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L’Élégance de Bitcoin : un ouvrage singulier

By: Ludovic Lars

En mars 2022 j'ai décidé d'écrire un livre sur Bitcoin. Cela faisait quelques temps que l'idée me trottait dans la tête, ayant accumulé un certain nombre de connaissances sur le sujet et voulant exposer clairement ce que j'avais compris. Vingt-et-un mois plus tard, non sans difficulté, celui-ci était terminé. Il est sorti officiellement le 31 janvier 2024 et connaît depuis un lancement encourageant !

Cet article est une présentation de cet ouvrage. Il en retrace sa longue conception, en expose le contenu général et dévoile quelques-uns des sujets abordés. J'espère ici convaincre les quelques personnes qui hésiteraient à se le procurer.

Un projet de longue haleine

L'idée de ce projet de livre m'est venue progressivement, mais elle s'est imposée dans mon esprit au cours de l'hiver 2021. La France était alors en proie à la dure restriction du passe vaccinal, ce qui m'avait un peu ouvert les yeux sur les possibilités d'évolution de notre société. Bitcoin représentait pour moi une sorte d'espoir, un outil de liberté sur lequel focaliser mon attention, et je voulais partager cette vision de manière claire et complète. Ayant écrit plus d'une centaine d'articles sur le sujet et ayant traduit l'ouvrage Cryptoeconomics d'Eric Voskuil, j'estimais avoir la légitimité pour écrire ce livre. J'ai annoncé ma décision début mars, quelques semaines à peine après l'invasion de l'Ukraine par la Russie et l'application de sanctions économiques drastiques contre les résidents russes.

J'ai mis au point une campagne de financement participatif en bitcoins qui permettrait de payer pour le lancement du livre et de me rémunérer pour quelques mois d'écriture. Celle-ci a été mise en place sur mon propre nœud grâce à Umbrel et BTCPay Server, et relayée via un VPS loué (en BTC) chez BitLaunch. La campagne a été financée principalement en BTC, mais quelques contributions ont été aussi faites en XMR et en BCH, cryptomonnaies que j'acceptais manuellement. Diverses contreparties ont été promises aux contributeurs et ont depuis à peu près toutes été honorées.

Le plan de l'ouvrage était déjà cohérent et il ne changerait pas significativement tout au long de la rédaction. L'idée était de décrire l'origine avant la destination, le pourquoi avant le comment, le général avant le particulier, pour former un ensemble clair et complet. Le contenu n'était pas destiné aux nouveaux venus, mais devait tout de même rester compréhensible pour le lecteur intéressé. Le propos devait se différencier du contenu produit par les « influenceurs » qui, en général, reste souvent à la surface et se limite parfois au prix et à l'investissement... Il était ainsi nécessaire que les sujets soient traités en profondeur, y compris d'un point de vue technique.

J'ai mis toute mon âme dans ce livre. J'y ai placé tout ce qui avait de l'importance pour moi, tout ce qui m'avait fasciné dans Bitcoin, même si certains sujets pouvaient être controversés ou complexes. J'ai essayé d'être le plus sincère dans ma démarche, en indiquant d'où venait ce que j'avançais : l'ouvrage contient ainsi une multitude de références disséminées au sein de centaines de notes (à tel point que des notes supplémentaires ont dû être extraites et être hébergées en ligne). Cet ouvrage est aussi un témoignage de ma relation avec Bitcoin, notamment dans la conclusion (chapitre 15) où je donne un avis plus personnel et où j'émets quelques prospectives sur Bitcoin.

Au cours de la rédaction, le contenu a pu être amélioré grâce aux diverses relectures bénévoles. Je remercie grandement ceux qui ont accepté de relire un chapitre ou deux pour me signaler ce qui n'allait pas, au niveau de la forme ou du fond. Ils sont cités au début du livre. Cet aspect m'a fait prendre conscience que l'écriture d'un livre n'était pas une tâche strictement individuelle : c'est un travail mené par une personne unique, certes ; mais celui-ci dépend du retour et du soutien d'autres personnes. Je n'aurais jamais pu écrire ce livre seul.

Assez rapidement, j'ai eu quelques contacts avec des éditeurs. J'ai finalement choisi la maison d'édition spécialisée Konsensus Network pour m'aider à publier l'ouvrage. Elle était constituée de bitcoineurs passionnés et proposait le paiement en bitcoins directement dans sa boutique, deux choses essentielles de mon point de vue. J'ai notamment été en communication avec Édouard Gallego qui m'a grandement aidé dans le processus (et que je remercie infiniment).

Enfin, il m'a été conseillé de trouver quelqu'un qui pourrait écrire une préface, car (on ne va pas se mentir) cet élément peut faciliter les ventes. La préface sert en effet de caution intellectuelle, garantissant une certaine qualité du propos auprès du public, une sorte de validation par un pair utile au discernement individuel. J'ai ainsi dû chercher un préfacier. C'était une chose délicate car, de mon point de vue, la personne devait à la fois m'avoir appris quelque chose (je devais lui être redevable) et apprécier le livre, au moins partiellement. Mon choix s'est porté vers Jacques Favier, historien et co-fondateur du Cercle du Coin, que j'avais découvert en 2017 par l'intermédiaire d'une vidéo de Raj de la chaîne Autodisciple, et dont j'avais lu l'ouvrage La Monnaie acéphale co-écrit avec Adli Takkal-Bataille. Jacques est quelqu'un que j'estime et dont j'apprécie les interventions orales comme écrites, ainsi que les multiples livres. Il a une culture historique que je n'aurais probablement jamais et est d'une finesse remarquable quand il s'agit de parler de Bitcoin.

En octobre 2023, je lui ai formulé ma demande, escomptant qu'il serait ouvert à la chose, et il a accepté de relire mon manuscrit. Je savais qu'il n'apprécierait pas tout le contenu du livre, et notamment ses penchants les plus « libéraux » et « autrichiens », mais j'espérais qu'il y trouverait des points qui lui plairaient. Il a finalement accepté. Il a rédigé une superbe préface, avec le talent d'écriture que ses lecteurs lui connaissent. Le fait que nous ayons des points de vue différents n'est à mon avis pas un défaut, d'autant plus que j'ai voulu m'adresser à tout le monde. Même s'il existe évidemment des opinions erronées au sujet de Bitcoin, la diversité des points de vue est une richesse qu'il convient de cultiver. Tout comme dans la célèbre fable indienne où des aveugles touchent chacun une partie différente d'un éléphant et décrivent l'animal d'une façon différente, nous avons tous notre perspective de Bitcoin qui peut être valable et complémentaire par rapport aux autres, à condition d'être de bonne foi.

Un contenu riche

Le livre a pour objectif de donner une vue d'ensemble de Bitcoin, à la fois sous des perspectives technique, historique, économique et politique. Tout d'abord, j'aborde l'histoire de Bitcoin de ses origines en 2008 à aujourd'hui (chapitres 1 et 2). Puis, j'évoque ses racines proprement dites en explorant ses fondements monétaires, politiques et techniques et en retraçant comment il s'inscrit dans une évolution déterminée (chapitres 3, 4, 5 et 6). Ensuite, je présente son modèle de fonctionnement général, qui est plutôt simple quand on y pense mais terriblement efficace, en décrivant tour à tour la signature numérique, le minage et la détermination du protocole (chapitres 7, 8, 9, 10, 11). Enfin, je rentre dans les détails plus techniques en m'attardant sur les rouages de Bitcoin et en abordant des thèmes tels que la confidentialité, la programmabilité et la scalabilité (chapitres 12, 13, 14).

Table des matières élégance de Bitcoin
Table des matières (cliquer pour agrandir)

Le contenu est donc très riche et saura contenter les plus curieux. Les sujets abordés dans le livre sont des sujets réels, profonds, et parfois complexes, qui sont rarement abordés dans les médias généralistes. On alterne entre les idéologies politiques, les solutions techniques, l'utilité du système, la censure des transactions, l'altération des règles de consensus ou les frais de transaction. Il ne s'agit pas de convaincre le lecteur d'« investir » dans le bitcoin, mais de lui faire prendre conscience des enjeux qui s'incarnent au sein même de Bitcoin et de la bataille de la monnaie numérique qui se joue aujourd'hui même.

Le titre de l'ouvrage – qui était à l'origine provisoire, mais qui s'est imposé comme définitif avec le temps – reflète l'élégance rare qui caractérise la conception de base de Bitcoin. Dans le propos, cette élégance est en filigrane : vous ne trouverez pas de grand discours philosophique sur la beauté ou de récit grandiloquent à propos d'une expérience mystique, mais vous pourrez ressentir cette élégance à travers la façon dont Bitcoin est agencé. Bitcoin tire sa force de cet aspect. Sa simplicité est à la base de sa robustesse : comme l'écrivait Satoshi Nakamoto dans le livre blanc, « le réseau est robuste du fait de sa simplicité non structurée ».

L'image de couverture (conçue par le talentueux ImTechnicolor) représente Bitcoin en tant qu'arbre dont les branches sont des pistes de circuit imprimé et dont les feuilles sont des pastilles. Elle combine ainsi la nature informatique du système, qu'on retrouve dans le réseau qui le supporte, et son aspect organique, lié aux êtres humains et à leurs interactions économiques et culturelles. De plus, cette illustration résumé particulièrement bien les différents thèmes abordés dans l'ouvrage : les racines techno-idéologiques de Bitcoin retraçant ce qui a pu mener à sa découverte ; son caractère essentiellement pluriel, qui se transcrit dans les différentes scissions et les versions alternatives du protocole ; sa chaîne de blocs, que Satoshi décrivait comme « une structure en forme d’arbre qui a pour racine le bloc de genèse, chaque bloc pouvant avoir plusieurs candidats à sa suite » ; et enfin les arbres de Merkle, qui interviennent dans les blocs pour agencer les transactions. J'en suis particulièrement satisfait.

Une perspective différente

Beaucoup de contenu sur Bitcoin se concentre sur les choses qui plaisent au grand public. Le nerf de la guerre numérique étant l'attention, il faut aborder les sujets de manière péremptoire et simpliste, qui parle au plus grand nombre sans trop le bousculer. Il convient ainsi bien souvent d'évoquer le pouvoir d'achat de nos monnaies qui s'érode et le prix du bitcoin qui monte en conséquence, dans une vision schématique du phénomène. En général, on ne cherche pas trop à revenir sur les racines cypherpunks de Bitcoin, ni à mettre en avant qu'il permet de contrevenir à la loi positive ou de s'adonner à certains vices. On évite également de parler de ses faiblesses et de ses limites, voulant convaincre autrui d'en acheter un peu.

Étant anticonformiste, je m'oppose à cette vision des choses, qui a ses mérites (je le concède) mais qui ne cadre pas avec ce que Bitcoin véhicule. Je pense qu'il est profitable de dire ce qui nous semble être la vérité de manière crue et directe, quitte à déplaire aux plus modérés. Cet ouvrage a été écrit dans cette optique et de multiples sujets polémiques sont abordés. En voici quelques-uns.

Bitcoin possède des racines idéologiques profondes. Bitcoin n'est pas un assemblage technique neutre, mais possède des valeurs qui sont inscrites dans le code du logiciel, qui peuvent être identifiées dans les écrits de son fondateur et qui se retrouvent au sein de sa communauté. La valeur principale est bien entendu la liberté, le but de Bitcoin étant, comme l'écrivait Satoshi, de « conquérir un nouveau territoire de liberté pour plusieurs années ». Parmi les mouvements qui ont influencé la découverte de Bitcoin, on peut citer le libertarianisme américain moderne initié par Murray Rothbard dans les années 60, l'agorisme de Samuel Konkin III, le mouvement libriste débuté par Richard Stallman dans les années 80, l'extropianisme transhumaniste de Max More, et le mouvement cypherpunk des années 90 représenté par Tim May. Les expériences de monnaies numériques forment aussi une indication de la longue quête qui a mené à la cryptomonnaie. Je ne suis évidemment pas le premier à parler de cette « préhistoire » de Bitcoin : des livres ont été écrits à ce sujet – dont notamment Digital Cash de Finn Brunton et The Genesis Book d'Aaron van Wirdum, sorti très récemment – et des épisodes de podcast y ont été consacrés – et en particulier les premiers épisodes de celui d'Urbantech.

L'argent liquide physique va disparaître. Tout comme la monnaie a transitionné de la monnaie métallique au papier-monnaie, celle-ci subit une transformation similaire en devenant peu à peu une monnaie entièrement numérique. Cette évolution est aujourd'hui en cours en Occident et devrait se finaliser dans les décennies à venir, sauf dans le cas d'une prise de conscience massive. Nous nous retrouverons dans un monde utilisant principalement de la monnaie numérique de banque centrale et ses dérivés privés, dans lequel le rôle de l'argent liquide papier aura été rendu obsolète et négligeable. La surveillance et la censure financières pourront se déployer comme jamais auparavant. Dans ce monde aux aspects dystopiques, Bitcoin formera une alternative cruciale pour la liberté.

Bitcoin est une monnaie de désobéissance. Bitcoin n'a d'utilité propre par rapport au dollar et à l'euro que dans la mesure où il existe en dehors des lois et de l'intervention des banques. Par sa résistance à la censure (aspect largement mis en valeur dans le livre), cet outil est fait pour désobéir aux autorités en charge, chose qui peut être jugée légitime ou non. Il garantit la liberté de transaction pour des activités sensibles comme la liberté d'expression, l'opposition politique dans les pays, l'envoi de fonds à l'étranger, et plus généralement l'économie parallèle.

L'adoption de masse n'aura pas lieu. L'adoption de masse du bitcoin est désirable dans la mesure où elle permettrait à tous de disposer d'une monnaie libre, et empêcherait les diverses manipulations monétaires réalisées par les États et par les banques. C'est pour cela qu'elle est souvent présentée comme un objectif à atteindre, comme si les monnaies fiat pouvaient disparaître dans une hyperbitcoinisation fulgurante. Cependant, il est illusoire de croire qu'une telle adoption pourrait survenir du jour au lendemain, et tous ceux qui ont travaillé sur le terrain peuvent en témoigner. L'utilisation de Bitcoin suppose des contraintes variées (comme la volatilité du pouvoir d'achat, les frais de transaction, le manque de scalabilité et la réglementation dissuasive), ce qui crée une barrière à l'entrée que tout le monde n'est pas prêt à franchir. La sobriété du discours pourrait ainsi être bénéfique.

Le passage à l'échelle se fera (aussi) par le recours aux mises en œuvre alternatives de Bitcoin. Comme tout le monde le sait, Bitcoin ne passe pas à l'échelle en tant que système unique : le nombre de transactions pouvant être incluses dans un bloc est restreint par une limite de poids de blocs, et les solutions de seconde couche censées améliorer cette capacité de traitement, comme le Lightning Network, sont par essence imparfaites, puisque reposant sur le règlement des litiges sur la chaîne. Toutefois, il existe une troisième voie pour accroître le nombre de transferts : c'est l'utilisation de monnaies de substitution, c'est-à-dire de cryptomonnaies alternatives libres et décentralisées possédant des caractéristiques proches de BTC (propriété entière, résistance à la censure, résistance à l'inflation) mais n'offrant pas la même sécurité. Cet effet peut déjà être observé lors de la hausse de frais sur le réseau lorsque les utilisateurs ont recours à d'autres cryptomonnaies (2023 en a été un bel exemple avec Ordinals). En parallèle, certaines boutiques en ligne focalisées sur Bitcoin ont compris le phénomène à l'instar de Bitrefill, qui accepte le litecoin (LTC) et d'autres cryptomonnaies, et de ShopInBit, qui accepte le monero (XMR). De manière générale, cette solution pourrait s'imposer à long terme de la même manière que l'argent a pu être le complément de l'or pendant des siècles avant d'être démonétisé en 1873, à condition bien sûr que la demande pour Bitcoin ne soit pas trop faible et qu'une solution de scalabilité révolutionnaire ne soit pas découverte entretemps.

Où se procurer l'ouvrage

Vous retrouverez ainsi, dans cet ouvrage qui présente une vision profonde et cohérente de Bitcoin, du contenu qui n'a pas forcément été abordé dans la langue de Molière. Ce sera, je l'espère, une lecture qui saura se démarquer des autres.

Vous pouvez vous procurer l'ouvrage sur la boutique de Konsensus Network, où il est possible de payer en BTC et en euros. Il est aussi disponible à la vente sur Amazon à un prix plus élevé et dans un format légèrement différent : l'objet est plus grand et plus lourd, et le papier un peu plus blanc. Les évaluations positives sont bien évidemment les bienvenues si vous avez effectué un achat sur la plateforme récemment ; cela aidera à améliorer la visibilité du livre. Le livre peut également être retrouvé sur le site de la FNAC. Un format numérique (epub) devrait être proposé prochainement, sur toutes les plateformes.

Enfin, précisons que vingt-et-un jetons non fongibles (NFT) liés au livre ont été forgés via le protocole Ordinals, dont la liste des identifiants a été incluse dans le livre. Ils sont en voie d'être distribués aux contributeurs et aux relecteurs.

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Bitcoin : un livre blanc, des livres blancs

By: Ludovic Lars

Le livre blanc (ou white paper en anglais) est le document fondateur de Bitcoin publié le 31 octobre 2008 par Satoshi Nakamoto. Il s'agit d'un court document de 9 pages, présenté comme un article scientifique, qui décrit le fonctionnement technique du système. Le titre en fait « un système d'argent liquide électronique pair-à-pair », c'est-à-dire une monnaie numérique pouvant être échangée sans nécessiter de tiers de confiance sur Internet.

La version généralement partagée du livre blanc est celle qui est disponible actuellement à l'adresse bitcoin.org/bitcoin.pdf, conformément au lien donné par Satoshi dans son premier courriel public sur la liste de diffusion de Metzdowd.com dédiée à la cryptographie. Celle-ci est citée partout sur la toile, dans les livres blancs des autres cryptomonnaies et jusque dans les articles universitaires. Sauf ce que ce n'est pas la bonne version.

Le 31 octobre dernier, à l'occasion du 14ème anniversaire du livre blanc, je me suis en effet rendu compte que cette version n'était pas celle distribuée par Satoshi Nakamoto en 2008. En réalité, il existe au moins deux versions ayant été distribuées antérieurement : l'une précédant la publication publique, et donnée à Wei Dai ; l'autre, correspondant a priori à la version partagée sur la liste de diffusion.

Livres blancs de Bitcoin

 

Une première version

La première version du papier a été donnée par Satoshi à l'ancien cypherpunk Wei Dai, créateur de b-money, un concept de monnaie numérique distribuée datant de 1998.

En août 2008, alors que son projet était en voie d'être concrétisé, Satoshi a contacté Adam Back, le cryptographe britannique à l'origine de Hashcash, la technologie utilisée pour calculer la preuve de travail. Adam Back l'a renvoyé vers Wei Dai, que Satoshi a contacté le 22 août en lui écrivant qu'il se préparait « à publier un document » qui étendrait ses idées « à un système complètement fonctionnel » et qu'il aurait besoin de « l'année de publication de [sa] page sur b-money » afin de citer le concept dans son papier.

Les courriels échangés ont été partagés par Gwern Branwen en mars 2014, qui les avait reçus de Wei Dai lui-même.

Le premier courriel de Satoshi à Wei Dai contenait un lien vers le livre blanc, ainsi que son titre et son résumé (abstract). Le titre du document était alors « Electronic Cash Without a Trusted Third Party » (« Un argent liquide électronique sans tiers de confiance ») et ne faisait pas mention du nom de Bitcoin. D'après le lien transmis, le nom du document était ecash.pdf et non pas bitcoin.pdf comme c'est le cas aujourd'hui. On suppose que Satoshi hésitait encore sur le nom de son invention, car il avait alors réservé (au moins) deux noms de domaine : netcoin.org le 17 août et bitcoin.org le 18 août.

Nous ne disposons néanmoins pas du document intégral, et n'en avons que le résumé, que je reproduis ici dans sa version originale (les passages en gras marquent les différences avec la version finale) :

« Abstract: A purely peer-to-peer version of electronic cash would allow online payments to be sent directly from one party to another without the burdens of going through a financial institution. Digital signatures offer part of the solution, but the main benefits are lost if a trusted party is still required to prevent double-spending. We propose a solution to the double-spending problem using a peer-to-peer network. The network timestamps transactions by hashing them into an ongoing chain of hash-based proof-of-work, forming a record that cannot be changed without redoing the proof-of-work. The longest chain not only serves as proof of the sequence of events witnessed, but proof that it came from the largest pool of CPU power. As long as honest nodes control the most CPU power on the network, they can generate the longest chain and outpace any attackers. The network itself requires minimal structure. Messages are broadcasted on a best effort basis, and nodes can leave and rejoin the network at will, accepting the longest proof-of-work chain as proof of what happened while they were gone. »

Ce qui peut être traduit par :

« Résumé : Une version purement pair-à-pair d'argent liquide électronique permettrait aux paiements en ligne d'être envoyés directement d'une partie à l'autre sans avoir à passer par une institution financière. Les signatures numériques offrent une partie de la solution, mais perdent leurs principaux avantages si une partie de confiance est nécessaire pour empêcher la double dépense. Nous proposons une solution au problème de la double dépense en utilisant un réseau pair-à-pair. Le réseau horodate les transactions en les hachant dans une chaîne continue de preuves de travail basées sur le hachage, formant un enregistrement qui ne peut être modifié sans reproduire la preuve de travail équivalente. La chaîne la plus longue sert non seulement de preuve du déroulement d'événements constatés, mais aussi de preuve qu'elle provient du plus grand regroupement de puissance de calcul (CPU). Tant que les nœuds honnêtes contrôlent la plus grande puissance de calcul du réseau, ils peuvent générer la chaîne la plus longue et devancer tous les attaquants. Le réseau lui-même ne nécessite qu'une structure minimale. Les messages sont transmis au mieux, et les nœuds peuvent quitter et rejoindre le réseau à volonté, en acceptant la plus longue chaîne de preuves de travail comme preuve de ce qui s'est passé pendant leur absence. »

On note que certains mots et certaines tournures de phrase divergent mais que le sens global est préservé.

 

Une deuxième version

La deuxième version du papier est la version partagée par Satoshi Nakamoto le 31 octobre 2008, comme le prouve le résumé reproduit dans son premier courriel public adressé à la liste de diffusion.

Cette version a été repartagée en janvier 2015 sur la liste de diffusion de Metzdowd.com, suite à une requête d'un dénommé James Evans qui écrivait :

« Quelqu'un dispose-t-il de la version originale de 2008 du livre blanc qui a été publiée sur cette liste de diffusion le 31 octobre 2008 / le 1er novembre 2009 ? La version actuelle du livre blanc téléversée sur Sourceforge date du 24-03-2009. Il s'agit de la deuxième version du livre blanc. La première version a été publiée le 31-10-2008. Elle a été téléversée sur www.bitcoin.org/bitcoin.pdf, où se trouve également la version actuelle. Est-ce que quelqu'un ici l'a téléchargée et enregistrée ? »

Un individu se faisant appeler StealthMonger a répondu le lendemain en disant :

« On dirait que je l'ai. Le texte ne contient pas de numéro de version ou de date, mais la date locale du fichier que j'ai est le 2 novembre 2008. »

Désirant rester anonyme, ce dernier a refusé de partager ce document directement, et l'a transmis à un certain David Johnson, qui l'a partagé publiquement sur son site web. L'empreinte donnée dans l'échange et sur le site (427c63b364c6db914cf23072a09ffd53ee078397b7c6ab2d604e12865a982faa) correspond au document hébergé par Gwern Branwen.

Aperçu du livre blanc de Bitcoin octobre 2008
Version du livre blanc de Bitcoin créée le 3 octobre 2008 et distribuée le 31

Ce document a été créé le 3 octobre 2008 à 13:49:58 UTC-7, si l'on en croit les métadonnées du PDF (que l'on peut retrouver avec la commande pdftk bitcoin-20081003.pdf dump_data sur Linux).

Il s'agit d'une version différente de la première version puisque le titre est cette fois-ci « Bitcoin: A Peer-to-Peer Electronic Cash System » (« Bitcoin : un système d’argent liquide électronique pair-à-pair ») et que son résumé ne contient plus le mot « offer » (offrent) mais « provide » (fournissent). Mise à part cette modification, le résumé reste le même.

Le reste du document (qui est alors disponible) se distingue de la version finale par les éléments suivants :

  • L'adresse de courrier électronique présente est satoshi@vistomail.com et non pas satoshin@gmx.com.
  • Le paragraphe sur l'ajustement de la difficulté se situe dans la section sur l'incitation des mineurs (Incentive) au lieu de se trouver dans la section sur la preuve de travail (Proof-of-Work).
  • Le terme broadcasted, variante incorrecte de broadcast (que je traduis ici dans les deux cas par « transmis »), est présent dans la section sur le fonctionnement du réseau (Network).
  • Dans la section sur la vérification de paiement simplifiée (Simplified Payment Verification), Satoshi fait mention de la vulnérabilité des nœuds complets à un « renversement » (reversal) et emploie le terme « reported transactions » plutôt que « alerted transactions » pour désigner les transactions signalées comme des doubles dépenses.
  • Le document ne mentionne pas les frais de transactions, ni la potentielle substitution de la création monétaire, éléments qui se trouvent normalement dans la section sur l'incitation (Incentive). Le code donné par Satoshi Nakamoto le 16 novembre à Hal Finney, Ray Dillinger et James A. Donald, contient cependant ces caractéristiques fondatrices de Bitcoin, même si les paramètres de la politique monétaire étaient différents. En effet, dans le code de 2008, la réduction de moitié de la subvention intervenait théoriquement tous les 2 ans et 312 jours et la limite d'émission maximale était de 2 millions de bitcoins (COIN), chacun étant divisible en un million d'unités de base.

 

Une troisième et dernière version

La version finale du livre blanc est apparue plus tard. Selon les métadonnées du PDF, elle a été créée le 24 mars 2009 à 11:33:15 UTC-6. On peut supposer que Satoshi l'a mise en ligne dans les jours qui ont suivi.

Aperçu du livre blanc de Bitcoin mars 2009
Version du livre blanc de Bitcoin créée le 24 mars 2009

L'empreinte du document par SHA-256 est b1674191a88ec5cdd733e4240a81803105dc412d6c6708d53ab94fc248f4f553. Une traduction est disponible ici.

Cette version a été lue et commentée par la grande majorité des personnes qui se sont intéressées à l'origine de Bitcoin, de sorte qu'elle constitue aujourd'hui la version de référence, largement citée dans la communauté. Elle contient notamment le passage relatif à la politique monétaire qui indique qu'« une fois qu’un nombre prédéterminé de pièces a été mis en circulation, l’incitation peut être entièrement financée par les frais de transaction et ne plus requérir aucune inflation ». À l'époque, cet aspect était déjà mis en avant par Satoshi par sa description de l'émission des nouveaux bitcoins dans le courriel de lancement du 8 janvier 2009 et par ses interventions sur la liste de diffusion et sur le forum de la Fondation P2P, et on imagine qu'il voulait que cette possibilité de monnaie à quantité fixe figure dans le livre blanc.

Toutefois, bien que ce document constitue la version finale du livre blanc, elle ne décrit pas toutes les caractéristiques de Bitcoin. Il manque d'abord l'aspect programmable des transactions (mis en œuvre au travers des « scripts » dans les entrées et les sorties), une fonctionnalité déjà présente dans le code de novembre 2008, au sujet de laquelle Satoshi a déclaré :

« La nature de Bitcoin est telle que, dès la version 0.1 publiée, sa conception de base était gravée dans le marbre pour le reste de son existence. C'est pourquoi je voulais le concevoir de manière à ce qu'il prenne en charge tous les types de transactions auxquels je pouvais penser. Le problème était que chaque élément nécessitait un code et des champs de données particuliers, que cet élément soit utilisé ou non, et ne couvrait qu'un seul cas particulier à la fois. Ç'aurait été une explosion de cas particuliers. La solution était script, qui généralisait le problème de sorte que les parties transactantes pouvaient décrire leurs transactions comme des prédicats que le réseau de nœuds évaluait. Les nœuds n'ont besoin de comprendre la transaction que dans la mesure où ils évaluent si les conditions de l'émetteur sont remplies. »

Il manque aussi des éléments économiques relatifs à Bitcoin comme la résistance à la censure, la détermination du protocole ou le modèle de sécurité. Bitcoin constitue donc un concept qui dépasse sa description dans le livre blanc, même si l'essentiel s'y trouve.

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