvrir les briques invisibles d'une nouvelle maison commune :

  • Ethereum qui permet la mise en oeuvre de contrats intelligents, fonctionnant exactement comme ils ont été programmés pour le faire sans risque de prescription, de censure, ou de fraude, et surtout sans place pour un "tiers de confiance" prédateur. Ethereum veut restituer ce qui aurait dû advenir grâce à Internet, y compris en permettant à chacun de créer des organisations démocratiques autonomes.
  • Augur qui permettra la construction d'un marché décentralisé de prédiction, débouchant sur une révolution en matière de prise de décision
  • Storj qui veut offrir le stockage chiffré sur cloud privé le plus sûr possible, grâce à la technologie blockchain et au protocole P2P.
  • ...mais aussi des services comme Otonomos, qui souhaite permettre à n'importe qui de créer gratuitement une entité juridique légale, basée à Singapour, et dont les actions sont accessibles par l'intermédiaire d'une adresse cryptographique comme un porte-monnaie bitcoin.
  • ... ou comme Twister un réseau social décentralisé basé en partie sur les protocoles Bittorrent et Bitcoin, ce qui en fait un outil incensurable et en partie chiffré.

le roman où est (peut-être) évoqué l'informatisation ?Oui, il est temps que ceux qui disent penser au monde de demain en découvrent les ruptures de paradigme. Nos dirigeants aiment à visiter les clusters technologiques, mais leur obstination à construire des aéroports inutiles en dit assez long sur le type d'infrastructure qu'ils ont toujours en tête. Songeons à Jules Verne. Il s’intéressait aux fonctions des machines mais n’abordait pas la théorie sous-jacente à ces machines. Il y avait deux approches des automates (théorie des automates et modélisation) et Jules Verne n’a pas envisagé ces approches. Il fréquentait des spécialistes en balistique, géographie, chimie, physiologie, histoire naturelle et mines. Mais non ceux qui l'auraient conduits vers la binarisation et la révolution de l'avenir.

Mais même dans notre communauté, il est curieux que les graphistes aient si peu tenté de représenter Bitcoin autrement que comme une pièce (sans portrait, comme les billets de Kalina !) voire un simple jeton doré. Certains ont voulu mettre en valeur le caractère numérique de Bitcoin; Mais c'est le plus souvent en rabâchant une iconographie de type Matrix.

Figuration numérique

En cherchant bien on trouve quelques représentations sous sa vraie nature de réseau, dont celle-ci où le verrou censé représenter la sécurité de la chose, me paraît quand même inapproprié...

le cadenas pour la sécurrité

Représenter Bitcoin dans sa nature d'infrastructure immatérielle et invisible est un sacré défi pour les artistes. Et pour nous tous !

Bitcoin art

Pour aller plus loin :

  • la lecture de à nos amis est possible en ligne sur Internet, sans doute du fait d'une mise en ligne sauvage. Mais il existe une différence entre le laisser-être et le laisser-aller, et je recommande à mes propres lecteurs d'acheter le livre plutôt que d'en piller la lecture.
  • Sur Jules Verne et la binarisation, on peut lire une intéressante étude universitaire.
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26 - Bitcoin : des espèces qui ne montent pas au nez

By: Jacques Favier

La piste des sardines

J'ai écrit dans un papier sur le Bitcoin, le Grexit et les faiseurs de systèmes qu' en dernier ressort bien des objets standards et fongibles peuvent servir d’étalon voire d’instrument de paiement . Je faisais profiter mon lecteur du conseil que m'avait jadis donné un vieil homme avisé :  en cas de guerre, mon petit, les boites de sardines se bonifient . Il ajoutait, superbe mais pratique:  et ça s’empile facilement . Il faut en parler aux Grecs.

sardines grecques

L'argot est comme une mémoire vivante de ces situations de précarité collective. Que l'on travaille pour des clous, pour des clopes, ou pour des peaux de lapins, c'est toujours pour des objets ayant une utilité intrinsèque, relativement standards et fongibles que l'on travaille. La langue anglaise a d'autres références dont to earn peanuts.

On peut certes payer avec des cacahuètes comme monnaie de singe. Reste un problème que la nature de l'objet ne résout jamais. C'est celui de la confiance non en la cacahuète échangée mais dans le singe partenaire de l'échange...

Les cacahuètes et autres produits d'épicerie

L'autre jour la présidente de l'association des banques grecques, par ailleurs ancienne professeur d'économie aux universités de Yale et de Londres, a lancé un appel aux clients pour qu'ils rapportent leur argent en banque - Banks are absolutely trustworthy - appel qui a fait rire tout le pays.

cacahuetes grecquesParmi les réactions rapportées par la presse, l'une évoque ainsi la chose : les banques ne reverront jamais mon argent, je préfère acheter des tonnes de cacahuètes avec ! La solution (illégale selon Monsieur Sapin) est un peu rudimentaire si on la prend au pied de la lettre. Car la cacahuète, si elle peut servir de moyen de "petit paiement" (bien que non divisible, elle est utile et fongible), ne se conserve pas forcément plus de quelques semaines. Il faudrait prévenir les Grecs.

L'étude de la "grande famine monétaire" qui régna au XVème siècle, et que j'ai déjà abordée ici, est une mine d'idées sur ce qui peut servir de monnaie quand on n'a plus de monnaie. Pratiquement aucune des idées exhumées pour la Grèce n'a pas déjà servi à cette époque. Les tax scrips existent déjà sous le nom de scuxe à Gênes ou de note debiti communis à Milan. La cacahuète n'est pas encore arrivée de son Amérique tropicale... mais le poivre sert couramment, et même dans les contrats qui précisent ou l'équivalent en poivre. Le poivre, lui, se conserve en grains plusieurs années. Il faut le suggérer aux Grecs.

le poivre

En gros sacs ou en sachets, les épices ont la fluidité (la liquidité pourrait-on dire) et l'anonymat des métaux précieux. Certaines, comme le safran, valent leur poids d'or.

Il reste quelque chose du paiement en poivre et en épices dans notre vocabulaire : payer en espèces, c'est en effet proprement payer en épices.

Est-ce à dire que l'on pourrait ainsi se passer de banque? J'échangeais récemment avec un de mes nouveaux lecteurs, qui m'écrivait : Que l'on ait accepté "durant quelques heures" de la pyrite comme moyen de paiement en lieu et place de l'or nous rappelle bien que, en des temps d'impecuniosité comme d'hyperinflation, la monnaie, au-delà de sa valeur intrinsèque, reste une convention. Et de ce fait, comme il me le signale, il y avait déjà eu, depuis des années, des citoyens grecs développant des monnaies "alternatives", souvent appuyés sur des SEL (Systèmes d'échanges locaux). Notamment une expérience à Volos. Mon lecteur ajoutait que ce système, plus proche il est vrai du troc que d'une monnaie, partage cependant avec le bitcoin la faculté de "désintermédier" les échanges économiques.

Le SEL (une pincée, pas davantage)

C'est là que le bât blesse. Un troc, un SEL, une monnaie locale, tout cela est difficilement scalable comme on dit de nos jours. De telles expériences de désintermédiation sont éphémères, car elles se heurtent à une dure réalité. Cette réalité, c'est la difficulté d'étendre la confiance au delà d'un cercle étroit et de faire respecter les obligations sans contrainte légale.

L'open source permet certes d'imaginer des solutions. Ainsi le système TEM créé en 2012 à Volos devait permettre aux utilisateurs de la monnaie locale d’accéder à la liste complète des acheteurs et des vendeurs ainsi que de noter les autres membres après chaque transaction. Les transactions avaient lieu sous forme de virements d’un compte utilisateur à un autre, comme par chèques, mais pour éviter la fraude et assurer la transparence, les soldes de chaque utilisateur étaient archivés dans une base de données accessible à tous.

TEM de Volos

La technique a encore progressé depuis 2012. Elle peut considérablement aider le commerce en monnaies locales : il suffit d'implémenter ces monnaies sur des plateformes de paiement avec des applications mobiles. La technique peut aider le commerce en poivre en définissant toute chose durable et fongible comme une quasi-monnaie. Elle peut même aider le troc du poivre contre les sardines par des mécanismes issus des sites de rencontres, couplés à des systèmes de virement et de compensation. Les participants peuvent acquérir une réputation et une crédibilité comme sur les sites de vente en ligne. Mais il faut se rappeler que même les plus puissants de ces sites ont du mal à gérer les conflits, dans lesquels la bonne foi n'est pas toujours évidente. Or ces sites gèrent des montants individuels limités, et ne font pas de crédit.

Aujourd'hui des Grecs rêvent de changer non de monnaie (s'ils le pouvaient ils conserveraient le plus d'euros possible !) mais de banque ou plutôt de système bancaire.

Payervices on Greek TV

Une plateforme comme Payservices fait parler d'elle sur la télévision grecque car elle prétend permettre non seulement de faire des échanges à la fois en devise officielle et complémentaire, mais de payer de mobile à mobile, ou avec une carte indépendante des réseaux Visa ou Mastercard, tout en permettant un système global et cohérent (et donc le paiement de la TVA). Au passage elle prétend se substituer avec ses tokens dénommés "eurodrachmes" à la BCE comme à la Banque Nationale. Pourquoi pas, dans une logique de collapsus total?

Les paramètres politiques restent cependant bien difficiles à définir : l'État grec aurait-il un rôle, voire un compte administrateur ? accepterait-il en paiement des impôts une monnaie complémentaire "nationale" dont la création lui échapperait ou dont les tokens seraient des tax anticipation scrips ? Cette monnaie serait-elle distribuée per capita ou bien à concurrence des soldes en euros dans les banques qui seraient défaillantes ?

Le chemin est semé d'embûches. L'expérience de Volos date de 2012, et le site internet du TEM paraît abandonné malgré les circonstances récentes. La coopération a été de courte durée. Les tensions internes, les conflits humains l'ont emporté. Les tentatives actuelles auront-elles plus de pérennité ? Il est assez intuitif de comprendre que la force coercitive d'un système doit croître en proportion du niveau des risques. Or il est également intuitif de saisir que la Grèce n'a pas atteint son niveau de déréliction sans une certaine impéritie des pouvoirs publics. Compter sur eux maintenant pour créer une forme d'ordre, c'est blesser les sentiments d'un peuple abandonné, mais aussi nier la simple réalité.

La discorde

En regard, le bitcoin n'a qu'un défaut, me semble-t-il. Il ne peut être donné, distribué comme des jetons en début de partie. Pour la plupart des utilisateurs, les bitcoins utilisés sont des bitcoins acquis. Pour une adoption plus large qu'aujourd'hui, les nouveaux venus devront l'acquérir, et sans doute pour plus cher qu'il ne vaut aujourd'hui. Ce n'est pas un token pour rire (ou pour pleurer).



Mais il a un avantage non négligeable: c'est un système qui fait régner un ordre intrinsèque indépendant de l'ordre politique. Il y a au Musée d'Anvers un magnifique Rubens, qui représente Minerve détruisant la discorde.

Rubens

Or Minerve (Athéna !) c'est cette forme grecque de Sagesse, ce miracle grec, qui fit dire à Pythagore que tout est nombre. Bitcoin, dont la devise latine est vires in numeris ne rend pas les hommes meilleurs ou plus zélés à tenir leurs engagements.

Bitcoin fait régner l'ordre sans police. Il établit une confiance en lui ( il est pérenne et utile comme le poivre) mais surtout en l'autre. La confiance qu'on lui fait ne vient pas à ce jour de sa valeur (comme pour l'or l'or) mais de la confiance qu'il inspire comme moyen de transaction. Point de discorde en bitcoinie...

Ce qui permet de se passer de César, de sa monnaie (et de ses impôts). Car ce que César pense de la population, tout le monde le sait. Elle est bien gentille la populace, mais les épices lui montent vite au nez. Qu'elle a moins joli que Cléopâtre, laquelle était une princesse grecque...

César

Pour aller plus loin :

  • Mon billet sur l'impossible adoption du bitcoin par l'Etat grec (Monnaie de siège) et ses liens en bas de page.
  • Mon billet sur le Cercle des Echos le Bitcoin, le Grexit et les faiseurs de systèmes n'a malheureusement pas été maintenu sur leur site. COnclusion: il ne faut pondre que dans son propre nid !
☐ ☆ ✇ La voie du ฿ITCOIN

25 - L'écriture du diable et les mangeurs de navets

By: Jacques Favier

En se faisant traiter de fou, le glaisier d'Auteuil qui confondait la pyrite et l'or s'en tira plutôt bien. D'autant que ses petits cubes sentaient bien le souffre, et pas de façon métaphorique. Bien d'autres furent inquiétés pour moins que cela... 

Il est assez éclairant de comparer les accusations proférées par nos irréprochables dirigeants démocrates contre le sulfureux bitcoin ou les messageries secrètes du terrorisme et ce qui se disait en d'autres temps, quand les infâmes monarques de jadis avaient vent de procédés financiers échappant à leur contrôle ou d'exploits cryptographiques permettant d'échapper à leur surveillance. 

Il n'y a pas grand chose de nouveau sous l'implacable soleil des pouvoirs. 

Quand M. Cameron demande benoitement voulons-nous permettre un moyen de communication entre les gens que nous ne puissions pas lire ?  et que sa réponse est négative, ce qu'il demande porte un nom. 

Quand M. de Kerchove, le Monsieur anti-terrorisme de Bruxelles, regrette que depuis les révélations d'Edward Snowden, les entreprises d'Internet et de télécommunications ont commencé à utiliser souvent du chiffrement décentralisé qui rend de plus en plus difficile techniquement l'interception légale par les autorités nationales compétentes, ou même impossible, que demande-t-il? 

Ce que demandent nos dirigeants, c'est une Inquisition généralisée. Et comme, naturellement, c'est pour la défense de la civilisation et en vérité pour notre propre bien, on peut dire une Sainte Inquisition...

Mais l'examen du passé laisse à penser que, se tenant des deux côtés de la chose, cherchant autant à crypter qu'à décrypter, ils auront du fil à retordre...

Commençons par ce qui arriva au moine bénédictin allemand Jean Trithème (1462-1516). Vers 1499, il avait élaboré sa Stenographia, un art de chiffrer les messages. Mais comme il utilisait des signes étranges on crut qu'il composait un grimoire de magie et il dut rendre des comptes. Il est vrai que le bon moine avait des formulations un rien provocatrices : J'ai fait en sorte que pour les hommes de savoir et ceux profondément engagés dans l'étude de la magie, il pourrait être, par la grâce de Dieu, intelligible à un certain point, tandis que, d'un autre côté, pour les mangeurs de navets à peau épaisse, il pourrait rester un secret caché pour toujours et être pour leurs esprits bornés un livre fermé à tout jamais

Largement de quoi être accusé de sorcellerie, notamment par les mangeurs de navets à peau épaisse !

Le navet, (nom savant Brassica napus) est une plante herbacée de la famille des Brassicacées. Elle a souvent été considérée comme très propre à nourrir les pauvres. Rien à voir – évidemment ! - avec l’oignon (Allium cepa), qui est une plante herbacée bisannuelle de la famille des Amaryllidaceae et dont le symbolisme ne sera pas ici plus avant explicité. Revenons au savant bénédictin...

En 1505, les moines de sa propre abbaye jugèrent bon de brûler les 2000 ouvrages de sa bibliothèque. Ça ne l'empêcha pas de publier son ouvrage en 1506. Il se montra plus prudent ensuite, et sa Polygraphiae ne parut qu'en 1518... c'est à dire deux ans après sa mort. Et avec un frontispice qui montre une soumission de bon aloi à l'institution.

La première publication se fit en latin, la langue des white papers de l'époque, puis le livre fut traduit en français et en allemand, ce qui montre que les accusations de sorcellerie n'avaient point empêché l'extension du domaine du secret, largement au bénéfice des princes allemands il est vrai. Parce que les Etats n'avaient pas moins besoin de la diablerie cryptographique que les particuliers cachotiers. La chose n'a guère changé...

Sorcellerie? Peut-être pas (il ne fut pas brûlé avec ses livres) mais alchimie à coup sûr. Trithème ne fut pas le seul cryptologie à se tenir on the border... Il est rare que la recherche des secrets soit tout à fait licite aux yeux du pouvoir, mais il est rare que le pouvoir s'en désintéresse. Enfin il faut bien avouer que parmi les secrets recherchés figure souvent le mystère de la valeur des choses...

Sous le règne d'Henri III, le célèbre Blaise de Vigenère (1523-1596), dont le code allait résister plus de deux siècles aux efforts de toute l'Europe, était d'abord un savant humaniste, lisant latin, grec et hébreu. Et pas uniquement par amour des textes anciens. Pour Vigenère, faire de l'or n'était pas aussi difficile qu'on le croyait. Simplement, pensait-il, comme ceux qui le cherche n'ont pas d'autre but que de satisfaire leurs appétits déréglés, Dieu condamnait leurs efforts. Voici donc un sorcier moral. et prudent. Lui même le rappela dans son Traité du Feu et du Sel : quiconque se frotte de secret doit prendre bien des précautions si l'on ne veut quant & quant encourir le bruit d'estre un athéiste, sorcier et faux-monnayeur. 

Sorcier et faux-monnayeur : lumineux rapprochement !


Sous le règne suivant, François Viète (1540-1603), mathématicien et cryptographe du bon roi Henri IV, parvint à casser le chiffre espagnol, une sorte d'alphabet à cinq cents signes. Or il était au service d'un monarque suspect de protestantisme, et à une époque où comme l'écrivit un chroniqueur du siècle suivant l'algèbre passoit alors aux yeux des peuples pour une vraie magie. 

Les espagnols, de bonne foi ou non (disons... comme M. Cameron tentant aujourd'hui de distinguer la bonne et la mauvaise cryptographie) portèrent la chose à Rome : il y avait forcément sorcellerie puisque c'est eux que l'on décryptait !

Le diable, rien que cela ? C'était sans compter sur... le pape Clément VIII. 

Peut-être ce pape ne croyait-il pas aux sorciers. Ou ne mangeait-il pas de navets. Peut-être avait-il choisi son camp, car il trouvait la tutelle espagnole un peu pesante. 

Ce saint père n'était pourtant pas suspect de laxisme (Giordano Bruno fut brûlé à Rome en 1600 pour hérésie et magie noire) mais lui aussi avait ses cryptologues et il n'était pas mécontent que quelqu'un ait cassé le redoutable chiffre espagnol.

Quoiqu'il en soit, Clément VIII rit de l'affaire. Autant que la Cour de France.

S'il y a un diable dans la cryptographie, c'est généralement un diable assez farceur !

Depuis des siècles, toute forme d'écriture cryptographique, quand elle n'est pas au service exclusif du roi, est suspecte d'être l'oeuvre du diable. Cela n'a jamais empêché de nouvelles trouvailles. Depuis longtemps aussi, la "fausse" monnaie n'est jamais loin de l'écriture secrète. 

J'y reviendrai !

Pour aller plus loin:
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