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147 - L'historien croco et le crypto saurien

By: Jacques Favier —

Bien sĂ»r mes amis bitcoineurs pourront ĂȘtre surpris de dĂ©couvrir ma nouvelle production, mĂȘme si le totem saurien en orne malicieusement le titre.

Ceux qui suivent ce blog savent cependant que NapolĂ©on y apparaĂźt dans plusieurs billets (en rĂ©alitĂ© dans plus de 25 et j’en ai Ă©tĂ© surpris moi-mĂȘme en les comptant) et notamment dans NapolĂ©on et nous et Un bon croquis, vraiment ? Comme l’a dit un de nos amis : « Jacques Favier, vous prononcez trois fois son nom devant une bibliothĂšque, il apparaĂźt et il vous fait un cours sur NapolĂ©on ».

Enfin, Ă©videmment, j’ai prĂ©vu pour les crypto-curieux la possibilitĂ© d’acquĂ©rir Aigle, crocodile & faucon en bitcoin. Ce n’est pas chose facile, du fait de la loi sur le prix unique du livre, mais cela pourra se faire lors d’évĂ©nements communautaires. Je ne me cache pas, et le mot  Bitcoin  apparaĂźt mĂȘme sur la page 4 de couverture, comme le nom de Tintin.


Mais venons-en Ă  l'essentiel : pas plus qu'en Ă©crivant sur Tintin, je n’ai pas rĂ©digĂ© ce livre sur NapolĂ©on avec ma main gauche, ni avec d’autres lobes de mon cerveau que pour les livres consacrĂ©s Ă  Bitcoin.

Ou, pour parler comme Satoshi, I had a few other things on my mind mais I’ve not moved on to other things.

Quinze ans avant le white paper, voyant mon pĂšre qui durant quelque congĂ© s’agitait sur sa tondeuse autoportĂ©e au lieu de se reposer Ă  l’ombre de son marronnier, je le taquinai en comparant cette frĂ©nĂ©sie jardiniĂšre Ă  l’activitĂ© de NapolĂ©on sur sa minuscule Ăźle d’Elbe et lui posai soudain la question : que ce serait-il passĂ© s’il y Ă©tait restĂ© tranquillement en fĂ©vrier 1815 au lieu d’enchaĂźner un pari fou, une Ă©popĂ©e jamais vue, un dĂ©sastre sans prĂ©cĂ©dent et un calvaire Ă  l’autre bout du monde ? Nous en avions devisĂ© : Ă©tait-il forcĂ© de s’agiter, pouvait-il ne rien faire ?

On reconnaĂźt lĂ  mon fond de taoĂŻsme, dont le nom La voie du Bitcoin atteste dĂ©jĂ . Lao-Tseu l'a dit : « la voie du Sage est d’agir sans lutter » 

Au-delĂ  de l’anecdotique (le tracteur paternel Ă  l’heure de la sieste) mon intĂ©rĂȘt pour l’annĂ©e 1815 a sa rationalitĂ©. C’est une annĂ©e critique Ă  tous Ă©gards, avec deux « alternances » spectaculaires (trois mĂȘme, si l’on prend la pĂ©riode avril 1814-juin 1815) autour d’un Ă©pisode sans Ă©gal dans l’histoire, ces « Cent Jours » qui sont moins le dernier Ă©clat de l’Empire que la premiĂšre rĂ©volution du 19Ăšme siĂšcle. Des alternances dont les monnaies gardent la trace !

C’est aussi le moment de vĂ©ritĂ© pour le personnage politique de NapolĂ©on, en attendant la terrible sanction qui attend le stratĂšge. AprĂšs une longue dĂ©cennie de dĂ©rive monarchique, il s’aperçoit sur l'Ăźle d'Elbe et vĂ©rifie Ă  son retour qu’il n’a plus comme soutiens, en rĂ©alitĂ©, que l'armĂ©e, des vieux jacobins et quelques jeunes libĂ©raux. Lesquels n’en sont pas moins surpris que lui. C'est cette double surprise qui me parait offrir un objet de rĂ©flexion.

Aujourd’hui les diatribes contre NapolĂ©on viennent trĂšs majoritairement « de gauche » tout en reprenant – il faut le noter – la panoplie complĂšte des calomnies forgĂ©es par les Ă©migrĂ©s et surtout par le gouvernement tory de Londres, et tout en ignorant les jugements bien plus pertinents de Marx ou d’historiens marxistes comme Antoine Casanova. Il m’a paru intĂ©ressant, en contre-point, de saisir ce moment historique oĂč le camp de gauche redĂ©couvre un Bonaparte que ses ennemis de droite ont, eux, toujours considĂ©rĂ©, selon le mot de l’autrichien rĂ©actionnaire Metternich, comme un « Robespierre Ă  cheval ».

VoilĂ  pour expliquer le choix de 1815 pour y placer mon point de divergence et y tester l’idĂ©e d’une non-action, d’une histoire alternative Ă  dĂ©velopper dans un univers virtuel. Les nombreuses uchronies qui se fondent sur l’idĂ©e d’un triomphe en Russie ou d’une victoire Ă  Waterloo ne m’intĂ©ressent pas, les hypothĂšses de base en Ă©tant (sauf improbable intervention divine !) historiquement irrĂ©alistes. Il m’a semblĂ© que, le 26 fĂ©vrier 1815, au contraire, NapolĂ©on aurait pu dĂ©cider (seul) de rester sur son Ăźle. La suite du rĂ©cit m'appartenait-elle, pour autant, en toute libertĂ© ? Cette rĂȘverie m’a accompagnĂ© durant prĂšs de 30 ans.

Entre temps, j’avais rencontrĂ© Satoshi. Dans ma famille, on n’est pas assez formatĂ© pour me pinailler sur les fonctions aristotemiques de la monnaie ou sur le fait que Bitcoin n’ait pas de « rĂ©alitĂ© tangible » : la formule canonique pour me charrier c’est « ta monnaie qui n’existe pas » et cette boutade me plait bien, parce que cela pose des questions bien plus vastes que de savoir si l’on peut mordiller une piĂšce ou froisser un bout de papier entre ses doigts. Qu'est-ce qui existe ?

Toutes les rĂ©flexions menĂ©es ou partagĂ©es sur cette monnaie gravĂ©e par une idĂ©e et battue par des calculs, cette monnaie cĂ©leste pour employer un mot de Mark Alizart, dĂ©ployant son propre espace numĂ©rique dans lequel elle a bien toutes les propriĂ©tĂ©s d’un objet tangible et toutes les qualitĂ©s d’une monnaie sui generis, je ne les ai pas cantonnĂ©es dans un coin hermĂ©tique de mon crĂąne quand, Ă  partir du confinement – situation obsidionale trĂšs appropriĂ©e au sujet – j’ai entrepris de faire enfin vivre « mon » NapolĂ©on dans son nouveau royaume.

A vrai dire, partant de Satoshi et de la grande question de sa « disparition » j’avais dĂ©jĂ , quatre ans plus tĂŽt, Ă©voquĂ© un mot de NapolĂ©on selon qui « les hommes de gĂ©nie sont des mĂ©tĂ©ores destinĂ©es Ă  brĂ»ler pour Ă©clairer leur siĂšcle ». J'y abordais surtout le personnage tel que l’imaginait Simon Leys en 1988, dans une autre uchronie oĂč il montrait comment et pourquoi l’empereur Ă©vadĂ© de Sainte-HĂ©lĂšne refusait ensuite de se manifester.

Partant, en sens inverse, de NapolĂ©on, et mĂȘme si je sais bien que le chiffre napolĂ©onien Ă©tait dans la pratique d'assez faible qualitĂ©, il y a des mots de lui qui m’ont fait penser Ă  Satoshi. Ainsi de « je lis toujours utile » car j’ai toujours pensĂ© que l’assembleur de Bitcoin avait dĂ» beaucoup amasser de savoir avant de les assembler. De mĂȘme pour « rien ne se fait que par calcul » et mieux encore « je calcule au pire » qui me semble convenir Ă  l’inventeur d’un systĂšme qui tient non sur nos vices (toute l’économie le fait) mais sur une plus faible rĂ©munĂ©ration de l’action vicieuse que de l’action conforme.

J'ai souri aussi en lisant « Il n’y a pas nĂ©cessitĂ© de dire ce que l’on a l’intention de faire dans le moment mĂȘme oĂč on le fait » et me suis demandĂ© si le jugement portĂ© sur l'un par le gĂ©nĂ©ral Bernard (le futur Vauban du nouveau monde) ne s'appliquerait pas aussi bien Ă  l'autre : « C'est peut-ĂȘtre la meilleure tĂȘte du siĂšcle, la mieux organisĂ©e. Il n'Ă©tait Ă©tranger Ă  rien, faisait tout par lui mĂȘme, il ne s'Ă©tait jamais confiĂ© Ă  personne qu'au moment de l'exĂ©cution, ayant toujours lui seul dĂ©libĂ©rĂ© et dĂ©cidĂ© de ce qui convenait le mieux ».

Au-delĂ  de ces quelques clignotants (car il ne s’agit pas pour moi, Ă©videmment, de comparer l’un des hommes les plus connus de l’histoire avec celui qui a effacĂ© presque toute trace de son existence terrestre) j’ai poursuivi ma propre expĂ©rience de pensĂ©e. Le bitcoineur qui aura le courage de me suivre entre 1815 et 1827 (j’ai donnĂ© quelques annĂ©es de vie supplĂ©mentaires Ă  mon hĂ©ros par vraisemblance et parce que c'Ă©tait utile Ă  mon rĂ©cit) retrouvera au fil des pages bien des histoires dĂ©jĂ  traitĂ©es ici : le thaler de Marie-ThĂ©rĂšse, la monnaie qui n’existait pas mais qui fit si peur au roi, la fantaisie obstinĂ©e de trois ou quatre faquins qui ont privĂ© le Louvre de trĂ©sors d’art Ă©gyptien. Il y trouvera une pique concernant l'Ă©conomie d'Aristote et des idĂ©es qui peuvent ĂȘtre les nĂŽtres : le mĂ©pris des billets sans encaisse ou le financement communautaire par exemple.

Le lecteur trouvera surtout dans mon rĂ©cit des rĂ©flexions qui peuvent ĂȘtre cruciales pour nous : sur la temporalitĂ©, sur la mass adoption et d'abord sur la souverainetĂ© et les limites d’une souverainetĂ© « personnelle » qui prĂ©occupe tant de bitcoineurs Ă  tendance fĂ©odale. NapolĂ©on, d’aprĂšs le TraitĂ© passĂ© avec ses vainqueurs en avril 1814 restait « empereur » mais il ne s’agissait plus que d’un titre honorifique viager. ConcrĂštement il n’était plus « souverain » et de maniĂšre pareillement viagĂšre que de l’üle d’Elbe. Petite robinsonnade : il « rĂ©gnait » sur un territoire 30 fois plus grand que le Liberland mais presqu’aussi dĂ©pourvu des infrastructures concrĂštes qui permettent l’exercice efficace de la souverainetĂ©.

Il se trouvait donc dans la situation inverse de celle qui faisait fantasmer Andrew Howard en dĂ©cembre dernier quand il imaginait des bitcoiners tellement riches qu’ils en deviendraient souverains de larges Ă©tendues de terre. NapolĂ©on restait souverain (et, mĂȘme vaincu, il conservait selon les notes de police un poids politique considĂ©rable en France et en Italie) mais il n’avait plus sous les bottes qu’une sous-prĂ©fecture 16 fois plus pauvre que la Corse voisine et un pĂ©cule (4 millions de francs-or) qui lui filait entre les doigts.

Or la souverainetĂ© ne consiste ni Ă  se pavaner sur un trĂŽne qui « n'est qu'une planche garnie de velours » (mot apocryphe) ni Ă  s’épargner les ingĂ©rences Ă©trangĂšres (en se faisant oublier sur l’üle d’Elbe ou sur quelque Ăźle artificielle) mais Ă  agir souverainement, concrĂštement, efficacement, sur le thĂ©Ăątre du monde. Il avait un exemple : le pape Pie VII, son ancien prisonnier, restaurĂ© dans ses États sans tirer un seul coup de feu et dont on disait, Ă  Londres mĂȘme, qu’aucun gĂ©nĂ©ral ne l’avait combattu aussi efficacement que le pape Ă  la tĂȘte de son Église.

NapolĂ©on dira Ă  Sainte-HĂ©lĂšne qu’il aurait pu sur l'Ăźle d'Elbe « inventer une souverainetĂ© d’un genre nouveau » et je me suis longuement interrogĂ© sur ce que ces mots pouvaient signifier. Il choisit finalement d’en revenir Ă  la forme antĂ©rieure et en perdit en cent jours toute apparence.

Ayant dĂ©cidĂ© que, dans mon rĂ©cit, il n’irait pas se faire Ă©craser Ă  Waterloo, je ne pensais pas qu’une courte sagesse consistant Ă  jardiner tranquillement sur son Ăźle aprĂšs l’avoir un peu mieux fortifiĂ©e fournirait une matiĂšre suffisante Ă  mon livre. Il fallait d’abord que, sans rentrer en France, il pose un acte souverain de nature Ă  desserrer les contraintes (financiĂšres) et les menaces (militaires) qui pesaient sur sa misĂ©rable principautĂ© et puis ensuite qu’il continue d’agir Ă  la mesure, jusque-lĂ  prodigieuse, de son imagination et de son activitĂ©.

Plus facile Ă  dire qu’à Ă©crire. Les historiens normaux, universitaires, mĂ©prisaient traditionnellement les « uchronies » jusqu’à ce que certains ne confessent que « l’histoire contrefactuelle » est aussi un puissant outil pour comprendre l’histoire tout court. Car tout, si l’on est honnĂȘte et factuel, ramĂšne Ă  la contrainte de rĂ©alitĂ© qui est incommensurable par rapport Ă  ce que l’on appelle pompeusement le « volontarisme politique » et qui est bien plus proche de l’imagination romanesque que ne le croient les « dirigeants ».

Admettons donc que NapolĂ©on ne bouge pas de sa « petite bicoque », tolĂ©rĂ© dans son coin de MĂ©diterranĂ©e et qu’il trouve le moyen de s’y fortifier, de s’y dĂ©fendre, d’y vivre en petit prince et d’y poursuivre ses rĂȘves. Ce n’est pas donnĂ© (et tout le dĂ©but de mon ouvrage vise en gros Ă  tracer les manƓuvres qui le lui ont permis dans mon univers virtuel) mais une fois ceci obtenu le reste du monde change-t-il ? Oui et non. Notez que la question se pose aussi pour Bitcoin : admettons qu’il arrive Ă  un point oĂč nul ne peut le dĂ©truire, l’interdire ou le contraindre, et qu’il soit reconnu comme une monnaie « comme les autres » : le reste du monde change-t-il radicalement ou seulement Ă  la marge ?

Personne, donc, ne va mourir Ă  Waterloo, ni mĂȘme errer comme Fabrice Del Dongo sur ce champ de bataille qui va hanter durablement l'Ăąme française. Il n’y aura ni « terreur blanche » ni « chambre introuvable » ; des centaines d’hommes politiques ne feront pas les girouettes, les anciens rĂ©gicides ne seront pas exilĂ©s et Nathan Rothschild ne fera pas de bon coup en Bourse sur ce coup-lĂ .

La France en restera au TraitĂ© de Paris signĂ© en 1814, une paix entre rois qui sent encore l'ancien rĂ©gime, et ne sera pas acculĂ©e au dĂ©sastreux TraitĂ© de Paris de 1815 qui annonce bien davantage les paix des vainqueurs que connaĂźtra le siĂšcle suivant ; elle ne versera pas 2 milliards de francs-or d’indemnitĂ©, Nice et la Savoie resteront françaises, comme quelques places fortes sur les frontiĂšres belge et allemande, que nous ne rĂ©cupĂ©rerons jamais celles-lĂ . Plus de 2000 tableaux resteront suspendus aux cimaises du Louvre et les Chevaux de Saint-Marc perchĂ©s sur l'Arc du Carrousel.

La légitimité du régime politique de la Restauration ne sera pas si sauvagement compromise ni la séculaire prétention française à la suprématie européenne si tragiquement enterrée. La démographie française ne plongera pas.

Pourtant la contrainte du rĂ©el restera forte et continuera de s’imposer Ă  NapolĂ©on sur son Ăźle mĂ©diterranĂ©enne comme Ă  l’auteur sur son clavier : Metternich et Castlereagh ont toujours un agenda rĂ©actionnaire, les Italiens veulent toujours chasser les Autrichiens, que les Prussiens regardent toujours comme un obstacle Ă  leurs ambitions, les AmĂ©ricains et les Anglais sont toujours dĂ©cidĂ©s Ă  corriger les Barbaresques et ceux-ci sĂšment toujours la terreur en MĂ©diterranĂ©e, l’AmĂ©rique du Sud veut toujours se libĂ©rer de l’Espagne. Et puis, bien sĂ»r, le Tambora explose Ă  la mĂȘme minute dans l’histoire et dans mon rĂ©cit, qui connaissent tous deux une annĂ©e sans Ă©tĂ©.

Pour construire ce que j’ai appelĂ© un « rĂ©cit » plutĂŽt qu’un roman, j’ai donc d’abord essayĂ© d’imaginer le moins possible. J'ai voulu partir des faits, des situations, des coĂŻncidences. J’ai moins relu les historiens (qui expliquent ce qui s’est passĂ© tellement finement qu’on en conclut que cela ne pouvait que se passer) que les tĂ©moins : correspondances et mĂ©moires livrent les « petits faits vrais » dont parlait Stendhal, des coĂŻncidences, des traces d’évĂ©nements oubliĂ©s. J’ai aussi passĂ© des heures dans les catalogues de ventes publiques consacrĂ©es aux autographes ou aux reliques napolĂ©oniennes. Mes lecteurs connaissent mon goĂ»t des reliques, ces objets fĂ©tiches.

AprĂšs cela (osons le dire) j'ai, comme Satoshi, moi-mĂȘme agencĂ©. Parce que le problĂšme posĂ© Ă  NapolĂ©on enfermĂ©, appauvri et menacĂ© sur son Ăźle Ă©voque un peu un triangle d’incompatibilitĂ©.

Comme je le dis en introduction de mon livre, tous les faits prĂ©cisĂ©ment datĂ©s et antĂ©rieurs au 26 fĂ©vrier 1815 Ă  dix-huit heures sont exacts et de façon surprenante, bon nombre de faits ultĂ©rieurs le sont Ă©galement. Tous les personnages nommĂ©s ou seulement dĂ©signĂ©s par un nom de lieu ont rĂ©ellement existĂ©, mĂȘme si certains sont demeurĂ©s parfaitement inconnus. Enfin de nombreux propos et Ă©crits, empruntĂ©s Ă  des sources crĂ©dibles, sont littĂ©ralement reproduits mĂȘme si je les ai rĂ©agencĂ©s dans le temps pour les besoins de mon rĂ©cit.

Contrairement Ă  tous les historiens qui accumulent les faits pour montrer que NapolĂ©on Ă©tait pris au piĂšge – ou plutĂŽt aux piĂšges – et que seul demeure encore obscur le point de savoir si ceux qui avaient tendu ces rets ne furent pas eux-mĂȘmes un peu surpris de l’évĂ©nement, j’ai montrĂ© qu’un certain agencement de faits et d’effets lui offrait l’occasion des « soudaines inspirations qui dĂ©concertent par des ressources inespĂ©rĂ©es les plus savantes combinaisons de l’ennemi » comme on l’avait dit une vingtaine d’annĂ©es plus tĂŽt en Italie.

Une fois rĂ©ussies la sortie de l’histoire et l’entrĂ© dans le rĂ©cit, j’ai tenu Ă  ce que celui-ci demeure historiquement crĂ©dible, donc sans odyssĂ©e conquĂ©rante Ă  travers l'Orient, l'Asie et jusqu'Ă  la Chine comme dans ce qui est considĂ©rĂ© comme la premiĂšre uchronie de l’histoire, celle de Geoffroy-ChĂąteau en 1836). J'ai voulu aussi que mon rĂ©cit s’inscrive dans une temporalitĂ© rĂ©aliste, dans une temporalitĂ© du post hoc ergo propter hoc que connaissent bien ceux qui comprennent la blockchain.

Le systĂšme de contraintes a Ă©tĂ© desserrĂ©, mais elles demeurent. Inversement le geste de NapolĂ©on au point de divergence crĂ©e une premiĂšre onde de choc, diffĂ©rente de celle suscitĂ©e par son retour, mais non nĂ©gligeable : il ne fait pas rien, mais autre chose. Il agit sans lutter. L’onde de l’évĂ©nement alternatif se propage dans le temps du rĂ©cit, avec les rĂ©actions des divers acteurs. Elle est suivie d’autres initiatives de NapolĂ©on, anticipant ou rĂ©agissant Ă  d’autres faits historiques : la piraterie des barbaresques, l’insurrection de l’AmĂ©rique latine, la revendication dans de nombreux pays d'un gouvernement constitutionnel, etc.

Ce second temps du rĂ©cit est, pour qui tente d’imaginer l’histoire, aussi difficile que pour qui tente de deviner le futur (chose que l’on demande toujours niaisement Ă  l’historien). Comme je l’avais fait pour Bitcoin, j’ai rĂ©flĂ©chi en termes de mĂ©tamorphoses. NapolĂ©on est un camĂ©lĂ©on, les peintres l’ont bien montrĂ© et de son vivant mĂȘme on a dit qu’il y avait plusieurs hommes, ou qu’un grenadier avait pris sa place aprĂšs sa mort en Russie.

J’ai fait un choix. Saisissant NapolĂ©on au moment oĂč il est dĂ©sarmĂ©, les plus hauts faits que j’aborde sont ceux qui n’auront pas lieu. Parce que dĂ©libĂ©rĂ©ment « mon » NapolĂ©on est un ĂȘtre de raison qui renonce Ă  l’aventure. Il l’avait dit Ă  Caulaincourt en 1812, qu'il n'Ă©tait pas « un Don Quichotte qui a besoin de quĂȘter les aventures ». Il dĂ©cide de revenir Ă  son personnage, le seul qui puisse « dĂ©passer NapolĂ©on » : Bonaparte, le pacificateur et lĂ©gislateur. Mon NapolĂ©on est donc conforme Ă  ce que l’on disait de lui avant le Sacre, le « plus civil des gĂ©nĂ©raux ». Et pour dire les choses crĂ»ment, il penche non seulement pour la paix mais aussi pour les « idĂ©es du siĂšcle » et non vers les fastes et « les prĂ©jugĂ©s gothiques ».

Cette Ă©volution n’est pas totalement un choix arbitraire ou complaisant de ma part. C’est celle que le prisonnier de Sainte-HĂ©lĂšne a rĂ©ussi Ă  suggĂ©rer, posant au Messie de la RĂ©volution. Seulement, au lieu de dire ce qu’il « aurait pu » ou ce qu’il « voulait » faire, il le fait dans la mesure de ses moyens. Au lieu de cĂ©der Ă  ce que l’historien contemporain Emmanuel de Waresquiel dĂ©crit comme « la tentation de l’impossible » en 1815, il tente ce qui est possible de 1815 Ă  sa mort.

Évidemment, il y a la tĂąche du rĂ©tablissement de l’esclavage. S'intĂ©resser Ă  NapolĂ©on est-il dĂšs lors une faute morale ?

À Sainte-HĂ©lĂšne, peut-ĂȘtre du fait de la frĂ©quentation de l'esclave Toby qu'il voulut racheter, comme dans mon rĂ©cit, NapolĂ©on est conscient de la tĂąche, et moi aussi, bien sĂ»r. Insuffisamment Ă©voquĂ©e jadis (on lui a bien plus reprochĂ© l’exĂ©cution du duc d’Enghien) elle obnubile aujourd’hui pratiquement toute l’épopĂ©e et condamne le hĂ©ros au bannissement en 140 signes : on ne peut pas, on ne doit pas s’intĂ©resser Ă  quelqu’un qui a commis cela. L'acte est nul : le personnage doit l'ĂȘtre Ă©galement.

Brisons l'idole... mais cela a déjà été fait, et pas qu'un peu. Et toujours en vain.

L’une de ses plus violentes ennemies, la reine de Sicile (sƓur de Marie-Antoinette) le considĂ©rait pourtant Ă  la fois comme « l’Attila, le flĂ©au de l’Italie » et comme « le plus grand homme que les siĂšcles aient jamais produit ». Nous ne semblons plus capables d’ambivalence : Ridley Scott le prĂ©sente comme un minus, l’Ɠil vide, dominĂ© par sa femme ou par les Ă©vĂ©nements. C'est peu crĂ©dible, mais un autoritaire belliqueux ne mĂ©ritent guĂšre d'Ă©gards posthumes. C’est ainsi l’opinion courante sur X, hors quelques chapelles bonapartistes dont les dĂ©vots caricaturaux ne perçoivent la lumiĂšre qu’au travers de vitraux trop chamarrĂ©s. Il faut Ă©chapper Ă  ces courtes vues.

Je me demande souvent (et on a senti un petit frisson au moment du rĂ©cent teasing de HBO) ce que les bitcoineurs diraient de Satoshi s’ils apprenaient qu’il battait sa femme, sĂ©questrait sa domestique philippine ou avait violĂ© son neveu ? Le Bitcoin fonctionnerait-il moins bien si Satoshi n'Ă©tait pas un smart guy ou seulement s'il n'Ă©tait pas adepte de l'Ă©conomie autrichienne ?

Passant ainsi, par posture morale, Ă  cĂŽtĂ© du « plus grand homme du plus grand peuple » comme l’écrivit plus tard son frĂšre aĂźnĂ©, le risque est grand de passer aussi Ă  cĂŽtĂ© de ces trĂšs grands hommes que furent ceux qui le servirent. Car presque tous le servirent, comme le remarqua tout de suite l’impertinent Rivarol (mort en 1801) : « ils le servent au lieu de s’en dĂ©faire ». Et pas seulement des sabreurs : depuis l’incroyable entreprise scientifique que fut l’expĂ©dition d’Égypte jusqu’aux derniĂšres heures aprĂšs Waterloo, il fut entourĂ© de savants comme Monge, ContĂ©, Laplace, Chaptal, LacĂ©pĂšde, Fourier.


Ce dernier joue un certain rĂŽle dans mon rĂ©cit. Imaginerait-on, aujourd’hui, un prĂ©fet capable d’inventer un outil mathĂ©matique, de travailler sur la thĂ©orie analytique de la chaleur, de formuler, le premier, l’hypothĂšse de l’effet de serre tout en recevant la belle sociĂ©tĂ© et en protĂ©geant le jeune gĂ©nie qui allait dĂ©chiffrer les hiĂ©roglyphes ?

Oublier volontairement NapolĂ©on, c’est oublier les Français durant 15 ans. Et mĂȘme, puisqu’on ne va pas non plus cĂ©lĂ©brer les rois qui le suivirent, on en vient Ă  se rĂ©veiller miraculeusement en 1848 (avec enfin l’abolition de l’esclavage) sans trop s’appesantir sur le destin qui conduit de nouveau la RĂ©publique et la France sous la coupe d’un Bonaparte. DĂ©cidĂ©ment, mieux vaut lire l’histoire dans Marx que sur X. En arrĂȘtant Ă  Brumaire (voire Ă  Thermidor) la marche de l’Histoire telle qu’on rĂȘverait (aujourd’hui) qu’elle ait Ă©tĂ©, on fait passer Ă  la trappe un demi-siĂšcle de la vie des Français et l’aventure de la plus Ă©tonnante gĂ©nĂ©ration de nos ancĂȘtres, ceux qui comme NapolĂ©on Bonaparte avaient 20 ans en 1789.

Quel sens donner à l’aventure que j’imagine ?

La dĂ©faite de 1814 et la Restauration avaient dĂ©barrassĂ© NapolĂ©on de pas mal d’illusions et de la plus grande partie de la vermine d’Ancien RĂ©gime qu’il avait eu le grand tort de croire ralliĂ©e. Je ne pense donc pas avoir cĂ©dĂ© Ă  une passion personnelle en supposant que, dans la nouvelle Ăšre que mon rĂ©cit permet, NapolĂ©on devait de nouveau s’appuyer sur les « bleus » contre la France « blanche » et la « Sainte-Alliance », sur des savants contre les notables, sur des jeunes ardents contre les fatiguĂ©s.

Talleyrand le lui avait (peut-ĂȘtre) dit : on peut tout faire avec des baĂŻonnettes, sauf s’asseoir dessus. PrivĂ© d’armements et donc de l’ultima ratio regum, il ne lui reste que ce que les plus intelligents de ses ennemis lui reconnaissent : sa prodigieuse capacitĂ© de calcul, son instinct stratĂ©gique, son coup d’Ɠil tactique mais aussi ce que ses vrais vainqueurs, le tsar et le pape lui ont appris : reculer, user la force de l’ennemi ou mĂȘme s’en servir, et souvent attendre. Pour me couler dans cela, j’ai aussi dĂ» affronter l’une des grandes questions qui agitent les bitcoineurs, la « temporalitĂ© ».

Bonaparte, tout au long de sa carriÚre, gÚre une « mass adoption »

Il déclare aprÚs Brumaire que « la Révolution est fixée aux principes qui l'ont commencée : elle est finie ». Ce mot, qui a tant plu et rassuré alors, lui est aujourd'hui reproché par les belles ùmes.

Quels qu’aient Ă©tĂ© ses choix ensuite, y compris la fĂącheuse dĂ©cision d’enlever les mots « RĂ©publique française » des monnaies 5 ans (quand mĂȘme) aprĂšs son sacre, il n’a jamais souhaitĂ© revenir sur la RĂ©volution. Il disait seulement, Ă  sa façon, en avoir clos ce que LĂ©nine aurait peut-ĂȘtre appelĂ© la maladie infantile : « J'ai refermĂ© le gouffre de l'anarchie et dĂ©brouillĂ© le chaos ». Quinze ans de consolidation, essentiellement juridique, des « immortels principes » grĂące aux fameux Codes et puis la France se retrouve, sans lui et sans son despotisme, en monarchie certes constitutionnelle mais Ă  forte tentation rĂ©actionnaire.


Encore faudrait-il mesurer la vitesse de percolation. Il y a une anecdote savoureuse, rapportĂ©e par un tĂ©moin occulaire (le trĂ©sorier Peyrusse) et collationnĂ©e par Thiers dont je colle ici l'extrait. C'est, lors du  vol de l'Aigle  (je n'ai donc Ă©videmment pas pu la reprendre dans mon rĂ©cit) la rencontre avec une gardienne de vaches, dans les Alpes, qui ne sait mĂȘme pas qu'Ă  Paris, le roi a, depuis dix mois, remplacĂ© l'Empereur, qui se tient devant elle dans sa masure... et en sort « tout pensif » !

La « mass adoption » des idées nouvelles semble avoir été bien lente, en mettant le T=0 à la nuit du 4 août.

Qu'en sera-t-il pour celle que l'on ferait courir du 1er novembre 2008 ? J’ai citĂ© l’an passĂ© Ă  Biarritz un texte de Aleksandar Svetski, fondateur du Bitcoin Times dans lequel il notait que les bitcoiners ont une tendance Ă  surestimer la vitesse avec laquelle Bitcoin va envahir le monde et devenir une monnaie largement acceptĂ©e. Notamment parce que, considĂ©rant celui-ci sous l'angle pratique et technologique, ils Ă©tablissent des comparaisons avec l'adoption de techniques disruptives antĂ©rieures. Il rappelait qu'avec Bitcoin, le jeu Ă©tait aussi politique et culturel : on joue ici avec les plus grands enjeux, pour les plus grands gains, contre les plus grands ennemis - Ă  la fois externes et internes; on se bat Ă  la fois contre l'establishment et contre les cultures dans lesquelles nous avons nous-mĂȘmes (encore pour bon nombre) Ă©tĂ© Ă©levĂ©s.

Telle est probablement la situation de la société française en 1815. On verra qu'avec malice, j'ai fait en sorte que la « non-action » accélÚre la marche de l'Idée.

Si la vie m'en laisse le temps et si je trouve des Ă©diteurs, mes prochaines publications ne concerneront toujours pas Bitcoin mais resteront virtuelles puisqu'il pourrait s'agir... de femmes qui, de toute leur vie, n'ont laissĂ© qu'une seule trace, ou d'un homme qui en a laissĂ© une, mais sans avoir jamais existĂ©. Et il ne sera plus question de l'Empereur, c'est promis ! Je resterai tel que j'ai tentĂ© de me dĂ©finir un jour : un  historien local, rĂȘveur et virtuel .

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76 - Nolite te auctoritates...

By: Jacques Favier —

dame de coeur d'aprĂšs une crĂ©ation d'EstarisBitcoin serait toujours un truc de geek et dans la pratique un truc de mec. Si bien des Ă©vidences factuelles tendent Ă  le faire croire, je suis de ceux qui pensent depuis longtemps que la prĂ©sence fĂ©minine doit ĂȘtre recherchĂ©e et valorisĂ©e, et que l'excuse commode selon laquelle il y a traditionnellement peu de copines passionnĂ©es par la technologie est fausse et dangereuse Ă  plus d'un titre.

Au-delĂ  d'un point de principe - la techno comme la monnaie sont affaires de tous - je pense qu'une dĂ©marche spĂ©cifiquement fĂ©minine doit ĂȘtre mise en valeur en ce qui concerne l'usage des monnaies dĂ©centralisĂ©es, ou plutĂŽt que la rĂ©flexion menĂ©e depuis plus de deux siĂšcles par les femmes pour construire leur Ă©mancipation est potentiellement riche d'enseignements pour ceux qui veulent inventer une monnaie sans sujĂ©tion.

Commençons par ce qui est un peu trivial. MĂȘme si les choses s'amĂ©liorent (oh combien lentement) il y a encore bien trop peu de jeunes femmes dans les hackatons, dans les amphis ou dans les auditoires de nos confĂ©rences, dans nos forums et dans les meet-up de notre CommunautĂ©.

Au début de certains repas du Coin il m'arrive de préciser que notre but n'a jamais été de former un gentlemen's club. Malgré des invitations largement lancées en direction des amies ou des profils féminins rencontrés au cours de nos diverses activités, il n'est pas toujours possible d'avoir une convive par table. Pourtant, les attitudes justement dénoncées par un article récent du NYT n'ont pas cours dans nos événements et celles qui nous fréquentent semblent apprécier ces rencontres.

Je ne crois pas que les femmes soient moins intéressées par la technologie. Serait-ce pourtant le cas qu'il resterait le point de savoir si elles sont moins intéressées par la monnaie et le paiement.

Une Ă©tude dĂ©jĂ  ancienne de CoinDesk cherchant qui Ă©taient, en juin 2015, les utilisateurs de bitcoin rĂ©pondait qu’ils Ă©taient jeunes (25 Ă  34 ans), pale, techie and male (Ă  90%). MalgrĂ© l'explosion du nombre de bitcoineurs au niveau mondial, les (rares) Ă©tudes sur ce thĂšme ne permettent pas de percevoir une rĂ©elle amĂ©lioration, certaines affichant un taux extrĂȘmement inquiĂ©tant de 4% de femmes seulement. Une chronique canadienne sur CBC s'en est rĂ©cemment Ă©mue, souligant que cela pouvait rĂ©ellement constituer un signe inquiĂ©tant.

Le poids des femmes (courses alimentaires quotidiennes et « shopping » festif) est Ă©norme dans les actes d’achats, surtout en transactions unitaires. Avec ou sans Lightning Network, Bitcoin ne sera pas une monnaie sans les femmes.

Venons-en à ce qui touche au changement paradigmatique que constitue Bitcoin. Il y a un rapport profond, aussi ancien que l'Humanité, entre la monnaie et la langue. Or certains linguistes, comme Gretchen McCulloch, l'écrivait en 2015, pensent que ce sont les filles (jeunes) qui inventent et renouvÚlent la langue, créant jusqu'à 90% des innovations. Parce que, comme l'avancent Deborah Cameron et d'autres, elles auraient une plus grande sensibilité sociale, des réseaux plus étendus, voire un avantage neurobiologique en la matiÚre. Si tout cela est vrai, sans jeunes femmes parmi nous, Bitcoin pourrait se retrouver un jour vieux sans avoir jamais été adulte.

Marie Laurencin

Il y a cependant des relations bien plus profondes entre celles et ceux qui supportent Bitcoin et pensent que les monnaies décentralisées sont une part de leur liberté, et les femmes qui ont lutté pour leur émancipation et savent que cette lutte ne s'est point achevée en un glorieux jour de proclamation.

Nous avons tous entendu cent fois que les femmes ont dĂ» attendre jusqu'en 1965 pour avoir un compte en banque (sans l'autorisation de leur mari) et Ă  dire vrai cela me fait toujours sourire. Parce que ce poncif suggĂšre qu'elles attendaient cela depuis des siĂšcles. Il y a fort Ă  parier qu'elles n'ont attendu que quelques annĂ©es, et qu'en 1965 bien des maris n'avaient pas eux-mĂȘmes de chĂ©quier : la bancarisation massive dĂ©bute plutĂŽt vers 1967. D'autre part (et mĂȘme si la loi de 1965 donne aux femmes d'autres libertĂ©s) cela assimile le fait d'avoir un compte en banque (et non des espĂšces dans sa poche) Ă  une forme de libertĂ©. Ce qui mĂ©riterait examen. Et il pourrait y avoir bien plus grave !

The Handmaid's taleEn 1985, la romanciÚre et universitaire canadienne Margaret Atwood écrivait son roman The Handmaid's Tale qui met en scÚne un futur dystopique épouvantable dans lequel les Etats-Unis vivent un cauchemar théocratique de type wahhabite mùtiné d'enfer policier façon URSS. Avec un petit avant-goût prophétique de Patriot Act. Le sort des femmes y est particuliÚrement horrible.

Ce livre d'anticipation qui ignore les téléphones mobiles ou Internet est pourtant devenu un roman-culte de la cause féministe et a été récemment brandi dans de nombreuses manifestations hostiles à la remise en cause des droits des femmes par le président Trump, puis porté à l'écran en 2017 dans une série télévisée (en français La servante écarlate).

Voici un court extrait montrant comment, concrĂštement, un piĂšge peut se refermer sur les femmes, mais aussi sur les ennemis, sur les autres. Ou sur vous.

Et la formule latine qui sert de titre à mon billet ? Les curieux liront (note en bas de page) ce que signifient, ou ne signifient pas, les quelques mots latins que l'héroïne trouve dans un recoin de sa geÎle, inscrits comme un message secret. Ceux qui ont déjà suivi la série comprendront ce que je veux dire : Ne laissez pas les autorités vous ...

Une formule de Simone de Beauvoir devrait ĂȘtre mĂ©ditĂ©e par tous ceux (hommes et femmes) qui refusent la forme spĂ©cifique de sujĂ©tion quotidienne et de censure potentielle que reprĂ©sente la monnaie administrĂ©e et centralisĂ©e : « N'oubliez jamais qu'il suffira d'une crise politique, Ă©conomique ou religieuse pour que les droits des femmes soient remis en question. Ces droits ne sont jamais acquis. Vous devrez rester vigilantes votre vie durant. »

Ce que les femmes nous rappellent, c'est que nos droits ne sont jamais acquis. Une autre figure « féministe », Léon Blum, était également un grand inquiet sur le chapitre de la pérennité de nos libertés. Comme la grenouille dans l'eau qui chauffe, nous nous endormons bercés par les discours sur nos valeurs républicaines, notre civilisation et notre état de droit. Nolite te auctoritates...

Blum

Pour aller plus loin, sur le mock latin de Margaret Atwood :

mĂȘme pas latiniste

  • voir ici en anglais l'histoire de cette Ă©trange formule, avec une interview d'un universitaire de Cornell University par Vanity Fair...
  • et lĂ  en français un article de haute linguistique d'une universitaire lilloise !
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72 - Pipeau

By: Jacques Favier —

pour Adli

Le temps de NoĂ«l est celui oĂč l'on raconte aux enfants des histoires, notamment des histoires de marchandises arrivĂ©es jusqu'Ă  eux sans qu'ils aient la moindre conscience d'un paiement, ce qui est aujourd'hui l'ambition ultime de tout le commerce. Comme je l'ai notĂ© rĂ©cemment, les Ă©conomistes aussi racontent facilement des histoires, moins pour illustrer leurs thĂ©ories sur la monnaie, l'investissement ou la dette que pour asseoir dans l'esprit du citoyen des fragments d'un discours de domination. Les tulipes, et les autres histoires des Ă©conomistes sont des paraboles issues d'un fait historique mineur ou incertain, voire faux, mais qui est passĂ© de livre en livre en changeant de signification selon les besoins des siĂšcles, avec cependant une constante : ces histoires servent toujours Ă  faire la leçon.

des histoires pour les enfants

En ce sens, elles sont exactement comme les contes et les légendes que de siÚcle en siÚcle on a racontés aux enfants. Il y en a une que j'ai toujours adorée, et que je me suis amusé à décortiquer ici, c'est celle du Joueur de flûte de Hamelin. Une histoire de promesses non tenues, d'incertitude sur la monnaie, de séduction et de mensonge.

S'agit-il vraiment d'une vieille lĂ©gende ? Avant d'aborder le fait historique prĂ©cis qui serait intervenu un jour il y a fort longtemps dans une petite ville de Basse-Saxe, puis d'en venir en fin de texte Ă  Bitcoin, j'ai songĂ© que le dĂ©licieux PĂšre Castor rappellerait Ă  nombre de mes lecteurs leur petite enfance, et aux plus ĂągĂ©s leurs joies de jeunes parents. Autant replonger un instant dans les joies de l'enfance, mĂȘme s'il ne s'agit pas forcĂ©ment d'enfants ici.

Revenons à l'histoire, car c'en est une, en ce sens qu'il y a quelque chose qui est vraiment arrivé.

d'aprĂšs un vitrail de l'Ă©glise d'Hamelin, gravure de 1592Un manuscrit du milieu du 15Ăšme siĂšcle le rapporte sans fioriture:  en 1284 le jour des saints Pierre et Paul, le 26 juin, 130 enfants nĂ©s Ă  Hamelin furent emmenĂ©s par un joueur de flĂ»te au vĂȘtement multicolore jusqu'au Calvaire prĂšs de la Colline et ils furent perdus . Un vitrail disparu de l'Ă©glise d'Hamelin figurait la scĂšne, dont une copie fut heureusement dessinĂ©e vers la fin du 16Ăšme siĂšcle.

Au 16Ăšme on Ă©mit l'hypothĂšse que ce flutiste pouvait ĂȘtre Pan, ou le Diable. Les rats enrichirent ce qui devenait une lĂ©gende. Mais l'humanisme critique Ă©tait Ă©galement Ă  l'Ɠuvre : on vit plus tard Ă©mettre l'idĂ©e que les enfants seraient en rĂ©alitĂ© des pauvres, sans doute Ă©migrĂ©s en Transylvanie. Telle sera l'opinion des frĂšres Grimm, qui compilĂšrent une bonne dizaine de sources.

L'antique lĂ©gende telle qu'on la rapporte aux enfants ne date donc pour l'essentiel que du 19Ăšme siĂšcle ! Sur ce que peuvent symboliser les costumes du mystĂ©rieux musicien (vert puis rouge), les rats, les enfants ou la colline, il existe une littĂ©rature interprĂ©tative trop importante pour que je puisse seulement tenter de la rĂ©sumer. Le mythe s'avĂšre bien plus fĂ©cond que celui des tulipes, forgĂ© en gros Ă  la mĂȘme Ă©poque. Les histoires d'Ă©conomistes sont finalement bien... pauvres !

Voici ce qui attire mon attention. Le musicien d'Hamelin n'est pas un joueur de flûte pour faire danser les villageois, c'est un joueur de pipeau, on dit aussi d'appeau. Son savoir-faire est de piper, c'est à dire tromper les oiseaux comme on dit aussi piper les cartes au jeu. En anglais on l'appelle d'ailleurs the pied piper, le pipeur bigarré. Pour autant, peut-on dire qu'il triche ?

Le joueur d'Hamelin ne triche pas. Il séduit. C'est le bourgmestre (l'autorité) qui triche et ment. En matiÚre de monnaie, ce n'est pas une premiÚre...

Ce qui m'a mis la puce à l'oreille c'est la subsititution des kreutzers aux florins initialement promis. Je me promettais de faire un peu de numismatique. Seulement... on ne trouve rien sur ce point dans les chroniques qui ont fondé la légende !

  • Dans le plus ancien rĂ©cit anglais, celui du flamand Verstegan (1605) il est dit que l'accord se fit, mais qu'ensuite on argua de ce que nul ne croyait alors la chose possible, et qu'aprĂšs coup on lui donna farre lesse.
  • Un autre rĂ©cite anglais, celui de Nathaniel Wanley (1687) ne donne aucune prĂ©cision : la promesse a Ă©tĂ© faite upon a certain rate et ensuite quand le ''piper" demande ses gages il se les voit refuser.
  • Dans le texte des frĂšres Grimm, qui fait aujourd'hui figure de texte canonique, la chose n'est pas mieux prĂ©cisĂ©e.
  • florins de Florence et StrasbourgC'est finalement chez le romantique anglais Robert Browning que les premiĂšres prĂ©cisions apparraissent. Dans son Pied Piper of Hamelin, le joueur demande 1000 guilders (au vers 95) mais on lui dit ensuite que c'Ă©tait in joke et on ne lui propose aprĂšs coup que 50 (aux vers 155 Ă  173). Mais on ne roule encore le malheureux joueur que sur la quantitĂ© de monnaie, non sur sa qualitĂ©. Ces guilders, en allemand gulden, sont le nom gĂ©nĂ©rique de piĂšces d'or qu'on appelle "florins du Rhin", depuis que la ville de Florence en a initiĂ© la frappe en 1252. On voit ici un de ces florins Ă  fleur de lys de Florence, et en dessous un "florin" de Strabourg, que j'ai choisi pour plaire Ă  Jean-Luc, histoire qu'il continue Ă  relayer mes petits dĂ©lires. Revenons Ă  Browning : il a considĂ©rablement Ă©toffĂ© le rĂ©cit, et c'est de lui que vont partir au 20Ăšme siĂšcle les auteurs pour la jeunesse.
  • Dans la Librairie rose de 1913Dans un petit album de la Librairie rose de Larousse, publiĂ© en 1913, avec un texte  adaptĂ© de l'anglais  par un professeur de l'Ă©cole normale d'Amiens, MF Gillard, le rĂ©cit se fonde clairement sur le poĂšme de Browning. Mais les 1000 gulden promis deviennent 1000 couronnes, et ce qu'on offre au joueur ce sont 100 marcs. Ces indications n'ont pas grand sens : la couronne ne peut faire rĂ©fĂ©rence Ă  aucune monnaie mĂ©diĂ©vale prĂ©cise (et surtout pas d'or!). Quant au marc, c'est une mesure de poids dont l'adoption comme nom de monnaie est trĂšs postĂ©rieure Ă  l'Ă©poque des faits narrĂ©s. Couronnes et marcs sont en 1913 des mots "contemporains". Ceci indique qu'ils ont au moins un sens pour les contemporains.


florin de Lubeck, milieu 14Ăšme siĂšcleCurieusement donc, c'est dans le rĂ©cit que Paul Gayet-TancrĂšde alias Samivel (1907-1992), rĂ©dige et illustre en 1948 pour la sĂ©rie des Albums du PĂšre Castor que l'on trouve reprise l'idĂ©e d'un parjure du bourgmestre jouant sur deux monnaies diffĂ©rentes de l'Ă©poque... Ă  condition de ne pas ĂȘtre trop exigeant sur les dates. Si l'Ă©pisode de Hamelin se situe en 1284, il peut y avoir des florins en circulation. En voici un Ă©mis Ă  Lubeck, ville hansĂ©atique comme Hamelin, au milieu du 14Ăšme siĂšcle. Pour le Kreuzer, la vĂ©ritĂ© oblige Ă  dire qu'il ne circule guĂšre avant le 16Ăšme.

Quel est le rapport de l'une à l'autre piÚce ? Difficile à dire. A Strasbourg, quand les deux monnaies circuleront, soit sensiblement plus tard (disons vers le 18Úme siÚcle) le rapport est de 1 à 60. Au fait, la ville de Hamelin a bien émis sa monnaie. En voici un thaler d'argent frappé vers 1555.

le thaler dee Hamelin en 1555

C'est donc Samivel, juste aprÚs Bretton Woods, qui introduit cette tension monnaie forte / monnaie faible et la met en rapport de façon trÚs graphique avec le couple que forment les enfants et les rats.

illustrations Samivel 1948

Et Bitcoin, dans tout ça ? A mon tour de faire comme Jean-Marc Daniel et consorts, de faire servir le mythe à mon propos !

AprĂšs la crise de 2008 comme en 1948 aprĂšs guerre, il y a Ă  la fois trop de peurs (les rats) et trop de monnaie douteuse en circulation. La planche Ă  billet ou le QE, c'est toujours un mensonge pour soigner d'autres plaies. Le bourgmestre triche. Non qu'il ne possĂšde pas d'or, mais qu'il veut le garder. Il y a de la monnaie d'or pour les uns (la monnaie banque centrale rĂ©servĂ©e aux banques elles-mĂȘmes et Ă  laquelle nous avons de moins en moins accĂšs) et la monnaie en mĂ©tal moins prĂ©cieux (la parole des banquiers) pour les petites gens...

Passons au Pipeur. Son métier, je l'ai dit, c'est de séduire. Les gens ont un problÚme, et lui a la solution. On appelle cela un consultant, de nos jours. Le consultant a deux enjeux : proposer une solution qui plaise (fût-ce en ne touchant surtout pas au problÚme) et ... se faire payer. Mes amis se reconnaitront aisément.

J'avoue donc qu'il m'est arrivĂ© de songer Ă  Hamelin du temps oĂč l'on vantait Ă  toute heure la  technologie Blockchain ... Tous ces banquiers assis sur leur monnaie, mais incapables d'en cĂ©der trois rondelles pour entendre la vĂ©ritĂ© sur Bitcoin, furent si prompts Ă  suivre n'importe quelle petite musique promettant, grĂące Ă   la technologie qui est derriĂšre  encore des Ă©conomies, encore des bĂ©nĂ©fices.

Et on ne les revit jamais, jamais dit le petit dessin animĂ©. Pas sĂ»r. Samivel aprĂšs d'autres laisse supposer qu'ils sont arrivĂ©s quelque part sous la montagne (on dirait aujourd'hui just in the middle of nowhere) oĂč ils se repaissent de la petite musique. La Blockchain sans jeton et sans ouverture s'est avĂ©rĂ©e ĂȘtre une grotte oĂč les POC tournent, tournent, tournent...

samivel 5

Pour aller plus loin :

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67 - Les histoires des Ă©conomistes

By: Jacques Favier —

Pour Jean-Luc

Les Ă©conomistes, quand ils s'adressent Ă  un auditoire auquel ils supposent une intelligence limitĂ©e, aiment Ă  invoquer l'Histoire. En soi, il n'y aurait rien Ă  redire. J'ai mĂȘme tendance Ă  souscrire Ă  l'assertion du regrettĂ© Bernard Maris, selon qui il n'y avait dans l'Ă©conomie que la vĂ©rification par l'histoire qui soit sujette Ă  certitude.

Le problÚme c'est qu'ils racontent bien plutÎt des histoires que de l'histoire. Sur une remarque de mon ami Jean-Luc qui tient sur Bitcoin.fr une précieuse chronologie de Bitcoin, j'ai décidé de recenser ici quelques événements historiques fort souvent cités, mais hélas pas comme le passage du PÚre Noël ou l'apparition de la premiÚre dent d'un gallinacé. Ces histoires sont invoquées comme arguments en béton étayants des raisonnements péremptoires. Mais faux... car ces événements n'ont jamais eu lieu. On pourrait leur inventer un calendrier, et selon l'idée du Mad Hatter de Lewis Carroll, célébrer leur non-anniversaire.

Bitcoin  choisi comme monnaie Ă©talon international

Voici donc une leçon d'histoire illustrĂ©e comme on le faisait jadis pour les enfants. J'y joins quelques Ă©vĂ©nements qui auraient dĂ» avoir lieu, et dont l'Ă©vocation n'est pas sans saveur... Et pour ne pas ĂȘtre en reste, j'en ajoute un : l'avĂšnement de Bitcoin comme standard monĂ©taire en 2050, Ă©vĂ©nement prĂ©vu dĂšs 2017 dans l'excellent livre "Bitcoin la Monnaie AcĂ©phale" (double prix Nobel de LittĂ©rature et d'Economie en 2018, must read, it's amazing !)

Commençons par le jour fantastique oĂč "ON" a remplacĂ© le troc par la monnaie

images d'un mythe"ProgrĂšs de l'Ă©change : La forme primitive de l'Ă©change, c'est le troc" (Evangile selon FrĂ©dĂ©ric, Les Harmonies Économiques, Sourate IV). Donc "on" invente la monnaie, entre hommes prĂ©historiques ayant dĂ©jĂ  des soucis de traders, comme Ă©changer toute la journĂ©e, et des conditions de vie rĂȘvĂ©es par un Ă©conomiste libĂ©ral : ni Etat, ni souverain, ni contraintes, ni gĂ©nĂ©rations passĂ©es (ou futures)... Seulement aucun historien, aucun anthropologue, aucun voyageur ne peut donner un exemple rĂ©el de situation de troc antĂ©rieur Ă  la monnaie. Nulle part dans le monde il n'a Ă©tĂ© possible de trouver une Ă©conomie qui fonctionnerait sur les bases postulĂ©es par Adam Smith et pas mal d'autres autres qui extrapolaient en fait ce qu'ils imaginaient ĂȘtre les pratiques des "sauvages" d'AmĂ©rique. Mais au travers l'exemple des sociĂ©tĂ©s amĂ©rindiennes, il a au contraire Ă©tĂ© possible de prouver que le troc et l'Ă©change marchand n'y Ă©taient pas prĂ©sents avant l'arrivĂ©e des EuropĂ©ens.

Tout cela n'empĂȘche ni les manuels scolaires, ni les sites gouvernementaux de propager le mythe du troc primitif, qui permet d'introduire la monnaie comme un instrument neutre, suscitĂ© par un besoin spontanĂ© de la sociĂ©tĂ© elle-mĂȘme, une pure commoditĂ© permettant de fluidifier les Ă©changes.

Sur l'origine de ce mythe, on lira avec intĂ©rĂȘt l'article de JM. Servet Le troc primitif, un mythe fondateur d'une approche Ă©conomiste de la monnaie

Le jour oĂč l'or n'a rien valu

le veau d'orQuand on a suffisamment ferraillé avec un économiste sur le statut du bitcoin pour lui faire admettre la métaphore d'un "or numérique", il se cabre et vous assÚne ceci : si un jour ni l'or ni le bitcoin n'ont plus la moindre valeur, vous pourrez au moins vous faire des bijoux avec votre or. Les bitcoins, eux, ne vous serviront à rien.

Outre qu'il n'en sait rien, le problĂšme c'est qu'il n'y a jamais eu un seul jour oĂč l'or n'ait rien valu. Souvenez-vous, mĂȘme en plein dĂ©sert, dĂšs que MoĂŻse a le dos tournĂ© (il s'entretient avec son dieu virtuel, "sans rĂ©alitĂ© tangible", sans sous-jacent) le peuple se dĂ©pĂȘche de se faire une idole en or et de l'adorer. Donc, justement, puisqu'on peut en faire une idole ou des bijoux, l'or ne vaudra jamais rien. Ça ne prouve sans doute rien en ce qui concerne Bitcoin, mais ça montre la lĂ©gĂšretĂ© des dogmes Ă©conomiques, et l'aplomb effarant des grands-prĂȘtres en charge desdits dogmes...

Le jour oĂč Luther a emmĂ©nagĂ© Ă  GenĂšve

LutherCelt événement peu connu est une révélation faite en juillet 2019 par l'ineffable Jean-Marc Sylvestre expliquant avec un aplomb inimitable les raisons pour lesquelles Facebook (dont il n'est sans doute qu'usager comme vous et moi) avait choisi GenÚve pour y installer le Libra, comme Luther y avait fondé la Réforme. Ce n'est pas une simple bourde : les économistes aiment à expliquer, en se fondant sur des souvenirs trÚs approximatifs de Max Weber, que l'Allemagne réussi à cause de ses racines protestantes.

Or l'Allemagne a les mĂȘmes racines catholiques mĂ©diĂ©vales que la France, et du temps de la RFA les catholiques y Ă©taient mĂȘme majoritaires. Luther est restĂ© vivre et mourir dans sa Thuringe. En revanche les pĂšres de la rĂ©forme genevoise furent largement français : Jean Calvin, ThĂ©odore de BĂšze et Guillaume Farel. La France n'est catholique que quand cela permet des analyses au lance-pierre...

Il y a donc lieu d'y regarder Ă  deux fois avant de penser que l'Histoire, bonne fille, nous sert "des coĂŻncidences d’évĂ©nements intĂ©ressantes pour comprendre les mutations de l’humanitĂ©" pour parler comme JM Sylvestre, qui concluait son article sur de pitoyables divagations assurant que "l’église protestante, c’était le Uber de la chrĂ©tientĂ© pour s’affranchir du pouvoir du clergĂ©".

Le jour oĂč une tulipe a atteint le prix d'une maison

le grand diable d'argentJ'ai dĂ©jĂ  abordĂ© le mythe de la tulipe sur ce blog, je rappelle seulement qu'il n'y a jamais eu une seule tulipe Ă©changĂ©e au prix d'une maison : il s'agissait d'un marchĂ© d'options, certes immature, mais tenu par et pour des professionnels aguerris. L'exemple mĂȘme de ceux qui n'hĂ©sitent pas Ă  pontifier aujourd'hui en citant les tulipes.

Pour nous mettre en garde, avec leur bienveillance coutumiĂšre, contre notre tendance de petites gens Ă©cervelĂ©es Ă  spĂ©culer sur du vent, les grands Ă©conomistes rappellent aussi que nos ancĂȘtres ont donnĂ© leurs Ă©conomies Ă  l'aventurier John Law, dandy dĂ©bauchĂ© et joueur. Au passage, le gaillard fut quand mĂȘme Surintendant gĂ©nĂ©ral des Finances. Comme Madoff le maitre nageur... qui fut aussi prĂ©sident du Nasdaq. Bref les crises (et les escroqueries) semblent naĂźtre assez souvent au coeur du systĂšme pour qu'on ne les impute pas sans examen ni aux marges, ni aux simples.

Le jour oĂč l'on a reconstruit les Tuileries

Les Tuileries avant l'incendie de 1871Dans la vie d'un investisseur, il y a immanquablement un jour oĂč l'on vous prĂ©sente un produit astucieux (rapportant 5 Ă  10 fois le taux sans risque) et au demeurant parfaitement lĂ©gal. Un truc bien clair, genre panneaux photo-voltaĂŻques, rĂ©sidences d'Ă©tudiants, Ă©conomie sociale et sodidaire... avec quelque part LA PAROLE DE L'ETAT. Sa parole que la chose restera dĂ©ductible, que la loi ne l'interdira pas, que le sens des mots ne changera pas, etc.

Dans ces cas lĂ , je rappelle placidement que le Parlement français n'a autorisĂ© le gouvernement Ă  dĂ©truire les Tuileries en 1882, soit 11 ans aprĂšs leur incendie, et alors que 5,1 millions des francs (or) avaient Ă©tĂ© mis en rĂ©serve pour leur reconstruction (techniquement possible, les dĂ©gĂąts ayant Ă©tĂ© fort limitĂ©s) que parce que Jules Ferry avait prĂ©sentĂ© la mesure comme la ‘‘seule maniĂšre de hĂąter la reconstruction et de la rendre indispensable’’ et fait la promesse de reconstruire Ă  neuf. Inversement, la tour Eiffel devait ĂȘtre une installation provisoire, on le jura Ă  tous ses opposants. On discuta de sa dĂ©molition mollement en 1903, et encore en 1934 quand fut entreprise la dĂ©molition de l'ancien Trocadero. La Tour et la CSG (provisoire Ă  sa crĂ©ation en dĂ©cembre 1990) sont lĂ  pour longtemps.

Le dernier jour des "réparations allemandes"

Farce  triste Ă  VersaillesLa dĂ©sinvolture de la puissance publique n'est pas, consolons-nous une tare franchouillarde. L'État allemand, condamnĂ© en 1919 Ă  payer des rĂ©parations pour avoir dĂ©truit une partie de l'Europe, a obtenu une premiĂšre renĂ©gociation (plan Dawes, 1925) puis une seconde (plan Young, 1929) puis un moratoire (1931) puis tout re-cassĂ©. Le 37Ăšme et dernier versement du plan Young (en 1988) n'a Ă©videmment jamais eu lieu, et on n'en a peu parlĂ© alors... L'Allemagne a tout de mĂȘme payĂ© le 3 octobre 2010 la derniĂšre tranche du remboursement des emprunts souscrits dans les annĂ©es 20 pour payer quelques annuitĂ©s. Depuis, comme on sait, les ministres allemands sont devenus beaucoup plus rigoureux sur le remboursement des dettes d'Etat. Grec surtout.

Le jour oĂč l'inflation a atteint un tel niveau que Hitler est arrivĂ© au pouvoir

propagandeRestons en Allemagne pour ce poncif absolu, cette erreur assidument enseignĂ©e dans nos Ă©coles : l'inflation c'est terrible. En Allemagne, il fallait une brouette de billets pour payer le pain, les gens Ă©taient Ă©cƓurĂ©s, dĂ©sespĂ©rĂ©s, alors du coup ils ont votĂ© nazi. Je pense que c'est Fritz Lang qui a bricolĂ© ce mythe, entre son premier Docteur Mabuse, le joueur de 1922 (que personne ne regarde mais que tout le monde cite) et le Testament du Docteur Mabuse de 1933, oĂč il rĂ©-interprĂšte le personnage, tout en l'assimilant visuellement au FĂŒhrer. La pĂ©riode d'hyperinflation allemande (juin 1921 - janvier 1924) correspond au premier film. L'arrivĂ©e de Hitler au pouvoir (30 janvier 1933) est concomitante du second. Entre temps il y a eu bien des choses sans rapport Ă©vident avec l'Ă©pisode prĂ©cĂ©dent. Notamment une crise d'origine boursiĂšre en 1929, un substantiel soutien du patronat et une lourde compromission de la droite avec cet aventurier rĂ©pugnant. On comprend pourquoi tant de gens prĂ©fĂšrent raconter l'histoire comme on le fait !

Le jour oĂč le GĂ©nĂ©ral du Gaulle a pris peur d'une monnaie locale

De GaulleIl n'y a pas que les Ă©conomistes des banques pour inventer des mythes historiques. Les prophĂštes des monnaies locales complĂ©mentaires sont gros producteurs de gentilles histoires Ă  raconter pour Ă©merveiller l'auditoire... ou leur enrober les raisons des Ă©checs. La premiĂšre MLC de France fut crĂ©Ă©e en 1956 Ă  LigniĂšres-en-Berry. En tout et pour tout 50.000 francs de l'Ă©poque (largement thĂ©saurisĂ©s par des collectionneurs). Quand on en parle Ă  un gars du coin (je l'ai fait, au Salon de l'Agriculture) il vous rit au nez : c'Ă©tait un grosse vantardise du maire-bistrotier local. Mais dans la littĂ©rature des MLC on va lire (ici entre autres) que " l’expĂ©rience s’est arrĂȘtĂ©e, sous pression de l’Etat semble-t-il, qui vraisemblablement a eu peur que le systĂšme fasse des Ă©mules. Il y a assez peu d’information disponible sur cette expĂ©rience, le plus complet Ă©tant un article de la revue Silence, qui reprend un article de 1979." On se recopie joyeusement les uns les autres, c'est moins fatiguant que d'enquĂȘter...

Bref la Banque de France aurait tremblĂ©, le GĂ©nĂ©ral de Gaulle se serait fĂąchĂ©. La vĂ©ritĂ©, c'est que les MLC ont droit Ă  toutes les complaisances de la DGFP, Ă  tous les amĂ©nagements du CMF et Ă  la bienveillance de tous les dĂ©putĂ©s-maires de France. Mais l'histoire est si belle ! Je l'ai entendue maintes fois, avec des variantes (selon les pays) pour expliquer toujours la mĂȘme chose : ça aurait dĂ» marcher, c'Ă©tait trop beau, "ils" l'ont tuĂ©e...

Le jour oĂč un investisseur a achetĂ© un bitcoin Ă  un centime

Celui qui a achetĂ© pour une poignĂ©e de dollars de bitcoin en 2009 est aujourd'hui multi-millionnaire. On a lu cela vingt fois pour dĂ©noncer cette finance casino, si dissemblable de la bonne finance du systĂšme. Le problĂšme, c'est qu'il n'y a pas eu de cours du bitcoin en 2009 et que si les premiers exchanges datent de 2010, mĂȘme Ă  la fin de 2010 (oĂč l'on avait dĂ©passĂ© le cours Ă  un centime) la plupart des gens qui souhaitaient obtenir des bitcoins en France le faisaient encore de la main Ă  la main. Sans doute le type qui raconte cette histoire n'a pas une idĂ©e prĂ©cise de ce dont il parle ...

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66 - Tulipes

By: Jacques Favier —

La spéculation sur la tulipe en 1637 est sans doute le morceau choisi d'histoire le plus souvent invoqué par ceux qui veulent montrer la profondeur de leur ignorance concernant Bitcoin.

Tulipe Mania

De Nout Wellink, ancien patron de la Banque Centrale des Pays-Bas, déclarant en 2013 que « au moins à l'époque on avait une tulipe, là vous n'aurez rien» au patron de Morgan, Jamie Dimon, répétant il y a quelques jours que le Bitcoin était « pire que les bulbes de tulipes » ils sont des centaines de pontifes à avoir assené la chose, complaisamment reprise par tous les faux profonds : il y aurait un demi-million de pages comportant les mots Bitcoin et Tulip sur Internet.

DĂšs que le cours bondit (en anglais: to leap) cette sottise fleurit. Cela doit bien dire quelque chose du monde comme il va.

La rĂ©futation a dĂ©jĂ  Ă©tĂ© faite d'une comparaison trop savante pour ĂȘtre honnĂȘte : car qui se soucie vraiment de ce qui se passait Ă  Amsterdam du temps des moulins et de la Compagnie des Indes Orientales?

DÚs 2013, un article de Bitcoin Magazine a critiqué formellement le parallÚle. Depuis lors, celui-ci étant réitéré par l'establishment à chaque record ou à chaque hausse sensible de Bitcoin, il devient risible: la crise de la tulipe est un événement non réitéré. Elle ne peut expliquer Bitcoin à la fois en 2013, en 2015, en 2016, en 2017. Bloomberg vient de publier un article expliquant comment Dimon se trompe.

Quoique infiniment hasardeuses, des superpositions de courbes grossiĂšrement effectuĂ©es par certaines publications ratent le point essentiel : la courbe de Bitcoin peut, elle, ĂȘtre rendue significative sur long terme une fois tracĂ©e sur une Ă©chelle semi-logarithmique oĂč la crise actuelle n'apparaĂźt pas forcĂ©ment comme la plus profonde. La loi de Metcalfe s'applique en tendance Ă  Bitcoin, non aux tulipes. Accessoirement donc la courbe du prix des tulipes n'a jamais connu de nouveau pic. S'il est vrai que celui de Bitcoin peut dĂ©visser de 25% et bien plus en quelques jours (des crises d'adolescence d'un objet encore jeune ?) tous les prĂ©cĂ©dents krachs ont Ă©tĂ© gommĂ©s en quelques mois. Voyez le tableau qui pourra effrayer les coeurs mal accrochĂ©s mais qui ne ressemble pas Ă  l'affaire des tulipes.

Venons-en Ă  la comparaison historique et inscrivons la dans sa propre histoire.
DĂšs 2006 (avant Bitcoin!) un Ă©conomiste de l'UCLA avait rappelĂ©, dans un article publiĂ© par la revue Public Choice The tulipmania: Fact or artifact? qu'il s'agissait, en fait de fleur, d'un marronnier toujours fleuri. Le premier apport de Earl A. Thompson (1938-2010) dans cet article est de reprendre le rĂ©cit mythologique qui fonde cette histoire de tulipe, et d'en revenir Ă  la rĂ©alitĂ© historique, sur fond de Guerre de Trente Ans, et Ă  son contexte juridique, qui tient de la manƓuvre maladroite sur un marchĂ© immature.

L'histoire de la tulipe telle qu'on la raconte avec une assurance hautaine, n'est en rĂ©alitĂ© pas mĂȘme une fable d'Ă©conomiste. Elle provient d'un certain Charles Mackay (1787-1857) journaliste, Ă©crivain et poĂšte Ă©cossais, principalement connu pour quelques chansons et pour son livre Extraordinary Popular Delusions and the Madness of Crowds publiĂ© en 1841.

Popular delusions and the madness of crowds

Un livre qui vise la folie de la foule (thÚme typique du siÚcle qui suit la révolution française! ) et qui sollicite largement les anecdotes utilisées. Car il ne semble pas qu'il y ait eu «folie» et moins encore « foule » dans l'affaire qui secoua un peu Amsterdam en 1637. Seulement, réputer que l'homme de la rue est idiot et dénoncer l'aveuglement des foules, c'était si élégant au 19Úme siÚcle...

Mackay n'a pas fait ce qui pourrait ĂȘtre qualifiĂ© de recherche historique critique. Il a recopiĂ© des pamphlets de religieux calvinistes qui, au 17Ăšme siĂšcle, voyaient d'un fort mĂ©chant oeil le dĂ©veloppement de l'Ă©conomie de marchĂ©. Au passage, cela va Ă  l'encontre d'un autre poncif, celui qui oppose le protestantisme capitaliste au catholicisme ennemi de l'argent. Le discours moral contre cette spĂ©culation inspira Breughel le Jeune qui dans sa Satire de la Tulipomania peinte en 1640 reprĂ©senta les acheteurs de tulipes comme des singes. Une mĂ©taphore que les bitcoineurs n'ont pas encore eue Ă  endurer...

Brueghel le Jeune, Satire de la Tulipomanie, 1640

Que s'est-il réellement passé ? La spéculation fut loin de ne porter que sur la tulipe. Si c'est celle-ci que les prédicateurs calvinistes, et Mackay à leur suite, ont cru devoir immortaliser, c'est que la focalisation sur cet objet marginal leur permettait de ne pas dénoncer la spéculation en soi, qui portait tout aussi bien sur le blé. On retrouve cela aujourd'hui dans un discours dénonçant la spéculation sur Bitcoin tenu fort doctement par des gens qui trafiquent de tout du soir au matin.

De mĂȘme l'emballement de 1637 fut loin d'ĂȘtre le fait de « la foule » comme le dit Mackay en suivant son idĂ©e et non les faits. Il fut tout au contraire bien circonscrit dans un milieu de marchands avisĂ©s. A partir de 1634, les Français s'Ă©taient mis Ă  aimer les tulipes et Ă  en commander beaucoup. PlantĂ©es Ă  l'automne, les fleurs n'Ă©taient livrables qu'au printemps. Ceci favorisa fort naturellement l'apparition d'un marchĂ© d'options, lesquelles Ă©taient Ă  l'Ă©poque fort simples : versement d'une prime donnant le droit (non l'obligation) d'acheter Ă  terme Ă  prix fixĂ©. C'est ce marchĂ© qui s'est emballĂ©, avec une hausse du sous-jacent de l'ordre de 5900%, jusqu'Ă  son Ă©clatement le 6 fĂ©vrier 1637.

Il n'y a pas eu de « crise financiĂšre » contrairement Ă  ce qui se rĂ©pĂšte par copier-coller. Personne n'Ă©tait tenu de lever les options. Je cite l'Ă©tude de Thompson : la crise fut «an artifact created by an implicit conversion of ordinary futures contracts into option contracts in an imperfectly successful attempt by Dutch futures buyers and public officials to bail themselves out of previously incurred speculative losses in the impressively price-efficient, fundamentally driven, market for Dutch tulip contracts (...). The “tulipmania” was simply a period during which the prices in futures contracts had been legally, albeit temporarily, converted into options exercise prices».

Le plus drÎle, c'est qu'il revint en effet au pouvoir politique de clore l'incident. Une chose que nul n'aime évoquer, mais qui ne fut pas une exception dans la riche histoire des marchés officiels.

Allez... une petite scÚne culte bien française pour oublier Amsterdam et ses tulipes : Le sucre (1978) avec ici Claude Piéplu, Gérard Depardieu et Jean Carmet. Une histoire vraie (1974) sans le moindre soupçon de cryptographie, mais avec des cours multipliés par 50 sur un marché réglementé...

MalsĂ©ant de rappeler cette vieille histoire ? Si Bitcoin s'effondrait, l'État ne paierait rien. Pas de « risque systĂ©mique ». VoilĂ  une diffĂ©rence notable avec toutes les tulipes, sucres, subprimes et autres spĂ©culations nĂ©es au cƓur du systĂšme et non en ses marges ou dans des cercles alternatifs.

Je ne voudrais pas en rester lĂ . Quelque comiques que soient les menaces du patron de Morgan promettant de virer ses traders s'ils touchent Ă  Bitcoin alors mĂȘme que sa banque s'affiche parmi les plus gros acheteurs d'Exchange Traded Notes sur Bitcoin (lire ici) et dĂ©pose demande sur demande pour breveter par petits bouts la blockchain (qui ne lui appartient point) et forger un bitcoin-privĂ©, ses gesticulations ne disent rien de plus que ce que chacun sait dĂ©jĂ  de ces gens-lĂ .

Sans doute ont-ils lu l'étude de Earl Thompson, suivi sa démonstration historique, compris les explications mathématiques sur l'évolution du prix des options de tulipes. Ils ne sont pas (tous) grossiÚrement incultes. Là n'est pas le problÚme.

Ce qui est bien plus Ă©coeurant, c'est que leur « Sermon sur la Tulipe » devrait viser au cƓur le capitalisme contemporain bien davantage que Bitcoin.

Dans son livre publiĂ© en 2013 Le trĂ©sor Perdu de la Finance Folle, Jean-Joseph Goux revient sur ce qu'il avait prĂ©alablement appelĂ© « l'esthĂ©tisation de l'Ă©conomie politique », ou la « frivolitĂ© de la valeur » au siĂšcle des LumiĂšres, annonçant selon lui le capitalisme post-moderne oĂč la subjectivitĂ© du consommateur est la source prĂ©dominante du prix.

Goux et VoltaireConte pour conte, celui de Voltaire intitulĂ© justement Le monde comme il va est bien plus digne d'intĂ©rĂȘt que celui forgĂ© par Mackay sous des oripeaux d'histoire Ă©conomique. On y voit comment, dans une ville imaginaire qui ne peut ĂȘtre que Paris, le visiteur achĂšte tout ce qu'il lui plait « beaucoup plus cher que ce qu'il valait » Ă  un marchand parfaitement honnĂȘte, cependant, puisqu'il lui rend plus tard la bourse qu'il avait oubliĂ© par mĂ©garde. Écoutons donc plutĂŽt le marchand de colifichets du conte de Voltaire: « Si dans six mois vous voulez le revendre, vous n'en aurez pas mĂȘme ce dixiĂšme. Mais rien n'est plus juste ; c'est la fantaisie des hommes qui met le prix Ă  ces choses frivoles ».

aliĂ©nĂ©De sorte que la grande question, en matiĂšre de tulipes, pourrait bien s'Ă©noncer de la façon suivante : l'iPhone X, mĂȘme dotĂ© de 256 Go, vaut-il rĂ©ellement 0,42 bitcoin ? La Rolex Oyster Perpetual Date en acier vaut-elle bien 1 bitcoin ? Le sac HermĂšs Kelly de 30 cm vaut-il vraiment 1,34 bitcoin ?

Non, bien sûr? Eh bien les prix vont baisser. En bitcoin.

De qui se moque-t-on ici ? De nous tous, mĂȘme de ceux qui ont « ratĂ© leur vie » comme disait Monsieur SĂ©guela et n'ont pas accĂšs Ă  ce demi-luxe. Nous sommes maintenant dans un monde oĂč les pĂątes Ă  tartiner sont en Ă©dition limitĂ©e, oĂč les bouteilles de soda ont des sĂ©ries collectors, de façon Ă  ce que rien ne soit reliĂ© Ă  une valeur d'usage mesurable, mais que tout soit tulipe dans nos supermarchĂ©s de pĂ©riphĂ©rie urbaine.

J'ai Ă©vitĂ© jusqu'ici le jeu de mots sur bulle et bulbe, je ne rĂ©site pas au plaisir de suggĂ©rer cette rĂ©ponse aux prophĂštes Ă  tulipes: « mĂȘlez vous de vos oignons, nous prenons soin des nĂŽtres ».

Pour aller plus loin sur les tulipes et sur Bitcoin :

Quelques choses amusantes sur la spéculation (hors tulipes) :

Le récit de la Tulipe le plus indécent : On le doit à l'indécrottable Jean-Marc Daniel, qui avait déjà usé d'une référence historique au Monneron de façon tout à fait grotesque et qui se transforme lentement en historien de bistrot. Le coup de la salade : on dirait du vécu ! En revanche le pauvre Newton , récupéré dans un dictionnaire de citation j'imagine, n'a pas perdu un kopeck sur la tulipe en 1637, mais sur la South Sea en 1720. Bref un placement boursier. Et encore semble-t-il que cette histoire aussi soit largement "sur-vendue", comme je le suggÚre dans mon commentaire en bas du billet suivant, consacré aux histoires des économistes...

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30 - Fouché, un policier sans algorithmes.

By: Jacques Favier —

Un jour qu'en sortant d'un repas entre bitcoineurs nous discutions de la loi sur le Renseignement, j'opinais que la police algorithmique en saurait toujours moins que n'en savait Fouché, ministre de la Police de 1799 à 1802 puis (aprÚs une premiÚre disgrùce) de 1804 à 1810. Quel tollé...

Il ne s'agissait pourtant point d'une coquetterie d'historien. Au moment de cette conversation, j'avais en tĂȘte l'attitude de FouchĂ© aprĂšs le cĂ©lĂšbre attentat de la rue Sainte-Nicaise mais Ă©galement les efforts pathĂ©tiques de nos dirigeants pour parer les coups assez similaires des terroristes du moment.

la machine infernale

le FouchĂ© de WaresquielJe persiste dans mon opinion, d'autant qu'entre temps je viens de lire le livre de Dominique Cardon, Ă  quoi rĂȘvent les algorithmes, qui donne plus encore Ă  penser qu'Ă  craindre, et que le hasard d'un trajet en voiture m'a donnĂ© l'occasion d'Ă©couter l'excellente Ă©mission Concordance des Temps de Jean-NoĂ«l Jeanneney, recevant justement Emmanuel de Waresquiel auteur d'une rĂ©cente biographie de Joseph FouchĂ©, dont la lecture, Ă  son tour m'a conduit vers une remarquable Ă©tude de l'historien Augustin Lignereux sur la dĂ©rive terroriste Ă  l'Ă©poque.

Ă  quoi rĂȘvent les algorithmesJe ne sais que trop que la complexitĂ© des modĂšles algorithmiques mis en oeuvre dans les nouvelles infrastructures informationnelles contribue Ă  imposer le silence Ă  ceux qui sont soumis Ă  leurs effets. Elles dĂ©sarment aussi ceux qui entreprennent de critiquer l'avĂšnement de la froide rationalitĂ© des calculs, sans chercher Ă  en comprendre le fonctionnement. Je voulais pointer ce qui leur manque, et la faille de raisonnement sur laquelle se fondent non ceux qui y ont recours mais ceux qui n'ont recours qu'Ă  ce type Ă©troit de calcul.

Le 24 dĂ©cembre 1800, une machine infernale explose dans l'Ă©troite rue Saint-Nicaise sur le passage de la voiture de Bonaparte, au pouvoir depuis un an. Attentat destinĂ© Ă  priver la France de l'homme dont l'Ă©norme popularitĂ© relĂšgue dans les marges tant les derniers jacobins que les conspirateurs royalistes stipendiĂ©s par l'Angleterre. Mais attentat trĂšs spectaculaire (20 morts, 100 blessĂ©s sans doute) destinĂ© aussi Ă  frapper les esprits, si l'on en juge par les mots mĂȘmes du chef de la division de la police secrĂšte Pierre Louis Desmaret: «Le fracas du coup, les cris des habitants, le cliquetis des vitres, le bruit des cheminĂ©es et des tuiles pleuvant de toutes part, firent croire au gĂ©nĂ©ral Lannes, qui Ă©tait avec le Consul, que tout le quartier s'Ă©croulait sur eux». C'est bien un attentat politique, l'un des premiers de l'Ăšre moderne.

Bonaparte (dont l'Ă©motion profonde que suscite le crime conforte Ă©videmment le pouvoir) charge les jacobins. Pourquoi? Essentiellement, semble-t-il, parce que le prĂ©cĂ©dent complot Ă©tait de leur fait et avait eu un mode opĂ©ratoire (la machine Ă  feu du chimiste Chevalier) fort proche. C'est le vice de son raisonnement et c'est le vice central du raisonnement par la trace ou le prĂ©cĂ©dent. On cherche du jacobin, on trouve du jacobin. MĂȘme l'historien peut s'y laisser piĂ©ger, s'il suit trop la police qui redĂ©couvre des rapports antĂ©rieurs Ă  l’attentat et qui, Ă  sa lumiĂšre, font figure de signes annonciateurs comme l'observe finement Lignereux. Or que dit Cardon? La maniĂšre dont nous fabriquons les outils de calcul, dont ils produisent des significations, dont nous utilisons leurs rĂ©sultats, trame les mondes sociaux dans lesquels nous sommes amenĂ©s Ă  vivre, Ă  penser et Ă  juger.

Le ministre de la Police, Fouché, affirme au contraire que les coupables sont à chercher du cÎté des royalistes et non des derniers jacobins. D'abord parce que la chose lui semble avoir été mieux organisée, donc forcément payée par l'Angleterre, et ensuite par ce que la logique politique explique, comme on le verra, l'engrenage terroriste des derniers combattants de la Vendée royaliste. Les faits lui donneront raison.

Pourtant il obtempĂšre. Des jacobins sont dĂ©portĂ©s. De façon toute moderne, le SĂ©nat appelĂ© Ă  voter (sans trop de preuves...) sur leur dĂ©portation dĂ©clare la dĂ©cision "constitutionnelle". FouchĂ© continue son enquĂȘte. Comme l'attentat lui-mĂȘme, l'enquĂȘte est l'une des premiĂšres modernes, incroyablement scientifique : analyse des restes du cheval et des son fer, comparaison des formes de lettres manuscrites ou imprimĂ©es, mais aussi enquĂȘte politique avec mouchards et primes. On remonte les pistes. En avril 1801, les terroristes royalistes sont guillotinĂ©s devant une foule nombreuse.

Que nous apprend cette histoire d'un temps sans algorithmes mais non sans calcul ou sans science?

Ne soyons pas condescendants avec les hommes de ce temps-là. La France vient d'inventer le systÚme métrique. On a voulu mettre la Raison sur les autels, et donner une structure logique au calendrier. Les savants sont partout.

Bonaparte en académicienBonaparte est membre de l'Institut. Il a été élu le 25 décembre 1797, trois ans exactement avant l'attentat, à la section des arts mécaniques de la section des sciences.

Depuis l'enfance, il aime les mathĂ©matiques. Partant pour l'Egypte, il s'est entourĂ© d'une Ă©quipe de scientifiques dont la liste laisse pantois. Le premier Grand chancelier de la LĂ©gion d'Honneur, en 1803, n'est pas (comme depuis lors) un gĂ©nĂ©ral mais... un savant. DĂšs 1799 Bonaparte a nommĂ© ministre de l'IntĂ©rieur Laplace, l'un des plus grands mathĂ©maticiens du temps, l'un de ceux qui ont l'honneur d'avoir son buste dans le jardin de l'École normale supĂ©rieure.

des savants, rue d'ilm

Et Fouché? De 1782 à 1792 le futur premier flic de France était plus modestement ... professeur de mathématiques et de physique dans les collÚges tenus par l'Oratoire. Lui aussi se passionnait pour l'électricité, mais aussi pour l'aérostatique (il survola Nantes en ballon) et toutes les découvertes du temps. Principal de collÚge, il correspond avec de grands savants et dépense une fortune pour constituer un laboratoire de physique.

Bonaparte et les savants

Au total, les dirigeants de 1800 ne se distinguaient pas des nÎtres par une moindre culture scientifique. Loin de là ! Si la Chine est aujourd'hui, comme la France d'alors, une République d'ingénieurs, la France ne l'est plus.

La nature exacte des parcours universitaires de nombre d'hommes et de femmes politiques remplit des pages sur Internet. On daube aisĂ©ment sur les tĂȘtes d'oeuf. Je trouve pour moi certains parcours bien courts, et fort peu savants. Et cela se sent, moins Ă  l'occasion de bourdes que par une rĂ©elle incapacitĂ© Ă  comprendre le monde.

Car finalement, l'objectif affiché aujourd'hui, c'est lequel ? Si c'est de combattre le djihadisme par l'informatique, il est regrettable que nos hommes politiques ne comprennent probablement ni l'un ni l'autre.

La scÚne "culte" reste, pour ce qui est du niveau de renseignement sur l'ennemi, l'incertitude d'un Ministre de l'Intérieur sur le point de savoir si Al Qaïda était sunnite ou chiite. On ne lui demandait pourtant pas un cours sur la Sh'ia ni une dissertation sur les écoles hanbalite, shafiite, hannafite ou malikite! Quant à leur niveau de culture informatique, depuis la découverte par Jacques Chirac de la "souris" (en décembre 1996 ! c'est l'origine du mulot des Guignols) jusqu'au niveau des débats lors de la derniÚre (?) loi sur le renseignement, il amuse des millions de gens.

Il est plus que probable que bien des députés ont adopté les "algos" comme un talisman. Et par habitude de voter ce qu'on leur demande. C'est leur habitus. Les algorithmes savent déjà que les députés voteront le prochain texte liberticide !

renseignez-vous

On a un peu envie de leur dire Renseignez-vous ! La vérité c'est que les terroristes comprennent mieux qu'eux la technologie, avec des logiciels complets (en arabe) et des forks de PGP (toujours en arabe).

Revenons en 1800. Ce qui distinguait les dirigeants d'alors des nĂŽtres, ce me semble donc ĂȘtre une plus profonde culture tout court, ce qui inclut la science sans s'y limiter et donne Ă  l'intelligence les armes pour suivre, voire pour prĂ©cĂ©der l'ennemi.

Que s'est-il passé, en effet, en 1800, qui a pu guider l'analyse politique de Fouché ? Au moins trois événements :

  • le brouillon signĂ© par Bonapartela pacification de la VendĂ©e durant l'hiver, qui inaugure une stratĂ©gie de dĂ©politisation et d'intimidation ;
  • la victoire de Marengo en juin qui rend Bonaparte incontournable et augmente encore sa gloire ;
  • la fin de non recevoir adressĂ©e par Bonaparte en septembre au frĂšre de Louis XVI qui lui proposait de faire sa fortune s'il acceptait d'ĂȘtre le restaurateur de l'ancienne monarchie (voir l'Ă©change retranscrit dans les mĂ©moires de Bourienne).

Ces trois faits éclairent d'un jour particulier l'attentat de la rue Saint-Nicaise mais aussi le raisonnement lucide d'un Fouché : ce sont des combattants royalistes (ceux qu'on appelait des chouans) qui se sont transformés en terroristes, ratant ainsi leur entrée en politique, parce qu'en vérité ils ne pouvaient pas alors la réussir. Emprunter le mode opératoire des jacobins fut de leur part une pauvre ruse de guerre. Pas de quoi tromper un Fouché qui ne pensait pas que le futur (de l'internaute) est prédit par le passé de ceux qui lui ressemblent comme les promoteurs des algos selon Cardon.

Que nous aurait appris, dans cette affaire, la surveillance algorithmique ? En gros : que les royalistes achetaient de la poudre. Et que les jacobins achetaient de la poudre. En dĂ©tail : des millions de choses qui vont de pair avec le fait qu'en pĂ©riode de crise la violence augmente. « L’air est plein de poignards » comme le disait joliment FouchĂ©.

Bref beaucoup de "faux positifs" comme on dit aujourd'hui pour ne pas avouer que l'on augmente la taille de la botte de foin au lieu de chercher l'aiguille par la raison.

J'ai parlé de Laplace. Son Essai philosophique sur les probabilités est une étape importante de la théorie déterministe.

Les probabilités selon Laplace

Une chose ne peut pas commencer d'ĂȘtre sans une cause qui la produise. Que n'applique-t-on cela quand on recherche les poseurs de bombe au lieu de croire qu'ils apparaissent par gĂ©nĂ©ration spontanĂ©e, qu'ils s'autoradicalisent. Les dirigeants de 1800 pensaient que la vie a un sens, ceux d'aujourd'hui pensent profondĂ©ment qu'elle n'en a pas, que tout est le fruit du hasard, que l'esprit scientifique est inutile puisque les big data parlent toutes seules, par abduction. C'est aussi pour cela qu'ils se mĂ©fient de ce que Caron appellent la sagesse et la pertinence des jugements humains, qu'ils espionnent tout, ne saisissent pas grand chose et ne proposent en dĂ©finitive pas de vraie rĂ©ponse politique Ă  une menace qu'ils ne comprennent pas, qu'ils font la guerre comme des sagouins et que leurs ennemis prospĂšrent.

Pour aller plus loin :

sur le renseignement

sur l'histoire

  • On peut aussi Ă©couter ici l'Ă©mission Concordance des Temps sur FouchĂ© et sa police
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16 - Je suis Bernard, j'en reviens Ă  l'Histoire

By: Jacques Favier —

Je suis sur Ă©coute

Vous souvenez-vous encore du tant célébré esprit du 11 janvier ?

On citait le 11 janvier et non le 7, et vous avez sans doute pensĂ© que la tuerie n'Ă©tait, dans ce monde d'impur spectacle, que le prĂ©texte Ă  la mise en scĂšne de nos Ă©motions. Mais cet esprit est en train de s'objectiver bien loin de nos Ă©motions, par un projet de loi liberticide qui, Ă  dĂ©faut d'ĂȘtre le premier du genre, marquera tout de mĂȘme une Ă©tape particuliĂšrement abjecte dans l'effondrement veulement consenti du rĂȘve de nos pĂšres de 1789 entre les mains de gens qui osent encore invoquer nos valeurs.

Vos claviers, vos téléphones, bientÎt votre pacemaker seront détournés, instrumentalisés ou débranchés à tout moment (sous le contrÎle d'un juge) en attendant la fouille au corps (pour votre sécurité) dedans, dehors, de jour et de nuit.

Mais quelles leçons tireront de toutes ces écoutes les petites cervelles cachées derriÚre les grandes oreilles ? Quel courage toute cette puissance insufflera-t-elle dans leurs petites glandes, pour changer quoique ce soit à leur propre faillite?

Je suis Bernard

Pour moi, je fais mon travail du deuil en relisant Bernard Maris dont les stocks s'écoulent évidemment bien mieux qu'avant. Je ne trouve rien sur le bitcoin chez cet homme qui siégeait au Conseil Général de la Banque de France mais ne croyait plus aux bienfaits de l'euro. Mais ce que j'y trouve me concerne directement.

L'Histoire

lettre ouverteC'est le thÚme, dans un petit livre bien stimulant adressé aux économistes, du chapitre intitulé quand les papes abjurent. Sous ce titre digne d'un roman de cape et d'épée, Maris plaide pour une prise en compte de l'histoire non pour étayer les grandes théories, mais le plus souvent pour les réduire en poussiÚre. Il y voit un retour aux sources de l'économie politique.

Il cite Maurice Allais qui écrivait qu'à l'étude de l'Histoire, à l'analyse approfondie des erreurs passées, on n'a eu que trop tendance à substituer de simples affirmations, trop souvent appuyées sur de purs sophismes, sur des modÚles mathématiques irréalistes et sur des analyses superficielles des circonstances du moment.

Il dit (ou fait dire, je ne saurais dire, moi-mĂȘme) Ă  John Hicks, que la seule Ă©conomie possible est l'Histoire et que la notion de loi Ă©conomique n'a pas de sens. Il retrouve chez Pareto l'aveu que l'Ă©conomie n'est qu'une vaine tentative de raconter de la psychologie, un peu comme l'un des pĂšres de l'Ă©cole nĂ©oclassique Alfred Marshall disant Ă  Keynes sur le tard If I had to live my life over again, I should have devoted it to psychology.

Seulement explorer et comprendre l'histoire est un art, non une science dure (ou qui rendrait dur). Et Clio, la muse de l'Histoire, est soeur de celle de la Tragédie. On voit l'Histoire et la Tragédie entourant le poÚte Virgile sur une mosaïque romaine du musée du Bardo (l'esrpit du 18 mars y conduit mes pensées!) .

Histoire et Tragédie

Mais les économistes préfÚrent largement à l'histoire la mathématique (dût-elle les emmener à la faillite comme Merton et Scholes) et, généralement bien nourris, semblent totalement incapables de sentir le tragique des choses, si l'on met à part un Robert Solow, pÚre de la grande formule "la prison est l'allocation chÎmage américaine" .

J'avoue que, mĂȘme sollicitĂ©es, peut-ĂȘtre isolĂ©es de leur contexte (je n'ai pas eu le temps de vĂ©rifier) j'Ă©prouve une grande satisfaction Ă  lire les rappels Ă  l'Histoire que Maris retrouve chez les grands Ă©conomistes.

Trop souvent en effet, et pas seulement sur les blogs, les posts ou les petits messages sur Facebook, on trouve de sidĂ©rantes affirmations dogmatiques - l'argent est ceci (suit une banalitĂ©) ou la monnaie est cela (suit une demi-vĂ©ritĂ©). Des pauvretĂ©s qu'on ne tolĂšrerait pas Ă  mon fils qui est en licence d'histoire. Mais, pour ĂȘtre honnĂȘte, ceci ne se rencontre pas seulement chez les adversaires du bitcoin...

AmatoSi l'on veut avoir une petite chance de réfléchir de façon un peu fine sur le bitcoin, il faudra aussi aller chercher chez des universitaires, quelques idées un peu différentes.

Se demander aussi, comme le fait Massimo Amato (universitĂ© Bocconi) en se fondant sur une enquĂȘte courant d'Aristote jusqu'Ă  la cybernĂ©tique si la monnaie n'Ă©tait pas d’abord et avant tout une institution ; si, Ɠuvre de l’homme, elle ne l’obligeait pas Ă  se rapporter Ă  quelque chose qui Ă©chapperait de façon secrĂšte Ă  sa volontĂ© de contrĂŽle. Et enfin si l’énigme qui fonde la monnaie n'Ă©tait pas, en raison mĂȘme de sa nĂ©gation, la cause profonde des crises qui Ă  intervalles toujours plus rĂ©duits bouleversent nos sociĂ©tĂ©s ?

Voilà, c'était ma séquence pub pour les économistes-historiens (voir liens en bas de page)...

J'en reviens Ă  Maris. L'intĂ©rĂȘt de ses livres va Ă©videmment bien au-delĂ . Il y avait chez cet homme une libertĂ© revigorante. C'est aussi de cela qu'ont besoin les inventeurs, dans un monde (et un pays, le nĂŽtre en particulier) qui commence par vouloir rĂ©guler avant de comprendre et oĂč tant de directives et de rĂšglements emploient un ton de souverainetĂ© quand l'ignorance suinte par tous les pores.



leurs lois

Les lois politiques de tel ou tel pays sont les lois et il faut les respecter. Mais elles changent.

Who cares for you?En revanche les lois, les dogmes et les axiomes Ă©noncĂ©s par tel ou tel penseur, expert ou professeur sont tout autre chose. Et c'est Ă  un professeur de mathĂ©matiques que l'on doit la meilleure rĂ©ponse Ă  leur faire : "Who cares for you?” said Alice, (she had grown to her full size by this time.) “You’re nothing but a pack of cards!”

S'il y a une leçon de l'histoire, c'est que les murailles de papier ne sont pas moins que celles de pierre susceptibles d'ĂȘtre contournĂ©es, sapĂ©es et mises Ă  bas.

Pour aller plus loin

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10 - M. Attali et la monnaie poire to poire

By: Jacques Favier —

Monsieur Jacques Attali a fait une irruption Ă©tonnante dans le monde du Bitcoin.

L'Association France-Bitcoin (à laquelle j'ai adhéré) avait annoncée en septembre une grande conférence Euro-Bitcoin qui devait se tenir le 8 octobre, et pour laquelle les organisateurs avaient eu l'idée de solliciter ce brillant conférencier comme speaker pour introduire le sujet. Le 1er octobre, l'événement était annulé, soit pour des raisons matérielles soit par manque d'enthousiasme du public.

Entre temps le magazine FutureMag, sur la chaßne Arte, a programmé pour son émission du 4 octobre, un dossier sur la révolution du bitcoin, cette monnaie électronique totalement sécurisée et anonyme. On le retrouve ici et cette présentation grand public est à la fois exhaustive et bienveillante, d'autant qu'elle est clairement centrée sur les principaux interlocuteurs français en la matiÚre.

En revanche le site FutureMag offre en "bonus" une interview de Jacques Attali qui a circulé sur les réseaux sociaux des bitcoiners, en suscitant des réactions mélangées.

Par définition une monnaie virtuelle, c'est une monnaie qui ne correspond pas à une base physique réelle, donc la premiÚre monnaie virtuelle, c'est le billet de banque. C'est ce que l'on appelle rater son introduction car le bitcoin se définit plus pertinemment comme une monnaie cryptographique. Le terme de monnaie virtuelle est en usage chez les journalistes extérieurs au sujet, et malheureusement chez les Autorités de régulation diverses. Son usage indique donc des sources de seconde main, voire médiocrement bienveillantes.

Tant qu'à jouer à l'historien, on trouverait bien d'autres monnaies dépourvues de base physique réelle (sans valeur métallique intrinsÚque) : des tablettes écrites en cunéiformes, des ostraca recouverts d'inscriptions en hiératique puis en copte furent bien avant les billet de banque du XVIIIe siÚcle des instruments de matérialisation d'un avoir ou d'une dette, et de transfert de ceci en paiement de cela. On en trouve de forts beaux au British Museum (voir mon billet à son sujet) mais je choisis ici deux ostraca coptes de Douch, juste parce que cela me rappelle une fabuleuse ballade entre amis dans l'oasis de Kharga.



ostraca de Douch I 40 et 49

Mais surtout l'histoire, ainsi prise, est fort mauvaise conseillÚre. Car elle amÚne logiquement M. Attali à affirmer que le bitcoin s'inscrit dans une continuité ce qui est une analyse mal informée et paresseuse.

Fondation de la Banque d'Angleterre par des marchandsDe mĂȘme quand il affirme que son originalitĂ© c'est qu'elle n'est pas fondĂ©e sur un Etat, ce qu'il contredit peu aprĂšs en citant les monnaies d'entreprises issues des instruments de fidĂ©lisation. Il eĂ»t ici Ă©tĂ© pertinent, si l'on tenait absolument Ă  parler des billets comme monnaie virtuelle, de rappeler qu'issus de la lettre de change, ils n'avaient nullement leur origine du cĂŽtĂ© des États, et que bien de banques centrales Ă©taient Ă  l'origine des banques privĂ©es, notamment la Bank of England et la Banque de France.

M. Attali perçoit bien, mais il n'est pas le seul, l'irrĂ©sistible montĂ©e en puissance des firmes internationales face aux États, et peut annoncer lucidement qu'il y aura un jour une monnaie Amazone, prĂ©diction dont le site FutureMag a fait le titre de son entretien, parce que c'Ă©tait la moins hasardeuse.

L'argent du nomade chicMais, rattrapĂ© par un usage dilettante de l'histoire, il s'enfonce dans la steppe avec une rĂ©flexion sur le nomadisme. Progressivement les hommes qui Ă©taient sĂ©dentaires redeviennent nomades et les monnaies qui Ă©taient des instruments de souverainetĂ© territoriale tout naturellement vont s'accrocher Ă  d'autres puissances que les États, mais Ă  des puissances d'entreprises. Nul ne doute que M. Attalli ne voyage avec toutes les cartes appropriĂ©es. Mais cela n'est pas le sujet.

Ce que M. Attali appelle le nomadisme amalgame les errances des jeunes mal logés, les incessants voyages d'affaires des managers et les tentations de retraite au Maroc de certains qui reviendront se faire soigner en France in extremis. On n'ose mentionner les tentes Quechua qui fleurissent de plus en plus, hélas, en dehors des espaces de camping. Chacun son nomadisme, donc, et nul besoin d'inventer le bitcoin pour cela.

argent nomade

Bien sĂ»r les hommes se dĂ©placent davantage. Mais ils le font sur des territoires, sur lesquels les États ont conservĂ© un contrĂŽle tatillon de la population, flashĂ©e et bientĂŽt pucĂ©e Ă  qui mieux-mieux. Quant aux frontiĂšres, depuis ma jeunesse si certaines se sont ouvertes, d'autres se sont plutĂŽt fermĂ©es : nul nomade n'irait plus Ă  Katmandou en 2CV, mĂȘme avec son nouveau passeport biomĂ©trique.

Les hommes vivent aussi sur des rĂ©seaux, sur lesquels il est mĂ©taphorique de dire qu'ils se dĂ©placent. Dans ce nouvel univers, quoiqu'ici aussi les États les surveillent, et qu'en outre les grandes firmes les observent, enregistrant dans les big data ce dont Joseph FouchĂ© n'eĂ»t jamais rĂȘvĂ©, les hommes de notre temps ont des liens sociaux et procĂšdent Ă  des Ă©changes marchands totalement dĂ©connectĂ©s des territoires de rĂ©sidence, de production, de taxation. La vraie nouveautĂ© est que ces Ă©changes peuvent dĂ©sormais se passer d'une instance centralisatrice.

Ce n'est sans doute pas faire offense à M. Attali que de supposer qu'il est assez étranger au concept de peer to peer. Jeune conseiller du Prince, puis vieux pontife, toute son existence s'est déroulée sous le paradigme de relations hiérarchisées, avec ceux qui savent, ceux qui décident, ceux qui prÎnent du haut d'un trÎne ou d'une chaire. Le concept de communauté fonctionne différemment. Et ceci a de grandes conséquences en matiÚre de monnaie, entre autres choses.

M. Attali poursuite: on peut imaginer mille crĂ©ateurs de bitcoins, la seule question comme toujours depuis le billet de banque c'est celle de la confiance. Certes. Parlons donc de l'euro. Circule-t-il parce que nous avons confiance en lui, ou bien parce que son cours est forcĂ©, comme on le dĂ©crĂ©ta jadis des premiers assignats ? L'État dĂ©crete le cours forcĂ© (en contradiction avec le dogme de la concurrence libre et non faussĂ©e, au passage) , et c'est cela qui est premier. Lui donne-t-il pour autant sa garantie? C'est ce que M. Attali veut croire, ou nous faire croire. Les chypriotes aussi le croyaient. Que d'illusions...

ChyprePremiĂšrement l'euro n'est nullement la monnaie d'un État, et il n'est pas davantage celle de l'Union EuropĂ©enne, rĂ©putĂ©e ĂȘtre notre second espace de citoyennetĂ©. C'est une monnaie ayant cours forcĂ© dans un ensemble d'État qui en ont abandonnĂ© la gestion Ă  des technocrates qui ne nous reprĂ©sentent pas et ne nous doivent aucun compte. En cas de crise de confiance (parce que la confiance dont parle M. Attali est un leurre) nul ne sait plus qui garantit quoi. Quant au mĂ©canisme mis en place pour garantir les dĂ©pĂŽts des citoyens il est plein de trous (lire sur le site du FGDR) et le montant de l'encaisse de garantie fait rire le dernier des banquiers d'agence.

Vraiment, quelle garantie peuvent offrir Ă  leur population Ă©pargnante des États surendettĂ©s ? C'est lĂ  que les leçons de l'histoire seraient fĂ©condes. Elles sont violentes...

M. Attali n'envisage donc de faire confiance Ă  une monnaie virtuelle que si elle bĂ©nĂ©ficiait de la garantie d'un milliardaire, ce qui est tout de mĂȘme une idĂ©e mĂ©diĂ©vale, si celui-ci Ă©tait capable de nous Ă©changer ça contre des choses rĂ©elles. Mais, au delĂ  du cours forcĂ©, qui Ă©tablit la valeur des billets en euros ? Le marchĂ©, au prix du jour en dollar ou en or, et tant qu'il y a un marchĂ©.

Quand il ajoute que le bitcoin n'a de valeur que si on sait qui est derriĂšre il n'imagine pas un instant que derriĂšre le bicoin, il y a NOUS, une communautĂ© mĂȘme s'il Ă©voque finalement la possibilitĂ© d'une empathie donnĂ©e par un altruisme de crowfunding, longue circonvolution pour tourner autour de la chose, avant de retomber dans sa bataille entre nomades et sĂ©dentaires.

Voilà ce que moi j'en pense. La valeur d'un signe (de l'euro, du bitcoin) est celle créée par la communauté qui en fait son signe d'échange. La communauté des bitcoiners est plutÎt jeune, plutÎt instruite, plutÎt entreprenante. Elle n'a pas de dette, et elle fait sa police de façon non autoritaire, non discriminante. Nous avons entendu un Venture Capitalist nous dire, lors d'un Meet-up à la Maison du bitcoin, qu'il serait hasardeux de parier contre cela.

À la fin de son interview, M. Attali replace son couplet mondialiste : il prĂ©fĂ©rerait de loin une monnaie unique de la planĂšte, qui ferait que la monnaie devienne un instrument banal d'Ă©change. Outre que, pour avoir vu ce qui se passe quand on met l'Allemagne et la GrĂšce dans le mĂȘme espace monĂ©taire, on a des doutes sur le succĂšs d'une mĂȘme opĂ©ration entre le Qatar et le Mali, il faut souligner que, mĂȘme Ă©noncĂ©e sur un ton de vieux sage, il s'agit lĂ  d'une position violemment idĂ©ologique et non pas d'une hypothĂšse technique.

J'ai Ă©voquĂ© la crise chypriote. C'est Ă  cet instant que, sans doute, M. Attali a dĂ©couvert le bitcoin. Il publia alors un article dans l'Express oĂč, malgrĂ© les rĂ©serves d'usage (sur le blanchiment) il lui envisageait des perspectives intĂ©ressantes. Nul doute que le ton bien diffĂ©rent de son interview dix huit mois plus tard ne soit significatif d'un agacement croissant d'une certaine Ă©lite, qui aurait voul continuer Ă  prendre les autres pour des poires et ne se sent guĂšre Ă  l'aise avec le dĂ©veloppement d'une culture oĂč l'on se passerait d'elle, directement poire to poire.

la poire de Youl

Retour Ă  la CĂšne de Vinci revue par Youl, en quelque sorte...

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1 - Ce que les frĂšres Monneron ont vraiment Ă  nous apprendre

By: Jacques Favier —

Il y a quelques mois on a vu sur BFM Business l’économiste Jean-Marc Daniel (polytechnicien, professeur Ă  ESCP) prĂ©senter le Monneron, cette Ă©phĂ©mĂšre monnaie privĂ©e française de 1792, comme ''le bitcoin de la rĂ©volution'', mais avec quelques assertions dont je ne trouve pas les fondements, et sans tenter d’en tirer de leçons pour l’avenir de la nouvelle star, essentiellement citĂ©e en accroche.

Je voudrais donc explorer plus en détail (et pour les seuls lecteurs curieux d'érudition) ce que cette étrange aventure recÚle d'enseignements utiles. Les illustrations sont reprises de l'intéressante page consacrée aux  monnaies de confiance  par M. Michaël Reynaud sur son site infonumis.

Les Monneron ne sont pas des novateurs

Ce sont quatre frĂšres venus d’ArdĂšche, Charles-Ange (nĂ© en 1735), Jean-Louis (en 1742) et Pierre (en 1747) Ă©lus en 1789 dĂ©putĂ©s aux États-GĂ©nĂ©raux (par l'ArdĂšche, les Indes orientales et l’üle Maurice) et un petit dernier, Augustin Monneron, nĂ© en 1756, qui sera Ă©lu en 1791 dĂ©putĂ© de Paris Ă  l'AssemblĂ©e lĂ©gislative.

Pas de mystĂšre autour des Monneron comme autour de Sakoshi Nakamoto ; pas de communautĂ© de geeks autour d’eux. L’ainĂ©, qui est au moment de la RĂ©volution un homme d’ñge mur ayant fait fortune dans le nĂ©goce aux Indes (en Ă©tant cousin de Dupleix), ou pour le second, nĂ©gociant fortunĂ© et armateur qui sera Ă  l’AssemblĂ©e le dĂ©fenseur des intĂ©rĂȘts coloniaux. Le troisiĂšme Ă©tait un peu plus original car il commença dans l’architecture et frĂ©quenta l’un des frĂšres Montgolfier avant de se singulariser Ă  l’AssemblĂ©e par un engagement comme Ami des noirs.

C’est sans doute le benjamin, Augustin, dont les interventions politiques sont les plus originales (notamment sur l’organisation des Ă©coles primaires) et qui invente le monneron, en fondant en 1791, avec la caution de son frĂšre Jean-Louis, une maison qui obtient le droit d’importer des mĂ©taux essentiellement pour fournir la marine et accessoirement pour poursuivre une activitĂ© dĂ©veloppĂ©e de longue date : la frappe de mĂ©dailles politiques. Son frĂšre Pierre s’associe Ă  lui. On va voir que l'aĂźnĂ© doit aussi avoir participĂ© Ă  l'idĂ©e, sinon Ă  l'aventure.

La situation, elle, est bel et bien révolutionnaire

La fin de l’ancien rĂ©gime est marquĂ©e par la conjonction de deux facteurs:

  • un dĂ©ficit budgĂ©taire de quelques 160 millions (qui pourrait Ă©voquer quelque chose Ă  nos yeux) largement dĂ» Ă  une totale aliĂ©nation aux puissances financiĂšres reprĂ©sentĂ©es par quelques familles de banquiers et fermiers gĂ©nĂ©raux qui lĂšvent pour partie Ă  leur profit l'impĂŽt destinĂ© Ă  payer les intĂ©rĂȘts de leurs crĂ©dits. On verra bien plus tard l'Union EuropĂ©enne demander conseil Ă  Goldman Sachs...
  • une insuffisance chronique de numĂ©raire que nous ne connaissons Ă©videmment plus.


Une banqueroute (plus simple Ă  dĂ©cider qu’elle ne le serait aujourd’hui pour un Etat) eĂ»t pu faire l’affaire, mais trop de crĂ©anciers Ă©taient prĂ©sents Ă  l’AssemblĂ©e. Mirabeau parlait comme le FMI. La confiscation des biens du clergĂ© en novembre 1789 fut conçue pour rĂ©gler le premier problĂšme. Talleyrand en attendait 2 Ă  3 milliards, prĂšs du double de la dette totale de l’Etat. Mais ceci ne rĂ©glait ni le dĂ©ficit Ă  trĂšs court terme, ni le problĂšme de l’absence de numĂ©raire. Or celui-ci ne va cesser de s'aggraver : on estime entre 300 et 400 millions les sommes emportĂ©es par les Ă©migrĂ©s. Et tous les chasseurs de trĂ©sors savent que ces annĂ©es-lĂ  furent l'occasion de nombreux enfouissements. Si le monneron est un nouvel instrument de paiement, l’assignat ne l’est pas moins. Le terme lui-mĂȘme n’est pas neuf : issu du droit mĂ©ridional, il dĂ©signait un bien immobilisĂ© pour gage d’un paiement Ă  venir. Ce sont les biens du clergĂ© qui sont assignĂ©s, le papier n’est qu’un billet d’achat. On remet ces assignats aux crĂ©anciers de l’Etat, qui s’en serviront pour se faire payer quand les ventes auront renflouĂ© l’Etat. Ou pour acheter des biens fonciers lors des enchĂšres, Ă  dĂ©faut de numĂ©raire.

Finalement, le cours forcĂ© dĂ©cidĂ© le 17 avril 1790 par un coup de force Ă©quivalent Ă  celui de Nixon le 15 aoĂ»t 1971, fit de ces assignats une monnaie. Mais Ă©mis en grosses coupures de 200, 300 et 1000 livres ils n’avaient pas du tout Ă©tĂ© conçus pour amĂ©liorer les transactions quotidiennes et accrurent plutĂŽt le problĂšme car Ă  la vue de tout ce papier, le cuivre, l’argent et l’or disparurent, d’autant que la situation politique n’inspirait pas forcĂ©ment l’optimisme Ă  tout le monde.

En janvier 1791, l’AssemblĂ©e dĂ©cida enfin de frapper la nĂ©cessaire petite monnaie de bronze, de 3 deniers (le fameux liard) Ă  30 sous (une livre et demi). De nouveau on se tourna vers l’Eglise : il fut dĂ©cidĂ© de fondre les cloches, idĂ©e catastrophique qui ne provoqua que lenteur et malfaçons avec un mĂ©tal gratuit mais malaisĂ© Ă  travailler.
décret cloche
Regardons cette piÚce en métal de cloche. Que peut-elle bien dire aux illétrés qui les tiennent au creux de la main ? Que c'est fini. La monarchie n'a pas été régénérée, les caisses sont vides.
metal de cloche
Les frĂšres Monneron sont des nĂ©gociants et des entrepreneurs rĂ©actifs. Ils font vite et bien ce que l’Etat fait mal et lentement. Ils ne sont peut-ĂȘtre pas les premiers : dans le passage du Perron Ă  Paris (dans l’axe de la rue Vivienne, vers Palais-Royal) un boutiquier du nom de Givry semble s’ĂȘtre lancĂ© dĂšs 1791, avec des monnaies de «5 sols Ă  Ă©changer contre des assignats» d’abord moulĂ©es et qui ne semblent pas avoir beaucoup circulĂ©. Les Monneron ne sont pas non plus les seuls, et il faut noter que l’idĂ©e est souvent portĂ©e par des nĂ©gociants comme les frĂšres ClĂ©manson qui Ă©taient marchands de fer Ă  Lyon, ou le Sieur BoyĂšre, qui fonda la Caisse Populaire et qui Ă©tait un nĂ©gociant parisien.
PlutÎt que de voir à tout prix les Monneron comme les inventeurs d'une nouvelle monnaie, il faut voir que comme les autres négociants, ils ressentent le danger d'une situation sans instrument de micropaiement (pour parler comme aujourd'hui) alors que l'Assemblée en reste aux grands agrégats budgétaires. Il faut savoir qu'avant que Augustin ne batte monnaie, son frÚre aßné, Charles Ange, propose dÚs septembre 1791 de faire tout simplement des pettites coupures d'assignats. En proposant un décret en ce sens.

Une idée ancienne, et "anglaise"

Les frĂšres Monneron font faire Ă  partir de la fin de l'annĂ©e 1791, des jetons de 2 et 5 sols en grande quantitĂ©, mais par un atelier anglais. Or ce sous-traitant, Matthew Boulton Ă  Birmingham, fabriquait dĂ©jĂ , grĂące Ă  la machine Ă  vapeur de Watt, des trade tokens. En Angleterre, l’usage pour les commerçants de rendre la monnaie avec des jetons maison avait dĂ©jĂ  bien plus d’un siĂšcle. On en trouve chez les numismates d’innombrables spĂ©cimens, portant des symboles sans plus de majestĂ© qu’un tonneau de biĂšre, une cloche ou les initiales d’un gros marchand. Dans cette nation de commerçants, les tokens ne seront jamais interdits.
The Sun Inn 1670
William Barradell 1671David Hood 1795
Bien loin d'avoir été ruinés par des "faux" anglais à compter de 1793 comme le soutenait M. Daniel, les Monneron ont importé un usage anglais!

Ainsi donc les Monneron continuent en rĂ©alitĂ© de vendre ce qu’ils vendaient dĂ©jĂ , des mĂ©dailles de grande qualitĂ©, en couplant cela avec une vieille idĂ©e anglaise. Les leurs sont bien plus belles que celles des autres maisons qui se sont engouffrĂ©s dans la brĂšche juridique dont on va reparler. Boulton est mieux Ă©quipĂ©, il frappe vingt flans Ă  la minute, et il a un excellent mĂ©canicien, un français Ă©migrĂ© en Angleterre bien avant la RĂ©volution
 parce qu’en France on boudait les innovations qu’il voulait apporter au balancier. Voici enfin le mot innovation mais elle est technique, non juridique. Voici aussi l’expatriation des entrepreneurs


Quel est le business model des Monneron ?

Leurs 5 sols pĂšsent 30 grammes de bronze, contre 61g en thĂ©orie mais ont fiĂšre allure quand les (rares) piĂšces officielles en fonte de cloche font piĂštre figure. A tout prendre le peuple prĂ©fĂšre des monnerons, que leur qualitĂ© rend difficilement imitables, Ă  des bouts de papier. MĂȘme s’il n’est pas sĂ»r que les petites gens aient suivi le cours du cuivre au jour le jour, la mention 5 sols sur 30 grammes de bronze, cela vaut toujours mieux que sur 5 grammes de papier, non ? Aux yeux du peuple, la fausse monnaie, ce n’est pas l’unitĂ© de compte, immĂ©moriale, sou ou livre, c’est le support, le papier.
Aujourd’hui le support papier n’est pas sans faille, mais il est entrĂ© dans les mƓurs et (sauf chez les maffieux) ne reprĂ©sente plus qu’une partie assez faible de nos actifs pour ne pas ĂȘtre un sujet d’inquiĂ©tude prioritaire. C’est plutĂŽt la vraie valeur du dollar ou de l’euro qui pourrait ĂȘtre le sujet de perplexitĂ©.

Il y a deux aspects dans l’offre que reprĂ©sente la mise sur le marchĂ© des monnerons. A premiĂšre vue l’entreprise des Monneron est une offre psychologique d’un support matĂ©riel connu pour un produit nouveau, l’assignat, qui est lui-mĂȘme le support d’une promesse de pouvoir acheter des biens fonciers. Ne voit-on pas la mĂȘme chose aujourd’hui autour du bitcoin ? Certaines start-up proposent de le loger sur une carte Ă  puce (ce qui est Ă  la fois pratique et rassurant), d’autres sur une sorte de piĂšce de mĂ©tal, ce qui est extravagant. Avez-vous notĂ© ce fait sidĂ©rant que pas un seul article consacrĂ© au bitcoin n’est illustrĂ© autrement que par une sorte de piĂšce d’or qui n’existe nullement et paraĂźt assez incongrue
une représentation incongrue
Mais l’offre des Monneron, qui permettait aussi Ă  tout un chacun de stocker du mĂ©tal sous une forme standard, me paraĂźt plus proche des offres de re-monĂ©tisation de l’or (notamment les cartes de paiement en unitĂ© de compte d’or physiquestockĂ©) que du bitcoin. Osons le mot, elle est un peu rĂ©actionnaire.
Et elle a aussi un vice interne que le bitcoin devra maitriser : si la valeur intrinsĂšque (du cuivre ou du bitcoin) monte Ă  l’excĂšs, ou que l’on pense qu’elle va monter, et que ce soit du fait d’une spĂ©culation ou parce que son utilitĂ© matĂ©rielle grandit (la guerre pour le cuivre, le nombre de transactions pour le bitcoin), alors la nouvelle monnaie perd tout intĂ©rĂȘt comme instrument d’échange (alors mĂȘme qu’elle a Ă©tĂ© conçue pour cela). Au demeurant on retrouve des monnerons trĂšs usĂ©s et d’autres pratiquement sans la moindre trace. Et chacun sait aujourd’hui qu’une part des bitcoins Ă©mis n’a jamais circulĂ©.

Quel Ă©tait le statut des monnerons ?

Les premiĂšres mĂ©dailles sont ornĂ©es du motif tout jeune de la LibertĂ© assise (comme le visage du roi en mĂ©tal de cloche souffre de la comparaison !) et font explicitement rĂ©fĂ©rence Ă  l’article V de la DĂ©claration des Droits de l’homme qui dispose que tout ce qui n’est pas dĂ©fendu par la loi ne peut ĂȘtre empĂȘchĂ©. Certes la nouvelle AssemblĂ© n’a point songĂ© Ă  interdire de battre monnaie. Mais parmi les privilĂšges abolis en aoĂ»t 1789, on compte les nombreux monnayages fĂ©odaux qui avaient subsistĂ©. On pourrait en conclure que seul peut dĂ©sormais battre monnaie, le roi, ou la Nation. Il est toujours hasardeux d’exploiter une brĂšche juridique.

Les premiÚres émissions en 1791 portent donc au cÎté pile la mention Médaille de confiance de cinq sols à échanger contre des Assignats de 50 L et au dessus.

monneron Ă  Ă©changer

La mention Ă  Ă©changer laisse entendre que sur prĂ©sentation d’un sac de monnerons il serait remis au porteur un bel assignat. Dans la pratique, c’est plutĂŽt l’inverse. On n’imagine tout de mĂȘme pas les gens porter leur or chez les Monneron pour avoir du bronze, aussi joliment frappĂ© soit-il.

En 1792, Ă  la seconde Ă©mission, la mention change : MĂ©daille de confiance de cinq sols remboursable en assignats de 50# et au dessus. Il me semble que l’équivoque (remboursable quand ?) est encore plus grande. Comment auront-ils Ă©tĂ© acquis, ces monnerons ? Tout se passe comme si les frĂšres Monneron les rachetaient, alors qu’ils les vendent.

monneron remboursable
monneron qui se vend

Une troisiĂšme Ă©mission, en mai 1792, voit deux innovations significatives : les Monneron Ă©mettent des piĂšces de mĂȘme valeur nominale mais plus lĂ©gĂšres, pour une raison que l’on devine aisĂ©ment mais aussi assorties d’une mention beaucoup moins Ă©quivoque: MĂ©daille qui se vend 5 sols Ă  Paris chez Monneron. Il est clair qu’ils ont senti venir le boulet : la disparition du mot confiance supprime le caractĂšre quelque peu souverain de l’opĂ©ration, tandis que le sens commercial de l’opĂ©ration est remis Ă  l’endroit : les Monneron vendent des mĂ©dailles ; c’est bien leur droit.

Il reste une petite rouerie : ces mĂ©dailles sont toutes frappĂ©es en frappe monnaie (pile et face tĂȘte-bĂȘche, comme toutes les monnaies françaises depuis Louis XIII et jusqu’en 2002) et non en
frappe mĂ©daille (recto et verso dans le mĂȘme sens). Cela ne nous saute pas aux yeux Ă  nous, mais Ă  l’époque ?

L'interdiction progressive

De toute façon le vent a tournĂ©. Il faut sans doute incriminer la maladresse d’un concurrent. La maison LefĂšvre-Lesage frappe aussi des monnaies de confiance Ă  partir du printemps 1792 mais
 en argent et qui elles aussi taillent de moitiĂ©... au mieux. LĂ  aussi donc, il y a Ă©cart entre la valeur affichĂ©e (5 sols) et la valeur rĂ©elle du poids d’argent. Mais, dira-t-on, la moitiĂ© du poids de 5 sols, en bronze ou en argent, cela fait toujours 2 sols et demi: Lefevre & Lesage ne margent pas davantage que les Monneron. Il ne fait pourtant aucun doute que c’est eux qui ont attirĂ© l’attention.

Peut-ĂȘtre pour une raison technique : trop lĂ©gĂšres, leurs mĂ©dailles Ă©taient aussi trop irrĂ©guliĂšres, ce qui a pu susciter des disputes sur les marchĂ©s. Les mĂ©nagĂšres Ă©taient peut-ĂȘtre plus regardantes sur le poids rĂ©el du mĂ©tal blanc, voire connaissaient sa valeur de marchĂ©. Les autoritĂ©s ont pu, de surcroĂźt, percevoir la frappe d’argent, et notamment de 20 sols (une livre), comme une transgression symbolique plus grave que celle de bronze.
20 sols L&L en argent
dĂ©cret du 27 aoĂ»t 1792 Quoiqu’il en soit le 9 juin c’est la municipalitĂ© de Paris qui interdit leur circulation et saisit le stock ; le 27 aoĂ»t, un dĂ©cret de l’AssemblĂ©e interdit nommĂ©ment leurs monnaies en notant curieusement qu’ils ont Ă©tĂ© entraĂźnĂ©s par un dangereux exemple
 Autrement dit Lefevre & Lesage sont ceux par qui le scandale arrive, mais les Monneron peuvent se sentir visĂ©s au premier chef.

Ce sera l’affaire d’une petite semaine, un dĂ©cret du 3 septembre interdit toute Ă©mission privĂ©e. Comme souvent, l’action publique est ici Ă  contretemps : les Monneron ont dĂ©jĂ  fait faillite. Pourquoi ?

En quelque mois seulement, le volume de bronze traitĂ© par les Monneron s’élĂšve Ă  55 tonnes, ce qui, au prix du cuivre, doit laisser un bĂ©nĂ©fice de 225.000 livres. Seulement ces nĂ©gociants avisĂ©s ont un point faible : ils croient en la RĂ©volution qui commencĂ© avec la noble ambition d’assainir les finances du royaume. Et donc ils ont confiance dans les assignats et les thĂ©saurisent, sans doute pour les convertir en biens fonciers. Le petit peuple, plus terre-Ă -terre, thĂ©saurise le bronze. Bien lui en prend, d’autant que la rumeur de guerre (finalement dĂ©clarĂ©e en avril 1792) fait monter le mĂ©tal tandis que l’assignat s’effondre, lentement au dĂ©but, mais sans rĂ©mission. Quant au fournisseur, il exige d’ĂȘtre payĂ© en mĂ©tal noble.

La faillite, dĂšs mars 1792, intervient avant l’interdiction. Pierre s'enfuit. Augustin reprend une activitĂ© de banque, pour pouvoir liquider son stock d’assignats dans d’autres opĂ©rations.

Le 3 septembre 1792, un dĂ©cret de la Convention dĂ©fend Ă  tout particulier de fabriquer des monnaies de mĂ©tal. Si leur commercialisation s’arrĂȘte, leur circulation dure en fait jusqu'Ă  la fin de 1793 et mĂȘme au-delĂ  par endroits, jusqu’à ce que l’Etat mette sur le marchĂ© des petites piĂšces de qualitĂ©.

La prolifĂ©ration est en soi une raison possible de l’interdiction. On a dĂ©jĂ  citĂ© les transgressions symboliques : l’usage de l’argent par Lesage & Lefevre pour des 5, 10 et 20 sols ou par Dairolant & Cie pour des 40 sols. Enfin la Manufacture de porcelaine de l’anglais Potter (rue Crussol, Paris) fabriqua aussi des mĂ©dailles d'une valeur de 5 Ă  20 sols en argent et, circonstance sans doute aggravante, pour payer ses employĂ©s. C’est lĂ  une tentation Ă  laquelle ne rĂ©sisteront pas toutes les entreprises de l’univers Bitcoin


On vit aussi (loin de Paris semble-t-il) des billets de confiance. En ce cas, le support papier n’offre gĂšre de caractĂšre distinctif par rapport aux assignats, sauf Ă  insinuer que son Ă©metteur, privĂ© ou communal, aurait une meilleure signature que l’Etat, chose dĂ©licate Ă  afficher.

L’entreprise des Monneron, dans la continuitĂ© de leur activitĂ© de mĂ©daillers et dans les limites du trade token anglais n’aurait peut-ĂȘtre pas suscitĂ© la foudre. Mais Ă  laisser faire, c’est Ă  une privatisation de la monnaie sur tous supports et pour tous usages que la RĂ©publique s’exposait.

Les Monneron ont-ils blessĂ© d'autres intĂ©rĂȘts que celui de l'Etat ? J'ai dit et redit qu'ils Ă©taient des nĂ©gociants, cela veut dire qu'ils n'Ă©taient pas ce que l'on appelait alors des financiers. Ceux-ci, fermiers gĂ©nĂ©raux et manieurs d'argent se servaient depuis longtemps du mot confiance et de billets reprĂ©sentants des droits sur les impĂŽts, joliment appelĂ©s billets pour le service du roi. J'ai dit que ces gens-lĂ  Ă©taient bien prĂ©sents ou reprĂ©sentĂ©s dans les premiĂšres AssemblĂ©es. En 1792, la Convention ne les a pas encore envoyĂ©s Ă  la guillotine oĂč ils finiront tous. Les Monneron venaient, au minimum, piĂ©tiner leurs plate-bandes...

Comme on l’a dit, l’entreprise monĂ©taire des frĂšres Monneron Ă©tait condamnĂ©e avant d’ĂȘtre interdite. Le dĂ©cret du 3 septembre 1792 donna un coup d’épĂ©e dans l’eau sans rĂ©soudre le problĂšme. La multiplication des interdictions laisse penser que le jeu continua un peu partout et Ă  moindre risque financier pour les Ă©metteurs, c’est Ă  dire sur support papier.

Un dĂ©cret du 8 mars 1793 en interprĂ©tation des dĂ©crets des 8 novembre et 19 dĂ©cembre derniers, fait ainsi un sort Ă  tous les billets de confiance & de secours Ă©mis tant par les corps administratifs ou municipaux que par les compagnie ou particuliers. Finalement on n'avait pas besoin de 55 tonnes de mĂ©tal pour contourner la volontĂ© nationale d'Ă©tablir un privilĂšge sur la monnaie plus intĂ©gral que celui des rois eux-mĂȘmes...

décret du 8 mars 1793

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123 - Ponzi et Pince-moi sont sur un yacht...

By: Jacques Favier —

Comme bien des gens, j'ai découvert récemment l'histoire de l'Arnaqueur de Tinder (Tinder Swindler) que l'on pourrait malicieusement résumer en disant qu'il s'agit d'une affaires  d'échanges sur Internet .

Je ne vais analyser ici, de cette affaire qui à de trÚs nombreux égards est emblématique de notre époque, que ce qui me parait intéresser directement ceux qui veulent réfléchir autour de Bitcoin.

Parce qu'au cƓur d'une arnaque, au-delĂ  de l'indĂ©licatesse sentimentale, du mĂ©pris de l'ĂȘtre humain, de l'appĂąt d'un gain indĂ» et de la soif de jouissances tape-Ă -l'oeil, il y a essentiellement l'identitĂ© (le renard sous la peau de l'agneau) et... les gros sous. Deux sujets adressĂ©s par  la technologie blockchain  comme on dit.

D'abord il y a la double (au moins) identité du héros.

On ne peut qu'ĂȘtre frappĂ© par l'aisance avec laquelle cet homme, nĂ© Shimon Yehuda Hayut, documente une identitĂ© qui n'est pas seulement fausse mais usurpĂ©e, celle du fils supposĂ© du couple Lev and Olga Leviev, dont aucun des neuf enfants ne portent le prĂ©nom de Simon. Exactement comme sur sa photo de famille, il s'incruste par copier-coller sur la rĂ©alitĂ©.

Le coĂ»t de cette opĂ©ration est, comme celui de pratiquement toutes les fraudes numĂ©riques, infime ou nul. Mon lecteur et moi pouvons, en quelques minutes et sans quitter notre clavier, poster une photo de nous incrustĂ©s comme le personnage du Zelig de Woody Allen au milieu de la famille X ou Y, siĂ©geant au Conseil de la Banque Truc ou de l'AutoritĂ© de RĂ©gulation Machin. En faire usage ensuite sur les rĂ©seaux sociaux ne doit guĂšre ĂȘtre puni bien sĂ©vĂšrement.

Plus l'identification d'un ĂȘtre humain repose sur des rĂ©alitĂ©s numĂ©riques (ou numĂ©risĂ©es) plus grandit l'espace par oĂč s'infiltrer. Ainsi il n'est pas non plus bien difficile de se procurer une facture EDF, cette dĂ©risoire clĂ© de voĂ»te du KYC bancaire : on trouve tout ce qui est nĂ©cessaire en ligne pour cela (exemple ancien, par prudence) et le fait que le technicien ne se dĂ©range plus (merci Linky) doit arranger encore la tĂąche.

Or dans l'affaire de l'Arnaqueur de Tinder, mis à part l'acte sexuel, toutes les interactions des malheureuses se sont déroulées avec un avatar.

Dans un bal masqué cela ne manquerait pas de pimenter la chose, à la maniÚre d'un gracieux marivaudage. Il faut juste laisser sa carte de paiement bien loin des pattes de son cavalier.

J'en reste là, incitant mes lecteurs à faire l'acquisition du pertinent ouvrage de mon ami Alexis Roussel et de Grégoire Barbey, Notre si précieuse intégrité numérique, préface de Jacques Favier, sans pseudonyme.

L'arnaque mĂ©rite-t-elle d'ĂȘtre dĂ©crite comme un Ponzi ?

C'est ce que fait la presse grand public (ici Marie-Claire) :  l'enquĂȘte du journal VG - ainsi que le documentaire - rĂ©vĂšlent une arnaque basĂ©e sur un modĂšle de pyramide de Ponzi : Cecilie payait pour Pernilla, Pernilla payait pour la suivante, ect
  .

Or il saute aux yeux qu'il n'en est rien : Cecilie a, si l'on veut, payĂ© le repas de Pernilla, mais elle ne l'a pas remboursĂ©e. On pourrait dire qu'elle a payĂ© le Dom Perignon d'un soir, Pernilla la suite royale d'une nuit et Ayleen la Lambo. Aucune d'entre elle n'a jamais Ă©tĂ© remboursĂ©e avec de gros intĂ©rĂȘts comme les clients chanceux d'un Ponzi qui se sauvent avant l'effondrement de la pyramide.

Dans un monde d'inculture financiĂšre, cet emploi inexact du nom de Charles Ponzi a cependant de quoi consoler celui qui lit du soir au matin des boutades de banquiers ou des approximations de journalistes faisant de Bitcoin un Ponzi.

Le Cercle du Coin avait organisé une rencontre avec Marc Artzrouni, mathématicien spécialiste reconnu du Ponzi (et à titre personnel peu favorable à Bitcoin) : il avait fait justice de cette assimilation inculte. Ceux qui ont un peu de temps et de curiosité peuvent revoir sa conférence ici.

Oublions Ponzi, non sans rappeler (par méchanceté) que la plupart des banquiers qui nous en parlent ont vendu du fonds Madoff, authentique pyramide, pour le coup.

Parlons donc de l'essentiel : des banques.

Les trois malheureuses héroïnes seraient toujours en train de rembourser, chaque mois, et certainement au taux d'usure, une somme totale de 600.000 dollars en principal.

Comme on le voit dans le documentaire, chacune a pu, en quelques heures et sur la base de bulletins de salaires contrefaits obtenir des prĂȘts Ă  5 chiffres. Non pas une fois, mais trois, quatre voire cinq fois.

Aucune enquĂȘte ? Aucune centralisation par la Banque centrale, ou aucune consultation du fichier des emprunteurs s'il existe ? Aucune inquiĂ©tude d'Amex et autres quand l'encours de la carte de paiement est rechargĂ© 3 fois en 3 semaines par 3 crĂ©dits personnels ?

Curieusement les documents que l'on aperçoit Ă  la dĂ©robĂ©e dans le documentaire semblent presque absents d'Internet oĂč ne demeurent que les photos du BG Ă  tĂȘte de pervers et de ses noubas de petit mec sorti des bas-fonds.

Ah la belle chose que l'audace des banques, si promptes soudain, alors qu'on les connaßt si prudentes en général !

Je ne sais si l'on finira par incriminer le je-m'en-foutisme des banques, si soupçonneuses quand un client dépose 500 euros en cash ou 5.000 en liquide, mais si peu responsables en réalité dÚs qu'elles sont protégées par la violence des contrats et des lois.

Il y aurait encore une chose Ă  leur reprocher : l'arnaqueur, parmi les mensonges qui ont pu le rendre crĂ©dible mĂȘme aux moments de crise, invoquait systĂ©matiquement la lenteur des transferts bancaires. Car la terre entiĂšre sait que l'argent promis arrive toujours le lendemain (au mieux) du jour prĂ©vu, que le SEPA n'est ni gratuit ni instantanĂ©, pour dix mille raisons et notamment  pour votre sĂ©curitĂ©. Un paiement en Bitcoin ne se fait pas attendre, et cette diffĂ©rence est considĂ©rable.

Pourtant, si l'une des banques de Cecilie aurait passĂ© l'Ă©ponge, apparemment aux frais de son assureur, toutes les autres institutions bancaires impliquĂ©es semblent poursuivre en justice et par tous les moyens le recouvrement de leurs crĂ©ances, avec une ardeur qui serait sans objet si elles avaient prĂȘtĂ© cela aprĂšs de longues analyses de risque Ă  des sociĂ©tĂ©s capables de se placer sous la protection des lois sur les faillites.

Que conclure de tout cela ?

Mais... ce qu'il vous plaira.

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121 - « La fantaisie obstinée de trois ou quatre faquins »

By: Jacques Favier —

J'ai Ă©voquĂ© dans mon billet prĂ©cĂ©dent consacrĂ© Ă  l'exode des trĂ©sors et des compĂ©tences cryptos le rapport ThĂ©ry de 1994. C'est une croix que porte, au-delĂ  du dĂ©cĂšs en juillet 2021 de son brillant auteur, tout haut-fonctionnaire qui prophĂ©tise le futur en ne comprenant dĂ©jĂ  plus le prĂ©sent. Classiquement, les mĂȘmes erreurs sont renouvelĂ©es depuis des annĂ©es maintenant au sujet de Bitcoin.

Mais c'est avec une certaine joie que, m'intĂ©ressant (dans mon autre vie) Ă  la constitution des collections Ă©gyptiennes des musĂ©es europĂ©ens, j'ai retrouvĂ© une  perle  ancienne et... qui est soudain entrĂ© en rĂ©sonance. Ce qui suit n'est donc pas un  ancĂȘtre du rapport ThĂ©ry  mais une preuve que la lĂ©gĂšretĂ© et l'arrogance dans le jugement sont un risque inhĂ©rent au gouvernement des  experts .

Une erreur de jugement, non moins péremptoire que celles de Gérard Théry, et qui explique comment l'une des plus belles collections égyptiennes constituée au 19Úme siÚcle a échappé au pays de Champollion.

Bernardino Drovetti (1776-1852) Ă©tait un piĂ©montais Ă©tonnant, soldat de la RĂ©publique française, nommĂ© consul de France Ă  Alexandrie par Bonaparte, mis sur la touche quand le rĂ©gime tomba et demeurĂ© sur place comme marchand de tout, aventurier, dĂ©couvreur d'antiquitĂ©s et trafiquant de celles-ci, en un temps oĂč elles Ă©taient Ă  celui qui se baissait pour les ramasser.

En 1818, Drovetti rencontre à Alexandrie le comte de Forbin, directeur général des Musées royaux. Celui-ci est émerveillé par la collection du consul. Dans son Voyage dans le Levant publié l'année suivante il écrit que, dÚs cette époque, le voeu de Drovetti (qui pour cela refusait des offres importantes) était bien que sa collection aille embellir le Musée du Louvre.

Le comte de Jomart, ancien de l'expĂ©dition de Bonaparte et secrĂ©taire de la commission chargĂ©e de la publication de la monumentale Description de l'Égypte est lui aussi tout Ă  fait conscient de l'intĂ©rĂȘt de la collection accumulĂ©e par Drovetti et l'Ă©crit au Ministre de l'IntĂ©rieur en aoĂ»t 1818.

Au fond, toutes les personnes instruites de la chose en comprennent l'intĂ©rĂȘt.

Le Louvre, ancien « MusĂ©e NapolĂ©on », vient seulement en 1818 d’ouvrir sa premiĂšre salle Ă©gyptienne, intitulĂ©e « Salle de l’Isis ou des Monuments Ă©gyptiens ».

Vingt-trois objets s’y dĂ©ploient en tout et pour tout, autour d’une statue romaine d’époque impĂ©riale donnant son nom Ă  la salle, et cette « Isis » est en rĂ©alitĂ© une statue de divinitĂ© anthropomorphe Ă  tĂȘte de lionne, reprĂ©sentant la dĂ©esse Sekhmet. Les objets qui l’environnent sont principalement des objets Ă©gyptianisants de l’AntiquitĂ© romaine, mĂȘlĂ©s de quelques originaux Ă©gyptiens, collectĂ©s Ă  Rome.

Le musĂ©e français apparait donc alors trĂšs en retrait sur le plan de la prĂ©sentation de productions issues de l’Égypte ancienne, en comparaison des salles Ă©gyptiennes mises en place outre-Manche. L'acquisition de la collection proposĂ©e par Drovetti devrait ĂȘtre une prioritĂ© !

Quand entrent en scÚne les incompétents

Le roi Louis XVIII n’aime pas l’art de l’ancienne Égypte, et une partie de son entourage rĂ©actionnaire et bigot fulmine en songeant que ces orientalistes, avec leurs recherches inutiles, veulent mettre en doute la chronologie biblique. Un peu d’Isis romaine, passe encore, mais fouiller pour retrouver des objets prĂ©tendument vieux de cinq millĂ©naires, quand des calculs prĂ©cis aboutissent Ă  assigner au premier jour de la CrĂ©ation la date du 23 octobre 4004 av. J.-C. (Ă  midi) et au 5 mai 1491 av. J.-C l'Ă©chouage de l'arche sur le mont Ararat ... il n’en saurait ĂȘtre question : c'est trop contraire Ă   nos valeurs  comme on ne dit pas encore ! L'affaire traine donc.

En 1822 le roi estime qu'il s'est fait dépouiller pour acquérir le zodiaque de Denderah, et qu'il en fait bien assez. Let's be serious comme on ne disait pas encore non plus.

L'affaire va donc ĂȘtre enterrĂ©e illico et avec une superbe tout Ă  fait Ă©tonnante par un ministre qui n’est autre que le gĂ©nĂ©ral de Lauriston. Ce grand et courageux soldat de NapolĂ©on, outre sa carriĂšre militaire, a une rĂ©elle expĂ©rience diplomatique. Mais ni comme soldat ni comme diplomate, il n'a jamais mis les pieds en Égypte. Et Ă©videmment il n'est point historien de l'art, ni collectionneur. RalliĂ© comme presque tous les autres au nouveau pouvoir, il est devenu  Ministre de la Maison du Roi . On se demande un peu ce qu'il vient faire lĂ . Disons que comme tout bon membre d'un cabinet ou d'une cour, il parle au nom de son patron. Notons quand mĂȘme qu'il n'a pas lĂąchĂ© un demi million Ă  McKinsey pour se faire une opinion, ce qui lui aurait Ă©vitĂ© de porter le bicorne. Ce militaire (qui a tout du boomer diraient mes jeunes amis) va donc laisser Ă  la postĂ©ritĂ© ses propres idĂ©es courtes sur l'art antique. FĂącheux, mais savoureux :

L’art chez les Égyptiens n’a jamais approchĂ© le degrĂ© de perfection oĂč il s’est Ă©levĂ© chez les Grecs et dans nos temps modernes ; les statues Ă©gyptiennes, dĂ©nuĂ©es de toute expression, avec leurs formes sĂšches, Ă©troites et ramassĂ©es, leurs poses immobiles et uniformes, ne sont point propres Ă  fournir Ă  nos artistes des modĂšles d’études et des sujets d’inspiration .

lauriston et son roi.jpg, janv. 2022

Bref, ni le ministre ni le roi n'y connaissent grand chose, mais à eux-deux ils ont décidé que Drovetti n'a qu'à aller vendre sa collection ailleurs. Ce qu'il fait en 1824 et pour une bouchée de pain, auprÚs du roi de Piémont-Sardaigne.

Le commentaire de Champollion (qui se rend Ă  Turin et tombe en pĂąmoison) mĂ©rite aussi d'ĂȘtre citĂ© et pourrait parfois nous servir aujourd'hui :

Les monuments Ă©gyptiens abonderont partout, exceptĂ© en France, et ceci par la fantaisie obstinĂ©e de trois ou quatre faquins dont la nouvelle Ă©tude dĂ©range les idĂ©es et les intĂ©rĂȘts, ce qui est tout un pour eux
 Vous verrez qu’il y aura bientĂŽt un musĂ©e Ă©gyptien dans la capitale de la rĂ©publique de St-Marin tandis que nous n’aurons Ă  Paris que des morceaux isolĂ©s et dispersĂ©s .

La chose comique, si l'on y songe, c'est que le grand soldat qui joua ici le rÎle du faquin s'appelait Law de Lauriston et qu'il était... le neveu du célÚbre financier. Comme quoi, savoir reconnaßtre la vraie valeur des choses n'était point le fort de cette famille...

Au moins peut-on se consoler en songeant qu'en 1827, sous l'influence de Champollion désormais protégé par le roi Charles X, le Louvre acquérait la seconde collection proposée par Drovetti.

Comme quoi, parfois, l'État parvient à apprendre de ses erreurs...

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111 - Napoléon et « nous »

By: Jacques Favier —

Je ne vais pas aborder ici le napolĂ©on (petit n) qui reste encore aujourd'hui un honnĂȘte refuge contre l'inflation pour bourgeois boomers, mais un peu l'autre legs financier de NapolĂ©on Bonaparte, la Banque de France, et un peu aussi l'incapacitĂ© de penser par manque de toute « culture » historique qui caractĂ©rise tragiquement tout ce qui aujourd'hui « fait l'opinion ».

Pour qui a bĂ©nĂ©ficiĂ© d'une formation historique un tant soit peu sĂ©rieuse, l'Ă©pisode napolĂ©onien que nous venons de traverser a Ă©tĂ© Ă©prouvant mais instructif. J'ai dĂ©jĂ  dĂ©noncĂ© dans un billet consacrĂ© aux histoires des Ă©conomistes les impostures d'une profession qui se croit habilitĂ©e Ă  nous raconter, Ă  travers l'histoire, ce que nous sommes, ce que nous devons ĂȘtre, ce qui a toujours Ă©tĂ© et doit continuer d'ĂȘtre.

Que dire quand s'y mettent aussi des politiciens formĂ©s aux fiches de culture gĂ©nĂ©rale de leur prĂ©pa Ă  l'ENA, des Ă©ditorialistes ivres de parlote, des blogueurs recopiant de fausses citations trouvĂ©es en ligne et des copains informĂ©s par les controverses elles-mĂȘmes plus que par des lectures universitaires ?

Au-delĂ  de toute opinion (ou information) personnelle sur un homme qui, parce qu'il Ă©tait un ĂȘtre d'exception placĂ© dans des conditions exceptionnelles il y a 200 ans, ne peut par dĂ©finition pas nous enseigner quoi faire ou quoi penser au jour le jour, j'avoue m'ĂȘtre souvent amusĂ© de voir combien ce qui se disait de lui parlait en rĂ©alitĂ© de nous : de notre rĂ©publique qui serait miraculeusement Ă©trangĂšre Ă  toutes les vilenies de jadis, de notre pays oĂč des gouvernants bien moins exceptionnels qu'ils ne le croient continuent de justifier par notre histoire le plaisir qu'ils prennent Ă  coucher dans son lit.

RĂ©vĂ©lateurs du faible niveau d'information historique autant que de cette confusion des plans, deux procĂ©dĂ©s rhĂ©toriques doivent ĂȘtre mĂ©ditĂ©s, voire appliquĂ©s entre nous Ă  l'histoire de la monnaie :

  1. « et ça a durĂ© jusqu’en
 ».
  2. « on ne nous l’a jamais dit, mais ».

Le scandale de la durée

Bonaparte a rĂ©tabli l'esclavage et je ne dirai rien de ce scandale qui a quand mĂȘme « durĂ© jusqu’en 1848 ». D'autres choix, moins rĂ©voltants, ont pesĂ© plus longtemps encore. Ainsi le mĂȘme homme a dans la pratique supprimĂ© la libertĂ© de divorce par consentement instaurĂ© par la RĂ©publique. On peut pinailler Ă  la marge, mais quand on dit que ce scandale « a durĂ© jusqu’en 1975 » ne voit-on pas ce que cela signifie : que huit rĂ©gimes successifs (dont trois rĂ©publiques) ont vĂ©cu avec, alors que ni le despotisme napolĂ©onien, ni son machisme mĂ©diterranĂ©en, ni le prestige de ses victoires ne pesaient plus sur les dĂ©cisions des petits hommes qui lui avaient succĂ©dĂ©. De mĂȘme si les dames ne votaient point Ă  la Belle Époque, ce n'est pas la faute Ă  NapolĂ©on.

Est-ce qu'incriminer Napoléon du malheur des femmes (et des couples) durant 175 ans n'est pas une façon paresseuse et complaisante de ne rien dire de notre façon de nous (laisser) gouverner ?

Que Napoléon ait exercé en son temps une forme de dictature ne nous exonÚre pas, pour le dire plus crument, de nos dégoutantes et persistantes servitudes volontaires.

Le scandale du secret

Certes l'histoire progresse comme savoir accumulé et elle épouse pour cela le cours sinueux des problématiques propres à chaque époque. La polémique aussi, qui prétend juger l'histoire depuis une sorte d'Olympe morale, évolue et mute avec le temps :  bien peu de gens reprochaient à Napoléon le rétablissement de l'esclavage il y a 200 ans, et c'est un progrÚs de le faire, mais nul ne semble plus lui reprocher en 2021 l'enlÚvement et l'exécution du duc d'Enghien alors que cela a traumatisé une partie de l'opinion et rempli des pages et des pages de critique dans toute l'Europe jadis.

Mais qu'un fait soit mis en exergue ou au contraire placĂ© sous le boisseau, il reste quand mĂȘme assez peu de secrets sur cet homme-lĂ , sauf ceux que l'on invente pour faire vendre ou pour faire frĂ©mir. On s'Ă©tonnera donc de voir un homme que par ailleurs j'estime plutĂŽt, comme Daniel Schneidermann, Ă©crire sur son blog de pareilles bĂȘtises :

Des pans entiers de l'histoire napoléonienne sont encore en quasi-friche. Ainsi de cet autre "grand monument" des années du Consulat : la Banque de France. En voilà, une création magnifique, indispensable instrument de la souveraineté monétaire, qui a survécu aux siÚcles ! Mais qui sait que l'institution, créée en 1800, est à l'origine une banque privée, dont Bonaparte et sa famille (sa mÚre Letizia, sa femme Joséphine, son frÚre JérÎme, etc) étaient les principaux actionnaires, et qui semble avoir été un investissement trÚs fructueux ?

Franchement, s'il l'ignorait, j'ai un peu de peine pour lui. Il aurait pu lire un des nombreux ouvrages consacrés à Napoléon et à l'argent (l'édition du Napoléon de Jean Tulard donne de nombreuses références utiles).

Lui-mĂȘme cite un rĂ©sumĂ© de la question, publiĂ© il y a... 6 ans sur le fort libĂ©ral site Contrepoints et qui mentionne la chose.

Si jamais la chose fut secrĂšte, elle ne l'est plus depuis les sorties fracassantes de Daladier en 1934 sur les 200 familles. Il est vrai que parler des « 200 familles » vous ferait tout de suite ranger dans la rubrique populisme voire complotisme. La presse, comme on sait, est en France aussi indĂ©pendante des intĂ©rĂȘts Ă©conomiques que tout le reste : il y a donc les controverses qui lui vont et celles qu'elle contourne.

Oui, la Banque de France est née comme une banque privée, mais que peut-on en dire aujourd'hui ?

Les autres banques centrales qui pouvaient servir de modĂšle, celle de SuĂšde ou celle d'Angleterre, Ă©taient nĂ©es privĂ©es elles-aussi ! Et « ça a durĂ© jusqu’en » 1936 en France, Ă  une Ă©poque oĂč l'autoritarisme napolĂ©onien avait quelque peu faibli.

Abeilles sur le manteau ou pas, aigles sur les drapeaux ou pas, les Banquiers Centraux ont-ils jamais Ă©tĂ© autre chose que les rĂ©gulateurs, et parfois les parrains, d'intĂ©rĂȘts privĂ©s ? C'est donc toujours avec un petit hoquet que j'entends dĂ©noncer Bitcoin comme « monnaie privĂ©e ».

La BCE d'aujourd'hui est bien plus indĂ©pendante des pouvoirs politiques que ne l'Ă©taient les rĂ©gents de la Banque de France, l'empereur lui-mĂȘme et sa famille n'en ayant jamais Ă©tĂ©s actionnaires majoritaires, mais, actionnariat privĂ© ou pas, est-elle plus indĂ©pendante des intĂ©rĂȘts privĂ©s ? L'indĂ©pendance des banques centrales, qui est un pur dogme religieux, ne s'entend pas forcĂ©ment de tous les pouvoirs et n'assure en rien leur dĂ©vouement au bien commun.

Et que dire de la FED, quand la plus puissante des 12 banques centrales régionales, celle de New York, est détenue en majorité par Citigroup (42,8 %) et JP Morgan (29,5 %) ?

Pas une parlote sur la monnaie qui ne rappelle sa dimension presque mystique, souveraine, rĂ©galienne... un peu de in God we trust par-ci, un peu de pacte rĂ©publicain par-lĂ . On rappelle bien moins souvent qu'il ne s'agit parfois que d'un vernis, mĂȘme si Morgan elle-mĂȘme a jadis battu monnaie. Si la BoE est entiĂšrement dĂ©tenue par le TrĂ©sor, le capital de la BNS est largement privĂ©.

Quand Barak Obama écrit « inutile de se dissimuler l'évidence : les premiers responsables des malheurs économiques du pays sont restés fabuleusement riches » et ajoute qu'il ne pouvait rien faire parce que les banquiers tenaient l'économie en otage et s'étaient munis de ceinture d'explosifs ; quand on voit qui, chez nous, rédige les rapports sur la réforme des banques, et comment se fait la circulation des dirigeants entre banques privées, banques centrales et organes gouvernementaux... est-il bien raisonnable de chercher des poux dans les lauriers de Napoléon ?

Et donc...

Un jour ou l'autre je parlerai de la façon dont le créateur de la Banque de France fabriquait (aussi) de la vraie fausse monnaie, par millions. Mais pour le moment, l'enseignement le plus réjouissant de tout cela, c'est que la perméabilité des banques centrales (en commençant la FED) aux desiderata des banques commerciales ne joue pas forcément... contre Bitcoin.

Normalement un article sur l'empereur commence par une fausse citation, venant au mieux de Balzac, au pire de libelles royalistes, et parfois de romans américains. Je vais inverser le procédé et finir par une citation connue (mais fausse, bien sûr) sourcée en page 48 du célÚbre Manuscrit venu de Sainte-HélÚne.

Satoshi demandant à Napoléon ce qu'il pensait de la preuve de travail, celui-ci la déclara bien plus crédible que toutes les alternatives, car il n'y a dans la force ni erreur , ni illusion ; c'est le vrai mis à nu.

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104 - SĂ©paration

By: Jacques Favier —

(les illustrations proviennent toutes de l'album Nope en Stock)

Est-ce un effet du hasard si l’incroyable sĂ©quence laĂŻciste que nous vivons depuis des semaines, avec sa rĂ©affirmation emphatique de « principes rĂ©publicains » taillĂ©s sur mesure, coĂŻncide avec les dĂ©clamations ministĂ©rielles visant Ă  dĂ©fendre la monnaie de l’État en rĂ©glementant Ă  outrance tout ce qui de prĂšs ou de loin en menacerait son monopole absolu ? Je ne le crois pas.

Une rĂ©action superficielle aux derniers exploits rĂ©gulatoires de nos ministres consiste Ă  incriminer leurs hymnes hypocrites Ă  la Blockchain-Nation, dont la France serait un parangon, pour les mettre en rapport avec la cerfa-ration quotidienne de rĂšgles absurdes qu’ils nous imposent (1), mais aussi avec une prĂ©tentieuse inculture technologique, plaisamment rĂ©sumĂ©e par le nouveau hashtag #3615crypto.

Je propose ici de prendre un satanĂ© recul, jusqu’en novembre 1789, pour examiner les choses dans une perspective longue, et voir ce que la rhĂ©torique laĂŻque et la rĂ©gulation monĂ©taire nous disent toutes deux de « nos valeurs » comme disent ceux qui parlent pour les autres, mais aussi pour voir ce que la logique de « sĂ©paration » pourrait signifier.

Les séparations françaises

Il arrive Ă  l’occasion que certains de mes amis cryptos Ă©voquent la nĂ©cessitĂ© d'une « sĂ©paration de la Monnaie et de l’État », expression doublement dĂ©tournĂ©e de celle de 1905, parce qu'il ne s'agit plus de tracer une frontiĂšre avec les choses spirituelles mais aussi parce que le problĂšme, dĂ©sormais, serait... du cĂŽtĂ© de l'État. L'hypothĂšse que je vais prĂ©senter est que le problĂšme a toujours Ă©tĂ©, d'une certaine façon, du cĂŽtĂ© de notre État français, spĂ©cifiquement.

L’ordonnance prĂ©sentĂ©e le 9 dĂ©cembre par MM. Le Maire, Dussopt et Lecornu visant au « renforcement du dispositif de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme applicable aux actifs numĂ©riques » se distingue Ă  plusieurs Ă©gards des dizaines d’oukases antĂ©rieurs :

  • par la mauvaise foi, car il ne s’agit que de faire un peu de spectacle tout en se mettant en conformitĂ© avec des recommandations antĂ©rieures du GAFI, avant le prochain round d’évaluation de la France ;
  • par la sottise, puisqu’on ne trouve rien d’autre Ă  invoquer pour justifier cela qu’une bien mince affaire rĂ©cente de « financement terroriste » et prĂ©cisĂ©ment celle oĂč la traçabilitĂ© des opĂ©rations en Bitcoin a justement permis de dĂ©manteler la filiĂšre, comme le montre une belle enquĂȘte de 21 millions qui ramĂšne cette affaire mineure Ă  ses justes proportions ;
  • par la maladresse consistant Ă  exiger une authentification par virement SEPA qui enferme les plateformes françaises dans un mĂ©canisme rĂ©gional que les fonctionnaires europĂ©istes pensent universel, au moment oĂč la Suisse s'affirme comme la vraie nation crypto d'Europe, Ă  bien des Ă©gards et mĂȘme par l'attitude de ses banques.

On trouvera ici les liens vers les analyses de Bitcoin.fr, des responsables de Blockchain Partners ou de l’ADAN. MĂȘme un dĂ©putĂ© de la majoritĂ© a Ă©mis une pertinente critique de cette initiative incongrue qui, Ă  force de vouloir tout rĂ©gir, fait sans doute sortir la "Blockchain Nation" du jeu.

Est-il juste de mettre cela en parallĂšle avec l’offensive bruyamment menĂ©e pour dĂ©fendre notre conception de la laĂŻcitĂ© ?

Cette merveille unique est tellement incomprise Ă  l’étranger que M. Macron en vient Ă  se quereller publiquement avec la presse amĂ©ricaine comme avec le prĂ©sident Ă©gyptien. La sĂ©paration des Ă©glises et de l’État serait, nous dit-on, consubstantielle Ă  la forme rĂ©publicaine de notre pays (la loi ne date pourtant que de 1905) et ferait partie du socle de « nos valeurs ». Tant et si bien que ceux qui refusent cette sĂ©paration deviennent des... « sĂ©paratistes », ce qui implique une certaine gymnastique conceptuelle.

On peut s’interroger sur la gĂ©omĂ©trie du « nous » dont on parle, quand une part non nĂ©gligeable de citoyens français eux-mĂȘmes expriment des rĂ©serves sur lesdites valeurs. Mais surtout cette obsession franco-française rend intenable l’illusion d'une Nation auto-proclamĂ©e porteuse de valeurs universelles et nous enferme dans une singularitĂ© oĂč se complait le narcissisme hexagonal.

Aux racines de nos singularités

Ce serait, pour parler comme M. Macron « comme cela que la France s’est construite ». Je veux bien, mais Ă  condition de commencer par une Ă©vidence oubliĂ©e : l’État, en France, n’a pas eu Ă  livrer un combat de titan pour se libĂ©rer des puissantes serres de l’Église. C’est lui qui s’est introduit avec sa brutalitĂ© et sa dĂ©sinvolture ordinaires dans les affaires de celle-ci.

Le 2 novembre 1789, l’AssemblĂ©e constituante dĂ©crĂ©tait que « tous les biens ecclĂ©siastiques sont Ă  la disposition de la Nation, Ă  la charge de pourvoir, d'une maniĂšre convenable, aux frais du culte, Ă  l'entretien de ses ministres, et au soulagement des pauvres, sous la surveillance et d'aprĂšs les instructions des provinces ». Rappelons que les États-GĂ©nĂ©raux avaient Ă©tĂ© rĂ©unis pour rĂ©tablir les finances de la monarchie. La solution adoptĂ©e (Ă  l’instigation de Talleyrand) a le mĂ©rite de la simplicitĂ© : l’État a environ 4 milliards de dettes, les biens du ClergĂ© doivent bien valoir autant. Et voilĂ .

Seulement cette solution, qu’un Conseil constitutionnel contemporain serait peut-ĂȘtre gĂȘnĂ© de justifier, n’avait rigoureusement aucun autre mĂ©rite que son simplisme, et n’offrait que des dĂ©fauts :

  • elle augmentait la subordination (dĂ©jĂ  rĂ©elle sous les rois) de l’Église française Ă  un pouvoir nouveau, que l’on ne pouvait exonĂ©rer du soupçon de malveillance, accroissant le tiraillement permanent entre l’allĂ©geance au roi et celle qui est due par les catholiques au pape ;
  • elle suscita donc de ce cĂŽtĂ© une condamnation Ă©trangĂšre (on ne parle pas encore de sĂ©paratisme) qui, mettant Ă  mal la conscience de nombreux français, inaugurait un fossĂ© jamais totalement comblĂ© entre nous ;
  • en heurtant la conscience du roi Louis XVI elle portait le germe de l’échec de la tentative d’instaurer une monarchie constitutionnelle, ce qui Ă©tait pourtant le vƓu le plus large et le plus sage Ă  ce moment, nous condamnant Ă  deux siĂšcles d’errances politiques pour en arriver au rĂ©gime actuel, bien moins Ă©quilibrĂ© que ce que l’on souhaitait alors ;
  • enfin elle mit en branle un dĂ©sastre financier collectif. On ne monĂ©tise pas ainsi des murs, des champs ou des forĂȘts reprĂ©sentant peut-ĂȘtre 3 milliards de livres ou 10 fois le budget annuel du royaume. La planche Ă  billet, symboliquement incriminĂ©e dans le naufrage des assignats, fut moins coupable que la duplicitĂ© d’une bourgeoisie qui ne voulait pas payer d’impĂŽt mais ne rechignait pas Ă  se goinfrer de biens volĂ©s puis bradĂ©s.

Cinq ans plus tard la promesse faite au clergĂ© (« pourvoir d’une maniĂšre convenable... ») Ă©tait violĂ©e, les Assignats n’avaient plus de valeur depuis longtemps et la confiance du public dans quoi que ce soit Ă©tait Ă  zĂ©ro. Advint NapolĂ©on, qui rĂ©tablit la paix avec le pape, l’équilibre budgĂ©taire, y compris par l'impĂŽt, et enfin la valeur de la monnaie. Les Français du temps ont plutĂŽt apprĂ©ciĂ© ! Mais NapolĂ©on ne restitua pas pour autant les monuments confisquĂ©s : il suffit de se promener en France pour voir que prĂ©fectures, mairies, musĂ©es, lycĂ©es ou prisons sont souvent des bĂątiments religieux (2). Il se mĂȘla assez lourdement de la vie de l’Église, redessinant les diocĂšses, dĂ©plaçant les siĂšges Ă©piscopaux, rĂ©digeant le nouveau catĂ©chisme, etc. Il s’en alla enfin, mais le roi restaurĂ© ne se montra pas plus discret, ni aucun rĂ©gime aprĂšs lui, y compris les plus rĂ©cents qui se sont mis en tĂȘte l'idĂ©e absurde et largement contreproductive (3) de façonner un « islam de France », voire « des LumiĂšres ».

MĂȘme et surtout devenue « laĂŻque », la RĂ©publique est religieuse ; mais elle l’est trĂšs mal.

Il y a d'abord beaucoup de risible maladresse : entendre M. Hollande prĂŽner que « l’islam est une religion de paix » ou M. Castaner expliquer que « la priĂšre n'a pas forcĂ©ment besoin de lieu de rassemblement » illustre l’étendue des compĂ©tences que nos Ă©lites, pourtant peu instruites de ces choses, s’attribuent en matiĂšre religieuse.

Au-delĂ  de ces maladresses, la RĂ©publique est une DĂ©esse qui a perdu la Raison. RĂ©pĂ©ter en boucle que « la religion est une affaire privĂ©e » indique seulement que l’orateur n’a pas de religion, sinon peut-ĂȘtre une vague spiritualitĂ© new age. AssĂ©ner soir et matin que la loi de la RĂ©publique est supĂ©rieure Ă  la loi de Dieu, voire dans la variante Darmanin « plus forte que la loi des dieux » histoire d’intimider aussi les quelques terroristes polythĂ©istes qui se cacheraient encore parmi nous, ne dĂ©montre rien. Ce n’est qu’un principe hypothĂ©tique, rationnellement indĂ©cidable. Celui qui craint l'enfer se moque des amendes. Et rĂ©pondre aux fanatiques religieux par un fanatisme politique, idolĂątrer la RĂ©publique, de quoi est-ce le signe ? Comme pour tout fanatisme, c’est le signe d’un manque, d’un creux.

Car enfin, ces fameuses valeurs, quelles sont-elles ?

Il n’en existe pas de liste officielle, et on peinerait Ă  en faire un bouquet trĂšs garni. En gros, il y en a trois qui surnagent des mĂ©diocres discours actuels, mais ce ne sont pas celles qu'un homme de 1789 aurait attendues.

D'abord « l’égalitĂ© de l’homme et de la femme » alors que notre Constitution mentionne « l'Ă©gal accĂšs des femmes et des hommes aux mandats Ă©lectoraux et fonctions Ă©lectives, ainsi qu'aux responsabilitĂ©s professionnelles et sociales ». Que ce soit un bon angle d’attaque contre les islamistes, on en conviendra. Que cela rĂ©sume l’ñme de notre peuple et l’histoire du seul royaume dont les femmes ne pouvaient hĂ©riter et oĂč elles furent parmi les derniĂšres Ă  voter est une autre affaire.

Vient ensuite une laĂŻcitĂ© qui met dĂ©sormais Ă  l'honneur de dĂ©chirer le sage compromis de 1905 et d'oublier aussi tout ce qui devrait lui permettre de s'Ă©panouir autrement que dans la hargne (4). Les imprĂ©cations de petits-instruits comme Mme Schiappa ou M Valls peuvent-elles sĂ©rieusement rĂ©unir une large partie de l’opinion française pour « consolider » les « valeurs » de la « citoyenneté » ? PrĂ©tendre qu’une posture qui est aussi loin de faire l’unanimitĂ© (mĂȘme dans un seul camp politique) serait celle de toute une Nation est une imposture.

Et enfin il y a la tolĂ©rance, rebaptisĂ©e « Charlie ». Un mot qui dit tout. Charlie a Ă©videmment le droit de blasphĂ©mer mais nous aurions, en tant que citoyens, une sorte de devoir de regarder ses petites saletĂ©s. Ses caricatures sont projetĂ©es sur les façades, reproduites dans les manuels, brandies comme des icĂŽnes dont la seule vue devrait entraĂźner l’adhĂ©sion Ă  la philosophie voltairienne, diffuser la raison chez les adultes les moins instruits et provoquer dans les Ă©coles de fructueux dĂ©bats Ă  une voix. « Il faut surtout continuer, montrer cela et expliquer que c’est l’ñme de la France que d’autoriser le blasphĂšme » dixit Roselyne Bachelot. Ceux qui ont des doutes sur la mĂ©thode, qu’ils soient archevĂȘques ou professeurs de facultĂ©, se voient intimer le silence au nom de nos valeurs, voire traiter de collabos dans le cadre de l’état de guerre permanent. Le niveau de nos enfants en calcul (ou « en mathĂ©matiques » encore un grand mot) s'effondre, les Bac+5 font une faute d'orthographe par ligne, mais on doit passer des heures sur ces sottises.

En regard de ce bullshit politique, je n’ai pas entendu depuis des annĂ©es un seul gouvernant, parlant de « nos » sacrĂ©es valeurs, oser les trois grands mots qui ornent pourtant nos frontons. Chacun verrait trop bien, soudain, que notre libertĂ© est chaque jour rognĂ©e (5), que l’inĂ©galitĂ© ronge la sociĂ©tĂ© et que la fraternitĂ© n’est plus qu’un mot vide de sens, tant et si bien qu’on doit dĂ©sormais lĂ©gifĂ©rer « contre la haine ».

Aussi creux que le mot « valeurs », le mot « confiance » est invoqué pour à peu prÚs tout ce dont un homme avisé se méfierait.

Les mĂ©dias tournent autour du mot, Ă©voquant – notamment depuis les gilets jaunes - une « certaine forme de mĂ©fiance de certains citoyens vis Ă  vis de nos institutions ». Le pouvoir tourne autour du mot, parlant de « consolider le lien de confiance » entre « notre » police et les français. Les banques tournent autour du mot, invoquant notre confiance dans notre monnaie et dans nos banques, de façon presqu’hypnotique. L’affaire des vaccins, en ce qu’elle va permettre de mesurer rĂ©ellement la confiance des français dans tous ces prĂ©dicateurs, les fait dĂ©jĂ  frĂ©mir.

La proposition de valeur de Bitcoin et des cryptomonnaies appuie donc exactement lĂ  oĂč ça fait mal aujourd’hui dans le systĂšme rĂ©galien.

Bitcoin repose sur la confiance, mais sur une forme de confiance qui ressemble bien plus Ă  celle que l’on a dans un bon instrument qu’à celle qu’invoque le serpent Kaa. Bitcoin a une valeur qui tient Ă  sa raretĂ© et au caractĂšre onĂ©reux de son minage, non Ă  une supposĂ©e convention politique. Bitcoin est libre, son adoption se fait sans coercition, alors que plus rien de ce que propose le gouvernement ne tiendrait une journĂ©e sans coercition.

Bitcoin n’effraie pas encore les gouvernants. Il est mĂȘme assez commode pour eux, pour donner des coups de menton aprĂšs un attentat. En petit comitĂ©, les banquiers centraux avouent ne pas avoir la moindre peur de Bitcoin, et ne redouter sĂ©rieusement que Libra. Ils n’ont pas encore peur du JPM Coin, probablement du fait de douteuses connivences, ou parce qu’ils n’ont pas saisi la menace. Mais aprĂšs tout, la monnaie de Facebook comme celle de JP Morgan restent des formes privĂ©es du dollar, la seule vraie « fiat » du monde. La question qui se pose est justement celle du « fiat », un mot biblique faut-il le rappeler. Et elle commence Ă  se poser, mĂȘme chez Morgan Stanley.

C’est en rĂ©alitĂ© le vide et l’absence de base de leur systĂšme qui fait obligation aux dirigeants de mener leurs guerres.

Cela se voit trop cruellement au creux des arguments dont ils usent dans leurs combats.

Quand M. Darmanin nous affirme que « jamais en aucun moment Allah n’est supĂ©rieur Ă  la RĂ©publique (
) la RĂ©publique transcende tout » on a envie de demander si cette surĂ©minence est le propre de la RĂ©publique française, et par quel miracle si j’ose dire cette crĂ©ature somme toute rĂ©cente a pu se hisser Ă  un tel degrĂ© de majestĂ©.

Monsieur Darmanin, dont on nous dit par ailleurs qu’il est catholique, refuse donc l’idĂ©e que Dieu soit plus grand, ce que signifie exactement « ٱللَّٰهُ ŰŁÙŽÙƒÙ’ŰšÙŽŰ±Ù » mais qu’a-t-il alors en tĂȘte quand il rĂ©cite dans le Gloria : « Toi seul est Seigneur » ? Les croyants (tous) peuvent, et il me semble doivent aimer la France et prier pour elle (on le faisait dĂ©jĂ  du temps des rois) et mĂȘme pour la RĂ©publique (comme le font notamment les juifs Ă  chaque Shabbat, avec une priĂšre particuliĂšrement belle et Ă©mouvante) mais pas un seul, il faut le comprendre, ne mettra jamais l’objet pour lequel il prie au-dessus de Celui Ă  qui il adresse sa priĂšre, et qui n'est pas un compagnon tranquille du foyer, un petit dieu Lare de romain antique. On a le droit d’ĂȘtre croyant ou athĂ©e, on n’a pas le droit d’ĂȘtre idiot. En cas de conflit, s’imposerait Ă  l'esprit du croyant la rĂ©ponse de JĂ©sus Ă  Pilate : « tu n’aurais sur moi aucun pouvoir s’il ne t’avait Ă©tĂ© donnĂ© d'en haut ».

Revenons Ă  Bitcoin : quand on entend dire qu'il ne sera jamais une monnaie car personne n’en garantit la valeur, c’est je crois le mĂȘme type de sottise qui est profĂ©rĂ©, par des gens qui hiĂ©rarchisent beaucoup mais qui analysent peu .

J’ai entendu un banquier expliquer gravement que « si vous perdez un bitcoin, personne ne pourra vous le rendre » : dans la salle nous Ă©tions quelques-uns tentĂ©s de lui demander ce qu’il ferait pour ceux qui avaient perdu un billet de banque dans le mĂ©tro. Fondamentalement, ce sont les piĂšces d’or qui font le banquier riche et lui permettent de garantir ce qu’il entend garantir. Ce n’est que parce que l’on fabrique aujourd’hui de la monnaie avec du vent que l’on a besoin d’une garantie, de nature un peu mystique au demeurant. Aux yeux du bitcoineur, ce n'est pas Bitcoin qui monte, ce sont les monnaies de papier qui s'effondrent. L'Ă©change avec les hommes du « fiat » peut rester courtois, mais il a peu de chance d'ĂȘtre trĂšs fructueux.

J'ai donc la conviction qu'on ne peut rien fonder de crĂ©dible, d’aimable, de durable sur des sottises et qu'il serait temps que les gens de pouvoir en France le comprennent.

Le terrorisme frappe hĂ©las de nombreux pays sans que l’on y parte en guerre idĂ©ologique, en se demandant si Dieu (pour l’appeler par son nom en notre langue) est au-dessus ou au-dessous de la RĂ©publique. Les difficultĂ©s financiĂšres n’épargnent pas non plus de nombreux pays qui s'assignent d'autres prioritĂ©s que de chasser les bitcoineurs comme Louis XIV chassa bien sottement des protestants.

L'un des principaux acquis de la loi de 1905 , mais aussi de celle de 1901 par-delĂ  leurs diffĂ©rences (6) a Ă©tĂ© de voir la RĂ©publique donner des cadres juridiques assez pratiques Ă  l'usage et, du moins Ă  l'origine, assez libĂ©raux. Pourquoi n'instaurerait-elle pas une telle libertĂ© d’association dĂ©centralisĂ©e, Ă©ventuellement assortie du droit d’émission dĂ©centralisĂ©e de jetons de valeurs par ces associations, les formalitĂ©s n'Ă©tant nĂ©cessaires que pour une Ă©ventuelle admission Ă  la cote officielle dans son ressort territorial ?

Ce que demandent la plupart des cryptos - ceux qui ne sont ni juristes en mal de fonds de commerce ni start-upers en levĂ©e de fonds- c’est qu’on les laisse en paix, exempts de soupçons, mais soumis au chĂątiment des crimes dans le cadre du droit applicable Ă  tous. Ils n'ont pas la moindre illusion de voir l'État amĂ©liorer quoi que ce soit par son action. Ils se rĂ©jouiraient de le voir borner son rĂŽle Ă  reconnaĂźtre le simple fait que Bitcoin existe en tant que tel, sans encombrer quiconque de son avis sur la chose et de son illusoire garantie : une sĂ©paration.

NOTES

(1) En France, durant le couvre-feu, il faut signer un bout de papier attestant que l'on promÚne son chien : la simple présence du chien ne suffit pas.
(2) Je ne résiste pas au plaisir de rappeler que le Centre des Finances Publiques place Saint-Sulpice à Paris est installé dans les murs de l'ancien séminaire, et que le projet de restitution fut abandonné en 1924.
(3) Bel article dans le Figaro sur cette illusion inutile.
(4) Intéressante mise au point sur la laïcité par l'universitaire Charles Coutel, dans une tribune chez Marianne.
(5) À tel point, comme le dit MaĂźtre Yann Padova, ex SG de la CNIL dans une tribune publiĂ©e par Les Échos, que « Telle une peau de chagrin, ce qui hier constituait la norme politique et notre identitĂ© culturelle subissent une attrition progressive et insensible gouvernĂ©e par la peur ». (6) sur les deux statuts fixĂ©s par ces deux lois, voir l'intĂ©ressant article paru dans LibĂ©ration.

☐ ☆ ✇ La voie du àžżITCOIN

102 - L'incroyable prix de la Monnaie des Assassins

By: Jacques Favier —

Un prix incroyable !

Et non, ce titre racoleur ne va pas me conduire, en ce 5 novembre, Ă  ne parler que de Bitcoin !

Je veux parler d'une piĂšce d'or vieille de plus de 2000 ans et dont le prix a atteint 2.700.000 ÂŁ pour 8 grammes d'or. Une piĂšce d'or assez Ă©tonnante, tant par son extrĂȘme raretĂ© que par son motif : la cĂ©lĂ©bration de l'un des plus cĂ©lĂšbres assassinats politiques de tous les temps.

Il s'agit du lot 463 de la vente menée le 29 octobre dernier par la maison ROMA NUMISMATICS, 20 Fitzroy Square, Londres (métro Warren Street). CÎté face le visage de l'assassin Brutus, cÎté pile son poignard et celui de son complice Cassius entourant le bonnet phrygien, antique symbole républicain, au-dessus de la légende EID MAR (Eidibus Martiis : AUX IDES DE MARS).

L'attention des non-numismates avait été attirée sur ce magnifique objet par le blog de Pierre Jovanovic avec une présentation spectaculaire, mais un peu expéditive.

« C'est totalement fascinant qu'une telle piÚce existe, qu'elle soit parvenue jusqu'à nous et qu'il existe dans le monde des passionnés capables d'y mettre des millions » s'extasiait P. Jovanovic. Sur le fait que des piÚces antiques parviennent jusqu'à nous, on a envie de dire que ce n'est pas la seule ! Le catalogue de la vente est bluffant, et il y a des centaines de ventes numismatiques chaque année dans le monde.

Les reliques du passĂ© sont non seulement en elles-mĂȘmes prĂ©cieuses, mais les rĂ©flexions qu'elles inspirent sont Ă©clairantes et peuvent susciter la mĂ©ditations des bitcoineurs : la valeur des piĂšces de monnaies antiques, comme des statues, des peintures et des autres oeuvres d'art est liĂ©e de façon inextricable Ă  leur valeur intrinsĂšque (souvent faible), Ă  leur raretĂ©, Ă  leur histoire et Ă  la longue « tradition » qui est la leur.

Ceux qui iront lire en dĂ©tail la rubrique 463 du catalogue de vente en ligne verront que cet exemplaire (qui n'est pas unique) a une histoire assez bien documentĂ©e depuis pas loin de 2 siĂšcles ; et surtout que l'examen minutieux de l'Ă©tat de la piĂšce permet de la situer dans une sĂ©rie qui est elle-mĂȘme ici plus que restreinte : on pense qu'il reste peut-ĂȘtre une centaine en argent (des denarii ou deniers) et sans doute pas plus de 3 exemplaires en or (des aurei). Il va sans dire qu'aprĂšs des siĂšcles de passion numismatique et d'ardeur archĂ©ologique, la dĂ©couverte de nouveaux exemplaires dans un tel Ă©tat de conservation reste assez faible pour conforter la raretĂ© de la chose !

Ce qui va fasciner, cependant, c'est l'idée d'une émission commémorative de l'assassinat de l'homme qui voulut, le premier à Rome depuis des siÚcles, se faire roi.

La monnaie, prérogative régalienne nous dit-on, pourrait célébrer ce genre d'acte séditieux ?

CĂ©sar est dictateur dans des formes ou plutĂŽt dans des apparences de formes lĂ©gales subsistant aprĂšs plusieurs guerres civiles. Ce n'est pas nous, grĂȘlĂ©s d'Ă©tats d'urgence et de lois d'exception pour bien moins que cela qui allons chipoter les entorses romaines. Ce qui semble Ă©tabli, en revanche, c'est qu'il jouit, lui, d'un solide appui des classes populaires. Et que les conjurĂ©s, de leur cĂŽtĂ©, sont des sĂ©nateurs, des privilĂ©giĂ©s. Ce qui n'interdit pas de leur supposer des intentions diverses, voire le goĂ»t de la libertĂ© antique.

Ceci posĂ©, la raretĂ© mĂȘme de la piĂšce amĂšne sans doute Ă  ne pas « trop » solliciter sa signification : Rome n'a pas cĂ©lĂ©brĂ© les assassins de CĂ©sar et cette piĂšce n'a pas Ă©tĂ© frappĂ©e dans les ateliers monĂ©taires du Capitole, dans le temple de Junon Moneta car lors de sa frappe (en -43 ou -42) la Ville Ă©ternelle est au pouvoir des hĂ©ritiers de CĂ©sar. Brutus et ses partisans ont pu se servir d'un atelier monĂ©taire militaire « de campagne », comme cela existait assez couramment, ou bien transporter avec eux les « coins » et faire main-basse sur un trĂ©sor de temple dans l'une des villes de GrĂšce ou d'Asie oĂč ils regroupĂšrent un temps leurs partisans.

Les vrais paradoxes de cette monnaie sont assez différents d'une simple apologie du tyrannicide.

Longtemps trĂšs strictement encadrĂ©es, les reprĂ©sentations figurĂ©es sur les piĂšces romaines s'Ă©taient considĂ©rablement enrichies dans les derniĂšres dĂ©cennies de la RĂ©publique, multipliant les allusions, ycompris pour cĂ©lĂ©brer tel haut fait ou telle famille. Mais un tabou demeurait : celui du portrait d'une personnalitĂ© vivante. Pour des raisons religieuses (dans l'antiquitĂ© la monnaie est « garantie » symboliquement par les divinitĂ©s de la citĂ©) mais aussi, Ă©videmment, politiques, car l'effigie d'un vivant ne pouvait ĂȘtre que celle d'un despote, comme cela Ă©tait patent en Orient, et contrevenait donc Ă  la vieille Ă©thique rĂ©publicaine.

Le tabou fut brisé par... le divin Jules, descendant direct de Vénus, comme chacun sait et que cette éthique-là n'étouffait pas trop. Il fut figuré couronné comme un roi et voilé, non par humilité mais à l'image de la déesse Vesta.

Le paradoxe est donc que sur la piĂšce cĂ©lĂ©brant clairement le geste du 15 mars -44 (les ides de mars) le tabou ait Ă©tĂ© pareillement brisĂ© par celui qui avait dĂ©pĂȘchĂ© le tyran ad patres. Tout au plus notera-t-on que ce bon rĂ©publicain est figurĂ© tĂȘte nue alors que celle de CĂ©sar s'ornait d'une couronne.

Les piĂšces en or, on le sait circulaient (beaucoup) moins que celles d'argent, ce qui nous prive d'un facteur assez prĂ©cieux d'Ă©valuation : leur usure. En revanche, les deniers d'argent frappĂ©s avec les mĂȘmes motifs semblent avoir beaucoup circulĂ©. Ce qui implique qu'ils aient inspirĂ© une certaine confiance (bon aloi) et qu'ils aient Ă©tĂ© assez nombreux pour ne pas intriguer. On a dit qu'il en restait peut-ĂȘtre une centaine. Mais un historien qui a Ă©tudiĂ© de prĂšs cette Ă©mission d'argent estime Ă  une trentaine le nombre de paires de « coins », diffĂ©rents. En comptant 15.000 piĂšces pour chaque paire, cela ferait 450.000 deniers, ou 1735 kilogrammes d'argent. Cela fait beaucoup de piĂšces, et, vu l'usure de celles que l'on a retrouvĂ©es, beaucoup de piĂšces qui ont rĂ©ellement circulĂ©. Mais en mĂȘme temps cela n'en fait pas tant que cela : en kilogrammes, c'est le trĂ©sor d'un temple, guĂšre plus.

Sic semper Tyrannis ?

La phrase attribuĂ©e Ă  Brutus, et traduite de maniĂšre elliptique par « mort aux tyrans » court de maniĂšre plus ou moins souterraine dans l'histoire, et pas seulement comme devise de l'État de Virginie. RĂ©gicides, tyrannicides, attentats... certains changĂšrent l'histoire, d'autres confortĂšrent la tyrannie. AprĂšs Brutus, Auguste. Et, comme chez nous, les sĂ©quences du genre Caligula, Claude, NĂ©ron...

Sur les monnaies, les effigies se succĂšdent. Aujourd'hui, certes elles ont disparu. Nul n'a besoin de connaĂźtre le visage de Big Brother ou celui des petits hommes gris.

D'autres alternatives existent. Bitcoin n'a pas pour rien été baptisée par de sulfureux auteurs « la Monnaie acéphale ».






NOTES

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